partie 2 : travail et emploi

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PARTIE 2 : TRAVAIL ET EMPLOI
CHAPITRE 3 : ORGANISATION DU TRAVAIL ET CROISSANCE
Au sein du premier grand thème (« Accumulation du capital, organisation du travail et croissance écono­
mique »), nous avons terminé la première partie (« Croissance, capital et progrès technique ») composée des deux chapitres sur les sources et les limites de la croissance, et sur l'investissement. Nous abordons maintenant la deuxième partie du premier thème, intitulée « travail et emploi », à l'intérieur de laquelle nous étudierons tout d'abord la question du travail comme facteur de production (chapitre 3) puis la question des relations entre croissance, emploi et progrès technique (chapitre 4).
Nous avons vu dans les deux chapitres précédents d'une part que la croissance était le résultat de la combinaison des deux facteurs de production que sont le capital et le travail, rendue de plus en plus produc­
tive par le progrès technique, d'autre part que l'accumulation du capital (c'est­à­dire l'investissement) jouait un rôle majeur dans la croissance. Ce premier thème était donc centré sur le rôle que joue le capital dans le mécanisme de la croissance économique. De la même manière, nous allons maintenant nous interroger sur le rôle joué par le travail dans le progrès technique et dans la croissance économique (avant de nous interroger dans le chapitre suivant sur les liens ambigus entre croissance, progrès technique et emploi).
Avant d'entrer dans le vif du sujet, il nous faut préciser ce qu'on entend par « travail » et « emploi ». Dans ce chapitre, nous allons envisager le travail plutôt dans son aspect individuel : le travail est une activité humaine plus ou moins pénible, que les hommes mettent parfois au service de l'activité économique. Cela implique que le travail se divise entre la partie qui n'est pas mise au service de l'économie, qu'on nomme travail domestique, et le travail utilisé par l'économie, qui correspond alors à l'emploi.
Ainsi, « l'emploi » correspond à toute activité faisant l'objet d'une rémunération dans un cadre légal. Le travail de préparation d'un repas ne devient un emploi que lorsqu'il est réalisé contre une rémunération, par un cuisinier par exemple. Le corollaire de l'emploi est donc la question du chômage : lorsqu'on parle d'em­
ploi, on s'intéresse à l'aspect économique du travail, donc à la quantité de travail dont l'économie a besoin pour fonctionner. Ainsi, lorsqu'on parle de « travail » en économie, c'est en tant que facteur de production : pour fonction­
ner, l'économie a besoin du travail des hommes, c'est­à­dire de leur force physique et de leur réflexion intel­
lectuelle. Mais on peut tout à fait faire augmenter la quantité de travail sans modifier la quantité d'emplois, en augmentant le temps de travail au sein de chaque emploi. Il faut également noter que, même si la question de l'emploi fait principalement référence à la quantité de travail rémunéré disponible (et nécessaire) dans l'économie, la question du travail fait appel à des réflexions de natures économique et sociologique : la question du travail et de son organisation fait principalement ré­
férence à la façon dont on utilise l'homme pour produire. Cela a donc forcément de fortes répercussions sur les travailleurs. Et en retour, ces répercussions sur les travailleurs (comme la contestation d'un mode d'or­
ganisation du travail) ont des conséquences directes sur la production. Dans ce chapitre qui traite des liens entre l'organisation du travail et la croissance, nous aurons des regards croisés sur le travail en tant que pro­
ducteur de richesses.
1. Le taylorisme est un système de division des tâches qui entraîne des hausses de productivité sources de croissance....................................................................................................................................2
1.1. L'idée de la division du travail ne date pas de Taylor : Adam SMITH avait déjà théorisé en 1776 ce mécanisme connu des manufacturiers.....................................................................................................................................................2
1.1.1. La productivité peut être augmentée en divisant le travail au sein de l'entreprise........................................................................2
1.1.2. La productivité peut également être augmentée par la division du travail entre les entreprises...................................................2
1.2. Le taylorisme et l'Organisation Scientifique du Travail (OST) ont accru l'efficacité du travail....................................3
1.2.1. L'OST met en place une division horizontale du travail (parcellisation des tâches).....................................................................3
1.2.2. L'OST met en place une division verticale du travail (séparation entre tâches de conception et d'exécution)..............................3
1.2.3. L'OST détermine scientifiquement (par un « chronométrage ») la meilleure façon de produire (le « one best way »).................3
1.2.4. L'OST repose enfin sur la paiement aux ouvriers en fonction du travail réalisé (le « salaire aux pièces »)..................................3
1.3. Cette hausse époustouflante de la productivité est source d'une croissance soutenue par l'offre.............................3
1.3.1. Les gains de productivité sont très importants.............................................................................................................................3
1.3.2. ... mais ils ne sont pas utilisés par les entreprises pour augmenter les salaires de façon significative, ce qui pose un problème de débouchés.......................................................................................................................................................................................4
2. Le fordisme est à l'origine d'une nouvelle forme de croissance économique.....................................4
2.1. Par la mise en place du travail à la chaîne, le fordisme est un mode d'organisation du travail qui approfondit l'OST
...............................................................................................................................................................................................4
2.1.1. « Apporter le travail à l'ouvrier au lieu d'amener l'ouvrier au travail »..........................................................................................4
2.1.2. Le fordisme apporte aussi une standardisation...........................................................................................................................4
2.2. Le fordisme, par l'intermédiaire du « compromis fordiste », favorise la croissance par le soutien de la demande....5
2.2.1. Le fordisme permet, tout comme le taylorisme, des hausses de productivité..............................................................................5
2.2.2. Le fordisme permet une baisse des prix de vente et une hausse des salaires des ouvriers........................................................5
2.2.3. Le fordisme permet surtout la croissance par un soutien de la demande....................................................................................5
2.3. Par le développement du « compromis fordiste », le fordisme est une forme de contrat social entre salariat et patronat qui conduit à l'amélioration des conditions de vie des travailleurs........................................................................6
2.3.1. Le développement du salariat.....................................................................................................................................................6
2.3.2. Avec le compromis fordiste, le salariat devient un statut régi par des contrats, des lois, des conventions collectives et une protection sociale..................................................................................................................................................................................6
2.3.3. Le compromis fordiste permet la diminution continue du temps qu'un individu consacre au travail au cours de sa vie................7
2.3.4. Il apparaît alors une « norme d'emploi »......................................................................................................................................7
3. Les nouvelles formes d'organisation du travail : le taylorisme est­il mort ?........................................7
3.1. La crise du fordisme.......................................................................................................................................................7
3.1.1. Les sociologues montrent que la disparition des « métiers » provoque une « aliénation » des travailleurs..................................7
3.1.2. Cette aliénation peut être à l'origine d'un ralentissement des gains de productivité.....................................................................8
3.1.3. Le compromis fordiste s'essouffle en raison du besoin de différenciation des produits, du besoin de qualité et de l'ouverture internationale croissante.......................................................................................................................................................................8
3.2. ...provoque un enrichissement qualitatif des tâches des travailleurs dans l'industrie qui justifie l'appellation « post­
taylorisme »...........................................................................................................................................................................8
3.2.1. Le toyotisme (ou ohnisme) vise à rendre la production plus adaptable pour suivre l'évolution de la demande............................8
3.2.2. Le toyotisme s'appuie sur la polyvalence et l'autonomie des ouvriers, ainsi que sur la recherche de qualité...............................9
3.2.3. Le toyotisme permet la transformation des qualifications et individualisation des carrières.........................................................9
3.2.4. Le toyotisme favorise la division du travail entre entreprises par une « désintégration verticale de la production »...................10
3.3. Le « post­taylorisme » favorise la croissance par la diversification de l'offre de biens et services...........................10
3.4. Mais, notamment dans les services, on voit réapparaître des formes de travail répétitif qui font plutôt parler de « néo­taylorisme »...............................................................................................................................................................10
3.4.1. Le taylorisme réapparaît là où on l'attendait le moins : dans les services..................................................................................11
3.4.2. Le toyotisme peut, comme le taylorisme, entraîner des conditions de travail propices aux maladies physiques et mentales... .11
3.4.3. La norme salariale est également remise en cause : la précarité se développe et les statuts se multiplient au sein du salariat 12
La croissance dépend bien sûr d'abord de la quantité de travail disponible pour produire, comme nous l'avons vu dans le premier chapitre (la croissance est une fonction positive de la quantité de travail et de capital). Mais elle dépend aussi de la façon dont est utilisé le travail – c'est­à­dire de la structure, de l'utilisa­
tion faite par l'entreprise des emplois. C'est le deuxième point qui nous intéressera ici, c'est­à­dire l'organisa­
tion du travail et son impact sur la croissance économique. Nous avons vu dans le chapitre précédent le rôle majeur joué par le progrès technique pour expliquer la croissance économique. Nous allons voir plus préci­
sément ici comment il est à l'origine des transformations du travail et de l'emploi et comment il accroît l'effi­
cacité du travail. Nous étudierons ensuite dans le chapitre suivant les mécanismes qui relient la croissance économique, le progrès technique et l'emploi (donc le chômage). Le plan de ce chapitre sera chronologique : nous étudierons dans l'ordre les deux grandes formes d'or­
ganisation du travail (taylorisme et fordisme), puis nous nous poserons la question de l'actualité de cette divi­
sion du travail, à travers l'étude des formes nouvelles d'organisation du travail (toyotisme, néotaylorisme). L'étude de chaque mode d'organisation du travail sera conduite en montrant quels en sont les principes et quelles en sont les conséquences sur la croissance et sur le salariat.
Remarque : les transformations sont « successives » car leur apparition se succède dans le temps, cela ne signifie pas qu'un mode d'organisation disparaît quand un autre apparaît. Les deux modes d'organisation coexistent en général, on le verra avec le fordisme et ce que certains appellent le post­fordisme. 1. Le taylorisme est un système de division des tâches qui entraîne des hausses de productivité sources de croissance
Comment les hommes s'organisent­ils pour produire toujours davantage ? En plus d'essayer d'augmenter la quantité de facteurs de production, ils essaient de produire plus efficacement : on peut produire plus en n'étant pas plus nombreux. Transformer l'organisation du travail a donc pour objectif d'augmenter son effica­
cité, c'est­à­dire de faire qu'avec la même quantité de travail, on produise plus. Tout le monde a déjà fait l'ex­
périence que, en s'organisant, on s'acquitte plus vite de ce que l'on a à faire (c'est vrai aussi pour le « travail » scolaire !). Ainsi, on considère que la découverte d'une nouvelle méthode d'organisation du travail fait partie du pro­
grès technique : l'innovation organisationnelle est une forme de progrès technique. Elle est source de gains de productivité, et donc de croissance.
Nous reviendrons brièvement sur la théorie de la division du travail, avant de présenter le taylorisme puis d'étudier ses conséquences sur la croissance.
1.1. L'idée de la division du travail ne date pas de Taylor : Adam SMITH avait déjà théorisé en 1776 ce mécanisme connu des manufacturiers
1.1.1. La productivité peut être augmentée en divisant le travail au sein de l'entreprise
Organiser le travail, c'est en fait le diviser en fonction de certains principes. Or, ce sont surtout ces principes qui se transforment : l'idée même de la division du travail, et de la spécialisation qui va avec, est une constante de l'organisation du travail. Pour augmenter l'efficacité du travail, on observe qu'il faut répartir entre plusieurs travailleurs les différentes phases de fabrication d'un produit. Chaque travailleur n'effectuera plus qu'une partie, parfois très petite, de l'ensemble de la fabrication. Il sera spécialisé dans une seule tâche et c'est le collectif des travailleurs qui assurera Adam Smith
la production et non plus un travailleur isolé. On divise donc le travail entre autant de travailleurs qu'il y a de tâches différentes dans la production. Page 2 / 11
En 1776, dans La Richesse des nations, Adam SMITH démontre théoriquement comment cette division technique du travail permet d'augmenter la productivité des travailleurs (vous pouvez ici utilement vous re­
porter au premier chapitre dans lequel nous avons étudié cette question plus en détail). En utilisant un vocabulaire lié au progrès technique, nous pouvons dire que la division du travail fait l'objet de nombreuses innovations, appelées innovations organisationnelles : les principales d'entre elles sont sans doute l'Organisation Scientifique du Travail, inventée par Frédérick Winslow TAYLOR, ainsi que le travail à la chaîne, inventé par Henry FORD (ou certainement, plus vraisemblablement, par ses ingénieurs).
1.1.2. La productivité peut également être augmentée par la division du travail entre les entreprises
Document 1 : la division externe du travail
Mais il ne faut oublier non plus que cette division Dans le monde de l'entreprise, la mode demeure à l'out­
du travail, source de productivité, existe au sein de sourcing, l'externalisation en français. Une tendance qui per­
l'entreprise, mais également au sein de l'économie dure, au contraire de beaucoup de modes managériales. Car toute entière, entre les entreprises. Plus largement, le dilemme qui consiste à choisir, soit de recourir à un presta­
l'organisation de la production est une forme taire extérieur, soit de faire soi­même, est au cœur de toute activité économique. Et dans ce choix entre make or buy, d'organisation du travail, source de productivité et de faire ou faire faire, la tendance est incontestablement depuis croissance. plusieurs décennies à faire faire de plus en plus.
Les innovations organisationnelles (au sens de « Une lame de fond accompagnant la réorganisation des Joseph Schumpeter, cf. chapitre 1) sont là aussi entreprises autour de leur cœur de métier », à en croire le multiples, mais toutes n'ont pas pour objectif d'aug­ Guide pratique de l'externalisation, édité par le Medef en menter la productivité. C'est le cas de l'intégration 2001. Des propos confirmés par Bertrand Quélin, professeur verticale et de l'intégration horizontale qui permettent à HEC : « À l'horizon 2010 l'outsourcing sera pour les entre­
prises un mode de développement plus important que les d'augmenter les profits en faisant baisser le prix des alliances ».
consommations intermédiaires, mais qui « D'un certain point de vue, l'externalisation est un proces­
n'engendrent pas de hausse de productivité.
sus assez banal, explique Bernard Emeriau du cabinet d'ex­
Depuis les années 1980, ce type d'organisation perts Syndex, qui assiste les comités d'entreprise, puisque de la production a été bouleversé par une innovation c'est la poursuite de la mise en œuvre de la division du tra­
organisationnelle majeure, source de productivité vail, mais en dehors de l'entreprise ».
M. Chevalier, Alternatives économiques, n°210, janvier 2003.
importante : la sous­traitance. La branche automobile est moins productive si les constructeurs automobiles s'occupent eux­mêmes de toutes les tâches qui sont nécessaires à la fabrication d'une voiture (conception, construction des pièces détachées, assemblage, entretien des machines, ménage de l'entreprise, organisation des réceptions, publicité, vente, comptabilité, etc.) que si chaque entreprise est spécialisée dans l'une de ces tâches : le ménage est sous­traité, c'est­à­dire réalisé par une autre entreprise, ainsi que la fabrication des pièces détachées, la publicité, etc. Cette question sera abordée à nouveau dans le chapitre suivant, à propos de la notion de flexibilité (ex­
terne) ; ainsi que dans le chapitre sur la mondialisation, à propos de la division internationale des processus productifs.
1.2. Le taylorisme et l'Organisation Scientifique du Travail (OST) ont accru l'efficacité du travail
Frederick Winslow Taylor (1856 – 1915) débute sa carrière en 1878 : il est ouvrier tourneur dans une aciérie, la Midvale Steel Company. Il est autodidacte et devient rapidement chef d’équipe, puis contremaître. Il doit alors faire face à ce qu'il appelle la « flânerie systématique » des ouvriers qu'il a sous ses ordres. Pour résoudre ce problème, il invente l'Organisation Scientifique du Travail (OST).
F. W. TAYLOR
Document 2 : le point de vue de Taylor sur l'homme
Ce laisser­aller ou le ralentissement volontaire des Cette commune propension à « se la couler douce » aug­
cadences de travail procèdent de deux causes. mente lorsqu'on rassemble un grand nombre de travailleurs, Premièrement, de l'instinct inné des hommes à se la couler qu'on les affecte à une tâche similaire et les rémunère sur douce, que l'on pourrait qualifier de nonchalance naturelle. une base journalière et selon un taux uniforme.
Extrait de Frederick Winslow TAYLOR, La direction Deuxièmement, d'un faisceau inextricable de raisonnements scientifique des entreprises, 1911.
découlant des relations des travailleurs avec leurs pairs, que l'on pourrait appeler « nonchalance systématique » [...]
1.2.1. L'OST met en place une division horizontale du travail (parcellisation des tâches)
Pour résoudre ce problème de flânerie, TAYLOR décide d'appliquer une méthode ancienne : celle de la division horizontale du travail qu'avait déjà décrite Adam SMITH. Il simplifie donc les tâches, et réduit égale­
ment les déplacements de ses ouvriers : tout ce qui leur est nécessaire pour produire (outils, petites pièces, matières premières) est stocké à portée de main. Cela réduit déplacements, flânerie et « temps morts ». 1.2.2. L'OST met en place une division verticale du travail (séparation entre tâches de conception et d'exécution)
L'organisation taylorienne implique un encadrement très strict des ouvriers. Pour cette raison, il devient également nécessaire de séparer le travail de conception du travail d'exécution. Les ouvriers font ce que les Document 3 : la démarche de l'organisation scientifique du travail (OST)
C'est ainsi que nous commençâmes l'expérience du pel­ de jeter la charge à une distance horizontale donnée et à une letage. [...] Le nombre de pelletées que chaque ouvrier ma­ hauteur également précise. On procéda à de telles études de nutentionna au cours de la journée fut compté et enregistré. temps en faisant varier la distance et la hauteur. [...]
À la fin de la journée, la quantité de matière déplacée par On put ainsi donner à l'agent chargé de diriger le travail chaque ouvrier fut pesée et ce poids fut divisé par le nombre des pelleteurs tous les éléments nécessaires pour enseigner de pelletées.
aux ouvriers les méthodes exactes qu'ils devraient suivre Nous déterminâmes ainsi la charge moyenne d'une pelle pour se servir de leur vigueur physique dans les meilleures et la fîmes varier [...] jusqu'à ce que nous constatâmes que le conditions et par conséquent leur assigner des tâches jour­
tonnage le plus important manutentionné par jour cor­ nalières qui soient si exactes qu'en les accomplissant les respondait à une pelletée de 10 à 11 kg. Au­dessous de cette ouvriers puissent avoir la certitude de gagner chaque jour la charge, le tonnage commençait à diminuer. Ainsi, nous prime importante qui est payée quand un ouvrier effectue sa avions établi d'une façon scientifique qu'un ouvrier bien tâche. [...]
adapté à son travail, un pelleteur qualifié, pouvait réaliser la Quand chaque ouvrier arrivait à l'usine le matin, il trouvait meilleure journée de travail en déplaçant des pelletées de 10 dans sa case son jeton numéroté et par­dessous deux mor­
kg. [...]
ceaux de papier, l'un qui indiquait quels outils il devait de­
Dans l'usine, par la simple application de cette loi, au lieu mander au magasin d'outillage et où il devait commencer de de permettre à chaque pelleteur de choisir et d'acheter sa travailler et le second qui lui donnait le compte rendu de ce propre pelle, il devint nécessaire d'approvisionner quelque qu'il avait fait la veille, c'est­à­dire la quantité de travail qu'il huit à dix modèles différents de pelles, chacune étant appro­ avait fournie et par conséquent la somme d'argent qu'il avait priée à la manutention d'une catégorie déterminée de ma­ gagnée. [...]
tière. [...] On construisit un grand magasin à pelles dans le­
Pour pouvoir établir ce programme journalier et s'occuper quel on stocka non seulement les pelles, mais aussi des ou­ ainsi de chaque ouvrier, un par un, il fut nécessaire de tils de tous genres correctement conçus et normalisés, tels construire un bureau de préparation du travail [...]. Dans ce que des pioches, des piques, des barres de mine, etc. [...]
bureau, le travail de chaque ouvrier était prévu plusieurs Puis des milliers d'observations avec mesure du temps ont jours en avance et les déplacements des ouvriers d'un poste été faites pour étudier à quelle allure un ouvrier, utilisant à un autre étaient déterminés par les employés qui utilisaient dans chaque cas le modèle convenable de pelle, pouvait en­ à cet effet de grands plans de la cour. Ils agissaient de la foncer sa pelle dans le tas de matière et l'en retirer correcte­ même façon qu'un joueur d'échecs qui déplace ses pièces ment remplie. [...] Une étude de temps similaire fut faite avec sur l'échiquier, et ils se servaient pour transmettre leurs précision sur le geste de rejeter la pelle vers l'arrière et ainsi instructions du téléphone et de garçons de courses.
Frédérick Winslow TAYLOR, op.cit..
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ingénieurs, qui ont étudié scientifiquement le processus de production au sein du « bureau des méthodes », leur disent de faire. Les ingénieurs déterminent les façons de produire et les gestes, divisent le travail, attri­
buent à chaque tâche un temps de réalisation. Les ouvriers n'ont plus à penser (ce qui prendrait du temps), ils n'ont plus qu'à produire en respectant les consignes données par le « Bureau des Méthodes ». L'entreprise taylorienne est donc organisée autour d'une structure « pyramidale ».
1.2.3. L'OST détermine scientifiquement (par un « chronométrage ») la meilleure façon de produire (le « one best way »)
Mais l'innovation taylorienne fondamentale réside dans une idée qui est venue à l'ingénieur lorsqu'il ob­
serva une série d’ouvriers en les chronométrant. Il a alors identifié les méthodes les plus efficaces et les a imposées à tous. Les tâches sont alors non seulement divisées, mais également prescrites (chaque geste est précisément décrit). Il n'y a plus dans l'usine qu'une seule façon de pelleter, qu'une seule façon d'accomplir chaque geste : le « one best way ». C'est ce qui rend nécessaire la division verticale du travail décrite précédemment.
1.2.4. L'OST repose enfin sur la paiement aux ouvriers en fonction du travail réalisé (le « salaire aux pièces »)
Qu'un ouvrier sache quel geste effectuer pour avoir une productivité maximale n'implique pas que c'est effectivement ce qu'il va faire, et qu'il va ainsi arrêter de « flâner », de discuter avec ses collègues au lieu de travailler. Le mécanisme est cependant finalisé par la mise en place d'un salaire « aux pièces », c'est­à­dire proportionnel au travail réalisé : les ouvriers sont payés selon leur rendement, ce qui les incite à être produc­
tifs.. 1.3. Cette hausse époustouflante de la productivité est source d'une croissance soutenue par l'offre
Document 4 : les résultats obtenus par Taylor dans son aciérie
Anciennes mé­
thodes
Nombre d'ouvriers
Productivité par ou­
vrier et par jour
Gain journalier d'un ouvrier
OST
Taux de variation
400
140
10 tonnes
59 tonnes
$1,15
$1,88
1.3.1. Les gains de productivité sont très importants...
Ce tableau permet d'observer les hausses spectaculaires de productivité qu'ont permis l'OST : on voit ainsi que la productivité est multipliée par ....... grâce à ces nouvelles méthodes de production.
1.3.2. ... mais ils ne sont pas utilisés par les entreprises pour augmenter les salaires de façon significative, ce qui pose un problème de débouchés
Mais grâce à ce tableau, on peut surtout observer quel est le gagnant principal de la mise en place de l'OST. Avec les anciennes méthodes, la quantité produite par jour était de ........... tonnes d'acier, alors qu'avec l'OST, elle est de ........... tonnes d'acier. Pour l'entreprise, cela lui coûtait $.......... par jour en salaires payés à ses 400 ouvriers ; cela ne lui coûte plus avec l'OST que $.......... par jour en salaires. La tonne d'acier coûtait donc $.......... à l'entreprise avant, et seulement $.......... après. Certes, cette hausse de productivité occasionne une baisse des prix, mais qui profite aux consommateurs de l'époque, qui ne sont pas les salariés. Le salariat n'a à la fin du XIXè siècle quasiment pas accès à la consommation : les salaires sont encore très bas, et n'augmentent que très peu (en comparaison avec les hausses de productivité induites). Ces gains de productivité sont donc source de croissance car l'offre est de plus en plus compétitive : les entreprises fonctionnent de mieux en mieux, elles sont de plus en plus compétitives. En autorisant des gains de productivité importants, en incitant par le biais du salaire les ouvriers à aller de plus en plus vite, on aug­
mente la capacité de production des entreprises : c'est une croissance fondée sur l'offre. Mais il reste un problème : qui va acheter ces biens produits en grande quantité ?
On peut ainsi penser, comme l'économiste canadien­américain John Kenneth GALBRAITH (1908 – 2006), que les hausses très importantes de la productivité au début du XXè siècle, n'étant pas accompagnées d'une hausse des salaires mais d'une hausse des profits, ont provoqué une hausse des investissements : au bout du compte, on obtient une situation de « surinvestissement ». En effet, la production devient supérieure à la demande. Les anticipations des entreprises sont à la baisse ; elles cessent d'investir ; ce qui a pour effet de faire diminuer la demande (en investissement) ; les entreprises licencient ; la demande baisse à nouveau. Ajoutons à ces ingrédients explosifs une spéculation boursière importante et nous avons la crise de 1929.
On prend conscience qu'on ne peut augmenter rapidement la production que si on trouve à l'écouler, c'est­à­dire à la vendre. Jusque­là, on ne s'était guère soucié de la question des débouchés. Mais à partir du moment où on produit beaucoup plus, il faut bien se poser la question. Et le début du XXème siècle ne trouve guère de solutions à ce problème, à part la colonisation et la guerre (qui sont effectivement de nouveaux débouchés). Mais ces « solutions » ne sont que momentanées.
Ce n'est qu'avec la hausse du pouvoir d'achat de la grande masse de la population, c'est­à­dire des tra­
vailleurs salariés, qu'on trouvera réellement une solution au problème des débouchés. C'est le fondement de la production de masse, qui suppose la consommation de masse. Et c'est ce qui devient possible grâce à l'organisation du travail mise en place par Henry FORD, qui payait ses ouvriers beaucoup mieux que ne le faisaient ses concurrents. Le fordisme s'est donc étendu, permettant à la fois des gains de productivité élevés et des gains de pouvoir d'achat permettant de vendre cette production. Il résolvait un problème que le taylorisme ne permettait pas de résoudre. 2. Le fordisme est à l'origine d'une nouvelle forme de croissance écono­
mique
2.1. Par la mise en place du travail à la chaîne, le fordisme est un mode d'organisation du travail qui approfondit l'OST
Henry FORD (1863 – 1947) est le propriétaire d'une des premières entreprises automobiles, qu'il a fondée en 1903 à Détroit. Il met en œuvre dans ses usines une nouvelle forme d'organisation du travail qui porte son nom, et dont nous allons étudier les principes.
2.1.1. « Apporter le travail à l'ouvrier au lieu d'amener l'ouvrier au travail »
Henry FORD et sa Ford T
Le fordisme améliore ainsi l'Organisation Scientifique du Travail par l'instauration du travail à la chaîne. FORD (ou ses ingénieurs) imagine un procédé mécanisé de convoyage (c'est­à­dire de transport) des produits en cours de fabrication d'un ouvrier à un autre. C'est le système de la chaîne, et donc l'instauration du travail à la Page 4 / 11
chaîne. Concrètement, cela peut être un tapis roulant qui circule devant les travailleurs à une vitesse qui leur permet de réaliser leur tâche. Les produits peuvent aussi être accrochés en l'air à une sorte de filin qui défile. On peut tout imaginer mais le principe est toujours le même : le produit en cours de fabrication défile devant le travailleur. 2.1.2. Le fordisme apporte aussi une standardisation
Avec la mise en place de la chaîne, l'ouvrier n'est plus maître de son rythme de travail, mais le type de spécialisation est exactement le même que dans le taylorisme : il s'agit d'une parcellisation des tâches. Le travail à la chaîne suppose que les différentes opérations de fabrication soient courtes, donc le travail est très parcellisé. Il suppose aussi que les machines soient relativement performantes pour que les pièces produites aient toutes exactement les mêmes dimensions de manière à pouvoir être montées sans aucun ajustage (système des pièces interchangeables ou standardisation des pièces) : par exemple, il Une chaîne de montage automobile
faut que les trous percés dans une carrosserie de voiture pour monter le rétroviseur aient exactement la taille de la vis que l'ouvrier suivant va mettre dans ce trou (si le trou était trop petit, la vis n'entrerait pas et toute la chaîne serait arrêtée). Lorsqu'on s'intéresse uniquement à la division du travail, le fordisme est donc très proche du taylorisme : c'est pourquoi on peut parler de « modèle tayloro­fordien ».
2.2. Le fordisme, par l'intermédiaire du « compromis fordiste », favorise la croissance par le soutien de la demande
Mais la grande nouveauté apportée par le fordisme se situe dans la façon d'envisager la production et ses liens avec la consommation.
2.2.1. Le fordisme permet, tout comme le taylorisme, des hausses de productivité
Si le taylorisme permettait la croissance en augmentant la capacité de production des entreprises, qu'en est­il du fordisme ? Henry FORD
Le fordisme, comme le taylorisme, augmente directement la productivité du travail en le parcellisant et en augmentant le rythme d'exécution. Il favorise également le renforcement de la mécanisation (plus la tâche à effectuer est simple et courte, plus il est facile de la faire exécuter par une machine). Mais de plus, en produisant en grande série (production de masse), on cherche la réalisation d'écono­
mies d'échelle. Les économies d'échelle sont les économies réalisées par l'entreprise quand elle augmente les quantités produites, c'est­à­dire la baisse du coût unitaire de production. Pourquoi produire en grande série permet­il d'abaisser le coût unitaire ? D'abord parce que les coûts fixes (ceux qui ne changent pas quel que soit le niveau de la production, par exemple le coût du gardien ou celui de la recherche) sont répartis sur une plus grande production et donc diminuent par unité fabriquée. Ensuite parce que produire en grande série permet d'obtenir des rabais chez les fournisseurs : par exemple, quand on est un gros client d'EDF, on paie moins cher le KWh. 2.2.2. Le fordisme permet une baisse des prix de vente et une hausse des salaires des ouvriers
L'un des grands apports d'Henry FORD fut la mise en place du « five dollars a day », c'est­à­dire l'augmentation très importante des salaires des ouvriers. Cette décision ne fut prise ni par altruisme, ni dans l'espoir que les ouvriers n'achètent une Ford T (qui coûte 850$ en 1908, soit six mois de travail à 5$ la journée). La raison est beaucoup plus cynique : un ouvrier bien payé est en effet plus productif. En effet, un salarié bien payé est tout d'abord plus fidèle à son employeur, et pour des raisons humaines, aura plus volontiers l'envie de travailler dur. Mais surtout, un salarié mieux payé que dans les autres entreprises n'ira pas chercher d'emploi ailleurs : les salariés restent, et le turn­over (la rotation des salariés) est plus faible. Or, le turn­over a des coûts importants pour l'entreprise, car un employé n'est pas efficace immédiatement.
Lorsque le fordisme s'étend à l'économie, on obtient la base d'une logique productive très différente de celle du XIXè siècle et qui va dominer au cours du XXè siècle : c'est la logique de la production de masse (ou production en grande série) qui appelle une consommation de masse.
Le fordisme s'est répandu dans les entreprises des pays industrialisés après la seconde guerre mondiale. L'apogée de ce système a ainsi coïncidé avec la période des « Trente glorieuses », c'est­à­dire la plus forte et la plus longue période de croissance de l'époque industrielle. C'est pourquoi on a souvent associé cette croissance avec cette organisation du travail en parlant de « croissance fordiste ». 2.2.3. Le fordisme permet surtout la croissance par un soutien de la demande
En effet, cette augmentation du pouvoir d'achat des salariés crée une dynamique entre l'offre et la de­
mande qui stimule la croissance : c'est ce que l'on appelle le « cercle vertueux de la croissance fordiste ». Les gains de productivité réalisés en augmentant les quantités produites sont ici utilisés en partie pour augmenter le pouvoir d'achat (par la baisse des prix de vente et/ou par la hausse des salaires), ce qui permet d'augmenter la demande qui va à son tour stimuler la croissance de la production, et ainsi de suite. On peut considérer que c'est ce qui s'est passé dans les pays occidentaux entre 1945 et 1975, pendant la période que l'on appelle souvent « les Trente glorieuses » (selon l'expression de Jean FOURASTIE). Document 5 : le fordisme et le compromis capital­travail
La France enregistre alors un nouveau compromis capital­travail : les syndicats acceptent la modernisation productive contre la promesse d'un partage des dividendes du progrès, en l'occurrence une progression du salaire réel et la constitution d'un système de couverture sociale étendue. [...]
L'action de l'État en matière de politique industrielle lance la dynamique de reconstruction et surtout d'adoption des principes de la production de masse. Des moyens financiers massifs sont mobilisés pour permettre l'investissement dans les infrastructures, puis les industries de base, enfin les branches plus tournées vers la consommation. Le dynamisme de l'accumulation permet une incorporation rapide des avancées technologiques, de sorte que la productivité industrielle progresse très rapidement. Les gains correspondants se diffusent aux autres secteurs grâce à l'évolution des prix relatifs, et surtout la croissance du revenu salarial dans les branches motrices, en l'occurrence la métallurgie parisienne. En conséquence, l'augmentation des capacités de production et l'extension du marché intérieur vont sensiblement de pair, puisque grâce au compromis fordiste, les règles de distribution des gains de productivité sont constantes. D'un côté, le dynamisme du salaire réel alimente la consommation qui favorise la modernisation des branches correspondantes. D'un autre côté, l'investissement industriel se trouve stimulé puisqu'il doit répondre à une demande dynamique ; son financement est aisé puisque le taux de profit enregistre des niveaux sans précédent [...]. Une politique monétaire permissive favorise de bas niveaux du taux d'intérêt réel, adjuvant non négligeable pour une industrie gourmande en capital. L'accès au crédit à la consommation permet une solvabilisation de la demande des biens fordiens tels que l'automobile, les biens d'équipement durables, le logement.
Mais la condition la plus essentielle est sans doute que les échanges internationaux ont une importance limitée : [...] il n'y a pas de contrainte de compétitivité. En conséquence, la demande interne alimente effectivement l'industrie française, condition essentielle du bouclage du circuit de la production et de la consommation de masse sur l'espace national.
Robert BOYER, « La France, pas douée pour la croissance », Problèmes économiques, n° 2590, novembre 1998.
Les hausses de pouvoir d'achat permettent l'élévation du niveau de vie et « compensent » des conditions de travail souvent difficiles et pénibles. C'est ce que l'on appelle le « compromis fordiste ». Les syndicats Page 5 / 11
cherchent à obtenir des contreparties financières à la dégradation des conditions de travail suscitée par l'augmentation de la productivité. Le mot « fordisme » désigne donc à la fois une forme d'organisation du travail dans l'entreprise et, au ni­
veau macro­économique, un mode de croissance caractéristique de l'après seconde guerre mondiale, fondé sur des gains de productivité élevés redistribués en partie sous forme de gains de pouvoir d'achat, ce qui a permis le développement de la production de masse et de la consommation de masse. Document 6 : le modèle de croissance fordien
Taux d'intérêt réel faible
2.3. Par le développement du « compromis fordiste », le fordisme est une forme de contrat social entre salariat et patronat qui conduit à l'a­
mélioration des conditions de vie des travailleurs
Parallèlement à l'amélioration de la condition ouvrière permise par le fordisme lui­même (par l'intermé­
diaire de la hausse des salaires et de la baisse des prix) s'est développée au cours du XXè siècle une forme de contrat social au sein des sociétés Document 7 : le mouvement général de salarisation (en % industrialisées : le « salariat » devient un statut, et de la population active)
est par là encadré afin de permettre la protection des travailleurs ; et les droits liés à ce statut sont en constante augmentation jusque dans les années 1990.
2.3.1. Le développement du salariat
Ce graphique nous permet de nous rendre compte de la mutation du monde du travail depuis le milieu du XIXè siècle : alors qu'en 1850, la majorité des emplois étaient des emplois non salariés (artisans, commerçants et exploitants agricoles principalement), en 2002 le salariat représente près de 90% de la population active. Ce sont donc deux phénomènes parallèles qui ont lieu depuis le XIXè siècle : le développement quantitatif du salariat et l'amélioration des conditions des salariés. Or, comme le montre le graphique, ces mouvements se sont largement accélérés pendant une période précise, celle des « Trente Glorieuses ».
2.3.2. Avec le compromis fordiste, le salariat devient un statut régi par des contrats, des lois, des conventions collectives et une protection sociale
Le capitalisme qui se développe au début du XIXè siècle est peu soucieux des hommes : tout le monde a lu ou vu des descriptions terribles de la condition ouvrière au début de l'industrialisation en France ou en Grande­Bretagne. Les travailleurs de l'industrie sont déjà des salariés, c'est­à­dire qu'ils perçoivent un salaire en échange de leur travail et qu'ils sont sous la dépendance complète de leur patron, mais le salariat n'est pas encore un statut. Pour qu'il le devienne, il faut encore qu'être salarié donne une place assortie de droits reconnus dans et par la société. C'est le processus qui se développe au cours du XXè siècle : les relations entre les patrons et les tra­
vailleurs se sont peu à peu organisées, en général sous l'impulsion de l'État qui a réussi à imposer des règles, en particulier au patronat. Le salariat se met en place et peu à peu, le droit du travail se développe et la protection des salariés s'améliore. Il faut souligner l'importance de l'inscription dans le droit de ce processus : le contrat de travail, les conventions collectives, le droit du travail sont des textes juridiques qui s'imposent à tous et qui ont progressivement défini le statut de salarié. Le statut de salarié est en premier lieu encadré par un contrat de travail, c'est­à­dire un texte qui prévoit les conditions de travail et de rémunération d'une personne embauchée par un employeur. Il est signé par les deux parties et s'impose à eux. Sa signature fait entrer la personne embauchée dans le statut de salarié. Elle le fait bénéficier des droits et protections assurés à tous les salariés. Elle lui impose également le respect d'un certain nombre d'obligations (vis­à­vis de son employeur ou des organismes sociaux). Le contrat de travail prévoit toujours aussi les conditions de sa rupture. Le contrat de travail est à de nombreux points de vue un contrat particulier : en effet, le salarié se voit quasiment tout imposer de la part de son patron. Il n'a quasiment aucune marge de manœuvre et le contrat est donc inégal. C'est pour cette raison que, petit à petit et suite aux revendications ouvrières, l'État a légiféré (c'est­à­dire voté des lois) pour protéger le salarié : c'est ce que l'on appelle le droit du travail.
Le droit du travail est l'ensemble des textes juridiques qui imposent des normes dans le domaine du travail. Ainsi, il existe une durée hebdomadaire légale du travail, une rémunération minimum légale (le SMIC, Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance, en France), des règles très précises portant sur l'emploi des mineurs de 18 ans, etc. Un contrat de travail qui ne respecterait pas ces normes serait invalidé, le droit du travail est donc une contrainte qui limite la liberté des employés, et surtout des employeurs quand ils éta­
blissent le contrat de travail. Parallèlement à ce droit du travail émanant directement de l'État se sont développées les conventions collectives, qui sont des accords signés par « branche » et qui accordent une meilleure protection ou plus de droits que le droit du travail. Par exemple, la branche « métallurgie » (c'est­à­dire les représentants des employeurs de la métallurgie et ceux des travailleurs de la métallurgie) peut signer un accord prévoyant que la durée maximale du travail sera, dans la branche, de 32 heures par semaine alors que le droit du travail prévoit 35 heures par semaine. De même, le salaire minimum dans une branche peut être supérieur au SMIC (mais jamais inférieur, car la loi prime sur tous les autres textes juridiques). La convention collective étend cet accord à toutes les entreprises de la branche (qu'elles aient eu des représentants lors de la négociation ou pas), qu'elles soient d'accord ou non. Les conventions collectives contiennent aussi en général une clas­
Page 6 / 11
sification précise des « métiers » de la branche : à chaque métier est associée une qualification, et à chaque qualification un métier, ce qui garantit au salarié une reconnaissance de sa qualification (et souvent de sa rémunération).
Remarquons que le développement de ces règles qui protègent les travailleurs n'est pas tombé du ciel : c'est le plus souvent par leurs luttes (en général avec les syndicats) que les salariés ont obtenu ces textes de loi. Cette protection n'a pas non plus empêché la croissance : au contraire, elle a permis ou a été obtenue contre une augmentation substantielle de la productivité du travail. Enfin, le développement du salariat est également allé de pair avec le développement de la protection sociale, qui est accordée à tout salarié : en échange de cotisations, le salarié est protégé en cas de maladie, de chômage, pour sa retraite, etc. Document 8 : les relations professionnelles et la protection sociale en France
1864 : suppression du délit de coalition.
1884 : liberté d'association professionnelle ; liberté de créa­
tion d'un syndicat.
1898 : loi sur les accidents du travail. La sécurité du travail relève des obligations des employeurs.
1928 : loi sur les assurances sociales, créant un début de sécurité sociale.
1936 : Accords Matignon (Front Populaire), favorisant les conventions collectives et instaurant la semaine de 40 heures et les congés payés.
1945­1946 : série de lois et d'ordonnances créant la Sécuri­
té sociale (maladie, maternité, famille, retraite).
1950 : création du salaire minimum interprofessionnel ga­
ranti (SMIG).
1967 : réforme de l'assurance chômage créant l'Agence Na­
tionale pour l'Emploi (ANPE).
1970 : création du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), dont le niveau peut augmenter avec la croissance du pays.
1971 : loi Delors organisant la formation professionnelle continue.
1998 et 2000 : lois Aubry instaurant les 35 heures.
Source : Nouveau Manuel de SES, La Découverte, 2003.
2.3.3. Le compromis fordiste permet la diminution continue du temps qu'un individu consacre au travail au cours de sa vie
A long terme (depuis un siècle), la durée du travail tend à baisser. Mais les modalités de cette baisse sont très variables. En voici quelques repères.
La durée annuelle de travail moyenne des actifs français est passée de 2 945 heures en 1870 à 1 542­
heures en 1992 (chiffres cités par Angus MADDISON), soit presque une division par deux. Cette évolution s'est faite en partie grâce à la loi, qui a réduit progressivement la durée légale de la semaine de travail (40h en 1936, 39h en 1981, 35h en 1998). Mais la réduction s'est aussi faite par des mesures individuelles, prise à l'initiative des employeurs ou des salariés : suppression d'heures supplémentaires, passage au temps partiel. La réduction du temps de travail s'opère encore plus à l'échelle de la vie entière. Ainsi, les études durent de plus en plus longtemps, alors que l'âge de la retraite a eu tendance à s'abaisser, du moins jusqu'à ces dernières années. Sur la vie d'un actif, le temps consacré au travail, compté en années, est aujourd'hui minoritaire : on passe plus de temps en formation ou à la retraite qu'en activité. La réduction du temps de travail n'est pas un processus linéaire. Durant les « Trente Glorieuses », quand la France connaissait une forte croissance et manquait de main d'œuvre, la durée individuelle de travail avait tendance à augmenter. Par contre, depuis le choc pétrolier de 1973 et la montée endémique du chômage, elle a tendance à baisser. Vous voyez que la réduction du temps de travail est un processus à la fois plus banal et plus complexe que les seules lois sur la durée hebdomadaire, sur lesquelles se focalisent le débat public. On doit noter également que diminuer le temps de travail n'a pas empêché une croissance économique tout à fait réelle : ce sont les gains de productivité qui ont permis cette forte baisse de la durée du travail tout en permettant la hausse des quantités produites. 2.3.4. Il apparaît alors une « norme d'emploi »
On a donc bien ici un statut de salarié, contraignant et relativement rigide : droit du travail, contrat de tra­
vail, conventions collectives, protection sociale, encadrement du temps de travail. Cela correspond à ce que certains économistes appellent « la norme d'emploi fordiste », c'est­à­dire des emplois salariés, à temps plein, à durée indéterminée donc stables, voire très stables ou garantis comme pour les fonctionnaires en France, avec des salaires dont le pouvoir d'achat augmentait régulièrement grâce aux gains de productivité réalisés et à l'action des syndicats. Mais cela ne veut pas dire que ce statut est intangible (qu'on ne pourrait pas y toucher) : aujourd'hui, certains pensent que le salariat est remis en cause par les nouvelles façons de travailler, c'est ce que nous étudierons dans notre dernière partie.
La « norme d'emploi » que le fordisme a permis de mettre en place est caractérisée par : (1) un emploi en CDI (Contrat à Durée Indéterminée) ; (2) un emploi à temps plein ; (3) un salaire croissant avec l'ancienneté ; (4) une sécurité de l'emploi ; (5) une couverture sociale.
Pour conclure sur le fordisme, nous pouvons donc dire qu'il est une méthode de production qui repose sur l'approfondissement de l'OST avec l'introduction de la chaîne. Mais il est surtout un modèle de croissance économique reposant sur un partage des gains de productivité par l'augmentation des salaires et le développement de l'État­providence. 3. Les nouvelles formes d'organisation du travail : le taylorisme est­il mort ?
Le fordisme a eu un grand succès : il a marqué l'intégralité des « Trente Glorieuses ». Cependant, depuis les années 1970, il est remis en question au point que certains parlent d'un « post­taylorisme » (et donc d'un post­fordisme). En effet,on observe le développement des « NFOT » (Nouvelles Formes d'Organisation du Travail). Nous verrons dans un premier temps d'où provient la crise du fordisme, avant de nous intéresser au modèle qui l'a remplacé.
3.1. La crise du fordisme...
Alors même que le fordisme était en train de donner tous ses effets économiques, pendant les « Trente Glorieuses », il commençait à s'effriter. Ce sont en premier lieu ses conséquences sociales qui ont posé problème ; puis c'est le compromis fordiste qui s'est essoufflé.
3.1.1. Les sociologues montrent que la disparition des « métiers » provoque une « aliénation » des travailleurs
De nombreux sociologues se sont intéressés à la question de la division du travail et à ses conséquences sociales. En 1956, Georges FRIEDMANN décrit ce qu'il nomme le « travail en miettes » (Le Travail en miettes, 1956) : pour lui, le taylorisme fait en sorte que l'ouvrier n'ait plus aucun contrôle sur son travail, ni sur le résultat de son travail. L'émiettement du travail provoque ainsi une perte d'intérêt de l'ouvrier pour le travail. Parallèlement au sentiment d'exploitation par le patronat, cela explique les révoltes ouvrières.
Alain TOURAINE (La Conscience ouvrière, 1966) explique de la même façon comment le taylorisme a transformé les travailleurs : l'OST a conduit à la disparition des « métiers », c'est­à­dire des savoir­faire ouvriers, qui sont remplacés par le travail standardisé de « l'OS » (l'Ouvrier Spécialisé) : « Quand le métier rencontre la production de masse, le travail Page 7 / 11
en grande série, il est détruit dans les tâches de fabrication, ou déplacé dans les fonction d’outillage, d’entretien ou de réglage ».
La conséquence de ce travail en miettes et de cette disparition des métiers est « l'aliénation » (vocabulaire marxiste) des travailleurs : cela signifie que l'ouvrier est complètement dépossédé des fruits de son travail ; il n'a plus d'emprise sur son œuvre ; il devient une machine à produire.
Nous pouvons noter également qu'en plus de ces considérations, les conditions de travail des OS sont très difficiles : on voit notamment un développement des maladies professionnelles liées au travail répétitif (maladie physiques et maladies mentales).
3.1.2. Cette aliénation peut être à l'origine d'un ralentissement des gains de productivité
Les ouvriers ont toujours été opposés au taylorisme ; le syndicalisme a toujours essayé de lutter contre cet émiettement du travail. Cependant, pendant les « Trente Glorieuses », le mouvement ouvrier est apaisé par les hausses très significatives du pouvoir d'achat. En quelque sorte, les ouvriers échangent des conditions de travail difficiles contre un partage en leur faveur de la valeur ajoutée.
Cependant, dans les années 1960 et 1970, la main­d'œuvre « docile » commence à s'organiser. Les tra­
vailleurs s'opposent de plus en plus souvent au compromis fordiste. Le manque d'intérêt de leur travail, sa pénibilité se heurtent de plus en plus à l'élévation du niveau d'instruction des travailleurs et à leur aspiration à maîtriser leur activité. Ces revendications se traduisent concrètement dans des grèves, parfois violentes, et dont les mots d'ordre sont de moins en moins souvent uniquement salariaux : en mai 1968, en France, les slogans du genre « métro,boulot, dodo, y en a marre » traduisent ce ras­le­bol. Mais ces revendications se traduisent aussi par des attitudes anti­productives sur les lieux de travail : hausse de l'absentéisme, « cou­
lage » de la production (c'est­à­dire vol ou gaspillage de la production), « freinage » de la production (ralentissement), « turn over » croissant (les salariés changent souvent d'emploi, dès qu'ils en ont « assez »), contestation des « petits chefs » (c'est­à­dire essentiellement, des contremaîtres qui encadrent directement les équipes d'ouvriers). Le résultat se fait vite sentir : les gains de productivité se font de plus en plus lents, ce qui va à l'encontre des principes mêmes du fordisme. Nous voyons donc que des considérations sociales peuvent avoir des ré­
percussions économiques directes.
Alain Touraine
3.1.3. Le compromis fordiste s'essouffle en raison du besoin de différenciation des produits, du besoin de qualité et de l'ouverture internationale croissante
En plus de ces aspects sociaux, le fordisme s'essouffle sur ses fondements économiques : il se heurte aux exigences de la croissance. On peut penser que, en tant que mode d'organisation du travail, il est devenu plus un obstacle qu'un élément favorable à la croissance économique, et cela pour plusieurs raisons.
En premier lieu, il faut que les produits soient fabriqués en plus petites séries, que les chaînes de pro­
duction (le capital, donc) deviennent flexibles comme la main d'œuvre et son organisation. Le ralentissement économique après 1974 a en effet transformé les conditions de la croissance économique et ce sont les employeurs eux­mêmes qui se sont mis à « critiquer » le fordisme. Pourquoi ? Les consommateurs, dans les pays développés au moins, souhaitent de plus en plus se différencier de leurs voisins, et donc se détournent des produits standardisés : une fois que tous les consommateurs ont un réfrigérateur et une voiture, ils demandent un réfrigérateur « design », une voiture qui réponde à leurs besoins précis (certains veulent une petite voiture pour la ville, d'autres veulent une voiture familiale, d'autres encore une voiture pour transporter des biens, etc.). De plus la consommation est de plus en plus volatile, c'est­à­dire qu'elle change de plus en plus rapidement, à cause des effets de mode en particulier. C'est donc la fin, au moins pour un certain nombre de produits, de la production en grande série. En deuxième lieu, la qualité doit devenir un principe à la base de l'organisation du travail : d'une part, les consommateurs en font un argument essentiel d'achat, d'autre part la concurrence accrue fait que seuls les producteurs présentant des produits de qualité peuvent résister sur les marchés. Or la qualité dans la production ne s'obtient pas forcément par la contrainte sur le lieu de travail mais plutôt par la responsabilisa­
tion et l'autonomie des travailleurs constitués en équipe, principes qui ne sont pas vraiment au cœur du fordisme ! Enfin, le fordisme ne se trouve pas vraiment adapté à l'ouverture croissante de l'économie : on voit apparaître des pays dont la main­d'œuvre est bon marché, et qui peuvent produire à moindre coûts. Mais surtout, dans une économie ouverte, les hausses de salaires ne profitent plus nécessairement à l'économie nationale : une hausse de la demande française peut tout à fait soutenir la production chinoise, d'autant plus si cette dernière est moins chère. Ainsi, c'est le cercle vertueux du compromis fordiste, qui reliait hausses de la productivité, hausse de la demande et hausse de la production, qui est remis en cause.
Au total, l'organisation fordienne du travail est donc remise en cause. De nouveaux principes sont appli­
qués, ce qui permet à certains de parler d'organisation « post­fordienne » du travail. Mais cela ne signifie pas que le fordisme (et le taylorisme qui va avec) soit réellement en voie de disparition, comme nous le verrons dans notre dernière partie. Mécanisme fordiste
Problèmes rencontrés
Conséquence des problèmes
Rationalisation du travail
Parcellisation des tâches
Mécanisation
Rejet de la discipline fordiste : rotation de la main­ Crise du travail et ralentissement des d'œuvre (turn over) ; absentéisme, conflits.
gains de productivité.
Insuffisante utilisation du savoir­faire : faible adapta­
bilité des ouvriers (notamment aux nouveaux équi­
pements).
Standardisation des pro­
duits
Rigidité (coûts importants de changement de mo­ Incapacité à répondre au marché (à la dèle), insuffisante diversification des produits, négli­ demande), perte de compétitivité dite gence de la qualité, perte du contact avec le « hors coûts » (c'est­à­dire basée sur la qualité).
consommateur.
Ouverture internationale : (1) les hausses de salaires La croissance des salaires ralentit.
Mécanisme de croissance sont bloquées par la concurrence de pays à salaires fordiste
plus faibles ; (2) les hausses de la demande ne profitent pas nécessairement à l'économie nationale.
3.2. ...provoque un enrichissement qualitatif des tâches des travailleurs dans l'industrie qui justifie l'appellation « post­taylorisme »
3.2.1. Le toyotisme (ou ohnisme) vise à rendre la production plus adaptable pour suivre l'évolution de la demande
Le mot « toyotisme » vient de la marque automobile Toyota ; il fut inventé par l'ingénieur Taiichi Ohno, d'où l'appellation « ohnisme ». Ce mode d'organisation a donc d'abord été mis en place dans cette entreprise, puis au Japon en général, à partir du début des années 1960. La différence fondamentale avec le fordisme se situe dans le rôle attribué à la demande. Ici, elle a un rôle majeur : c'est elle qui déclenche le processus de production. On produit pour répondre à la demande, alors que dans le fordisme, on produit d'abord et on consomme ensuite ce qui a été produit. Qu'est­ce que cela change ? La production, et donc le travail, est organisée pour répondre aux exigences de la demande, en quantité et en qualité. Toyota a donc développé le principe du « juste­à­temps » : il faut produire ce que veut Page 8 / 11
le consommateur, quand il le veut. En pratique, cela est mis en œuvre par le principe du « kan ban » (littéralement le « bon de commande ») : quand un consommateur a une demande, un bon est rédigé, qui remonte petit à petit la chaîne de production (commande du produit à un atelier, qui commande les pièces à un autre atelier, etc.). On a donc un système de production d'aval en amont, et non d'amont en aval comme dans le taylorisme et le fordisme.
Cette adaptabilité de la production va permettre de revenir en partie sur la standardisation et d'offrir une gamme de produits plus diversifiée, et donc plus adaptée aux goûts des consommateurs. 3.2.2. Le toyotisme s'appuie sur la polyvalence et l'autonomie des ouvriers, ainsi que sur la recherche de qualité
Parallèlement, le toyotisme exige une plus grande flexibilité des travailleurs et des machines, qui doivent pouvoir réagir face aux changements de la demande. Le principe des « cinq zéros » permet de mettre en œuvre ce « juste­à­temps » : • Zéro stock : les produits finis ne doivent pas attendre les clients sur les étagères (cela coûte cher à l'entreprise car il faut de la place pour les stocks et la surveillance), les matières premières ou les pièces détachées ne doivent pas être stockées en attendant leur utilisation (même problème de place, et il faut payer les pièces longtemps avant de les utiliser). Résultat : on produit quand on a un certain nombre de commandes, on fait venir les pièces exactement au moment où on en a besoin.
• Zéro délai : il faut réduire au minimum le temps nécessaire dans l'entreprise pour changer le produit en •
cours de fabrication, c'est­à­dire qu'il faut que les hommes et les machines soient flexibles. De même, il faut réduire au minimum le délai entre la prise d'une commande et sa satisfaction. Zéro défaut : l'entreprise, par les services offerts et les produits fabriqués, doit être irréprochable vis­à­vis de ses clients. La qualité doit donc être une obsession. Même si la recherche de la qualité peut être Document 8 : le toyotisme, une organisation du travail centrée sur l'efficacité du système et non plus sur la pro­
ductivité individuelle
Cette nouvelle organisation du travail, née dans un contexte historique particulier, le Japon des années 1955­1970, est fondée sur des compromis sociaux implicites qui assurent à l'entreprise une implication des travailleurs dans ses objectifs généraux et une main­d'œuvre stable. En contrepartie, elle offre la sécurité de l'emploi, la hausse ré­
gulière du revenu et des perspectives de promotion.
La firme investit de manière plus importante que ses concurrentes occidentales dans la formation de ses salariés – elle dispose d'un marché interne du travail 1 très large. Par ailleurs, l'usine japonaise tend à « déspécialiser » les ouvriers professionnels en les transformant non pas comme chez Ford en ouvriers parcellaires mais en pluri­opérateurs, en professionnels polyvalents.
L'entreprise japonaise en effet ne recherche pas seulement la vitesse d'opération de l'ouvrier individuel, mais l'efficacité de l'ensemble du système. Les ingénieurs ont donc travaillé sur les processus généraux d'organisation du travail par l'intégration du contrôle de la qualité aux opérations de production, par la réintroduction des tâches de dépannage et de maintenance dans les fonctions des opérateurs, par la fluctuation des emplois. Ceux­ci deviennent modulables et variables en quantité comme en nature. L'usine japonaise renverse les principes tayloriens : faire en sorte que l'ouvrier ne soit pas rivé à son poste. La flexibilité est à la base de la productivité. Les tâches qui, selon Taylor, devaient être séparées, sont réagrégées. Il y aurait donc dans l'usine japonaise une reconnaissance des savoir­faire ouvriers qui débouche sur une meilleure intégration des travailleurs à l'entreprise. L'ouvrier est partie prenante de l'organisation du travail, on sollicite plus volontiers son intelligence, on écoute ses suggestions2 ce qui le rend plus efficace et les produits plus fiables. Sur le plan de la gestion concrète du travail, des innovations sont apportées avec les méthodes dites kanban3 (gestion par les stocks), andon (indicateurs lumineux sur les chaînes), pokayoke (dispositifs de prévention des erreurs qui visent le défaut zéro du produit), etc.
Pierre­François SOUYRI, « Présentation. Un nouveau paradigme », Annales, économie, sociétés, civilisations, EFJESS, n° 3, 1994, pp. 506­507.
1. Un marché interne est un espace d'emploi protégé au sein d'une entreprise, celle­ci offrant à ses salariés des garanties institutionnalisées de salaire, carrière, etc. afin de les stabiliser.
2. La recherche d'amélioration permanente des méthodes (le kaizen) doit impliquer tous les salariés.
3. Le kanban (« bon de commande » des pièces) circule entre les dif­
férents postes de travail. C'est le poste en aval (le plus proche du client) qui commande au poste en amont les pièces dont il a besoin à partir des commandes adressées à l'usine.
•
•
coûteuse, on sait qu'elle permet aussi la réalisation d'économies : les malfaçons coûtent très cher, le mécontentement des clients aussi, surtout quand la concurrence est forte. Zéro panne : l'entretien et la fiabilité des machines sont essentiels.
Zéro papier : les économies doivent aussi toucher les bureaux, il faut limiter les opérations débouchant sur un développement de la paperasserie. 3.2.3. Le toyotisme permet la transformation des qualifications et individualisation des carrières
PCS
1962 1975 1982 1990 2002
La croissance et les transformations de Agriculteurs exploitants
15,9
7,8
6,3
4,1
2,4
l'organisation du travail ont fait évoluer les Artisans, commerçants et chefs d'entreprise
10,9
8,1
7,9
7,4
6,2
qualifications au sein de la population Cadres et professions intellectuelles supérieures
4,7
7,1
8,2 10,9 13,0
active. Dans le tableau ci­contre (données Professions intermédiaires
11,0 16,0 17,0 19,0 20,2
de l'Insee), on peut voir que la structure de Employés
18,4 23,5 27,0 27,9 30,1
la population active salariée par catégorie Ouvriers
39,1 37,5 33,6 30,8 28,0
socioprofessionnelle (CSP) a connu une Population active occupée
100,0 100,0 100,0 100,0 100,0
profonde métamorphose, qui traduit une mutation des qualifications au cours du temps.
On observe tout d'abord une croissance de la part des CSP les plus qualifiées (professions intermédiaires et cadres et professions intellectuelles supérieures) dans la population active occupée et une nette diminution de la part des ouvriers depuis le milieu des années 1970. Il ne faut pas forcément en conclure que le niveau global de qualification de la population active s'élève : en effet, si l'on ajoute ouvriers et employés, dont le niveau de qualification est assez faible, on obtient un chiffre remarquablement stable au cours du temps (entre 56 et 59 % de la population active) et représentant nettement plus de la moitié de la population active. Cette transformation accompagne bien sûr la montée des services.
Cependant, la qualification requise pour exercer un emploi se limite de moins en moins aux qualités pro­
fessionnelles. Il est de plus en plus souvent requis ce que l'on appelle souvent des « compétences sociales », par exemple répondre avec aisance et chaleur au téléphone, avoir le sens des contacts humains, savoir organiser et/ou planifier son travail, etc. Ces compétences, dont on se demande comment elles s'acquièrent (et quel rôle joue la formation initiale, à l'école, dans cette acquisition), font de plus en plus souvent la différence entre deux candidats pour un même emploi. On observe une individualisation croissante de la carrière d'un salarié : chacun négocie avec son em­
ployeur tout ce qui concerne son emploi (contenu, rémunération, avancement, conditions de travail, etc.) alors que pendant la période fordiste, les syndicats jouaient dans ce domaine le rôle essentiel. Dans la plupart des entreprises, chaque salarié rencontre une fois par an au moins son supérieur hiérarchique pour faire le bilan de son activité dans l'entreprise et déterminer les objectifs à atteindre pour l'année à venir. Les rémunérations et l'avancement sont évidemment liés à cet entretien. Alors que le salarié était autrefois protégé par les négociations collectives, il est aujourd'hui seul en première ligne, ce qui n'est pas sans conséquence au niveau social.
À ces mutations des qualifications s'ajoutent aussi les mutations sectorielles (repérables par la baisse de la part du primaire et du secondaire dans la population active), la salarisation croissante (repérable par la baisse des professions indépendantes, agriculteurs et artisans, commerçants, chefs d'entreprise) et la tertia­
risation de l'économie (visible à travers la montée en puissance du tertiaire). L'emploi et ses caractéristiques, aussi bien quantitatives que qualitatives, sont transformés par la crois­
sance économique. On peut bien se douter que ces transformations ne sont pas anodines : il y a des enjeux importants, sociaux en particulier, sous ces transformations. Si les conditions de travail et de rémunération Page 9 / 11
sont négociées individuellement, quelle place pour les syndicats ? Certains diraient que l'on peut se passer des syndicats. Mais il ne s'agit là que d'une boutade : les syndicats ont joué un rôle essentiel sur le plan du lien social et de la construction de la société telle qu'elle est. L'individu est parfois bien seul face à des insti­
tutions qui ont le pouvoir. Les syndicats jouent aussi un rôle dans la gestion des conflits sociaux et ceux­ci n'ont pas disparu ! On ne peut donc cantonner les questions liées à l'emploi à l'économie. Nous y reviendrons dans la deuxième partie du programme. 3.2.4. Le toyotisme favorise la division du travail entre entreprises par une « désinté­
gration verticale de la production »
L'idée principale du toyotisme est de pouvoir réagir à l'environnement économique (c'est­à­dire de pouvoir être flexible, principalement par rapport à la demande). Cette flexibilité peut tout d'abord être obtenue en interne, grâce aux mécanismes décrits plus haut : un salarié polyvalent, et qui s'adapte à la demande par du « juste à temps ».
Mais elle peut également être obtenue en externe : si je veux être certain d'avoir mon boulon quand j'en ai besoin, et d'en avoir exactement la quantité dont j'ai besoin, j'ai autant l'acheter à une autre entreprise. C'est ainsi que, petit à petit, la production se désintègre verticalement : l'entreprise ne maîtrise pas directement ses inputs (ses consommations intermédiaires). 3.3. Le « post­taylorisme » favorise la croissance par la diversification de l'offre de biens et services
L'organisation du travail selon le principe du « juste­à­temps » a permis de séduire à nouveau des consommateurs lassés par la standardisation des produits. On peut donc dire que, au moins en partie, les débouchés sont plus assurés par la qualité de l'offre que par la hausse des salaires. Cela s'explique aisément quand on se rappelle que le fordisme s'est développé après la seconde guerre mondiale, à une époque où les ménages s'équipaient pour la première fois en automobiles et biens électroménagers. L'important alors était d'accéder à ces biens. A l'inverse, le toyotisme a émergé après le choc pétrolier, quand les ménages étaient largement équipés et que la demande était presque saturée et souvent limitée à une demande de renouvellement. Il fallait alors attirer les acheteurs par la qualité des produits. Pour que cette diversification de la production ne se traduise pas par une baisse de la rentabilité des entreprises ou une hausse des prix qui aurait découragée la demande, il fallait simultanément diminuer les coûts de production. C'est justement ce qu'a permis le principe du juste­à­temps, en diminuant les stocks et plus généralement les coûts d'organisation : l'entreprise fordiste était une « grosse machine administrative », où beaucoup de temps était consacré à la surveillance des ouvriers ou à la circulation des ordres. 3.4. Mais, notamment dans les services, on voit réapparaître des formes de travail répétitif qui font plutôt parler de « néo­taylorisme »
Document 9 : les habits neufs du taylorisme
Le taylorisme ? Il va bien merci. Les innombrables annonces de son décès ne semblent pas lui avoir porté tort, au contraire : 29,5% des salariés déclaraient leur travail répétitif en 1991 contre 19,8% en 1984, +49% en sept ans ! Traditionnellement fort dans l'industrie, le travail répétitif y progresse encore nettement, +23% entre ces deux dates. Mais, surtout, il explose dans le tertiaire : +76% !
Est­ce à dire que rien n'a changé depuis un siècle ? Bien sûr que non, les grandes usines ont laissé la place aux petites unités à taille humaine ; l'emploi industriel a fondu au profit de l'emploi tertiaire ; le travail de groupe et autres cercles de qualité ont supplanté, du moins dans les plus grandes entreprises, les vexations des petits chefs ; le chronomètre a cessé de rythmer le travail ; les produits variés, le look qui change à chaque saison, ont remplacé les Ford T, forcément noires... Bref, rien à voir a priori entre le Mac Donald's du coin et l'usine Renault de Billancourt à la grande époque. Et pourtant, l'essentiel, le cœur de leur fonctionnement est identique : travail prescrit, tâches subdivisées, rythme imposé. Taylor menacé par la crise des OS dans les années 70 a su rebondir. Il est parvenu non seulement à conserver son terrain de chasse habituel, l'industrie, mais il est parti à la conquête de nouveaux territoires : banques, assurances, restauration, distribution... Aucune forme d'activité ne résiste plus à ses appétits.
Rien de diabolique là derrière, pas de complot international : quand on parvient à le mettre en place, le travail fordisme).
répétitif, prescrit et subdivisé, demeure simplement la manière la plus efficace de faire travailler les hommes. Le travail efficace, mais aussi convivial et sympa des apôtres bien intentionnés du post­
taylorisme reste une chimère. On peut le regretter, mais c'est ainsi. Le vrai problème du taylorisme, ce n'est pas une supposée inefficacité économique, aujourd'hui comme hier, mais le caractère inhumain et vide de sens du travail taylorisé. [...]
A défaut d'alternatives plus efficaces économiquement, la seule vraie menace pour le taylorisme reste la révolte de ceux qui le subissent. Pour l'instant, le chômage de masse a eu raison de leur colère, après les heures chaudes des années 70. Cette résignation s'explique aussi par un renouvellement profond dans les justifications du travail répétitif. Le taylorisme s'était imposé depuis cent ans grâce à sa productivité, à l'avantage économique qu'il procurait. Sans rien céder de ce côté, le néotaylorisme y ajoute la justification de la qualité : seul le travail répétitif, prescrit, peut garantir une qualité constante élevée, dans la production matérielle comme dans les services. A travers les flux tendus, le juste­à­temps, il montre aussi que seul le travail à la chaîne permet des délais courts et une bonne qualité de service, dans la banque comme dans l'industrie. Si la supériorité du taylorisme ne se justifie plus seulement par les profits des entreprises, mais aussi par la qualité des produits et la satisfaction des clients, il devient encore plus difficile de s'y opposer.
Guillaume Duval, Alternatives économiques n°137, mai 1996
Le fordisme (et la division taylorienne du travail qui le compose) a subi une grosse crise, qui a permis l'émergence du toyotisme. Mais cela ne signifie pas que le taylorisme soit réellement en voie de disparition. Ainsi, certains, plutôt que de parler de « post­
taylorisme » (ce qui inpliquerait que le taylorisme soit dépassé) parlent de « néo­taylorisme », ce qui signifierait plutôt un renouveau du taylorisme. En premier lieu, le taylo­
risme est toujours aussi vivant dans les pays en développement qui s'industrialisent. Ensuite et surtout, il se développe dans les services. Les conséquences de ce retour du taylorisme sur les salariés sont une dilution du statut de salarié et un développement de la précarité.
3.4.1. Le taylorisme réapparaît là où on l'attendait le moins : dans les services
Le fordisme s'étend dans des productions qui en étaient autrefois exclues : la production de services. L'utilisation de l'informatique rend par exemple possible une division technique du travail bien plus approfondie qu'avant dans certains services d'assurance ou de banque. Même dans la restauration par exemple, la division du travail s'est accrue, chacun ne faisant qu'un morceau de la tâche finale (cependant, ici, au sens strict, il s'agit plus de taylorisme que de Page 10 / 11
3.4.2. Le toyotisme peut, comme le taylorisme, entraîner des conditions de travail pro­
pices aux maladies physiques et mentales
On attendait beaucoup du toyotisme : le salarié allait devenir autre chose qu'une machine humaine. Bien que cet effet ait été réel sur une partie des salariés, il s'est parfois doublé d'une évolution contraire. Ainsi, alors que le taylorisme ne touchait que les OS, le toyotisme peut s'étendre à toutes les catégories de salariés, de l'ouvrier au cadre : la population qu'il peut toucher est donc bien plus importante.
Or, le « juste­à­temps » va de pair avec la « responsabilisation » du salarié quant à ses objectifs (que ce soit au niveau du groupe ou au niveau individuel. Ce dernier doit alors obtenir par lui­même les hausses de productivité recherchées. Cette pression est parfois à l'origine de maladies physiques et mentales.
Document 11 : les relations ambiguës entre NTIC et NFOT
Troisième exemple qui illustre les changements organisa­
tionnels des années 1980 : le travail d'un employé de guichet dans une banque. Il y a 30 ans, l'organisation d'une banque obéissait à une logique tayloriste ordinaire. On faisait la queue à un premier guichet pour obtenir un carnet de chèques, à un second pour le déposer. Et l'on était ensuite dirigé vers la caisse pour retirer son argent. Personne n'au­
rait songé à mêler ces tâches, et pas davantage confier à une même personne le soin de classer les chèques et de ré­
pondre au téléphone. Aujourd'hui pourtant, le même employé fait tout, ou quasiment. Il encaisse les chèques, donne aux clients les liquidités qu'ils viennent retirer, consulte leur compte, donne des informations sur l'ouverture d'un compte rémunéré ou sur l'usage d'une carte de crédit, répond au téléphone, actionne l'ouverture de la porte... Si la question qui lui est adressée devient trop compliquée, il renverra le client à une personne plus spécialisée.
Quel raisonnement économique appliquer pour com­
prendre l'émergence de cette polyvalence ? [...] L'informa­
tique permet certes un traitement en temps réel de certaines tâches, ce qui était inconcevable avant. Il est possible grâce à l'ordinateur de disposer d'informations sur le client qui ren­
seignent immédiatement sur sa solvabilité. [...] Mais répondre au téléphone, en même temps qu'on donne les billets ou qu'on reçoit les chèques, cela s'appuie sur des principes d'organisation du travail qui était tout à fait concevables avant la révolution informatique. [...]
Quel est, si ce n'est l'avancée des techniques, le principe économique qui permet de comprendre cette réorganisation du travail ? L'explication est simple, et vient ici encore du Japon : la nouvelle organisation du travail fait tout pour tuer les « temps morts ». Il n'est plus question, dans le monde actuel, de payer quelqu'un à ne rien faire : à attendre le client à la caisse ou ailleurs. La chasse au temps mort (au « muda », le gaspillage en japonais) impose qu'un employé ait toujours une tâche à faire [...]. [Cette nouvelle organisa­
tion du travail] est la conséquence mécanique d'une donnée fondamentale : la hausse de la valeur du travail. [...] Dans tous les cas, on cherche à solliciter constamment le travailleur, à éviter que son travail reste en jachère...
Ce « néo­stakhanovisme », comme l'appellera Philippe Askenazy, conduit des économistes comme Michel Aglietta à critiquer l'idée selon laquelle les nouvelles technologies permettent des gains de productivité au sens habituel du terme [...]. S'il n'y a plus de temps morts, si les gens tra­
vaillent tout le temps, on travaille plus et non pas, minute par minute, de manière plus productive. [...] La révolution informatique n'est pas une révolution « énergétique » comme l'avait été la révolution de l'électricité ou de la machine à vapeur. Comme son nom l'indique, c'est une révolution de l'information, ce qui signifie en pratique une révolution de l'organisation. Il existe donc un lien étroit entre la révolution informatique et les nouveaux modes d'organisation du travail [...]. L'­
électricité va aider Ford à réaliser le programme tayloriste. L'informatique permet à Wall­Mart, pour aller vite, de réaliser le programme toyotiste. [...]
Ce monde post­industriel multiplie les désordres phy­
siques et mentaux. Philippe Askenazy, dans son livre Les Désordres du travail, examine ainsi la recrudescence des accidents du travail. Loin de disparaître, comme le suggérait la tertiarisation de l'économie, ils n'ont cessé de progresser. La fatigue psychique, le stress deviennent fréquents. Le capitalisme moderne se nourrit d'injonctions paradoxales face auxquelles les travailleurs ne sont pas toujours armés psychologiquement. « Offrir au client le meilleur service pos­
sible, mais en y consacrant le moins de temps possible », ou encore « prendre des responsabilités, mais sans avoir pour autant de responsabilités effectives dans la définition du travail » sont des impératifs fréquents mais qui augmentent l'anxiété. Selon l'OCDE, les maladies mentales qui sont recensées parmi les bénéficiaires d'allocation d'incapacité sont passées de 17 à 28% en moins de dix ans.
Daniel COHEN, Trois leçons sur la société post­industrielle, La Ré­
publique des idées, Seuil, 2006.
3.4.3. La norme salariale est également remise en cause : la précarité se développe et les statuts se multiplient au sein du salariat
D'après ces Document 12 : les emplois atypiques en France (en milliers)
données, le nombre Les emplois atypiques en France
total
d'emplois 2500
atypiques passe de 588 000 en 1985 à 2000
1 832 000 en 2002. Contrats aidés et stages
En 1985, les emplois 1500
CDD
atypiques Intérim
représentaient 2,7% 1000
de la population 500
active occupée (c'est­à­dire des 0
personnes
qui 1985
1992
1995
1998
2000
2002
occupent
un Source : Nouveau Manuel de SES, op.cit., d'après INSEE, Enquêtes « Emploi »
emploi) ; ils en représentent 7,7% en 2002.
Par ailleurs, on voit se développer de nouveaux contrats de travail, qui créent de nouveaux statuts à l'in­
térieur du salariat. Ainsi existent maintenant le Contrat Première Embauche (CPE), le Contrat Nouvelle Em­
bauche (CNE) et le Contrat Sénior qui est en train d'être mis en place pour les salariés de plus de 57 ans au chômage depuis plus de trois mois.
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nous étudierons dans le chapitre suivant : la « flexibilité » du travail est­elle un facteur de croissance et de baisse du chômage ?
Document 13 : les nouveaux contrats de travail
Âge du salarié
CNE
CDD
CDI
+16 ans
+16 ans
+16 ans
Toutes tailles
Toutes tailles
Taille de l’entre­
Plus de 20 salariés Moins de 20 salariés
prise
2 ans.
2 ans. Période d’essai Après cette période, Après cette période, (ou « de consoli­
1 mois maximum
le contrat devient un le contrat devient un dation »)
CDI.
CDI.
Entre deux semaines (pour les ouvriers) et six mois (pour les cadres supérieurs)
Possibilité de li­ Sans motif ni entre­ Sans motif ni entre­ Impossible sauf faute Impossible sauf raisons économiques ou cenciement
tien.
tien.
grave.
faute grave.
Renouvelable une fois : après, le contrat doit être un CDI.
Après 6 mois.
Délai de « carence » Embauche d’un Possible immédiate­ Possible immédiate­
égal à 1/3 du CDD autre salarié ment et indéfiniment. ment et indéfiniment.
précédent
Après 6 mois.
Réembauche du salarié licencié Après 3 mois.
Après 3 mois.
Entre aucun et 1 Entre aucun et 1 Préavis de licen­
mois suivant la date mois suivant la date ciement
d'embauche.
d'embauche.
Indemnité de li­
cenciement
Le tableau ci­contre donne un aperçu des principales différences entre ces nouveaux contrats et les contrats qui faisaient auparavant référence : les CDI ou contrats à durée indéterminée.
Comme nous l'avons vu tout au long de ce chapitre, l'organisation du travail a de fortes conséquences, à la fois sur l'économie et sur la société. Le taylorisme a ainsi permis aux entreprises d'augmenter considéra ­
blement leur productivité, tout en plaçant les ouvriers dans la situation inédite d'un travail répétitif. Le fordisme a permis, par une hausse de la productivité et une hausse du pouvoir d'achat des salariés (baisse des prix et hausse des salaires) de semer les germes d'un modèle de croissance qui a perduré pendant plusieurs décennies et d'un modèle social bâti autour de l'État providence. Cependant, cette forme d'organisation du travail a également engendré des problèmes sociaux importants, dans la mesure où elle donnait une place très limitée à l'individu qu'est chaque ouvrier.
On a longtemps proclamé la fin du fordisme, notamment avec l'idée d'un post­taylorisme qui serait centré sur l'autonomie et la polyvalence des salariés : cela aurait été un très grand progrès social. Cependant, on observe aujourd'hui d'une part que le toyotisme peut être porteur des mêmes conséquences que le taylorisme sur les conditions de travail, et d'autre par que des formes tayloriennes d'organisation du travail ré­
apparaissent. Enfin, on craint la disparition progressive de la protection que l'État offrait aux salariés (déve­
loppement de la précarité).
Dans le débat public, cette précarisation croissante est souvent présentée comme une nécessité, comme un sacrifice que les salariés devraient accomplir pour régler la question du chômage. C'est cette question que CPE
16 – 26 ans
Entre 1 et 6 mois suivant l'ancienneté
8 % du salaire brut 8 % du salaire brut perçu depuis l’em­ perçu depuis l’em­
bauche.
bauche.
1/10 du salaire mensuel par année d'an­
cienneté
25€/jour minimum 16,40€/jour pendant 16,40€/jour pendant pendant 7 mois 25€/jour minimum pendant 7 mois après Allocations chô­ 2 mois après 4 mois 2 mois après 4 mois après 6 mois de tra­
6 mois de travail ; pendant 12 mois mage
de travail. Idem CDI de travail. Idem CDI vail ; pendant 12 après 12 mois de travail.
après 6 mois.
après 6 mois.
mois après 12 mois de travail.
Primes de préca­
rité
Zéro
Zéro
10 % du salaire men­
suel brut en plus.
Non concerné
Source : d'après Sud Éducation, février 2006.
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