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Les évolutions contemporaines des sociétés occidentales représentent
un magnifique laboratoire pour reprendre le débat, pour peu qu’on les
étudie avec la précision et la rigueur de la méthode ethnographique qui s’est
diffusée dans l’ensemble des sciences sociales depuis les années 1980
9.
C’est l’ambition de cet ouvrage. L’évolution des mœurs, du droit et des
technologies de la reproduction a-t-elle conduit à dissocier davantage la
reproduction biologique, qui apparaît comme de plus en plus maîtrisée,
et le système de parenté qui se serait autonomisé des contraintes et des
ressources biologiques ? A-t-elle au contraire renforcé le lien entre les deux ?
Les années 1980-2010 ont connu plusieurs bouleversements importants
de ce point de vue. Le développement des savoirs sur le génome humain
d’une part, l’amélioration des techniques de procréation médicalement
assistée d’autre part, ont transformé les représentations et les pratiques
de la parenté, puis ont été diversement saisis par les systèmes juridiques
nationaux. À partir de 1987, la diffusion de tests sanguins qui permettent
de décrire avec précision la proximité génétique de deux individus (grâce à
l’étude de leur ADN) a renforcé la représentation biologique de la parenté.
Parallèlement, les progrès de la médecine procréative depuis les années
1980 ont dédoublé la représentation biologique de la maternité entre
reproduction génétique et gestation. En 1993, un jugement de la cour
suprême de Californie, dans l’affaire Johnson contre Calvert, a considéré que
la gestatrice n’était pas la « mère naturelle » de l’enfant, donnant d’ailleurs
la priorité moins à la génétique qu’à l’intention de procréer et transformant
ainsi radicalement le concept de « nature ». En 2002, l’Inde a autorisé la
gestation pour autrui, ouvrant la porte à une industrie médicale tournée
en partie vers l’exportation. En France, les premières lois de bioéthique
de 1994 ont réaffirmé l’indisponibilité du corps humain et le Code civil
considère, pour ce motif, toute « convention portant sur la procréation ou
la gestation pour le compte d’autrui » comme nulle 10. En 2002, la notion de
« personne de confiance » fait une entrée discrète dans le Code de la santé
publique grâce à la loi sur les droits des patients hospitalisés. Cette notion
introduit dans les relations avec les administrations et le corps médical la
dimension quotidienne de la parenté (notamment le concubinage, y compris
entre deux personnes de même sexe). Toujours en France, les débats sur
le pacs en 1998 puis sur le mariage pour tous en 2013 s’inscrivent dans