Mise en place de l`information épigénétique dans le gamète mâle

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Revue
Mise en place de
l’information épigénétique
dans le gamète mâle
Valérie Grandjean1, Sophie Rousseaux2
1
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017.
Université de Nice, Unité 636 de l’Inserm, 06100 Nice Cedex
<[email protected]>
2
Unité Inserm-UJF U309, 38706 La Tronche Cedex
<[email protected]>
Les gamètes contiennent toute l’information génétique indispensable au développement d’un
organisme. De plus en plus de données convergent vers l’idée relativement nouvelle que le
génome des gamètes, et celui des spermatozoïdes en particulier, porte des marques épigénétiques héréditaires indispensables au développement normal de l’embryon. Ces marques
comprennent un profil spécifique de méthylation de l’ADN ainsi que des modifications
précises et spécifiques de la structure d’empaquetage du génome spermatique. La mise en
place de cette information épigénétique paternelle est un processus complexe impliquant une
réorganisation globale majeure des profils de méthylation, ainsi que des changements globaux
et localisés de la structure nucléaire au cours de la différenciation de la cellule germinale mâle.
La manière dont ces changements interagissent, dont ils affectent l’information épigénétique
paternelle, et l’importance de la contribution épigénétique paternelle au développement du
futur individu, sont des questions majeures à explorer.
Mots clés : structure de la chromatine, méthylation de l’ADN, spermatozoïde, marque
héréditaire
D
Tirés à part : S. Rousseaux
epuis les années quatre-vingtdix, les techniques d’assistance
médicale à la procréation (AMP), et
notamment la technique de fécondation in vitro (FIV) avec micro-injection
d’un spermatozoïde dans le cytoplasme ovocytaire (ICSI), ont révolutionné la prise en charge de l’infertilité
masculine. Il est maintenant possible
pour des hommes porteurs d’un déficit
sévère de la spermatogenèse de procréer. La question se pose donc du
risque de la transmission d’une anomalie à leur descendance, du fait de
l’injection d’un spermatozoïde porteur d’une information erronée. Deux
types d’information sont à considérer.
Premièrement, le spermatozoïde
contribue pour moitié au patrimoine
génétique du zygote. Or, la constitution génétique/chromosomique du
spermatozoïde est le résultat direct
des événements méiotiques. Ceci est
discuté dans la revue de N. Rives dans
ce numéro. Deuxièmement, le spermatozoïde, en plus de l’information
génétique paternelle, véhicule une information de nature différente, dite
« épigénétique », transmissible au
cours des divisions mitotiques et
méiotiques.
L’information épigénétique régule
l’expression des gènes, ainsi que de
nombreux processus cellulaires, notamment la différenciation et la prolifération. Sa dérégulation peut être à
l’origine d’anomalies congénitales ou
de pathologies acquises diverses, incluant notamment les cancers.
Contrairement à l’information génétique, elle n’implique pas de modification de la séquence nucléotidique des
gènes. Pendant longtemps, le seul
support connu et décrit de l’information épigénétique était la méthylation
de l’ADN. On sait maintenant que la
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structure d’empaquetage du génome, la chromatine, participe aussi au « code » épigénétique [1]. L’importance de
l’information épigénétique transmise par le gamète mâle a
été montrée pour la première fois par des expériences de
transferts de pronoyaux dans des zygotes. En effet, des
zygotes présentant deux génomes haploïdes ovocytaires
ou deux génomes haploïdes spermatiques ne pouvaient
pas se développer [2]. Cela démontre que, bien que la
contribution génétique de deux génomes parentaux soit
équivalente, leur contribution épigénétique ne l’est pas.
Cette revue a pour objectif de faire le point des
connaissances sur les événements jouant un rôle dans la
mise en place des marques épigénétiques spécifiques du
gamète mâle au cours de la spermatogenèse. Ces événements incluent d’une part la reprogrammation des profils
de méthylation du génome et d’autre part la restructuration globale de la chromatine.
Cytosine
NH2
4
3
5
2
6
O
1
SAM-CH3
DNMT
SAM
Reprogrammation
des profils de méthylation
du génome des cellules
de la lignée germinale mâle
La méthylation de l’ADN est une modification chimique covalente, ayant pour résultat l’addition d’un groupement méthyl (CH3) sur le cinquième carbone de l’anneau
de pyrimidine d’un résidu cytosine (figure 1). La méthylation de l’ADN se produit essentiellement sur les cytosines
associées aux dinucléotides CpG. Dans le génome de
mammifères, environ 80 % des cytosines associées aux
dinucléotides CpG sont méthylées. Cette méthylation est
principalement localisée au niveau des régions génomiques répétées comme l’ADN satellite et les éléments parasites comme les séquences LINES (long interspersed transposable elements) ou encore les séquences virales et
rétrovirales. Un groupe de séquences échappe, cependant, à cette modification. Ce sont les régions de 1kb
riches en CpG ou îlots CpG, souvent localisées en amont
de gènes à expression ubiquitaire. Chez les mammifères,
la méthylation de l’ADN réprime la transcription en inhibant directement la liaison de certains facteurs transcriptionnels ou indirectement via le recrutement de protéines
qui se lient aux dinucléotides CpG méthylés (methyl binding protein ou MBD) [3]. C’est pourquoi, chez les mammifères, la méthylation est essentielle à la régulation de
nombreux processus cellulaires tels que le développement embryonnaire, la transcription, la structure de la
chromatine, l’inactivation du chromosome X, l’empreinte
génomique et la stabilité des chromosomes. Le nombre
croissant de désordres humains associés à des altérations
dans l’établissement et/ou le maintien de la méthylation
de l’ADN souligne l’importance de cette information épigénétique dans le fonctionnement normal d’un individu
adulte [4].
H
NH2
4
O
CH3
3
5
2
6
1
5-méthylcytosine
Figure 1. La méthylation de l’ADN chez les mammifères. En
présence du cofacteur S-adénosyl-méthionine, les méthyltransférases de l’ADN méthylent les résidus cytosines.
Dynamique de la méthylation de l’ADN
chez les mammifères
Si l’on considère l’ensemble du génome, les profils de
méthylation de l’ADN sont, en majorité, stables au cours
du développement comme dans les tissus somatiques de
l’adulte. Ceci est lié à la symétrie des sites CpG qui
fournissent une base moléculaire pour la transmission
semi-conservative de la méthylation de l’ADN après réplication. Deux périodes, cependant, voient un remaniement draconien de ces structures : la période la plus
précoce du développement embryonnaire (blastocyste
avant implantation) et la gamétogenèse. Ainsi, au cours de
ces périodes, les profils globaux de méthylation des dinucléotides CpG sont complètement remaniés. Cela débute
par une vague de déméthylation massive suivie par une
vague de re-méthylation (méthylation de novo) tout aussi
massive. Ces périodes permettent une reprogrammation
du génome des cellules germinales primordiales leur assu-
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rant leur caractère totipotent, lequel est indispensable au
développement d’un nouvel individu [5] (figure 2).
Trois activités enzymatiques sont exigées pour effacer,
établir et perpétuer les profils de méthylation dans le
génome : la déméthylation, la méthylation « de novo » et
la méthylation de « maintien ». La déméthylation peut être
active ou passive. Bien qu’elle soit primordiale pour la
reprogrammation du génome, les enzymes et mécanismes
moléculaires impliqués dans ce processus sont encore très
mal connus [3]. En revanche, les enzymes impliqués dans
la méthylation de novo et la méthylation de maintien sont
maintenant bien définis chez les mammifères. Ce sont les
méthyltransférases de l’ADN ou DNMT. Ces enzymes
catalysent la réaction de transfert du groupement méthyl
(CH3), provenant du cofacteur S-adénosyl-méthionine
(SAM), sur le cinquième carbone de l’anneau de pyrimidine d’un résidu cytosine (figure 1). Chez les mammifères,
on compte 4 DNMTs principales, appelés Dnmt1,
Dnmt3a, Dnmt3b et Dnmt3L. Les protéines de la famille
des Dnmt3 sont essentielles pour établir de nouveaux
profils de méthylation. Cette famille comprend 3 membres, deux à activité enzymatique, Dnmt3a et Dnmt3b, et
une autre protéine, Dnmt3L, sans activité méthyltransférase connue. Tout comme les protéines Dnmt3a et
Dynamique de la méthylation
dans le génome des cellules germinales mâles
Les gamètes dérivent des cellules germinales primordiales (PGC). Les précurseurs de ces cellules apparaissent
très tôt au cours du développement embryonnaire. Les
précurseurs de PGC dérivent de l’épiblaste (formé de
Déméthylation
passive
Génome maternel
ADN méthylé
Fécondation
Dnmt3b, cette protéine serait impliquée dans la mise en
place des nouveaux profils de méthylation en activant les
activités de Dnmt 3a et Dnmt3b. Les profils de méthylation sont conservés tout au long de la vie de l’organisme
par la méthyltransférase 1, appelés Dnmt1. Cette protéine
est essentielle pour perpétuer les profils de méthylation de
l’ADN dans des cellules en prolifération. Les analyses
génétiques réalisées chez la souris démontrent sans ambiguïté le rôle primordial de la méthylation dans le développement embryonnaire et la survie de l’espèce (figure 3). En
effet, des souris homozygotes pour la mutation nulle des
gènes codant soit pour la méthyltransérase de l’ADN 1
(Dnmt1) soit pour la methyltransférase de l’ADN 3b
(Dnmt3b) meurent très tôt au cours du développement
embryonnaire, et celles dépourvues de la protéine
Dnmt3a sont viables mais meurent quelques semaines
après leur naissance [6].
Déméthylation active
de l'ADN du génome
paternel. Maintien de la
méthylation des gènes à
empreinte via Dnmt1o
Méthylation de novo
· Séquences uniques via
Dnmt3a
· Séquences satellites des
centromères Dnmt3b
· Autres séquences
· Dnmt3a, Dnmt3b Dnmt3L?
10,5 J
Embryon 13,5 J
Déméthylation globale
du génome des PGC
Spermatogenèse
Méthylation globale des
gènes soumis à empreinte
paternel et de séquences
uniques
Naissance
12,5 J
18,5 J
Méthylation de novo
· des séquences répétées
via Dnmt3L
· Des gènes à empreinte
paternel via Dnmt3a
et Dnmt3L
· Dnmt3b
°°°°°°°°°
Cellules germinales
primordiales (PGC)
Figure 2. Cycle de reprogrammation de la méthylation chez la souris. Au cours de la vie d’un organisme, les génomes voient leurs profils
de méthylation complètement remaniés au cours de deux périodes : celle de la gamétogenèse et lors de la période la plus précoce du
développement embryonnaire. Les gamètes dérivent des cellules germinales primordiales (PGC). Leur génome subit une vague de
déméthylation entre les jours 10,5 et 12,5 du développement. Après cette déméthylation globale, les génomes des gamètes subissent une
méthylation de novo par les méthyltransférases Dnmt3a et Dnmt3L. Le rôle de la Dnmt3b dans ce processus n’a pas encore connu. Ce
processus se produit principalement jusqu’au jour 18,5 de développement. La deuxième vague de reprogrammation se produit après
fécondation. Le gamète mâle est déméthylé activement alors que celui du gamète femelle est déméthylé passivement. Contrairement à
la phase de déméthylation qui a lieu lors de la gamétogenèse, certaines séquences échappent à cette reprogrammation. C’est le cas
notamment des gènes soumis à empreinte. Le principe de ce mécanisme est peu clair mais un variant de la protéine Dnmt1, appelé
Dnmt1o, semble jouer y jouer un rôle.
mt médecine de la reproduction, vol. 8, n° 3, mai-juin 2006
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Revue
ATCAACGTCTTCGAT
TAGTTGCAGAAGCTA
Dnmt3a
Dnmt3b
Dnmt3L
Établissement de nouveaux profils
de méthylation : méthylation de novo
me
ATCAACGTCTTCGAT
TAGTTGCAGAAGCTA
me
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Réplication
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me
ATCAACGTCTTCGAT
TAGTTGCAGAAGCTA
DNMT1
me
ATCAACGTCTTCGAT
TAGTTGCAGAAGCTA
me
ATCAACGTCTTCGAT
TAGTTGCAGAAGCTA
me
DNMT1
Maintien de la méthylation
me
ATCAACGTCTTCGAT
TAGTTGCAGAAGCTA
me
Figure 3. Établissement et maintien de la méthylation de l’ADN et enzymes impliqués. À des périodes données dans la vie d’un organisme
et suite à des signaux cellulaires, les méthyltransférases de l’ADN, Dnmt3a, Dnmt3b et Dnmt3L établissent de nouveaux profils de
méthylation. Ces profils de méthylation sont ensuite maintenus, au cours des divisions cellulaires par la méthyltransférase de l’ADN,
Dnmt1. Après réplication de l’ADN, cette enzyme reconnaît les dinucléotides CpG hémiméthylés puis les méthyles.
cellules pluripotentes) adjacent à l’ectoderme extraembryonnaire. Dans l’embryon de souris, les premières
PGCs apparaissent à environ 7,5 jours de gestation. Dès
leur arrivée dans le mésoderme extra-embryonnaire entre
les jours 8,5 et 10,5 de gestation, les PGCs prolifèrent, puis
migrent dans les crêtes génitales entre les jours 10,5 et
11,5 de gestation. C’est au cours de cette période qu’une
déméthylation globale du génome des cellules germinales
mâles primordiales se produit. Ensuite, entre les jours 13,5
et 16,5 de gestation, la méthylation globale du génome
des cellules germinales augmente [5].
Effacement et mise en place de l’empreinte paternelle
L’empreinte parentale est un mécanisme de régulation
génique qui se manifeste par une expression monoallélique de certains gènes dits « gènes soumis à empreinte
génomique». Chez les mammifères, plus de 70 gènes
soumis à empreinte ont été identifiés. L’expression monoallélique de ces gènes est indispensable au développement normal de l’embryon. Plusieurs maladies humaines
comme le syndrome de Beckwith-Wiedeman, de PraderWilli et de Angelman, pour ne citer que les plus connus,
sont le résultat d’une perte de l’expression monoallélique
d’un ou plusieurs gènes soumis à empreinte. Cette perte
d’expression est la conséquence d’une altération dans
l’établissement et/ou le maintien de la marque épigénétique qui permet à la machinerie transcriptionnelle de
reconnaître l’origine parentale de l’allèle [7]. En effet, afin
que deux allèles d’un même gène soient reconnus différemment selon leurs origines parentales, il est indispensa-
ble que ces allèles soient marqués différemment. Plusieurs
éléments indiquent que la méthylation de l’ADN est l’une
de ces marques. Tout d’abord, les gènes soumis à empreinte possèdent pour la plupart des régions riches en
CpG différentiellement méthylées en fonction de l’origine
parentale de l’allèle. Un autre élément fort qui montre que
la méthylation joue un rôle critique dans le contrôle de
l’expression des gènes soumis à empreinte fut apporté par
l’analyse des mutants invalidés pour le gène Dnmt1. En
effet, chez les embryons invalidés pour le gène Dnmt1, les
gènes Igf2 et Igf2r, normalement exprimés par les allèles
paternel et maternel, sont silencieux, tandis que le gène
H19, normalement exprimé par l’allèle maternel, est
transcrit de façon biallélique [8].
Or, afin que deux allèles d’un même gène soient
marqués différemment, il est nécessaire que cette marque
soit mise en place lorsque les deux allèles sont séparés à
savoir lors de la gamétogenèse. Des analyses réalisées sur
l’ADN de cellules germinales primordiales murines à différents âges du développement embryonnaire montrent
clairement que les régions différentiellement méthylées
des gènes Rasgrf1, H19 et Gtl2 sont totalement déméthylées au jour 12,5 de développement. Dans les cellules
germinales mâles, la reméthylation se fait progressivement
entre les jours 12,5 et 17,5 du développement embryonnaire pour n’être totale que dans le génome des spermatozoïdes. Chez l’homme, la reprogrammation de la méthylation des gènes soumis à empreinte est beaucoup
moins bien documentée que chez la souris. Cependant,
mt médecine de la reproduction, vol. 8, n° 3, mai-juin 2006
une étude montre que la dynamique de reprogrammation
de ces séquences pourrait être similaire entre les deux
espèces [9].
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Effacement et mise en place
de la méthylation des séquences répétées
La déméthylation globale du génome mâle indique
que la majorité des séquences hautement répétées du
génome sont vraisemblablement déméthylées dans les
cellules germinales primordiales. Plus spécifiquement, il a
été montré qu’entre les jours 10,5 et 13,5 les séquences
répétées, comme les séquences LINE-1 (long interspersed
nucleotide element 1), les séquences satellites et également - mais plus modérément - les séquences IAPs (intracisternal A particle), sont déméthylées [9, 10]. La reméthylation de ces séquences répétées se produit dans les PGCs
au jour 16,5 de développement et semble être totale à la
naissance. Cette dynamique de reméthylation est donc
différente de celle des séquences différentiellement méthylées des gènes soumis à empreinte, indiquant que le
mécanisme de reméthylation de ces séquences est différent.
Effacement et mise en place
de la méthylation de séquences uniques
Quant aux gènes non soumis à l’empreinte, les modifications consistent aussi bien en une méthylation qu’une
déméthylation, même pour les gènes qui s’expriment au
cours de la spermatogenèse [11]. Parfois, le statut de
méthylation n’est modifié qu’une seule fois durant la
spermatogenèse, et persiste jusque dans les gamètes mâles
mâtures. La transition entre des statuts de méthylation
différents se produit le plus souvent entre les spermatogonies et les spermatocytes primaires. La dynamique de
méthylation de certaines séquences uniques est probablement importante pour le bon fonctionnement de la spermatogenèse mais cela reste à démontrer.
La méthylation de l’ADN
est indispensable à la différenciation normale
des cellules germinales mâles
Bien que l’on ait depuis longtemps démontré le rôle
important de la méthylation dans le développement embryonnaire ainsi que dans divers processus de différenciation, le rôle exact de la méthylation dans la différenciation
des cellules germinales mâles était jusqu’à ces dernières
années très hypothétique. Les seules données indiquant
que la méthylation pouvait jouer un tel rôle reposaient sur
l’utilisation d’inhibiteurs de méthylation comme la
5-azacytidine [12]. En effet, après traitement de souris
adultes par cet inhibiteur, des altérations de la spermatogenèse étaient observées. Par ailleurs, une relation directe
existait entre l’expression spécifique de certains gènes lors
de la méiose et leur état de méthylation. Ce sont les
analyses des souris portant à l’état homozygote une mutation nulle sur les gènes Dnmt3a et Dnmt3L, qui ont montré
le rôle indispensable que jouait la méthylation dans la
différenciation des cellules germinales mâles [13, 14]. En
effet, en l’absence de ces protéines, toutes deux exprimées
dans les cellules germinales primordiales au moment où la
re-méthylation globale se produit [15], la différenciation
des cellules germinales est très altérée. À la naissance, les
testicules de ces deux mutants paraissent normaux avec
un nombre de spermatogonies et de cellules de Sertoli
similaire à celui observé dans un testicule normal. Cependant à l’âge de quatre semaines, très peu de spermatocytes
différenciés sont détectés aussi bien dans les testicules des
souris Dnmt3L-/- que dans ceux des souris Dnmt3a-/- [16].
Nos analyses récentes montrent que les défauts observés
au cours de la spermatogenèse, bien que très similaires,
diffèrent entre les deux mutants Dnmt3a-/- et Dnmt3L-/[17], suggérant que les cibles génomiques de ces protéines
sont très semblables mais néanmoins quelque peu différentes. L’hypothèse proposée est que la protéine Dnmt3L
augmenterait l’activité enzymatique de Dnmt3a. Pour
cette raison, ces deux protéines pourraient avoir des cibles
en commun mais aussi des cibles différentes. Les cibles
communes pourraient être les gènes soumis à empreinte,
puisque dans les contextes Dnmt3a-/- et Dnmt3L-/-, les
empreintes paternelles des gènes soumis à empreinte
comme le gène H19 sont altérées. Les cibles différentes
pourraient être les séquences répétées comme les séquences IAP ou LINE-1 puisque la protéine Dnmt3L, contrairement à la protéine Dnmt3a, est indispensable à leur reméthylation. Afin de mieux définir les rôles respectifs de ces
deux protéines dans l’établissement des profils de méthylation du génome des cellules germinales mâles, la comparaison des profils de méthylation dans ces deux contextes génétiques est indispensable. Quoi qu’il en soit, et
quelles que soient les séquences cibles de ces deux DNA
méthyltransférases, ces analyses génétiques indiquent
d’une part que les DNA méthyltransférases 3a et 3L sont
responsables, au moins en partie, de la re-méthylation
globale du génome paternel, et d’autre part que l’établissement correct de la méthylation est indispensable à la
maturation des cellules germinales mâles.
Bien qu’actuellement la méthylation de l’ADN soit
encore la seule marque épigénétique clairement identifiée
dans les cellules germinales, il est hautement probable,
qu’à l’instar de ce qui est observé dans les cellules somatiques, la structure spécifique d’empaquetage du génome
spermatique joue un rôle important comme support moléculaire d’une information qui sera épigénétiquement
transmise à l’embryon.
La composition de l’épigénome dans le spermatozoïde
est le résultat d’une restructuration majeure qui a lieu au
cours de la spermatogenèse, et notamment au cours de la
maturation post-méiotique des spermatides. Les acteurs
moléculaires de cette réorganisation de l’épigénome commencent seulement à être élucidés [18, 19].
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Restructuration globale du génome
au cours de la spermatogenèse
Au cours de la spermatogenèse, la chromatine subit
des transitions structurales majeures, notamment dans les
cellules post-méiotiques, les spermatides, où le génome
haploïde est globalement réorganisé. Lors de la condensation du noyau des spermatides, notamment, la plupart
des histones sont enlevées et remplacées par les protéines
dites « de transition » ou TPs, elles-mêmes remplacées par
les protamines (figure 4). Bien que ces événements aient
été décrits depuis longtemps, les mécanismes moléculaires dirigeant cette réorganisation du génome mâle et la
mise en place de l’épigénome associé sont encore très mal
connus. Nous savons cependant qu’elle implique l’incorporation de variants d’histones [20], ainsi qu’une hyperacétylation des histones [21, 22] avant leur remplacement
par les TPs et les protamines.
Incorporation de variants d’histones
au cours de la spermatogenèse
Dans la cellule somatique, la chromatine est organisée
en une structure nucléosomale, dont l’unité de base est le
Méiose
Spermatocytes
nucléosome au sein duquel l’ADN est enroulé autour d’un
octamère formé des protéines histones, H2A, H2B, H3 et
H4 [1]. Au cours de la spermatogenèse, plusieurs variants
d’histone remplacent les histones somatiques conventionnelles au cours de la spermatogenèse, et nombres d’entre
eux sont incorporés au cours de la méiose et ont probablement un rôle au cours de cette phase de la spermatogenèse (pour revue voir [19, 20]). En revanche, les fonctions de certains variants d’histones spécifiques de
testicule, tels que TH2A, TH2B, TH3 (chez le rat) ou H3t
(chez l’homme) n’ont pas encore été précisément définies.
Nous avons récemment identifié d’autres variants des
histones H2A et H2B spécifiques du testicule chez la
souris. Ces variants sont présents très tardivement au cours
de la spermiogenèse dans les spermatides en condensation (Govin, et al. données non publiées). Nos données
suggèrent qu’ils pourraient participer à la définition de
sous-régions génomiques dans ces cellules, lesquelles
pourraient être impliquées dans le bon déroulement du
développement précoce de l’embryon.
Parmi les variants de l’histone de liaison [23], le variant prédominant incorporé au cours de la spermatogenèse est le variant spécifique de testicule H1t, qui apparaît
Spermiogènese
Spermatides
Spermatozoïde
Nucléosomes
Nucléoprotamines
protamines
5. Compaction de la
chromatine
Ac Ac Ac
4. Dégradation
et remplacement
des histones
Ac
1. Incorporation de
variants d'histones
2. Acétylation
d'histones
3. Recrutement de BRDT
et d'autres protéines à
bromodomaines
Figure 4. Facteurs et événements moléculaires impliqués lors de la restructuration post-méiotique de l’épigénome mâle dans le modèle
murin.
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tard au cours de la méiose et par conséquent a probablement une fonction post-méiotique. De manière surprenante, les souris H1t -/- sont fertiles et se reproduisent
comme les souris sauvages, suggérant que d’autres soustypes d’H1, notamment les histones H1.1, H1.2, H1.4
compensent le déficit en H1t [24, 25]. Un autre variant
d’H1, spécifique des spermatides, HILS1 (H1-like protein
in spermatids 1) a été identifié dans le testicule murin et
humain [26, 27]. Ce dernier variant a un profil d’expression qui suggère fortement qu’il pourrait remplacer H1t
dans les spermatides en élongation/condensation et intervenir dans la réorganisation chromatinienne dans ces
cellules. Un autre variant d’histone de liaison nouvellement identifié, H1t2, est exprimé tardivement au cours de
la spermatogenèse. Sa localisation au pôle apical des
spermatides en cours d’élongation et de condensation,
ainsi que le phénotype des souris chez lesquelles ce gène
est inactivé, suggèrent un rôle majeur de ce variant au
cours de l’élongation et la condensation post-méiotique
[28, 29].
Profil d’acétylation des histones
au cours de la spermatogenèse
Des modifications post-traductionnelles des histones
de cœur, en particulier leur acétylation, pourraient aussi
être des éléments très importants pour leur enlèvement et
leur remplacement.
Ainsi, une acétylation globale de la chromatine survient dans les spermatides en élongation de nombreuses
espèces animales dont la majorité des histones est remplacée [21, 22, 30] (figure 4). Bien que cet événement ait été
décrit depuis de nombreuses années, ce n’est que très
récemment que l’on a pu le relier à l’enlèvement et à la
dégradation des histones. Une hypothèse est que l’hyperacétylation observée au cours de la spermiogenèse servirait de signal pour le recrutement de facteurs et/ou de
complexes permettant la condensation et la réorganisation chromatinienne, l’enlèvement des histones et leur
remplacement. De bons candidats sont les facteurs contenant des motifs appelés les bromodomaines. En effet, les
bromodomaines étant des motifs protéiques spécifiques
reconnaissant les lysines acétylées des histones [31], les
protéines contenant des bromodomaines sont par conséquent de bonnes candidates pour contrôler les événements qui suivent l’acétylation des histones au cours de la
spermiogenèse. L’étude fonctionnelle de BRDT (bromodomain testis-specific), une protéine à doubles bromodomaines à haut niveau d’expression testiculaire, a montré
que cette protéine présente en effet la capacité de remodeler et condenser spécifiquement la chromatine hyperacétylée [32]. La protéine BRDT est présente dans les
spermatides en élongation où elle colocalise avec les
histones acétylées [33] (figure 4). Au cours de la spermiogenèse, BRDT lui-même, et/ou d’autres facteurs à bromodomaines, pourraient faire partie de complexes agissant
sur la chromatine hyperacétylée pour enlever les histones,
et les remplacer, mais ceci reste à démontrer. Nos données
non publiées suggèrent que d’autres facteurs à bromodomaine pourraient activement participer à la dégradation
des histones (Lestrat, et al., données non publiées).
Incorporation
et rôle des protéines de transition
Au cours de la différenciation des spermatides, entre
l’étape d’enlèvement des histones et celle d’incorporation
des protamines, les protéines de transition (TPs) représentent 90 % des protéines basiques de la chromatine, (pour
revue voir [34]).
Chez l’homme, TP1 apparaît dans le noyau des spermatides des stades 3 et 4, alors que TP2 est présente dans
le noyau des spermatides depuis le stade 1 jusqu’au stade
5 [35]. Les fonctions potentielles des protéines de transition et leur capacité à remodeler la chromatine ont été
étudiées in vitro, conduisant à des conclusions différentes
parfois même contradictoires concernant leur capacité à
condenser/relaxer la molécule d’ADN ou le nucléosome.
Des souris TP1 nulles produisent des spermatozoïdes
subnormaux, mais leur fertilité est réduite (60 % des souris
TP1-/- sont infertiles), malgré l’expression augmentée de
TP2 [36]. Des souris TP2 nulles ont une spermatogenèse
pratiquement normale, avec des testicules de taille normale et des numérations de spermatozoïdes épididymaires normales, mais sont subfertiles (fertiles mais à portées
réduites) [37, 38]. D’après une étude plus détaillée de la
structure des noyaux de spermatozoïdes provenant de ces
souris, TP2 ne serait pas un facteur déterminant pour la
formation du noyau spermatique, l’enlèvement des histones, l’initiation de la condensation chromatinienne, la
fixation de l’ADN aux protamines ou même la fertilité,
mais il serait important pour la maturation de la protamine
2, et donc pour la finalisation de la condensation chromatinienne [37]. De plus, l’augmentation des transcrits TP1
dans les testicules des souris déficientes en TP2 suggère
qu’une partie des défauts créés par la mutation du gène
TP2 est compensée par le recrutement de TP1.
La manière dont les protéines de transition sont incorporées puis elles-mêmes remplacées est encore inconnue.
Nos données (Govin, et al., données non publiées) suggèrent que des protéines chaperonnes pourraient participer à
ce processus.
Enfin, lors des étapes finales de la condensation des
spermatides, les protéines nucléaires majoritaires deviennent les protamines.
Les protamines
et le complexe nucléoprotamine
Les protamines sont des protéines très basiques, de bas
poids moléculaire et, dans de nombreuses espèces, sont
les protéines majoritaires associées à l’ADN nucléaire
dans le spermatozoïde [39, 40].
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Revue
186
La structure du nucléoprotamine est très différente de
celle des nucléosomes. Une neutralisation pratiquement
complète des charges négatives de l’ADN par les acides
aminés basiques des protamines résulte en un empaquetage très condensé de l’ADN [41, 42].
Chez la souris, Cho et al. [43], ont montré que les deux
protamines sont essentielles pour une fonction spermatique normale. Utilisant l’électrophorèse de l’ADN de cellules uniques (essai comet), et une analyse ultrastructurale, les auteurs montrent de plus une corrélation directe
entre l’haploinsuffisance de la protamine 2 et un ADN
spermatique endommagé ayant une compaction moindre
de la chromatine. Utilisant la microinjection (ICSI) avec
des spermatozoïdes déficients en protamine 2, les auteurs
ont observé que, bien que la plupart des œufs soient
réactivés, seulement quelques-uns sont capables de se
développer jusqu’au stade blastocyste.
Noyau spermatique :
quelles marques épigénétiques
pour quelle information ?
Si, comme nous venons de le voir, la composition
globale du noyau spermatique est relativement bien décrite [41, 44], les données récentes suggèrent que ce
noyau comporte en réalité une structure plus hétérogène
et complexe que celle décrite initialement. Cela suggère
que, en plus des profils de méthylation, cette spécificité
pourrait définir un « code épigénétique » spécifique.
Hétérogénéité du noyau spermatique
Plusieurs espèces de mammifères retiennent une organisation double nucléohistone/nucléoprotamine dans leur
noyau spermatique, en particulier l’homme [45] et la
souris [46]. En effet, le noyau spermatique humain retient
environ 15 % d’histones et contient aussi un mélange
hétérogène de protamines. La microscopie électronique
d’étalements de chromatine de spermatozoïdes humains a
montré des structures globulaires qui pourraient correspondre en taille aux nucléosomes [47]. Gatewood et al.
[45] ont démontré que les portions nucléohistones et
nucléoprotamines de la chromatine du spermatozoïde
humain forment des structures discontinues, qui sont – au
moins partiellement – spécifiques de séquences. Utilisant
une chromatographie liquide haute performance, d’autres
auteurs [48] ont purifié les quatre histones de cœur du
noyau spermatique humain, c’est-à-dire H2A (H2AX et
des traces de H2AZ), H4 (les quatre formes acétylées de
H4, ainsi que la forme non acétylée), H3.1 et H3.3 (avec
des bandes multiples, suggérant une acétylation), H2B
(une bande majeure et trois bandes mineures). Récemment, une histone H2B spécifique du testicule humain et
retrouvée dans le sperme a été identifiée [49]. Le gène
correspondant est transcrit exclusivement dans le testi-
cule, et la protéine a été retrouvée dans une souspopulation (20 %) de spermatozoïdes matures, où elle est
localisée dans une région basale du noyau. Ce variant
d’histone ayant la capacité de se lier aux télomères, pourrait avoir un rôle lors de la décondensation du noyau
spermatique immédiatement après fécondation.
Une hypothèse est que la structure spécifique
nucléoprotamine/nucléohistone du noyau spermatique
pourrait transmettre une information épigénétique et
contrôler les étapes précoces du développement.
Importance des marques
épigénétiques du gamète mâle
pour la fécondation
et le développement précoce
(modèle murin)
La structure chromatinienne du génome mâle
Gardiner-Garden et al. [50] ont les premiers examiné
la structure de la chromatine du spermatozoïde humain
dans la région des gènes codant pour plusieurs membres
de la famille de la bêta-globine, qui sont exprimés à
différents moments du développement. De manière très
intéressante, ils ont observé que les gènes codant pour les
protéines de la globine epsilon et gamma, qui sont actifs
dans le sac embryonnaire, sont contenus dans des régions
qui sont associées aux histones dans le spermatozoïde,
alors que les régions étudiées au sein des gènes codant
pour la bêta et la delta-globine, non exprimés dans le sac
embryonnaire, sont dépourvues d’histones.
Utilisant une technique PCR similaire, Wykes et al.
[51] ont plus récemment montré que la région de chromatine contenant les deux protamines humaines et la protéine de transition TP2, P1-P2-TP2, qui présente une
conformation sensible à la DNAseI dans les spermatocytes
au stade pachytène ainsi que dans le spermatozoïde mature, est enrichie en histones. Ils ont aussi observé que le
gène soumis à empreinte IGF2 et les séquences répétées
télomériques sont aussi dans des régions riches en histones, alors que le gène de la bêta-globine et les séquences
Alu sont dans des régions riches en protamines, et que le
gène de l’acrosine et les séquences centromériques sont
localisés dans des régions contenant histones et protamines [51]. Ceci concorde avec des travaux antérieurs montrant que le gène soumis à l’empreinte parentale IFG2 est
préférentiellement associé à des histones dans le noyau du
spermatozoïde humain [52]. Ainsi, la présence d’îlots
génomiques maintenant une structure semblable à la
structure de la chromatine somatique, malgré la transition
globale du noyau en une structure nucléoprotamine au
cours de la spermiogenèse, pourrait correspondre à une
marque essentielle pour l’établissement de l’information
épigénétique qui sera transmise à la descendance. Ceci
reste cependant à démontrer.
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La méthylation de l’ADN
Chez les mammifères, les premières étapes de développement sont sujettes à un remaniement draconien du
profil de méthylation des génomes mâles et femelles. Cette
reprogrammation de la méthylation des génomes mâle et
femelle joue probablement un rôle primordial dans les
étapes précoces du développement de l’embryon (totipotence des cellules embryonnaires, initiation correcte de
l’expression des gènes précoces). Fait remarquable, la
déméthylation des deux génomes mâle et femelle est
asymétrique. En effet, dans le zygote et lors du remplacement des protamines de la chromatine des spermatozoïdes par les histones cytoplasmiques de l’oocyte, une déméthylation active et importante du gamète mâle se
produit alors que les profils de méthylation du génome du
gamète femelle restent relativement stables. Cette déméthylation asymétrique des deux génomes est un mécanisme général puisqu’il a été observé dans tous les mammifères analysés à l’exception du mouton et du lapin [5,
53]. Ainsi, et étant donné que le génome paternel est
largement déméthylé dans le zygote, on pourrait penser
que l’état de méthylation du génome mâle n’est pas important pour le développement précoce et tardif de l’embryon. Cependant, cela est loin d’être le cas. En effet, de
récentes études montrent une association entre le développement précoce anormal d’un embryon au stade 2
cellules et le taux de méthylation du génome du gamète
mâle. Dans une autre étude indépendante, il a été montré
que le taux de méthylation global de l’ADN paternel
influencerait non pas le taux de fécondation mais le développement précoce de l’embryon. Cela pourrait être lié au
fait que la déméthylation du génome paternel dans le
zygote n’est pas complète puisque certaines séquences
échappent à ce processus [54]. Ce sont, notamment les
régions hétérochromatiniennes dans et autour des centromères, les séquences des rétrotransposons IAP, et les gènes
soumis à empreinte. Ces séquences doivent, très probablement, rester méthylées pour la stabilité du génome, la
suppression de la rétrotransposition et le maintien des
empreintes paternelles, respectivement. L’établissement
normal de la méthylation au cours de la spermatogenèse
serait donc un prérequis pour le développement normal
de l’embryon [5].
Quel rôle pour l’ARN paternel
dans la mise en place
des marques épigénétiques dans le zygote ?
Étant donné le faible volume cytoplasmique et le manque détectable de synthèse d’ARN dans la tête du spermatozoïde, on a longtemps pensé que l’ADN et/ou la chromatine étaient les seuls supports des informations
génétique et épigénétique du gamète mâle. De très récentes découvertes indiquent fortement que cette idée est
fausse. En effet, en 2002, Krawetz et Miller ont montré que
les spermatozoïdes d’hommes fertiles contenaient plus de
3 000 sortes d’ARN messagers différents [55]. Certains de
ces ARNs codent pour des protéines nécessaires au développement précoce de l’embryon ; d’autres sont inconnus
et n’ont pas d’équivalents dans l’œuf. L’année dernière, le
laboratoire de Krawetz a montré qu’en plus d’ARNs messager, le spermatozoïde contiendrait des petits ARNs,
connus pour être importants dans le contrôle de l’expression de certains gènes [56]. L’ensemble de ces informations suggérait donc fortement que le spermatozoïde pouvait délivrer de l’ARN dans le zygote, lequel pouvait être
nécessaire au développement normal de l’embryon.
La preuve que les molécules d’ARN seraient un support possible de l’hérédité fut apportée dernièrement par
Minoo Rassoulzadegan qui a montré qu’à lui seul le
transfert d’ARN dans un œuf fécondé de souris était capable d’induire un phénotype stable et héréditaire [57]. Ceci
suggère fortement que, d’une part, les molécules d’ARN
peuvent modifier l’expression de gènes zygotiques et que,
d’autre part, cette altération est transmissible. Ces observations soulèvent de nombreuses questions. Notamment,
quel est le mécanisme moléculaire impliqué ? Une hypothèse possible serait que l’ARN paternel est important pour
préserver certains profils de méthylation de l’ADN
(comme ceux des gènes à empreinte) et pour restructurer
la chromatine des génomes paternels dans l’œuf fécondé
lors du remplacement des protamines par les histones.
Cette nouvelle vision du gamète mâle porteur de molécules d’ARNs importantes pour le développement précoce de l’embryon pourrait avoir également des implications en médecine de la procréation.
Dynamique des échanges nucléoprotéiques
dans le zygote
Après fécondation, les protamines du pronoyau mâle
sont rapidement remplacées par de nouvelles histones
incorporées à partir du stock ovocytaire. Cependant, il a
été observé in situ dans les œufs murins que la composition du pronoyau mâle reste différente de celle du pronoyau femelle en ce qui concerne les modifications d’histones [58]. Dans les cellules somatiques, les modifications
d’histones considérées comme « permissives », c’est-àdire favorable à la transcription, sont l’acétylation d’H3 et
d’H4, et la méthylation d’H3 sur sa lysine 4, alors que les
modifications « répressives » sont une méthylation d’H3
sur ses lysines 9 et 27 et une méthylation d’H4 sur sa lysine
20. Les histones du pronoyau maternel présentent une
acétylation d’H4, une mono-, di- et triméthylation d’H3
sur ses lysines 4, 9 et 27, ainsi qu’une triméthylation d’H4
sur sa lysine 20. La triméthylation d’H3K9 et d’H4K20 est
une marque affectant spécifiquement l’hétérochromatine
péricentrique dans le pronoyau maternel. En revanche, les
histones qui sont incorporées dans le pronoyau mâle
montrent une acétylation d’H4, mais une monométhylation seulement des lysines 4, 9 et 27 d’H3. Les marques
répressives qui affectent spécifiquement l’hétérochroma-
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Revue
tine péricentromérique du pronoyau maternel restent absentes du pronoyau paternel. Plus tardivement, des différences sont observées entre les cellules de la masse
cellulaire interne (MCI) et celles du trophectoderme (TE),
dont certaines sont clairement associées à une information
épigénétique précise.
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Conclusion
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La mise en place de l’information épigénétique dans le
gamète mâle est un processus complexe impliquant l’expression régulée de nombreux gènes. Ce processus comprend non seulement l’établissement d’un profil de méthylation spécifique de l’ADN des cellules germinales mâles,
mais aussi des modifications précises et hautement spécifiques de la structure d’empaquetage du génome spermatique. Bien que l’on soit encore loin d’avoir un tableau
précis et définitif des événements moléculaires impliqués
dans la mise en place de ces modifications, les données
récentes moléculaires et génétiques suggèrent que l’épigénome du spermatozoïde, résultant de ces modifications,
définit une information qui sera essentielle au développement du futur embryon, et de l’individu.
Remerciements. Nous sommes reconnaissantes du soutien du GDR
2586 CNRS « Méiose et Reproduction » (coordinateur Alain Nicolas).
Les travaux de l’U309 dans le domaine de la spermatogenèse sont
soutenus par le programme Inserm « Assistance Médicale à la Procréation et par la région Rhône-Alpes » (programme « Émergence »).
Ceux de l’unité 636 de l’Inserm sont soutenus par la Ligue nationale
contre le cancer. Sophie Rousseaux bénéficie d’un contrat d’interface
Inserm.
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