Centre Hospitalier Spécialisé Sarreguemines, le 07/02/2014 1 rue Calmette BP 80027 57212 SARREGUEMINES ********* Dr Alexandre BARATTA Praticien Hospitalier Expert près la Cour d’Appel de Metz U.S.I.P. Madame, monsieur, Dans le cadre de l’affaire qui est jugée, je souhaitais apporter un éclairage différent de mes autres confrères psychiatres. Il ne s’agit pas pour moi de défendre la théorie du fantasme du risque zéro, ou de soutenir une logique de type tout -sécuritaire. La question de la dangerosité en psychiatrie est omniprésente, puisque, comme le démontrent la totalité des études sur le sujet, la schizophrénie est corrélée de façon significative au risque de comportements violents. Les soins dispensés à des patients schizophrènes doivent donc prendre en compte cette notion de dangerosité psychiatrique, surtout lorsque le patient a déjà été impliqué dans des actes de violences. La Haute Autorité de Santé a publié des recommandations concernant la dangerosité psychiatrique dans ce sens en 2011. Elle y précise notamment : « travailler à la réduction du risque de violence, c’est accomplir un acte éminemment médical ». La prévention des actes de violence fait donc partie des missions attribuées au psychiatre. L’une des caractéristiques de certains patients schizophrènes est de se livrer à des raptus agressifs imprévisibles et immotivés, ce qui constitue une limite à la gestion des risques de violence. Dans le cas de Mr GAILLARD, sommes nous dans un tel contexte d’acte imprévisible lorsqu’il tue à coups de haches le compagnon de sa grand-mère ? La réponse est simple : non. Il suffit pour cela de reprendre la trajectoire psychiatrique du patient pour s’en rendre compte. Tous les marqueurs de dangerosité étaient dans le rouge 4 ans déjà avant son homicide. Nous allons reprendre point par point tous les éléments de risque présent chez Mr GAILLARD : Consommation de toxiques. Comme nous l’avons stipulé précédemment, le diagnostic de schizophrénie multiplie par 2 le risque de violence. Ce risque est multiplié par 9 chez le patient schizophrène consommant des toxiques, tel le cannabis. Mr GAILLARD présentait une telle problématique, le Dr CANARELLI avait donc cette donnée à sa disposition. Antécédents d’actes de violence. Lorsque Mr GAILLARD tue sa victime en mars 2004, il ne s’agit pas de son premier raptus agressif. Sur une courte période de 3 ans (de 2000 à 2003), il est impliqué dans des agressions à l’arme blanche, des actes incendiaires et des agressions notamment sur des policiers. Lors de son incarcération aux Beaumettes, il y agresse un codétenu. Ses précédentes hospitalisations en psychiatre sont également ponctuées d’hétéro agressivité contres les autres patients. Tous ces éléments étaient connus de son psychiatre traitant. Mauvaise observance thérapeutique. Un traitement mal suivi en ambulatoire est fortement corrélé à la commission d’actes de violence. Une telle inobservance était documentée chez Mr GAILLARD, notamment depuis le 19 février 2004, soit 3 semaines avant l’homicide. Sortie hospitalière. Toutes les études pointent du doigt cette donnée : le risque de violence est maximal dans les 20 semaines suivant une sortie d’hospitalisation. Ce qui justifie toujours un suivi rapproché et attentif de tout patient schizophrène connu pour de tels actes de violences. Lorsque Mr GAILLARD quitte l’hôpital en décembre 2003, il ne bénéficie pas d’un traitement neuroleptique retard ni d’un programme de soins spécifique à son profil de dangerosité. Le Dr CANARELLI avait à sa disposition de nombreux marqueurs de dangerosité, sans en tenir compte dans la démarche de soins. Refus délibéré de sa part, ou carence par ignorance ? Les 2 hypothèses sont possibles, en privilégiant la première hypothèse. En effet, tous les psychiatres que Mr GAILLARD a rencontré ont émis un avis convergent, signalant de façon constante la dangerosité de Mr GAILLARD, l’un des psychiatres posant même l’indication d’un transfert vers une unité haute sécurité de type Unité pour Malades Difficiles. Tous les avis convergeaient, sauf un : celui du Dr CANARELLI, qui n’avait de cesse de demander la sortie du patient. En terme de conclusion, nous reprenons notre les conclusions du rapport de la Haute Autorité de Santé de 2011 relative à la dangerosité psychiatrique : « En tant que profession médicale, il est de la responsabilité des psychiatres de pouvoir répondre aux deux questions suivantes : quel est le risque associé à une situation clinique donnée, et comment le réduire ? ». Il était donc de la responsabilité du Dr CANARELLI de répondre aux 2 questions posées : Tous les marqueurs de dangerosité étaient présents chez Mr GAILLARD et ceci depuis plusieurs mois sinon années: il n’était pas possible de les ignorer. Pour autant, aucune mesure n’a été prise pour réduire les risques de violence, situation ayant conduit à l’homicide réalisé par Mr GAILLARD en mars 2004. Dr Alexandre BARATTA