logique de domination psychose de ressentiment

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Roger TOUMSON
LOGIQUE DE DOMINATION
PSYCHOSE DE RESSENTIMENT
1
1. "DEPUIS ELAM DEPUIS AKKAD DEPUIS SUMER"
Sentiment "noir", "noir désir", le ressentiment est un mal mystérieux.
Insaisissable, il court, il court… NIETZSCHE qui fut en philosophie le
précurseur de la psychopathologie moderne du ressentiment a fait de l'araignée
- la tarentule - l'allégorie de l'esprit de vengeance. Comme le venin de la
tarentule, c'est une force irrésistible, invincible, de contagion. A cette métaphore
arachnoïde pourrait s'adjoindre celle de la ronce. "Blesse, ronce noire"1. Le
ressentiment est un poison. "Ceux qui souffrent examinent jusqu'aux entrailles
de leur passé et de leur présent pour y trouver des choses sombres et
mystérieuses qui leur permettent de s'y griser de douloureuses méfiances, de
s'enivrer au poison de leur propre méchanceté."2C'est déjà ce qu'en disait, avec
une non moins saisissante justesse du diagnostic, Victor HUGO, dans ces
strophes des "Contemplations":
"J'aime l'araignée et j'aime l'ortie,
Parce qu'on les hait;
Et que rien n'exauce et que tout châtie
Leur morne souhait;
Parce qu'elles sont maudites, chétives,
Noirs êtres rampants;
Parce qu'elles sont les tristes captives
De leur guet-apens;
Parce qu'elles sont prises dans leur oeuvre;
1
2
Claude-Louis COMBET, Blesse, ronce noire, Librairie José CORTI, Paris 1995
NIETZSCHE, Généalogie de la morale, III, 15, trad. Henri ALBERT, Paris, Mercure de France.
2
O sort! Fatals nœuds!
Parce que l'ortie est une couleuvre,
L'araignée est un gueux;
Parce qu'elles ont l'ombre des abîmes,
Parce qu'on les fuit,
Parce qu'elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit."3
Les chroniqueurs rapportent que, le grand âge venu, perclus de crises de
goutte - il mourut le 10 août 1002, à l'âge de 66 ans -, MUHAMMAD ibn ABI
AMIR, dit "al - MANSUR", "le victorieux", commandeur de CORDOUE,
capitale du califat andalou des OMMEYADES, ordonna que sa litière fût
exclusivement portée par des courriers noirs africains ceux-ci ayant, précisait-il,
fin connaisseur, la démarche plus souple. Comme la démarche, l'esclave a
l'échine souple. Et pourquoi? C'est la question qu'a posée NIETZSCHE au début
du livre premier d'Ainsi parlait ZARATHOUSTRA au moyen de l'apologue du
chameau, du lion et de l'enfant:
- "Comment l'esprit devient chameau, comment le chameau devient lion,
et comment enfin le lion devient enfant".
A cette devinette en forme d'apologue NIETZSCHE apporte la réponse en ces
termes :
- le chameau est l'animal qui porte le poids des valeurs établies, celles de
l'éducation, de la morale et de la culture ;
- arrivé dans le désert, il se change en un lion qui critique toutes les valeurs
établies, casse les statues, piétine les fardeaux ;
3
Victor HUGO, Les Contemplations, poème XXVII (1842).
3
- ayant ainsi fait le lion se change en un enfant qui, incarnant de nouvelles
valeurs et de nouveaux principes d'évaluation, est une vivante allégorie du
Jeu et de l'éternel commencement du monde.
Cette allégorie est sans doute rattachable à la légende moyen-âgeuse de SAINTJERÔME qui, un jour, "sauva un lion de la mort en lui ôtant une épine de la
patte. Le fauve reconnaissant qui ne le quitta plus montait la garde et protégeait
l'âne qui apportait le bois au couvent. Un jour que le lion s'était assoupi, l'âne
fut dérobé par des brigands, et on accusa bien sûr le lion de l'avoir dévoré.
Mais l'animal retrouva les voleurs."4 La pieuse vénération dont le saint ermite
était alors entouré est attestée par ERASME qui, faisant l'éloge de SAINTJERÔME qu'il préférait à SAINT-AUGUSTIN, écrivait en 1501, dans son traité,
Le Mépris de monde : "Saint-Jérôme est le maître accompli de la sagesse
sacrée et de la sagesse profane"5. Dans les tableaux où le peintre flamand,
PATINIR, dépeint SAINT-JERÔME celui-ci apparaît, au désert, agenouillé
devant le CHRIST en croix, avec son compagnon, le lion, près de deux
chameaux ou d'un âne placé à l'arrière plan. Bêtes du désert, portant l'un et
l'autre des fardeaux, le chameau et l'âne sont interchangeables. Dans le bestiaire
de Zarathoustra, incarnant le "non" nihiliste du ressentiment, ils représentent
l'esclave.
A l'apologue nietzschéen des trois métamorphoses fait écho l'apologue des
"trois chemins" où Aimé CESAIRE repose, en la réactualisant à l'échelle
historique moderne du processus colonial de l'esclavage des Noirs aux
Amériques, la problématique de la condition servile.
"Maître des trois chemins, tu as en face de toi un homme
qui a beaucoup marché.
Depuis ELAM. Depuis AKKAD. Depuis SUMER.
4
Henrik STANGERUP, L'idée du bleu, Joachim PATINIR, Paris, les Flohic Editeurs, Col. "Musées Secrets", ,
2000, p.53
5
Idem, ibidem
4
Maître des trois chemins, tu as en face de toi un homme
qui a beaucoup porté.
Depuis ELAM. Depuis AKKAD. Depuis SUMER.
J'ai porté le corps du commandant.
J'ai porté le chemin de fer du commandant.
J'ai porté la locomotive du commandant, le coton du commandant
(…)
Maître des trois chemins, Maître des trois rigoles, plaise que pour une
fois - la première depuis AKKAD depuis ELAM depuis SUMER (…)
j'avance à travers les feuilles mortes de mon petit pas de sorcier
vers là où menace triomphalement l'inépuisable injonction des hommes
jetés aux ricanements noueux de l'ouragan
Depuis ELAM. Depuis AKKAD. Depuis SUMER."6
J'imaginais la scène, il n'y a pas si longtemps, en scrutant, sur un moulage
exposé au Musée d'ORSAY, les traits du visage de "La négresse révoltée" qu'a
sculpté CARPEAUX. Ce qui se lit, là, dans ce regard noir que par on ne sait
quel miraculeux tour de main l'artiste a su fixer, ce n'est pas à vrai dire de la
révolte mais plus précisément, très exactement, du "ressentiment". Et CESAIRE,
opinant du chef, de renchérir : "- Nous sommes le parti du grief généralisé".
"Poète de la colère"7, il a su caractériser le discours protestataire des Amériques
noires 8 et, par delà, tous les discours contemporains du ressentiment :
"Comme il y a des hommes-hyènes
et des hommes panthères,
6
Aimé CESAIRE, "Depuis ELAM depuis AKKAD depuis SUMER", poème in Aimé CESAIRE, Cadastre,
Paris, Editions du SEUIL, 1961 (première édition), repris in Aimé CESAIRE, Anthologie poétique (présentée
par R. TOUMSON), Paris, Editions de l'Imprimerie Nationale, Collection "La Salamandre", 1996 (édition
utilisée, p.154).
7
Cf. R. TOUMSON, S. HENRY-VALMORE, Aimé CESAIRE, le Nègre inconsolé, Paris, Editions SYROS,
1993.
8
Cf. Roger BASTIDE, Les Amériques noires, Paris, Payot Editeur, Paris 1967
5
je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem qui ne vote pas
l'homme-famine, l'homme-insulte
(…)
un homme-juif
un homme-progrom
un chiot
un mendigot
mais est-ce qu'on tue le Remords beau comme la face de stupeur d'une
dame anglaise qui trouverait dans sa soupière un crâne Hottentot ?"9
Anticolonialiste, anti-esclavagiste, anti-raciste, en son principe, dressant
l'inventaire des exactions d'une certaine logique de la domination, le discours
nègre de la réhabilitation est l'une des formes canoniques du discours commun
contemporain du ressentiment. Car le dit Tiers-Monde n'est plus le seul terrain
propice à la germination, à la floraison et à la fructification des autismes
identitaires, fruits amers dont raffolent sous tous les climats les espèces ou
variétés innombrables du ressentiment. En cette sombre fin de siècle son marché
libre s'est étendu aux dimensions de la planète tout entière. Nul n'en disconvient,
le XXe siècle est peut-être de tous l'un des siècles les plus "noirs" de l'humanité,
chacun des progrès colossaux de la science et des arts ayant pour contrepartie,
en proportion directe, sa part de régression, de souffrance et de désespérance.
9
Aimé CESAIRE, Cahier d'un retour au pays natal, in Aimé CESAIRE, Anthologie poétique, édition utilisée,
déjà citée, pages 48,49
6
Litanie inachevée des atrocités humaines. Deux Guerres mondiales, la
SHOAH, une "Tricontinentale" de guerres de libération nationale "pour
l'indépendance et le socialisme": CHINE, VIET-NAM, CAMBODGE,
CONGO, et par dessus le marché PALESTINE, RWANDA, BURUNDI
TCHETCHENIE, KOSOVO pour ne pas citer davantage. Aux quatre horizons
du "tout-monde"10, sous des variétés toujours plus imprévisibles les unes que les
autres, des clientèles proliférantes font prospérer le commerce sanglant des
vendettas identitaires.
"Comment le philosophe regarde-t-il la culture de notre temps ? (…) Il lui
semble presque apercevoir une destruction et un acharnement complet de la
culture (…) Les eaux de la religion s'écoulent et laissent derrière elles des
marécages ou des étangs ; les nations se séparent de nouveau, se combattent les
unes des autres et demandent à s'entre-déchirer."11
A toutes les échelles d'ensemble - état, nation, classe, race, religion, culture,
sexe - s'exerce l'irrésistible poussée des absolutismes identitaires et des
séparatismes obscurantistes. Le relativisme, dégradé, fournit opportunément, en
toute circonstance, les justifications et explications utiles. "Jamais le monde n'a
été davantage le monde, jamais il n'a été plus pauvre en dons précieux… Tout se
met au service de la barbarie qui vient, l'art actuel et la science actuelle ne font
pas exception. L'homme cultivé est dégénéré au point qu'il est devenu le pire
ennemi de la culture, car il veut nier la maladie générale et il est un obstacle
pour les médecins."12
10
Cf. Edouard GLISSANT, Traité de tout-monde, Paris, Editions GALLIMARD, 1997.
Voir également Roger TOUMSON, Mythologie du métissage, Paris, Presses Universitaire de France, 1998.
11
NIETZSCHE, Considérations inactuelles, SCHOPENHAUER éducateur, 4, trad. Henri ALBERT, Paris,
Mercure de France.
12
NIETZSCHE, Considérations inactuelles, SCHOPENHAUER éducateur, 4, trad. Henri ALBERT, Paris,
Mercure de France.
7
2. CONFIGURATIONS
Appartenant au langage courant et au langage savant à la fois le terme
comporte des ambiguïtés sémantiques que dissimule son apparente familiarité.
Ordinairement il qualifie, avec quelque imprécision, un état d'esprit, une
disposition psychologique acquise: le mot ressentiment est alors à peu près
synonyme de rancœur, de frustration, de désir de vengeance, d'envie ou de
convoitise. Au sens philosophique il concerne alternativement des morales, des
idéologies, des discours, des doctrines, des conceptions ou des visions du
monde. Cette ambivalence cause autant d'embarras aux dictionnaires d'usage
qu'aux dictionnaires philosophiques. LALANDE ne juge pas utile d'en rapporter
la moindre glose. FOULQUIE en relève pour sa part les acceptions suivantes:
""état d'animosité maintenu par le souvenir d'une offense dont on aspire à se
venger" (p. 662); "la "rancune" est plus durable que le ressentiment, plus
dépendante du fond du caractère, plus couvée" (p. 655); "rancœur" :
ressentiment amer que laisse le souvenir d'une offense ou d'une profonde
déception."" Pour démêler l'écheveau des ces variations sémantiques plus ou
moins significatives, des fausses synonymies ou des analogies trompeuses
auxquelles elle se prêtent, il est utile de se reporter à l'étymologie :
- "ressentiment", nom masculin, de "ressentir";
- "ressentir", verbe transitif, de "re" et "sentir".
Ainsi que l'indique le préfixe le ressentiment est chronologiquement et
logiquement la conséquence d'une cause : l'auteur du mal ressenti étant
identifiable et les circonstances mémorables. Faut-il à l'occasion souligner que le
mot "révolte" second terme du couple qu'il forme avec le mot "ressentiment" est
semblablement formé, au moyen du même préfixe, "re-", à partir du latin
"volvere": "se révolter", c'est à dire "se retourner", "rouler en arrière". Le mot
8
"ré-volte" implique comme le mot "re(s)-sentiment" la notion d'un mouvement
rétroactif, rétrospectif: effectuer une "révolte" c'est à dire faire "volte-face",
accomplir une "volte", un retour sur soi qui soit simultanément remémoration,
interrogation, réflexion. "Le révolté, au sens étymologique fait volte-face. Il
marchait sous le fouet du maître. Le voilà qui fait face."13 Le ressentiment est le
retour, la réitération d'un mal persistant, le renouvellement continu ou discontinu
d'un sentiment douloureux suscité par une "injure". Revenons ici encore à
l'étymologie: "injure", du latin "injuria", du préfixe privatif "in-" et de "jus",
c'est à dire, au sens premier du mot, "contraire au droit". A ce sens propre s'est
adjoint le sens figuré que met en évidence, en anglais, le mot "injure" ou le mot
"injury" au sens physiologique ou psychologique de "blessure". Ainsi la volonté
que mobilise le ressentiment est-elle une volonté de punir et de juger. La
ténacité du ressentiment - et ce n'est pas son moindre paradoxe - se mesure à la
force d'emprise de la loi morale. Le principe fondamental sur lequel repose sa
logique argumentative est le principe d'égalité sachant que la justesse de ses
revendications à priori conformes à la raison est démontrable. L'histoire
sémantique du "ressentiment", entre le "ressenti" et le "connu", entre
"sentiment" et "sens",
est ainsi d'une complexité parfois insoupçonnée.
L'histoire philosophique de la notion tout comme son histoire idéologique ou
son histoire symbolique ne sont pas moins embrouillées. Il n'est pas superflu de
procéder à l'examen des changements catégoriques, des transferts logiques,
éthiques ou psychologiques qui ont ponctué les épisodes successifs tragiques,
dramatiques ou pathétiques de ses mésaventures.
Concept ontologique, initialement circonscrit par NIETZSCHE au champ
d'application d'une philosophie critique radicale, le ressentiment n'est plus
aujourd'hui qu'un idéologème. Politiques, sociaux ou culturels, les discours
idéologiques exploitent à l'envie, à la mode du jour, les ressources
argumentatives du ressentiment. Des minorités en fureur arc-boutées à leurs
13
Albert CAMUS, L'homme révolté, Editions GALLIMARD, Paris, 1951.
9
différences de classe, de race, de religion, de culture ou de sexe proclament urbi
et orbi que la vie est injuste, qu'une supériorité d'ordre empirique est l'indice le
plus sûr d'une infériorité morale, bref, que les valeurs dominantes sont
irrémédiablement dévaluées. Les vices et les vertus étant répartis, celles-ci aux
victimes, ceux-là aux bourreaux, toute subordination présuppose avec ou sans
raison une insubordination de proportion croissante, tout échec peut se
transmuer en mérite et chaque grief légitimer par transfert de la culpabilité une
dénégation de responsabilité.
- Comment expliquer ce changement axiologique?
- D'où vient-elle cette récurrence obsessionnelle des structures discursives du
ressentiment, quel est son parcours?
- Pourquoi, à l'aube du nouveau millénaire, les sociétés humaines sont-elles
encore et plus que jamais scindées en fractions et factions qu'opposent des
"dissentiments" et "différends" inexpiables?
Autant de questions que, fort de sa certitude, le discours commun, savant ou
vulgaire ne laisse pas sans réponse : la faute en est au "ressentiment", au pathos
de la plainte et de la rancune qui sature le champ social. Voilà pourquoi votre
fille est muette. Cette inflation cancéreuse du ressentiment a pour cause, vous
dit-on,
la déchéance des utopies égalitaristes, des idéaux de justice et de
progrès. Parole d'expert. Diagnostic qui se veut rassurant mais ne prescrit en
guise de cure qu'un cautère sur une jambe de bois. Ayant dit du ressentiment
qu'il est une sophistique inexpugnable, hostile au dialogue, au débat rationnel,
qu'aura-t-on prouvé?14 Raisonnement faux qui prend l'effet pour la cause,
antépose une rhétorique à sa morale et sa morale à sa logique. Le regain
d'actualité dont semble bénéficier la dite "pensée du ressentiment" s'apparente
au phénomène mécanique de la résurgence artésienne. Déchu du rang auquel
l'avait élevé NIETZSCHE dans sa Généalogie de la morale, n'ayant plus rien
"d'intempestif", d'"inactuel", bref, de subversif, il peut être remis au goût du
14
Cf. Marc ANGENOT, Les idéologies du ressentiment, XYZ Editeur, Montréal, Québec, 1997.
10
jour 15. Ayant été intégré aux codes normatifs en vigueur, il a désormais une
valeur d'échange. Le processus observable est une chute paradigmatique. Il y a
eu amuissement, dévitalisation du concept .
3. REQUISITOIRE
On l'avait peut-être oublié mais en Europe, comme ailleurs, les idéologies du
ressentiment disposent en effet d'un biotope de prédilection. Elles y réactivent,
par un retour du refoulé, des animadversions encore plus anciennes et d'autant
plus meurtrières. Le nouvel essor des idéologies du ressentiment a pour cause,
aujourd'hui, dit-on, la crise globale des projets émancipateurs, des pensées du
progrès, des réformismes sociaux : fin des utopies salvatrices, dépérissement des
espérances collectives, rejet des valeurs de l'humanisme universaliste. Pourquoi
pas ? L'on peut en convenir quitte à y voir autant de symptômes du "malaise
dans la civilisation" que diagnostiquait FREUD. Notre monde est en proie à des
violences identitaires ethno-égocentriques : névroses de l'origine qui
inlassablement, répétitivement, suscitent ou légitiment au nom de différences
spécifiques transcendantalisées, absolutisées, des conflits d'une violence inouïe.
Dans ce monde parvenu au stade suprême de l'accumulation des "différances"
et des "différends" triomphe par la force de la loi du sang versé une logique de la
dette, de la vengeance et de la réparation des torts subis. Logique revancharde
que dicte, dans le ressentiment, une mémoire tétanisée du mal. Car comme
l'observe Paul RICOEUR, tel est bien le problème de fond : celui de la
15
KIERKEGAARD a fait, à l'exemple de NIETZSCHE, un objet de philosophie morale. Voir également Max
SCHELER, L'Homme du Ressentiment, Paris, GALLIMARD, 1950, traduction de Uber Ressentiment und
Moralischen Wertwurteil.
11
mémoire 16. C'est en cela que la question du ressentiment revêt une valeur
doublement paradigmatique, philosophique et politique.
Les enjeux du débat relèvent, dans l'ordre de l'histoire du concept, d'une
généalogie de la morale des révoltes serviles, plébéiennes ou prolétariennes "révoltes logiques", disait RIMBAUD - et d'une herméneutique des discours de
la négation. Le problème n'est pas nouveau mais il est d'une complexité accrue :
celui des rapports du "Moi" et de l'"Autre" ; celui de l' "Être" et du "devenir" ou,
comme l'indiquait encore NIETZSCHE, de l'"Un" et du "multiple" ; ou encore,
rétrospectivement, en termes hégéliens, du "Singulier" et de l'"Universel".
L'hypothèse étant admise, il s'agit d'expliquer en quoi et pourquoi, dans les
circonstances des conflits toujours sanglants qui se multiplient présentement, de
quelque nature soient-ils, politiques, sociaux, raciaux, religieux ou culturels, il y
a, à la base de l'affirmation collective ou individuelle d'une différence
absolutisée, la négation du ressentiment. Revendiquée en ces termes l'identité
n'est en rien l'attribut d'une réalité d'expérience mais une vue erronée de l'esprit.
En tout discours d'affirmation identitaire il y a, objectait NIETZSCHE,
l'exposant d'une vacance identitaire: il n'est d'identité que vacante.
Dans le discours commun de la revendication identitaire sont mobilisés,
associés ou amalgamés des concepts dont, en raison de leur dégradation
idéologique, la provenance, la nature et la fonction sont souvent sinon toujours
méconnus de ceux-là même qui en sont les propagandistes. Telle est la fonction
catalytique des littératures dites "mineures"17, littératures du ressentiment qui,
comme autant de chroniques irritées des mésaventures de l'identité et de la
différence, donnent matière à la réflexion approfondie, que nécessitent les
réalités du présent historique immédiat.
16
Paul RICOEUR, la Mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Editions du SEUIL Collection "L'ordre philosophique",
2000.
17
Cf. G. DELEUZE, F. GUATTARI, KAFKA. Plaidoyer pour une littérature mineure, Paris, Editions de
Minuit, 1975.
12
Ainsi donc s'est ouvert, venue "l'ère du soupçon" contemporaine de l'ère
des indépendances décolonisatrices, dès lors que fut constatée, vérifiée, la
sanglante avarie des mythes révolutionnaires du Tiers-Monde, le procès postkafkaïen du ressentiment. Procès retentissant dont sut faire son miel, à point
nommé, l'antitiers-mondisme mondain, mais procès nécessaire, procès salutaire.
L'instruction en fut toutefois émaillée de quelques graves erreurs de procédure.
Les débats n'étant pas clos, il n'est peut-être pas encore inutile de s'appliquer ici
à les discerner.
Apocalypse du ressentiment qui, présumé coupable de tous les maux, a été
déféré à la barre d'infamie. Il y eut alors comme une perte d'énergie. Dévitalisé,
ayant été figé, y compris par les idéologues marxistes, en des antinomies
mécanistes, le concept de ressentiment s'est "dé-dialectisé". Mécaniquement
dissociés, "Ressentiment" "Révolte" et "Révolution" ont été opposées.
Régression dualiste, retour en force du monisme.
Dans le concept nietzschéen le ressentiment intervient de la première
figure du processus dialectique de la crise et de la transmutation des valeurs à la
dernière figure du dit processus, c'est à dire, de la négation à l'affirmation,
processus où la négation continue d'être à l'ouvrage jusqu'au stade de
l'affirmation radicale, stade final où, poursuivant son action, la négation atteint
au plus haut niveau de ses ressources. Or - lapsus ou oubli? - c'est cela même qui
fut occulté, à savoir que le ressentiment n'est pas antérieur à la révolte mais le
commencement de la révolte et l'acte créateur de la révolte. Autant d'erreurs qui
procèdent d'une seule et même bévue. "La révolte des esclaves, dans la morale",
spécifiait pourtant NIETZSCHE, récusant KANT et HEGEL. Quand, comment
et pourquoi les esclaves y accèdent-ils, d'où font-ils irruption sur la scène de la
morale? En 1973, au cours d'une émission télévisée, la question lui ayant été
13
ainsi posée: "D'où vous vient l'assurance de prophétiser la montée du
racisme?", Jacques LACAN répondait : "Dans l'égarement de notre jouissance
il n'y a que l'Autre qui la situe, mais c'est en tant que nous en sommes séparés…
Laisser cet Autre à son mode de jouissance, c'est ce qui ne se pourrait qu'à ne
pas lui imposer le nôtre, à ne pas le tenir pour un sous-développé… Comment
espérer que se poursuive l'humanitairerie de commande dont s'habillaient nos
exactions?"18 Montée du racisme, prolifération des chauvinismes, des égotismes
nationalistes, exaltation des traditions locales: autant de phénomènes ayant pour
facteur commun ce que LACAN appelle "le mode de jouissance", c'est à dire le
ressentiment.
Il n'est pas si sûr que dans l'économie générale du discours identitaire
contemporain le ressentiment tienne en première instance le rôle déterminant
que se plaisent à lui conférer les idéologues de la crise postmoderne de la culture
et de l'identité. La perception du phénomène identitaire a bien entendu changé.
Pourvue d'une finalité nouvelle, perdant son autonomie référentielle, l'identité
n'est plus gardienne du sens. L'exaltation des identités ancestrales a fait partout
prévaloir une compréhension du rapport entre race et histoire, nature et culture,
langue et religion, qui n'est plus conforme aux principes de l'humanisme
rationaliste des Lumières. Déconcertés, dépités de se voir déposséder du pouvoir
qu'ils détenaient, antérieurement à cette crise d'effondrement du sens survenue
au stade terminal de la crise des valeurs, les maîtres à penser montrèrent d'un
doigt accusateur ce pelé, ce galeux d'où venait tout le mal. Enumérant et
soupesant méthodiquement les symptômes de la pandémie leurs émules
s'empressèrent d'en dresser le tableau clinique. A mesure que s'accélérait
l'uniformisation des structures politiques, économiques et sociales s'est
exacerbée la revendication des spécificités ethniques ou nationales. La tentation
est forte d'instrumentaliser le ressentiment, de s'en servir, en guise d'opérateur
analytique
18
ultime
comme
d'une
pince-monseigneur.
Diagnostiqué
ou
Jacques LACAN, Télévision, Paris, Editions du Seuil, 1974, pp. 53, 54.
14
pronostiqué "à tous maux" le ressentiment fait tâche au point aveugle de la
philosophie politique du sujet social. L'échec de l'Etat-nation dans le TiersMonde et, parallèlement, dans le ci-devant camp socialiste de l'Europe de l'Est, a
mis en évidence cette carence. Les dysfonctionnements des catégories héritées
de la tradition philosophique gréco-occidentale, à savoir, entre autres, de la
dialectique de la connaissance de soi, de la Nature et de l'Histoire, n'ont cessé de
s'aggraver. La dialectique de la maîtrise et de la servitude, du Maître et de
l'Esclave, demeure plus qu'une déficience, un raté de la structure. L'inflation
doctrinale du réquisitoire dressé contre le ressentiment est à la mesure des
carences analytiques inhérentes à ce réquisitoire. La crise de la fonction
intellectuelle est étroitement liée à cette crise générale du sens. Moralistes et
idéologues sont dépossédés de leur pouvoir héréditaire d'interpréter le monde.
Pour tous, les temps sont difficiles. Chaque époque est pourvue , on le sait, d'un
imaginaire qui lui est approprié. Littératures de ressentiment - "mineures" ou
"majeures" -, les littératures du temps présent expriment
chacune les
obsessions collectives d'une culture donnée. Les unes et les autres servent de
relais aux névroses, aux systèmes délirants qu'organisent les idéologies
religieuses, politiques ou culturelles. Il est possible de déceler, d'une époque à
l'autre, l'évolution des psychoses séculaires successives. L'Europe renaissante du
XVe et du XVIe siècles fut en proie à une paranoïa religieuse. La paranoïa de
l'Europe moderne, du XVIIe au XIXe siècle fut d'ordre scientifique. Les
symptômes de la paranoïa postmoderne, au XXe siècle sont les figures d'une
défection symbolique : "paranoïa de ressentiment".
4. GENEALOGIE DU RESSENTIMENT
Les trois métamorphoses que relate la fable du chameau, du lion et de
l'enfant correspondent aux trois grands moment de la pensée et de l'œuvre de
15
NIETZSCHE. Quoique distincts ces moments sont liés. "Les coupures sont
toutes relatives: le lion est présent dans le chameau, l'enfant est dans le lion; et
dans l'enfant il y a l'issue tragique."19 Pour rendre compte des circonstances et
des conditions de la formation du concept du ressentiment chez NIETZSCHE, il
est nécessaire de rappeler, ne fût-ce que brièvement, les règles de
fonctionnement du système de la philosophie critique de l'auteur de la
Généalogie de la Morale.
NIETZSCHE fait des études qui le conduisent précocement à choisir la
philologie contre la théologie. Influencé par SCHOPENHAUER il perd, dès
1870, lorsque éclate le conflit franco-allemand, ses derniers "fardeaux"
idéologiques. Disqualifiant l'identification de la culture de l'esprit à la culture
nationale, il rompt d'emblée avec un certain nationalisme bismarckien.
L'abandon des vieilles croyances fut, dit-il, dans Ecce Homo, chose aisée, et ce,
particulièrement en matière religieuse, l'athéisme ayant été son penchant naturel,
instinctif. Son premier ouvrage, La Naissance de la Tragédie, paru en 1871, est
mal accueilli. C'est l'occasion d'une prise de conscience dont rendent compte les
Considérations intempestives, successivement, de 1873 (année de la parution du
Tome I, "David STRAUSS") à 1876 (année de la parution du Tome IV,
"Richard WAGNER à Bayreuth"). Alors s'achève l'âge du "chameau".
Désormais, assumant sa condition de penseur "intempestif", NIETZSCHE, se
donne pour tâche dans Humain, trop humain, en 1878, d'élaborer une théorie
philosophique générale de la critique des valeurs. S'ouvre "l'âge du Lion". La
méthode choisie, pour procéder à la transmutation des valeurs est celle du
"renversement" par "déplacement des perspectives". "Je suis un disciple du
philosophe DIONYSOS; je préfèrerais être considéré comme un satyre que
comme un saint […]. Vouloir rendre l'humanité "meilleure", ce serait la
dernière chose que je promettrais. Je n'érige pas de nouvelles idoles; que les
19
Gilles DELEUZE, NIETZSCHE, Paris, Presses Universitaires de France, 1977, p.5.
16
anciennes apprennent donc ce qu'il en coûte d'avoir des pieds d'argile!
"Renverser" des idoles - j'appelle ainsi toute espèce d'idéal - c'est déjà bien
plutôt mon affaire."20 Poursuivant son entreprise critique radicale, NIETZSCHE
publie consécutivement Le voyageur et son ombre (1879), Aurore (1880), puis
Le Gai Savoir (1882). C'est après la révélation bouleversante de l'Eternel
Retour, au mois d'août 1881, qu'il a l'inspiration de Zarathoustra. Dans les
quatre volumes publiés entre 1883 et 1885 sa philosophie s'élève à son point
culminant. Ainsi s'accomplit la troisième métamorphose. S'ouvre l'âge du
devenir "enfant". NIETZSCHE fait alors de la critique l'organe d'une
transmutation des valeurs où la Négation est mise au service d'une Affirmation
supérieure. Telle est sa démarche dans Par-delà le Bien et le Mal (1886),
comme dans Généalogie de la morale (1887). En 1888 intervient, dans la
pensée, la vie et l'œuvre de NIETZSCHE une quatrième et ultime métamorphose
qui scellant son destin, provoque avant sa mort physiologique, cette agonie
psychique et mentale, cet effondrement démentiel auquel préludent ses derniers
textes, Le cas WAGNER, Le crépuscule des idoles, L'Antéchrist, Ecce homo.
Le 3 janvier 1889, à Turin, c'est la crise finale. Ramené à Bâle, NIETZSCHE y
est interné avant d'être transporté au domicile de sa mère, à Iéna, où sa sœur,
Elisabeth, aida celle-ci à le soigner. Il meurt, à Weimar, en 1900.
NIETZSCHE proposait avec une conception nouvelle de la philosophie
"une nouvelle image du penseur et de la pensée. A l'idéal de la connaissance, à
la découverte du vrai [il]substitue "l'interprétation et l'évaluation"". 21 L'image
la plus ancienne du philosophe est celle du penseur présocratique qui, pour
interpréter et évaluer le monde, s'applique à comprendre l'intimité de l'avenir et
20
21
NIETZSCHE, Ecce Homo, Préface, 2-3, trad. Henri ALBERT, Paris, Mercure de France.
Gilles DELEUZE, NIETZSCHE, déjà cité, p.17.
17
du passé, à rendre compte de l'unité complexe de la pensée et de la vie. De
l'unité présocratique où la vie "active" la pensée et où la pensée "affirme" la vie
nous n'avons plus la moindre idée, objecte NIETZSCHE. A cette unité de la
pensée et de l'action s'est substituée la dualité socratique du concept et de la vie,
de la vie contemplative et de la vie active. Ainsi les rapports entre la pensée et la
vie ont-ils été depuis lors des rapports conflictuels: la pensée bride et mutile la
vie qui, en retour, contredit, infirme la pensée. La tâche que doit s'assigner la
philosophie est donc bien de retrouver cette unité perdue. La philosophie est à
penser, selon NIETZSCHE, comme à l'origine, en tant que force agissante.
Quand elle naquit en Grèce, rappelle-t-il, la philosophie dut se couvrir du
masque de la religion. Le philosophe se déguisa en prêtre. La sagesse
philosophique s'est mesurée à l'aune de la vertu religieuse. Cette confusion
initiale ne s'est pas dissipée. "L'esprit philosophique a toujours dû commencer
par se travestir et se masquer en empruntant les types de l'homme contemplatif
"précédemment formés", soit les types du prêtre, du devin, de l'homme religieux
en général, pour être seulement "possible", en quelque mesure que ce soit […].
Pendant très longtemps, la philosophie n'aurait "pas du tout été possible" sur
terre sans un masque et un travestissement ascétique, sans un malentendu
ascétique."22
Au cours des phases successives de son développement historique, restée
prise au piège, la philosophie persista à opposer la vie à la pensée, la vie active à
la vie contemplative, à juger de la vie au nom de valeurs prétendues supérieures,
à assujettir la vie aux normes de ces valeurs. Ainsi, à mesure que la pensée
devenait négative, la vie, dépréciée, réduite à ses formes les plus faibles,
maladives, seules compatibles avec les valeurs jugées supérieures, cessait d'être
active. La "réaction" triompha de l' "action", la "négation" de l'"affirmation". Le
philosophe législateur, créateur dont la tâche était, d'une part, de critiquer les
22
NIETZSCHE, Généalogie de la morale, III, 10, trad. Henri ALBERT, Mercure de France
18
valeurs établies, d'autre part, de créer les valeurs nouvelles que réclame la vie,
céda la place au philosophe conservateur qui, pour faire l'apologie des valeurs
établies invoque rituellement l'amour de la vérité mais en donnant "l'assurance à
tous les pouvoirs établis" que cette vérité là "ne causera jamais à personne le
moindre embarras, car elle n'est, après tout, que la science pure"23.
Métaphysique, cette philosophie n'est qu'une pédagogie de la soumission. Elle
enseigne l'art et la manière de porter les fardeaux de la vie, de supporter le poids
des valeurs supérieures.
Cette dégénérescence de la philosophie est imputable, soutient
NIETZSCHE, à SOCRATE qui, inventant la métaphysique, instaura la
distinction de deux mondes, l'opposition de l'essence et de l'apparence, du vrai et
du faux, de l'intelligible et du sensible. Mais, souligne NIETZSCHE, s'il est le
premier, il n'est pas seul coupable du forfait. De SOCRATE à KANT et de
KANT à HEGEL s'est répétée la même erreur. KANT dénonce la fausse
connaissance mais il ne remet pas en question l'idéal de la connaissance.
HEGEL récidive. Sa dialectique, ingénieux tour de passe-passe, n'est qu'une
technique de récupération des propriétés aliénées. Il prétend remettre sur ses
pieds une philosophie qui marchait la tête en bas or dans sa dialectique, où,
artificieusement, comme conscience de soi, comme moteur ou produit de la
dialectique, intervient l'homme générique, tout retourne à l'esprit. Des
socratiques aux hégéliens l'histoire de la philosophie n'est à tout prendre, déplore
NIETZSCHE, qu'un récit des soumissions humaines assorti du catalogue de
leurs raisons justificatives. - Que nous sert de récupérer des propriétés aliénées
pour en devenir les sujets véritables? A-t-on supprimé la religion quand, à la
manière de la Réforme, le prêtre disparaît, perdant les signes extérieurs de sa
fonction mais pour réapparaître, intériorisé, dans le fidèle? Dieu est-il mort
quand l'homme prend sa place? Dans chacun des cas considérés aucun
changement véritable n'a lieu. Rien n'est changé au fond, l'essentiel ne change
23
NIETZSCHE, Considérations intempestives, III, SCHOPENHAUER éducateur, Chapitre 3.
19
pas. Le même mal continue de sévir sous des symptômes différents. Un
changement, le seul, mérite toute fois d'être noté: au lieu d'être chargé du dehors,
l'homme se charge lui-même du poids des fardeaux. Les valeurs supérieures
qu'il lui faut assumer le conduisent dès lors à privilégier, les formes accusatoires
de la pensée.
5.
CRISE DES VALEURS
Ce qui est là remis en question ce n'est pas seulement l'histoire de la
philosophie, c'est encore la catégorie la plus fondamentale de l'Histoire, celle du
sens. Il faut s'interroger, insiste NIETZSCHE, sur le principe dont découlent les
événements qui, dans la succession des moments de l'Histoire, déterminent notre
pensée et notre vie. "L'évolution d'une chose, d'un usage, d'un organe n'est
nullement une progression vers un but, moins encore une progression logique et
directe atteinte avec un minimum de forces et de dépenses - mais bien une
succession constante de phénomènes d'assujettissement plus ou moins violents,
plus ou moins indépendants les uns des autres, sans oublier les résistances qui
s'élèvent sans cesse, les tentatives de métamorphoses qui s'opèrent pour
concourir à la défense et à la réaction, enfin les résultats heureux des actions en
sens contraire. Si la forme est fluide le sens l'est encore bien davantage."24
Penser, c'est interpréter. Interpréter un phénomène c'est en déterminer le sens.
Or le sens consiste dans un rapport de forces dont certaines "agissent" et d'autres
"réagissent". Forces "primaires", les forces "actives" sont forces de conquête, de
subjugation. "Secondaires", les forces "réactives" sont des forces d'adaptation et
de régulation. Typologique et qualitative, cette distinction permet de définir le
rapport des forces comme une structure où , mise en rapport avec d'autres forces,
24
NIETZCHE, Généalogie de la morale, II,12, trad. Henri Albert, Paris, Mercure de France.
20
chaque force reçoit les attributs de son essence. NIETZSCHE appelle "volonté"
le rapport de la force avec la force. Telle qu'il la définit, la "volonté de
puissance"25 n'est pas désir de domination. Elle "ne consiste pas à convoiter ni
même à "prendre" mais à "créer" et à "donner". La Puissance, comme volonté
de puissance, n'est pas ce que la volonté veut, mais ce qui veut dans la
volonté"26. Active ou réactive, chaque force correspond à l'une des deux faces de
la volonté de puissance. Dans les forces actives l'affirmation est première, elle
est la fonction primitive dont s'induit, consécutivement, en fonction dérivée, une
négation. Dans les forces réactives, par contre, la négation est première et
l'affirmation seconde. Le phénomène historique, à ses yeux stupéfiant, que
NIETZSCHE s'attache à décrire et à expliquer est nettement circonscrit: les
forces réactives triomphent. Dans la volonté de puissance la négation l'emporte
sur l'affirmation. Mais pourquoi donc? NIETZSCHE appelle "nihilisme" ou
triomphe des esclaves ce triomphe de la volonté de nier. La "psychologie" qu'il
définit en tant que philosophie de la force ou de la volonté de puissance doit
avoir pour objet spécifique d'étude ce processus étrange à la faveur duquel
l'histoire consacre la victoire des esclaves. De même que la Nature, l'Histoire
favorise les faibles. De même que la sélection naturelle les critères de l'Histoire
sont favorables aux esclaves en tant que tels, lesquels triomphent non par
addition de leurs forces mais par soustraction de la force des forts. Le devenir
historique prescrit un devenir-esclave à la totalité des hommes. Devenus les
maîtres du monde, les esclaves aménagent un devenir esclave universel.
L'esclave ne cesse pas d'être esclave en prenant le pouvoir; le faible ne cesse pas
alors d'être un faible. Attention toutefois aux contresens que suscitent ces
vocables: "fort", "faible", "maître", "esclave". La typologie qu'élabore
NIETZSCHE est qualitative, psychologique. Paradigmatiques ses oppositions
renvoient à l'antinomie éthique de la bassesse et de la noblesse. Esprit libre,
25
cf., NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra, III, des trois maux, trad. Geneviève BIANQUIS, Paris, Aubier
Editeur.
26
Gilles DELEUZE, Nietzsche, déjà cité, p.24.
21
viscéralement hostile à tous les despotismes à tous les régimes dictatoriaux du
présent ou du passé, NIETZSCHE a dénoncé avec la même vigueur le
nationalisme prussien de BISMARCK et le préfascisme aryen dont son beaufrère s'était fait le propagandiste. NIETZSCHE décrit les modalités
fonctionnelles des états modernes où, régnant sur des communautés nationales
semblables à des fourmilières, les puissants du jour font du vice et du crime la
fin et le moyen de leur art de gouverner. Ce que NIETZSCHE dit en ces termes
avec tant de justesse vaut encore davantage, aujourd'hui, en Afrique, en Asie ou
en Amérique Latine, pour la quasi totalité des anciennes colonies européennes
qui, au cours du vaste processus de décolonisation amorcé au lendemain de la
Seconde Guerre Mondiale, sont devenues des états dits indépendants. Quand
triomphe le nihilisme, la volonté de puissance, dégradée, cessant d'être une force
créatrice ne manifeste plus qu'un désir de domination: course aux honneurs,
accumulation de biens matériels, d'argent, accaparement de tous les pouvoirs.
Cette volonté de puissance-là est celle de l'esclave. C'est la manière dont
l'esclave conçoit la maîtrise,
dont l'impuissant conçoit la puissance. Cette
manière de concevoir la maîtrise ou la puissance est purement réactive.
Le triomphe de nihilisme s'inscrit dans un processus historique dont les
étapes successives correspondent chacune à un moment ou un état de la
conscience. Selon NIETZSCHE cinq états, cinq moments, sont à distinguer: "le
ressentiment"; "la mauvaise conscience", "l'idéal ascétique"; "la mort de Dieu";
"le dernier homme" et "l'homme qui veut périr".
Au commencement du processus décrit est le ressentiment: ce n'est pas ma
faute, c'est ta faute. Ce moment premier est le moment où à la "récrimination"
s'adjoint l' "accusation", le mouvement psychique étant celui de la "projection",
22
le mécanisme de la pensée celui de la "réaction". C'est le régime de la vie
réactive. "Ce renversement du coup d'œil appréciateur - ce point de vue
"nécessairement" inspiré du monde extérieur - appartient en propre au
ressentiment: la morale des esclaves a toujours et avant tout besoin, pour
prendre naissance, d'un monde opposé et extérieur: il lui faut, pour parler
physiologiquement, des stimulants extérieurs pour agir; son action est forcément
une réaction."27 Cessant d'être "agie" la réaction devient quelque chose de
"senti", elle devient "ressentiment". C'est le paradigme de l' "aigle" et de
l'"agneau". L'agneau dit: je pourrais en faire autant. L'aigle rétorque: qui, qu'estce qui l'en empêche? L'agneau reprend: j'ai du mérite à m'en empêcher, que
l'aigle fasse comme moi.
Le deuxième moment, postérieur à l'"accusation", est celui de
l'"autoaccusation". A l'accusation par "projection" succède l'autoaccusation par
"introjection". Dans un mouvement de retour sur soi, intériorisant la faute,
devenant "mauvaise conscience", la conscience se reconnaît coupable. Ainsi
peut-elle donner l'exemple et acquérant, un pouvoir maximum de contagion, se
donner en exemple. "Le prêtre est l'homme qui "change la direction du
ressentiment" (…) "Je souffre: certainement quelqu'un doit en être la cause" ainsi raisonnent toutes les brebis maladives. Alors leur berger, le prêtre
ascétique, leur répond: "C'est vrai, ma brebis, quelqu'un doit être la cause de
cela: mais tu es toi-même cause de tout cela, - "tu es toi-même cause de toimême!"… Est-ce assez hardi, assez faux! Mais un but est du moins atteint de la
sorte; ainsi que je l'ai indiqué, la direction du ressentiment est - "changé"" 28.
Au troisième moment, celui de la "sublimation", exprimant sa volonté de
puissance, la force réactive s'affirme en tant que force de négation de la vie,
27
28
NIETZSCHE, Généalogie de la morale, I, 10, trad. Henri ALBERT, Paris, Mercure de France.
NIETZSCHE, Généalogie de la morale, III, 15, trad. Henri ALBERT, Paris, MERCURE de France.
23
volonté de néant. Alors triomphent les valeurs prétendues supérieures, valeurs
pieuses qui s'opposent à la vie, la jugent, la condamnent, la réduisent au néant.
Le salut n'est promis, permis, qu'aux pauvres et aux faibles: les premiers seront
les derniers et les derniers seront les premiers. Renversement diamétral total: les
esclaves d'hier sont les maîtres d'aujourd'hui, les faibles sont désormais les forts,
la bassesse se change en noblesse. Ainsi s'est nouée l'alliance du "Dieu-Néant"
et de l'"Homme - Réactif".
Le moment qui suit est celui de la "récupération". Quand SAINT-PAUL
fonde le christianisme sur l'idée que CHRIST meurt pour "nos" péchés il
procède à un renversement de cette alliance. Les rapports changent. Le conflit
judaïque initial mettait aux prises DIEU et lui-même, DIEU, le père, et DIEU, le
fils. Dans le conflit qu'instaure le nouvel Evangile chrétien s'opposent l'homme
et Dieu. Coupable de la mort de Dieu, l'homme entend le remplacer. Cette mort
est certes l'événement le plus marquant dans l'histoire du nihilisme mais il ne
met pas un terme définitif au processus de la dévalorisation des valeurs. Après la
mort de Dieu le règne de la mauvaise conscience se poursuit comme auparavant
sous le règne de Dieu. A l'étape précédente le nihilisme édictait la dépréciation
de la vie au nom des valeurs supérieures. A l'étape où survient la mort de Dieu
ces valeurs supérieures, divines, cèdent la place à des valeurs humaines: la
morale remplace la providence. Il n'y a pas là toutefois de rupture qualitative. Le
même esclavage perdure. La vie réactive que légitimaient auparavant les valeurs
divines se justifie à présent au nom des valeurs humaines. L'Homme prétend
remplacer Dieu mais ses valeurs, demeurées humaines, négatives, sont
dépourvues du sens de l'affirmation. Son action demeure une réaction, son
affirmation une négation. Quand la force réactive croit dire "oui" elle "porte" un
"non". L'homme demeure à l'image de l'Ane de la Nativité chargé de reliques.
Comme cet animal du désert il a deux défauts: son "Non" est un faux non, son
"Oui" est un faux oui.
24
La mort de Dieu est un événement qui n'a pas de signification en luimême, qui n'a de sens que par rapport à un événement à venir, appelé à marquer
la fin du processus nihiliste, à savoir, la mort de l'homme. Il faut que change le
principe d' évaluation pour que s'achève véritablement le règne des valeurs
établies. Une valeur nouvelle n'est pas nécessairement apte à troubler l'ordre
établi. Il en est qui naissent déjà vieilles, témoignant ipso facto de leur
conformisme. Car à mesure que le nihilisme gagne en extension la crise des
valeur s'aiguise, l'inanité des fausses valeurs nouvelles devient manifeste. En
prétendant se passer de Dieu, l'Homme réactif se retrouve le maître d'un monde
de plus en plus dénué de toutes les valeurs tant divines qu'humaines. Alors surgit
"le dernier homme" qui dit: plutôt "un néant de volonté" qu'"une volonté de
néant." Devenue une volonté de nier la vie réactive elle-même, la volonté de
néant inspire au "dernier homme" l'envie de tout détruire en se détruisant
activement. "Au-delà du dernier homme, il y a donc encore "l'homme qui veut
périr". Et à ce point d'achèvement du nihilisme - Minuit - tout est prêt - prêt
pour une transmutation"29.
6.
TRANSMUTATION
Le ressentiment qui s'exerce sous l'espèce projective de l'imputation et de
la dénonciation de la faute, de l'accusation et de la récrimination, est un
symptôme de la mauvaise conscience. La mauvaise conscience est une
conscience culpabilisée. Ayant intériorisé la faute la conscience est en proie au
sentiment de sa propre culpabilité. Le ressentiment est réactif, c'est à dire
29
Cf. Gilles DELEUZE, NIETZSCHE, déjà cité, p.32
25
négatif. Il est inapte à l'affirmation, à la création. Le NON du ressentiment est
l'instance nihiliste de la volonté de puissance. Le NON du ressentiment n'est pas
au service de l'action. Il n'est pas agressif. C'est le NON de l'Ane qui porte à
contre-cœur le fardeau des valeurs établies mais qui, aliéné à ces valeurs, ne
veut, ne sait ni ne peut les remettre en question. L'affirmation est l'expression la
plus haute, la plus puissante de la volonté. Ce qui s'y exprime c'est la vie. Ce qui
est objet d'affirmation avec la vie, dans la vie, c'est l'Être. Mais, en tant que force
de négation, ce que le nihilisme combat ce n'est pas tant l'Être que la vie en tant
que ressource affirmative du multiple, c'est à dire, du devenir. Réactif, régressif,
le nihilisme dit non au devenir, circonscrit le devenir à l'Être. Multiplicité en
puissance le devenir qui est une excroissance de l'Être, un excès coupable d'être,
doit être résorbé dans l'être. Exorbitant à l'Être le devenir est fautif. Pour le
nihilisme le multiple est une effraction du devenir commise en infraction à l'Un,
aux dépens de l'Un.
Contrairement au nihilisme qui dit non au multiple et au devenir, la
transmutation des valeurs élève le multiple du devenir à la plus haute puissance.
La première figure de la transmutation des valeurs est l'affirmation. DIONYSOS
ou l'affirmation: le multiple est affirmé en tant que multiple. Le devenir est
affirmé en tant que devenir: il y a réciprocité en miroir du devenir et du multiple.
Seconde figure de la transmutation: l'affirmation dédoublée: DIONYSOS ARIANE, il y a affirmation de l'affirmation. Il faut une seconde affirmation pour
que l'affirmation soit elle-même affirmée. Dans ses premiers travaux, et pour
commencer, dans Naissance de la Tragédie, NIETZSCHE définissait
DIONYSOS par opposition à SOCRATE. SOCRATE jugeait et condamnait la
vie au nom des valeurs supérieures. DIONYSOS considérait, pour sa part, que la
vie n'avait pas à subir les rigueurs d'un jugement en accusation. Au fur et à
26
mesure NIETZSCHE en est venu à opposer DIONYSOS non plus à SOCRATE
mais au CRUCIFIE, considérant que s'ils avaient subi l'un et l'autre le martyre la
signification ne pouvait être la même. C'est au martyre du CHRIST qu'il
opposait désormais le martyre de DIONYSOS: d'un côté, un témoignage contre
la vie, l'entreprise vengeresse d'un ressentiment; de l'autre, l'affirmation de la
vie, l'exaltation du devenir et du multiple, NIETZSCHE voyant dans la
lacération et la dispersion des membres de DIONYSOS la métaphore d'un
devenir multiple 30: un miroir dans un miroir, un anneau dans un anneau. 31
ARIANE lui dit "Oui"32.
Sous le règne du nihilisme le devenir est résorbé dans l'Être et le multiple
dans l'Un. Quand advient la transmutation des valeurs l'Être et l'Un sont
dissociés, le devenir et le multiple associés. Le multiple cesse d'être justiciable
de l'Un. Le devenir n'est plus soumis à la juridiction de l'Être. Transmués, l'Être
et l'Un perdent leur sens admis pour prendre chacun un sens renouvelé. L'Un
requiert l'attribut du multiple. L'Être et le devenir deviennent coextensifs. Tel est
la troisième figure de la transmutation. Désormais le devenir ne s'oppose plus à
l'Être. Le multiple ne s'oppose plus à l'Un. Affirmation de la multiplicité de l'Un,
et affirmation de l'Être du devenir, affirmation de la nécessité du hasard. C'est
dans l'enjeu de cette troisième figure qu'intervient cet autre concept-clé du
système nietzschéen: l'éternel Retour ou l'affirmation redoublée. Pour
NIETZSCHE, l'éternel Retour n'est pas "retour du Même". Dans le revenir
s'implique un devenir. Le multiple est le devenir de l'un et la nécessité l'avenir
du hasard. "Le Même ne préexiste pas au divers. "Ce n'est pas le Même qui
revient" puisque le revenir est la forme originale du Même, qui se dit seulement
30
Cf. NIETZSCHE, La Volonté de Puissance, IV, trad. Geneviève BIANQUIS, Paris, N.R.F, Editions
Gallimard.
31
La métaphore ainsi filée par NIETZSCHE de l'anneau dans son anneau n'est peut-être pas sans analogie avec
le schéme qu'élaborera LACAN des nœuds borroméens.
32
NIETZSCHE, Dithyrambes dionysiaques in Ainsi parlait ZARATHOUSTRA, livre IV, L'enchanteur, trad.
Henri ALBERT, Paris, Mercure de France.
27
du divers, du multiple, du devenir. Le Même ne revient pas, c'est le revenir qui
est le Même dans ce qui devient"33. Redoublement sélectif, l'éternel Retour n'est
pas seulement la pensée sélective, mais aussi l'Être sélectif. "Seule revient
l'affirmation, seule la joie retourne. Tout ce qui est négation est expulsé par le
mouvement même de l'éternel Retour… Toutes les formes du nihilisme et de la
réaction: mauvaise conscience, ressentiment…, on ne les verra qu'une fois."34
L'éternel Retour est la répétition qui sélectionne, qui sauve. Telle est la
quatrième et dernière figure de la transmutation des valeurs. "Elle implique et
produit le surhomme… La transmutation concerne une conversion radicale
d'essence, qui se produit dans l'homme, mais qui produit le surhomme… Le
surhomme désigne la forme supérieure de ce qui est… D'une part, il est produit
dans l'homme, par l'intermédiaire du dernier des hommes et de l'homme qui veut
périr. Mais d'autre part, produit dans l'homme, il n'est pas produit par l'homme:
il est le fruit de DIONYSOS et d'ARIANE. Ainsi s'achèvent les figures de la
transmutation"35.
Incarnant le type et le produit de l'affirmation le surhomme survient au
croisement de deux généalogies, celle de ZARATHOUSTRA et celle de
DIONYSOS. ZARATHOUSTRA est le prophète, l'annonciateur. Subordonné à
DIONYSOS il en reste au "NON" mais il préfigure l'affirmation dionysiaque. Le
"Non" de ZARATHOUSTRA n'est plus le non du nihilisme: c'est le "Non sacré"
du Lion, le "Non" trans-nihiliste inhérent à la transmutation. Alors, sa tâche
accomplie, ZARATHOUSTRA plonge sa main dans la toison du Lion. Sacré,
transmuant, le "Non" de ZARATHOUSTRA "participe pleinement de
l'affirmation dionysiaque, il est déjà l'idée de cette affirmation, l'idée de
DIONYSOS… Il produit moins le surhomme qu'il n'assure cette production dans
l'homme, créant les conditions dans lesquelles le Lion devient Enfant"36. La
33
Gilles DELEUZE, NIETZSCHE, déjà cité, p.36.
Idem, Ibidem, p.38.
35
Idem, Ibidem ,p.40.
36
Idem, Ibidem, p.48.
34
28
transmutation des valeurs est conçue par NIETZSCHE comme le terme du
processus. Elle n'est possible qu'à la fin du règne du nihilisme. Il faut que le
Nihilisme soit vaincu, mais vaincu par lui-même. Il faut attendre que
surviennent le "dernier homme" et "l'homme qui veut périr" pour que la
négation, "se retournant enfin contre les forces réactives", devienne elle-même
une action et passe au service d'une affirmation supérieure. Car telle est bien la
définition de la transmutation des valeurs: "un triomphe de l'affirmation dans la
volonté de puissance". Sous le règne du nihilisme, la négation est la forme et le
fond de la volonté de puissance; l'affirmation est subordonnée à la négation;
l'affirmatif recueille et porte les fruits du négatif. Dans l'instance de la
transmutation des valeurs les rapports entre la Négation et l'Affirmation sont
inversés. Transmutation signifie renversement. Alors l'affirmation devient sinon
la volonté de puissance elle-même du moins l'essence de la volonté de
puissance. La négation subsiste mais elle n'est plus alors qu'une modalité de
l'affirmation. Le négatif n'est plus que le mode d'être de celui qui l'affirme. Le
négatif subsiste comme l'agressivité propre à l'affirmation, comme la critique
totale qui accompagne la création. L'instance de l'énonciation est, pour
ZARATHOUSTRA, l'instance d'une affirmation pure où la négation, élevée à
son degré suprême, devenue active, cessant d'être réactive est mise au service de
celui qui affirme et qui créé 37. Le Non de ZARATHOUSTRA s'oppose au Non
du nihilisme comme l'agressivité s'oppose au ressentiment. Le Non agressif de
ZARATHOUSTRA s'oppose au NON régressif de l'ANE.
37
cf. NIETZSCHE, Ecce Homo in Ainsi parlait Zarathoustra, chapitre 6, trad. Henri ALBERT, Paris, Mercure
de France.
29
7.
TYPOLOGIE DISCURSIVE
Démagogique, procédant à une privatisation des universaux éthiques, à un
détournement ethno-égotiste des valeurs le discours du ressentiment qui cultive
le grief pour lui-même en fait la ressource énergétique inépuisable d'une
redoutable machinerie herméneutique. Raisonnant par paralogismes il énonce,
mais de façon indirecte, la haine de soi refoulée inhérente à la condition servile.
Le discours du grief est en cela une sophistique de la négation. L'émancipation
qu'exige le ressentiment est une émancipation radicalement aliénée. Tel est le
paradoxe du ressentiment : son intransigeance initiale peut se changer soudain
en son contraire et, devenue étrangement amnésique, négociant tous les
compromis, s'accommoder jusqu'à l'accepter de l'ordre des choses. L'être de
ressentiment a pour "éthos" la rancune. "Le désir de vengeance est la plus
importante des sources du ressentiment"38. Mais ce désir, manquant sa cible,
n'attrapant pas son objet à coup sûr, ne peut être immédiatement satisfait. La
vengeance est ainsi, nécessairement, toujours différée. Le sujet désirant ressent
douloureusement l'incapacité d'accomplir la vengeance projetée. Même si son
état actuel est d'impuissance il dispose toutefois des ressources d'une vengeance
symbolique mais immédiate, en effigie. Cette vengeance est affaire de mots.
S'accomplissant au moyen du symbole verbal elle n'est tout de même pas
dépourvue d'efficacité. Elle est d'une grande force d'intimidation. Elle tient son
pouvoir d'une réaction cratylienne, nominaliste, victorieuse des postulats
empiristes.
Le champ de bataille du ressentiment est le symbolique. L'homme du
ressentiment se satisfait des victoires proditoires du signifiant sur le signifié et le
référent. Il lui suffit que soient changés les mots à défaut des choses, sait se
contenter d'excuses réparatrices proférées en des termes où le symbolique soit
un substitut du réel. D'où l'équivalence paranoïaque, dans le ressentiment, par
30
régression, de la "punition" et de l'"autopunition": punir l'autre à tout prix, fût-ce
au prix d'une autopunition. Car le ressentiment n'est pas d'ordre individuel mais
d'ordre collectif. Le ressentiment est par définition ressentiment à l'égard
d'autrui. Il est à l'effet d'un narcissisme collectif figé au stade du miroir. Le
narcissisme du moi de ressentiment motive un exhibitionnisme de castration.
Dans le processus des rapports contradictoires dès lors posés entre le moi et
autrui, l'Autre n'intervient que comme simulacre: il sert de prétexte à produire de
l'identique. Dans le discours identitaire prédomine toujours la part du
ressentiment. Il faut dit-on, pour rendre compte de la névrose originaire
contemporaine, démystifier les valeurs dont se réclament les idéologies
culturelles du ressentiment. Une translation axiologique, subrepticement, là,
s'opère. Chez NIETZSCHE, le ressentiment était défini comme axiologie d'une
certaine vision du monde rapportée à un système de valeurs permettant au sujet
dominé, selon les catégories de la dialectique du Maître et de l'Esclave,
d'expliquer sa condition, d'étayer son argumentation dénonciatrice. Aujourd'hui,
chez la plupart des idéologues, changeant de nature, de statut et de fonction, le
ressentiment intervient, en tant que notion appropriée à l'analyse des faits
culturels en général, comme l'opérateur analytique majeur de la crise d'identité
du temps présent. Les doctrines relativistes qui depuis le milieu du siècle
tiennent le haut du pavé, propagent, nous dit-on, avec la haine de la raison, la
haine de l'universel. L'impulsion du ressentiment impliquerait aussi bien le refus
de l'altérité, de la diversité, du multiple.
Certes,
le
discours
du
ressentiment
se
construit
au
moyen
d'argumentations retorses, sophistiques. Il en appelle à une dialectique qui,
sommaire, "éristique", cultive vicieusement l'art et la manière d'avoir toujours
raison. Dans ce dispositif un rôle prédominant est dévolu à la stratégie du
brouillage, aux tactiques de l'esquive. Les doctrinaires du ressentiment, les
38
Max SCHELER, L'homme du ressentiment, Paris, GALLIMARD, 1970, p.16.
31
idéologues attardés de la libération nationale et de la spécificité culturelle
génitive, de la glossématique endogène, "Fondal Natal" ont recours à des
raisonnements captieux pour défendre la cause dont ils se proclament les
champions. A la moindre objection ils opposent le paralogisme éculé de
l'amalgame. Vous vous rendez à l'évidence de l'échec des indépendances
africaines? Vous êtes un nostalgique du colonialisme. Vous critiquez, dans sa
version stalinienne, maoïste ou castriste le socialisme dictatorial? Vous êtes un
ennemi du prolétariat. Vous redoutez les méfaits du populisme arrogant ou
rampant? Vous voilà traître à la patrie. Le discours du ressentiment se
reconnaîtrait donc à sa réthorique du pathos: rhétorique passionnée, rhétorique
de la passion. Rhétorique du ressentiment dont le pathos vise à intimider
l'interlocuteur, à dissimuler les carences logiques d'un discours où tout est
ramené à la souffrance endurée, au tort subi, qui comme l'a montré
NIETZSCHE, a sa source dans l'herméneutique chrétienne de l'humilité. Au
ressentiment judaïque initial a succédé le ressentiment chrétien. A la différence
du ressentiment religieux antique, lequel proclamait que ce monde n'est pas le
vrai et que ses valeurs sont fausses, le ressentiment moderne a fait de ce bas
monde son royaume. Ici-bas est l'ordre de la transmutation des valeurs.
L'histoire contemporaine immédiate fournit d'abondance matière à dresser
une table de correspondances des typologies du ressentiment. Deux modèles
retiennent
particulièrement
l'attention:
le
modèle
raciologique
ethno-
égocentrique, d'une part; le modèle socio-idéologique d'autre part. Les deux
expressions les plus typiques du ressentiment raciste sont l'antisémitisme et la
négrophobie. Dans la typologie socio-idéologique des expressions du
ressentiment deux autres modèles sont à considérer, le modèle nationalitaire et le
modèle hierarchique des origines et des conditions. Comme l'a montré, depuis le
32
XIXe siècle, en Europe et hors d'Europe, le processus historique de l'éveil des
nations, c'est au sein des petites entités nationales asservies ou brimées que le
ressentiment, formant le substrat idéologique commun à toutes les
revendications nationalistes, s'exprime avec la plus grande vigueur. Séparatiste,
l'aspiration nationaliste que dicte le ressentiment tend à satisfaire un désir de
sécession comme besoin de se retrouver entre soi. De manière analogue, le
ressentiment s'insinue dans les doctrines politiques de la lutte des classes, soientelles fascistes ou socialistes. Car le ressentiment ne prédomine pas seulement au
sein de la classe ouvrière mais aussi et surtout au sein de la petite-bourgeoisie,
classe "prolétaroïde", dont la position intermédiaire entretient la hargne. Les
intellectuels qui pour la plupart appartiennent à la petite-bourgeoisie
trouveraient dans ce ressentiment la cause première de leur engagement aux
côtés du prolétariat. Appartenant tout au mieux, selon le mot de BOURDIEU, à
la "fraction dominée de la classe dominante", l'intelligentsia progressiste, offrant
en gage sa propre rancune, prête sa plume aux exploités.
Ainsi conçu, désormais, en tant qu'idéologie, le ressentiment n'aurait plus
rien d'une juste colère contre le monde; s'il fut naguère une maladie de l'âme il
n'en subsiste qu'une infirmité de la raison; ayant transformé en horizon cognitif
les griefs les plus bas, il n'est plus que la dénégation du dialogue nécessaire de
l'Autre et du devenir. Ce n'est pas clairement dit, mais n'est ce pas bien cela que
l'on veut dire? Or les faits sont têtus. S'il n'y a plus de prolétariat, plus de
colonisés, s'il n'y a plus un seul raciste de par le monde, si la lutte des classes est
morte et enterrée pourquoi donc, de tous côtés, indécente, la subsidence du
ressentiment? Le délit au motif duquel s'instruit le procès est imputé
invariablement à la "fausse conscience" alternativement définie, selon MARX,
comme expression d'une conscience mystifiée, selon le concept nietzschéen de
la "mauvaise conscience", ou selon la topologie freudienne de l'inconscient.
Chaque réquisitoire en fait méthodiquement la démonstration: des idéologies du
33
ressentiment il n'y a rien de "bon" à attendre; aveugle, l'homme de ressentiment
est incapable de voir le monde "tel qu'il est". Mais hélas rien n'y fait. Le
réquisitoire tombe à plat : le raisonnement s'avère inopérant, impropre à saisir
dans le ressentiment les médiations non dialectiques du Même et de l'Autre, de
la vie et de la mort. " Le ressentiment est antidémocratique car il ne peut ni
discuter ni faire de compromis, ni même accorder une place dans son
programme revendicateur au ressentiment des autres"39: diagnostic erroné qui,
conférant au ressentiment cette position affective et cognitive à la fois, le
dissocie des autres symptômes de la pathologie psychosociale: le ressentiment
n'est pas la seule forme expressive de la mauvaise ou de la fausse conscience; la
liste des paradigmes de l'aliénation n'est pas une liste close. Il n'est pas toujours
sûr que, à la racine il n'y ait comme désir que le fantasme, autarcique, malsain,
tribalique, de se retrouver entre soi. Les luttes du prolétariat contre la
bourgeoisie n'ont pas pour seules sources d'énergie les pulsion les plus basses.
Les causes n'en sont pas exclusivement d'ordre pathologique. L'adhésion des
intellectuels à "la cause du peuple" n'obéit pas purement et simplement au
mécanisme psychique d'une "sublimation" par laquelle, en octroyant à
CALIBAN une image sublime de soi, les dits "intellectuels" mettent un
ressentiment grossier au service d'une utopie rationnelle. Est-il concevable, par
exemple, que, soutenant l'action des BLACK PANTHERS, contre la ségrégation
raciale, les intellectuels noirs américains, se faisant les propagandistes d'une
violence aveugle, n'obéirent qu'à des pulsions sadiques dont les alibis
grandiloquents ont, dans une prose hallucinée, arrogante, travesti les crimes les
plus odieux en exploits héroïques rédempteurs?
Il n'y a pas de doctrine spécifiée du ressentiment. Commun à diverses
idéologies il n'est propre à aucune d'entre elles. Le ressentiment peut encore
inspirer des projets de transformation des rapports sociaux réconciliant raison et
39
Marc ANGENOT, Les idéologies du ressentiment, Editions XYZ, Montréal, QUEBEC, 1997, p.126
34
justice. Certes, il peut aussi intervenir comme facteur de stagnation, d'un blocage
autistique, d'un repli identitaire délirant réinvestissant des tabous, tournés vers
un passé imaginaire. Il n'empêche qu'il a historiquement agi et peut encore agir
comme facteur de progrès. L'idée selon laquelle le propre du sujet de
ressentiment est de persister dans son être est une idée saugrenue. Refusant
l'image que lui renvoie le miroir, CALIBAN le brise.
En tant que révolte
aliénée, l'inversion des valeurs qu'effectue le ressentiment est pour sûr illusoire:
elle consiste à poser des valeurs dominées en les opposant naïvement aux
valeurs dominantes, ce qui revient à accorder à celles-ci une valeur absolue, c'est
à dire à reconnaître comme valeurs propres, sans les récuser ni les contester, les
stéréotypes du discours dominant. Un exemple éclairant en est fourni par le
discours protestataire "négriste". S'acceptant comme "séparé" et "différent"
s'emparant de la négativité inhérente au statut servile que lui prescrit la loi
despotique coloniale blanche, le Noir colonisé s'en sert comme d'une arme. Il en
fait "un élément essentiel de sa reprise de soi et de son combat, il va l'affirmer,
le glorifier jusqu'à l'absolu". "Au mythe négatif imposé par le colonisateur,
succède un mythe positif de lui-même proposé par le colonisé"40. Si elle
neutralise ou annihile le mépris de soi cette inversion ne défait pas les liens qui
assujettissent le colonisé au colonisateur. La définition remodelée qui s'ensuit
maintient le colonisé dans un face à face fasciné: l'esclave demeure captif du
regard du maître: "Zyé béké brilé zyé neg". Mais cette étape, la première, est
inéluctable quelle qu'en soient les effets pervers, la contrepartie névrogène,
chimérique. A la seconde étape, "la révolte", puis, dans un "dépassement de la
révolte", venue la troisième étape, la "révolution", a-t-on naïvement cru,
naguère. Un demi-siècle s'est écoulé et la liquidation révolutionnaire tant
espérée de l'aliénation n'a pas eu lieu. Faut-il encore s'en indigner ou s'en
40
Albert MEMMI, Portrait du colonisé précédé de Portrait du colonisateur, Paris,
BUCHET/CHASTEL/CORRÊA Editeurs, 1957, p.178-180.
35
étonner: le règne du "nihilisme" ne s'achève pas avec la mort de DIEU; quand,
tuant le maître, l'esclave prend sa place, il ne cesse pas d'en être l'esclave.
8.
AFFLICTION
La psychopathologie du ressentiment dont NIETZSCHE a posé les
fondements mobilise des concepts qui correspondent par avance aux catégories
que définira FREUD, lequel, dans la "Selbstdarstelung" écrivait : "NIETZSCHE
,l'autre philosOphe dont les intuitions et les perspectives coïncident souvent de
la manière la plus étonnante avec des résultats péniblement acquis de la
psychanalyse; pendant longtemps je l'ai évité à cause de cela; je tenais moins à
la priorité qu'à rester libre de toute prévention." Reconnaissant lui aussi la dette
contractée, RANK ne s'est pas contenté de voir en NIETZSCHE "le précurseur
direct de la psychanalyse" pour ce qui est des rapports entre le rêve et la vie
éveillée. "Il lui reconnaît un autre mérite: avoir éveillé à la responsabilité de
cela même dont on se tient pour irresponsable. On peut être coupable de ce dont
on se croit par essence innocent, endetté de ce dont on se croit par essence
innocent, endetté de ce dont se sent toujours d'avance acquitté. NIETZSCHE a
osé lier la responsabilité, la dette et la culpabilité à l'inconscient"41. Le
processus est d'ores et déjà décrit par NIETZSCHE à la manière d'un drame de
la pensée qui aurait pour première scène la conscience et pour deuxième scène
l'inconscient. NIETZSCHE définit les conditions d'émergence d'une conscience
autonome, animée d'un "vouloir". Le monde de la vraie liberté de conscience est
un monde où le "vouloir", puissance d'affirmation, s'oppose aux "demi-vouloirs"
du ressentiment. "Tout être qui souffre cherche instinctivement la cause de sa
41
Jacques DERRIDA, La carte postale, Paris, Editions Flammarion, Collection "La philosophie en effet", 1980,
p.282.
36
souffrance; il lui cherche plus particulièrement une cause animée, ou, plus
exactement encore, une cause "responsable", susceptible de souffrir, bref un
être vivant contre qui, sous n'importe quel prétexte, il pourra, d'une façon
effective ou "en effigie" décharger sa passion; car ceci est pour l'être qui souffre
la suprême tentative de soulagement, je veux dire d'étourdissement, narcotique
inconsciemment désiré contre toute espèce de souffrance". 42 La lutte qui, dans le
système nietzschéen, se déroule entre action et réaction, affirmation et négation,
l'Être et le devenir, l'Un et le multiple, correspond, dans le système freudien, au
combat d'Eros et de Thanatos, à l'antagonisme de l'instinct de vie et de l'instinct
de mort. "Ceux qui souffrent sont d'une ingéniosité et d'une promptitude
effrayantes à découvrir des prétextes aux passions douloureuses."43 "Ils
jouissent de leurs soupçons, se creusent la tête à propos de malices ou de torts
apparents dont ils prétendent avoir été victimes."44 "Ils ouvrent avec violence les
plus anciennes blessures, ils perdent leur sang par des cicatrices depuis
longtemps fermées."45
Le ressentiment est un mal, le pire de tous puisque sans remède. C'est un
état viral, sans débouché, sans emploi. Ce qu'il y a là de servile, c'est la peur de
la mort. L'expérience à laquelle il donne lieu est une expérience de l'inhumain
vécue dans l'évidence de l'inéluctabilité du mal liée à la volonté du bien.
Expérience des limites, d'une défection symbolique de la subjectivité, d'une
disjonction de l'individu entre l'idéal collectif et la souffrance qui en découle.
"Affliction: la grande énigme de la vie humaine, ce n'est pas la souffrance, c'est
le malheur"46. La logique du ressentiment est une logique du désespoir. Logique
désespérée d'une disposition intérieure dont la cause nécessaire est
l'arrachement, la solitude.
42
NIETZSCHE, Généalogie de la morale, III, 15, trad. Henri ALBERT, Mercure de France.
NIETZSCHE, Généalogie de la morale, III, 15, trad. Henri ALBERT, Mercure de France.
44
Idem
45
Idem
46
Russel BANKS, AFFLICTION, traduit de l'américain, Editions ACTES SUD, 1998.
43
37
"Passants, faites grâce à la plante obscure,
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
Oh! Plaignez le mal!
Il n'est rien qui n'ait sa mélancolie;
Tout veut un baiser.
Dans leur fauve horreur, pour peu qu'on oublie
De les écraser,
Pour peu qu'on leur jette un œil moins superbe,
Tout bas, loin du jour,
La mauvaise bête et la mauvaise herbe
Murmurent: Amour!"47
Roger TOUMSON
Fort-de-France
Septembre - octobre 2000
47
Victor HUGO, Les contemplations, poème XXVII (1842).
38
39
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