Motivation à apprendre: mythe ou réalité?

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Motivation à apprendre:
mythe ou réalité?
Point d'étape des recherches en psychologie
Du même auteur:
1995. «Expertiser des compétences ou identifier les déterminants
de la satisfaction au travail? ». Education Permanente,
supplément Association pour la Formation Professionnelle des
Adultes (AFPA) N°124/1995-3.
2000. En collaboration avec De Gaillard, E; «Apports de la
docimologie à la validation des compétences professionnelles en
fin de formation ». Communication au ]]e congrès de Psychologie
du Travail et des Organisations de l'Association Internationale de
Psychologie du Travail de Langue Française, Université de
Rouen, 28-31 août 2000.
Hervé LEGRAIN
Motivation à apprendre'
mythe ou réalité?
Point d'étape des recherches en psychologie
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
FRANCE
L'Harmattan Hongrie
Hargita u. 3
1026 Budapest
HONGRIE
L'Harmattan Italia
Via Bava, 37
10214 Torino
ITALlE
@L'Hannattan,2003
ISBN: 2-7475-3974-1
SOMMAIRE
Introduction
7
QU'EST-CE QUE LA MOTIVATION?
Il
Définition pratique
13
On peut réussir sans faire beaucoup d'efforts..
19
La motivation n'est pas un trait de personnalité
29
La réussite est indispensable à la motivation
33
La motivation n'est pas une .valeur
40
Un système de régulation des efforts
Exemp le au travail
Exemple en form.ation
Exemple en insertion professionnelle
42
44
46
50
Le sentiment de compétence
52
Pour un modèle socio-cognitif de la motivation
55
COMMENT ENTRETENIR LA MOTIVATION
?
63
Travailler avec des objectifs difficiles, spécifiques et acceptés
65
Evaluer sans dévaloriser
71
Se méfier des grands discours
76
Sortir de la dictature du projet
80
Mettre les apprenants en situation de pouvoir choisir
84
Savoir récompenser
96
Faire travailler en groupe
101
Aider à la recherche .d'emploi
106
COMMENT LUTTER CONTRE LA DEMOTIV ATION ?
109
Quels sont les indicateurs de la démotivation ?
111
Quels sont les déterminants de la démotivation ?
115
La non-perception des objectifs pédagogiques
La non-adhésion aux objectifs
La certitude de ne pas pouvoir réussir
Quelques principes d'action pédagogique
Ii 0 gr
ap
hie.
123
127
CONCLUSION
Bib
115
115
118
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
6
1 3 7
Introduction
Le but de cet ouvrage est de tenter de mettre à la portée de
chacun les avancées récentes des travaux de psychologie
scientifique ayant pour objet la pédagogie et les apprentissages. Il
ne requiert pas de connaissances particulières en statistique et les
aspects méthodologiques ont été simplifiés dans la mesure du
possible. Ce manuel doit permettre au public le plus large
d'accéder aux connaissances actuelles sur ce thème particulier
qu'est « la motivation à apprendre ». Il est destiné en tout premier
lieu aux formateurs du domaine de la formation professionnelle
d'adultes. Il pourra être également utile aux éducateurs sportifs,
aux enseignants, et plus largement à toute personne qui a à
transmettre des connaissances ou des savoir-faire d'ordre pratique.
Les parents soucieux de l'éducation de leur enfant, par définition
situation de transmission d'apprentissages, trouveront aussi dans
cet ouvrage matière à réflexion sur la difficile pratique de
l'exercice parental.
Pour certains formateurs et enseignants, une des sacrosaintes clefs de la réussite des apprentissages serait avant tout la
motivation. Il suffirait en quelque sorte d'être motivé pour réussir.
Les choses ne sont, hélas, pas aussi simples et nous verrons que les
résultats de travaux montrent au contraire que la motivation pèse
relativement peu dans la balance réussite / échec, surtout si l'on ne
prend pas soin de différencier les apprenants. Il y a une influence
de la motivation, certes, mais son pouvoir sur la réussite de chaque
apprenant est à relativiser, tant est complexe et multivarié le
déterminisme des apprentissages.
Dans l'exposé qui va suivre, nous nous attacherons à
considérer la motivation à apprendre au sens où un individu se
trouve face à une situation d'apprentissage, qu'il soit en formation
professionnelle, à l'école ou dans une situation de la vie de tous les
jours. La motivation ne s'applique pas de la même façon à toutes
les occupations humaines; on conçoit aisément que l'on puisse
être motivé pour faire une chose et très peu motivé à l'idée d'en
faire une autre. Lorsque l'on parle de motivation, il est impératif
7
de parler de motivation à faire quelque chose, en prenant soin de
préciser ce quelque chose. On ne trouvera donc pas dans cet
ouvrage de théories générales des motivations humaines. La portée
de cette étude est empirique, basée sur des faits, elle restreint le
champ de l'investigation de la motivation aux conduites
d'apprentissage. Le principe de cet ouvrage est de partir de faits
expérimentaux pour en tirer des conclusions utilisables dans la
pratique quotidienne des formateurs. Les études citées dans ce
livre sont le plus souvent des expériences portant sur le thème de
l'apprentissage, réalisées dans des situations de la vie quotidienne,
de la formation professionnelle continue, du sport et du travail.
Nous avons, bien sûr, pris plus spécifiquement en considération les
études réalisées en formation d'adultes ou en contexte scolaire.
Des précautions devant toujours être prises pour généraliser à un
autre contexte des expériences réalisées dans un cadre donné. Cet
ouvrage s'inscrit donc dans le cadre de ce que l'on pourrait
appeler une psychologie à caractère scientifique, celle qui
repose sur des faits vérifiables, reproductibles
et surtout
réfutables. Le débat sémantique et linguistique autour de la notion
de motivation nous intéresse peu. Les sens donnés à la notion de
motivation sont très nombreux. Il nous a semblé plus utile de
définir ce qui nous paraît être un individu motivé, que la
motivation elle-même. Un apprenant motivé n'est jamais défini
uniquement par des performances exceptionnelles ou une réussite
supérieure à la moyenne, mais plutôt par un comportement
persévérant devant les difficultés rencontrées au cours de
l'apprentissage: il fait des efforts, y passe du temps, répète les
exercices, en demande d'autres, se concentre et persévère. C'est ce
comportement persévérant qui nous a intéressés en premier
lieu, ainsi que les raisons qui font qu'une personne a ce type de
conduite et qu'une autre ne le présente justement pas. Dans ce
travail, les travaux ne se basant pas sur des expérimentations, ont
donc été écartés, ainsi que les affirmations reposant sur un cas
unique ou les constatations du sens commun, excluant au passage
la psychanalyse qui nous aurait fait sortir du cadre volontairement
scientifique de l'exposé. Tous les travaux ne comportant pas la
preuve expérimentale de ce qui est avancé ou ne permettant pas
8
d'être répliqués afin d'en vérifier les conclusions, n'ont pas été
retenus. Nous avons donc passé en revue les études marquantes de
ce siècle, afin d'illustrer les différentes théories de la motivation
qui ont traversé l'histoire de la psychologie.
Une première catégorie d'études pose une définition de la
motivation et en assure la mesure dans des expériences, mais sans
toujours tenir compte de ses effets éventuels. La motivation est
alors prise comme variable dépendante et les chercheurs tentent de
trouver tout ce qui est susceptible de la faire varier, ainsi que les
interactions entre ces différentes variables (sentiment
de
compétence, perception de contrôle, attributions causales). Ces
études sont intéressantes du point de vue théorique mais se
révèlent assez peu fécondes pour les praticiens. Elles enrichissent
la théorie mais n'aident pas la pratique des formateurs. Nous les
citerons pour étayer le modèle théorique mais sans entrer trop dans
le détail. Nous donnerons aux lecteurs particulièrement.. .motivés
par cet aspect de la question, différentes références.
Une deuxième catégorie d'études s'intéresse aux variables
et à leurs effets, c'est-à-dire à la motivation considérée comme
variable indépendante. On mesure alors la motivation par ses effets
sur les processus cognitifs (sur la mémorisation, l'attention par
exemple), sur des processus affectifs (les intérêts, la satisfaction)
ou sur des comportements directement observables (persistance à
la tâche, en terme de temps passé sur ce travail, réussite en
formation) : on lui donne alors un contenu opératoire, mesurable.
Les études où la motivation est considérée comme ayant des effets
sur les comportements persistants, source de réussite, sont les plus
riches d'enseignement pour les praticiens.
Nous verrons qu'il y a essentiellement quatre modèles
contemporains
qui se révèlent
particulièrement
riches
d'enseignements pratiques pour les enseignants:
la théorie du but ou des objectifs (goal setting dans les travaux
anglo-saxons ),
. la théorie dite probabilité valence (expectancy value),
. la théorie dite des attributions causales,
et la théorie dite de l'engagement.
.
.
9
D'autres travaux et théories seront évoqués (pyramide de
Maslow,
théorie
bifactorielle
d'Herzberg,
théorie
de
l'autodétermination. ..)
mais
ceux-ci
comportent
mOIns
d'implications pratiques pour le formateur.
10
QU'EST-CE QUE LA MOTIVATION?
Définition pratique
La motivation désigne, dans le langage courant: «Ce qui
fait agir et constitue un ensemble de motifs» (définition du Petit
Robert et du Petit Larousse). De cette définition, on peut tirer deux
conséquences: d'une part, rien ne pourrait se faire sans
motivation, d'autre part, plus quelqu'un peut énoncer de motifs
pour faire quelque chose, plus il serait motivé. Il suffit, dans ces
conditions, de demander à quelqu'un d'énoncer les motifs qui
l'animent: plus il en donne, plus on le tient pour motivé. L'on
pourrait se contenter de fonctionner ainsi, cependant les faits
expérimentaux viennent gâter cette belle déduction: Ce n'est,
hélas, pas celui qui est capable d'énoncer le plus de motifs qui
réussit le mieux ses apprentissages!. Les enfants de milieux
sociaux dits «défavorisés» énoncent beaucoup plus de motifs
pour réussir que les enfants dits de milieux «favorisés »,
notamment le désir d'ascension sociale, le souhait d'obtenir une
meilleure situation que leurs parents. Les études réalisées dans ce
sens montrent l'absence de rapport entre les bonnes raisons que
l'on a de faire quelque chose et le fait de le faire.
La motivation pourrait bien ne pas être une condition
indispensable à toute activité humaine d'apprentissage. Dans une
expérience déjà ancienne, un psychologue du nom de Tolman en
1930, a montré comment des animaux réussissent à apprendre sans
motivation, grâce à un apprentissage latent. Pribam, autre
chercheur, en 1974 a également montré qu'un singe réussit plus
vite le conditionnement discriminatif d'une lettre si celle-ci a été
affichée auparavant dans sa cage. La conclusion de l'auteur avait,
à l'époque, quelque peu surpris: «Nous pouvons apprendre sans
être motivé pour apprendre ». Lorsqu'il nous arrive d'entendre un
air de musique à la radio le matin, puis de l'avoir dans la tête et de
fredonner la chanson toute la journée, c'est bien souvent malgré
nous que nous l'avons apprise. En bref, nous savons aujourd'hui
que les motifs énoncés n'expliquent pas toute la motivation et
que toute acquisition de connaissances ne nécessite pas
1
Voir par exemple: Carré, 2000.
13
forcément de fortes motivations préalables: les académiciens
en tiendront-ils compte dans la définition donnée de « motivation»
dans une prochaine version de leur dictionnaire?
La psychologie n'a pas été la seule science à se préoccuper
de ce concept. La science économique a, de son côté, utilisé le
terme de « motivation» en le définissant comme un ensemble de
facteurs qui détermine le comportement du consommateur (le
terme est notamment repris pour constituer les «études de
motivation »). On aperçoit l'ébauche d'une vision où l'homme
aurait des motifs d'agir qu'il ignore et où ces motifs pourraient
aussi bien être extérieurs à l'individu, agissant contre son gré. Les
études de motivation ont d'ailleurs suivi les avancées de la
psychologie: essentiellement basées, après la seconde guerre
mondiale, sur les désirs refoulés, ces études passaient alors par de
longues discussions en profondeur avec les volontaires.
Aujourd'hui l'approche est différente: des expériences sont
réalisées dans une salle où l'on projette des diapositives montrant
un linéaire de grand magasin. Le « cobaye» déambule alors dans
cette salle, il est ensuite interrogé sur ce qu'il a retenu de ce qu'il
a vu pendant ce temps bref. A t-il repéré telle bouteille de telle
marque parmi le flot des autres marques? etc. Comme souvent, le
monde du commerce a « récupéré» bien plus vite les avancées de
la science comportementale que le monde de l'éducation...
La psychologie, de son côté, a d'abord abordé la notion de
motivation en essayant de répondre à la question, somme toute
assez simple: « Qu'est-ce qui motive la personne? ». On regroupe
traditionnellement ces théories sous l'appellation des théories du
contenu (dans ce groupe de théories, on trouve notamment la
fameuse pyramide de Maslow qui date de 1954). Un autre groupe
de chercheurs dans une dynamique différente, élabore un peu plus
tard un ensemble de théories différentes et s'intéresse à la question
« Comment se motivent les personnes? » : Ce sont les théories du
processus, celles qui apparaissent les plus intéressantes et les plus
riches pour les pédagogues.
Cette conduite motivée est supposée être provoquée par
une cause première appelée « motivation », qui désigne en quelque
sorte un : « Construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces
14
internes et externes produisant le déclenchement, la direction,
l'intensité et la persistance du comportement », comme se plaisent
à dire des psychologues contemporains qui ont réalisé une large
revue des travaux (Thill et Vallerand, 1993). On peut donc
constater que le concept de motivation, mot tiré du langage
commun, regroupe plutôt aujourd'hui, en psychologie, un
ensemble des variables agissant sur l'engagement et la persistance
dans les conduites. Ces variables sont très hétérogènes quant à leur
nature: la classe sociale, l'estime de soi, la valeur du renforcement
escompté, la clarté des objectifs affichés, etc. Ces variables
agiraient, en quelque sorte, sur la motivation, qui agirait elle-même
sur le comportement. Le statut de cette variable intermédiaire entre
les facteurs externes et le comportement n'est pas simple; il
demeure «hypothétique », disent les auteurs. On verra dans la
suite de l'analyse, que l'on peut facilement se passer de cette
notion de motivation, tout en s'intéressant aux problèmes de
persistance et d'engagement.
Pour Claude Levy-Leboyer (1998), psychologue française
spécialiste de la motivation, « Etre motivé, c'est essentiellement
avoir un objectif, décider de faire un effort pour l'atteindre et
persévérer dans cet effort jusqu'à ce que le but soit atteint. ». Nous
verrons que l'objectif doit présenter une certaine difficulté, dans le
cas contraire, il est inopportun de parler de persévérance.
Au début du siècle, lorsque la psychologie scientifique a
cherché de donner un contenu à la notion d'intelligence, elle s'est
heurtée à de grandes polémiques. Elle a, aujourd'hui, pris ses
distances avec ce terme, au contenu imprécis, pour lui préférer
d'autres appellations mieux définies: capacités cognitives,
raisonnement logico-mathématiques. Ce que le sens commun
indique par «intelligence» regroupe en réalité une quantité de
capacités à résoudre des problèmes de nature différente (verbaux,
spatiaux, sociaux...). Il semblerait que se reproduise aujourd'hui le
même schéma avec la motivation: plus le phénomène est étudié et
plus le terme de « motivation» tend à s'écarter au profit de notions
mieux définies. Il n'en reste pas moins vrai que la préoccupation
des chercheurs est de trouver ce qui pourrait déterminer, outre les
capacités de l'apprenant, la réussite des élèves, et ce en cherchant
15
les causes situées toujours plus en amont. C'est pour cette raison
que les psychologues parlent aujourd'hui plus volontiers de
« facteurs motivationnels », de « capacités conatives », pour
désigner l'ensemble hétéroclite de ces variables qui influencent
l'engagement et la persévérance des conduites. En lisant les
travaux parus, on s'aperçoit que des auteurs font même l'économie
du terme de « motivation»: ainsi, parlent-ils du « sentiment de
compétence », de la « probabilité subjective de réussite », des
objectifs et de leur impact supposé sur la réussite du candidat. Le
concept de motivation a en effet l'inconvénient de faire croire que
la motivation serait une cause première, unique et monolithique,
qui expliquerait tout, de façon un peu magique et idéalisée, alors
qu'il regroupe un ensemble de variables de nature très différente.
Le terme de « motivation» a été, parfois, malheureusement
utilisé dans le sens de « satisfaction» (état affectif résultant de
l'appréciation d'une situation) bien que les notions soient
distinctes. On peut en effet être très motivé et totalement insatisfait
(c'est le cas du jeune chef de rayon qui débute dans la grande
distribution, sans compter ses heures, avec un maigre salaire à la
fin du mois) ou être très satisfait mais très peu motivé (cas de
l'ancien fonctionnaire bien rémunéré mais allant au travail avec
beaucoup moins d'entrain que notre jeune chef de rayon). Les
deux notions sont aujourd'hui bien distinguées dans les études.
D'autres auteurs emploient encore la métaphore de
« force» pour désigner la motivation. On se demande de quelle
nature peuvent être ces forces qui font agir plus ou moins
vigoureusement. Comme nous allons le voir, cette métaphore de
l'énergie ou de forces inconnues laisse la science quelque peu
pantoise. Nous éviterons ensuite tout recours à la notion imagée de
force ou d'énergie.
La définition de la motivation adoptée dans la suite de
l'ouvrage sera la suivante: la motivation à apprendre désigne
l'ensemble des facteurs régulateurs de l'engagement et de la
persévérance dans une activité d'apprentissage présentant une
difficulté adaptative.
16
Cette définition comporte plusieurs points. Tout d'abord,
la motivation est assimilée à un ensemble de variables et à leurs
effets; on peut parler alors de processus. La motivation vue
seulement comme un « état psychologique », tout comme la notion
d'énergie, est en effet très difficile à appréhender pour une
psychologie à visée scientifique.
En second lieu, ce processus de régulation va pouvoir être
influencé par des facteurs qui conditionneront la persévérance et
les efforts que la personne va faire dans une situation de difficulté.
Le déclenchement n'a pas été retenu car il est un événement trop
fugace (qui reste d'ailleurs un mystère même pour les
physiologistes), l'arrêt du comportement non plus, que l'on
considère comme la fin de la persévérance. On retrouve le postulat
de la science économique, qui pose le fait que l'homme agit
malgré lui et qu'il n'a pas toujours conscience des phénomènes qui
le font agir, dans un sens ou dans l'autre. Il ne suffit pas de faire
parler les gens pour connaître ce qui les fait agir: la psychologie a
depuis longtemps structuré ses méthodes, en ayant recours à
l'expérimentation notamment, afin de pouvoir prouver ce qui est
avancé, autrement que par la rhétorique. La recherche en
psychologie ne consiste pas uniquement à décrypter le discours des
personnes, mais plutôt à découvrir des lois au-delà du discours,
même si celui-ci peut faire partie de ces lois.
La notion de motivation est plus facile à opérationnaliser
d'après la définition donnée et on voit facilement les expériences
qui peuvent s'y rattacher. La motivation est ainsi directement
reliée à l'idée d'effort et de persévérance, mais pas forcément à la
réussite. Un indicateur des effets de la motivation est, toujours
selon cette définition, la quantité des efforts fournis face à une
difficulté: ils pourront être mesurés par le temps consacré à
l'activité (avec ou en dehors de toute contrainte explicite), par le
nombre d'essais successifs réalisés dans une tâche difficile, voire
impossible à résoudre. Ces indicateurs sont les témoins d'un
engagement dans lequel l'apprenant se concentre sur la tâche et
met tout en œuvre pour résoudre une situation problème. L'effort
représente «toutes les actions de l'apprenant finalisées par son
apprentissage et exercées à l'occasion de sa présence dans
17
l'organisation »2 : il est ce que fournit l'apprenant et aussi ce que
souhaite obtenir l'organisation. Il ne faut pas entendre par
« effort» le travail fourni « en plus », comme si le stagiaire avait
déjà à fournir un travail normal. Tout effort est une conduite, mais
tout effort ne conduit pas nécessairement à une performance
réussie.
Autre point très important: si la situation ne donne pas
lieu à difficulté, il peut y avoir engagement, mais il y aura peu
d'efforts. Les
activités routinières, automatiques et faciles,
réclament peu d'efforts pour être accomplies. Elles réclament
simplement
un minimum d'engagement.
Les variables
responsables de la production d'efforts n'interviennent pas dans ce
cas, qui ne peut donc servir à étudier les différentes variables
responsables de la persévérance. Un élève peut très bien réussir
sans se donner beaucoup de peine.
2
Définition tirée de Berthe, 2001, thèse en économie sur le concept d'effort.
18
On peut réussir sans faire beaucoup d'efforts
Curieusement et contrairement au sens commun, la plupart
des études qui ont cherché à prédire la réussite scolaire ou
l'atteinte d'objectifs dans le travail, à partir de la motivation, ne
trouvent qu'un impact modéré sur la performance scolaire ou les
résultats finaux.
Les psychologues
ne disposent pas aujourd'hui
d'instrument de mesure de la motivation qui permettrait de prévoir
à coup sûr, au moins de façon très supérieure en probabilité à une
prédiction faite au hasard, la réussite ultérieure dans les
apprentissages. Et ce, pour une simple raison: on peut être très
persévérant
et n'obtenir
que des résultats
scolaires
médiocres et on peut très bien obtenir de bons résultats sans
fournir pour autant de gros efforts. La performance scolaire
dépend d'autres facteurs (notamment les aptitudes et les
connaissances) et pas uniquement de la somme des efforts
produits. La motivation, si elle est observée à travers les efforts
réalisés, n'est pas une condition nécessaire, ni une condition
suffisante de la réussite: les capacités de mémoire et le stock de
stratégies d'apprentissage disponible ont, sans aucun doute, un
poids plus important dans la réussite que le simple fait de
persévérer.
Robertson et Downs en 19893, après passage en revue et
synthèse de plusieurs recherches, indiquent que la part de la
motivation dans la réussite en formation «serait de l'ordre de
20% ». Un autre psychologue, Robert Francés (1998), qui a réalisé
un grand nombre d'études dans le milieu du travail, conclut que
« bien peu [d'études] mettent en évidence un lien fort motivation performance dans l'emploi. La moyenne des corrélations trouvées
dans le milieu du travail oscille autour de 0.30 ». (Pour rappel: la
corrélation maximum, celle qui indiquerait un lien directement
proportionnel serait de 1.00). Avec une corrélation de 0.30, cela
revient à dire que la différence de motivation entre les personnes
3
Cités par Guerrero,
1998.
19
n'est pas responsable de plus de 9% des différences de réussite
dans le travail. Autrement dit 91% des variations dans la réussite
sont dues à autre chose que la motivation!
D'autres chercheurs restent néanmoins persuadés de
l'importance de la motivation et avancent deux raisons4 à cela.
Premièrement, les résultats des études sont peu en faveur de la
toute puissance de la motivation parce que la définition de
« motivation» ne fait pas l'unanimité, et que cela engendre une
confusion des concepts. Deuxièmement, les auteurs n'ont que peu
le souci de mettre sur pied des outils de mesure valides. La
constatation est également faite par Maurice Reuchlin (1991):
« ... faiblesse des corrélations entre motivation et réussite
scolaire
faible fidélité des évaluations... ».
Néanmoins, si cette critique est fondée, pour quelques
recherches, une position commune semble émerger pour la
majorité des chercheurs. Ils penchent aujourd'hui pour un effet
général, (c'est-à-dire dans le cas où l'on ne différencierait pas les
individus), plutôt modeste de la motivation, mais par contre pour
un net effet chez certains apprenants. On parle aussi d'effet
différentiel. Il se pourrait bien que la motivation n'ait en
moyenne qu'un poids très faible dans la réussite en formation,
mais en moyenne seulement: elle n'aurait pas d'effet chez les
personnes à faibles ou à très fortes capacités, mais ,un effet
sensible uniquement pour les personnes dotées de capacités
d'apprentissage
moyennes. Vroom, en 1959, l'avait pressenti
quand a été réalisée l'expérience suivante. Un test de coordination
complexe est administré dans un dispositif simulant un poste de
pilotage. Les sujets sont des recrues de l'armée de l'air. Sur la base
du score obtenu au cours d'un essai, on répartit les personnes en
deux groupes, les meilleurs et les moins bons, selon la médiane. A
l'intérieur de ces deux sous - groupes, on organise 20 essais, dans
un cas avec une consigne neutre et dans l'autre, il est dit que le test
détermine l'affectation ultérieure. Les résultats montrent que les
efforts suscités par la finalité déclarée de la tâche n'ont d'effet que
dans le groupe à forte capacité initiale: le progrès est chez eux très
4
Par exemple Sandra Michel, 1989.
20
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