ET PASCALE SERPOL** grès FF n o 2006 T EP JÉRÔME MARAN* 1 e rC Note sur la maintenance en captivité de Kinixys homeana Bell, 1827 (Reptilia, Chelonii, Testudinidae) Résumé Kinixys homeana est inféodée aux forêts primaires et secondaires de l’Afrique sub-saharienne. Elle n’est pas très commune en captivité où sa reproduction est occasionnelle. Cette note tient compte de l’expérience de l’un des deux auteurs (P.S) qui maintient la Cinixys de Home en captivité depuis dix ans. Page de gauche : Biotope. Piste forestière en forêt secondaire (Divo, Côte d’Ivoire). Mots-clés Kinixys homeana, Afrique, forêts primaires et secondaires, comportement, maintenance, captivité. 1. Introduction Kinixys homeana est une tortue terrestre que l’on rencontre dans presque tous les pays qui bordent le Golfe de Guinée : Sierra Léone, Libéria, Guinée, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Nigeria et Cameroun. On la retrouve également en Centrafrique (Chirio, L. & Ineich, I. 2006) et à l’est du Congo Kinshasa (Broadley, 1989 ; Farkas & Sátorhelyi, 2006 ; Iverson, 1992 ; Luiselli & al., 2000 ; Maran, 2004 ; Vetter, 2002 ; Villier, 1958). Sa présence reste à confirmer au Congo Brazzaville. Elle vit uniquement dans deux zones géobotaniques : la forêt dense humide sempervirente et la forêt dense humide semi-décidue (Perez-Vera, 2003). La première est caractérisée par l’omniprésence des légumineuses. Le degré d’hygrométrie est constamment élevé et les pluies annuelles sont abondantes (supérieures à 1600 mm). La saison sèche ne dure que 1,5 à 2 mois et est peu marquée. La seconde est dominée par les malvales et les ulmacées, arbres de grande taille qui perdent partiellement leurs feuilles en saison sèche. La pluviosité est élevée, avec au minimum 1400 mm dans l’année. La saison sèche ne dure que 2 à 3 mois. Même si cette espèce est inféodée à la grande 30 • Chéloniens 3 • septembre 2006 forêt humide, elle s’adapte à la forêt secondaire sans trop de difficulté. En Côte d’Ivoire, il n’est pas rare de l’observer dans les plantations de café et de cacao (Maran, 2004). La Cinixys de Home passe le plus clair de son temps parmi les végétaux en putréfaction, dans des terriers inoccupés ou dans le creux des arbres morts. Son régime alimentaire se compose principalement d’invertébrés (vers de terre, insectes, araignées, escargots) et de diverses espèces de champignons qu’elle consomme surtout pendant les saisons des pluies. S’il existe peu de témoignages écrits concernant son élevage en captivité (Blackwell, 1968 ; Brown, 1991 ; Brown & Georges, 1994 ; Farkas & Sátorhelyi, 2006 ; Petrucci, 1994 ; Zessin, 2004), en revanche, elle fait l’objet d’un regain d’intérêt de la part des scientifiques et des naturalistes dont les travaux nous éclairent de plus en plus sur sa vie, ses mœurs et sa répartition (Akani & al., 2003 ; Akani & al., 2004 ; Lawson, 2000, 2001 ; Luiselli & al., 2000 ; Luiselli, 2003a, 2003b, 2003c ; Luiselli & al., 2003 ; Luiselli, 2004 ; Luiselli, 2005 ; Maran, 2004). Kinixys homeana est menacée par un ensemble de facteurs anthropiques lié à la des- Ci-contre : Variations chromatiques entre trois mâles Kinixys homeana. Dossières et plastrons (Divo, Côte d’Ivoire). Ci- dessous : Kinixys homeana mâle adulte (Divo, Côte d’Ivoire). Photos Jérôme Maran. Chéloniens 3 • septembre 2006 • 31 truction de son habitat (déforestation) et à son ramassage (consommation, médecine traditionnelle et commerce animalier). Son statut est préoccupant au Ghana, Togo et Bénin où elle ne vit plus que dans les dernières poches forestières existantes (aires protégées, forêts galeries). Elle est placée en Annexe II de la Convention de Washington et en annexe B du règlement communautaire. La nouvelle législation française (arrêtés 10 août 2004) impose l’obtention d’un certificat de capacité pour sa détention. 2. Méthode 2.1 Spécimens étudiés Le groupe d’élevage comprend six tortues adultes (quatre femelles et deux mâles). Les mesures des animaux sont précisées dans le tableau 1. La femelle est plus grande que le mâle. Elle est plus large, plus haute et son plastron est plat alors qu’il est légèrement concave chez le mâle. Ce dernier possède une queue plus longue et nettement plus élargie à sa base. 2.2 Conditions d’élevage Les tortues sont élevées individuellement dans des terrariums (cuve en verre type aquarium) dont les dimensions varient en fonction de la taille des tortues. Le plus grand mesure 1 m de longueur pour une largeur de 0,40 m et une hauteur de 0,30 m alors que le plus petit mesure 0,80 m de long pour une largeur de 0,34 m et une hauteur de 0,25 m. La partie supérieure est partiellement fermée par des plaques de plexiglas ce qui permet un renouvellement d’air. Tous les terrariums possèdent de nombreuses cachettes (tuiles, plantes en tissu, pots renversés) qui permettent aux tortues de se cacher en toute sécurité. La température ambiante est maintenue entre 28 °C et 30 °C le jour et la nuit. Les animaux ont la possibilité de se réfugier dans un coin plus frais (entre 24 °C et 25 °C). Deux pulvérisations quotidiennes sont nécessaires pour conserver une hygrométrie qui ne doit jamais être inférieure à 80%. Les terrariums sont placés dans une pièce qui bénéficie de la lumière naturelle grâce à la présence d’une grande baie vitrée. En revanche, ils sont protégés des rayons solaires directs. Cette espèce ombrophile craint une lumière trop vive. Elle recherche systématiquement une faible luminosité, ce qui n’est pas sans lui rappeler la pénombre de sa forêt natale. Pendant la période hivernale, des spots sont allumés deux à trois heures par jour. Les tortues éprouvent de temps en temps le besoin de s’exposer quelques minutes durant sous une source de chaleur. Ce comportement se vérifie systématiquement chez les animaux dont le terrarium est pendant la période estivale temporairement exposé au soleil. Les tortues prennent rapidement l’habitude de profiter des rayons solaires pendant dix à quinze minutes avant de regagner leur cachette. Un bac d’eau, sous lequel est disposé un cordon chauffant, maintient un taux d’hygrométrie adapté et offre la possibilité aux tortues de s’y baigner aussi souvent qu’elles le souhaitent. Le bac d’eau est suffisamment large pour qu’elles puissent y entrer complètement et assez profond pour qu’elles s’immergent aux trois quarts. Il est changé deux fois par jour au minimum car les tortues ont l’habitude d’y Tableau 1 : Mesures et poids des tortues. Sexe 32 Longueur dossière Longueur plastron Largeur dossière Hauteur dossière Poids femelle 191 mm 166 mm 106 mm 76 mm 1055 gr femelle 143 mm 136 mm 97 mm 67 mm 690 gr femelle 143 mm 137 mm 92 mm 76 mm 650 gr femelle 146 mm 136 mm 87 mm 63 mm 490 gr mâle 129 mm 120 mm 84 mm 62 mm 375 gr mâle 111 mm 109 mm 73 mm 53 mm 255 gr • Chéloniens 3 • septembre 2006 Kinixys homeana en captivité. Bain et prise de nourriture. Photos Arnaud Roccon. déféquer. Comme elles s’abreuvent régulièrement, l’eau doit être maintenue la plus propre possible. Le substrat est composé d’une couche de terreau toujours légèrement humidifiée. 2.3 Alimentation Dans la nature, Kinixys homeana possède un régime alimentaire de type omnivore. En captivité, les tortues sont nourries deux à trois fois par semaine de végétaux de toutes sortes (pissenlit, endive, chicorée, mâche…), de fruits divers (orange, banane, kiwi, figue, figue de barbarie, mangue, papaye, framboise, fraise, abricot, pêche…) et de proies vivantes (souriceaux, vers de terre, escargots et limaces). Elles raffolent des pleurotes et des champignons de Paris qu’elles dévorent avec une très grande avidité. Les tortues refusent souvent de s’alimenter pendant la période de quarantaine. Dans ce cas là, il est indispensable de leur proposer quotidiennement des aliments variés et appétissants. Elles finissent toujours par se nourrir, même si elles le font timidement au début. Les fruits sont toujours recherchés en premier : papaye, mangue ou banane. Il est important de les habituer à une alimentation variée. Une tortue peut raffoler d’un aliment bien particulier et en manger tous les jours pendant des semaines, et le refuser du jour au lendemain. Une des tortues élevées refuse systématiquement les proies vivantes. Néanmoins, elle accepte des morceaux de blanc de poulet, de dinde et de canard. La qualité et la quantité de nourriture distribuée sont deux facteurs prépondérants dans la réussite de la maintenance de cette espèce en captivité. 3. Résultats 3.1 Comportement Kinixys homeana fait preuve d’une discrétion à toute épreuve. Elle est principalement active en début de soirée. Pendant la journée, elle demeure cachée. En revanche, les vaporisations d’eau tiède déclenchent une activité temporaire soutenue. Cette espèce ne supporte pas les perturbations répétées (manipulations, changement incessant de terrarium). La période d’adaptation à la captivité et à son nouvel environnement est particulièrement longue. Les tortues se terrent dans un coin du terrarium ou sous un abri artificiel pendant plusieurs jours tout en refusant de s’alimenter. Il faut les habituer à la présence humaine mais éviter au maximum de les manipuler. Chéloniens 3 • septembre 2006 • 33 3.2 Reproduction Jusqu’à présent, les tortues ont toujours été élevées individuellement. La bonne santé des animaux nous encourage à envisager pour l’année 2006 la constitution de groupes reproducteurs. En dépit de son isolement, la femelle numéro 1 pond régulièrement des œufs non fécondés depuis son acquisition en 2004. Si l’on tient compte des données bibliographiques disponibles (Blackwell, 1968 ; Brown, 1991 ; Brown & Georges, 1994 ; Farkas & Sátorhelyi, 2006 ; Petrucci, 1994 ; Zessin, 2004), Cette espèce effectue jusqu’à deux pontes par an, généralement entre les mois de décembre et janvier. Dans la nature, cette période correspond à la saison sèche. La femelle dépose le plus souvent ses œufs sur le substrat et plus rarement dans un trou qu’elle creuse à l’aide de ses pattes arrières (Blackwell, 1968). Chaque ponte comprend entre deux et quatre œufs. Ces derniers, dont les dimensions et la forme sont extrêmement variables, mesurent en moyenne 46 mm de long pour une largeur de 35 mm. La durée d’incubation oscille entre 89 et 102 jours à une température de 28 °C à 30 °C et se prolonge jusqu’à 121 jours à une température de 27 °C. A l’éclosion, la jeune tortue mesure entre 42 et 51 mm de long pour une largeur de 38 à 44,5 mm et un poids de 13,3 à 18 grammes (Blackwell, 1968). Les éclosions se déroulent pendant la saison des pluies, période caractérisée par l’abondance de petites proies (insectes, araignées, vers de terre, escargots etc.…) qui constituent l’essentiel du régime alimentaire des nouveau-nés. 3.3 Pathologie Kinixys homeana est naturellement porteuse de nombreux vers intestinaux. Il est donc indispensable de vermifuger tous les animaux nouvellement acquis en appliquant un traitement anti-parasitaire efficace (Schilliger, 2004). Elle peut également souffrir d’ophtalmie si l’atmosphère du terrarium est trop sèche ou s’il est trop éclairé (lumière solaire directe, spot trop puissant). La Cinixys de Home souffre aussi de déshydratation. Dans ce dernier cas, il est conseillé de baigner la tortue à plusieurs reprises dans des bains d’eau tiède sucrée (trois cuillères à café de sucre dans un litre d’eau) pendant une dizaine de minutes. Il ne faut pas oublier de rincer la tortue à l’eau vive après chaque traitement. 4. Conclusion Dans la mesure où les paramètres de maintenance se rapprochent étroitement de ses exigences écologiques, la Cinixys de Home s’adapte bien à la captivité. Néanmoins, son caractère craintif et ses exigences particulières de maintenance en font une espèce délicate dont l’élevage devrait être réservé à des éleveurs confirmés. ◗◗ Remerciements Les auteurs tiennent à remercier les personnes suivantes (par ordre alphabétique) : Marc Asensio, Jean-Jacques Delaruelle, David Manceau, Claude Nottebaert, Arnaud Rocco, Loïc Rumelard et Aline Turbin. Auteurs *[email protected] ; **[email protected] Liste de discussion sur les Kinixys : www.group.yahoo/group/kinixys. Site internet du groupe d’élevage de la FFEPT : www.ffept.org/GEK 34 • Chéloniens 3 • septembre 2006