Les névroses du sujet âgé, rappel et progrès

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Les névroses du sujet âgé, rappel et progrès
thérapeutiques
DOCTEUR HILD (J)1 & HUBER (J.-P.)2
I. Quelles approches ?
Le 25/11/1993, nous avions eu au centre hospitalier de Rouffach une
séance commune à la société de gérontologie de l'Est et à l'association
francophone de psycho-gériatrie sur "les états névrotiques du sujet âgé". Force
est de constater que depuis, aussi bien la classification que la thérapeutique et
les bases théoriques se sont profondément modifiées, sans d'ailleurs
qu'aucune réponse claire ne puisse être apportée à des questions pourtant
fondamentales. Entre autres exemples :
1. Faut-il classer les névroses avec pour base la diversité des
molécules destinées à les traiter ? C'est choisir la facilité en renversant la
démarche médicale qui se fonde sur la séméiologie (hélas trop souvent bâclée,
et pas qu'en psychiatrie...; la gériatrie est souvent une heureuse exception)
pour arriver au diagnostic et de là à la thérapeutique. D'ailleurs que dirait-on,
pour ne prendre qu'un exemple, d'une classification qui unirait la douleur en
général et la prévention de l'infarctus du myocarde en particulier sous prétexte
que l'acide acétyl-salicylique est efficace dans les deux cas ?
2. La classification habituelle en névrose d'angoisse, névrose
phobique, névrose obsessionnelle (mauvaise traduction de l'allemand
"Zwangsneurose") et névrose hystérique reste la plus utilisée, mais ses
fondements théoriques ne sont actuellement pas plus admis que ne l'était
l'étiologie hystérique de l'hystérie à la fin du XIXème siècle, ce qui est quand
même gênant et ne contribue pas à l'avancement de la science.
3. Les classifications modernes, DSM IV ou CIM 10, ne se sont guère
montrées meilleures en la matière sauf pour la névrose la plus typique, la
névrose obsessionnelle, rebaptisée "trouble obsessionnel-compulsif". L'ajout
d'un syndrome post-traumatique destiné initialement aux vétérans des guerres
a été trop largement étendu depuis pour ne pas perdre de sa signification
initiale ; la volonté de vouloir à tout prix supprimer l'hystérie, n'a donné aucun
résultat : ce n'est pas parce qu'une affection est gênante qu'elle n'existe pas.
Enfin, ces classifications n'ont pas résolu la place de pathologies pourtant
fréquentes chez la personne âgée comme l'hypochondrie, l'anorexie ou les
addictions.
Faute de mieux, nous sommes donc restés classiques en rajoutant
cependant la question des troubles de la personnalité, auxquels s'intéressent
peu gériatres et psychiatres car au-delà des ressources thérapeutiques : il est
déjà difficile de modifier des troubles de la personnalité chez un adolescent,
alors à 80 ans ! Mais ce n'est pas une raison pour les ignorer car leur
connaissance permet d'éviter bien des troubles du comportement, aux
soignants cette fois.
1
Médecin-chef, Centre pour personnes âgées, 122 rue du Logelbach, BP 80469, 68020,
Colmar.
2
Médecin-chef, Centre hospitalier de Rouffach, 68250, Rouffach.
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II. L'anxiété et la névrose d'angoisse
A. Rappel clinique
1. En général
Tout névrosé est anxieux. Cette angoisse peut rester à l'état latent et ne
se traduire que par la simple propension à vivre dans un état de tension
permanente ou se manifester en grandes crises paroxystiques. Il importe donc
de la rechercher systématiquement, si elle n'apparaît pas d'emblée, et de ne
pas la confondre avec l'inquiétude légitime d'un sujet confronté au changement
et à la maladie.
Rappelons aussi que l'anxiété infantilise. D'une manière générale, le sujet
qui en est atteint continue de n'exister qu'en fonction d'autrui, que ce soit pour
en être regardé (comme dans le cas de l'hystérie) ou beaucoup plus
fréquemment pour en être simplement rassuré ; dans les deux cas, s'il y a
défaut par manque ou épuisement de l'aidant, l'angoisse apparaît. De même,
l'anxieux est incapable de se situer du point de vue d'autrui ; même quand il
proteste, comme l'hystérique, de son extraordinaire dévouement, il agit toujours
en fonction de lui seul et contribue ainsi à faire autour de lui un vide qui le
renforce dans son sentiment de solitude et donc d'angoisse.
Enfin, si l'anxieux est capable de rester adapté à des situations que ne
supporterait parfois pas un individu normal, c'est parce que le moindre
changement entraîne une résurgence intolérable de l'angoisse. Il est ainsi
amené à rester dans un état pénible, tout en en souffrant, plutôt que de faire
l'effort, insurmontable, d'essayer d'en trouver un autre plus acceptable.
2. Chez la personne âgée
a) Les changements sont nombreux
La vieillesse est la période des changements et des pertes, non
seulement sur le plan social et professionnel, mais sur celui du corps même. Il
faut donc s'adapter et nous venons de voir que l'anxieux en est particulièrement
incapable. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que la vieillesse puisse être le
moment où se décompense une structure névrotique jusque-là plus ou moins
contenue par un milieu social ou/et professionnel tolérant et compréhensif, en
tout cas assurant au sujet une protection satisfaisante contre ses angoisses.
b) La personnalité antérieure est mal appréciée.
On ne soulignera jamais assez combien en géronto-psychiatrie est
indispensable la connaissance de ce que le sujet a été : une névrose
d'angoisse ne se développe pas du jour au lendemain, même après un
traumatisme ; l'observation, banale d'ailleurs, que certains sujets supportent à
peu près tout ce qui peut arriver à un sujet humain et que d'autres craquent
pour des broutilles est là pour le prouver. Quand des sujets âgés sont seuls et
en souffrent de manière anxieuse, pourquoi sont-ils seuls si ce n'est, souvent,
parce que cette anxiété ancienne et l'égocentrisme qui en découle a contribué
à les isoler progressivement ?
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B. Le traitement
1. La chimiothérapie
Si nous commençons par elle ce n'est pas parce qu'elle est la plus
importante, loin de là, mais parce que les anxieux sont pratiquement toujours
des polymédicamentés et surtout des mal médicamentés particulièrement aux
benzodiazépines. On peut voir ainsi des ordonnances où, au fil des rencontres
médicales se sont multipliés bromazépam (Lexomil®), clorazépate dipotassique
(Tranxène®), lorazépam (Témesta®)) avec une pincée d'antidépresseurs,
parfois classiques, le plus souvent inhibiteurs de la recapture de la sérotonine.
Il y a parfois plus exotique, du domaine de l'antibiothérapie par exemple...
Le traitement doit donc souvent commencer par une véritable cure de
sevrage qui n'est pas simple avec les risques, entre autres, de crises comitiales
en cas d'arrêts trop brutaux de benzodiazépines remplacés par des
neuroleptiques qui, même à faible dose, peuvent être épileptogènes. Et ne
parlons pas des risques de chute, surtout quand d'autres facteurs se
surajoutent (un abus d'alcool, certains antalgiques, des antihypertenseurs trop
dosés, un diabète à taux variable...). Et dans tout cela il faut tenir compte du
patient qui ne prendra évidemment que ce qu'il voudra bien tout en cachant
l'essentiel et en se fiant plus à ce qui lui dira sa voisine que son médecintraitant.
Il y a des cas où il ne faut pas insister quand le ou la patient(e) est
obstiné(e) et l'échec programmé ou quand la posologie est minime, ancienne et
bien tolérée ; parfois et même souvent, on ne peut rien faire sauf à passer par
une véritable cure de sevrage en milieu psychiatrique qui nécessite l'accord du
patient, souvent très transitoire, et de la famille (idem).
À supposer que, par miracle, le malade n'ait aucun traitement trop toxique
et qu'il soit coopérant, il faudra essayer de le soulager d'un phénomène aussi
intolérable, sinon plus parfois, qu'une douleur physique. Laisser une
benzodiazépine pas trop toxique comme l'oxazépam (Séresta®) peut être une
solution. Les neuroleptiques à faible posologie, en particulier les benzamides
substituées (sulpiride, amisulpride, tiapride) peuvent aussi servir en ayant
présent à l'esprit qu'il s'agit de produits nécessitant un bilan cardio-vasculaire
sérieux et qu'ils peuvent quand même induire des phénomènes dyskinétiques
peu graves mais spectaculaires et mal tolérés par le malade et son entourage ;
de plus, comme tous les neuroleptiques, ils peuvent décompenser une maladie
de Parkinson débutante ou une démence sénile de type Alzheimer.
2. La psychothérapie
Les approches cognitivo-comportementales, très à la mode chez le sujet
jeune, ont fort peu de spécialistes chez le sujet âgés et sont très chronophages.
La psychothérapie classique et rassurante, répétée le plus possible, reste
encore le plus efficace mais encore faut-il que les capacités cognitives du sujet
la permettent efficacement. Elle nécessite aussi un (ou plutôt une) psychologue
spécialisée dans la pathologie du sujet âgé ce qui n'est pas plus fréquent
malheureusement que pour les psychiatres.
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3. La sociothérapie
C'est l'essentiel si le sujet est en institution : une équipe d'infirmière bien
soudée, permanente si possible et sachant agir de concert est certainement ce
qui fait de plus efficace. En ce sens le rôle de l'hôpital de jour gériatrique est
irremplaçable s'il permet de disposer de la dite équipe et ainsi de répartir sur un
grand nombre de sujets des moyens hélas trop rares.
III. Les phobies
A. Rappel clinique
Elles se distinguent essentiellement de l'angoisse habituelle :
1. par leur intensité
Elle peut aboutir au trouble panique, sur lequel je n'insisterais pas car il
est bien connu de tous les praticiens par son déclenchement brutal, parfois
sans motif évident, souvent nocturne, facilement calmé par la seule présence
rassurante d'un soignant (à condition que lui-même ne panique pas). Le piège
est surtout avec une confusion mentale ou un trouble somatique (et les
rapports entre les deux ne sont d'ailleurs pas simples).
2. par leur séméiologie
Chez le sujet âgé, il s'agit souvent d'agoraphobie pouvant être plus
invalidante qu'une affection somatique grave et clouer le sujet au lit. Dans ces
conditions toute tentative de recherche d'autonomie trop ferme peut aller à
l'encontre du but recherché si l'on ne comprend pas qu'une affection somatique
(fracture du col du fémur par exemple) donne au sujet une bonne "excuse" en
lui permettant de rester chez lui sans encourir trop de reproches : il faut savoir
parfois limiter ses ambitions en la matière car l'échec ne fait que rendre plus
difficile d'autres tentatives ultérieures.
B. Le traitement
1. Dans le trouble panique
Il est simple : une benzodiazépine éventuellement par voie intramusculaire plus pour des raisons psychologiques que pharmacologiques.
2. Dans l'agoraphobie
On se heurte au même problème que dans l'anxiété simple, et je
n'insisterai donc pas sauf pour signaler que les inhibiteurs de la recapture de la
sérotonine seraient plus efficaces ; ils ne sont cependant pas toujours anodins
surtout chez des sujets qui boivent peu. Sur le plan psycho et socio-thérapique
c'est plus difficile : que faire contre la force d'inertie ? C'est de loin la plus
efficace. Le principal est que les soignants comprennent et on peut assister
patiemment à des améliorations inespérées.
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IV. Les troubles obsessionnels-compulsifs
A. Rappel clinique
Il n'est bien sûr pas question ici de rappeler une séméiologie en général
tout à fait typique et qui date très souvent de longtemps, parfois de l'enfance,
même si des circonstances sociales favorisantes ont permis une insertion
apparemment bonne : là encore, il faut insister sur la nécessité absolue de
l'anamnèse : le sujet ne commence pas à exister quand le soignant entre en
contact avec lui. Il est plus intéressant de signaler des formes d'apparition
tardive, parfois cycliques d'ailleurs, disparaissant comme elles sont apparues
pour réapparaître sans que l'on sache trop pourquoi.
B. Traitement
Il s'agit à cet âge d'une affection ancrée dont le but se limitera à borner
l'extension. Les conseils à l'entourage ne sont pas inutiles : il ne doit par
exemple pas faire à la place du patient les rituels que celui-ci n'a plus la force
de faire par lui-même (cela se voit, surtout dans un vieux couple). Surtout, il
faut se méfier des décompensations mélancoliques, voire brutalement
suicidaires, que cette impuissance peut entraîner. Le plus efficace reste les
inhibiteurs de la recapture de la sérotonine à forte posologie (d'ailleurs parfois
déjà prescrits), en évitant les benzodiazépines ; chez le sujet jeune, le
traitement cognitivo-comportemental est en principe associé mais il réussit
beaucoup moins bien chez le sujet âgé, encore que les publications sur le sujet
soient rares car rares sont ceux qui s'y intéressent.
V. La névrose hystérique
A. Rappel clinique
Non, les hystériques ne meurent pas à quarante ans, elles (ou ils)
peuvent vivre âgé(e)s et même parfois très âgé(e)s, en restant toujours aussi
pénibles (voire toxiques) pour leur entourage, s'il en reste un. C'est d'ailleurs la
disparition plus ou moins progressive de celui-ci (sauf quelques bonnes âmes
vite détrompées) qui fait la gravité de l'affection à cette âge : sans spectateurs,
l'hystérique meurt, au sens propre, et son suicide, même s'il reste théâtral, peut
n'en être pas moins très efficace. L'hypochondriaque est beaucoup moins
dangereux : lui, il sait qu'il est malade, il n'a donc aucune raison d'être angoissé
et, s'il persécute les soignants, il n'a pas de raisons de se suicider pour prouver
sa douleur. Au contraire, chez l'hystérique, la maladie n'est qu'un médiateur lui
permettant une dernière fois de se rendre intéressant(e), fût-ce au détriment de
sa propre santé.
Inutile de dire que l'hyperexpressivité des émotions, le théâtralisme, les
tentatives de séduction, accompagnent la pauvreté des sentiments : rien ne
compte pour l'hystérique en dehors d'elle (ou de lui, car il y a des hommes
hystériques, il ne faut pas l'oublier), y compris les enfants.
B. Traitement
À cet âge, il est évidemment impossible et ne peut se limiter qu'à une
sociothérapie que, faute de mieux, je baptiserais "d'endiguement" : le moins de
médicaments possibles (mais paradoxalement, ce n'est pas trop difficile avec
les hystériques), sauf en cas d'agressivité manifeste, et surtout un travail
d'équipe sans faille, ce qui par contre est beaucoup plus difficile.
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VI. Les troubles de la personnalité
A. Rappel clinique
Nous terminerons par eux car ce sont les oubliés du CIM 10 qui les décrit
pourtant très bien. Il s'agit de sujets aux traits de personnalité à la limite du
pathologique, sans l'atteindre, qui décompensent lorsqu'ils changent de milieu
ou qu'une maladie vient perturber un équilibre que l'on croyait bien stable et qui
l'était trop pour pouvoir s'adapter à une modification quelconque du mode de
vie.
B. Traitement
Il sera malheureusement bref : la psychiatrie peut agir sur une maladie,
pas sur une personnalité (et c'est peut-être fort bien ainsi). La psychothérapie
(avec les mêmes réserves que précédemment) peut cependant être efficace
lors des phases de décompensation ; malheureusement, l'impuissance des
soignants, quels qu'ils soient, est souvent flagrante et ces sujets se suicident
finalement bien plus que les déprimés véritables.
C'est sur ce constat un peu triste que nous terminerons en vous
remerciant de votre attention.
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Les psychotropes et le sujet âgé
Les névroses du sujet âgé, rappel
et progrès thérapeutiques
Dr HUBER Rouffach
DR HILD Colmar
Les névroses du sujet âgé, rappel
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Le 25 novembre 1993, réunion de la SGE
Les états névrotiques du sujet âgé
Aujourd’
hui, approche à partir
Des thérapeutiques, des molécules ?
De la classification classique ?
Des classifications modernes,
DSM-IV, CIM 10 ?
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1 Anxiété, névrose d’
angoisse
Rappel clinique
Différente du stress post-traumatique
Appréciation de la personnalité antérieure
Traitement
Le sujet est le plus souvent déjà sous
traitement médicamenteux, de façon
+/- adéquate ..

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et progrès thérapeutiques
1 Anxiété, névrose d’
angoisse
Traitements
Approche psychologique, psychothérapique,
sociothérapique, cognitivo-comportementale
Traitements médicamenteux
Benzodiazépines, neuroleptiques à faible dose,
certains antidépresseurs.

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2 Phobies
Rappel clinique
Agoraphobie, trouble panique
Traitement
Sujets déjà traités
Principe : ne pas forcer, exemple :
rééducation forcenée

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2 Phobies
Traitement médicamenteux
Difficulté ++
Neuroleptiques à faible dose
IRS

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et progrès thérapeutiques
3 Troubles obsessionnels compulsifs
Rappel clinique
Antécédents ? Quoiqu’
il existe une
possibilité d’
apparition tardive ..
Souvent sujet relativement jeune
Traitement : tt cognitivo-comportemental,
IRS à forte dose ( surveillance ++ )

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4 Hystérie
Rappel clinique
Hystérie et hypocondrie
Hystérie tardive ( ? )
Traitement : quasi impossible !
Psychothérapie, sociothérapie, et les
traitements médicamenteux parfois actifs
sur la composante agressive et
TRAVAIL EN EQUIPE

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et progrès thérapeutiques
5 Troubles de l’
adaptation
Rappel clinique
Traitement
Sociothérapie, psychothérapie
( détérioration ? )

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