PARTIE 2 : TRAVAIL ET EMPLOI
CHAPITRE 3 : ORGANISATION DU TRAVAIL ET CROISSANCE
Au sein du premier grand thème (« Accumulation du capital, organisation du travail et croissance écono-
mique »), nous avons terminé la première partie (« Croissance, capital et progrès technique ») composée
des deux chapitres sur les sources et les limites de la croissance, et sur l'investissement. Nous abordons
maintenant la deuxième partie du premier thème, intitulée « travail et emploi », à l'intérieur de laquelle nous
étudierons tout d'abord la question du travail comme facteur de production (chapitre 3) puis la question des
relations entre croissance, emploi et progrès technique (chapitre 4).
Nous avons vu dans les deux chapitres précédents d'une part que la croissance était le résultat de la
combinaison des deux facteurs de production que sont le capital et le travail, rendue de plus en plus produc-
tive par le progrès technique, d'autre part que l'accumulation du capital (c'est-à-dire l'investissement) jouait
un rôle majeur dans la croissance.
Ce premier thème était donc centré sur le rôle que joue le capital dans le mécanisme de la croissance
économique. De la même manière, nous allons maintenant nous interroger sur le rôle joué par le travail dans
le progrès technique et dans la croissance économique (avant de nous interroger dans le chapitre suivant
sur les liens ambigus entre croissance, progrès technique et emploi).
Avant d'entrer dans le vif du sujet, il nous faut préciser ce qu'on entend par « travail » et « emploi ».
Dans ce chapitre, nous allons envisager le travail plutôt dans son aspect individuel : le travail est une activité
humaine plus ou moins pénible, que les hommes mettent parfois au service de l'activité économique. Cela
implique que le travail se divise entre la partie qui n'est pas mise au service de l'économie, qu'on nomme
travail domestique, et le travail utilisé par l'économie, qui correspond alors à l'emploi.
Ainsi, « l'emploi » correspond à toute activité faisant l'objet d'une rémunération dans un cadre légal. Le
travail de préparation d'un repas ne devient un emploi que lorsqu'il est réalisé contre une rémunération, par
un cuisinier par exemple. Le corollaire de l'emploi est donc la question du chômage : lorsqu'on parle d'em-
ploi, on s'intéresse à l'aspect économique du travail, donc à la quantité de travail dont l'économie a besoin
pour fonctionner.
Ainsi, lorsqu'on parle de « travail » en économie, c'est en tant que facteur de production : pour fonction-
ner, l'économie a besoin du travail des hommes, c'est-à-dire de leur force physique et de leur réflexion intel-
lectuelle. Mais on peut tout à fait faire augmenter la quantité de travail sans modifier la quantité d'emplois, en
augmentant le temps de travail au sein de chaque emploi.
Il faut également noter que, même si la question de l'emploi fait principalement référence à la quantité de
travail rémunéré disponible (et nécessaire) dans l'économie, la question du travail fait appel à des réflexions
de natures économique et sociologique : la question du travail et de son organisation fait principalement ré-
férence à la façon dont on utilise l'homme pour produire. Cela a donc forcément de fortes répercussions sur
les travailleurs. Et en retour, ces répercussions sur les travailleurs (comme la contestation d'un mode d'or-
ganisation du travail) ont des conséquences directes sur la production. Dans ce chapitre qui traite des liens
entre l'organisation du travail et la croissance, nous aurons des regards croisés sur le travail en tant que pro-
ducteur de richesses.
1. Le taylorisme est un système de division des tâches qui entraîne des hausses de productivité
sources de croissance....................................................................................................................................2
1.1. L'idée de la division du travail ne date pas de Taylor : Adam SMITH avait déjà théorisé en 1776 ce mécanisme
connu des manufacturiers.....................................................................................................................................................2
1.1.1. La productivité peut être augmentée en divisant le travail au sein de l'entreprise........................................................................2
1.1.2. La productivité peut également être augmentée par la division du travail entre les entreprises...................................................2
1.2. Le taylorisme et l'Organisation Scientifique du Travail (OST) ont accru l'efficacité du travail....................................3
1.2.1. L'OST met en place une division horizontale du travail (parcellisation des tâches).....................................................................3
1.2.2. L'OST met en place une division verticale du travail (séparation entre tâches de conception et d'exécution)..............................3
1.2.3. L'OST détermine scientifiquement (par un « chronométrage ») la meilleure façon de produire (le « one best way »).................3
1.2.4. L'OST repose enfin sur la paiement aux ouvriers en fonction du travail réalisé (le « salaire aux pièces »)..................................3
1.3. Cette hausse époustouflante de la productivité est source d'une croissance soutenue par l'offre.............................3
1.3.1. Les gains de productivité sont très importants.............................................................................................................................3
1.3.2. ... mais ils ne sont pas utilisés par les entreprises pour augmenter les salaires de façon significative, ce qui pose un problème
de débouchés.......................................................................................................................................................................................4
2. Le fordisme est à l'origine d'une nouvelle forme de croissance économique.....................................4
2.1. Par la mise en place du travail à la chaîne, le fordisme est un mode d'organisation du travail qui approfondit l'OST
...............................................................................................................................................................................................4
2.1.1. « Apporter le travail à l'ouvrier au lieu d'amener l'ouvrier au travail »..........................................................................................4
2.1.2. Le fordisme apporte aussi une standardisation...........................................................................................................................4
2.2. Le fordisme, par l'intermédiaire du « compromis fordiste », favorise la croissance par le soutien de la demande....5
2.2.1. Le fordisme permet, tout comme le taylorisme, des hausses de productivité..............................................................................5
2.2.2. Le fordisme permet une baisse des prix de vente et une hausse des salaires des ouvriers........................................................5
2.2.3. Le fordisme permet surtout la croissance par un soutien de la demande....................................................................................5
2.3. Par le développement du « compromis fordiste », le fordisme est une forme de contrat social entre salariat et
patronat qui conduit à l'amélioration des conditions de vie des travailleurs........................................................................6
2.3.1. Le développement du salariat.....................................................................................................................................................6
2.3.2. Avec le compromis fordiste, le salariat devient un statut régi par des contrats, des lois, des conventions collectives et une
protection sociale..................................................................................................................................................................................6
2.3.3. Le compromis fordiste permet la diminution continue du temps qu'un individu consacre au travail au cours de sa vie................7
2.3.4. Il apparaît alors une « norme d'emploi »......................................................................................................................................7
3. Les nouvelles formes d'organisation du travail : le taylorisme est-il mort ?........................................7
3.1. La crise du fordisme.......................................................................................................................................................7
3.1.1. Les sociologues montrent que la disparition des « métiers » provoque une « aliénation » des travailleurs..................................7
3.1.2. Cette aliénation peut être à l'origine d'un ralentissement des gains de productivité.....................................................................8
3.1.3. Le compromis fordiste s'essouffle en raison du besoin de différenciation des produits, du besoin de qualité et de l'ouverture
internationale croissante.......................................................................................................................................................................8
3.2. ...provoque un enrichissement qualitatif des tâches des travailleurs dans l'industrie qui justifie l'appellation « post-
taylorisme »...........................................................................................................................................................................8
3.2.1. Le toyotisme (ou ohnisme) vise à rendre la production plus adaptable pour suivre l'évolution de la demande............................8
3.2.2. Le toyotisme s'appuie sur la polyvalence et l'autonomie des ouvriers, ainsi que sur la recherche de qualité...............................9
3.2.3. Le toyotisme permet la transformation des qualifications et individualisation des carrières.........................................................9
3.2.4. Le toyotisme favorise la division du travail entre entreprises par une « désintégration verticale de la production »...................10
3.3. Le « post-taylorisme » favorise la croissance par la diversification de l'offre de biens et services...........................10
3.4. Mais, notamment dans les services, on voit réapparaître des formes de travail répétitif qui font plutôt parler de
« néo-taylorisme »...............................................................................................................................................................10
3.4.1. Le taylorisme réapparaît là où on l'attendait le moins : dans les services..................................................................................11
3.4.2. Le toyotisme peut, comme le taylorisme, entraîner des conditions de travail propices aux maladies physiques et mentales....11
3.4.3. La norme salariale est également remise en cause : la précarité se développe et les statuts se multiplient au sein du salariat 12
La croissance dépend bien sûr d'abord de la quantité de travail disponible pour produire, comme nous
l'avons vu dans le premier chapitre (la croissance est une fonction positive de la quantité de travail et de
capital). Mais elle dépend aussi de la façon dont est utilisé le travail – c'est-à-dire de la structure, de l'utilisa-
tion faite par l'entreprise des emplois. C'est le deuxième point qui nous intéressera ici, c'est-à-dire l'organisa-
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tion du travail et son impact sur la croissance économique. Nous avons vu dans le chapitre précédent le rôle
majeur joué par le progrès technique pour expliquer la croissance économique. Nous allons voir plus préci-
sément ici comment il est à l'origine des transformations du travail et de l'emploi et comment il accroît l'effi-
cacité du travail. Nous étudierons ensuite dans le chapitre suivant les mécanismes qui relient la croissance
économique, le progrès technique et l'emploi (donc le chômage).
Le plan de ce chapitre sera chronologique : nous étudierons dans l'ordre les deux grandes formes d'or-
ganisation du travail (taylorisme et fordisme), puis nous nous poserons la question de l'actualité de cette divi-
sion du travail, à travers l'étude des formes nouvelles d'organisation du travail (toyotisme, néotaylorisme).
L'étude de chaque mode d'organisation du travail sera conduite en montrant quels en sont les principes et
quelles en sont les conséquences sur la croissance et sur le salariat.
Remarque : les transformations sont « successives » car leur apparition se succède dans le temps, cela
ne signifie pas qu'un mode d'organisation disparaît quand un autre apparaît. Les deux modes d'organisation
coexistent en général, on le verra avec le fordisme et ce que certains appellent le post-fordisme.
1. Le taylorisme est un système de division des tâches qui entraîne des
hausses de productivité sources de croissance
Comment les hommes s'organisent-ils pour produire toujours davantage ? En plus d'essayer d'augmenter
la quantité de facteurs de production, ils essaient de produire plus efficacement : on peut produire plus en
n'étant pas plus nombreux. Transformer l'organisation du travail a donc pour objectif d'augmenter son effica-
cité, c'est-à-dire de faire qu'avec la même quantité de travail, on produise plus. Tout le monde a déjà fait l'ex-
périence que, en s'organisant, on s'acquitte plus vite de ce que l'on a à faire (c'est vrai aussi pour le « travail »
scolaire !).
Ainsi, on considère que la découverte d'une nouvelle méthode d'organisation du travail fait partie du pro-
grès technique : l'innovation organisationnelle est une forme de progrès technique. Elle est source de gains de
productivité, et donc de croissance.
Nous reviendrons brièvement sur la théorie de la division du travail, avant de présenter le taylorisme puis
d'étudier ses conséquences sur la croissance.
1.1. L'idée de la division du travail ne date pas de Taylor : Adam SMITH
avait déjà théorisé en 1776 ce mécanisme connu des manufacturiers
1.1.1. La productivité peut être augmentée en divisant le travail
au sein de l'entreprise
Organiser le travail, c'est en fait le diviser en fonction de certains principes. Or, ce
sont surtout ces principes qui se transforment : l'idée même de la division du travail, et
de la spécialisation qui va avec, est une constante de l'organisation du travail.
Pour augmenter l'efficacité du travail, on observe qu'il faut répartir entre plusieurs
travailleurs les différentes phases de fabrication d'un produit. Chaque travailleur
n'effectuera plus qu'une partie, parfois très petite, de l'ensemble de la fabrication. Il
sera spécialisé dans une seule tâche et c'est le collectif des travailleurs qui assurera
la production et non plus un travailleur isolé. On divise donc le travail entre autant de
travailleurs qu'il y a de tâches différentes dans la production.
En 1776, dans La Richesse des nations, Adam SMITH démontre théoriquement comment cette division
technique du travail permet d'augmenter la productivité des travailleurs (vous pouvez ici utilement vous re-
porter au premier chapitre dans lequel nous avons étudié cette question plus en détail).
En utilisant un vocabulaire lié au progrès technique, nous pouvons dire que la division du travail fait l'objet
de nombreuses innovations, appelées innovations organisationnelles : les principales d'entre elles sont sans
doute l'Organisation Scientifique du Travail, inventée par Frédérick Winslow TAYLOR, ainsi que le travail à la
chaîne, inventé par Henry FORD (ou certainement, plus vraisemblablement, par ses ingénieurs).
1.1.2. La productivité peut également être augmentée par la division du travail entre les
entreprises
Mais il ne faut oublier non plus que cette division
du travail, source de productivité, existe au sein de
l'entreprise, mais également au sein de l'économie
toute entière, entre les entreprises. Plus largement,
l'organisation de la production est une forme
d'organisation du travail, source de productivité et de
croissance.
Les innovations organisationnelles (au sens de
Joseph Schumpeter, cf. chapitre 1) sont là aussi
multiples, mais toutes n'ont pas pour objectif d'aug-
menter la productivité. C'est le cas de l'intégration
verticale et de l'intégration horizontale qui permettent
d'augmenter les profits en faisant baisser le prix des
consommations intermédiaires, mais qui
n'engendrent pas de hausse de productivité.
Depuis les années 1980, ce type d'organisation
de la production a été bouleversé par une innovation
organisationnelle majeure, source de productivité
importante : la sous-traitance. La branche automobile
est moins productive si les constructeurs automobiles s'occupent eux-mêmes de toutes les tâches qui sont
nécessaires à la fabrication d'une voiture (conception, construction des pièces détachées, assemblage,
entretien des machines, ménage de l'entreprise, organisation des réceptions, publicité, vente, comptabilité,
etc.) que si chaque entreprise est spécialisée dans l'une de ces tâches : le ménage est sous-traité, c'est-à-dire
réalisé par une autre entreprise, ainsi que la fabrication des pièces détachées, la publicité, etc.
Cette question sera abordée à nouveau dans le chapitre suivant, à propos de la notion de flexibilité (ex-
terne) ; ainsi que dans le chapitre sur la mondialisation, à propos de la division internationale des processus
productifs.
1.2. Le taylorisme et l'Organisation Scientifique du Travail (OST) ont accru
l'efficacité du travail
Frederick Winslow Taylor (1856 1915) débute sa carrière en 1878 : il est ouvrier
tourneur dans une aciérie, la Midvale Steel Company. Il est autodidacte et devient
rapidement chef d’équipe, puis contremaître. Il doit alors faire face à ce qu'il appelle la
« flânerie systématique » des ouvriers qu'il a sous ses ordres. Pour résoudre ce problème,
il invente l'Organisation Scientifique du Travail (OST).
Adam Smith
Document 1 : la division externe du travail
Dans le monde de l'entreprise, la mode demeure à l'out-
sourcing, l'externalisation en français. Une tendance qui per-
dure, au contraire de beaucoup de modes managériales. Car
le dilemme qui consiste à choisir, soit de recourir à un presta-
taire extérieur, soit de faire soi-même, est au cœur de toute
activité économique. Et dans ce choix entre make or buy,
faire ou faire faire, la tendance est incontestablement depuis
plusieurs décennies à faire faire de plus en plus.
« Une lame de fond accompagnant la réorganisation des
entreprises autour de leur cœur de métier », à en croire le
Guide pratique de l'externalisation, édité par le Medef en
2001. Des propos confirmés par Bertrand Quélin, professeur
à HEC : « À l'horizon 2010 l'outsourcing sera pour les entre-
prises un mode de développement plus important que les
alliances ».
« D'un certain point de vue, l'externalisation est un proces-
sus assez banal, explique Bernard Emeriau du cabinet d'ex-
perts Syndex, qui assiste les comités d'entreprise, puisque
c'est la poursuite de la mise en œuvre de la division du tra-
vail, mais en dehors de l'entreprise ».
M. Chevalier, Alternatives économiques, n°210, janvier 2003.
F. W. TAYLOR
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Document 2 : le point de vue de Taylor sur l'homme
Ce laisser-aller ou le ralentissement volontaire des
cadences de travail procèdent de deux causes.
Premièrement, de l'instinct inné des hommes à se la couler
douce, que l'on pourrait qualifier de nonchalance naturelle.
Deuxièmement, d'un faisceau inextricable de raisonnements
découlant des relations des travailleurs avec leurs pairs, que
l'on pourrait appeler « nonchalance systématique » [...]
Cette commune propension à « se la couler douce » aug-
mente lorsqu'on rassemble un grand nombre de travailleurs,
qu'on les affecte à une tâche similaire et les rémunère sur
une base journalière et selon un taux uniforme.
Extrait de Frederick Winslow TAYLOR, La direction
scientifique des entreprises, 1911.
1.2.1. L'OST met en place une division horizontale du travail (parcellisation des tâches)
Pour résoudre ce problème de flânerie, TAYLOR décide d'appliquer une méthode ancienne : celle de la
division horizontale du travail qu'avait déjà décrite Adam SMITH. Il simplifie donc les tâches, et réduit égale-
ment les déplacements de ses ouvriers : tout ce qui leur est nécessaire pour produire (outils, petites pièces,
matières premières) est stocké à portée de main. Cela réduit déplacements, flânerie et « temps morts ».
1.2.2. L'OST met en place une division verticale du travail (séparation entre tâches de
conception et d'exécution)
L'organisation taylorienne implique un encadrement très strict des ouvriers. Pour cette raison, il devient
également nécessaire de séparer le travail de conception du travail d'exécution. Les ouvriers font ce que les
ingénieurs, qui ont étudié scientifiquement le processus de production au sein du « bureau des méthodes »,
leur disent de faire. Les ingénieurs déterminent les façons de produire et les gestes, divisent le travail, attri-
buent à chaque tâche un temps de réalisation. Les ouvriers n'ont plus à penser (ce qui prendrait du temps), ils
n'ont plus qu'à produire en respectant les consignes données par le « Bureau des Méthodes ».
L'entreprise taylorienne est donc organisée autour d'une structure « pyramidale ».
1.2.3. L'OST détermine scientifiquement (par un « chronométrage ») la meilleure façon
de produire (le « one best way »)
Mais l'innovation taylorienne fondamentale réside dans une idée qui est venue à l'ingénieur lorsqu'il ob-
serva une série d’ouvriers en les chronométrant. Il a alors identifié les méthodes les plus efficaces et les a
imposées à tous. Les tâches sont alors non seulement divisées, mais également prescrites (chaque geste est
précisément décrit). Il n'y a plus dans l'usine qu'une seule façon de pelleter, qu'une seule façon d'accomplir
chaque geste : le « one best way ». C'est ce qui rend nécessaire la division verticale du travail décrite
précédemment.
1.2.4. L'OST repose enfin sur la paiement aux ouvriers en fonction du travail réalisé (le
« salaire aux pièces »)
Qu'un ouvrier sache quel geste effectuer pour avoir une productivité maximale n'implique pas que c'est
effectivement ce qu'il va faire, et qu'il va ainsi arrêter de « flâner », de discuter avec ses collègues au lieu de
travailler. Le mécanisme est cependant finalisé par la mise en place d'un salaire « aux pièces », c'est-à-dire
proportionnel au travail réalisé : les ouvriers sont payés selon leur rendement, ce qui les incite à être produc-
tifs..
1.3. Cette hausse époustouflante de la productivité est source d'une
croissance soutenue par l'offre
1.3.1. Les gains de productivité sont
très importants...
Ce tableau permet d'observer les
hausses spectaculaires de productivité
qu'ont permis l'OST : on voit ainsi que la
productivité est multipliée par ....... grâce
à ces nouvelles méthodes de
production.
1.3.2. ... mais ils ne sont pas utilisés par les entreprises pour augmenter les salaires de
façon significative, ce qui pose un problème de débouchés
Mais grâce à ce tableau, on peut surtout observer quel est le gagnant principal de la mise en place de
l'OST. Avec les anciennes méthodes, la quantité produite par jour était de ........... tonnes d'acier, alors qu'avec
l'OST, elle est de ........... tonnes d'acier. Pour l'entreprise, cela lui coûtait $.......... par jour en salaires payés à
ses 400 ouvriers ; cela ne lui coûte plus avec l'OST que $.......... par jour en salaires. La tonne d'acier coûtait
donc $.......... à l'entreprise avant, et seulement $.......... après.
Certes, cette hausse de productivité occasionne une baisse des prix, mais qui profite aux consommateurs
de l'époque, qui ne sont pas les salariés. Le salariat n'a à la fin du XIXè siècle quasiment pas accès à la
consommation : les salaires sont encore très bas, et n'augmentent que très peu (en comparaison avec les
hausses de productivité induites).
Document 4 : les résultats obtenus par Taylor dans son aciérie
Anciennes mé-
thodes OST Taux de variation
Nombre d'ouvriers 400 140
Productivité par ou-
vrier et par jour 10 tonnes 59 tonnes
Gain journalier d'un
ouvrier $1,15 $1,88
Document 3 : la démarche de l'organisation scientifique du travail (OST)
C'est ainsi que nous commençâmes l'expérience du pel-
letage. [...] Le nombre de pelletées que chaque ouvrier ma-
nutentionna au cours de la journée fut compté et enregistré.
À la fin de la journée, la quantité de matière déplacée par
chaque ouvrier fut pesée et ce poids fut divisé par le nombre
de pelletées.
Nous déterminâmes ainsi la charge moyenne d'une pelle
et la fîmes varier [...] jusqu'à ce que nous constatâmes que le
tonnage le plus important manutentionné par jour cor-
respondait à une pelletée de 10 à 11 kg. Au-dessous de cette
charge, le tonnage commençait à diminuer. Ainsi, nous
avions établi d'une façon scientifique qu'un ouvrier bien
adapté à son travail, un pelleteur qualifié, pouvait réaliser la
meilleure journée de travail en déplaçant des pelletées de 10
kg. [...]
Dans l'usine, par la simple application de cette loi, au lieu
de permettre à chaque pelleteur de choisir et d'acheter sa
propre pelle, il devint nécessaire d'approvisionner quelque
huit à dix modèles différents de pelles, chacune étant appro-
priée à la manutention d'une catégorie déterminée de ma-
tière. [...] On construisit un grand magasin à pelles dans le-
quel on stocka non seulement les pelles, mais aussi des ou-
tils de tous genres correctement conçus et normalisés, tels
que des pioches, des piques, des barres de mine, etc. [...]
Puis des milliers d'observations avec mesure du temps ont
été faites pour étudier à quelle allure un ouvrier, utilisant
dans chaque cas le modèle convenable de pelle, pouvait en-
foncer sa pelle dans le tas de matière et l'en retirer correcte-
ment remplie. [...] Une étude de temps similaire fut faite avec
précision sur le geste de rejeter la pelle vers l'arrière et ainsi
de jeter la charge à une distance horizontale donnée et à une
hauteur également précise. On procéda à de telles études de
temps en faisant varier la distance et la hauteur. [...]
On put ainsi donner à l'agent chargé de diriger le travail
des pelleteurs tous les éléments nécessaires pour enseigner
aux ouvriers les méthodes exactes qu'ils devraient suivre
pour se servir de leur vigueur physique dans les meilleures
conditions et par conséquent leur assigner des tâches jour-
nalières qui soient si exactes qu'en les accomplissant les
ouvriers puissent avoir la certitude de gagner chaque jour la
prime importante qui est payée quand un ouvrier effectue sa
tâche. [...]
Quand chaque ouvrier arrivait à l'usine le matin, il trouvait
dans sa case son jeton numéroté et par-dessous deux mor-
ceaux de papier, l'un qui indiquait quels outils il devait de-
mander au magasin d'outillage et où il devait commencer de
travailler et le second qui lui donnait le compte rendu de ce
qu'il avait fait la veille, c'est-à-dire la quantité de travail qu'il
avait fournie et par conséquent la somme d'argent qu'il avait
gagnée. [...]
Pour pouvoir établir ce programme journalier et s'occuper
ainsi de chaque ouvrier, un par un, il fut nécessaire de
construire un bureau de préparation du travail [...]. Dans ce
bureau, le travail de chaque ouvrier était prévu plusieurs
jours en avance et les déplacements des ouvriers d'un poste
à un autre étaient déterminés par les employés qui utilisaient
à cet effet de grands plans de la cour. Ils agissaient de la
même façon qu'un joueur d'échecs qui déplace ses pièces
sur l'échiquier, et ils se servaient pour transmettre leurs
instructions du téléphone et de garçons de courses.
Frédérick Winslow TAYLOR, op.cit..
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Ces gains de productivité sont donc source de croissance car l'offre est de plus en plus compétitive : les
entreprises fonctionnent de mieux en mieux, elles sont de plus en plus compétitives. En autorisant des gains
de productivité importants, en incitant par le biais du salaire les ouvriers à aller de plus en plus vite, on aug-
mente la capacité de production des entreprises : c'est une croissance fondée sur l'offre.
Mais il reste un problème : qui va acheter ces biens produits en grande quantité ?
On peut ainsi penser, comme l'économiste canadien-américain John Kenneth GALBRAITH (1908 – 2006),
que les hausses très importantes de la productivité au début du XXè siècle, n'étant pas accompagnées d'une
hausse des salaires mais d'une hausse des profits, ont provoqué une hausse des investissements : au bout
du compte, on obtient une situation de « surinvestissement ». En effet, la production devient supérieure à la
demande. Les anticipations des entreprises sont à la baisse ; elles cessent d'investir ; ce qui a pour effet de
faire diminuer la demande (en investissement) ; les entreprises licencient ; la demande baisse à nouveau.
Ajoutons à ces ingrédients explosifs une spéculation boursière importante et nous avons la crise de 1929.
On prend conscience qu'on ne peut augmenter rapidement la production que si on trouve à l'écouler,
c'est-à-dire à la vendre. Jusque-là, on ne s'était guère soucié de la question des débouchés. Mais à partir du
moment où on produit beaucoup plus, il faut bien se poser la question. Et le début du XXème siècle ne trouve
guère de solutions à ce problème, à part la colonisation et la guerre (qui sont effectivement de nouveaux
débouchés). Mais ces « solutions » ne sont que momentanées.
Ce n'est qu'avec la hausse du pouvoir d'achat de la grande masse de la population, c'est-à-dire des tra-
vailleurs salariés, qu'on trouvera réellement une solution au problème des débouchés. C'est le fondement de
la production de masse, qui suppose la consommation de masse. Et c'est ce qui devient possible grâce à
l'organisation du travail mise en place par Henry FORD, qui payait ses ouvriers beaucoup mieux que ne le
faisaient ses concurrents. Le fordisme s'est donc étendu, permettant à la fois des gains de productivité élevés
et des gains de pouvoir d'achat permettant de vendre cette production. Il résolvait un problème que le
taylorisme ne permettait pas de résoudre.
2. Le fordisme est à l'origine d'une nouvelle forme de croissance écono-
mique
2.1. Par la mise en place du travail à la chaîne, le fordisme est un mode
d'organisation du travail qui approfondit l'OST
Henry FORD (1863 1947) est le propriétaire d'une
des premières entreprises automobiles, qu'il a fondée en
1903 à Détroit. Il met en œuvre dans ses usines une
nouvelle forme d'organisation du travail qui porte son
nom, et dont nous allons étudier les principes.
2.1.1. « Apporter le travail à l'ouvrier
au lieu d'amener l'ouvrier au
travail »
Le fordisme améliore ainsi l'Organisation Scientifique
du Travail par l'instauration du travail à la chaîne. FORD
(ou ses ingénieurs) imagine un procédé mécanisé de
convoyage (c'est-à-dire de transport) des produits en
cours de fabrication d'un ouvrier à un autre. C'est le système de la chaîne, et donc l'instauration du travail à la
chaîne. Concrètement, cela peut être un tapis roulant qui circule devant les travailleurs à une vitesse qui leur
permet de réaliser leur tâche. Les produits peuvent aussi être accrochés en l'air à une sorte de filin qui défile.
On peut tout imaginer mais le principe est toujours le même : le produit en cours de fabrication défile devant le
travailleur.
2.1.2. Le fordisme apporte aussi une standardisation
Avec la mise en place de la chaîne, l'ouvrier n'est plus maître de son rythme de travail, mais le type de
spécialisation est exactement le même que dans le taylorisme : il s'agit d'une parcellisation des tâches. Le
travail à la chaîne suppose que les
différentes opérations de fabrication soient
courtes, donc le travail est très parcellisé. Il
suppose aussi que les machines soient
relativement performantes pour que les
pièces produites aient toutes exactement les
mêmes dimensions de manière à pouvoir
être montées sans aucun ajustage (système
des pièces interchangeables ou
standardisation des pièces) : par exemple, il
faut que les trous percés dans une
carrosserie de voiture pour monter le rétroviseur aient exactement la taille de la vis que l'ouvrier suivant va
mettre dans ce trou (si le trou était trop petit, la vis n'entrerait pas et toute la chaîne serait arrêtée).
Lorsqu'on s'intéresse uniquement à la division du travail, le fordisme est donc très proche du taylorisme :
c'est pourquoi on peut parler de « modèle tayloro-fordien ».
2.2. Le fordisme, par l'intermédiaire du « compromis fordiste », favorise la
croissance par le soutien de la demande
Mais la grande nouveauté apportée par le fordisme se situe dans la façon d'envisager
la production et ses liens avec la consommation.
2.2.1. Le fordisme permet, tout comme le taylorisme, des hausses de
productivité
Si le taylorisme permettait la croissance en augmentant la capacité de production des
entreprises, qu'en est-il du fordisme ?
Le fordisme, comme le taylorisme, augmente directement la productivité du travail en
le parcellisant et en augmentant le rythme d'exécution. Il favorise également le renforcement de la
mécanisation (plus la tâche à effectuer est simple et courte, plus il est facile de la faire exécuter par une
machine).
Mais de plus, en produisant en grande série (production de masse), on cherche la réalisation d'écono-
mies d'échelle. Les économies d'échelle sont les économies réalisées par l'entreprise quand elle augmente
les quantités produites, c'est-à-dire la baisse du coût unitaire de production. Pourquoi produire en grande série
permet-il d'abaisser le coût unitaire ? D'abord parce que les coûts fixes (ceux qui ne changent pas quel que
soit le niveau de la production, par exemple le coût du gardien ou celui de la recherche) sont répartis sur une
plus grande production et donc diminuent par unité fabriquée. Ensuite parce que produire en grande série
permet d'obtenir des rabais chez les fournisseurs : par exemple, quand on est un gros client d'EDF, on paie
moins cher le KWh.
Henry FORD et sa Ford T
Henry FORD
Une chaîne de montage automobile
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2.2.2. Le fordisme permet une baisse des prix de vente et une hausse des salaires des
ouvriers
L'un des grands apports d'Henry FORD fut la mise en place du « five dollars a day », c'est-à-dire
l'augmentation très importante des salaires des ouvriers. Cette décision ne fut prise ni par altruisme, ni dans
l'espoir que les ouvriers n'achètent une Ford T (qui coûte 850$ en 1908, soit six mois de travail à 5$ la
journée). La raison est beaucoup plus cynique : un ouvrier bien payé est en effet plus productif.
En effet, un salarié bien payé est tout d'abord plus fidèle à son employeur, et pour des raisons humaines,
aura plus volontiers l'envie de travailler dur. Mais surtout, un salarié mieux payé que dans les autres
entreprises n'ira pas chercher d'emploi ailleurs : les salariés restent, et le turn-over (la rotation des salariés)
est plus faible. Or, le turn-over a des coûts importants pour l'entreprise, car un employé n'est pas efficace
immédiatement.
Lorsque le fordisme s'étend à l'économie, on obtient la base d'une logique productive très différente de
celle du XIXè siècle et qui va dominer au cours du XXè siècle : c'est la logique de la production de masse (ou
production en grande série) qui appelle une consommation de masse.
Le fordisme s'est répandu dans les entreprises des pays industrialisés après la seconde guerre mondiale.
L'apogée de ce système a ainsi coïncidé avec la période des « Trente glorieuses », c'est-à-dire la plus forte et
la plus longue période de croissance de l'époque industrielle. C'est pourquoi on a souvent associé cette
croissance avec cette organisation du travail en parlant de « croissance fordiste ».
2.2.3. Le fordisme permet surtout la croissance par un soutien de la demande
En effet, cette augmentation du pouvoir d'achat des salariés crée une dynamique entre l'offre et la de-
mande qui stimule la croissance : c'est ce que l'on appelle le « cercle vertueux de la croissance fordiste ». Les
gains de productivité réalisés en augmentant les quantités produites sont ici utilisés en partie pour augmenter
le pouvoir d'achat (par la baisse des prix de vente et/ou par la hausse des salaires), ce qui permet
d'augmenter la demande qui va à son tour stimuler la croissance de la production, et ainsi de suite. On peut
considérer que c'est ce qui s'est passé dans les pays occidentaux entre 1945 et 1975, pendant la période que
l'on appelle souvent « les Trente glorieuses » (selon l'expression de Jean FOURASTIE).
Les hausses de pouvoir d'achat permettent l'élévation du niveau de vie et « compensent » des conditions
de travail souvent difficiles et pénibles. C'est ce que l'on appelle le « compromis fordiste ». Les syndicats
cherchent à obtenir des contreparties financières à la dégradation des conditions de travail suscitée par
l'augmentation de la productivité.
Le mot « fordisme » désigne donc à la fois une forme d'organisation du travail dans l'entreprise et, au ni-
veau macro-économique, un mode de croissance caractéristique de l'après seconde guerre mondiale, fondé
sur des gains de productivité élevés redistribués en partie sous forme de gains de pouvoir d'achat, ce qui a
permis le développement de la production de masse et de la consommation de masse.
Document 6 : le modèle de croissance fordien
2.3. Par le développement du « compromis fordiste », le fordisme est une
forme de contrat social entre salariat et patronat qui conduit à l'a-
mélioration des conditions de vie des travailleurs
Parallèlement à l'amélioration de la condition ouvrière permise par le fordisme lui-même (par l'intermé-
diaire de la hausse des salaires et de la baisse des prix) s'est développée au cours du XXè siècle une forme
de contrat social au sein des sociétés
industrialisées : le « salariat » devient un statut, et
est par là encadré afin de permettre la protection
des travailleurs ; et les droits liés à ce statut sont
en constante augmentation jusque dans les
années 1990.
2.3.1. Le développement du
salariat
Ce graphique nous permet de nous rendre
compte de la mutation du monde du travail depuis
le milieu du XIXè siècle : alors qu'en 1850, la
majorité des emplois étaient des emplois non
Taux d'intérêt réel faible
Document 7 : le mouvement général de salarisation (en %
de la population active)
Document 5 : le fordisme et le compromis capital-travail
La France enregistre alors un nouveau compromis capital-travail :
les syndicats acceptent la modernisation productive contre la promesse
d'un partage des dividendes du progrès, en l'occurrence une
progression du salaire réel et la constitution d'un système de couverture
sociale étendue. [...]
L'action de l'État en matière de politique industrielle lance la
dynamique de reconstruction et surtout d'adoption des principes de la
production de masse. Des moyens financiers massifs sont mobilisés
pour permettre l'investissement dans les infrastructures, puis les
industries de base, enfin les branches plus tournées vers la
consommation. Le dynamisme de l'accumulation permet une
incorporation rapide des avancées technologiques, de sorte que la
productivité industrielle progresse très rapidement. Les gains
correspondants se diffusent aux autres secteurs grâce à l'évolution des
prix relatifs, et surtout la croissance du revenu salarial dans les
branches motrices, en l'occurrence la métallurgie parisienne. En
conséquence, l'augmentation des capacités de production et l'extension
du marché intérieur vont sensiblement de pair, puisque grâce au
compromis fordiste, les règles de distribution des gains de productivité
sont constantes.
D'un côté, le dynamisme du salaire réel alimente la consommation
qui favorise la modernisation des branches correspondantes. D'un autre
côté, l'investissement industriel se trouve stimulé puisqu'il doit répondre
à une demande dynamique ; son financement est aisé puisque le taux
de profit enregistre des niveaux sans précédent [...]. Une politique
monétaire permissive favorise de bas niveaux du taux d'intérêt réel,
adjuvant non négligeable pour une industrie gourmande en capital.
L'accès au crédit à la consommation permet une solvabilisation de la
demande des biens fordiens tels que l'automobile, les biens
d'équipement durables, le logement.
Mais la condition la plus essentielle est sans doute que les échanges
internationaux ont une importance limitée : [...] il n'y a pas de contrainte
de compétitivité. En conséquence, la demande interne alimente
effectivement l'industrie française, condition essentielle du bouclage du
circuit de la production et de la consommation de masse sur l'espace
national.
Robert BOYER, « La France, pas douée pour la croissance »,
Problèmes économiques, n° 2590, novembre 1998.
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