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Maître des trois chemins, tu as en face de toi un homme
qui a beaucoup porté.
Depuis ELAM. Depuis AKKAD. Depuis SUMER.
J'ai porté le corps du commandant.
J'ai porté le chemin de fer du commandant.
J'ai porté la locomotive du commandant, le coton du commandant
(…)
Maître des trois chemins, Maître des trois rigoles, plaise que pour une
fois - la première depuis AKKAD depuis ELAM depuis SUMER -
(…)
j'avance à travers les feuilles mortes de mon petit pas de sorcier
vers là où menace triomphalement l'inépuisable injonction des hommes
jetés aux ricanements noueux de l'ouragan
Depuis ELAM. Depuis AKKAD. Depuis SUMER."6
J'imaginais la scène, il n'y a pas si longtemps, en scrutant, sur un moulage
exposé au Musée d'ORSAY, les traits du visage de "La négresse révoltée" qu'a
sculpté CARPEAUX. Ce qui se lit, là, dans ce regard noir que par on ne sait
quel miraculeux tour de main l'artiste a su fixer, ce n'est pas à vrai dire de la
révolte mais plus précisément, très exactement, du "ressentiment". Et CESAIRE,
opinant du chef, de renchérir : "- Nous sommes le parti du grief généralisé".
"Poète de la colère"7, il a su caractériser le discours protestataire des Amériques
noires8 et, par delà, tous les discours contemporains du ressentiment :
"Comme il y a des hommes-hyènes
et des hommes panthères,
6 Aimé CESAIRE, "Depuis ELAM depuis AKKAD depuis SUMER", poème in Aimé CESAIRE, Cadastre,
Paris, Editions du SEUIL, 1961 (première édition), repris in Aimé CESAIRE, Anthologie poétique (présentée
par R. TOUMSON), Paris, Editions de l'Imprimerie Nationale, Collection "La Salamandre", 1996 (édition
utilisée, p.154).
7 Cf. R. TOUMSON, S. HENRY-VALMORE, Aimé CESAIRE, le Nègre inconsolé, Paris, Editions SYROS,
1993.
8 Cf. Roger BASTIDE, Les Amériques noires, Paris, Payot Editeur, Paris 1967