Mais il est une autre catégorie de phrases interrogatives qui ne sont pas des actes de
langage indirects et n’appellent pas non plus de réponse assertive. Ce sont les questions
dites « délibératives », illustrées par le bref dialogue en (3) (b est la réponse à a, a’ et b’ sont
des variantes, non exactement équivalentes, respectivement de a et de b).
(3) a. Que dois-je faire ?
a’. Que faire ?
b. Partir.
b’. Pars.
Ce genre de questions appelle une réponse ou une réplique3 de l’interlocuteur qui n’est pas
une assertion, mais un acte directif4 (direct pour (3)b’, indirect pour (3)b, si l'on restitue
« (tu dois) partir »). Cette spécificité a été notée depuis longtemps, notamment par les
philosophes du langage (voir Wheatley 1955, Mayo 1956), mais aussi par des linguistes
comme Huddelston (1994 : 435) :
Comme ces réponses ont la force [illocutoire] d’acte directif plutôt que d’assertion, on ne
peut évaluer leur valeur de vérité : ainsi on ne peut pas dire que la bonne réponse à une
question directive [= délibérative] est celle qui est vraie. Souvent, le problème de ce qu’est
la bonne réponse à une question directive est pragmatiquement triviale5, 6. (c’est nous qui
soulignons)
D’un point de vue pragmatique, ces questions semblent véhiculer un acte de
délibération, c’est-à-dire l’expression d’une réflexion sur le bien-fondé d’une action7.
Toutefois, cette formulation est suffisamment imprécise pour que beaucoup d’énoncés
puissent être vus comme des actes de délibération. Or il se trouve que certaines langues
disposent d’une forme spécifique pour exprimer cet acte. C’est le cas du grec et de son
subjonctif dit « délibératif ». L’emploi de ce subjonctif délibératif en phrase interrogative
recouvre un acte plus précis que celui défini ci-dessus, notamment en termes énonciatifs.
Une différence majeure avec le français est que le grec ignore les interrogatives à l’infinitif8
et doit toujours préciser la personne concernée. Nous verrons qu’il s’agit de la première
personne (du singulier ou du pluriel). Les quelques exceptions ne sont qu’apparentes comme
il ressortira de l’analyse.
3 Nous préfèrerons dans la suite ce terme qui est plus englobant pour désigner la réaction de l’interlocuteur à une
question le terme de réponse, qui a une connotation informative et ne convient pas nécessairement à un acte directif.
4 Remarque déjà présente chez Kühner-Gerth (1904 : 536).
5 « As these answers have the force of directives rather than statements, they cannot be assessed as true or false: the
right answer to a direction question thus cannot be said to be the one that is true. Often the issue of what is the right
answer to a direction question is pragmatically trivial. »
6 Schwyzer-Debrunner (1966 : 318) parlent de questions à laquelle on n’attend pas de réponse. En fait, on n’attend
pas de réponse informative.
7 Selon le trésor de la langue française informatisé (http://atilf.atilf.fr/), délibérer c’est « examiner, peser tous les
éléments d'une question avec d'autres personnes, ou éventuellement en soi-même, avant de prendre une décision,
pour arriver à une conclusion ».
8 Dans une étude typologique, H.-M. Gärtner (2008, 2009) a proposé une hypothèse séduisante pour expliquer
pourquoi les langues admettent ou non un infinitif dans les interrogatives. Pour cela, il part des interrogatives
indirectes. Selon lui, si le système pronominal d’une langue L ne présente pas d’ambiguïté solide entre les indéfinis
et les interrogatifs, alors L peut avoir des interrogatives indirectes infinitives. En revanche, dans le cas inverse, la
langue n’a pas d’interrogatives infinitives. Ainsi en allemand, la proposition was zu lesen dans la phrase Ich
versuche was zu lesen signifie ‘lire quelque chose’. Si l’allemand possédait des interrogatives infinitives, elle
pourrait aussi signifier ‘quoi lire’. Cela fait la même prédiction pour le grec ancien (qui fait partie de son corpus) et
elle est vérifiée en raison de l’homonymie entre τις (indéfini) et τίς (interrogatif), qui ne diffèrent que par l’accent.