Revue de presse / Haïm – à la lumière d’un violon de Gérald Garutti au Vingtième Théâtre du 29 janvier au 3 juin 2012 / Compagnie C(h)aracteres
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-Gérard Slama
France Culture, 8 mars 2012
« Chers auditeurs, bonsoir,
En ce jeudi que je consacre chaque semaine à un sujet d’ordre culturel, je voudrais attirer votre attention sur
un spectacle hors du commun, qui est donné du 28 janvier jusqu’au 3 juin au Vingtième théâtre, rue des
Platrières, dans le 20e arrondissement de Paris. Ce spectacle relève à la fois du théâtre et du concert. Si je
devais le comparer à un modèle, ce serait l’histoire du soldat, de Stravinski, sur un texte de Ramuz, à cette
différence près que la trame musicale est de Mendelssohn, Schuman, Enesco, Bloch, Kreisler, et qu’elle
reconstitue le folklore klezmer qui fut celui des juifs de Lodz, en Pologne, entre les années 1920 et 1945.
Le texte est de Gérald Garutti, esprit original décidément à suivre, qui a été conseiller littéraire du TNP, avant
de diriger la compagnie C(h)aractères, et de réaliser à présent des mises en scène pour la Royal Shakespeare
Company. Sous le titre Haïm, qui en hébreu signifie la vie, ce spectacle retrace la biographie d’un violoniste,
Haïm Lipsky, qui a survécu au bouclage du ghetto de Lodz, puis à Auschwitz grâce à sa passion pour son
instrument. Incorporé au lugubre orchestre du camp, Lipsky a résisté à toutes les épreuves et a réussi à
s’évader dans des conditions qui aident à comprendre pourquoi l’on dit que le violon a une âme. Libéré par
l’armée américaine, il s’est retiré en Israël et a renoncé à la carrière dont il rêvait, pour devenir électricien. Mais
il a laissé sa vocation à ses descendants. Tous ses enfants et petits enfants sont devenus des concertistes
internationaux. Et c’est un de ses petits enfants, Naaman Schluchin, élève de Perlman, qui joue sur scène son
rôle, accompagné par une pianiste roumaine fine et virtuose, Dana Ciocarlie, dédicataire, entre autres,
d’œuvres de Karol Beffa. La récitante, parfaite dans les transitions si difficiles à réussir entre le texte et la
musique, n’est autre qu’Anouk Grinberg. Quant au duo de musique Klezmer, l’accordéoniste Alexis Kune, et le
clarinettiste, Samuel Maquin sont d’une vérité irrésistible. Lipsky, le héros de ce récit, a aujourd’hui 90 ans, et
ce n’est pas le moment le moins fort du spectacle, que celui où il vient saluer le public après la reconstitution
de sa vie.
Le plus remarquable, dans ce spectacle, est qu’il ne s’agit pas d’une évocation de plus de la Shoah. Ce qui
nous est montré ici est une leçon de vie. C’est une réflexion sur les conditions qui conduisent une minorité
persécutée à intérioriser la conviction qu’elle ne peut s’en sortir que par le haut. C’est la mise en évidence, en
chair et en os, à travers les acteurs de cette histoire, des motivations qui conduisent à l’excellence. Enfin, on
saisit sur le vif, dans la reconstitution de l’atmosphère du yiddishland de Lodz, le suicide de l’Europe qui,
amorcé pendant la première mondiale, a bien failli être mené par les nazis jusqu’à son terme. C’était une
véritable tentative de suicide de la culture européenne, que de tenter de faire taire le violon de Lipsky. Mais le
violoniste a pris sa revanche à travers ses descendants, et cela tient du miracle. »
Alain-Gérard Slama
URL source: http://www.franceculture.fr/emission-la-contre-pointe-d-alain-gerard-slama-la-contre-pointe-d-alain-gerard-slama-2012-03-08