58 FOCUS MÉTIERS ANALYSE FINANCIÈRE ENTRETIEN AVEC POUR UNE APPRÉCIATION QUALITATIVE DE LA RECHERCHE PHILIPPE TASTEVIN PAR BRUNO BEAUVOIS MIF2, une réforme radicale pour le marché obligataire Spread Research 1, fournisseur français de recherche crédit, a répondu à la consultation menée par l’AMF sur le financement de la recherche financière dans le cadre de MIF 2. Philippe Tastevin, le président de son conseil de surveillance, répond à deux questions. p our vous, quels sont les points essentiels dans la consultation dirigée par l’AMF, close depuis le 28 octobre dernier ? J’en note au moins cinq essentiels pour notre métier. Il faut tout d’abord noter le risque qu’une réforme mal ajustée ferait peser sur la viabilité économique déjà précaire de la recherche sur les petites valeurs, avec un impact négatif potentiellement fort sur le financement de l’économie. MIF2 vise à créer un authentique marché de la recherche, alors qu’actuellement, les investisseurs sont noyés sous des flots d’analyses non sollicités et difficilement évaluables, en termes de qualité comme de prix, l’essentiel de la recherche étant diffusée « gracieusement » ou, du moins, le client en a-t-il l’impression. Dans le monde post-MIF2, la transparence aura fortement progressé. L’investisseur y gagnera en pouvant comparer les offres de service : plus ou moins indépendantes, plus ou moins chères. Par ailleurs, comme chacun sait, les marchés « actions » se caractérisent, au plan des commissions dues, par des tarifs d’intermédiation tout à fait clairs et par des frais de recherche qui ont déjà commencé à le devenir (en particulier suite à la mise en place de Commission Sharing Agreements (CSA). Les marchés de taux et de crédit sont dans une situation très différente puisque ces commissions sont actuellement financées par le spread, dans une très grande opacité. La réforme à venir est donc radicalement nouvelle pour le marché obligataire, puisque MIF2 prévoit la mise en place de comptes de paiement de recherche (Research Payment Accounts, RPA - compte de frais de recherche) obligatoires, pour les obligations comme pour les actions. En pratique, nous sommes donc favorables à l’extension des CSA à la gestion obligataire et à leur compatibilité avec des RPA. Ce sera un véritable progrès, pour autant que le client accède au détail des budgets de prestations par type de recherche, et non à un montant global de recherche indéterminé. À cet égard, alors que la consultation s’est focalisée sur la recherche « actions », il faut affirmer que la recherche crédit ne peut être considérée comme un minor interest fourni aux investisseurs, mais fait partie intégrante du dispositif de consommation de la recherche à venir. En fonction des résultats de la consultation qu’elle vient de conduire, peut-être l’AMF jugera-t-elle opportun d’en lancer une seconde spécifiquement sur le marché obligataire. En tout état de cause, nous saluons le travail des PHILIPPE TASTEVIN EST, DEPUIS JUIN 2016, PRÉSIDENT DU CONSEIL DE SURVEILLANCE DE SPREAD RESEARCH. qu’il a rejoint en juillet 2015 en tant que viceprésident du conseil. Après être passé par le cabinet du ministre de la Défense et la Commission européenne, il a exercé au sein du groupe Euronext durant plus de 15 ans en France et à l’étranger, différentes fonctions à la direction des Marchés et dernièrement celle de directeur de la Stratégie. Philippe Tastevin est diplômé de l’ENSIIE, de Sciences-Po Paris et titulaire du certificat ICCF-HEC Paris en analyse financière. autorités françaises pour s’assurer de la meilleure adéquation du nouveau régime à la réalité de ce marché spécifique. Autre point : la notion d’indépendance véritable de la recherche n’est pas suffisamment mise en avant, alors que c’est un attribut essentiel de sa qualité. Nous notons que la Financial Conduct Authority (FCA) y consacre un chapitre entier dans sa consultation en cours qui s’achèvera début janvier 2017. Un gros effort doit encore être fourni sur la Place de Paris à ce sujet. Last but not least, on doit aussi noter que le champ d’application de la directive s’étend à la seule gestion sous mandat. Or, il nous semble inapproprié de mettre juridiquement de côté ce qui relève de la gestion collective. D’autant plus que les parties prenantes géreront difficilement ce « double standard » dans la pratique. La FCA compte d’ailleurs appliquer la réforme aux deux formes de gestion. Comment définissez-vous la recherche ? Il faut faire le tri, au sein des Services d’aide à la décision d’investissement et d’exécution (SADIE) entre ce qui relève vraiment d’une activité de recherche, d’une part, de ce qui a trait à d’autres services d’autre part. C’est, en l’occurrence, le cas du Corporate access mais aussi de la relation commerciale. Et puis il n’y a, selon nous, de bonne recherche qu’indépendante, c’est-à-dire exempte de conflit d’intérêts. Comment avoir une totale confiance dans une recherche produite par un analyste lié, même indirectement, à un book ? Le premier critère de l’indépendance d’un fournisseur, c’est sa structure capitalistique. Comme beaucoup, nous sommes convaincus que l’indépendance de la recherche est un critère absolument décisif de sa qualité. Nous militons donc pour que la recherche indépendante soit « fléchée » par les pouvoirs publics, en vue d’inciter les investisseurs à recourir à la meilleure analyse financière possible. Transparence, sécurité de l’investisseur et stabilité financière : c’est, sans conteste, l’esprit du nouveau texte européen MIF2. Cet esprit appelle à une promotion efficace de l’indépendance de la recherche. n (1) Spread Research est un fournisseur français de recherche crédit dont le capital est essentiellement détenu par son management. La société a été créée en 2004 pour répondre au besoin de transparence et d’indépendance de la recherche à la suite, en particulier, du scandale Enron. JANVIER FEVRIER MARS 2017 ANALYSE FINANCIÈRE N° 62