
agriculteurs français qui voient fondre
leurs subventions alors même que d’aut-
res, électoralement mieux défendus,
conservent les leurs presque à l’iden-
tique.
Mais cela permettra aussi et surtout de
donner la priorité à ce qui est… priori-
taire. Il est clair que l’industrie ne cons-
titue plus aujourd’hui, pour les pays
développés,le principal poumon de la
croissance économique.Ce sont les ser-
vices qui structurent la nouvelle hiérar-
chie productive mondiale.Il convient,
certes, de ne pas abdiquer tout volonta-
risme strictement manufacturier.Mais
l’avenir de la France réside aujourd’hui,
d’abord et avant tout, dans la conquête
de son autonomie dans le secteur des
services productifs. C’est cela qui cons-
titue l’exact pendant de la marine col-
bertienne,avec son exigence de qualité
aussi bien que ses effets structurants
sur le reste de l’économie. Parler de
services productifs est loin d’une quel-
conque «djerbaïsation» touristique et
hôtelière. La vraie bataille se joue dans
la finance,dans les transports et dans les
services informatiques. La perte de
contrôle de Danone n’a pas l’impor-
tance,véritablement stupéfiante,que lui
ont donnée nos politiques. Par contre,
le risque que présente une «descente »
des majors américains sur notre indus-
trie bancaire non mutualiste, rendue
possible par la richesse des uns et par
l’attrait boursier des autres, met en
question le financement même de l’in-
dustrie française.
Voilà pour l’objet. Quant aux moyens, le
diagnostic est simple :ITER d’aujourd’-
hui = Saint-Gobain d’alors.De par l’a-
vancée continue du progrès technique,
l’environnement industriel compte au
moins autant, plus qu’au XVIIesiècle en
tout cas, que l’industrie elle-même.
Colbert avait pressenti l’importance de
la qualité des produits français. Aujour-
d’hui, dans presque tous les secteurs,
celle-ci fait,seule ou presque,la diffé-
rence.Et, en matière de qualité, la diffé-
rence se fait de plus en plus par les
infrastructures et par la R & D. Or,dans
ce domaine,la France et l’Europe se
traînent lamentablement à la remorque
des États-Unis et demain, peut-être, de
la Chine. En terme relatif bien sûr.En
terme absolu, n’en parlons même pas :
les États-Unis créent, chaque année,en
matière de recherche civile,l’équivalent
de notre bon vieux CNRS... L’écart
technologique se creuse jour après jour.
Sans un effort continu dans ce domaine,
sur une dizaine d’années au moins,
notre retard ne pourra plus jamais être
rattrapé.
RECHERCHE ET UNIVERSITÉ
Cet effort ne peut pas être que fran-
çais. Il se doit d’être européen. Mais
le souffle de Lisbonne,qui se promettait
de faire de l’Europe «lenuméro un mon-
dial de l’économie de la connaissance »,
étant de plus en plus asthmatique,la
France se doit de tracer son sillon, seule
si besoin est. Rien de plus facile si la
volonté politique ne fait pas défaut.Le
budget civil de la Recherche ne repré-
sente,après tout, que 10 milliards d’eu-
ros et son doublement en trois ans
n’écornerait que de 29,3% celui des
armées (à supposer que l’arbitrage se
fasse ainsi, ce qui n’est probablement pas
souhaitable). L’effort à consentir ne doit
pas être strictement quantitatif. L’État
français peut aussi parfaitement, sans
attendre la bénédiction de Bruxelles,
améliorer l’organisation de la Recherche,
avec pour priorité l’articulation public-
privé et le lien entre recherche théo-
rique et application industrielle. Il suffit
pour cela de conditionner toute aide
nouvelle à la programmation d’une
recherche de débouchés productifs. Le
résultat ne peut être garanti (a fortiori
en matière de recherche fondamentale)
mais un contrôle ex-post peut parfaite-
ment être mis sur pied. Il est clair qu’une
réforme de la Recherche sans réforme
de l’Université n’aurait aucun sens. Dans
ce domaine,la solution est toute trou-
vée :l’autonomie,accompagnée,bien sûr,
d’un système d’évaluation.Cette réforme
doit se faire sur le mode du volontariat
et non sous forme de la généralisation
immédiate,pour éviter que certains ren-
tiers du monde universitaire ne fassent
croire aux étudiants que c’est la qualité
de l’enseignement qui est menacée.Car
c’est bien du contraire qu’il s’agit :sortir
progressivement l’Université de son sta-
tut – récent – de co-adjuteur de la lutte
contre le chômage est le meilleur moyen
de redonner aux personnels universitai-
res (pas seulement enseignants) leur
dignité et aux étudiants, leur avenir.
À côté de ce premier front, il convient
d’en ouvrir un autre. Celui du contrôle
de nos entreprises. Il n’est plus «politi-
quement correct » de nationaliser,sauf
quand on est latino-américain, pauvre et
détenteur de matières premières qui
intéressent les riches. Cela n’interdit pas
pour autant d’avoir une réflexion sur le
sujet. Le rachat au prix fort des 12 %
d’EDF qui sont dans le public serait une
absurdité industrielle et budgétaire. Et, si
l’on se prononce en faveur de la privati-
sation partielle de Gaz de France au tra-
vers de sa fusion avec Suez, c’est parce
que cette ouverture du capital était
inéluctable mais,aussi et surtout,parce
qu’elle amènera l’État à détenir une par-
ticipation minoritaire au capital d’un
groupe dont un des cœurs de métiers
restera la distribution d’eau aux collecti-
vités. Refusons donc ce qui est «politi-
quement correct » car c’est souvent
économiquement injuste et inepte…
DÉFENSE DES
ENTREPRISES PRIVÉES
Considérons néanmoins que les
nationalisations ne sont pas aujour-
d’hui l’absolue priorité. Reste le contrôle
de «nos » entreprises privées. Au-delà
des mesures visant à permettre aux
entreprises de se défendre, en vigueur
aux Etats-Unis et dans la plupart des pays
européens (« pilules empoisonnées»,
bons de souscription d’actions, clause de
réciprocité…),l’objectif devrait être
qu’au moins une minorité de blocage
reste dans des mains françaises. Non pas
pour empêcher toute opération bour-
sière venant de l’étranger.Mais simple-
ment pour que cette opération ne soit
pas «pliée d’avance ». Dans ce
domaine,deux voies sont possibles qui
doivent être explorées simultanément.
Celle de l’actionnariat individuel d’abord.
Si les Français veulent garder le contrôle
de leur industrie,ils doivent se mobiliser.
Au départ, les Français n’aiment pas le
risque et donc les actions. Il faut les
encourager –y compris fiscalement – à
distraire de la pierre et du livret A une
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Sociétal N° 55 !1er trimestre 2007
LE COLBERTISME REVISITÉ : UNE IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ POUR L’AVENIR