
ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui
lui sont intolérables au regard de sa condition.
Plus loin, la Cour suprême ajoute une précision cruciale : «le
terme ‘‘irrémédiable’’ ne signifie pas que le patient doive subir des
traitements qu’il juge inacceptables. »
C’est le langage que le plus haut tribunal du pays a employédans
cet arrêt historique et unanime. Ce qui a étédéposés’en éloigne
largement.
Les paramètres et les critères d’admissibilitéproposés dans le
projet de loi C-14 sont restrictifs. En effet, selon le projet de loi, une
personne n’est admissible que si elle souffre d’un problème de santé
grave et irrémédiable, c’est-à-dire si elle est «atteinte d’une maladie,
d’une affection ou d’un handicap graves et incurables ». De plus, la
situation médicale de la personne doit se caractériser «par un déclin
avancéet irréversible de ses capacités. »Troisièmement, «sa
maladie, son affection, son handicap ou le déclin avancéet
irréversible de ses capacités lui cause des souffrances physiques ou
psychologiques persistantes qui lui sont intolérables ». Enfin, une
personne n’est admissible selon le projet de loi C-14 que si «sa mort
naturelle est devenue raisonnablement prévisible ».
Pour désigner une maladie terminale, l’arrêtCarter ne fait pas
mention de maladie incurable ou d’euphémisme du genre la «mort
naturelle est devenue raisonnablement prévisible ». Or, honorables
sénateurs, ce sont les mots que l’on peut lire dans le projet
de loi C-14. Ce libelléaboutit àdes critères d’admissibilitérestrictifs
qui ne satisfont pas àceux énoncés par la Cour suprême dans
l’arrêtCarter.
Je vais maintenant vous expliquer pourquoi je pense que ces
critères d’admissibilitérestrictifs du projet de loi C-14 devraient être
remplacés par ceux qu’a énoncés la Cour suprême dans l’arrêt
Carter.
Le projet de loi C-14 comporte des aspects àla fois juridiques et
médicaux. Il y a d’un côtél’enjeu de légalitéet de l’autre les
médecins, les infirmiers praticiens et les responsables de la
réglementation qui auront àinterpréter la loi, une fois qu’elle sera
entrée en vigueur.
Il y a ceux qui doivent administrer l’aide médicale àmourir. De
Montréal et Vancouver jusqu’au Yukon et àThunder Bay, ils
devront être en mesure d’interpréter ce que signifie «grave et
irrémédiable »et agir en conséquence. Par ailleurs, il n’est pas
question de mal interpréter le projet de loi C-14. Or, d’un point de
vue médical, on ne peut qu’aboutir àtoutes sortes d’interprétations
erronées si l’on ne remplace les critères restrictifs du projet
de loi C-14 par ceux de l’arrêtCarter.
Exiger de quelqu’un qu’il souffre d’une maladie ou d’une
invaliditéincurables est restrictif. Les médecins nous ont dit
qu’une telle exigence suppose que le malade doit, afin de guérir,
demander et subir toutes sortes de traitements même s’ils sont
inacceptables pour lui.
La Cour suprême du Canada a clairement préciséque le terme
d’«irrémédiable »ne suppose pas que le malade subisse des
traitements qu’ils jugent inacceptables. L’écart que l’on constate
entre l’arrêt de la Cour suprême et le projet de loi C-14 est évident.
Exiger que la mort naturelle soit devenue raisonnablement prévisible
est restrictif.
Lors de l’étude préalable, la ministre de la Justice nous a dit que le
fait d’exiger que la mort soit raisonnablement prévisible laisse aux
professionnels de la santétoute latitude pour tenir compte de la
situation du malade.
Tout au long de l’étude préalable, honorables sénateurs, je n’ai
pas cesséde penser àcette affirmation de la ministre. Oui, ce sont les
avocats qui ont rédigéle projet de loi, mais c’est le personnel
médical d’un bout àl’autre du pays qui va l’interpréter.
J’ai demandéàDouglas Grant, président de la Fédération des
ordres des médecins du Canada, comment son organisme allait
interpréter la «prévisibilitéraisonnable ». Il a étéassez clair : il m’a
dit qu’il ne le savait pas. Il a ajoutéqu’il craignait que, si cette
notion demeurait dans le projet de loi C-14, son interprétation varie
selon les provinces, les autorités sanitaires et les médecins.
Honorables sénateurs, voilàce que de nombreuses personnes qui
œuvrent dans le domaine des soins de santépensent du projet de
loi C-14. L’expression «raisonnablement prévisible »n’existe pas
dans le lexique médical. Les professionnels de la santévoulaient
quelque chose de clair. Ils voulaient des lignes directrices pour la
suite des choses. Ils ont plutôt eu de l’incohérence et de la confusion.
Honorables sénateurs, notre plus grande responsabilitédans ce
dossier est de nous assurer que le projet de loi C-14 est celui qu’il
faut aux Canadiens. Nous devons nous assurer qu’il protège les
droits et les libertés de tout le monde. Les parlementaires doivent
absolument y accorder le temps, l’effort et l’étude qu’il mérite.
Si le projet de loi C-14 n’est pas adoptéle 6 juin, il n’y aura pas de
loi fédérale régissant l’aide médicale àmourir. Cela ne veut pas dire
qu’il y aura un immense vide au chapitre des mesures de sauvegarde,
contrairement àce que le gouvernement a laisséentendre. Les
collèges des médecins et chirurgiens de toutes les provinces de même
que le gouvernement du Yukon ont établi d’importants règlements
qui définissent les critères d’admissibilitéet les mesures de
sauvegarde procédurales. Le Nunavut et les Territoires du Nord-
Ouest travaillent actuellement àdes règlements, qui seront en place
d’ici le 16 juin.
Honorables sénateurs, je vous ai tous fourni une carte du Canada
qui indique quels sont les régimes en place dans chacune des
provinces. Il est vrai que l’application d’une loi fédérale serait
l’idéal, mais nous devons rester fidèles ànotre rôle. Nous devons
accorder au projet de loi C-14 le second examen objectif qu’il
mérite. L’empressement ne doit absolument pas l’emporter sur la
rigueur.
Si le projet de loi C-14 est inadéquat, des gens comme la
Québécoise Louise Laplante n’auront pas accèsàl’aide médicale à
mourir. Louise est décédée le 13 mars. L’un des moments les plus
émouvants de notre étude préalable a étéle témoignage de sa fille,
Léa Simard, qui a fait preuve d’un courage extraordinaire en nous
racontant ce que sa mère a vécu. Dans son témoignage émouvant et
captivant, Léa nous a expliquéque sa mère, Louise, était
inadmissible àl’aide médicale àmourir àcause de la nature
restrictive du projet de loi du Québec, qui exige que le patient soit
atteint d’une maladie en phase terminale. On a refuséàLouise la
possibilitéde mourir dans la dignité. Elle a étéforcée de se laisser
mourir de faim dans des souffrances cruelles et intolérables. Avec le
projet de loi C-14, les gens comme Louise ne seraient pas traités
différemment. Ils ne seraient pas en mesure de trouver la paix et la
sérénité, car ils ne seraient pas admissibles àl’aide médicale à
mourir.
Honorables sénateurs, nous ne devrions pas laisser
l’empressement nous détourner de nos obligations. Pour conclure,
je vous invite àvous projeter dans l’avenir.
Honorables sénateurs, vous savez tous que je suis une musulmane
pratiquante. Dès mon jeune âge, on m’a appris que notre mort
arrive quand le temps que nous avons àpasser dans ce monde est
écoulé, et qu’il ne faut pas la précipiter en se suicidant ou en avalant
des pilules. Le Créateur vous accueillera quand Il aura déterminé
824 DÉBATS DU SÉNAT 2 juin 2016