Pour une mort digne, « je vous demande le droit de

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Le Mémorial de Caen • Recueil des Plaidoiries 2009
Le Mémorial de Caen • Recueil des Plaidoiries 2009
L'enfant ne doit pas être admis à l'emploi avant d'avoir
atteint un âge minimum approprié ; il ne doit en aucun cas être
astreint ou autorisé à prendre une occupation ou un emploi
qui nuise à sa santé ou à son éducation, ou qui entrave son
développement physique, mental ou moral », ceci est le principe 9
des Droits de l’enfant.
Alors tous, mesdames et messieurs, avec l’IPEC et l’OIT,
dressons un « carton rouge » pour interdire l’ignominie et
préserver l’innocence et la fragilité de l’enfance.
Pour une mort digne,
« je vous demande
le droit de choisir »...
Nastasia Thébaud-Bouillon
Lycée international Victor Hugo
Colomiers (31)
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Mesdames et Messieurs,
Imaginez-vous une pièce blanche, de grandes fenêtres
parées de stores.
Entrez, oui, poussez la porte, vous découvrez un lit, un petit lit.
Prenez votre temps, restez un moment, dans cette chambre
inodore, incolore, insonore.
Peu de bruits s’en échappent, et si peu de couleurs, la vie
est ailleurs. Dehors, sans moi.
Et pourtant, regardez bien, oui, il y a bien quelqu’un près
de vous.
Je suis Vincent, je suis Chantal, je suis Paulette, je suis…
je suis aussi tous ceux dont on ne parle pas, dont on ne connaît
pas le nom, seulement le fichier médical, je suis… et je serai
demain tous ceux que l’on ignore : ils seront comme moi
confrontés à la douloureuse question de fin de vie.
Peut-être suis-je là à affronter la maladie.
Peut-être me suis-je retrouvé-e un jour sur le bitume par
accident.
Peut-être suis-je transi-e par la paralysie, trahi-e par mon
corps qui s’amenuise, et mon esprit resté intact …
Mes vies sont différentes et si similaires à la fois : la question
de ma mort se pose, s’impose avec autant de force.
J’ai survécu au début dans la certitude d’un jour meilleur,
d’un espoir retrouvé, d’une trêve à la souffrance.
Mais un jour, quand l’espoir de Vivre s’en est allé, j’ai exprimé
le souhait que j’avais depuis si longtemps en tête. La solution
pour que s’éteigne la souffrance, était unique :
La mort
Ce récit pourrait être celui d’un patient en phase terminale,
d’une personne accidentée, très handicapée… il pourrait être
aussi le vôtre, le mien.
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Je n’entends pas me servir de cette souffrance, mais je
souhaite la rendre :
moins fictive donc plus audible,
plus réelle donc plus proche de nous tous.
Mais ces progrès ne peuvent l’impossible : il existe de plus
en plus de maladies,
chroniques,
dégénératives,
orphelines,
et les terribles accidents de la vie… contre les conséquences
desquels nous aurons toujours à lutter : tous transportent
avec eux leur lot de souffrances, de perte d’autonomie,
d’invalidité, de perte de conscience…
Face à vous aujourd’hui, je plaide. Je plaide en faveur de
la liberté de choix, celle de tous, face à la mort.
Car si la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de
1948, stipule que « Tous les êtres humains naissent libres et
égaux » elle reste muette sur leur droit à mourir librement.
Comme le souligne Jules Renard, « Pourquoi serait-il plus
difficile de mourir, c'est-à-dire de passer de la vie à la mort,
que de naître, c'est-à-dire de passer de la mort à la vie ? ».
D’où vient cette difficulté à regarder la mort et cette
impossibilité à la considérer comme un don ?
Peut-être trouve-t-elle son origine dans notre culture judéochrétienne, qui considère la vie comme un don de Dieu, que
nul autre que lui ne peut retirer.
Il est désormais nécessaire d’aller plus loin.
Certes, il est possible de rallonger la vie et d’en améliorer
la qualité, mais évoluons maintenant vers une amélioration
certaine de ce qui la clôture, lorsque la personne demande
le droit de mourir dans la dignité, sans acharnement
thérapeutique mais sans abandon non plus : la médecine
doit pouvoir aller jusqu’au bout, administrer l’ultime soin qui
permet de partir.
Car si la mort est un sujet difficile, nous y sommes tous
confrontés.
Et s’il est certes plus facile de s’imaginer décédant d’une
mort naturelle, entouré-e de ses proches, n’oublions pas
cependant que 76 % des décès ont lieu à l’hôpital.
Mais ce n’est pas confronté-e à l’urgence d’une décision
individuelle, que peut s’exercer cette liberté de choix : on ne
peut soutenir ce droit de choisir sans plaider pour la loi qui le
rendrait possible.
Oui, mesdames et messieurs, il nous faut à nouveau ouvrir
le débat sur l’euthanasie, le plus largement possible, et
permettre que des contradictions s’écrive une nouvelle loi.
Faisons en sorte que la fin de vie ne devienne pas un sujet
strictement médical et envisageons l’avis des patients en
priorité !
C’est d’ailleurs dans le cadre médical que se place au début
l’historique du débat sur l’euthanasie. Les progrès de la
médecine ont certes été grandioses : ils ont permis d’éradiquer
certaines maladies, d’améliorer les traitements pour d’autres,
et de diminuer en partie la souffrance des fins de vie par l’apport
notamment des soins palliatifs.
Que nous ont dit Vincent, Chantal, Paulette … et tous les
autres ?
Que si la vie n’est plus que l’attente de la mort,
que si la mort devient le seul respect de la Vie,
alors peut-être que chacun a le droit de choisir, sans que
nul autre ne décide à sa place.
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Et pourtant, oui, dans certaines situations, donner la mort
n’est pas tuer, donner la mort c’est aussi accompagner la
personne à la fin de sa vie.
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Ce choix, il faut l’inscrire dans la loi et le rendre possible,
en permettant l’euthanasie active.
Ce patient est resté à l’agonie pendant six jours sous le
regard de son entourage, faute de sédation adéquate.
La médecine a décidé de retirer les appareils qui le
maintenaient en vie et de laisser la nature reprendre ses droits
jusqu’à ce que mort s’ensuive : mais pourquoi, pourquoi ne
pas poursuivre dans cette logique d’assistance et œuvrer pour
la mort, lorsque plus rien ne peut être fait pour la vie ?
C’est encore une décision hypocrite que de donner en
dernier recours à la nature la liberté de reprendre ses droits,
de faire son travail, après avoir tout fait pour maintenir une vie
qui n’en plus vraiment une, non qu’elle ne soit pas digne mais
parce qu’elle est diminuée, réduite à sa seule dimension
physique, biologique.
Cette vie, la vie, n’a-t-elle pas plus de sens quand elle est
partagée, vécue, ressentie, éprouvée par le corps et l’esprit ?
Il est urgent de prôner une loi qui permette dans certains
cas l’euthanasie, un acte actif et non passif.
Il existe actuellement une loi, la loi Leonetti du 22 avril 2005,
instaurée dans le cadre du refus de l’acharnement
thérapeutique.
Elle autorise le « laisser mourir » mais interdit strictement
le suicide assisté et l’euthanasie active, le fait de « donner la
mort ».
Mais me direz-vous, quelle différence y a-t-il entre retirer
une sonde gastrique et attendre que mort s’ensuive, et faire
une piqûre mortelle afin d’abréger définitivement les
souffrances ?
À la manière du Président de l’Association pour le Droit de
Mourir dans la Dignité,
je vous répondrai « Une dose d’hypocrisie ».
Hypocrisie, oui, parce que tous, nous savons que la pratique
est clandestinement opérée !
Hypocrisie, oui, dans les réponses négatives faites à celles et
ceux qui ont demandé expressément le droit de choisir leur mort !
En effet la loi autorise, sous demande du patient ou d’un
membre de la famille si celui-ci n’est plus en mesure de
s’exprimer, de mettre fin à des traitements et d’attendre que
le patient décède.
Mais savons-nous vraiment si celui-ci ne souffre pas ?
Pouvons-nous dans ce cadre arrêter subitement un
traitement en le laissant mourir de faim, de soif… ?
Est-ce là l’abrègement des souffrances que l’on nous
promet ?
Je vous renvoie maintenant, dans un but de réflexion, sur
la loi actuelle, à l’article VI de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du citoyen de 1789, qui énonce que « La loi est
l’expression de la volonté générale ».
Pourquoi la loi est-elle alors restée intacte depuis son
instauration, bien qu’une multitude de sondages montre
aujourd’hui que 87 % de la population en France est favorable
à une nouvelle loi légiférant sur l’euthanasie active ?
Pourquoi la minorité est-elle victorieuse ?
La mort d’Hervé, patient maintenu en coma végétatif depuis
huit ans pour lequel tout traitement avait été abandonné à la
demande des parents, souligne parfaitement les dérives que
peut créer la loi à son insu.
La peur des dérives est un argument important / primordial
pour les opposants à l’euthanasie et il ne s’agit en aucun cas
de prôner une euthanasie qui tendrait à éliminer les personnes
« anormales », non « conformes », âgées, « improductives »…
S’il faut être très vigilant dans l’écriture de la loi et les limites
qu’elle se doit d’imposer, il ne faut pas au prétexte des dérives
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possibles, oublier tous ceux qui ont exprimé le désir de partir
dans la dignité de leur humanité.
De la même façon que le débat sur le don d’organes a pu
évoluer, de sorte que la décision ne soit plus prise par les
familles dans la douleur du décès et du deuil, le débat sur
l’euthanasie doit permettre une évolution afin que les personnes
en pleine possession de leurs moyens puissent affirmer leur
souhait avant, avant d’être confrontées à leur fin imminente,
avant de ne plus pouvoir exprimer ce qu’elles désirent, avant
que les autres ne décident pour elles.
H2O,
la molécule
convoitée
Parce que le débat sur l’euthanasie n’est pas clos, parce
que je le laisse ouvert, il y a encore moyen d’espérer pour
aujourd’hui, d’espérer pour demain…
Ça y est, la loi est enfin votée, je peux enfin partir, partir en paix,
C’est ce que j’avais tant espéré, c’est le souhait dont je
vous ai parlé, lorsque dans la petite chambre blanche, quelques
instants vous êtes resté-es.
C’est le droit que l’on m’a donné et que l’on donne à tous
ceux qui étaient, comme moi, à regarder les branches des
arbres par la fenêtre de la chambre blanche :
ils peuvent maintenant se dire qu’ils ne sont pas tout seuls,
que certains ont été écoutés et entendus comme moi.
Que leurs paroles pourtant si inaudibles ont été entendues.
Que désormais le choix leur appartient, que la vie qu’ils ne
souhaitaient pas s’en est allée, que l’espoir qu’ils avaient n’était
pas vain.
Ikram Bohout
Lycée Averroès
Lille (59)
Ce sont là mes dernières paroles, au moment où la seringue
s’est vidée, ce sont là mes dernières pensées à l’instant où la
souffrance s’en est allée, où ma plaidoirie s’est achevée.
Merci à vous. Toutes mes pensées vont à celles et ceux
pour qui mes mots se sont écrits.
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