EVALUATION DE LA DANGEROSITE (par la psychiatrie) JM ELCHARDUS ENM 21 SEPTEMBRE 2007 Évaluation de la Dangerosité • ATTENTES: (d’une désignation objectivante à une analyse multifactorielle): – Objectiver le caractère dangereux d’un individu – Prédire la récidive pénale – Diagnostiquer une maladie mentale criminogène – Décrire un processus psychopathologique susceptible d’aboutir à un passage à l’acte – Explorer la vulnérabilité psychologique d’un sujet en cas de débordement violent – Identifier des situations potentiellement à risques Confusion possible par condensation de ces points de vue 2 Évaluation de la Dangerosité • DECONFUSIONNER: – Les menaces imaginaires collectives – La croyance à « l’homme dangereux » – L’amalgame folie = crime – L’empirisme déterministe de la série (“qui vole un oeuf vole un boeuf"), et celui des symptômes (“seul un fou a pu faire cela“) – Violence – infraction- dangerosité – L’acte dangereux – la situation dangereuse – le sentiment de dangerosité – Le soin et la rééducation 3 Évaluation de la Dangerosité • MIEUX IDENTIFIER: – Le domaine de l’infraction et de la peine, avec sa cohérence et sa logique propre: → dangerosité = réitération – Le domaine des comportements sociaux, ouverts aux interprétations multiples et complémentaires juridiques, sociologiques, psychologiques, culturelles, philosophiques, etc… et aussi médiatiques: → dangerosité = signification ± émotion – Le domaine des troubles mentaux en lien potentiel avec la violence, domaine de compétence de la psychiatrie: 4 → violence = symptôme Évaluation de la Dangerosité Pour clarifier, retenir au moins la distinction non exclusive entre: - Dangerosité « criminologique » (C. DEBUYST) « Phénomène psycho-social caractérisé par les indices révélateurs de la grande probabilité de commettre une infraction contre les personnes ou les biens » (« indices » et « probabilité » ouvrent le champ d’une évaluation scientifique) - Dangerosité « psychiatrique » « Risque de passage à l’acte principalement lié aux troubles de l’adaptation et du comportement symptomatiques d’une maladie psychiatrique » (distinguer « l’atteinte à la sûreté des personnes »-27/06/90-, et le rapport de la maladie mentale à la criminalité) 5 Évaluation de la Dangerosité • Évaluation scientifique – Implique dans certains pays des dispositifs spécifiques: • • • • Criminologues professionnels, Psychiatrie spéciale, « criminothérapie » Commissions de dangerosité… – Mais dans la conception française: expertise psychiatrique ou psychologique éclairée par l’activité clinique – Méthodes utilisées: d’un idéal d’objectivation nosographique à l’interprétation clinique du cas 6 Évaluation de la Dangerosité • TROIS OPTIONS LOGIQUES: – Néo-positiviste – Psychiatrique – Psycho-criminologique Reposant chacune sur un postulat 7 Évaluation de la Dangerosité • OPTION NEO-POSITIVISTE: Postulat: déterminisme individuel: • Certains individus sont dangereux • Il faut les repérer • Par des méthodes objectives • Pour protéger la société – Fondement des politiques de défense sociale – Développement des méthodes objectives et quantifiées répondant à cette attente – Concepts directeurs: individu statistique et dialectique du risque et de la précaution (D. SALAS) 8 Évaluation de la Dangerosité EXEMPLES : - Échelle actuarielle VRAG (risque de violence ): – L’examinateur coche des items pré-établis au nombre de douze, tous issus de constatations statistiques. – Combine items cliniques quantifiés (par exemple : troubles de la personnalité, score élevé à une échelle de psychopathie), et des items non cliniques (par exemple: échec scolaire, antécédents de délinquance, …) – Aucune interprétation clinique ou sur le contexte n’intervient dans la cotation. – Aboutit à un score total de 0 à 100, déterminant le risque de violence sur 10 ans 9 Évaluation de la Dangerosité • Méthodes actuarielles: pertinence et limites – Instruments purement algorithmiques, valables dans une population donnée pour un risque donné dans une période donnée, construits par une analyse empirique. Risque : formulé en termes de pourcentages. – Méthode « transparente », validation empirique – Prédiction « passive », pas de démarche de prévention – Choix arbitraire des variables utilisées – Vision étroite et partielle de la situation individuelle – « Pseudo-précision »: d’un point de vue rigoureux, le résultat fourni par ce type de méthode n’est valable que dans les limites des caractéristiques de l’échantillon étudié initialement, pouvant différer des sujets ensuite évalués dans d’autres conditions. 10 Évaluation de la Dangerosité • OPTION PSYCHIATRIQUE STRICTE: – Postulat:rapport reconnu entre des traits pathologiques de la personne et un risque de passage à l’acte – En principe strictement limitée au champ des pathologies mentales et des manifestations de leurs troubles, – Domaine de la psychopathologie, et de la compétence de la psychiatrie – Ces « traits » peuvent être: • Une maladie mentale avérée • Un trouble de la personnalité ou de l’adaptation 11 Évaluation de la Dangerosité • Dangerosité des malades mentaux – Étude: méthodes cliniques et diagnostiques de la psychiatrie – Rapports établis entre certains diagnostics et un risque de passage à l’acte, particulièrement la schizophrénie et les troubles bipolaires de l’humeur – Logique prioritaire: importance de la faisabilité et de la qualité d’un suivi thérapeutique – Qu’en faire?: Art 122-1CP..articulation SantéJustice 12 Évaluation de la Dangerosité • DANGEROSITE DES MALADES MENTAUX: - Morbidité psychiatrique de la population pénale (étude 2003) : . 14% atteints de la schizophrénie ou autre psychose . 1/3 atteint de troubles de personnalité psychopathique . 1/3 a été suivi pour motif psychiatrique - Pathologie psychiatrique et violence (HÄFNER-GÖSER) Risque identique à population générale : 3% des actes violents et 5,6% des homicides - Mais risque x10 quand alcool, drogue, personnalité psychopathique associée, précarisation, rupture de soins 13 Évaluation de la Dangerosité MILLAUD 1996: – Méta-analyse: en dehors de l’utilisation de substances psycho- actives: • 85 % à 97 %des agresseurs ne sont pas des malades mentaux • 90 % des sujets atteints de maladie psychiatrique grave ne sont pas violents – Sous groupe de patients psychiatriques plus dangereux que la population générale avec quatre caractéristiques principales: • • • • Histoire de violence antérieure N’observent pas la médication psychiatrique Abus d’alcool et de drogues Présentent une symptomatologie aiguë – Épisodes de violence des malades mentaux: • 60 % dans les 20 semaines après la sortie • Victimes: 51 % famille, 35 % amis, 14 % inconnus (violence réactive) 14 Évaluation de la Dangerosité • Les questions croisées qui sont posées aux cliniciens (B. GRAVIER) – Le crime (tout crime?) est-il le fait d’une structure pathologique? – Tout malade mental est –il un criminel qui s’ignore? – Quelle est la capacité du psychiatre à anticiper sur la violence de ses patients? – Le psychiatre sait il soigner les comportements criminels ou anti-sociaux ? – Dispose-t-il d’un savoir et d’outils capables de prévoir la récidive criminelle, même en dehors du champ de la maladie mentale ? Ouvre sur l’option suivante 15 Évaluation de la Dangerosité • OPTION PSYCHO-CRIMINOLOGIQUE: – Postulat: rapports entre le sujet tel qu’il fonctionne et son environnement, amenant à une situation dangereuse – Approche pluridisciplinaire, intégrant des éléments non strictement cliniques – Évaluation personnalisée multifactorielle, non limitée au risque d’acte dommageable (par ex.: facteurs de changement, qualité de l’entourage, etc..) – Étude des troubles de la personnalité, de l’économie psychique, de la dynamique du passage à l’acte, des interactions pathologiques, du contexte et des facteurs d’environnement 16 Évaluation de la Dangerosité • Dangerosité et troubles de la personnalité: – Domaine de progrès considérables dans la compréhension psychodynamique et les soins – Accès à une théorisation approfondie de la psychopathie, des perversions, de la dynamique pathologique de certains passages à l’acte – Clinique de la subjectivité, obligatoirement centrée sur la personne et ses interactions, – Risque (JL SENON) de cette approche de faire glisser tous les comportements dommageables dans le champ de compétence du psychiatre « spécialiste du motif » (M FOUCAULT) 17 Évaluation de la Dangerosité • Les méthodes : – non cliniques (empirisme): Recherche HARDING-MONTANDON – cliniques : • Non structuré: entretien libre et expérience de criminologie clinique de l’examinateur • Les jugements cliniques structurés ou semi-structurés : associent les connaissances acquises sur la violence et l’évaluation clinique à l’aide d’échelles étalonnées: – Processus et jugement final tiennent compte de guidelines regroupant les connaissances du moment dans le domaine du risque de violence. – Intégration de facteurs cliniques dynamiques, évolutifs et/ou liés au traitement – Permettent une analyse qualitative du risque, – Autorisent une visée préventive et la recommandation de mesures adaptées 18 Évaluation de la Dangerosité • Exemple de jugement clinique structuré: The Historical Clinical Risk Management (HCR – 20): Échelle utilisée par les cliniciens qui comporte 20 facteurs résumant les informations pertinentes sur : • Le passé (histoire du patient) antécédents de violence, instabilité, victimisation, addiction…score à une échelle de psychopathie (PCL-R)… • Le présent (appréciation clinique): introspection, résistance au traitement, impulsivité, conduites anti sociales… • Le futur (gestion du risque probable): projets irréalistes, facteurs prévisibles de stress, absence ou refus de soutien… 19 Évaluation de la Dangerosité Évaluation clinique semi-structurée : Échelle de DITTMANN - Relève les éléments favorables et défavorables de divers secteurs de la vie de l’intéressé, dans une perspective clinique: - Personnalité du délinquant Attitude par rapport à ses troubles Reconnaissance du délit Possibilités thérapeutiques, etc… - Le recueil de ces éléments n’est l’appréciation du classement « « défavorable » pour chaque item l’examinateur - Il n’y a pas de « score », mais une plus ou moins accentuée pas formalisé, et favorable » ou est laissée à orientation globale 20 Évaluation de la Dangerosité • Intérêt et limites: – La capacité prédictive de tels instruments reste discutable – Leur maniement par une équipe demande une formation et une expérience approfondies – Intérêt de ces instruments: • Systématisent les observations • Suscitent la discussion et la confrontation entre cliniciens • Rendent plus transparents les processus de décision • Permettent d’adopter un langage commun • Formalisent le fruit de la réflexion, mais ne sont pas à communiquer tels quels, en particulier dans les expertises: leur aspect chiffré est trompeur. 21 Évaluation de la Dangerosité Avantages et inconvénients de ces méthodes (B. GRAVIER): - Transparence – Reproductibilité . +++ . ++ .+ méthodes actuarielles évaluation structurée entretien clinique - Pertinence clinique .+ méthodes actuarielles . +++ évaluation semi structurée . ++ entretien clinique - Fiabilité .+ . +++ . ++ méthodes actuarielles, car liées à un contexte précis, et ≠ individu statistique/personne réelle évaluation semi-structurée car exploration clinique systématisée entretien clinique très personnalisé 22 Évaluation de la Dangerosité • Commission violence et santé mentale (Mars 2005): « La prédictibilité de la survenue d’un comportement violent chez une personne précise est actuellement impossible. Les facteurs contextuels, évènementiels, aléatoires et contingents sont à la fois trop nombreux et trop divers, et leur association trop variable et singulière, pour leur conférer un poids stable et une fiabilité dans la prédiction de la survenue de l’acte violent. On peut seulement en évaluer le risque, sur la base de l’existence de facteurs psychopathologiques stables et de situations contextuelles dégradées » 23 Évaluation de la Dangerosité G. LANTERI LAURA (1997): « La psychiatrie, dés qu’elle se trouve sollicitée non plus de donner un avis sur l’éventualité d’un état de démence au temps de l’action ou sur la présence d’une pathologie mentale précise et avérée, mais de rendre compte d’une grande partie des conduites d’infraction, se retrouve devant un dilemme. Ou bien elle mesure lucidement les limites de son savoir et aussi de son savoir-faire, mais au prix de décevoir une demande à certains égards légitime et de laisser sans réponse des questions graves, faute d’explications rationnelles fondées sur ses connaissances effectives; ou bien elle dépasse ce qu’elle sait, allant vers un usage sans critiques de l’analogie et de l’à peu près, c’est-àdire au bout du compte, vers un croire savoir et faire croire que l’on sait infiniment préjudiciable à la vérité et à la déontologie. » 24 Évaluation de la Dangerosité CONCLUSION - La dangerosité est multifactorielle - Son approche est davantage l’affaire d’une pluridisciplinarité bien comprise et bien organisée, que d’un dire expertal savant - L’objectivation est toujours réductrice, la part de l’intersubjectivité est toujours à analyser - Enfin, la meilleure conclusion paraît être la remarque posée dans l’introduction du rapport santé-justice : « (dans ce domaine) les magistrats et les professionnels de santé ne sont soumis qu’à une obligation de moyens, sous-entendant prudence, diligence et compétence. Rien de plus, mais rien de moins non plus». 25