entité se compose de champs (2) discursifs, espaces socioinstitutionnels relativement autonomes (politique,
scientifique, religieux…) dans lesquels interagissent des formations discursives à travers des processus
sémantiques, dont le silence.
Nous avons déjà dit que le silence actualisé consistait en effacement d’unités formelles. Le silence
réalisé aussi peut porter sur des unités lexicales, mais à un niveau macrostructurel, puisqu’il résulte
d’enjeux sociaux liant des formations discursives. À ce titre, le silence réalisé peut être conçu comme un
trou lexical qui relève non pas de la langue, mais du discours. En plus de cette différence, et contrairement
au silence actualisé, le silence réalisé peut effacer un objet socio-discursif global ou thème : c’est dire
finalement qu’il a une portée. Nous parlerons de silence partiel ou total selon que l’effacement est
circonscrit à l’unité lexicale ou porte sur un thème.
Latent en langue, le silence est, en discours, l’expression d’un rapport de forces résultant, selon le mot
de Pulcinelli (1991 : 208) d’un « processus de mise-en-silence [ou] “ silentiation ” ». Il est différent du
« non-dit qui – tel l’implicite – vient s’ajouter au dit mais il est un non-dit nécessairement effacé, écarté du
dit. » Ainsi conçu, le silence réalisé est soumis aux mêmes contraintes que les discours qui le supportent.
Dans tous les cas, il reste une forme de violence du pouvoir (3), sa fonction étant de réduire l’autre à ce que
Bourdieu (1998 : 24) appelle la « soumission paradoxale », effet de « la violence symbolique » qui
s’exerce surtout par « les voies purement symboliques de la communication et de la connaissance — ou,
plus précisément, de la méconnaissance, de la reconnaissance ou, à la limite, du sentiment. » Ainsi, en
Europe, pendant de longs siècles, la maîtrise du latin a constitué un instrument de violence car « Le
pouvoir de dire » des « uns avait pour contrepartie le silence des autres, réduits de nécessité à la croyance
et à l’obéissance, manifestant au plus la conscience de leur condition » (Waquet 1998 : 274).
Toutefois, si le savoir et le pouvoir-dire sont les principaux instruments de la violence symbolique, le
rôle du sentiment ne doit pas être négligé pour autant. Celui-ci peut, dans certaines conditions et plus
souvent qu’on ne le dit, neutraliser un savoir et un pouvoir-dire avérés. Son action est d’autant plus
pernicieuse qu’elle se manifeste généralement sous la forme de la doxa. Bourdieu (1996 : 25) explique à
ce propos comment, dans une émission de télévision, il a été contraint au silence, car placé devant
l’alternative de se soumettre en se taisant ou de faire un scandale « contraire aux règles du débat
“ démocratique ” ».
Le silence réalisé ne procède donc pas nécessairement de l’action du savoir sur l’ignorance. Les choses
sont plus complexes : comme le discours dont il est un composant nécessaire, le silence, en dernière
analyse, ne peut se comprendre indépendamment des interactions sociales qui l’ont produit. La
construction de notre corpus tient compte de ce postulat.
2. LE CORPUS
2.1. Le contexte discursif
La procréation au Sénégal est fortement valorisée par les traditions et les religions (94 % de musulmans
et 4 à 5 % de chrétiens), appuyées pendant soixante ans, par une loi française de 1920 (4) interdisant la
contraception. L’abrogation de cette loi en 1980 a permis la pratique légale de la contraception mais de
fortes pressions religieuses interdisaient d’en parler, si bien que le DOP n’est apparu qu’en 1988, date de
l’adoption de la politique de population. Pourtant, de 1961 à 1985, un taux de croissance démographique
supérieur au taux de croissance économique a entraîné l’appauvrissement de larges couches de la
population. Toujours est-il que, sur le plan social, la naissance du DOP a été négociée sur la base de l’idée
que l’islam détermine le comportement de ses adeptes sénégalais en matière de procréation.
Le DOP est investi par quatre champs discursifs : politique, religieux, celui de la tradition et celui de la
presse. Le champ discursif politique comprend les formations discursives étatique et interétatique, en
l’occurrence le FNUAP (Fonds des Nations unies pour la Population (5)) et ses relais dans la société civile.
Le champ discursif religieux est plus complexe. Sa principale composante est l’islam confrérique sunnite,
numériquement dominé par les confréries
mouride
et
tidiane
. Cette formation est concurrencée depuis
environ un quart de siècle par un mouvement proche du chiisme iranien, le « nouveau courant