La schizophrénie est une maladie mentale ubiquitaire
qui atteint les adolescents et les adultes jeunes. Son
incidence est estimée à 2/10 000 nouveaux cas par
an et sa prévalence à 0,7 % de la population. Elle se mani-
feste par des symptômes psychotiques (hallucination,
délire, désorganisation conceptuelle, négativisme) dont la
gravité varie selon l’évolution en épisodes aigus et en
phase résiduelle. Le retentissement personnel, familial, rela-
tionnel, socioprofessionnel peut rapidement être majeur,
notamment en l’absence de soins appropriés. Le traitement
repose sur plusieurs approches dont les objectifs sont com-
plémentaires : l’approche pharmacologique avec, en parti-
culier, les traitements antipsychotiques destinés à diminuer
les symptômes psychotiques ; les psychothérapies pour
mobiliser les ressources du sujet et la réhabilitation psycho-
sociale pour maintenir la place du sujet dans la société.
La remédiation cognitive est apparue récemment dans le
dispositif de soin, son objectif est d’améliorer le fonctionne-
ment cognitif des sujets. En effet, depuis la publication
d’une série de travaux en neuropsychologie et en imagerie
cérébrale durant les années 1980-1990, les perturbations
cognitives sont désormais considérées comme les perturba-
tions centrales de la schizophrénie [1-3].
Il s’agit d’un véritable virage conceptuel, puisque depuis les
premières descriptions, qu’il s’agisse de la dementia prae-
cox de Benedict Morel, des formes paranoïdes et hébéphré-
niques d’Emil Kraepelin ou de la schizophrénie de Bleuler,
les troubles intellectuels cognitifs étaient considérés
comme secondaires aux perturbations de la vie affective.
Plus récemment, le déficit intellectuel dans la schizophré-
nie était attribué à la sévérité de la maladie, à la chronicité,
au manque de coopération ou encore aux traitements [4].
L’hypothèse physiopathologique, privilégiée actuelle-
ment, est l’hypothèse neuro-développementale. Deux
types de facteurs pourraient intervenir : d’une part, les fac-
teurs de vulnérabilité qui peuvent interférer sur la matura-
tion du cerveau et le développement psychique d’un indi-
vidu durant la vie intra-utérine ou pendant l’enfance et,
d’autre part, les facteurs qui contribuent au déclenchement
de la pathologie pendant l’adolescence ou au début de la
vie adulte.
Les facteurs de vulnérabilité sont multiples et non spéci-
fiques, mais chacun confère un niveau de vulnérabilité qui
peut devenir considérable. Les travaux de recherches
actuels mettent en cause certains polymorphismes généti-
ques qui perturberaient les différentes étapes de la matura-
tion cérébrale, notamment la migration, la différenciation et
la régulation cellulaire. Les études épidémiologiques, de
même que les travaux sur l’animal, soulignent l’influence
d’événements environnementaux comme le stress périnatal
qu’il soit d’origine infectieuse, traumatique, toxique ou
carentielle, les traumatismes crâniens et psychologiques
durant l’enfance. La vulnérabilité recouvre, par consé-
quent, des perturbations structurales et fonctionnelles des
réseaux neuronaux que les différentes techniques d’image-
rie cérébrale mettent en évidence. Les facteurs dits déclen-
chants comme l’usage de substances psychoactives ou l’ex-
périence de situations émotionnelles ou sociales nouvelles
viendraient révéler la vulnérabilité du sujet en sollicitant
ces perturbations cérébrales [5-7]. L’interaction stress-
vulnérabilité a été modélisée par Zubin et al. [8].
Un autre aspect physiopathologique, évoqué à propos
de la schizophrénie, est celui d’une éventuelle dégénéres-
cence qui n’affecterait pas l’ensemble des patients mais une
partie d’entre eux. Cette dégénérescence s’exprimerait pen-
dant l’évolution de la maladie par des symptômes plus
sévères et plus déficitaires, un déclin cognitif et une dété-
rioration du tissu cérébral observée en imagerie cérébrale.
Travaux en neuropsychologie
Dans une méta-analyse portant sur plus de 204 études,
Henrichs et Zakzanis [9] montrent que les patients atteints
de schizophrénie ont des performances significativement
plus faibles que les témoins, de l’ordre de 1,5 à 3 écarts-
type en termes d’aptitudes cognitives générales, ainsi que
dans tous les domaines cognitifs explorés de façon sélec-
tive : mémoire verbale, mémoire non verbale, habiletés
motrices uni- et bilatérales, attention visuelle et auditive,
orientation spatiale, fonctions exécutives et langage.
Récemment, un consensus d’experts s’est accordé pour
retenir que les résultats des patients schizophrènes aux
tests cognitifs sont perturbés pour certains patients, mais
pas par la totalité d’entre eux (taille d’effet : moyenne
pondérée = 0,90). Le déficit le plus marqué concerne les
tests de mémoire verbale (taille d’effet : moyenne pon-
dérée = 1,4) ; de QI global (taille d’effet : moyenne
pondérée = 1,4) et les tests de codage (taille d’effet :
moyenne pondérée = 1,57) [10].
Aspects évolutifs
Bilder et al. [11] ont montré que l’ensemble de ces per-
turbations cognitives existe déjà lors du premier épisode
(supérieur à 1,5 écart-type), ce qui pose la question de la
stabilité ou de la majoration des perturbations cognitives
liées à la maladie. Les différents travaux menés dans ce
sens rendent compte de différences modérées entre patients
au premier épisode et patients à un stade chronique (0,3 à 1
écart-type) privilégiant ainsi l’hypothèse globale d’un défi-
cit statique plutôt qu’évolutif. Cependant, les auteurs signa-
lent un sous-groupe de 15 à 20 % de patients pour lequel le
déclin cognitif est significatif.
Spécificité des troubles cognitifs
dans la schizophrénie
Peu d’études interrogent la spécificité du déficit cognitif
observé dans la schizophrénie. Cette question est impor-
tante à l’heure où resurgit l’hypothèse du continuum entre
troubles de l’humeur, troubles bipolaires, troubles schizo-
Article de synthèse
R
EVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
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EUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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