L`ostéoporose de l`homme âgé

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Abstract: Osteoporosis in older men. Case Reports.
This is a serious chronic disease which should not be trivialized in any way.
It is a major public health problem. The number of fragility fractures increases rapidly. Their consequences are
much more severe in men than in women. The identification of men at higher risk has not been sufficient.
Male osteoporosis has been considered so far as “negligible”: there has always been little data on appropriate
tools for assessing fracture risk and less information on the effectiveness of available treatment for men than
for women. Even with an obvious fracture risk, few men are treated with the appropriate product.
Key words: Aged; Andropause; Osteoporosis; Osteoporotic Fractures
Daniel Letonturier
Hôpital Gériatrique
de L’Isle-Adam –
Parmain
Mots clés :
andropause ;
fractures
ostéoporotiques ;
ostéoporose ; sujet
âgé
L'ostéoporose
de l'homme âgé
Deux dossiers cliniques
Monsieur PR, âgé de 86 ans
Il a été adressé via les urgences dans le service de
médecine gériatrique pour chutes répétées et fracture d’une côte située en basithoracique gauche
excessivement douloureuse mais peu visible sur
le cliché thoracique.
La douleur est tellement aiguë en raison d’accès paroxystiques que le patient est en perte d’autonomie
totale et ne peut tolérer l’alitement ni le moindre transfert aidé. Il reste donc au fauteuil, même la nuit.
Outre son grand âge, il s’agit d’un patient polypathologique : HTA, diabète non insulino-dépendant,
bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO)
actuellement non traitée, insuffisance cardiaque
avec fibrillation auriculaire, déclin neurocognitif ; cela
explique son traitement actuel : Triatec® 1,25 mg,
Cordarone® 200 mg, Coumadine® pour l’ACFA chronique permanente, Glucophage 850® matin et soir,
Esoméprazole® 20 mg. Il a eu, il y a plus d’un an,
une fracture de la cheville gauche à la malléole externe (traitement orthopédique de type plâtre) et fait
des chutes répétées surtout depuis un an (3 fois
ces 3 dernières semaines). M. PR est un ancien fumeur (40 paquets-année, sevrage à l’âge de 60 ans),
ne buvant d’alcool que très occasionnellement. Il vit
à son domicile avec son épouse. Il n’existe pas
d’antécédents familiaux de fracture de hanche chez
ses deux parents.
Les accès douloureux paroxystiques (ADP) sont tels
que le risque de malaise vagal est important. Un palier
anatalgique OMS 2 avec du Topalgic® 50 mg × 4 par
jour est d’emblée instauré, sans effet. Le contrôle radiologique à J1 montre une fracture de l’arc moyen
de la 6e côte. La stase stercorrhale et l’aérocolie gauches ne permettent pas une bonne visualisation du
grill costal. Finalement à J15, ce sont 5 fractures aux
arcs moyens (5e à 9e côte) qui ont pu se démasquer
au contrôle radiologique. Le soulagement des ADP est
obtenu sous sulfate de morphine per os : Actiskénan®
5 mg toutes les 4 heures. L’aérosolthérapie × 3 par
jour (associant Salbutamol® et Ipratropium®) a stabilisé
la BPCO qui s’était décompensée.
DOI : 10.1684/med.2013.0969
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À propos de cas cliniques récents concernant deux hommes très âgés admis en service
de gériatrie pour perte d’autonomie sur pathologie fracturaire récente se pose la question de la réalité de l’ostéoporose de l’homme âgé. Si sa définition repose sur quelques
points-clés assez simples, il faut reconnaître que cette pathologie a été considérée
jusqu’à maintenant comme « négligeable » : il y a eu toujours peu de données portant
sur des outils appropriés permettant d’évaluer le risque fracturaire, peu d’informations
sur l’efficacité des thérapeutiques disponibles chez l’homme et, même avec un risque
fracturaire évident, trop peu d’hommes traités avec le produit approprié.
STRATÉGIES
Cas clinique
MÉDECINE mai 2013 213
STRATÉGIES
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Cas clinique
Pour une taille connue de 1,64 m (carte d’identité), la toise
actuelle est de 1,58 m. Des clichés rachidiens montrent une
arthrose dorso-lombaire étagée associée à 3 tassements vertébraux asymptomatiques jusqu’alors. L’ostéodensitométrie
conclut à une ostéoporose confirmée puisque le T-score au
col fémoral et au rachis lombaire est évalué respectivement
à – 2,5 et – 2 écarts-types. La calcémie et la phosphorémie,
la VS et l’électrophorèse des protéines sériques, la TSH, les
phosphatases alcalines osseuses, la NFS, le ionogramme
sanguin et la fonction rénale (clairance de la créatininémie
calculée égale à 97 mL/minute), l’hémoglobine glyquée A1C,
la ferritinémie et le bilan hépatique complet sont normaux,
la parathormonémie est égale à 32,6 pg/mL (normale entre
6,7 et 38,8). La calciurie des 24 heures est abaissée (51 mg),
la 25 OH vitamine D (D2 + D3) est déficitaire à 22 ng/mL et
la testostéronémie nettement abaissée à < 0,10 ng/mL (normale entre 1,75 à 7,81). Le 17 β-estradiol à 25 pg/mL est
normal (entre 20 et 47 pg/mL chez l’homme), ainsi que la
cortisolémie de 8 heures. Le statut protéique montre une dénutrition légère avec albuminémie à 35 g/L, préalbumine à
0,15 g/L et la CRP à 71 mg/L. Pour une taille de 1,58 m et un
poids de 89,1 kg, l’IMC est de 35,7 kg/m2, ce qui classe ce
patient en net surpoids.
Monsieur CJ, âgé de 87 ans
Il a également été adressé via les urgences dans le service de médecine gériatrique pour une chute compliquée
aux circonstances imprécises à l’origine de 2 fractures
dites majeures siégeant au col huméral gauche et à
l’hémi-bassin gauche. Le traitement est orthopédique et
ne nécessite par la chirurgie.
M. CJ est également un patient polypathologique : HTA, hypercholestérolémie, cardiopathie ischémique de type angor
spastique, fibrillation ventriculaire il y a 33 ans traitée par la
cardioversion électrique, syndrome d’apnées obstructives du
sommeil non appareillé, ostéonécrose du col fémoral gauche
en 1980 traitée par ostéotomie puis prothèse totale de hanche en 2008 pour coxarthrose secondaire, ulcères variqueux
jambiers, exérèse de polypes coliques. L’IMC est de
37,1 kg/m2 (taille estimée 1,58 m, poids 92,6 kg).
On retient surtout : cancer prostatique de type adénocarcinome non opéré et traité par Casodex® depuis plus de 6 ans
(2006), bulbite ulcéreuse avec œsophagite sur hernie hiatale
214 MÉDECINE mai 2013
en 2011 (recherche d’Helicobacter pylori négative malgré une
gastrite chronique érosive à l’anatomo-pathologie), et tassement vertébral en L4 il y a 11 ans au décours d’une chute de
sa hauteur d’origine mécanique.
Le traitement médical comprend au moment de l’hospitalisation : Casodex® 50 mg par jour, Tamoxifène® 20 mg par
semaine, Loxen LP® 50 mg matin et soir, Propanolol® 40 mg
par jour, Kardégic® 75 mg, Pravastatine® 20 mg, Esoméprazole® 20 mg, Tramadol LP® 200 mg le matin, Dompéridone®,
Alprazolam® 0,25 mg matin et midi, Zolpidem® au coucher,
Vésicare® 10 mg.
M. CJ a une dénutrition modérée (CRP = 64 mg/L, albuminémie = 34 g/L, préalbumine = 0,13 g/L, protidémie à 57 g/L),
une fonction rénale normale (clairance de la créatininémie
calculée : 104 mL/minute), ainsi que les ionogramme sanguin, calcémie corrigée, phosphorémie, parathormonémie
(30,4 pg/mL), calciurie des 24 heures (106 mg), VS et électrophorèse des protéines sériques (en dehors d’une hypogammaglobulinémie à 5,2 g/L), bilan hépatique complet et
phosphatases alcalines osseuses (7,20 μg/L), 17 β-estradiol
(27 pg/mL, taux normal chez l’homme), cortisolémie de
8 heures. En revanche, la testostéronémie est modérément
abaissée (1,46 ng/mL, soit 5,06 mMol/L). Le taux des PSA
totaux est à 0,10 ng/mL. La NFS montre 10 170 GB dont
6 830 PNN et 1 880 lymphocytes par mm3 et pas d’anémie
(12,3 g/dL d’hémoglobine).
L’examen radiologique du rachis montre une arthrose dorsolombaire, un écrasement complet de la vertèbre T4, un tassement en diabolo de D11. L’ostéodensitométrie évalue au
col fémoral un T-score de – 0,6 (Z-score de 3,1 écarts-types)
et en lombaire un T-score de – 0,8 (Z-score de 2 écartstypes), ce qui témoigne de chiffres normaux selon la classification WHO donc sans augmentation de risque fracturaire
apparemment, même s’il pourrait s’agir d’ostéopénie.
Un holter-ECG des 24 heures a par ailleurs révélé un bloc
paroxystique auriculo-ventriculaire de 3e degré faisant envisager la pose d’un stimulateur cardiaque.
Au regard de ces 2 cas cliniques, 3 questions se posent :
– Doit-on conclure forcément à deux cas d’ostéoporose
masculine d’origine primaire ?
– Quel serait le « meilleur » traitement antiostéoporotique
dans ces 2 cas ?
– Y a-t-il priorité commune à instaurer un traitement vitaminique D ? Et comment ?
Qu'en est-il de l'ostéoporose
des hommes âgés ?
L’espérance de vie a augmenté depuis plusieurs décennies
en France comme partout dans le monde. Comme chez la
femme, l’ostéoporose masculine est devenue un véritable
problème de santé publique, sans doute resté silencieux du
fait que la plupart des études scientifiques se sont focalisées
sur un problème féminin de grande ampleur en rapport avec
la période post-ménopausique [1-3]. Or, les hommes aussi
sont victimes de la problématique des fractures et de leurs
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Cas clinique
conséquences en termes de morbi-mortalité. Un éditorial
paru en 2012 dans Journal of Osteoporosis insiste sur les
points-clés suivants [4] :
1. La morbi-mortalité et la perte d’autonomie après survenue
d’une fracture majeure sont accrues chez l’homme par rapport à la femme du fait surtout d’une surmortalité après fracture de hanche.
2. Les fractures de fragilité vont constituer chez l’homme un
plus fort pourcentage des fractures ostéoporotiques, du fait
de leur nombre considérable attendu dans les prochaines décennies.
3. L’identification des hommes à haut risque fracturaire n’est
pas satisfaisante, car la problématique n’a pas été jusqu’à
présent envisagée, alors que l’âge avancé, un antécédent
personnel de fractures de fragilité et une basse DMO sont à
eux trois des facteurs importants de fractures. Des outils
d’évaluation clinique du risque fracturaire existent tels que le
FRAX et le nomogramme de Garvan mais leur introduction
récente fait que leur utilité n’a pas été autant exploitée chez
l’homme. On s’est donc davantage focalisé sur des données
ostéodensitométriques, et des mesures du taux sérique en
17-β estradiol et surtout en 25 hydroxycholecalciférol ou vitaminique D dont il est prouvé que des taux bas sont associés à un plus haut risque de fracture de hanche chez les
Américains, et ce même après ajustement à la valeur de la
DMO.
4. Peu d’études concernent le traitement antiostéoporotique
instauré chez l’homme âgé, peu en évaluent l’efficacité antifracturaire. Le plus souvent, il s’agit d’études observationnelles ou d’enquêtes pharmaceutiques non randomisées. Cependant, le dénosumab et le toremifène ont prouvé leur
efficacité chez les hommes recevant une déprivation androgénique par traitement contre le cancer prostatique ; de
même, l’acide zolédronique a prouvé chez les hommes âgés
ostéoporotiques qu’il diminuait l’incidence des fractures vertébrales.
5. Même les hommes ayant un risque fracturaire élevé sont
rarement traités. Le paramètre qui indique un plus haut risque de fracture de façon invariable dans les études épidémiologiques est la fracture prévalente de fragilité (risque doublé à quadruplé d’une autre fracture ostéoporotique), ce qui
correspond à une situation très similaire dans la population
féminine postménopausique dont 50 % va bénéficier de l’apport ostéodensitométrique et/ou d’un traitement spécifique.
Le contraste est saisissant chez les hommes âgés ayant présenté une fracture, puisque moins de 10 % vont y avoir l’accès (1 sur 20 de ceux qui ont présenté la redoutable fracture
de hanche), de même que chez ceux recevant une corticothérapie au long cours et un traitement à visée antiandrogénique.
respectivement de 14 % et 7,3 %. Dans le calcul, le paramètre ostéodensitométrique DMO sur le col fémoral exprimé
en g/cme n’a pas été pris en compte : il n’est pas un déterminant exclusif de la résistance osseuse dans l’évaluation du
risque fracturaire et dans la décision de traiter : « quel que
soit le contexte, une ostéodensitométrie n’est indiquée que
si le résultat de l’examen peut a priori conduire à une modification de la prise en charge du patient » [6]. La stratégie de
décision dépend d’un ensemble de facteurs de risque dont
l’âge, les antécédents personnels de fractures par fragilité et
d’autres de type troubles neuromusculaires et orthopédiques, sévèrement présents chez ces deux patients.
Ostéoporose primaire acquise ?
L’atteinte trabéculaire puis corticale à un âge plus avancé se
sont probablement succédées.
Dans le 1er cas, il y a eu fracture malléolaire il y a quelque
temps, puis 5 fractures de côtes contiguës au décours d’une
chute banale chez un patient en l’occurrence très fragile du
fait des comorbidités.
Dans le 2e cas aussi, tout a commencé avec la survenue d’un
tassement (fracture vertébrale) une dizaine d’années avant
celle de 2 autres fractures majeures au col huméral et l’hémibassin gauches, motifs de sa perte d’autonomie aiguë actuelle, donc de son hospitalisation.
Une ostéoporose secondaire ne peut
cependant pas être éliminée
Le bilan métabolique endocrinien a montré la testostéronémie basse, témoin concret de l’avancée en âge. On aurait pu
penser que l’hypogonadisme serait davantage expliqué par
les effets secondaires connus des traitements anti-androgéniques Gn-RH tels que reçus régulièrement par le 2e patient.
Mais on s’aperçoit que c’est le premier patient qui a en fait
un taux beaucoup plus abaissé. On constate que les taux
estrogéniques en 17 β-estradiol restent dans une fourchette
normale, ce qui rassure quant au bienfait qu’ils peuvent maintenir théoriquement sur la DMO. Et finalement, c’est le premier patient qui ne reçoit pas de traitement GN-RH et qui
aura une ostéoporose confirmée nettement par l’ostéodensitométrie, alors que son taux estrogénique est resté également correct.
Faut-il traiter nos 2 patients
pour leur ostéoporose ?
Le premier cas
L'évaluation fracturaire
de nos 2 patients
Le FRAX calculé en ligne (sur www.shef.ac.uk/FRAX) pourrait être utilisé [5] : dans le 1er cas, la probabilité à 10 ans de
refaire une fracture majeure est de 14 %, d’être victime
d’une fracture de hanche de 7,8 % ; dans le 2 e cas,
L’âge, la DMO basse confirmée, les comorbidités de type
BPCO, le syndrome d’immobilisation aiguë initiale, la dénutrition, les troubles neuromusculaires et orthopédiques, la carence en vitamine D sont des conditions sine qua non qui ne
feront qu’aggraver la maladie ostéoporotique par la survenue
de fractures ultérieures dont la fracture de hanche (cf. encadré ci-dessous) [2, 7-9].
De nombreuses études scientifiques de ces dernières années ont fait l’analyse de l’efficacité des divers traitements
MÉDECINE mai 2013 215
STRATÉGIES
Cas clinique
spécifiques chez des femmes post-ménopausiques. Certaines ont pu démontrer l’efficacité chez l’homme des traitements suivants (recommandations de la société endocrinienne aux USA en 2012, approuvées par de grandes
agences telles que la Food and Drug Administration et l’European Medicines Agency [7]) : bisphosphonates (alendronate, risédronate et acide zolédronique) et tériparatide. Si les
patients ont présenté une fracture de hanche récente, l’acide
zolédronique est le produit suggéré. L’ibandronate, la calcitonine et le ranélate de strontium ne sont pas validés chez
l’homme en première intention.
Critères indiquant un traitement spécifique (recommandations américaines [7])
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– Fracture vertébrale et de hanche antérieure en l’absence
de traumatisme majeur.
– Pas d’expérience fracturaire, mais DMO au rachis, col fémoral ou hanche totale de – 2,5 déviations-standard ou
moins par rapport à la moyenne des hommes jeunes.
– T-score entre – 1 et – 2,5 au rachis, col fémoral ou hanche
totale, avec un risque d’avoir à 10 ans d’autres fractures
6 20 % ou de fracture de hanche 6 3 % en utilisant le
FRAX (de nouvelles études seront nécessaires pour déterminer des niveaux d’intervention appropriés utilisant d’autres algorithmes d’évaluation du risque fracturaire).
– Antécédents de corticothérapie au long cours avec une
posologie en prednisone ou équivalent supérieure à 7,5 mg/
jour pendant au moins 3 mois (recommandations 2010 de
la Société Américaine de Rhumatologie).
Le deuxième cas
Malgré une ostéodensitométrie normale, les facteurs de risques prédictifs de fractures ultérieures indiquent le traitement. Le risque de fracture en cascade vertébrale paraît
évident (premier antécédent fracturaire, 2 fractures majeures récentes). Le risque de fracture de hanche droite paraît
encore plus incisif au vu de l’ensemble des données dont
on dispose : antécédent personnel de fractures majeures
(au moins 3), hypogonadisme acquis probablement entretenu par la déprivation antiandrogénique d’origine iatrogène
(association de Casodex® + Tamoxifène®), dénutrition modérée et carence en vitamine D, syndrome d’immobilisation
aiguë prolongée. Le traitement le plus approprié serait le
dénosumab (AMM validée chez les hommes recevant une
thérapie antiandrogénique à visée anticancéreuse prostatique, ou ceux ayant des conditions morbides qui contre-indiquent l’usage des bisphophonates de type maladie ulcéreuse peptique, reflux gastro-œsophagien, syndrome de
malabsorption, cancer du tube digestif haut, etc. [7]. Ce
deuxième patient a d’ailleurs pour rappel l’antécédent de
gastro-bulbite ulcéreuse avec œsophagite sur hernie hiatale
connue.
L'acide zolédronique
L’alendronate augmente la DMO et réduit l’incidence des
fractures vertébrales radiographiques chez les hommes
ayant des T-scores abaissés au col fémoral ou le rachis, ou
ceux dont le T-score au col fémoral était d’au moins – 1 avec
216 MÉDECINE mai 2013
au moins une déformation vertébrale ou une histoire de fracture non vertébrale.
L’acide zolédronique a des effets très positifs chez les hommes ayant une DMO basse en réduisant nettement le risque
de fractures vertébrales et de hanche, comme l’a montré
l’étude randomisée HORIZON RFT Recurrent Fracture Trial
(acide zolédronique Aclasta® en perfusion annuelle chez des
hommes après une fracture de hanche) [10] : 2 127 patients
(âgés de 50 à 95 ans) ont été répartis en 2 groupes parallèles
(il y avait 23,3 % d’hommes dans le groupe traitement et
24,5 % dans le groupe placebo) ; le traitement a été associé
à une réduction du risque de nouvelles fractures cliniques de
35 % (critère principal étudié), de 46 % pour les nouvelles
fractures vertébrales cliniques et 27 % pour les non vertébrales en tant que critères secondaires, ainsi qu’une augmentation significative de la DMO du fémur total de 3,6 % chez
les hommes, comme chez les femmes.
Le dénosumab
Le dénosumab (Prolia®) est un anticorps monoclonal complètement humain dirigé contre le RANKL (qui est le ligand du
récepteur RANK se situant à la surface des ostéoclastes et
de leurs précurseurs), une cytokine essentielle à la formation,
la fonction et la survie des ostéoclastes. Il a été validé pour
le traitement de l’ostéoporose post-ménopausique chez les
femmes à haut risque de fractures [11, 12]. Il entraîne une
réduction rapide et marquée de la résorption osseuse. Il augmente la DMO des compartiments trabéculaire et cortical
des os et réduit significativement le risque fracturaire. L’effet
est même plus important que celui de l’alendronate. Dans
l’étude pivot FREEDOM, le dénosumab réduit le risque de
nouvelle fracture vertébrale, de hanche, et périphérique non
vertébrale de 68 % (p < 0,001), 40 % (p = 0,04), et 20 %
(p = 0,01), respectivement [12, 13]. Les effets chez l’homme
ostéoporotique et/ou présentant un hypogonadisme pharmacologique en rapport avec la prise de thérapie antiandrogénique sont très positifs : la DMO augmente de façon marquée et le risque fracturaire est significativement diminué
chez les hommes ayant un cancer prostatique, à la dose de
60 mg en sous-cutané tous les 6 mois pendant 3 ans. À la
posologie de 120 mg mensuellement, chez les hommes présentant un cancer prostatique résistant à la castration avec
des métastases osseuses, le dénosumab est supérieur à
l’acide zolédronique pour prévenir des événements fracturaires squelettiques tout en les retardant et même pour prolonger favorablement la survie chez ceux qui n’ont pas de métastases osseuses 1 [14].
Y a-t-il nécessité d'un suivi thérapeutique ?
Il est suggéré, mais non recommandé, de réévaluer une réponse au traitement en mesurant à nouveau la DMO au rachis et à la hanche tous les 1 à 2 ans : si la DMO a pu atteindre un plateau, la fréquence du suivi pourra être réduite. Les
recommandations américaines suggèrent également une
mesure des marqueurs sériques et urinaires du remodelage
osseux si un traitement contrôlant la résorption osseuse est
1. Cependant, le dénosumab n’a pas encore en France l’AMM dans le traitement des ostéoporoses post-ménopausique et masculine.
STRATÉGIES
Cas clinique
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utilisé et de la formation osseuse si une thérapie anabolique
de type testostérone-like est administrée. Selon les experts
européens, ces mesures n’ont pas démontré leur utilité et
ne sont pas recommandées en France [7].
Le débat sur l’utilité de l’ostéodensitométrie pour le suivi des
patients sous bisphophonates a été ouvert dans l’étude pivotale HORIZON PFT : le protocole d’utilisation de l’acide zolédronique (perfusion annuelle de 5 mg) est étendu à 6 ans
puisque le but est de poursuivre le traitement au bout des
3 ans tant que la DMO continue à augmenter. Cependant,
les patients de cette étude étaient uniquement des femmes
[20]. Chez l’homme, l’intérêt de la réalisation d’une ostéodensitométrie à 3 ans de traitement par l’acide zolédronique
pour voir ce qu’il en est de la DMO et poursuivre ou non
selon le résultat pas n’a pas encore été étudié (dans l’étude
HORIZON RFT, l’acide zolédronique devait être utilisé sur les
3 ans classiques [10]).
La vitamine D
Si la carence en vitamine D n’est pas corrigée, c’est-à-dire si
le taux sérique en 25 OH vitamines D2 + D3 n’est pas d’au
moins 30 ng/mL, le traitement bisphosphonate qui est antirésorptif et non pas autant anabolique osseux sur la formation osseuse risque d’entraîner par effet paradoxal indésirable des fractures osseuses fémorales dites diaphysaires
atypiques : le calcium ne pourra pas se fixer à l’os au sein
des unités de remodelage. Il ne faut donc pas instaurer d’emblée les bisphosphonates en présence d’une hypocalcémie,
d’une hypercalcémie et d’une carence vitaminique D, qui doivent d’abord être normalisés [16-19].
Conclusion
Le FRAX est un outil qui rend certainement pertinent l’indication de traiter l’ostéoporose masculine. La sévérité de celle-ci
s’obtient par l’ostéodensitométrie qui mesure de façon fiable
la DMO au col fémoral. La mesure de la DMO au site lombaire
peut être surestimée du fait de la dégénérescence arthrosique
expliquée par l’âge avancé d’autant plus que les centres radiologiques ne disposent pas encore de la mesure morphométrique vertébrale VFA (vertebral fracture assessment). Le choix
sélectif pour traiter l’ostéoporose masculine fracturaire se
porte sur les bisphophonates (l’acide zolédronique paraît
moins contraignant à utiliser par rapport aux produits per os, ce
qui en principe va consolider l’observance sur 3 à 5 ans) ou le
dénosumab particulièrement indiqué chez les patients sous
thérapie antiandrogénique ayant un cancer de la prostate.
Liens d’intérêts : aucun.
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L'ostéoporose de l'homme âgé. Cas cliniques
h C’est une maladie chronique grave à ne banaliser en aucun cas.
h C’est un problème majeur de santé publique. Le nombre de fractures par fragilité augmente rapidement. Leurs conséquences sont beaucoup plus sévères chez les hommes que chez les femmes. L’identification des hommes à plus haut risque
n’est à ce jour pas suffisante.
h L’ostéoporose masculine a été considérée jusqu’à maintenant comme « négligeable » : il y a eu toujours peu de données
portant sur des outils appropriés permettant d’évaluer le risque fracturaire et moins d’informations sur l’efficacité des
thérapeutiques disponibles chez les hommes que chez les femmes. Même avec un risque fracturaire évident, peu d’hommes sont traités avec le produit approprié.
MÉDECINE mai 2013 217
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