Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2009)
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ÉCONOMIE INFORMELLE ET TOURISME
EN AMAZONIE FRANÇAISE :
LES SENTIERS DU DÉSÉQUILIBRE
Paul ROSELÉ CHIM59
Résumé
Dans l’Outre-Mer francophone, contexte économique oblige,
nous sommes habitués à porter nos analyses sur l’économie
touristique sans accorder d’attention à l’économie informelle.
Dans les pages qui suivent, nous allons chercher à conduire un
raisonnement analytique dans le but d’éclairer la problématique
de l’économie informelle et du tourisme selon plusieurs angles
d’attaque que nous exploiterons pour examiner la zone Amazonie
française dans ses relations de voisinage avec le Brésil et le
Suriname : la Guyane française.
Mots clés : Amazonie, tourisme, économie informelle,
développement, déséquilibre
59 L’auteur est Docteur de l’Université Paris X-Nanterre et Maître de
Conférences des Universités. Il anime les réflexions du réseau 3DISEC-CAASSIDD
et du LEAD EA 2438 de l’Université des Antilles et de la Guyane. Ce papier est
extrait d’un programme de recherche portant sur les problématiques de
déséquilibre de développement. Il a été présenté en séminaire du réseau
CEROM, INSEE, IEDOM et AFD en 2005 à Cayenne. Que tous les participants à
ces travaux accueillent nos remerciements pour les discussions dont ce thème a
fait l’objet.
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ans la pratique du développement dans son intégralité,
force est d’observer que de nombreux agents
économiques, loin d’intégrer l’industrie officielle, se
greffent sur celle-ci en se différenciant en terme de gain ou de
pratiques monétaires et de change et fournissent des services
concurrentiels divers. Un système se constitue et se renforce
dans le temps. Il reste aux prises avec une logique d’intégration
non seulement en déséquilibre, mais aussi en dévoiement. En
terme de stratégie de développement : faut-il appliquer des
politiques de sanctions ou faut il dynamiser les facteurs
travail et capital pour mieux réguler les rapports entre les
comportements formels et les pratiques informelles ? Face à
l’instabilité, aux risques possibles, quelle orientation les
autorités peuvent-elles prendre ?
Si l’on examine la pratique du développement sous l’angle de
l’analyse spatiale, la problématique se présente tout
autrement. Les besoins des agents se trouvent circonscrits en
espaces de développement. Selon la nature de la ressource et
de l’activité productive, on ne saurait, donc, poursuivre un
objectif de développement sans préciser sur quel espace celui-
ci doit s’appliquer, autrement dit, sans définir au préalable
l’espace permanent. On ne saurait non plus dynamiser
durablement ce développement sans définir ni zoner des
vocations en classant les pratiques des agents pour rendre plus
harmonieux les diverses fonctions de l’espace.
La problématique ainsi abordée nous invite à une analyse
intégrant une démarche économique ethnométhodologique
conduisant à l’observation de terrain. Pour pouvoir l’effectuer,
la complexité des questions soulevées impose de jeter un
regard succinct sur la littérature d’économie du développement
en la matière. Par conséquent, dans ce papier, nous ne
pouvons traiter que d’un seul problème : celui du cheminement
des pratiques informelles développées par les agents dans leur
lien avec l’industrie touristique. Ces pratiques permettent de
capter la manne financière déployée par elle. Il s’agit bien de
sentier du déséquilibre de développement. Et donc, six sections
sont consacrées au thème annoncé.
La première section de notre étude consiste en une
présentation de fondements pour éclairer notre analyse. Nous
nous situons plutôt dans une démarche visant à montrer que la
dynamique informelle dans ce domaine n’est pas abordée
comme constituant un secteur d’activités négatives à la
Gutmann (1977), Tanzi (1986), Feige (1989), même si certaines
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caractéristiques sont à sanctionner et à proscrire. Notre
approche considère celles-ci comme formant un secteur positif
de second rang. Ce dernier présente, avec le secteur formel, un
équilibre à l’image d’un système de vases communiquants. Les
pratiques informelles participent à la performance du
développement comme l’avance les travaux de l’école
colombienne à la Lopez (1989).
Ainsi, en s’appuyant sur ces fondements, nous développons
notre étude de l’informel et du tourisme par des approches
différenciées afin de traduire le cheminement des pratiques
informelles, d’où l’utilisation du vocable « sentier ».
La deuxième section traite du cheminement de l’informel par
les activités complémentaires. Elle procède d’un essai de
traduction du contexte de l’informalité.
La troisième section prend pour cadre d’analyse, celui des
activités extra-hôtelières. En référence aux travaux de Raboteur
(2000 & 2001) et à ceux de Raboteur et Roselé Chim (2001)
s’appuyant sur les orientations du BIT60, nous privilégions la
recherche observation-enquête pour effectuer une remontée
du cheminement des pratiques informelles.
La quatrième section fait le lien entre le développement local
et les pratiques informelles. La dynamique de développement
zonale active les activités informelles et contrecarre
paradoxalement les négativités économiques.
La cinquième section développe un raisonnement utilisant le
zonage comme moyen éclairant les pratiques domestiques et
informelles des populations de l’intérieur.
La sixième section est entièrement consacrée à une étude de
cas. En appliquant la procédure d’analyse économique du
développement et en utilisant l’ethnométhodologie, l’objectif
consiste à mettre en lumière l’imbrication du formel et de
l’informel dans le développement touristique.
La conclusion procède d’une synthèse des sentiers sous l’angle
des déséquilibres de veloppement. Par même, nous nous
attachons à clarifier les avancées et les limites de l’étude.
60 Rapport du BIT « Le travail dans le monde 1997-1998 », Genève, Suisse.
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QUELQUES FONDEMENTS POUR UN ÉCLAIRAGE
DAPPROCHE
Il existe un cliché trop souvent répandu qui vise à considérer
que dès lors que l’on aborde le marché du travail dans un
contexte de région en développement, systématiquement les
agents sont vus comme étant peu en règles par rapport à la
législation sociale du pays. Il est vrai que l’on rencontre
beaucoup d’agents sans statut social qui constituent un « pool
de recrues potentielles ». Mais, nous sommes tenus de voir
aussi, que les pratiques informelles font partie intégrante de
ces régions en développement61 (Raboteur et Roselé Chim,
2001). Ainsi, elles touchent tous les secteurs comme celui du
tourisme au même titre, car elles permettent à une partie
importante des populations, ceux du secteur de subsistance, de
subsister dans une moindre mesure et de vivre même très
décemment. Par ailleurs, elles permettent à une partie du
capital de se reproduire en développant des services répondant
à un besoin que le secteur officiel ne parvient pas toujours à
combler du fait des rigidités ou des faibles flexibilités.
Les pratiques informelles jouent un rôle au cœur du processus
de développement. La pensée économique a souvent relevé
cette observation tant en Asie, en Afrique, en Caraïbe, qu’en
Amérique du Sud. Le nombre d’études sur la question est loin
d’être exhaustif pour attester de l’importance que nous
pourrions accorder à ces pratiques dans le domaine du
tourisme.
Ne serait- ce qu’en se référant à Hugon et al. (1977 & 1985), ou
Penouil et Lachaud (1986) et Penouil (1990), il est fort aisé
d’investiguer d’un côté le lien existant entre les petites activités
marchandes et l’emploi, et de l’autre, celui entre le marché
global du travail et la production informelle.
En ce qui concerne particulièrement la grande région Amérique
Latine et Caraïbe, l’analyse de l’informel présente globalement
quatre écoles (Roselé Chim, 2005) :
L’école structuraliste avance une vision mettant en
évidence les différentes composantes de l’activité
productive dans leur rapport de socialité. Il est plutôt
question de la stratégie de survie des individus face à la
pauvreté chronique d’un côté, et de problèmes
61 Rapport du BIT « Le travail dans le monde 1997-1998 », Genève, Suisse.
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conjoncturels provenant des programmes
d’ajustements structurels de l’autre.
L’approche de l’économie souterraine à la Portès (1995)
annonce deux angles d’attaque fondamentaux : une
approche de type substitution de monnaies, une
approche en terme de comptabilité nationale. La
première utilise une méthodologie directe de contrôle
fiscal. La seconde utilise une méthodologie d’enquêtes
conduisant à cerner l’offre de travail.
L’approche néo-libérale à la De Soto (2005) aborde
l’informel en tant que résultante de plusieurs forces
économiques dont quatre sont prépondérantes : la
dynamique d’industrialisation intensive en capital, le
caractère peu qualifié de la main d’œuvre, la migration
interne et la forte et rapide croissance du secteur
moderne.
La philosophie des ONG se préoccupe du
fonctionnement des marchés noirs. Il s’agit d’une
approche ayant un lien avec le modèle standard de la
fraude.
Au delà de ces courants de pensée il est possible de souligner
d’autres tentatives d’analyse comme celles présentées par
Roselé Chim (1999a) ou Raboteur (2000) qui se rangent dans la
pensée caribéenne de langue française.
Roselé Chim (1999b) met l’accent sur le cadre de substitution
de monnaies couplé avec des objectifs de politique monétaire
et fiscale. Les agents changent régulièrement la composition de
leur patrimoine dès lors que les objectifs des autorités sont en
leur défaveur. Le dollar est préféré à la monnaie nationale. Les
mouvements migratoires sont motivés par des objectifs de gain
que les migrants calculent. Les frontières sont perméables. Les
effets de dénivellation socio-économiques sont significatifs.
L’impossibilité du contrôle total des frontières motive les
migrations et crée des concentrations sociodémographiques
qui entraînent le développement d’activités économiques
transfrontalières.
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