Quelles sont les diffi cultés, les chal-
lenges et les réfl exions spécifi ques à
un projet de tour pour l’architecte ?
Le défi est commun. Celui de l’archi-
tecte comprend d’autres nuances,
poursuit d’autres thèmes peut-être,
mais il est dans toute œuvre d’architec-
ture, intiment lié à celui de l’ingénieur.
Le projet d’une tour et sa construction
représentent probablement un des défi s
les plus ambitieux où les deux, ingénieur
et architecte, doivent lier leurs talents
et leurs maîtrises de façon très intime.
Pourquoi ? Parce que justement, les
exigences structurelles sont bien plus
importantes que dans un bâtiment bas
ou conventionnel. Parce que le vent, le
sous-sol, la distribution des fl uides et
le dimensionnement des systèmes de
transport sont si fondamentaux qu’ils
déterminent pour beaucoup la ratio-
nalité du projet. Dans une tour ou un
IGH, tout est multiplié, grandi. L’atten-
tion au détail sera d’autant plus impor-
tante. Depuis le temps des cathédrales,
l’homme cherche, avec des motivations
diverses, à construire haut, à s’élancer
vers le ciel, à satisfaire une certaine en-
vie de l’impossible. La densifi cation ur-
baine nécessaire, l’effi cacité technique
intrinsèque d’une tour, fournissent donc
un alibi parfait pour satisfaire ces envies
innées. Il reste que les tours n’ont pas
toujours bonne presse. Eh bien, il faut
faire mieux et les enrichir d’humanisme,
de végétal, de qualités et fonctions
conviviales. Dans le gigantisme bana-
lisé qui se déploie dans certains pays, le
manque d’échelle humaine, le manque
de mélange de fonctions et de diversité,
se trouvera la gangrène de l’urbanisme
de masse. Voilà le vrai défi pour l’avenir
des projets de grande hauteur.
Renzo Piano Building Workshop
(RPBW) a remporté le projet du TGI.
Quel en est le parti pris ?
Sans doute celui de ne pas ressembler
(ou pas trop) à une tour ! Justement, le
Palais de Justice est autre chose. Et si un
IGH était implicitement souhaité et néces-
saire vu le programme, il nous semblait
indispensable de donner de l’humanité à
cet édifi ce et de le rendre le plus convi-
vial possible, le plus équitable possible,
et de lui donner la symbolique et l’identité
d’un bâtiment public se distinguant de
l’image classique de la tour. Les terrasses
végétales étagées, jardins suspendus
pour la détente, mis à disposition des
divers personnels de l’administration judi-
ciaire, nous semblaient être une réponse
digne, bien que partielle, à la perte de la
mémoire et de la lourde symbolique du
Palais Millénaire de la Cité. Sans doute
l’insertion urbaine, c’est-à-dire le rapport
direct de la lame émergente avec le tracé
en diagonal très fort du Parc Martin Luther
King a été un autre élément évident et
marquant de distinction.
Quelles sont vos attentes par rapport
aux bureaux d’études en général, et
de structure en particulier ?
Autant l’architecte doit avoir une
connaissance réelle, un goût, une envie
de compréhension pour les sujets de
structure et les forces qui régissent la di-
mension constructive, autant l’ingénieur
ne peut se détacher des sujets princi-
paux de la préoccupation architectu-
rale. C’est un jeu délicat d’échanges
qui doit se jouer entre les deux compé-
tences, l’une plus physique, l’autre plus
abstraite ou irrationnelle quelque fois,
pour créer un bâtiment qui ose se nom-
mer architecture.
Halte au monolithe
Avec le projet Horizon à Boulogne Billan-
court, Jean Nouvel a été le premier à
évoquer le concept de « non tour ». Dans
ce projet, l’immeuble de grande hauteur
n’est plus un parallélépipède mais une
stratifi cation : le module haut rappelle
une serre, le module central la ville et le
module bas le sol. Chacun des trois bâti-
ments offre une expérience où l’organi-
sation de l’espace et le rapport à l’envi-
ronnement sont différents.
Le Futur Palais de Justice de Paris (FPJP)
de Renzo Piano Building Workshop
(livraison 2016) présente également une
scansion dans sa forme, avec trois
modules distincts de 10 niveaux chacun,
séparés par des terrasses plantées
libérées de tout porteur. Cet effet « taille
de guêpe », où tous les porteurs
périphériques sont retirés et où seul fi le le
noyau, est permis par la conception de
planchers de transfert en béton
précontraint.
Coupes-ciel
Volonté architecturale d’ériger une sur-
face découpant le ciel, ou nécessité de
caser un programme important dans une
limite de hauteur toujours assez basse à
Paris ? Plusieurs projets récents pré-
sentent les proportions d’une lame, plu-
tôt que celle d’une lance.
Herzog et de Meuron ont imaginé pour la
tour Triangle à la Porte de Versailles des
plateaux de 170 m de long et 35 m de
large, et pour la tour Signal à la Défense
(concours), des plateaux de 135 m de long
et 35 m de large.
Le FPJP présente à la base des plateaux
de 110 m de long et 9,45 m de large.
Cette morphologie de longs plateaux et
de bâtiments élancés avec une prise au
vent importante, implique une attention
toute particulière à porter au comporte-
ment dynamique sous vent d’une part,
et au retrait du béton d’autre part. Dans
le cas du Tribunal de Paris, cela a
abouti à une conception inhabituelle
pour une tour : le découpage en trois
tours indépendantes, libres de dilater,
mais liées par des clés de liaison pour
homogénéiser les déplacements trans-
versaux.
Pour ce dernier, comme pour la Tour
Triangle, tous deux situés à la frontière de
Paris, cette forme de lame est toujours
orientée de manière radiale, créant ainsi
un lien entre Paris et sa banlieue et pré-
servant des vues dégagées de part et
d’autre de la face effi lée de la tour.
Ces nouvelles tours
qui ne sont pas des tours
L’heure n’est plus aux parallélépipèdes, ou autres « cornichons » élancés, dont
le plan est pratiquement identique du premier au dernier étage, et dont la seule
variable est la hauteur. Renouvellement des propositions architecturales,... et
conséquences structurelles.
Entretien avec
Bernard PLATTNER
partner chez Renzo Piano Building Workshop
depuis 1989
Portrait Zoom
Directeur de la publication : Michel Kahan - Contact : Céline Guitton (Tél. : 01.82.51.63.88 - [email protected])
Conception : 06.11.40.46.51 - Crédits photographiques : Anne-Claude Barbier pour setec tpi, Jean-Paul Viguier et Associés, RPBW, agence Crochon.
octobre 2013
setec tpi
Futur Palais de Justice de Paris.
Architecte : RPBW, image de synthèse.
Tour D2 à la Défense
Cher lecteur,
Pour prendre le contrepied d’une morosité véhiculée par une
certaine presse, nous vous proposons de prendre un peu de
hauteur dans ce numéro du Carnet de Desseins.
Les tours ou immeubles de grande hauteur sont sans doute
un lieu privilégié d’expression, à la fois de la puissance de
la structure, squelette lui permettant de s’élancer avec une
apparence de légèreté, de l’expression architecturale qui élève
le regard, suscite l’émotion et organise l’espace et les usages
de cette cité intérieure, et de l’intelligence environnementale qui
font de ces objets des mitochondries de la ville, qui revendiquent
de plus en plus leur autonomie énergétique.
Ce sont aussi des lieux de partage de l’aventure de la conception
où tous les métiers se mêlent dans un rythme d’échange effréné,
poussé par la technologie (maquette numérique 3D « BIM »,
GED…) et les modalités contractuelles (PPP). Si la création reste
un sujet individuel, on voit là que la mise en œuvre de l’idée est
un acte éminemment collectif et fusionnel.
Très bonne lecture
k Dossier
CONCEPTION
D’IMMEUBLES DE
GRANDE HAUTEUR
k Chantier
TOUR MAJUNGA
À LA DÉFENSE
k Actualités
TROISIEME PONT
SUR LE BOSPHORE
k Portrait
BERNARD PLATTNER,
PARTNER CHEZ RPBW
Éditorial
Carnet de
Desseins
Octobre 2013
La lettre d’information de setec tpi
Michel Kahan,
Directeur Général
setec tpi
La tour D2 marie les concepts de planchers mixtes des tours Nobel et Montparnasse avec en périphérie une
résille métallique porteuse, comparable aux IGH les plus contemporains réalisés aujourd’hui en Asie.
Sogeprom – Bouygues Immobilier, Anthony Bechu et Tom Sheehan – Architectes, Daniel Vaniche
et setec tpi, GTM Entreprise
Setec- Octobre2013.indd 4-1 31/10/13 09:53
Les tours : vecteurs de dynamisme
économique
La conception structurelle d’un immeuble de grande
hauteur (IGH) doit composer avec l’architecture et les
impératifs techniques des bâtiments tertiaires.
IHG et ITGH
À
partir de 28 mètres au-dessus du sol, (50 mètres
pour les habitations) un édi ce est défi ni comme un
immeuble de grande hauteur. La catégorie ITGH (Im-
meuble de Très Grande Hauteur) rassemble les bâtiments
de plus de 200 mètres.
Nos projets d’IGH en cours (conception et mtrise
d’œuvre) permettent d’illustrer les contraintes de
conception :
la tour Triangle d’Herzog et De Meuron / Valode et
Pistre (180 mètres de hauteur, à Paris),
la tour Majunga de Jean-Paul Viguier (174 mètres de
hauteur, à La Défense),
la tour Trinity de Jean-Luc Crochon (151 mètres de
hauteur, à La Défense),
la tour D2 d’Anthony Béchu et Tom Sheehan (171 mètres
de hauteur, à La Défense),
la tour Maroc Telecom de Jean-Paul Viguier (195 mètres
de hauteur, à Rabat au Maroc),
la tour Rotana d’Architecture Studio (180 tres de
hauteur, à Amman en Jordanie).
Le projet Phare, (282 mètres de hauteur) pour lequel
setec tpi et setec bâtiment ont réalisé la totalité des
études de conception rentre dans la catégorie ITGH.
Des descentes de charge exceptionnelles
La mtrise du poids total est particulièrement sensible
pour la tour Trinity dont les trente étages sont supportés
par un tunnel autoroutier contenant deux axes d’accès
à l’A14 et deux bretelles latérales. Une solution de
plancher mixte acier-béton a permis de réduire le poids
propre de chaque étage d’environ 30 %, d’augmenter le
octobre 2013
setec tpi
octobre 2013
setec tpi
La tour Majunga à la Défense :
La structure au service de la haute
qualité environnementale
La mise en place dune démarche
maquette numérique
La maquette numérique mise en place
par setec tpi sur Revit Structure pour
quelques étages de la tour, constitue un
élément de base de conception : cette
démarche consiste à bâtir une maquette
en trois dimensions permettant d’alimenter
la production de plans, la cellule de
présynthèse et à terme la réalisation des
modèles de calcul. Cette démarche a été géralisée sur le projet du Tribunal
de Grande Instance de Paris où l’ensemble des structures ont été modélies.
Unibail Rodamco, par l’intermédiaire
de la SNC Lefoullon, a chargé
l’architecte Jean-Paul Viguier de
concevoir et de réaliser à La Défense un
projet de bureaux à forte valeur identitaire.
La structure porteuse est constituée dun
noyau et de poteaux de façade en béton à
hautes performances (C80). Elle est sur-
montée d’une charpente métallique pour
la réalisation de la toiture.
Ce projet présente de nombreuses spéci-
cités qui ont orienté sa conception struc-
turelle :
un contexte otechnique caractérisé
par des carrières en sous-sol,
une proximité avec les existants ces-
sitant un contrôle de la cuvette de tas-
sement,
une géométrie variable induite par des
poteaux inclinés, vecteur du dynamisme
architectural de ce projet.
La conception s’est bae sur une étude
globale aux éléments fi nis, des études
locales manuelles, des investigations géo-
techniques et sur des essais en souf erie
qui ont permis de minimiser la dépense de
matière (1/8ème du volume enserré par la
façade en superstructures), et de réduire
les dimensions des porteurs ainsi que les
impacts sur les avoisinants.
Commencés en janvier 2011 et réalisés
par Eiffage Construction Grand Paris, les
travaux de gros-oeuvre se termineront en
novembre 2013, pour une livraison prévue
début 2014.
Avec leur façade double peau, les espaces intérieurs de la tour de bureaux Majunga
jouissent d’un éclairage naturel tout en étant protégés par un système de brise-soleil
intégré. Objectif ? Réduire la consommation énergétique liée à l’éclairage et à la
climatisation. Par ailleurs, une sensibilité environnementale est soulignée par les
loggias de la façade sud, espaces végétalisés qui permettent aux employés d’avoir
un accès à l’air libre.
Image de synthèse
du projet.
Tour Majunga.
Architecte : Jean-Paul Viguier.
Réalisation du noyau par
coffrage grimpant.
Tour D2.
Architectes : Anthony
Béchu et Tom Sheehan.
j Tour D2
La mise en œuvre de la tour D2 (171 m de haut) a démarré
au mois d’octobre 2012. Le gros œuvre des trois niveaux
d’infrastructure est maintenant achevé. La construction du
noyau en béton armé (au delà du 3ème niveau des superstruc-
tures) nécessite l’utilisation d’un outil grimpant à la cadence
d’un étage par semaine. Le montage de la charpente mé-
tallique progresse également. Setec tpi assure le suivi des
travaux et le contrôle des plans d’exécution. DVVD est en
charge de la façade.
j
Bâtiment 411
du CEA à Valduc
Les études d’exécution du bâtiment 411 du CEA à Valduc
s’achèvent. Au total, setec tpi et sa fi liale fcbm ont produit
720 plans de coffrage et de ferraillage. Ces études réalisées
pour le compte du groupement Léon Grosse/Spie ont été
caractérisées par un ferraillage déterminé à partir de calculs
d’ensemble fournis par le CEA (cartes de ferraillage) et par
un ratio d’armatures très élevé compte tenu des cas de
charges accidentels considérés (chute d’avion, explosions,
séisme,…). Le ratio d’aciers est de 280 kg/m3 en moyenne
avec des dalles ou des voiles dépassant les 400 kg/m3 en
moyenne. La livraison du bâtiment est prévue fi n 2013.
j
Troisième pont
sur le Bosphore
Setec tpi réalise la mission d’Independent Checking du 3ème
pont sur le Bosphore. Ce pont ferroviaire et routier, d’une
portée de 1 408 m, est haubané et suspendu. Il a été conçu
par Michel Virlogeux associé au bureau d’études suisse
T-Ingénierie. La mission de setec tpi consiste à analyser le
dossier du concepteur : analyse qualitative du projet, contre-
calcul numérique de la structure, études des sondages
géotechniques et des solutions de fondations, interface
entre le rail et la structure, équipements du pont, méthodes
de constructions, analyse des risques etc. Ainsi plusieurs
entités du groupe sont associées à ce projet de grande
envergure: terrasol, setec its, setec ferroviaire. L’ouvrage est
réalisé par le Consortium Ic-Ictas-Insaat et Astaldi. Hyundai
réalise en sous-traitance le tablier et les pylônes.
Tour Trinity.
Architecte : Jean-Luc Crochon.
Tour Maroc Telecom.
Architecte : Jean-Paul Viguier.
Tour Triangle.
Architectes : Herzog et De Meuron,
Valode et Pistre.
nombre d’étages et de limiter à 50 000 tonnes la valeur
de la charge à répartir au sol, par la structure du tunnel.
Un porte à faux vertigineux
Dans le cas de la tour Maroc Telecom, les ingénieurs ont
été confrontés à une soustraction. En effet, la contrainte
architecturale imposait que le plateau supérieur, accueillant
les bureaux de la direction, soit en porte à faux au-dessus du
vide, à une centaine de mètres de hauteur. Afi n de minimiser
le poids de cette partie vertigineuse, la structure a été réalie
en charpente métallique, caractérie par une poutre treillis
monumentale en façade. Cette tour, construite par la Société
des Grands Travaux du Maroc, a été inaugurée fi n 2012.
Souplesse et actions dynamiques
Le design doit permettre l’équilibre entre la souplesse
dynamique d’une structure et sa résistance aux efforts.
Dans le cas de la tour Rotana à Amman (180 mètres de
hauteur), les essais au vent mes par setec tpi ont montré
une sensibilité aux actions du vent. Notre réponse a été
de prévoir la mise en place ultérieure d’un amortisseur
dynamique en tête de la tour pour limiter les quantités de
béton et d’acier nécessaires.
Tirer parti de la géométrie
La géotrie devient un facteur prépondérant dans les
projets que suit setec tpi. Nous devons en tirer le meilleur
parti afi n d’optimiser le fonctionnement structurel des
projets. La forme de la tour Triangle, actuellement en phase
d’études, est particulièrement favorable pour une répartition
graduelle des charges (140 000 tonnes au sol). De plus, ce
dispositif est tout à fait adapté à un terrain proche de la
Seine et limite la prise au vent de l’édi ce. La tour D2, dont
la forme en plan rappelle celle d’un avocat, a été pene
dès l’origine comme un modèle def cacité. Pour limiter
l’épaisseur du noyau, un « exosquelette » porteur permet
de contreventer l’immeuble en façade, dégageant ainsi
de grands plateaux de 1 500 m² éclairés par la lumière du
jour. Ce parti permet d’économiser 30 % de matière. La
tour Majunga, construite par Eiffage, se caractérise par
une stratifi cation en trois lames parallèles. La structure des
poteaux de façade en béton à hautes performances suit
au plus juste cette géométrie tout en minimisant les efforts
horizontaux renvoyés vers les planchers.
Un futur stimulant
Pour optimiser ces géométries 3D, nos équipes se
projettent dans le futur et renforcent le développement de
solutions type BIM (Building Information Modeling) déjà
largement utilisées dans le domaine de laéronautique.
Les prochaines études seront faites en reliant le mole
ométrique 3D Revit et le modèle de calcul aux éments
nis Pythagore. Le logiciel Pythagore, développé par setec
tpi depuis plus de 20 ans, est au cœur des réalisations de
ces ouvrages et permet notamment de tenir compte des
phases de construction dans le processus d’optimisation
des structures. Aussi est-il possible de déterminer avec
précision les autres fl èches du noyau central en fonction
du planning de réalisation.
Ces projets audacieux, ainsi que tous les prochains,
permettent à nos innieurs de faire le lien entre l’origine
des sciences mathématiques, la géométrie, et les
techniques de conception du futur.
Conception des immeubles
de grande hauteur
Dossier Chantier Actualités
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