Motivation à apprendre: mythe ou réalité? Point d'étape des recherches en psychologie Du même auteur: 1995. «Expertiser des compétences ou identifier les déterminants de la satisfaction au travail? ». Education Permanente, supplément Association pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA) N°124/1995-3. 2000. En collaboration avec De Gaillard, E; «Apports de la docimologie à la validation des compétences professionnelles en fin de formation ». Communication au ]]e congrès de Psychologie du Travail et des Organisations de l'Association Internationale de Psychologie du Travail de Langue Française, Université de Rouen, 28-31 août 2000. Hervé LEGRAIN Motivation à apprendre' mythe ou réalité? Point d'étape des recherches en psychologie L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE L'Harmattan Italia Via Bava, 37 10214 Torino ITALlE @L'Hannattan,2003 ISBN: 2-7475-3974-1 SOMMAIRE Introduction 7 QU'EST-CE QUE LA MOTIVATION? Il Définition pratique 13 On peut réussir sans faire beaucoup d'efforts.. 19 La motivation n'est pas un trait de personnalité 29 La réussite est indispensable à la motivation 33 La motivation n'est pas une .valeur 40 Un système de régulation des efforts Exemp le au travail Exemple en form.ation Exemple en insertion professionnelle 42 44 46 50 Le sentiment de compétence 52 Pour un modèle socio-cognitif de la motivation 55 COMMENT ENTRETENIR LA MOTIVATION ? 63 Travailler avec des objectifs difficiles, spécifiques et acceptés 65 Evaluer sans dévaloriser 71 Se méfier des grands discours 76 Sortir de la dictature du projet 80 Mettre les apprenants en situation de pouvoir choisir 84 Savoir récompenser 96 Faire travailler en groupe 101 Aider à la recherche .d'emploi 106 COMMENT LUTTER CONTRE LA DEMOTIV ATION ? 109 Quels sont les indicateurs de la démotivation ? 111 Quels sont les déterminants de la démotivation ? 115 La non-perception des objectifs pédagogiques La non-adhésion aux objectifs La certitude de ne pas pouvoir réussir Quelques principes d'action pédagogique Ii 0 gr ap hie. 123 127 CONCLUSION Bib 115 115 118 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 6 1 3 7 Introduction Le but de cet ouvrage est de tenter de mettre à la portée de chacun les avancées récentes des travaux de psychologie scientifique ayant pour objet la pédagogie et les apprentissages. Il ne requiert pas de connaissances particulières en statistique et les aspects méthodologiques ont été simplifiés dans la mesure du possible. Ce manuel doit permettre au public le plus large d'accéder aux connaissances actuelles sur ce thème particulier qu'est « la motivation à apprendre ». Il est destiné en tout premier lieu aux formateurs du domaine de la formation professionnelle d'adultes. Il pourra être également utile aux éducateurs sportifs, aux enseignants, et plus largement à toute personne qui a à transmettre des connaissances ou des savoir-faire d'ordre pratique. Les parents soucieux de l'éducation de leur enfant, par définition situation de transmission d'apprentissages, trouveront aussi dans cet ouvrage matière à réflexion sur la difficile pratique de l'exercice parental. Pour certains formateurs et enseignants, une des sacrosaintes clefs de la réussite des apprentissages serait avant tout la motivation. Il suffirait en quelque sorte d'être motivé pour réussir. Les choses ne sont, hélas, pas aussi simples et nous verrons que les résultats de travaux montrent au contraire que la motivation pèse relativement peu dans la balance réussite / échec, surtout si l'on ne prend pas soin de différencier les apprenants. Il y a une influence de la motivation, certes, mais son pouvoir sur la réussite de chaque apprenant est à relativiser, tant est complexe et multivarié le déterminisme des apprentissages. Dans l'exposé qui va suivre, nous nous attacherons à considérer la motivation à apprendre au sens où un individu se trouve face à une situation d'apprentissage, qu'il soit en formation professionnelle, à l'école ou dans une situation de la vie de tous les jours. La motivation ne s'applique pas de la même façon à toutes les occupations humaines; on conçoit aisément que l'on puisse être motivé pour faire une chose et très peu motivé à l'idée d'en faire une autre. Lorsque l'on parle de motivation, il est impératif 7 de parler de motivation à faire quelque chose, en prenant soin de préciser ce quelque chose. On ne trouvera donc pas dans cet ouvrage de théories générales des motivations humaines. La portée de cette étude est empirique, basée sur des faits, elle restreint le champ de l'investigation de la motivation aux conduites d'apprentissage. Le principe de cet ouvrage est de partir de faits expérimentaux pour en tirer des conclusions utilisables dans la pratique quotidienne des formateurs. Les études citées dans ce livre sont le plus souvent des expériences portant sur le thème de l'apprentissage, réalisées dans des situations de la vie quotidienne, de la formation professionnelle continue, du sport et du travail. Nous avons, bien sûr, pris plus spécifiquement en considération les études réalisées en formation d'adultes ou en contexte scolaire. Des précautions devant toujours être prises pour généraliser à un autre contexte des expériences réalisées dans un cadre donné. Cet ouvrage s'inscrit donc dans le cadre de ce que l'on pourrait appeler une psychologie à caractère scientifique, celle qui repose sur des faits vérifiables, reproductibles et surtout réfutables. Le débat sémantique et linguistique autour de la notion de motivation nous intéresse peu. Les sens donnés à la notion de motivation sont très nombreux. Il nous a semblé plus utile de définir ce qui nous paraît être un individu motivé, que la motivation elle-même. Un apprenant motivé n'est jamais défini uniquement par des performances exceptionnelles ou une réussite supérieure à la moyenne, mais plutôt par un comportement persévérant devant les difficultés rencontrées au cours de l'apprentissage: il fait des efforts, y passe du temps, répète les exercices, en demande d'autres, se concentre et persévère. C'est ce comportement persévérant qui nous a intéressés en premier lieu, ainsi que les raisons qui font qu'une personne a ce type de conduite et qu'une autre ne le présente justement pas. Dans ce travail, les travaux ne se basant pas sur des expérimentations, ont donc été écartés, ainsi que les affirmations reposant sur un cas unique ou les constatations du sens commun, excluant au passage la psychanalyse qui nous aurait fait sortir du cadre volontairement scientifique de l'exposé. Tous les travaux ne comportant pas la preuve expérimentale de ce qui est avancé ou ne permettant pas 8 d'être répliqués afin d'en vérifier les conclusions, n'ont pas été retenus. Nous avons donc passé en revue les études marquantes de ce siècle, afin d'illustrer les différentes théories de la motivation qui ont traversé l'histoire de la psychologie. Une première catégorie d'études pose une définition de la motivation et en assure la mesure dans des expériences, mais sans toujours tenir compte de ses effets éventuels. La motivation est alors prise comme variable dépendante et les chercheurs tentent de trouver tout ce qui est susceptible de la faire varier, ainsi que les interactions entre ces différentes variables (sentiment de compétence, perception de contrôle, attributions causales). Ces études sont intéressantes du point de vue théorique mais se révèlent assez peu fécondes pour les praticiens. Elles enrichissent la théorie mais n'aident pas la pratique des formateurs. Nous les citerons pour étayer le modèle théorique mais sans entrer trop dans le détail. Nous donnerons aux lecteurs particulièrement.. .motivés par cet aspect de la question, différentes références. Une deuxième catégorie d'études s'intéresse aux variables et à leurs effets, c'est-à-dire à la motivation considérée comme variable indépendante. On mesure alors la motivation par ses effets sur les processus cognitifs (sur la mémorisation, l'attention par exemple), sur des processus affectifs (les intérêts, la satisfaction) ou sur des comportements directement observables (persistance à la tâche, en terme de temps passé sur ce travail, réussite en formation) : on lui donne alors un contenu opératoire, mesurable. Les études où la motivation est considérée comme ayant des effets sur les comportements persistants, source de réussite, sont les plus riches d'enseignement pour les praticiens. Nous verrons qu'il y a essentiellement quatre modèles contemporains qui se révèlent particulièrement riches d'enseignements pratiques pour les enseignants: la théorie du but ou des objectifs (goal setting dans les travaux anglo-saxons ), . la théorie dite probabilité valence (expectancy value), . la théorie dite des attributions causales, et la théorie dite de l'engagement. . . 9 D'autres travaux et théories seront évoqués (pyramide de Maslow, théorie bifactorielle d'Herzberg, théorie de l'autodétermination. ..) mais ceux-ci comportent mOIns d'implications pratiques pour le formateur. 10 QU'EST-CE QUE LA MOTIVATION? Définition pratique La motivation désigne, dans le langage courant: «Ce qui fait agir et constitue un ensemble de motifs» (définition du Petit Robert et du Petit Larousse). De cette définition, on peut tirer deux conséquences: d'une part, rien ne pourrait se faire sans motivation, d'autre part, plus quelqu'un peut énoncer de motifs pour faire quelque chose, plus il serait motivé. Il suffit, dans ces conditions, de demander à quelqu'un d'énoncer les motifs qui l'animent: plus il en donne, plus on le tient pour motivé. L'on pourrait se contenter de fonctionner ainsi, cependant les faits expérimentaux viennent gâter cette belle déduction: Ce n'est, hélas, pas celui qui est capable d'énoncer le plus de motifs qui réussit le mieux ses apprentissages!. Les enfants de milieux sociaux dits «défavorisés» énoncent beaucoup plus de motifs pour réussir que les enfants dits de milieux «favorisés », notamment le désir d'ascension sociale, le souhait d'obtenir une meilleure situation que leurs parents. Les études réalisées dans ce sens montrent l'absence de rapport entre les bonnes raisons que l'on a de faire quelque chose et le fait de le faire. La motivation pourrait bien ne pas être une condition indispensable à toute activité humaine d'apprentissage. Dans une expérience déjà ancienne, un psychologue du nom de Tolman en 1930, a montré comment des animaux réussissent à apprendre sans motivation, grâce à un apprentissage latent. Pribam, autre chercheur, en 1974 a également montré qu'un singe réussit plus vite le conditionnement discriminatif d'une lettre si celle-ci a été affichée auparavant dans sa cage. La conclusion de l'auteur avait, à l'époque, quelque peu surpris: «Nous pouvons apprendre sans être motivé pour apprendre ». Lorsqu'il nous arrive d'entendre un air de musique à la radio le matin, puis de l'avoir dans la tête et de fredonner la chanson toute la journée, c'est bien souvent malgré nous que nous l'avons apprise. En bref, nous savons aujourd'hui que les motifs énoncés n'expliquent pas toute la motivation et que toute acquisition de connaissances ne nécessite pas 1 Voir par exemple: Carré, 2000. 13 forcément de fortes motivations préalables: les académiciens en tiendront-ils compte dans la définition donnée de « motivation» dans une prochaine version de leur dictionnaire? La psychologie n'a pas été la seule science à se préoccuper de ce concept. La science économique a, de son côté, utilisé le terme de « motivation» en le définissant comme un ensemble de facteurs qui détermine le comportement du consommateur (le terme est notamment repris pour constituer les «études de motivation »). On aperçoit l'ébauche d'une vision où l'homme aurait des motifs d'agir qu'il ignore et où ces motifs pourraient aussi bien être extérieurs à l'individu, agissant contre son gré. Les études de motivation ont d'ailleurs suivi les avancées de la psychologie: essentiellement basées, après la seconde guerre mondiale, sur les désirs refoulés, ces études passaient alors par de longues discussions en profondeur avec les volontaires. Aujourd'hui l'approche est différente: des expériences sont réalisées dans une salle où l'on projette des diapositives montrant un linéaire de grand magasin. Le « cobaye» déambule alors dans cette salle, il est ensuite interrogé sur ce qu'il a retenu de ce qu'il a vu pendant ce temps bref. A t-il repéré telle bouteille de telle marque parmi le flot des autres marques? etc. Comme souvent, le monde du commerce a « récupéré» bien plus vite les avancées de la science comportementale que le monde de l'éducation... La psychologie, de son côté, a d'abord abordé la notion de motivation en essayant de répondre à la question, somme toute assez simple: « Qu'est-ce qui motive la personne? ». On regroupe traditionnellement ces théories sous l'appellation des théories du contenu (dans ce groupe de théories, on trouve notamment la fameuse pyramide de Maslow qui date de 1954). Un autre groupe de chercheurs dans une dynamique différente, élabore un peu plus tard un ensemble de théories différentes et s'intéresse à la question « Comment se motivent les personnes? » : Ce sont les théories du processus, celles qui apparaissent les plus intéressantes et les plus riches pour les pédagogues. Cette conduite motivée est supposée être provoquée par une cause première appelée « motivation », qui désigne en quelque sorte un : « Construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces 14 internes et externes produisant le déclenchement, la direction, l'intensité et la persistance du comportement », comme se plaisent à dire des psychologues contemporains qui ont réalisé une large revue des travaux (Thill et Vallerand, 1993). On peut donc constater que le concept de motivation, mot tiré du langage commun, regroupe plutôt aujourd'hui, en psychologie, un ensemble des variables agissant sur l'engagement et la persistance dans les conduites. Ces variables sont très hétérogènes quant à leur nature: la classe sociale, l'estime de soi, la valeur du renforcement escompté, la clarté des objectifs affichés, etc. Ces variables agiraient, en quelque sorte, sur la motivation, qui agirait elle-même sur le comportement. Le statut de cette variable intermédiaire entre les facteurs externes et le comportement n'est pas simple; il demeure «hypothétique », disent les auteurs. On verra dans la suite de l'analyse, que l'on peut facilement se passer de cette notion de motivation, tout en s'intéressant aux problèmes de persistance et d'engagement. Pour Claude Levy-Leboyer (1998), psychologue française spécialiste de la motivation, « Etre motivé, c'est essentiellement avoir un objectif, décider de faire un effort pour l'atteindre et persévérer dans cet effort jusqu'à ce que le but soit atteint. ». Nous verrons que l'objectif doit présenter une certaine difficulté, dans le cas contraire, il est inopportun de parler de persévérance. Au début du siècle, lorsque la psychologie scientifique a cherché de donner un contenu à la notion d'intelligence, elle s'est heurtée à de grandes polémiques. Elle a, aujourd'hui, pris ses distances avec ce terme, au contenu imprécis, pour lui préférer d'autres appellations mieux définies: capacités cognitives, raisonnement logico-mathématiques. Ce que le sens commun indique par «intelligence» regroupe en réalité une quantité de capacités à résoudre des problèmes de nature différente (verbaux, spatiaux, sociaux...). Il semblerait que se reproduise aujourd'hui le même schéma avec la motivation: plus le phénomène est étudié et plus le terme de « motivation» tend à s'écarter au profit de notions mieux définies. Il n'en reste pas moins vrai que la préoccupation des chercheurs est de trouver ce qui pourrait déterminer, outre les capacités de l'apprenant, la réussite des élèves, et ce en cherchant 15 les causes situées toujours plus en amont. C'est pour cette raison que les psychologues parlent aujourd'hui plus volontiers de « facteurs motivationnels », de « capacités conatives », pour désigner l'ensemble hétéroclite de ces variables qui influencent l'engagement et la persévérance des conduites. En lisant les travaux parus, on s'aperçoit que des auteurs font même l'économie du terme de « motivation»: ainsi, parlent-ils du « sentiment de compétence », de la « probabilité subjective de réussite », des objectifs et de leur impact supposé sur la réussite du candidat. Le concept de motivation a en effet l'inconvénient de faire croire que la motivation serait une cause première, unique et monolithique, qui expliquerait tout, de façon un peu magique et idéalisée, alors qu'il regroupe un ensemble de variables de nature très différente. Le terme de « motivation» a été, parfois, malheureusement utilisé dans le sens de « satisfaction» (état affectif résultant de l'appréciation d'une situation) bien que les notions soient distinctes. On peut en effet être très motivé et totalement insatisfait (c'est le cas du jeune chef de rayon qui débute dans la grande distribution, sans compter ses heures, avec un maigre salaire à la fin du mois) ou être très satisfait mais très peu motivé (cas de l'ancien fonctionnaire bien rémunéré mais allant au travail avec beaucoup moins d'entrain que notre jeune chef de rayon). Les deux notions sont aujourd'hui bien distinguées dans les études. D'autres auteurs emploient encore la métaphore de « force» pour désigner la motivation. On se demande de quelle nature peuvent être ces forces qui font agir plus ou moins vigoureusement. Comme nous allons le voir, cette métaphore de l'énergie ou de forces inconnues laisse la science quelque peu pantoise. Nous éviterons ensuite tout recours à la notion imagée de force ou d'énergie. La définition de la motivation adoptée dans la suite de l'ouvrage sera la suivante: la motivation à apprendre désigne l'ensemble des facteurs régulateurs de l'engagement et de la persévérance dans une activité d'apprentissage présentant une difficulté adaptative. 16 Cette définition comporte plusieurs points. Tout d'abord, la motivation est assimilée à un ensemble de variables et à leurs effets; on peut parler alors de processus. La motivation vue seulement comme un « état psychologique », tout comme la notion d'énergie, est en effet très difficile à appréhender pour une psychologie à visée scientifique. En second lieu, ce processus de régulation va pouvoir être influencé par des facteurs qui conditionneront la persévérance et les efforts que la personne va faire dans une situation de difficulté. Le déclenchement n'a pas été retenu car il est un événement trop fugace (qui reste d'ailleurs un mystère même pour les physiologistes), l'arrêt du comportement non plus, que l'on considère comme la fin de la persévérance. On retrouve le postulat de la science économique, qui pose le fait que l'homme agit malgré lui et qu'il n'a pas toujours conscience des phénomènes qui le font agir, dans un sens ou dans l'autre. Il ne suffit pas de faire parler les gens pour connaître ce qui les fait agir: la psychologie a depuis longtemps structuré ses méthodes, en ayant recours à l'expérimentation notamment, afin de pouvoir prouver ce qui est avancé, autrement que par la rhétorique. La recherche en psychologie ne consiste pas uniquement à décrypter le discours des personnes, mais plutôt à découvrir des lois au-delà du discours, même si celui-ci peut faire partie de ces lois. La notion de motivation est plus facile à opérationnaliser d'après la définition donnée et on voit facilement les expériences qui peuvent s'y rattacher. La motivation est ainsi directement reliée à l'idée d'effort et de persévérance, mais pas forcément à la réussite. Un indicateur des effets de la motivation est, toujours selon cette définition, la quantité des efforts fournis face à une difficulté: ils pourront être mesurés par le temps consacré à l'activité (avec ou en dehors de toute contrainte explicite), par le nombre d'essais successifs réalisés dans une tâche difficile, voire impossible à résoudre. Ces indicateurs sont les témoins d'un engagement dans lequel l'apprenant se concentre sur la tâche et met tout en œuvre pour résoudre une situation problème. L'effort représente «toutes les actions de l'apprenant finalisées par son apprentissage et exercées à l'occasion de sa présence dans 17 l'organisation »2 : il est ce que fournit l'apprenant et aussi ce que souhaite obtenir l'organisation. Il ne faut pas entendre par « effort» le travail fourni « en plus », comme si le stagiaire avait déjà à fournir un travail normal. Tout effort est une conduite, mais tout effort ne conduit pas nécessairement à une performance réussie. Autre point très important: si la situation ne donne pas lieu à difficulté, il peut y avoir engagement, mais il y aura peu d'efforts. Les activités routinières, automatiques et faciles, réclament peu d'efforts pour être accomplies. Elles réclament simplement un minimum d'engagement. Les variables responsables de la production d'efforts n'interviennent pas dans ce cas, qui ne peut donc servir à étudier les différentes variables responsables de la persévérance. Un élève peut très bien réussir sans se donner beaucoup de peine. 2 Définition tirée de Berthe, 2001, thèse en économie sur le concept d'effort. 18 On peut réussir sans faire beaucoup d'efforts Curieusement et contrairement au sens commun, la plupart des études qui ont cherché à prédire la réussite scolaire ou l'atteinte d'objectifs dans le travail, à partir de la motivation, ne trouvent qu'un impact modéré sur la performance scolaire ou les résultats finaux. Les psychologues ne disposent pas aujourd'hui d'instrument de mesure de la motivation qui permettrait de prévoir à coup sûr, au moins de façon très supérieure en probabilité à une prédiction faite au hasard, la réussite ultérieure dans les apprentissages. Et ce, pour une simple raison: on peut être très persévérant et n'obtenir que des résultats scolaires médiocres et on peut très bien obtenir de bons résultats sans fournir pour autant de gros efforts. La performance scolaire dépend d'autres facteurs (notamment les aptitudes et les connaissances) et pas uniquement de la somme des efforts produits. La motivation, si elle est observée à travers les efforts réalisés, n'est pas une condition nécessaire, ni une condition suffisante de la réussite: les capacités de mémoire et le stock de stratégies d'apprentissage disponible ont, sans aucun doute, un poids plus important dans la réussite que le simple fait de persévérer. Robertson et Downs en 19893, après passage en revue et synthèse de plusieurs recherches, indiquent que la part de la motivation dans la réussite en formation «serait de l'ordre de 20% ». Un autre psychologue, Robert Francés (1998), qui a réalisé un grand nombre d'études dans le milieu du travail, conclut que « bien peu [d'études] mettent en évidence un lien fort motivation performance dans l'emploi. La moyenne des corrélations trouvées dans le milieu du travail oscille autour de 0.30 ». (Pour rappel: la corrélation maximum, celle qui indiquerait un lien directement proportionnel serait de 1.00). Avec une corrélation de 0.30, cela revient à dire que la différence de motivation entre les personnes 3 Cités par Guerrero, 1998. 19 n'est pas responsable de plus de 9% des différences de réussite dans le travail. Autrement dit 91% des variations dans la réussite sont dues à autre chose que la motivation! D'autres chercheurs restent néanmoins persuadés de l'importance de la motivation et avancent deux raisons4 à cela. Premièrement, les résultats des études sont peu en faveur de la toute puissance de la motivation parce que la définition de « motivation» ne fait pas l'unanimité, et que cela engendre une confusion des concepts. Deuxièmement, les auteurs n'ont que peu le souci de mettre sur pied des outils de mesure valides. La constatation est également faite par Maurice Reuchlin (1991): « ... faiblesse des corrélations entre motivation et réussite scolaire faible fidélité des évaluations... ». Néanmoins, si cette critique est fondée, pour quelques recherches, une position commune semble émerger pour la majorité des chercheurs. Ils penchent aujourd'hui pour un effet général, (c'est-à-dire dans le cas où l'on ne différencierait pas les individus), plutôt modeste de la motivation, mais par contre pour un net effet chez certains apprenants. On parle aussi d'effet différentiel. Il se pourrait bien que la motivation n'ait en moyenne qu'un poids très faible dans la réussite en formation, mais en moyenne seulement: elle n'aurait pas d'effet chez les personnes à faibles ou à très fortes capacités, mais ,un effet sensible uniquement pour les personnes dotées de capacités d'apprentissage moyennes. Vroom, en 1959, l'avait pressenti quand a été réalisée l'expérience suivante. Un test de coordination complexe est administré dans un dispositif simulant un poste de pilotage. Les sujets sont des recrues de l'armée de l'air. Sur la base du score obtenu au cours d'un essai, on répartit les personnes en deux groupes, les meilleurs et les moins bons, selon la médiane. A l'intérieur de ces deux sous - groupes, on organise 20 essais, dans un cas avec une consigne neutre et dans l'autre, il est dit que le test détermine l'affectation ultérieure. Les résultats montrent que les efforts suscités par la finalité déclarée de la tâche n'ont d'effet que dans le groupe à forte capacité initiale: le progrès est chez eux très 4 Par exemple Sandra Michel, 1989. 20