Département de médecine communautaire de premier recours et des urgenceService de médecine de premier recours DOULEUR AIGUE SOMMAIRE 1. INTRODUCTION 2. MECANISMES 3. DIMMENSION BIO-PSYCHO-SOCIALE 4. EVALUATION 5. PRISE EN CHARGE 6. TRAITEMENT ET INDICATIONS 7. MEDICAMENTS ANTALGIQUES 8. TRAITEMENT DE LA DOULEUR CHEZ LES PATIENTS DEPENDANTS DES OPIACES 9. LES POINTS IMPORTANTS A RETENIR 10. REFERENCES DOULEUR AIGUË 1 INTRODUCTION Selon l’association internationale pour l’étude de la douleur (IASP), la douleur est définie comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite en des termes évoquant une telle lésion »1. Une enquête menée au centre d’accueil et des urgences des HUG a montré que 80% des patients consultant en urgence présentent une symptomatologie douloureuse et que la prise en charge de la douleur aiguë est souvent lente et inadéquate. Des études internationales montrent également que la douleur est encore insuffisamment identifiée et prise en charge dans les centres d’urgences hospitaliers ou ambulatoires. Les soignants considèrent souvent la douleur aiguë comme un signal d’alarme d’une atteinte organique ou physiopathologique sous-jacente et ont tendance à privilégier la recherche d’une cause physique identifiable. Il est en effet souvent postulé que si une cause physique à l’origine de la douleur est identifiée et traitée, sa suppression aura un effet antalgique. Dans l’intervalle, le patient continue d’avoir mal. De plus beaucoup de professionnels de santé pensent qu’une antalgie administrée avant qu’un diagnostic précis ne soit posé peut masquer les symptômes et nuire au processus diagnostique et thérapeutique.2-5 Or, afin d’optimaliser et accélérer la prise en charge, les experts recommandent de considérer la douleur comme une entité co-existante à toute maladie ou traumatisme nécessitant une évaluation et une prise en charge parallèle. 2 MECANISMES La douleur résulte d'une combinaison de facteurs physiologiques, pathologiques, émotionnels, psychologiques, cognitifs, environnementaux et sociaux et couvre plusieurs champs distincts tels que5.6: 1. la douleur nociceptive: un processus pathologique active au niveau périphérique le système physiologique de transmission des messages nociceptifs. Cet excès de stimulations nociceptives correspond au mécanisme le plus usuel de la douleur aiguë. Exemples cliniques : traumatisme, inflammation, infection. Exemples sémiologiques : douleur pulsatile, en coup de couteau, etc… 2. la douleur neurogène: douleur générée par des lésions dans le SNC ou SNP en l'absence de stimulation de nocicepteurs périphériques. Exemples cliniques : zona, polyneuropathie, névralgie, douleur post-AVC. Exemples sémiologiques : brûlures, décharges électriques, fourmillements; hypoesthésie/anesthésie, allodynie/hyperalgie à l’examen clinique 3. La souffrance: expérience multidimensionnelle (interne, morale, sociale ou corporelle) qui entrave ou interrompt les possibilités de réalisation du sujet, limitant ainsi son horizon d’existence, son « monde ». Dans notre société médicalisée, la souffrance est souvent décrite en termes de douleur. Le comportement douloureux constitue l’ensemble des manifestations verbales et non verbales observables chez la personne qui souffre ; il s’agit de mots ou vocalisations, des expressions faciales, des postures ou autres attitudes, donnant un aperçu de l’expérience personnelle de la douleur. Les patients souffrant de douleurs aiguës présentent souvent des attitudes antalgiques réactionnelles. Les patients souffrant de douleurs chroniques médicalement inexpliquées peuvent fréquemment adopter des comportement antalgiques HUG – DMCPRU – Service de médecine de premier recours Page | 2 que l’on peut considérer comme inadaptés tels que des boiteries persistantes ou une inactivité marquée. 3 DIMENSION BIO-PSYCHO-SOCIALE Le seuil de tolérance de la douleur est très variable d’un individu à l’autre et dépend en grande partie de la perception par le patient de l’effet que la maladie ou le traumatisme aura sur sa vie ainsi que de facteurs environnementaux et psychosociaux1,5-7. Les soignants ont tendance à sous-estimer la gravité de la composante subjective de la douleur ou du traumatisme et la détresse induite par la douleur. Or, les patients qui consultent portent avec eux un cadre explicatif, un système de référence concernant l’organe douloureux, le fonctionnement du corps et la thérapeutique. Ce que savent les patients de leurs symptômes et le sens qu'ils leur attribuent est un élément important dans l'expression de la douleur, la prise en charge de la douleur et la réponse au traitement. Notamment, toute douleur liée à un événement accidentel, aussi minime soitil, doit faire l’objet d’une exploration soigneuse des circonstances de l’accident, du vécu subjectif et du contexte socioprofessionnel. En effet, la menace sur l’intégrité corporelle, l’impression de perte de contrôle sur son corps, la présence d’affects négatifs ainsi que la précarité de certains emplois sont autant de facteurs de vulnérabilité qui peuvent favoriser une évolution vers une douleur chronique si ceux-ci ne sont pas détectés et légitimés dès le début de la prise en charge. Outre les interventions pharmacologiques, les facteurs sociaux et relationnels sont également fondamentaux dans la réponse du patient au traitement de la douleur. A cet égard, le médecin lui-même doit être considéré comme un agent thérapeutique (effet placebo). La nature, le caractère, la personnalité, le comportement et le style des soignants influencent grandement la réponse des patients à l’administration de médicaments inertes ou actifs. De même, on sait que la qualité de la communication médecin-patient joue un rôle déterminant dans la gestion des problèmes de santé et le contrôle de la douleur. La satisfaction du patient à l'égard de la prise en charge de la douleur dépend également de l'importance accordée à la prise en charge de la douleur et de la réponse donnée à ses attentes. 4 EVALUATION Comme il n’existe pas de mesure objective de la douleur, l’évaluation de la douleur passe par le questionnement du patient sur son expérience de la douleur. L'échelle visuelle analogique (réglette EVA) est un instrument de mesure répandu et simple d’utilisation. Bien que cette échelle ait été conçue pour évaluer l’intensité de la dimension sensorielle de la douleur, on doit la considérer comme une intégration complexe de facteurs variés, sensoriels mais également affectifs et cognitifs. Une évaluation plus complète de la douleur peut se faire par l’administration du McGill Pain Questionnaire (MPQ).6,8 5 PRISE EN CHARGE 5.1 Evaluation1,5,6 • Evaluer la douleur comme le 5ème signe vital : mesurer et documenter la douleur de manière visible dans le dossier médical et infirmier en utilisant l’échelle visuelle analogique (EVA). • Considérer le soulagement de la douleur aiguë comme une priorité. • Eviter d’attendre la fin de la consultation et/ou d’éventuelles investigations qui se prolongent avant de prescrire un antalgique HUG – DMCPRU – Service de médecine de premier recours Page | 3 • Explorer les circonstances de survenue de la douleur, les représentations, attentes et émotions du patient à l’égard de la douleur ainsi que les répercussions de cette dernière sur le fonctionnement quotidien et les affects du patient. 5.2 Prescription1,5,6 • Informer le patient sur l’origine de la douleur, la nature de l’antalgie et les effets escomptés. • Dans le choix thérapeutique, s’inspirer des traitements qui se sont révélés efficaces antérieurement chez le patient. • Privilégier les formes orales, mais selon les attentes et les représentations du patient, d’autres modes d’administration (im) peuvent se justifier. Eviter les suppositoires en raison de l’absorption erratique par voie rectale. • Rechercher les allergies et les contre-indications (relatives) aux (groupes de) médicaments avant leur administration. • Tenir compte d’éventuelles interactions médicamenteuses (p.ex. AINS et anticoagulants ou glucocorticoïdes), en particulier pour les traitements prescrits pour plusieurs jours. 5.3 Suivi1,5,6 • • 6 Réévaluer la douleur à intervalles réguliers et selon les interventions à but antalgique. A la fin de la consultation, donner un plan d’action pour la poursuite de la prise en charge antalgique à domicile (posologies et horaires des médicaments, réserves, contact médical). En fin de journée et durant les jours fériés, remettre au patient de main à main plusieurs doses d’antalgie pour couvrir les premières 12 heures. TRAITEMENT ET INDICATIONS 6.1 Lombalgies communes9-11 Prescrire la prise d’analgésiques à intervalles réguliers. On peut utiliser le paracétamol, les AINS ou des opiacés faibles (comme le tramadol) (cf. stratégie « lombalgie aiguë »). Les myorelaxants sont également efficaces pour soulager les douleurs lombaires aiguës. Dans la majorité des cas, une combinaison de médicaments (avec des mécanismes différents) sera privilégiée, une monothérapie devant plutôt être l’exception. La supériorité de l’administration parentérale d’AINS sur la prise orale n’a pas été démontrée. Une injection intramusculaire ou intraveineuse d’un AINS peut toutefois se justifier en fonction des attentes et des convictions du patient. Les opiacés puissants et les infiltrations lombaires n’ont normalement pas leur place dans le traitement des lombalgies aiguës. Le repos au lit strict n’est pas recommandé ; il faut encourager le patient à se mobiliser selon ses douleurs. Il est utile de donner quelques conseils d’ergométrie (en particulier pour se lever du lit ou ramasser un objet). La physiothérapie active et les manipulations (dans des mains entraînées) ne sont pas indiquées la première semaine mais peuvent être utiles si les plaintes se prolongent. Il est important : • de rassurer le malade sur le fait que s’il est bloqué ce n’est pas grave (il ne finira pas en chaise roulante….) et de vérifier s’il n’y a pas d’autres croyances (par exemple : c’est une hernie discale, je suis fichu, mon voisin a la même chose et ne travaille plus depuis 3 ans…) HUG – DMCPRU – Service de médecine de premier recours Page | 4 • de lui expliquer pourquoi on ne fait pas de radiographie (l’absence de radiographie est source d’angoisse). • d’expliquer que les médicaments ne feront pas forcément disparaître les symptômes en quelques heures et qu’il faut persévérer 2 à 3 jours avant de consulter à nouveau, sauf si des signes d’alerte apparaissent (fièvre, troubles sensitifs et/ou moteurs…). 6.2 Céphalées Lors d’une crise aiguë de migraine, le traitement de premier choix est un antiinflammatoire associé à un gastrocinétique ou anti-émétique pris 15 minutes avant (cf. stratégie ambulatoires « céphalées ». Les antagonistes des récepteurs 5-HT1 (suffixe : triptans) sont un traitement alternatif lors de crises réfractaires. Les antagonistes des récepteurs 5-HT1 sont des vasoconstricteurs et sont à administrer prudemment chez des patients coronariens et hypertendus. Dans le cadre de céphalées de tension, l’administration d’un antalgique simple ou d’un AINS peut s’avérer efficace. Lors de céphalées en grappe, une oxygénothérapie 100% pendant 15 minutes (10L/min au masque) ou l’administration d’un antagoniste des récepteurs 5-HT1 (-triptan) sont indiquées. Pour toutes les céphalées primaires, il convient de donner des conseils d’hygiène de vie : (régularité dans les repas et le sommeil, exercice physique régulier, évitement des stress et tensions, éviter le surdosage médicamenteux) rechercher et éviter les facteurs déclenchants, favoriser l’approche comportementale. Pour toute céphalée secondaire, l’administration d’antalgiques simples (paracétamol 1g) est indiquée avant de procéder rapidement, si nécessaire, aux examens complémentaires. En cas de suspicion d’hémorragie, les AINS sont à éviter en raison de leur activité anti-aggrégante. 6.3 Douleurs abdominales Lors d’une symptomatologie de reflux gastro-oesophagien (dont une manifestation est le pyrosis qui peut être très douloureux), l’administration d’un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) constitue le traitement initial le plus efficace sur quelques jours (cf. stratégies ambulatoires de la Policlinique de Médecine « dyspepsie »). Lors de douleurs épigastriques sans signes de gravité (perforation, hémorragie active…), il convient de proposer un traitement par un anti-H2 (moins puissant que les IPP mais avec un effet plus rapide sur les brûlures d’estomac), à relayer éventuellement par un IPP si la douleur persiste. On peut dans l’immédiat également ajouter du paracétamol (cf. stratégie « dyspepsie »). Dans le cas de douleurs abdominales crampiformes aspécifiques (par ex. dues à une gastroentérite), l’association de paracétamol à un spasmolytique (comme la butylscopolamine (Buscopan®) qui est très peu absorbé mais agit directement dans le tube gastro-intestinal) est souvent efficace. Les AINS sont le traitement de choix pour les coliques néphrétiques ; une restriction hydrique est recommandée durant la crise (cf. stratégie « colique néphrétique »). En cas de douleurs sus-pubiennes secondaires à une cystite aiguë, penser à ajouter des AINS ou du paracétamol au début du traitement par antibiotiques. Chez un patient difficilement examinable en raison de douleurs abdominales intenses, il est tout à fait approprié de le soulager avec de la morphine par voie orale ou souscutanée pendant la démarche diagnostique. HUG – DMCPRU – Service de médecine de premier recours Page | 5 En revanche, si on laisse rentrer le patient à domicile sans diagnostic dans l’idée de suivre l’évolution, il importe de ne pas traiter la douleur avec des antalgiques majeurs. 6.4 Douleurs chroniques exacerbées Dans les situations d’exacerbation de douleurs chroniques (inexpliquées par un substrat organique), l’aspect relationnel de la prise en charge prend une dimension particulièrement importante. Cette prise en charge comprend : • L’écoute de la plainte • La recherche de facteurs de déstabilisation psycho-sociaux • L’examen physique • La légitimation de la souffrance • Une dédramatisation et une rassurance • La vérification de la concordance des objectifs du patient et du soignant • Le rappel qu’il n’y a pas de médicament « miracle » ; éventuellement apporter une modification mineure au traitement pré-existant (p.ex. modifier un dosage) mais se garder de changements importants • Le contact avec le médecin traitant et la référence du patient à son réseau habituel HUG – DMCPRU – Service de médecine de premier recours Page | 6 7 MEDICAMENTS ANTALGIQUES 7.1 ANTI-INFLAMMATOIRES PARACETAMOL (tableau 1) DCI Spécialité NON STEROIDIENS (AINS) Voie Pic action Demi- Posologie Prix min. administration après vie équipotente pour 30 cp prise p.o (générique) Aspirine® p.o. / i.v. 25 min 2-10 h 1000-3000mg 5.75.- Diclofénac Voltarène® p.o. / i.m. 30 min 1.5 h 50-150 mg 7.05.- Ibuprofène Brufen® p.o. / supp. 90 min 2h 1200-1800 5.10.- Ac. ET acétylsalic. mg Ponstan® Ac. p.o. / supp. 120 min 1000-1500 2h méfénamique Célécoxibe 9.00.- mg Celebrex® p.o. 160 min 11 h 100-400 mg 38.05 (aliment!) Kétorolac Tora-Dol® p.o. / i.m. / i.v. 35 min 5.5 h 10–40 mg 75.- Paracétamol Dafalgan® p.o. / i.v. 50 min 2h 2-4 g mg 5.10 Tableau 1 : Anti-inflammatoires non stéroïdiens et paracétamol Le pharmacien est tenu de donner un générique lorsque vous inscrivez sur l’ordonnance la dénomination commune internationale (DCI) (p. ex. ac. Acétylsalicylique) Le célécoxibe et le kétorolac ne possèdent pas de générique. 7.1.1 Cinétique Le temps nécessaire jusqu’à l’obtention du stade d’équilibre entre l’absorption et l’élimination du médicament est atteint après 4 demi-vies : un AINS de courte demi-vie (p. ex. diclofenac) nécessitera peu de temps pour atteindre les concentrations thérapeutiques souhaitées, mais les administrations journalières devront être répétées plus souvent. Une fois la durée des 4 demi-vies atteinte, la forme galénique conventionnelle pourra être remplacée par une forme retard (slow release) 12-14. 7.1.2 Sélectivité et effets indésirables L’usage d’AINS COX-2 sélectifs diminue le risque d’une lésion iatrogène de la muqueuse gastro-intestinale, mais ne l’exclut en aucun cas, car il s’agit d’un effet indésirable dépendant de la dose et de l’âge. Les inhibiteurs COX-2 sélectifs (célécoxibe,) pourraient perdre leur sélectivité à hautes doses ou lors d’interactions médicamenteuses. En raison de leur long délai d'action, les inhibiteurs COX- sélectifs ne sont pas un premier choix pour le traitement des douleurs aiguës. Tous les AINS, y compris les inhibiteurs COX-2 sélectifs, favorisent l’apparition d’une insuffisance rénale chez les sujets à risque: l’âge > 65-70 ans, l’association à un IEC ou un diurétique, la déshydratation et une néphropathie ou une insuffisance cardiaque constituent des facteurs de risque majeurs fréquemment rencontrés. HUG – DMCPRU – Service de médecine de premier recours Page | 7 L’emploi du Metamizole (Novalgine®), qui présente une action inhibitrice sur les COX1 et COX2 est susceptible de provoquer des chocs anaphylactiques et des troubles hématologiques, ainsi son emploi n’est pas recommandé12-14. 7.1.3 Interaction cinétique : Les AINS, à l’exception du rofécoxibe, empruntent comme voie métabolique majeure les cytochromes P450 (CYP), en particulier le CYP2C9 : des interactions sont susceptibles de se produire entre autre lors d’administration simultanée d’antidiabétiques, les antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine II (suffixe :-sartans) et anticoagulants oraux (voir carte interactions médicamenteuses et cytochromes P450, 14 www.pharmacoclin.ch) La plupart des AINS sont fortement liés aux protéines plasmatiques et peuvent déplacer les médicaments présentant également une forte liaison en augmentant la fraction libre active, ce qui renforce l’effet des sulfonylurées, des anticoagulants oraux et de certains antiépileptiques. 7.1.4 Interaction dynamique : L’administration d’AINS diminue le pouvoir antiagrégant de l’acide acétylsalicylique (Aspirine cardio®) en prévention secondaire, augmente le risque d’insuffisance rénale associée aux IEC ou aux antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (-sartan) et peut déclencher une hypertension lors d’administration concomitante de vasoconstricteurs (p. ex. spray nasal). 7.1.5 Paracétamol (Acétaminophène) Le mécanisme du paracétamol n’est pas clairement identifié mais pourrait inhiber au niveau du SNC les COX et activer les systèmes sérotoninergique et cannabinoïde, ce qui explique un effet analgésique et antipyrétique d’action centrale dépourvu d’effet antiinflammatoire, contrairement aux AINS. Dans les modèles de douleurs aiguës postopératoires, 1000 mg de paracétamol se sont montrés plus efficaces que le placebo, mais environ deux fois moins efficaces que 400 mg d’ibuprofène ou que 50 mg de diclofénac. CAVE: Le métabolisme du paracétamol dépend en partie des CYP1A2 et CYP2E1: l’induction du CYP2E1 par l’alcool ou l’isoniazide potentialise la formation de métabolites intermédiaires hépatotoxiques. De plus, le patient alcoolique présente une diminution des réserves de glutathion nécessaire à la détoxification des métabolites du paracétamol. En cas d’abus d’alcool, l’administration de paracétamol ne doit pas dépasser 2 g par jour! 7.2 OPIOIDES 7.2.1 Choix d’un opioïde (tableau 2) Il repose sur l’intensité de la douleur : Douleur modérée : opioïde faible (codéine, tramadol, buprénorphine) Douleur forte : opioïde fort (morphine, fentanyl, oxycodone) HUG – DMCPRU – Service de médecine de premier recours Page | 8 DCI Spécialité Posologie initiale Coût du plus Coût journalière Codéine- petit journalier emballage le plus bas Co-Dafalgan® 3x 30 mg-500mg 16 cp 7.45 1.30.- Zaldiar® 3x 37.5mg-325 mg 10 cp 9.00 2.70.- Tramal® 3x 50 mg 10 cp 6.60 2.00.- Tramal retard® 2x 100 mg 10 cp 8.35 1.70.- 10 ml 8.35 1.25.- 2x 100 mg 10 suppo 8.90 1.80.- 3x 0,2 mg 10 cp 15.60 4.70.- Transtec® 35 microg/h 4 patch 74.30 6.20,- Sevredol® 6x 10 mg 20 cp 27.80 8.34.- Sevre-Long® 2x 30 mg 30 cp 58.45 3.90.- MST® 3x 2cp 10 mg 60 cp 38.20 3.85.- 30 sachets 6.10.- paracétamol Tramadolparacetamol Tramadol* gouttes 3x 50 mg Tramal® (1ml=100mg=40gt) Tramal® suppositoires 100mg Buprénorphine* Temgesic® Morphine* MST® suspension 3x 20 mg 60.50 retard Oxycodone Oxycontin® 2x 10 mg 30 cp 52.05 3.50.- Fentanyl* Durogesic® 25 microg/h 5 patch 58.40 3.60.- Tableau 2 : Opioïdes *générique N.B. La morphine en sirop peut être prescrite en préparation magistrale (1ml = environ 20 gouttes) : sirop 0,1% (=1mg/ml), 1% (=10mg/ml) ou en gouttes 2% (=20mg/ml) HUG – DMCPRU – Service de médecine de premier recours Page | 9 7.2.2 Mécanisme d’action (tableau 3) Les opioïdes faibles et forts agissent au niveau des différents récepteurs opioïdergiques : Type Opioïde μ δ Agonistes (+) Morphine +++ ++ Antagonistes (-) Fentanyl ++++ + Péthidine ++ ++ Méthadone +++ ++ Oxycodone +++ ? Tramadol ++ +? Codéine +++ + Antagonistes partiels Buprénorphine ++ Agoniste-antagonistes Pentazocine - Nalbuphine - κ + ? +? ? +++ +++ Tableau 3 : Mécanisme d’action des opioïdes L’action antalgique est principalement médiée par les récepteurs μ alors que les effets psychotomimétiques (hallucinations, euphorie) le sont par les récépteurs κ. Pour ces raisons, il convient donc d’éviter la prescription des agonistes purs κ et antagonistes μ tels que pentazocine (Fortalgésic®) ou nalbuphine (Nubaïne®). Le tramadol a par ailleurs un effet monoaminergique (sérotonine et noradrénaline). Il faut donc éviter de prescrire de manière concomitante une molécule agissant également au niveau de la sérotonine (SSRI, triptans, anorexigènes, etc…). La buprénorphine est un agoniste partiel des récépteurs μ, mais se lie de façon plus puissante que la morphine (affinité pour les récepteurs μ 20 à 30x supérieure) et pouvant ainsi la déplacer du récepteur. Il n’est pas recommandé d’associer la buprénorphine à d’autres opioïdes. 7.2.3 Métabolisme La morphine est glucurono-conjuguée en deux métabolites principaux dont un seul (M-6G) est actif. La plupart des autres opioïdes sont métabolisés au niveau du foie par les cytochromes P450 : Il convient d’être attentif aux interactions médicamenteuses lors de prescription simultanée d’un inhibiteur ou d’un inducteur (voir carte interactions médicamenteuses et cytochromes P450, www.pharmacoclin.ch). 7.2.4 Effets indésirables Tous les opioïdes, en raison de leurs actions sur les récepteurs opioïdergiques, provoquent des effets indésirables que l’on peut anticiper et prévenir dans la mesure du possible : constipation (par des laxatifs de contact, par ex. bisacodyl (Prontolax®)), nausées-vomissements (par des antiémétiques). On peut également adapter les doses ou pratiquer une rotation d’opioïdes en cas de somnolence marquée, prurit, rétention urinaire, myoclonies ou hallucinations (cf table de conversion). HUG – DMCPRU – Service de médecine de premier recours 10 Page | En cas de dépression respiratoire, l’administration d’un antagoniste, la naloxone (Narcan®), s’avère efficace. 7.2.5 Formes galéniques Il est recommandé de favoriser la forme orale par comprimés rapide ou retard ou sirop. Le délai d’analgésie pour la morphine varie selon le mode d’administration : • • • • 5-10 min par voie iv 15-30 min par voie sc 30 min par voie orale rapide 90 min par voie orale retard Pour une dose de morphine orale de 30 mg la dose équivalente iv ou sc est de 10 mg. La forme en patch doit être privilégiée lorsque la forme orale est impossible. Cependant, il faut être attentif au délai de l’action après l’introduction du patch (environ 12h) et de la persistance de l’action à l’arrêt du patch (environ 24h). La buprénorphine est disponible sous forme sublinguale (Temgésic®). Elle peut être relayée par la forme transdermique par un patch assurant une libération constante durant 3 jours (Transtec® TTS). La forme en suppositoire n’est pas recommandée en raison d’une résorption aléatoire. 7.2.6 Table de conversion des opioïdes par voie orale: • • • • Mo:codéine, dihydrocodéine:1:10 Mo:tramadol: 1:10 Mo:buprénorphine: 60-75:1 (10 mo po : 0.15mg) Mo:oxycodone: 1-2: 1 Les tables de conversion ne tiennent pas compte des variations interindividuelles et de la tolérance croisée incomplète. Lorsqu’on change d’opioïdes, il est fortement recommandé de diminuer de 30% à 50% la dose calculée à partir de la table et d’adapter la posologie selon la réponse antalgique et la tolérance du patient concerné (toutes les quatre ½ vies). 7.2.7 Modalités pratiques lors de l’introduction de morphine : • Sirop par ex 6x10mg/24h ou MST 3x20mg/24h. • Pour des patients âgés ou avec une insuffisance cardiaque ou hépatique marquée, débuter le traitement avec 6x5 mg/j de morphine sirop ou 3x10 mg de MST. • Donner des réserves (10% de la dose de 24h) • Augmentation par paliers de 30% de la dose de 24h toutes les 4 demie-vie (8h) • Lors du passage po à sc ou iv: diviser par 3 la dose orale de 24h Voir également les documents suivants : • Réseau douleur : http://reseaudouleur.huge.ch/library/pdf/Recpratmoivjuin09.pdf • CAPP-Info : http://pharmacoclin.hug-ge.ch/_library/pdf/cappinfo52.pdf 8 TRAITEMENT DE LA DOULEUR CHEZ LES PATIENTS DEPENDANTS DES OPIACES La prise en charge de la douleur chez les patients toxicomanes est un sujet difficile. Les obstacles à un traitement de qualité sont nombreux tant du côté des soignants (peur de la manipulation, banalisation de la douleur, mauvaises connaissance des opiacés et des HUG – DMCPRU – Service de médecine de premier recours 11 Page | traitements de substitution, attitude critique,…) que du côté des patients (crainte d’être jugé, non signalement de la toxicomanie,…) La douleur est cependant fréquente chez les patients usagers de drogues ; si l’exposition aux opiacés peut parfois faire renaître une appétence pour les opiacés, la non reconnaissance et la mauvaise prise en charge de la douleur peut également précipiter l’augmentation de la consommation ou les rechutes.15-17 9 LES POINTS IMPORTANTS A RETENIR • Les patients sous traitement de substitution sont déjà dépendants, il n’y a donc pas de risque de créer une dépendance en administrant un traitant opiacé en vue d’une antalgie • Une bonne compréhension entre patient et soignant conduit à un meilleur succès de l’antalgie ; écouter les demandes et les craintes et expliquer les stratégies choisies Erreurs à éviter chez les patients sous traitement de méthadone : • penser que la dose de maintenance de méthadone suffit à l’antalgie • doser de manière inadéquate les opiacés • arrêter ou diminuer le traitement de méthadone pour introduire une antalgie Traiter la douleur chez un patient sous méthadone : • Comme chez tout patient, démarrer par des antalgiques non opiacés en cas de douleurs modérées, utiliser les moyens non médicamenteux à disposition (glace, physio, ..) • Évaluer la dépendance du patient • Ne pas changer la dose de méthadone • Ne pas prescrire d’antagonistes partiels qui vont précipiter des symptômes de sevrage (buprénorphine, pentazocine, nalbuphine) • Si indiqué par la clinique, choisir un opiacé par voie orale si possible, qui sera dédié au traitement de la douleur, la méthadone restant dédiée à la dépendance. Se souvenir que les patients dépendants ont un seuil à la douleur moins grand et une tolérance induite et que les doses nécessaires risquent d’être plus élevées. • Pour les douleurs chroniques privilégier les opiacés à longue durée d’action • Discuter cette différenciation des traitements au patient (sont souvent soulagés que l’on n’augmente pas la méthadone) • Mettre le médecin prescripteur de la cure de méthadone au courant de l’introduction d’un traitement de la douleur. • En cas d’hospitalisation, parler avec le patient de ses éventuelles envies de consommation d’opiacés (héroïne). Cela le soulagera de ne pas se sentir jugé. si ses consommations sont dues aux douleurs, le traitement antalgique devrait être réévalué. Rappelez-lui qu’en cas de consommation IV, il peut demander du matériel d’injection propre aux infirmières du service. HUG – DMCPRU – Service de médecine de premier recours 12 Page | 10 REFERENCES 1. American pain society quality of care committee. 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