Pourquoi la croissance? La croissance pour quoi? (ESSEC 1999

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Pourquoi la croissance? La croissance pour quoi? (ESSEC 1999) Note : 18/20
Appréciations du correcteur : Bonne analyse du sujet. Beaucoup de connaissances bien utilisées. Les deux parties sont bien
équilibrées. La seconde partie est très intéressante.
Il semble que l'Etat et derrière lui la politique ne soit plus le "maître des horloges" qu'il était. Autrement dit devant un processus de
mondialisation des échanges et de globalisation des marchés tant décrié par la presse, il n'a plus les moyens de sa politique soit les
moyens de choisir sa croissance et vue d'un choix de société voulu. Ainsi après des années d'obéissance aveugle aux indicateurs
économiques alors que ceux-ci sont au vert et de stagnation économique, la croissance ne repart pas. Il est alors légitime de
s'interroger tant sur les causes de la croissance que sur les buts qu'elle rend possible : Pourquoi la croissance et la croissance
pourquoi faire? Autrement dit la croissance est-elle une fin en soi ou simplement un moyen ? Ainsi, si il est nécessaire de
s'interroger sur ce qui rend possible la croissance, il faut aussi voir ce qu'elle rend possible et enfin à quel prix doit se faire cette
croissance.
" Pourquoi la croissance " interroge d'abord sur les facteurs et les causes qui rendent effective la croissance, tout en montrant que
c'est un phénomène complexe : Pour l'expliquer on peut faire d'abord une recension exhaustive de ses facteurs, pour évoquer
ensuite la difficulté des modèles de croissance à l'appréhender, et enfin voir deux autres facteurs trop peu souvent énoncés qui
rendent cette croissance d'autant plus difficile à appréhender. Une énumération des facteurs peut sembler inepte : elle a toutefois le
mérite de montrer à quel point la croissance est difficile à amorcer, à expliquer. Qu'est-ce qui explique le phénomène de
croissance ? La théorie économique met l'accent sur le travail et le capital avec en plus la terre. La théorie classique avec A. Smith
d'abord souligne dans l'explication de la richesse des Nations, l'importance du facteur travail avec les effets d'apprentissage et
d'accumulation du capital qui engendre profits, investissement, hausse de la productivité et croissance. Ricardo souligne aussi que
ce qui permet d'enrayer l'Etat stationnaire sont le commerce international et le progrès technique bien que ceux-ci ne soient pas
considérés par lui comme des facteurs de croissance. Ces deux facteurs rentrent pourtant bien en ligne de compte pour expliquer la
Révolution Industrielle. Cependant tous ces facteurs ne semblent pas à eux seuls expliquer la croissance, et c'est bien là qu'il est
difficile de cerner le processus de croissance et son enclenchement : s'ils sont nécessaires, ils ne sont pas suffisants. Il faudrait
donc ajouter d'autres facteurs.
Ces modèles théoriques de croissance s'efforcent de prendre en compte ce problème. De plus, leurs conclusions sont souvent
décevantes tant le cheminement qu'ils montrent pour aboutir à la croissance est difficile. Ces modèles keynésiens de HarrodDomar montrent bien qu'il peut y avoir croissance, mais que celle-ci est au fil du rasoir : il n'existe qu'une solution et une seule de
croissance équilibrée. Domar montre d'abord que l'investissement a un effet de capacité et un effet de demande par le
multiplicateur. Le problème est d'arriver à ajuster l'un à l'autre seule condition d'une croissance équilibrée. Harrod montrera que la
solution est bien unique.
Du côté de l'offre, Solow évacue d'emblée le rôle du progrès technique qui n'est qu'une manne qui tombe du ciel et montre alors
l'importance de l'accumulation du capital pour expliquer la croissance. Pourtant là aussi il y a un problème pour expliquer la
croissance dans la mesure où le résidu que constitue le progrès technique est bien à l'origine de 2,5% de croissance en France (sur
les 5%) pendant les 30 glorieuses selon l'étude sur la croissance française de Carré Dubois -Malinvaud. On relèvera le même
problème aux Etats-Unis (travaux de Denison).
Deux voies sont alors ouvertes : expliquer la croissance comme le font les post-keynésiens (J. Robinson et Kaldor) en
endogénéisant le taux d'épargne et mettre l'accent sur la répartition des revenus comme facteur de croissance. L'autre voie est celle
des théoriciens de la croissance endogène. Pour Barro, la croissance est expliquée par une accumulation du capital source de
rendement croissant à l'origine d'effet externe. En effet le seul moyen de rendre compatible concurrence et rendement croissant est
d'introduire des externalités. Ce qui réhabilité le rôle de l'Etat comme vecteur de croissance car à des décisions décentralisantes et
manquant d'efficacité sont préférées des décisions centralisées pour accumuler du facteur connaissance. Lucas et Barro
réhabiliteront aussi l'intervention de l'Etat comme source de croissance car l'Etat peut gérer et prendre en compte les effets
externes. Là encore la croissance est difficilement éclipsée car si le progrès technique est endogenéisé, c'est-à-dire expliqué par le
comportement des agents économiques, quelle part de leur profit les entreprises doivent-elles accorder en recherchedéveloppement et formation du capital humain.
Deux autres facteurs doivent être aussi mentionnés : le facteur socioculturel est aussi un facteur de croissance. Comme l'avait déjà
montré Max Weber, c'est bien une éthique calviniste qui est à l'origine d'un ascétisme moral contribuant à toujours réinvestir les
profits et à ne jamais en profiter dans l'oisiveté. Par ailleurs, il faut noter qu'aujourd'hui la croissance dépend de plus en plus des
autres : en économie ouverte toute relance pourra profiter au voisin, engendrant ainsi des fuites dans le multiplicateur. De même
des politiques non-coopératives en Europe peuvent aboutir à une récession. Ces deux derniers facteurs viennent s'ajouter aux
facteurs traditionnels en même temps qu'ils rendent le processus de croissance plus complexe.
Si les causes de la croissance sont élucidées il faut voir qu'elles en sont le but. La croissance, pourquoi faire : est-elle un simple
moyen à une fin en soi ? Il semble qu'elle rende possible une augmentation des richesses, qu'elle puisse aboutir au plein-emploi et
enfin à un idéal de société développée. Elle rend tout d'abord possible une augmentation des richesses réelles, et ce par la
redistribution qu'elle opère ; le PIB/tête s'en trouve augmenté. Elle permet ainsi une résorption des inégalités apparentes, un
enrichissement matériel qui met en veilleuse des inégalités trop criantes. Un cercle vertueux de croissance peut alors être engagé,
des revenus alimentent la production et ainsi de suite. La croissance doit aussi rendre possible le plein-emploi dans la mesure où
des anticipations optimistes sur la demande effective ajustent la hausse, la production et l'emploi. Le plein-emploi est devenu
aujourd'hui une revendication essentielle pour se positionner dans la société, pour avoir un statut ; l'emploi est presque devenu un
droit. La croissance est devenue synonyme de plein-emploi et c'est sur cette exigence qu'il faut revenir pour déterminer les buts de
la croissance. La croissance rend permissif et doit en tout cas le rendre, un idéal de société où la place du travail n'est plus la
même. Les questions du mode de vie, de la place du travail dans nos sociétés et de la croissance sont fortement liées. La
croissance doit permettre une augmentation de bien-être de la population, mais comment le mesurer ? Cette augmentation est-elle
la somme des bien-être individuels comme le montre la théorie de la valeur utilité de J. Bentham ? Se situe-t-elle à un point
extrême tel que la situation de l'un soit détériorée en changeant la situation d'un autre comme le veut la théorie de Pareto. Il y
aurait bien plutôt un ensemble de choix possibles tel que la solution qui maximise l'utilité de tous soit introuvable ce que montre le
théorème d'Arrow-Debreu. Cet ensemble de choix possible doit nous amener à nous interroger sur des possibilités de
maximisation du bien-être social qui repositionne la place du travail. La croissance implique-t-elle forcément un travail pour tous
? Il faut compter avec des choix qui s'imposent de l'extérieur et avec une volonté commune de changement.
La croissance doit se faire à quel prix ? Il y a d'abord un difficile compromis entre choix de société et contraintes extérieures. Il
faut aussi remettre l'économique à sa place. Il faut s'interroger tout d'abord sur les buts d'une société productiviste qui organise
tout autour de la notion de travail. La croissance doit permettre le plein-emploi source de revenu mais à quel prix. Avoir un emploi
c'est bien en acquérir un statut, une reconnaissance sociale mais ne doit-on pas repenser le lien social qui s'organise autour du
travail. En effet, sans tomber dans le défaitisme il semble que les taux de croissance ne permettront que difficilement aujourd'hui
de regagner le plein-emploi. Car si on fait le choix de l'ouverture extérieure comme la France, il est difficile de pouvoir mener une
politique de relance autonome qui puisse relancer la croissance sans réactiver l'inflation et les déficits et voir les capitaux partir.
Ne faut-il pas alors repenser la croissance sans la lier forcément au plein-emploi et à l'accumulation de biens matériels et cesser de
voir dans l'emploi une fin en soi. Sans faire l'apologie de sociétés utopistes, renouer les hommes avec la sphère politique comme le
propose Dominique Meda, voir une société où l'on alternerait entre formation et emploi comme le suggère A. Gordz. Envisager
aussi une société de services mutuels comme l'expérience des " SEL ". La croissance doit en effet alors être repensée. Aujourd'hui
elle signifie croissance modérée sans inflation ni déficit, modèle imposée par une Europe trop monétariste et budgétariste. N'y-a-til d'autre alternative entre participation à l'économie-monde et assainissement permanent des fondamentaux de l'économie. On l'a
vu, la croissance doit permettre des choix de sociétés. Il faut remarquer qu'il y a une déconnexion entre les moyens que l'on se
donne par la croissance et les buts que celle-ci doit permettre. L'interdépendance des économies rend en effet les choix et les
moyens de la croissance impossible. Cette imposition des choix en faveur d'une croissance saine mais qui accentue la
précarisation et la marginalisation d'une couche de la société, oblige à une obéissance des marchés : tous les choix politiques sont
alors subordonnés au " diktat des marchés ". Or selon F. Hayek cela ressemble peu au libéralisme puisque celui-ci est défini selon
trois niveaux : l'ordre des droits que sont la liberté et l'autonomie des individus, " l'ordre social spontané " que représentent les
institutions que les hommes veulent bien se donner et l'ordre du marché comme répartiteur de la pénurie. Les institutions font ainsi
le lien entre la liberté des hommes et le fonctionnement des marchés ; or il semble bien que les institutions ne jouent plus ce rôle
fondamental et qu'il existe une coupure entre les deux : les hommes ne sont plus associés aux marchés dans la croissance. Il
faudrait que l'Etat se redonne alors les moyens de lier ces deux ordres voire même de réencastrer le marché dans le social comme
l'Etat l'avait desencastré depuis le XIXème siècle (Polanyi) : La croissance pourrait alors provenir d'une fusion entre l'économique
et le social en redonnant à l'Etat les choix de sa politique structurelle par exemple : celle-ci pouvant fonctionner comme un
réducteur d'incertitude pour les hommes et les marchés.
On a vu que les facteurs de la croissance étaient difficiles à identifier, que la croissance n'est jamais un phénomène simple. Les
buts de la croissance sont eux plus discutable car ils dépendent d'un choix de société, d'un choix que veut bien et peut se donner la
société si tant est qu'elle ne se soumette pas à l'ordre des marchés mais qu'elle s'en serve, qu'elle s'appuie sur eux : alors une
croissance plus juste devient envisageable.
Remarque
Comme vous le constatez, ce qui fait la qualité de cette dissertation, c'est la capacité à intégrer faits, théories et arrière-plan
historique. Au niveau des connaissances, c'est les mêmes que les vôtres, mais ici, c'est impeccablement utilisé, avec des
références originales (Polanyi par exemple, ou M. Weber).
On peut juste regretter une conclusion visiblement expédiée à la dernière minute; l'introduction n'est pas non plus des plus
pertinentes.
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