ANNEE 2016 N° L`HABITUS DE SANTÉ DES PATIENTS

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ANNEE 2016
N°
L'HABITUS DE SANTÉ DES PATIENTS PRÉCAIRES SUIVIS EN MÉDECINE GÉNÉRALE :
UNE ÉTUDE QUALITATIVE AUPRÈS DE 10 PATIENTS DE MÉDECINE GÉNÉRALE EN
COTE D'OR
THESE
présentée
à l’UFR des Sciences de Santé de Dijon
Circonscription Médecine
et soutenue publiquement le 4 Octobre 2016
pour obtenir le grade de Docteur en Médecine
par JULIEN MORON
Né(e) le 1er Décembre 1986
à Auxerre
L’UFR des Sciences de Santé de Dijon, Circonscription Médecine, déclare que les opinions
émises dans les thèses qui lui sont présentées doivent être considérées comme propres à leurs
auteurs, et qu'elle n'entend ne leur donner ni approbation, ni improbation.
COMPOSITION DU JURY
Président : Monsieur le Professeur Jean-Noël BEIS
Membres : Monsieur le Professeur Jean-Marie CASILLAS-GIL
Monsieur le Professeur Jean-Michel PETIT
Directeur : Madame le Docteur Katia MAZALOVIC
REMERCIEMENTS
Merci au Professeur Jean-Noël BEIS , de m'avoir fait l'honneur de présider le jury de cette thèse. Vous
m'avez manifesté votre intérêt et votre confiance, c’est avec un profond respect que je vous exprime mes
remerciements.
Merci au Professeur Jean-Marie CASILLAS-GIL,
Vous m’avez accueilli en tant qu'externe dans votre service où j’ai beaucoup appris, tant au niveau humain
que technique, puis vous avez accepté de juger ce travail. Soyez assuré de ma sincère gratitude.
Merci au Professeur Jean-Michel PETIT,
Vous me faites l’honneur d’accepter d’être membre du jury. Recevez l’expression de ma profonde
reconnaissance.
Merci à ma directrice de thèse, le Docteur KATIA MAZALOVIC,
Pour m'avoir permis de travailler sur un sujet qui me tient tant à cœur, pour ton attention bienveillante dans
toutes les étapes de la réalisation de cette thèse et tes conseils précieux, je te remercie sincèrement.
Au Drs François MORLON et Clément CHARRA
Pour votre aide durant ce travail, je vous remercie sincèrement.
A Anaïs,
Tu mériterais d'être citée parmi les auteurs de cette thèse tant nos conversations, ton soutien au quotidien, ton
aide et tes relectures patientes m'ont aidé. Il me reste maintenant à être aussi prolifique pour t'écrire de ces
poèmes qui tentent d'exprimer l'inexprimable...
A mes parents,
Votre amour, votre soutien indéfectible et l'exemplarité de votre engagement auprès des patients constituent
des repères essentiels dans ma vie comme dans ma pratique. Vous m’avez transmis tout ce qui fait socle pour
moi au quotidien, et aussi toutes ces choses que l’on n’apprend pas sur les bancs de la fac mais qui servent
tant dans le métier.
A ma grand-mère,
Ton amour et ton dévouement auprès de tous ceux qui t'ont côtoyé (de toutes générations confondues)
feraient pâlir même un bon samaritain biblique. Tu nous a transmis le virus du « prendre soin » (depuis nos
premières visites enfants aux hospices de Seurre) en même temps que tout ton amour. Comment jamais te
remercier assez ?
A mon grand-père,
Je n'oublierai jamais tes récits de guerre et de maquis blotti au creux de ton bras aimant. Tu nous a donné
le goût de l'engagement et de la réflexion politique et sociale.
A mes sœurs, La ''grande'' (qui se reconnaîtra) qui est aussi grande dans mon cœur que la ''petite''. Vous
m'accompagnez toujours, où que je me rende et quoi que je fasse, même si la distance géographique nous
sépare davantage depuis peu. Je mesure chaque jour depuis bientôt trente ans la chance de vous avoir dans
ma vie.
A Simon, mon frère adoré; et à Norah qui fait envisager un avenir radieux par ses si beaux sourires.
A Violaine, dont la présence aux cotés de mon père m'emplit de joie depuis plusieurs années maintenant.
A Geneviève et Norbert,
Merci pour votre accueil, votre soutien et toute votre aide pendant mon travail et bien plus largement depuis
maintenant deux ans ; merci surtout pour votre plus belle réussite, votre ''grenouille'' dont les sauts égayent
ma vie au quotidien. A Nicolas et Baptiste, de m'accueillir comme beau-frère sans trop m'avoir chanté
jusqu'ici la chanson de Renaud...
A mes oncles et tantes, qui ont le don de parler autant qu'ils offrent leur affection et leur complicité... que de
belles personnes
A mes cousins et cousines, et petits cousins, cousines
En particulier, Emilie, et depuis peu Oliv', Marin, Mila; Chali, Emilie (bis), Lolo, ''Rako'', Melisse, Sachou...
Une vraie dream team!
A Francine et Bernard, ma marraine dont le nombre de souvenirs heureux ensemble n'a d'égal que la
révolte, les espoirs et les liens affectifs qui nous unissent, et à Delphine, pour ta disponibilité, ta gentillesse,
ta bienveillance et tes précieux conseils lors de la rédaction de mon guide d'entretien et lors de mon travail
préparatoire.
A mes amis,
P'tit Flo, ton exubérance dynamisante et tes fanfaronnades me tiennent chaud au cœur. Je les supporterai
encore longtemps dans notre cabinet commun avec la plus grande joie. Je relirai tes pamphlets ou tes romans
à la Flaubert promis !
Yom', mon ami de 2012 ! Au-delà des désillusions et des fausses routes politiques, notre cher président aura
apporté au moins une seule bonne chose : notre rencontre (j'ai honte de nous rappeler ce passé ;-)
Mon cher colloc préféré M. Pich' et nos discussion sur le rap américain notamment... (hou la la je
m'enfonce..)
Amiral et Radj' que de nuits blanche à refaire le monde (où à écouter l'Amiral nous apprendre la
physiopathologie de la lymphogranulomatose chez le hamster...) je vous aime
A Pierrot, Anne-Ca, Cucu, ''l'Elo'', Govou, l'Anne-So, le Stéph, Vico, la Lolo merci pour toutes ces
années entre BU, couloirs, cafét, 5e avenue, Colors, Centrale... On est tous thésés maintenant...presque...
mince on veillit ?
A Alex' et Sonia de l'antenn', travailler le lundi à vos côtés est un plaisir qui m'ôte jusqu'ici le syndrome du
dimanche soir, plus que des collègues vous êtes des amies.
Aux plus récents amis Thomas, Virgile, Noémie, et ceux qui se reconnaîtront, merci pour nos soirées
passées et à venir !
SERMENT D'HIPPOCRATE
"Au moment d'être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d'être fidèle aux
lois de l'honneur et de la probité.
Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses
éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.
Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune
discrimination selon leur état ou leurs convictions.
J'interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur
intégrité ou leur dignité.
Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de
l'humanité.
J'informerai les
conséquences.
patients
des
décisions
envisagées,
de
leurs
raisons
et
de
leurs
Je ne tromperai jamais leur confiance et n'exploiterai pas le pouvoir hérité des
circonstances pour forcer les consciences.
Je donnerai mes soins à l'indigent et à quiconque me les demandera.
Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire.
Admis(e) dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu(e) à
l'intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à
corrompre les mœurs.
Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies.
Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.
Je préserverai l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de ma mission. Je
n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les perfectionnerai
pour assurer au mieux les services qui me seront demandés.
J'apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu'à leurs familles dans l'adversité.
Que les hommes et mes confrères m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes
promesses ; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j'y manque."
Table des matières
INTRODUCTION..............................................................................................................................17
MATÉRIELS ET MÉTHODE............................................................................................................21
I)Définitions de la pauvreté et de la précarité :.........................................................................21
A)Définitions et mesures de la pauvreté :............................................................................21
B)Définition de la précarité :................................................................................................22
II)Recrutement, recueil et analyse de données :........................................................................24
A)Recrutement :...................................................................................................................24
B)Recueil de données :.........................................................................................................25
C)Analyse de données :........................................................................................................26
D)Présentation des résultats :...............................................................................................26
RÉSULTATS ......................................................................................................................................28
PARTIE I : TRAJECTOIRE SOCIALE ET DE SANTÉ DES ENQUÊTÉS................................28
I)Dynamique de précarisation et interaction santé-précarité :..................................................28
A)Basculement progressif dans la précarité.........................................................................28
B)Précarité dès la naissance ou l'enfance :...........................................................................32
II)Un facteur néfaste majeur - la violence familiale :...............................................................38
PARTIE II : CARACTERISTIQUES DESCRIPTIVES, GENETIQUES ET EVOLUTIVES DE
L'HABITUS DE SANTE DES PATIENTS PRECAIRES............................................................41
I)Un Habitus de santé minimaliste :..........................................................................................41
A)Un Habitus de répression des affects : résistance à la douleur et force de caractère :.....41
B)Représentation instrumentale et usage intensif du corps :.............................................47
1)Le corps comme outil de travail:..................................................................................47
2)Un outil mis à profit de manière intensive, souvent jusqu'au point de rupture: ..........47
C)Le rapport des patients aux arrêts de travail : ..................................................................50
1)Refus et non-respect des arrêts de travail thérapeutiques :..........................................50
2)Évitement de consultations par appréhension de l'arrêt de travail :.............................50
D)Le rapport aux médicaments : .........................................................................................52
1)Une apparente aversion pour les traitements médicamenteux: « je ne suis pas
médicaments » :...............................................................................................................52
2)les raisons avancées du désamour :..............................................................................52
3)Un désamour rhétorique plus qu'un désamour réel :....................................................53
4)Des conditions favorisant la prise de médicaments:....................................................54
5)Une fréquente automédication:....................................................................................55
a)Une automédication à visée quasi-exclusivement curative :...................................55
b)Automédication par remèdes traditionnels:.............................................................57
i)Les ''remèdes de grand-mère'':.............................................................................57
ii)les remèdes triviaux et radicaux :.......................................................................58
iii)Le recours aux guérisseurs :..............................................................................59
c)Automédication ''allopathique'' :..............................................................................60
d) S'automédiquer pour différer ou éviter une consultation:......................................61
e)La faible influence d'un échec antérieur de l'automédication:.................................63
E)Une représentation spontanée et pragmatique de la maladie comme handicap :.............66
F)Plus de recours et de pression sociale aux soins pour les patients inaptes au travail :.....70
1)Changements de pratiques après la survenue d'une maladie handicapante:.................70
a)Changements internes aux patients handicapés :.....................................................70
b)Changements de comportements de l'entourage des patients handicapés :.............70
2)Plus de soins médicaux, plus de suivi et plus de prévention, y compris pour des
problèmes de santé sans rapport avec la pathologie initiale :..........................................71
11
i) Le cas de M. A:..................................................................................................71
ii)Mme D :..............................................................................................................72
3)Statut de personne malade/inapte, attention et pressions de l'entourage proche : .......72
G)Un habitus de santé différencié vis à vis des enfants :.....................................................75
1)Un recours aux soins plus rapide et facile pour les enfants :......................................75
2)Recours aux soins pédiatriques avec et sans discernement :........................................75
a)Le recours sans discernement : ...............................................................................75
b)Le recours avec discernement :...............................................................................78
3)Au delà de la vulnérabilité infantile perçue, la défense de sa responsabilité parentale :
.........................................................................................................................................80
a)Perception de la vulnérabilité infantile :..................................................................80
b)''Soigner avec vigilance ses enfants pour être un parent digne'' :............................81
H)Un déficit de capital culturel favorisant le non-recours aux soins et la non identification
des pathologies :...................................................................................................................84
I)La transmission familiale de l'habitus corporel et de santé :.............................................87
1)Des parents adeptes de l'habitus de santé minimaliste :...............................................87
2)Une référence omniprésente aux pratiques de santé parentales :.................................88
3)Des conditions de vie des parents :..............................................................................89
J)Éthique et Habitus de santé :.............................................................................................91
1)La transmission familiale d'un code de conduite éthique : .........................................91
2)Des valeurs cardinales - travail, autonomie et responsabilité individuelle,
responsabilité parentale :.................................................................................................92
a)La valeur-travail :.....................................................................................................92
i)La forte valorisation du travail : .........................................................................92
ii)Le travail comme valeur en soi ou comme moyen privilégié de l'autonomie ?. 93
b)autonomie et responsabilité individuelle : ..............................................................94
c)responsabilité parentale : ........................................................................................94
K)Obstacles géographiques à l'accès aux soins et défaut de couverture par l'assurancemaladie : Les obstacles objectifs aux recours aux soins :....................................................96
1)Les obstacles géographiques :......................................................................................96
2)Les obstacles liés aux défauts de couverture des soins par l'assurance-maladie : .......97
a)Dépassements d'honoraires médicaux:....................................................................97
b)soins et dispositifs médicaux non pris en charge par l'assurance maladie :.............97
c)Refus de réaliser le tiers-payant social de la part des professionnels de santé :......97
d)Absence de tiers-payant réalisable sur la part complémentaire des soins:..............98
PARTIE III : LE RAPPORT COMPLEXE DES PATIENTS PRECAIRES A LEUR SANTE.....99
I) Forte affirmation de la préférence pour des soins minimalistes............................................99
II)…Contre ambivalence, insatisfaction, et aspirations plus ambitieuses en santé :................99
PARTIE IV L'ADOPTION DE PRATIQUES PLUS PROCHES DES STANDARDS
MEDICAUX ET L'ACQUISITION PROGRESSIVE D'UNE COMPÉTENCE ''MÉDICALE''
EN SANTÉ :................................................................................................................................103
I)Évolution de l'Habitus corporel et de santé des patients précaires : ....................................103
II)La relation médecin-patient précaire :.................................................................................106
A)Une relation privilégiée au médecin traitant :................................................................106
1)Un référent médical :..................................................................................................106
2)Un accompagnement social, psychologique et familial précieux :............................107
B)Représentation du ''bon médecin'' entretenue par les patients :......................................108
1)la compétence bio-médicale :.....................................................................................108
2)Compétences relationnelle, en communication, psychologique et sociale du médecin
attendues par les patients ;.............................................................................................109
12
3)Loyauté du professionnel consulté :...........................................................................110
C)Les obstacles à l'établissement d'une relation médecin-patient précaire de qualité :.....111
1)Facteurs culturels et problèmes de communication :..................................................111
2)Obstacles psychologiques et psycho-sociaux :...........................................................112
a)Défaut d'écoute et d'empathie: ..............................................................................112
b)Violence dans la relation médecin-patient : .........................................................114
i)L'expérience de Mme B :...................................................................................114
ii)L'expérience de Mme G: ..................................................................................115
iii)L'expérience de Mme E : ................................................................................118
iii.1) Récit du premier épisode négatif relaté par la patiente : ........................118
iii.2) Récit d'une deuxième expérience négative :...........................................120
iii.3) Troisième épisode relaté par la patiente :................................................122
PARTIE V : RÉSULTATS COMPLÉMENTAIRES - LE RAPPORT DES PATIENTS AUX
AIDES SOCIALES À LA COUVERTURE MALADIE............................................................127
I)Faible capital culturel et incompréhension des démarches administratives:........................127
II)La résistance des patients au bénéfice des aides sociales : ................................................129
A)Résistance psychologique et renoncement volontaire à l'assistance sociale : ...............129
B)Une résistance moins forte chez un patient handicapé et reconnu inapte au travail :....131
C)Dégradation du statut social, coût psychologique et psycho-social de la demande
d'aides :...............................................................................................................................132
D)Violence sociale symbolique envers les bénéficiaires de l'assistance sociale
(discrimination et stigmatisation) : ....................................................................................133
DISCUSSION...................................................................................................................................137
PARTIE I FORCES ET FAIBLESSES MÉTHODOLOGIQUES DE NOTRE RECHERCHE :
.....................................................................................................................................................137
I)Forces :.................................................................................................................................137
A)Thème et méthodologie employée :...............................................................................137
B)Variété de l'échantillon :.................................................................................................139
C)Grille d'entretien et conduite des interrogatoires :..........................................................140
D)Analyse et saturation des données :...............................................................................142
II)Faiblesses :..........................................................................................................................142
A)Biais de subjectivité potentiel :......................................................................................142
B)Rédaction :......................................................................................................................143
C)Thème et méthodologie : une faiblesse relative.............................................................143
PARTIE II : LA LITTÉRATURE SUR LES CARACTÉRISTIQUES ET
DETERMINANTSL'HABITUS DE SANTE DES PATIENTS PRÉCAIRES ..........................145
PARTIE III : SUR L'ÉVOLUTION DE L'HABITUS DE SANTÉ ET SES DÉTERMINANTS LES ENJEUX DE LA RELATION MEDECIN-PATIENT PRÉCAIRE :..................................148
I)L'évolution de l'habitus de santé et ses déterminants :.........................................................148
II)Les enjeux de la relation médecin-patient précaire :...........................................................149
PARTIE IV : ENJEUX AUTOUR DE LA FORMATION DES MEDECINS A LA PRISE EN
CHARGE CLINIQUE, RELATIONNELLE ET A L ACCOMPAGNEMENT SOCIAL DES
PATIENTS PRECAIRES.............................................................................................................158
I)Limites de la formation actuelle :.........................................................................................158
A)Autour de la relation médecin-malade :.........................................................................158
B)Autour du rôle l'accompagnement social des généralistes :...........................................158
C)Autour de la prise en charge des patients précaires et plus largement des ISS en
médecine générale :............................................................................................................159
II)Outils à intégrer aux pratiques :..........................................................................................160
A)Outils et formation pour améliorer la relation médecin-malade :..................................160
13
1)outils pour la relation médecin-malade:.....................................................................160
2)Formation à la relation et la communication médecin-malade :................................163
B)Outils et formation à l'accompagnement social des patients précaires en médecine
générale :............................................................................................................................166
C)Outils et formation à la prise en charge clinique des patients précaires et plus largement
des ISS :..............................................................................................................................168
1)pratiques cliniques à promouvoir au cabinet (plus larges que la seule relation
thérapeutique et l'accompagnement social auprès des patients) :..................................169
2)Orienter vers les réseaux d'information-éducation à la santé et d'éducation
thérapeutique :...............................................................................................................170
a)Rappels de définitions :..........................................................................................170
b)De l'importance d'orienter vers un réseau d'éducation à la santé/ thérapeutique :.171
c)Intérêts pour les patients précaires et pour réduire les ISS :..................................172
3)Travail en réseaux de soins ou médico-sociaux intégrés et contrôlé (recherche) ciblant
spécifiquement les patients précaires : .........................................................................174
a)Des expérimentations qui fonctionnent en soins primaires...:...............................174
b).. à la nécessité d'une « culture de la publication » en terme de prise en charge des
patients précaires et des ISS en soins primaires :.....................................................176
PARTIE V L'ACTION SUR LES CONDITIONS DE VIE ET D'ACCÈS AUX SOINS DES
PATIENTS PRÉCAIRES À UN NIVEAU SYSTÉMIQUE PLUS LARGE : QUEL RÔLE
POUR LES GÉNÉRALISTES ET LA RECHERCHE EN MÉDECINE GÉNÉRALE? ...........177
CONCLUSION................................................................................................................................179
BIBLIOGRAPHIE...........................................................................................................................182
ANNEXES.......................................................................................................................................190
ANNEXE I : SCORE EPICES (Évaluation de la Précarité et des Inégalités de santé dans les
Centres d'Examens de Santé).......................................................................................................190
ANNEXE II : GUIDE D'ENTRETIEN AUPRÈS DES PATIENTS...........................................191
APPENDICE MÉTHODOLOGIQUE.............................................................................................201
PARTIE I : MÉTHODOLOGIE DE LA THÉORIE ANCRÉE .................................................203
PARTIE II : CADRE CONCEPTUEL ET PRÉ-SUPPOSÉS THÉORIQUES GÉNÉRAUX.....207
14
LISTE DES ABRÉVIATIONS :
AAH : Allocation Adulte Handicapé
ACS : Aide au paiement d'une Complémentaire Santé
ALD : Affection Longue Durée
AME : Aide Médicale d’État.
AMO : Assurance Maladie Obligatoire
AMC : Assurance Maladie Complémentaire
CES : Centre d' Examens de Santé
CETAF: Centre d'Appui Technique et de Formation dans les Centres d'Examens de Santé
CMG : Collège de la Médecine Générale
CMU : Couverture Maladie Universelle
CMUC : Couverture Maladie Universelle Complémentaire
DARES : Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et de la Statistique
DREES : Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques
ECG : Électrocardiogramme
EPICES : Évaluation de la Précarité et des Inégalités de santé dans les Centres d'Examens de Santé
HCSP : Haut Conseil de la Santé Publique (ayant succédé en 2004 au Haut Comité de la Santé
Publique)
IGAS : Inspection Générale des Affaires Sociales
INPES : Institut National de la Prévention et d’Éducation pour la Santé
INSEE : Institut National de la Statistique et des Études Économiques
INVS : Institut National de Veille Sanitaire
IRDES : Institut de Recherche et de Documentation en Économie de la Santé
ISS : Inégalités Sociales de Santé
MDPH : Maison Départemental des Personnes Handicapées
MSU : Maître de Stage Universitaire
NHS : National Health Service
OMS : Organisation Mondiale de la Santé
PASS : Permanence d'Accès aux Soins de Santé
RSA : Revenu de Solidarité Active
SFMG : Société Française de Médecine Générale
SMG : Syndicat de la Médecine Générale
15
16
INTRODUCTION
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l'espérance de vie globale connaît un gain inédit en
France et dans les pays occidentaux : c'est ainsi environ un an d’espérance de vie qui a été gagné
tous les cinq ans en population générale. Malgré cette amélioration sanitaire globale, les inégalités
sociales de santé restent stables pour certaines, voire ne cessent de s’accroître pour d'autres. Si ce
constat vaut aussi bien au niveau mondial qu' au niveau européen, le cas français ne fait pas
exception [1,2,3].
Les ISS concernent premièrement la mortalité : en France, le risque de décéder avant 60 ans pour
les hommes ouvriers est ainsi deux fois plus élevé que celui des cadres. En valeur absolue, ce sont
six années de moins qui restent ainsi à vivre aux ouvriers comparativement aux cadres à l'âge de
35 ans1 [3-6]. Le taux suicide est aussi plus fréquent chez les chômeurs et corrélé positivement au
degré de pauvreté [7].
Concernant la morbidité, les pathologies ne sont pas de nature différente entre les groupes
sociaux, mais c'est leur incidence, leur prévalence, leur sévérité et celle de leurs complications qui
différent entre les strates sociales. Celles-ci suivent une progressive ascension lorsqu'on descend
vers le bas de l'échelle sociale. Ainsi, les maladies dont la prévalence est la plus forte chez les
patients précaires sont les mêmes qu'en population générale (soit par ordre de fréquence: les
cancers, les maladies cardio-vasculaires, les troubles mentaux, les accidents domestiques et du
travail) mais ces maladies les touchent plus tôt dans leur vie, plus sévèrement, et induisent plus
fréquemment et plus précocement des incapacités fonctionnelles et des handicaps, qui en sus sont
également plus sévères [1,2, 8-13]. En sus, la santé perçue est également plus dégradée chez les
plus pauvres, celle-ci étant importante car corrélée au risque de morbi-mortalité des individus
[14].
C'est donc une véritable « double peine » qui touche les patients au bas de l'échelle sociale en
France : celle de connaître une vie plus courte en moins bonne santé [8]. Cependant, loin de
n'affecter que les catégories sociales connaissant des situations socio-économiques extrêmes, « les
inégalités de santé suivent une distribution socialement stratifiée au sein de la population [c'est à
dire que] chaque catégorie sociale présente un niveau de mortalité, de morbidité plus élevé que la
classe immédiatement supérieure». Ces inégalités forment ainsi un véritable « gradient social de
santé » [1,2,5-7,15].
Les inégalités sociales de santé ont donc été largement décrites, et légitimement un nombre
croissant de chercheur approfondit désormais l'étude de leurs causes. Selon le modèle explicatif
majoritairement reconnu fourni par l'OMS [16] dit « des déterminants sociaux de la santé », les ISS
répondent à une logique de causalité multiple : des déterminants structurels (tels que : niveau de
revenus, situation dans l'emploi et la protection sociale, habitat etc) interagissent avec des facteurs
culturels (style de vie, comportements de santé) des facteurs psycho-sociaux (stress, sentiment
d'exclusion sociale etc) [17,18,19] et des facteurs biologiques pour aboutir à la dégradation de la
santé des individus.
C'est un processus de cumul et interaction de ces différents facteurs qui crée une dégradation
1 Voire même sept années et demi pour les hommes diplômés du supérieur comparativement aux non-diplômés de cet
âge.
17
parallèle du statut social et de l’état de santé des individus. De plus, ces facteurs entrent dans des
logiques de causalités réciproques : entre conditions de vie et comportements de santé d'une part,
mais aussi entre état de santé et situation sociale d'autre part 2 [20,21]. On parle ainsi de véritables
«chaînes de causalités [complexes] faites de mécanismes opérant tout au long de la vie des
individus» [22].
En effet, que ce soit dans l'exposition à des facteurs de risque de maladie (relevant du domaine de
la prévention primaire), dans le choix de suivre ou non un dépistage (prévention secondaire) dans
le choix de se soigner ou non, le délai de consultation une fois ce choix opéré, dans l'observance
d'un traitement hygiéno-diététique, médicamenteux ou d'une autre nature une fois la maladie
déclarée (traitement curatif, prévention tertiaire), les comportements de santé, l'observance et les
choix des patients sont reconnus comme des facteurs sanitaires déterminants et de premier ordre.
On observe par exemple une plus forte prévalence du tabagisme, de la consommation d'alcool
nocive, des comportements à risque sanitaire (pratiques sexuelles à risque, conduite en état
d'ivresse etc), de moindres pratiques préventives en santé (moindre suivi des dépistages
notamment), des délais de consultations plus long voire un non-recours après la survenue de
symptômes lorsqu'on descend dans l'échelle sociale [1,4,23,24].
De plus, si les problèmes d'accès, notamment financiers aux soins des patients précaires sont bien
connus, paradoxalement le taux de non-recours aux dispositifs de santé ciblés sur les populations
défavorisées, ou encore aux dispositifs d'aides à la couverture maladie ciblés sur ces publics ( ACS
et CMUC notamment) restent importants [1,25,26,27]. Cette inadaptation partielle des dispositifs
marque bien le fait que des progrès en terme de compréhension des motifs d'action des patients
précaires sont nécessaires pour adapter les réponses qu'on tente d'y apporter.
C'est donc légitimement qu'un nombre croissant d'études se penchent sur les comportements de
santé et de recours aux soins médicaux des patients précaires, afin d'en approfondir leur
connaissance. Les modèles théoriques d'étude des comportements de santé en population
générale admettent que, loin de ne dépendre que de facteurs seulement cognitifs (ou
informationnels) ou même matériels, les conduites de santé des patients en population générale
sont en grande partie influencés par des facteurs d'ordre psychologique (croyances,
sentiments/émotions), psycho-social (confiance en soi et en ses capacités à faire face/''coping'',
estime de soi, soutien social etc) et culturel (habitudes, préférences, références/valeurs partagées
avec leur environnement social) [28]. Ce pendant, une connaissance plus précise de ces processus
comportementaux en santé est nécessaire chez les patients précaires si on souhaite mener ensuite
des politiques efficaces de lutte contre les ISS, notamment en soins primaires, ou encore pour
guider les pratiques des professionnels de santé dans leur prise en charge de ces publics [29,30].
Ainsi tenter de lever le voile sur les processus psychologiques, psycho-sociaux et culturels
spécifiquement en jeu chez les patients précaires et sous-tendant leurs conduites de santé, ainsi
que sur les déterminants et les évolutions de ces dynamiques au long de la vie des patients et en
lien avec leurs conditions de vie est utile, sinon nécessaire comme préalable à toute action à
quelque niveau qu'elle se situe (du cabinet du médecin aux politiques de santé publique) visant un
changement comportemental dans les conduites de santé des patients précaires et visant à réduire
plus largement les ISS par ce biais.
2 On parle d'« effet inverse » de la dégradation de l'état de santé des individus sur leur situation sociale.
18
Quelles sont les perceptions, les représentations, les croyances, les préférences, les valeurs et les
références culturelles propres, les facteurs psycho-sociaux et les logiques d'actions sous-tendant
spécifiquement les comportements de santé des patients précaires ? Comment tous ces éléments
se constituent-ils et évoluent ils au long de leur vie en lien avec leurs conditions de vie ?
L'Habitus de santé des patients précaires suivis en médecine générale : une étude qualitative à
partir de 10 patients de médecine générale en Cote d'Or.
19
20
MATÉRIELS ET MÉTHODE
Pour répondre à notre question de recherche, nous avons réalisé une étude qualitative par
l’intermédiaire d'entretiens compréhensifs semi-dirigés auprès de 10 patients de médecine
générale en situation de précarité, recrutés au sein de la patientèle de trois cabinets de médecine
générale en Cote d'Or.
Après un bref rappel concernant la définition de la pauvreté et de la précarité, nous exposerons
ensuite notre méthodologie proprement dite.
I) Définitions de la pauvreté et de la précarité :
A) Définitions et mesures de la pauvreté :
Trois mesures de la pauvreté correspondant à trois définitions différentes prévalent actuellement :
la pauvreté monétaire, la pauvreté en conditions de vie, et la pauvreté par le dénombrement des
bénéficiaires de minima sociaux :
- La pauvreté monétaire en France ne cesse d'augmenter. Celle-ci peut être définie en utilisant
deux seuils : soit en mesurant le nombre de personnes dont le revenu est inférieur à 50%, soit au
seuil de 60% du revenu médian. Elle touchait alors environ 5 millions de personnes en France en
2012 (soit 8,6% de la population) dans le premier cas, et 8,6 millions de personnes soit 14 % de la
population française dans le deuxième. Par rapport à 2002 ce dernier chiffre augmentait
fortement, touchant 1,5 millions de personnes supplémentaires [31,32].
- La pauvreté mesurée par dénombrement des bénéficiaires de minima sociaux : elle suit une
ascension comparable [33]. Un retournement historique de la situation s'est ainsi opéré :
auparavant des années 1970 à la fin des années 1990 le taux de pauvreté en France n’avait cessé
de diminuer.
- La pauvreté selon les conditions de vie est construite au moyen d'une échelle globale de
difficultés ressenties et de privations dans la vie quotidienne (alimentation, logement, chauffage
etc) [34]
Ces trois définitions ne se recoupent pas totalement : une partie des ménages pauvres en termes
de conditions de vie ne se trouve pas sous le seuil de pauvreté monétaire; certains minimas
dépassent le seuil de pauvreté monétaire, tandis que certaines personnes pauvres en terme
monétaire n’ont pas accès aux minimas sociaux. Ces chevauchements sont révélateurs de la
difficulté à cerner la réalité de la pauvreté qui ne peut relever de définitions simples et
unidimensionnelles.
21
De plus, la complexité et la diversité des facteurs entrant en jeu dans la dégradation du statut
social des individus à bien été mis en évidence par les travaux scientifiques [22].
De plus, depuis les travaux de Simmel, sociologue allemand, il est admis que loin de n'être
définissable qu'en terme de conditions de vie socio-économiques ou matérielles, l'expérience de la
pauvreté est également celle du vécu d'un rapport social de subordination qui conditionne en
partie l'ensemble de relations interpersonnelles du sujet dans la société dans laquelle il est
reconnu comme « pauvre » [35]. Simmel était ainsi en quelque sorte un pionnier dans la définition
et l'étude des facteurs psycho-sociaux en jeu dans le vécu négatif de la pauvreté [17,18].
Toutes ces considérations pointent du doigt les limites du concept de pauvreté vu sous un angle
uniquement monétaire ou matériel et quantitatif. Elles ont donné lieu à l'élaboration de la notion
de précarité, qui fait référence à l'expérience du vécu de la pauvreté considérée de manière
beaucoup plus large.
B) Définition de la précarité :
Malgré des différences de sémantique liées aux contexte culturels nationaux le concept de
précarité est désormais employé par un nombre croissant de chercheurs francophones [36] mais
aussi par les professionnels de la santé ou du social pour considérer plus globalement les
difficultés des personnes au bas de l'échelle sociale [37].
Le mot précaire, issu du latin precarius, « ce qui s’obtient en priant », sous-entend une forme de
fragilité, d’insécurité, et de relations sociales. Le dictionnaire encyclopédique Universalis définit la
précarité comme la « qualité de ce qui est précaire, incertain, instable, fragile, ou révocable (en
droit) » [38]. Wresinski, fondateur de l'association ATD-quart monde, introduit ce terme dans le
domaine des politiques sociales en France dans son rapport au nom du Conseil économique et
social de 1987, la définissant comme « l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, notamment celle
de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles,
familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux ».C'est la définition qui a été reprise
ensuite par le HCSP dans son rapport de 1998 sur « la progression de la précarité en France et ses
effets sur la santé » [39].
Le processus fonctionnant par « enchaînements et accumulations au cours de la vie des individus »
est quant à lui généralement désigné sous le vocable de « dynamique de précarisation » [18-22]. Il
met en jeu de multiples facteurs de dégradation à la fois des trajectoires sanitaires et sociales des
individus (dans tous ses aspects définis plus haut : socio-économiques (facteurs structurels),
psycho-sociaux et culturels) aux effets non seulement cumulatifs mais aussi synergiques, qui
aboutissent à une situation de précarité sociale et de santé dégradées de manière conjointe. De
plus, non seulement les déterminants sociaux conditionnent la dégradation de la santé, mais aussi
22
en retour et par un « effet inverse », un mauvais état de santé impacte sur le statut économique et
social des personne précaires ou en voie de précarisation.
Les déterminants socio-économiques en jeu sont de divers ordres : niveau de revenu, situation par
rapport au logement, niveau d'études (ou de diplôme), catégorie socio-professionnelle, position
sociale3, situation dans l’emploi, couverture sociale, situation administrative au regard de la
nationalité et statut migratoire.
Les déterminants psycho-sociaux en jeu sont, quant à eux, essentiellement relatifs : au soutien
social (informationnel ou cognitif, et émotionnel), au vécu de sa place dans la hiérarchie sociale
(vécu de sa position sociale relative – en particulier sentiment d'exclusion sociale), au sentiment de
confiance en soi et en ses capacités à faire face (''coping'') à l'image et estime de soi, en lien avec
les événements vécus depuis l'enfance [17-19].
Les facteurs culturels renvoient quant à eux aux normes, références culturelles (ou valeurs) des
individus en lien avec leur environnement social, ainsi qu'à leur style de vie général et
comportement de santé (au sens large incluant habitudes hygiéno-diététiques, style de vie 4,
pratiques de santé dont habitudes de recours aux soins et aux dispositifs d'aides à la protection
sociale5).
Parce que la définition de précarité est ainsi très large, et que les indicateurs utilisés ne sont pas
toujours définis et mesurés de la même manière, une mesure précise de la population concernée
est difficile [36]. Cependant en France en 2013 on estimait que 12 à 15 millions de personnes se
trouvaient en situation de précarité, soit 20 à 25% de l'ensemble de la population française.[40]
Pour notre étude nous nous sommes référés au score EPICES (« Évaluation de la Précarité et des
Inégalités de santé dans les Centres d’Examens de Santé »), score de dépistage et de quantification
du degré de précarité des patients validé en soins ambulatoires [Annexe 1]. C'est un hétéroquestionnaire à questions fermées élaboré et validé dans les centres d'examens de santé des
CPAM comprenant 11 items explorant la vulnérabilité matérielle,financière, culturelle et sociale
des patients. Il a été validé pour la recherche médicale en soins ambulatoires par une étude sur
près de 200 000 patients qui a montré sa corrélation avec les indicateurs socio-économiques
essentiels (catégorie socioprofessionnelle, niveau d’études), mais aussi avec les comportements à
risque (ex. tabagisme), et problèmes de santé (obésité, hypertension artérielle, diabète)[41]. Il a
aussi permis de mettre à jour certains gradients sociaux de prise en charge comme la couverture
vaccinale antitétanique en soins primaires [42].
3 La position sociale dépend de plusieurs facteurs : niveau d'étude (ou de diplôme), catégorie socio-professionnelle
(CSP), niveau de revenu. Elle reste couramment mesuré actuellement par le niveau d'étude ou la CSP [3]. Cela étant,
dans les différentes études elle n'est pas toujours définie de la même manière.
4 Nous détaillons plus loin la notion de style de vie (général) des individus.
5 Bien que répondant à une définition des conduites de santé assez larges de cette manière, les conduites de recours
aux aides à la protection sociale sont essentielles en ce qu'elles conditionnent largement leur recours aux soins lui
même [1,25,38].
23
II) Recrutement, recueil et analyse de données :
A) Recrutement :
Nous avons recrutés 10 patients précaires issus de la patientèle de médecine générale de 3
praticiens installés en Cote-d'Or.
Le recrutement visait à diversifier l'origine géographique des patients de manière à pouvoir être
confronté à des thématiques variées au regard du lieu de vie, de l'environnement du patient
(milieu rural, semi-rural, urbain), et de l'accessibilité aux infrastructures privés et publiques
nécessaires dans la vie quotidienne (infrastructures de santé mais aussi administratives, et
fournisseurs de biens et de services divers privés ou publics).
Nous avons ainsi utilisé le découpage du département réalisé par l'INSEE selon la méthode des
bassins de vie [42]. Nous avons ainsi pris le parti de ne pas nous limiter à différencier les zones
géographiques uniquement selon la seule accessibilité des populations aux infrastructures de soins
et aux professionnels de santé (zonage selon la démographie médicale par exemple). Ce choix a
été réalisé au regard du caractère pluridimensionnel de la notion de précarité (affectant les
dimensions de l'accès financier et géographique aux soins de santé, mais également au travail, aux
transports, au logement etc).
L'INSEE découpe ainsi la Bourgogne en territoires géographiques répartis en cinq types de bassins
de vie selon leur degré d'équipement en infrastructures utiles à la vie quotidienne, et quatre
niveaux seulement sont présents en Cote-d'Or. Nous avons sollicité trois médecins généralistes
issus de trois bassins de vie de niveaux différents en Cote d'Or (un issu d'un bassin de vie « isolé »,
un à un bassin de vie « périurbain », et un issu d'un bassin de vie « animé par un grand pôle
urbain »).
Nous avons également cherché à diversifier les recrues selon les caractéristiques suivantes : âge,
sexe, trajectoire sociale, situation dans l'emploi, couverture sociale, situation familiale, état de
santé; afin d'être confronté à des thématiques variées au regard de ces facteurs.
Chaque médecin qui participait au recrutement recrutait 10 patients de sa propre patientèle, en
fonction de sa propre perception de leur situation de précarité et selon les caractéristiques
individuelles sus-exposées. Pour chaque patient pré-sélectionné, le praticien nous transmettait
succinctement les principales caractéristiques, perçues par lui, de sa situation sanitaire et sociale
(age, sexe, situation dans l'emploi, habitat, situation familiale et sociale).
Nous avons ensuite soumis chaque patient pré-sélectionné au questionnaire EPICES par appel
téléphonique, afin de confirmer son état de précarité, de quantifier son degré de précarité, et
préciser les différentes dimensions de son existence qui connaissait une dégradation (réponse aux
différents items du score EPICES).
Enfin nous avons effectués les trois premiers entretiens, tout en menant le plus tôt possible
l'analyse parallèle des données recueillies au fur et à mesure des entretiens effectués.
24
Le recrutement des patients était réalisé par un procédé suivant le principe de « variation
maximale » des patients au regard du phénomène étudié (soit au regard du degré de précarité,
des différentes dimensions de la précarité mesurée par le score EPICES, et au regard de l'état de
santé). Nous avons ainsi mené une inclusion progressive de patients dont les caractéristiques susexposées variaient comparativement à ceux précédemment inclus.
Le recrutement des patients se faisait en respectant conjointement un processus
d'échantillonnage théorique selon la méthodologie de la Grounded Theory 6.( inclusion des patients
au fur et à mesure des avancées de la théorie naissante et selon les besoin de celle-ci).
B) Recueil de données :
Les entretiens individuels semi-dirigés étaient réalisés à l'aide d'un questionnaire à réponses
ouvertes. Il explorait d'abord l'histoire de vie des patients dans leurs principales dimensions
(familiale, scolaire, sociale, dans l'emploi, géographique, sanitaire) selon une logique
chronologique de leur naissance à aujourd'hui à partir d'un découpage formé a priori (enfance,
jeunesse, vie adulte) enrichi secondairement au fil de l'entretien d'un découpage plus fin et
personnalisé des périodes en fonction des césures existentielles mises en évidence par le patient
lui même lors de son récit.
La deuxième partie de l'entretien semi-dirigé s'attachait à explorer plus spécifiquement l'histoire
des pratiques de santé du patient au long de sa vie de façon à recueillir son récit de soins selon la
méthode définie par Saillant [44]. Ce récit de soins passait ainsi par la description par les patients
de leurs histoires de santé et de maladie, la manière dont ils géraient leur santé ou la survenue
d'une maladie.
Le récit de soins interrogeait les pratiques de santé du patient dans la gestion de sa santé-propre et
celle de ses proches. Il visait à réinscrire cette gestion et ses évolutions dans la trajectoire de vie
des individus conjointement appréhendée dans les différentes dimensions et selon la chronologie
sus-exposée.
De plus, nous avons considéré les pratiques de santé des patients en un sens large incluant
également leur rapport aux aides sociales et aux dispositifs de soins ciblant spécifiquement les
personnes précaires afin d'enrichir notre compréhension des logiques en jeu chez les enquêtés, et
au vu de l'importance reconnue du statut dans la protection sociale et de l'accès financier aux
soins dans les pratiques de santé des patients (recours aux soins et observance thérapeutique
notamment)[1,25,38].
Le questionnaire a été rédigé à partir de celui de Paugam pour les éléments généraux ressortant de
l'histoire de vie et de la trajectoire sociale des patients [45]. Il a été complété pour inclure des
questions portant sur les principaux éléments d'importance relatifs au récit de soins. Il a ensuite
été amené à évoluer au fur et à mesure des différents entretiens et de l'avancée de notre
recherche. Nous en avons joint la trame générale en annexe [Annexe 2].
6 Cf Appendice méthodologique.
25
Les entretiens étaient réalisés au domicile des patients pour des raisons de commodités : caractère
pratique pour les patients; intimité favorisée pour l'entretien.
Enfin, les entretiens étaient enregistrés en intégralité à l'aide d'un magnétophone avec l'accord des
patients. Ils étaient ensuite retranscrits partiellement ou en intégralité et anonymisés. Toute
participation était soumise à l'accord éclairé des individus après information orale.
C) Analyse de données :
Nous avons utilisé une méthodologie d'analyse de données qualitative issue de la méthode
sociologique de la Théorie ancrée7 [46,47]. C'est une méthode compréhensive et inductive qui
permet d'élaborer progressivement une ou des hypothèses théoriques à partir des déclarations et
des notes (émergence des thèmes, des catégories théoriques, des relations d'inférences entre
catégories théoriques puis des concepts théoriques), suivant un principe de suspension initiale du
jugement (Epochè) sur le sujet de recherche. L'analyse des déclarations et notes par la méthode
comparaison continue permettait d'atteindre la saturation des catégories, notions et concepts
théoriques élaborés.
Bien qu'ayant suivi une méthode de suspension des acquis théoriques préalables à la recherche à
l'égard du sujet précis de la recherche (l'attitude des patients précaires suivis en médecine
générale à l'égard de leur santé), les auteurs n'ont pas pour autant effectué de suspension des
acquis vis à vis des principaux pré-supposés théoriques et conceptuels généraux englobant ce
thème de recherche (pré-supposés théoriques ressortant de la sociologie, de la psychologie sociale
et de la recherche sur le comportement en santé).
Conformément aux principes méthodologiques de la Grounded Theory, afin de favoriser un plein
éclairage du travail de recherche réalisé, nous exposons en appendice 8 de manière explicite,
succincte et dans leurs grands traits, ces principaux pré-supposés théoriques généraux. Ils sont
issus de connaissances au carrefour de la psychologie sociale, de la sociologie, et la psychologie
des comportement de santé.
D) Présentation des résultats :
Pour chacune des pratiques à l’œuvre chez les patients et pour laquelle nous avons forgé une
notion, catégorie ou logique d'action abstraite par la méthode de la théorie ancrée , nous avons
consacré une partie ou sous-partie lors de la rédaction de nos résultats. Nous avons rassemblé
dans chacune de nos parties et sous-parties les déclarations des patients les plus pertinentes et les
éléments issus des différents entretiens qui s'y rapportaient.
Bien qu'un peu lourde en raison du nombre et quelquefois de la longueur des déclarations des
patients reproduites (malgré un choix de ne reproduire les plus pertinentes), nous avons privilégié
7 Nous la détaillons dans notre appendice méthodologique.
8 Cf Appendice méthodologique.
26
ce moyen parce qu'il nous semblait le plus à même de permettre au lecteur d'appréhender au
mieux notre démonstration. Aussi, plus que des illustrations (qui auraient en ce cas pu être plus
concises et moins nombreuses) nous avons opté pour une présentations des résultats utilisant les
déclarations des patients comme le support de notre démonstration. Cependant, pour faciliter la
lecture, des encarts situé à chaque fin de sous-partie résument les principaux résultats obtenus.
27
RÉSULTATS
PARTIE I : TRAJECTOIRE SOCIALE ET DE SANTÉ DES ENQUÊTÉS
Nous restituerons d'abord nos résultats concernant les caractéristiques des trajectoires sociales
des patients précaires rencontrés et le lien entretenu entre leur situation sociale et leur état de
santé au long de leur vie.
I) Dynamique de précarisation et interaction santé-précarité :
A partir des des déclarations des patients relatives aux principaux aspects socio-économiques et
culturels de leur vie passée, depuis l'enfance et dans ses dimensions essentielles (familiale, sociale,
culturelle, financière, matérielle, professionnelle, psychologique et médicale), nous avons
reconstitué et analysé la trajectoire sociale des patients, leur trajectoire sanitaire, ainsi que les
interactions entre celles-ci.
A) Basculement progressif dans la précarité
Cumul de difficultés et basculement progressif dans la précarité : l'exemple de Mme B
Mme B naît en 1973 dans une fratrie de trois filles dans la campagne en périphérie
d’Angers. Lorsqu'elle a quatre ans et demi, sa mère décède brutalement d'une rupture
d'anévrysme cérébral.« Ne se sent[ant] pas d 'élever seul une petite fille », son père la
confie alors à sa grande sœur, qui occupe alors un emploi stable d'expert comptable à
Angers et vit seule dans un appartement en banlieue. Elle y est inscrite a l'école, y vit la
semaine tandis qu'elle retourne voir son père tous les week-ends.
Toutes les dépenses liées à son éducation sont couvertes par son père. Celui ci était
cantonnier pour les services municipaux et « gagnait très bien sa vie ». Aussi Mme B ne
déclare ne pas avoir connu de difficultés financières ni de privations matérielles
particulières durant son enfance : « il [son père] me pourrissait […] il faut dire, j'en
profitait des fois, […] des fois je disais « je veux ça » et il me l'achetai […] rien n'était
trop beau pour moi ».
A cause du décès précoce de sa mère, et d'une éducation très rigide fournie par sa
sœur, avec même des épisodes de violence envers elle, Mme B qualifie globalement son
enfance de « plutôt malheureuse ». Cependant sa relation à son père, déclarée très
satisfaisante (« il a tout fait pour moi […] mon père a toujours été là pour moi ») , et ses
conditions de vie matérielles d'alors, jugées bonnes, atténuent ce malheur.
28
A l'age de seize ans, elle quitte le domicile de sa sœur, part suivre une année de
formation d'employé technique de collectivité, mais échoue au au passage de son CAP :
« j'étais pas faite pour les études ». Par la suite, elle travaille en cuisine collective dans
un collège pendant un an en contrat aidé. Puis ne trouvant pas d'emploi à Angers, elle
déménage à Paris.
A Paris elle travaille d'abord comme technicienne de surface durant quatre ans.
Lorsqu'elle a dix-neuf ans, elle rencontre son époux, de cinq ans son aîné. Après quatre
ans de vie à Paris et deux enfants, ils décident de s'installer en campagne en
Bourgogne, à cause du coût de la vie parisienne et de l’environnement jugé peu adapté
aux enfants en bas âge. Ils font un prêt immobilier pour acheter une petite maison avec
jardin. Le travail est leur unique source de revenu : son époux trouve un emploi
d'ouvrier agricole dans les vignes, tandis qu' elle exerce divers emplois intérimaires.
Elle fait essentiellement de la manutention et du conditionnement industriel,
pendant quinze ans. Elle présente cette période comme étant la plus heureuse de sa
vie, notamment en raison de la satisfaction que lui procure sa situation familiale, son
cadre de vie et son travail : « Ma vie me plaisait ! Je travaillai, tout... j'avais une vie
bien organisée... »
A l'âge de 40 ans, elle est manutentionnaire pour une entreprise de livraison de
colis, quand, après deux ans à ce poste, elle est victime d'un accident de travail. Celui-ci
se produit lorsqu'elle soulève une charge de 75 kg seule, alors que son collègue, qui
devait l'y aider (selon les règles du code du travail nous rapporte-t-elle), est absent. Elle
est touchée alors d'une hernie discale et d'une lombosciatique qui l'empêche de se
relever sur le coup : «normalement nous c'est des colis de trente kilos, ça doit pas
dépasser trente kilos maximum, seulement là c'est des sacs c'est des livraisons
exceptionnelles, on les reçoit une à deux fois par mois... et ils les chargent de trop !
Pour ça, normalement j'ai un gars qui est pas trop loin de moi, qui dès qu'on me
prévient : « voilà je t'envoie tous les sacs lourds » c'est lui qui vient les descendre avec
moi, on se met à deux. Que là : ça faisait... combien de temps ? Deux-trois mois que je
me débrouillais toute seule, et combien de fois je me mangeais le dos ! »
L'atteinte est sévère : Mme B se voit prescrire un arrêt de travail prolongé pendant
un an. L'absence d'amélioration par le repos, la kinésithérapie, les antalgiques et les
infiltrations conduit à une cure chirurgicale de sa hernie discale, qui échoue
également. Cet accident lui inflige donc des douleurs chroniques et une limitation
fonctionnelle marquée du rachis lombaire.
Finalement, reconnue inapte à son poste de travail elle est ensuite licenciée. Cet
événement va être, comme le dit Mme B : « la goutte qui fait déborder le vase ». Elle
fait alors une dépression, ou plutôt selon elle, aggrave une dépression qui « avait déjà
commencé avant […] quand [s]on fils de sept ans avait rechuté de son syndrome
néphrotique », soit six mois plus tôt.
Mme B n'ayant aucun diplôme, et un faible capital culturel, on ne lui propose
d'abord que des emplois similaires à ceux précédemment exercés. Ces emplois sont
29
assez difficiles physiquement et elle ne peut plus désormais les occuper.
De plus si elle bénéficie d'une reconnaissance en invalidité de catégorie 1, elle n'a
droit à aucune pension d'indemnisation. Les problèmes de santé de Mme B et de son
fils s'entremêlent au difficultés psychologiques et financières. Ces «soucis» amènent
l'exacerbation de tensions déjà latentes auparavant au sein de son couple. Son époux,
selon les descriptions qu'elle en fournit, développe alors vraisemblablement lui aussi
une thymie dépressive réactionnelle.
Si nous n'avons pas pu directement interroger son époux, d'après les descriptions
fournies par Mme B il s'agit 'un homme peu loquace, ayant une faible capacité
d'introspection et d'expression (« il parle peu de lui, c'est dans sa nature »). Lorsqu'elle
tente à de nombreuses reprises d'ouvrir un dialogue, il lui fait comprendre que cela est
vain et se replie sur lui-même. Il évite le domicile familial après son travail pour
« dépense[r] tout son salaire au bar ». Il finit par boire tous les jours et devient
alcoolodépendant.
Mme B déclare depuis ne plus recevoir aucun soutien moral de la part de son époux,
ni même aucun soutien financier ou matériel, ni pour elle ni pour les enfants : « On a
deux comptes séparés et tout est tiré sur mon compte […] c'est moi qui paye tout tout
tout, la bouffe, leur vêtements, le chauffage, les deux voitures, l'assurance, le diesel, les
médicaments, tout tout tout […] quoi encore, l'électricité, le téléphone ,la maison
-Le prêt immobilier aussi ?
-Oui tout ! C'est simple mon mari il reçoit sa paye, je sais jamais où elle va […] mais
cet été, il va partir en voyage pour les vacances […] il part tout seul et il n'emmène pas
les enfants […] »
Mme B se voit obligée, avec un budget de plus en plus limité, prélevé d'abord sur
son allocation chômage, puis sur des économies qui s'épuisent vite, d'arbitrer entre les
différents besoins pourtant tous légitimes et essentiels de ses enfants et d'elle-même.
Elle doit choisir entre consulter un médecin (bien que leur médecin généraliste les fasse
bénéficier du tiers payant social, régler 6,90euros est très problématique pour elle),
acheter les fournitures scolaires et les vêtements des enfants, régler les factures
incompressibles (cantine scolaire, électricité, gaz etc), l' alimentation, les traitements et
dispositifs médicaux non remboursés pour le syndrome néphrotique de son fils (qui
restent nombreux et onéreux malgré une prise en charge à 100% au titre de l'affection
longue durée) etc.
Mme B se voit également obligée d'effectuer un arbitrage constant entre la
satisfaction de ses propres besoins et celle de ses enfants : elle déclare ainsi sauter très
régulièrement ses repas pour laisser suffisamment à manger à ses enfants, ou encore
avoir renoncé à consulter son médecin généraliste le mois précédent notre entretien, et
avoir brutalement interrompu son traitement anti-dépresseur depuis un mois, afin de
céder sa place en consultation à un de ses enfant.
Elle rapporte en conséquence ressentir une forte baisse récente de son état
thymique et de ses capacités à faire face, et ce malgré le fait qu'elle se décrive comme
30
étant habituellement « une battante ». Elle déclare avoir depuis quelques semaines des
« idées noires » (suicidaires), mais se reprend rapidement en arguant : « mais je le ferai
pas, parce que je dois m'occuper de mes petits, c'est tout ce qui compte, ils ont que
moi ».
Parallèlement, selon Mme B l'ambiance familiale pesante favorise le mal-être de
leur fille aînée, qui connaît par ailleurs elle aussi une situation professionnelle difficile
(elle vient de quitter l'institut de formation en soins infirmiers sans diplôme, et ne
trouve pas d'emploi malgré une démarche active de recherche). Bien que majeure et
désirant « vivre sa vie » elle ne peut, sans revenu, quitter le domicile parental. Elle
développe un syndrome dépressif sévère elle aussi, et fait une tentative de suicide par
ingestion médicamenteuse volontaire au domicile familial trois mois avant notre
entretien.
Après cet épisode, a l'occasion du « propos de trop » de la part de son époux qui,
rapporte-t-elle, « rejette la responsabilité [de l'état dépressif de leur fille] sur [elle] »,
Mme B demande le divorce, dont la procédure est en cours depuis.Puis Mme B se
décide aussi, après de fortes réticences initiales, à consulter une assistante sociale «
pour les enfants ». C'est en vain, car les revenus de son époux font dépasser les
plafonds de revenus du foyer ouvrant droit à ces aides sociales, tout comme aux aides à
la couverture maladie (CMU-C et ACS).
Elle déclare depuis plusieurs mois s'être également résolue, après les mêmes
réticences initiales, à demander une aide financière à certains amis (prêt de petites
sommes d'argent). « Mais je n'ai pas réglé la cantine du petit ce mois-ci » conclut-elle
honteuse.
Pour l'avenir, la situation sociale de Mme B semble cependant susceptible de
s'améliorer. En particulier, lorsqu'elle aura divorcé, elle devrait avoir droit à davantage
d'aides sociales (étant alors reconnue comme parent isolé ayant de faibles revenus).
Elle bénéficie d'un soutien moral et affectif important de ses quatre enfants, ainsi que
de trois amis habitants dans sa région.
Cependant sa principale vulnérabilité est faite des désavantages liés à son handicap,
son état psychologique, son absence de diplôme reconnu, sa faible qualification et sa
faible propension à reprendre une formation professionnelle plus théorique et ouvrant
à des emplois moins difficiles physiquement, ainsi que sa responsabilité maternelle, qui
l'amène à ''s'oublier'' au profit de ses enfants.
Elle a retrouvé récemment un emploi en CDD en tant qu’auxiliaire de vie à domicile,
mais on peut se demander combien de temps elle pourra endurer les tâches physiques
auxquelles elle est soumise.
On pouvait bien noter dans ce récit de soins, comment les désavantages de divers ordres
(médicaux, professionnels, culturels, psychologiques, familiaux, sociaux, financiers et
matériels) se cumulaient et interagissaient selon un processus dynamique aboutissant
finalement au basculement dans la précarité de Mme B.
On voyait également apparaître comment l'évolution des conditions socio-économiques et
31
professionnelles de vie de Mme B influait dans la dégradation de son état de santé, puis
comment, réciproquement, la maladie et le handicap développés agissaient comme des
facteurs de précarisation (en se cumulant et interagissant avec ses autres désavantages
sociaux). Le lien de réciprocité entre trajectoire sociale et état de santé constituait ici un
véritable cercle vicieux.
B) Précarité dès la naissance ou l'enfance :
Une situation de précarité dès la naissance : l'exemple de Me E
Mme E naît en 1948 à Dijon. Elle est la cinquième d'une fratrie de huit enfant. Sa
mère est au foyer, mais elle est atteinte d'une grave dépression qui l'inhibe fortement
dans ses activités. En effet, celle-ci n'assume alors aucune de ses responsabilités
maternelles, selon la description que Mme E en fournit. Son père est quant à lui
cantonnier pour la municipalité et gagne relativement bien sa vie, cependant qu'il
dépense une grande partie de son salaire pour entretenir son alcoolodépendance.
Surtout, il est violent physiquement et verbalement envers son épouse et ses enfants :
«Ma mère a accouché à la maison [...] comment je vous dirai, on avait, une toute
petite chambre là où elle accouchait, on avait... une cuisine et une autre pièce, qui
n'était d'ailleurs pas chauffée donc on avait de la glace l'hiver dedans. C'était... on
vivait vraiment pauvrement, on était vraiment des [elle fait la grimace] des cassociaux quoi, faut dire ce qui est... »
Mme E détaille spontanément ses difficultés familiales. Comme ici à propos de son
père, qu'elle déclare ne jamais avoir considéré « comme un vrai père » :
« Ben j'vais vous dire une chose, mon papa j'lai jamais appelé papa, on disait l'vieux.
On disait toujours « attention attention y à l'vieux qu'arrive » […] C'est à dire qu'il était
toujours saoul, alors... on en avait peur. On en avait très peur ! […] il avait été dans la
légion. Alors j'sais pas si vous savez c'est! C'est à dire que mon père mangeait avec son
ceinturon hein d'la légion. En permanence sur la table on avait l'ceinturon […] Quand
j'ai attrapé l'âge de quinze ans y m'avait dans le nez, j'étais sa ligne de mire[...]. Donc y
mangeait, ben, il disait toujours, y m'battait pas mais y m'traitait d' « putin »,
d' « salope » heu, : « j'vais ammener mes copains heu tu vas faire des passes, comme
ça on aura d'largent à la maison »... voilà... C'est pour ça j'suis pas allée d'ailleurs à son
enterrement. J'suis pas allée, et pour moi c'est … je peux pas dire « papa », je dis
toujours quand on parle avec ma sœur j'dis «le vieux, le vieux... » »
Ses trois frères et sa grande sœur ont déjà quitté le domicile familial lorsque Mme E
est enfant. Elle ne connaîtra jamais réellement ses frères. En effet, ceux-ci, dès l'âge de
six ans, avaient été placés dans des familles d’accueil devant officiellement veiller à leur
éducation, mais qui, selon elle, avaient « surtout profité » de cette opportunité pour
employer de la main d’œuvre quasiment gratuite. Dans les familles de cultivateurs où
ils avaient été envoyés, ils étaient « garçons de ferme » : « ils étaient pas payés [...] ils
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dormaient la nuit dans la paille, dans les fermes, à coté des bêtes [tandis que les
enfants des cultivateurs] dormaient dans une chambre, dans la maison ». Sa grande
sœur de quinze ans son aînée, quant à elle, avait été placée vers l'âge de quatorze ans
pour devenir « bonne à tout faire » dans une famille dijonnaise.
Après l'arrivée de ses deux petites sœurs jumelles, la mère de Mme E fait rappeler sa
grande sœur, pour que celle-ci pourvoie à leur éducation. C'est ainsi qu'elle décrit
l'attitude de sa mère auprès d'eux:
«Maman assumait pas, et pis donc c'est ma sœur qui nous a élevé toutes les trois,
avec mes deux sœurs […]
-Mais votre maman, quand elle était malade, qu'elle restait à la maison, elle
s'occupait un peu de vous quand même?
-Oui, mais pas comme une maman, comme heu... une copine. Une copine, mais pas
une maman.
-Et pourquoi ? Elle vous prenait pas sur ses genoux, elle vous maternait pas
-Non, elle était là elle... se conduisait pas comme une maman. C'était ma sœur qui
s'occupait de nous, tout le temps. Elle prenait pas les décisions, tout ça c'était ma
sœur »
Sans surprise, Mme E décrit son enfance comme « franchement malheureuse ». Elle
insiste en particulier sur son vécu de nombreux épisode de maltraitance et de violences
en famille, ainsi que sur une carence affective grave de la part de ses parents. Ces
éléments se cumulent alors avec le vécu de nombreuses ''brimades'' voire humiliations
répétées à l'école ou en société en raison de la modestie de son milieu social d'origine.
Si elle dit avoir beaucoup aimé étudier à l'école jusqu'à l'age de douze ans, elle
rapporte un sentiment toujours vif de déception quant au fait de ne jamais avoir pu
présenter le certificat d'études : « Moi j'aurai bien aimé continuer mes études parce
que j'étais bonne à l'école hein, j'étais excellente […] Mais bon y fallait de l'argent
hein... Ma mère m'a dit « on ne peut pas t'payer des études , c'est pas possible hein, y à
pas d'argent à la maison on ne peut pas » »
Dès treize ans elle stoppe donc sa scolarité, reste dans son école, mais cette fois
pour commencer à travailler comme femme de ménage. Elle rapporte avoir fait le
ménage, surveillé les enfants pendant les récréations, servi à la cantine etc pendant
une année scolaire, mais n'avoir jamais été payé pour ce travail : « […] et le samedi
c'était grand nettoyage, on faisait 10-12heures par jour, y compris le samedi […] elles
[les religieuses responsables de l'école privée] ne m'ont jamais payé ! […] Si ! Elles me
donnaient une ou deux bouteilles de lait par jour. Pis des fois elle venaient voir ma
mère, une fois dans l'année, peut-être deux c'était les étrennes, [...] là elles donnaient
une pièce à ma mère ».
Après la fin de l'année scolaire sa mère lui demande de trouver un travail mieux
rémunéré. Elle est alors employée comme ouvrière non qualifiée sur une chaîne de
montage de pièces électroniques. Elle occupe ce poste pendant environ trois ans, est
payée selon le salaire d'usage, mais reverse tout son gain à sa mère, à qui son père ne
fournit plus aucun revenu.
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Finalement, pour « partir le plus vite possible [du domicile parental, Mme E fini[t]
par épouser le premier homme venu ! » alors qu'elle n'a que dix-sept ans. Elle désigne
par cette expression un homme qu'elle ne connaît alors quasiment pas et qu'elle
épouse seulement trois mois après l'avoir rencontré. Elle découvre peu de temps après
à ses dépens qu'il est alcoolodépendant et violent. Il la bat et la viole ensuite de
manière répétée durant leur six années de mariage.
Ces six années sont « terribles » pour Mme E, selon ses propres mots. Elle a deux
enfants (un garçon puis une fille) avec son époux, mais elle est quotidiennement dans le
souci pour trouver de quoi les entretenir matériellement et financièrement. Son époux
ne travaillant pas, ou très occasionnellement, il ne rapporte aucun revenu. Aussi, c'est
elle qui doit alterner de petits emplois et de longues périodes de chômage durant
lesquelles elle rapporte avoir d'énormes difficultés à se chauffer, à vêtir ses enfants, ou
même à alimenter sa famille : « on mangeait une à deux fois par jour, deux fois si je me
débrouillais […] il fallait toujours aller mendier des pommes de terres […] j'allais, je
mendiait des patates aux agriculteurs, ou sinon j'envoyai ma fille […] ils me faisaient
crédit hein, je leur achetait des pommes de terres, seulement voilà, pour faire des
pommes de terre, faut de l'huile, faut du gras ou du beurre, pis j'en avais pas […] on
crevait de faim »
Six ans environ après son premier mariage, elle divorce et fuit avec un deuxième
homme, qu'elle épousera à son tour. Celui-ci lui donne accès temporairement, par sa
position sociale (chef de chantier au BTP) à un statut social et des conditions socioéconomiques et culturelles de vie bien meilleures. Elle et ses enfants ne souffrent alors
plus de privations alimentaires ni matérielles majeures. Elle découvre même les loisirs
et les activités culturelles et se sent alors satisfaite de l'éducation fournie à ses enfants.
Cependant rapidement ses relations à son second époux vont elles aussi se
dégrader, pour un ensemble de raisons que nous ne connaîtront qu'en partie grâce à
l'interrogatoire. Son époux aurait souffert selon Mme E, de l'éloignement de son
environnement familial et social d'origine, « croulait » sous la responsabilité d'enfants
qui n'était pas les siens, qu'il n'avait que partiellement désiré, et qu'il n'arrivait pas a
assumer totalement psychologiquement et moralement. Ce fut le cas en particulier
lorsque ceux -ci commencèrent à exprimer un certain mal-être durant leur adolescence
et à s'adonner à un certain nombre de « conneries ». Mme E avouera également ne pas
avoir su comment aborder cette situation, déclarant ne pas être beaucoup plus « douée
pour parler […] ou pour savoir comment bien réagir» vis à vis de ses enfants et de son
mari.
Elle rapporte que son époux se mit à boire,d'abord un peu, sur son lieu de travail
avec ses collègues puis à domicile, puis de plus en plus, devenant lui aussi
alcoolodépendant. Il chassera son fils aîné du domicile familial à l'âge de dix-sept ans,
puis sa deuxième fille, au même âge l'année suivante. C'est à ce moment là que, ne se
sentant pas de s'opposer à son mari, Mme E rapporte avoir commencé à faire une puis
plusieurs tentatives de suicide « pour appeler au secours ».
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Finalement son époux décédera peu de temps après. Bien qu'ayant hérité d'un
certain patrimoine et d'une demi-part de retraite non négligeable (1000 euros, mais
Mme E ne dispose que d'une retraite personnelle modique), Mme E donnera tout à ses
filles connaissant elles-même de grosses difficultés financières selon elle. Finalement,
elle ira jusqu'à contracter plusieurs crédits à la consommation pour sa fille aînée, ce qui
finira par la conduire à une situation de surendettement.
Tout ceci la fait ''rebasculer''' : elle est alors à nouveau au plus bas moralement,
aggrave son état dépressif chronique, rompt ses soins médicaux et ses traitements, ne
sort plus de chez elle et décide de ne plus s'alimenter :
«- [...]C'était entre le 15 février et fin mars. Donc heu... pis j'avais des appels des fois
jusqu'à trente coup d'téléphone hein ! [des appels des organismes de crédit créanciers]
Vous savez que, qu'on me relançait sans arrêt sans arrêt... Bon ben là j'me suis couché
pis, je voulais pu m'lever... j'me suis arrêté de manger carrément. Là à c't'époque là en
2012 j'avais perdu douze kilos en trois semaines. Et... un jour ma fille elle est venue, elle
est débarquée elle m'a vu comme ça, elle me dit « maman, tu viens je vais t'emmener
chez le médecin » mais elle a vu que je pouvais pas marcher. Je pouvais pas j'avais sept
de tension. Donc elle a appelé une ambulance... on m'a emmené aux urgences... là j'ai
eu les reins qu'ont été carrément heu... j'avais cinq-cent de créatinine...qu'y savaient
pas si y devaient pas me mettre sous dialyse... et puis, ma fois ils m'ont rattrapé quand
même hein...
-Mais...Parce que vous ne buviez plus ?
-Ben je ne m'alimentais plus, je buvais plus rien... et donc heu … de là,y m'ont
renvoyé à la Chartreuse... où je suis resté un mois. »
Depuis 2012 Mme E a engagé une procédure de surendettement grâce à une
assistante sociale. Si elle reconnaît toujours la présence de certaines difficultés
financières, elle déclare pouvoir désormais beaucoup mieux subvenir à ses besoins. Elle
bénéficie précisément de 1250 euros par mois, rembourse 600 euros aux organismes
de crédit, loue un studio de 20m2 à Dijon 300 euros par mois, et subvient à ses autres
besoins personnels avec 350 euros par mois. »
Malgré les fluctuations de sa situation au cours du temps ainsi décrites, à ce point
de sa vie, Mme E rapporte n'avoir connu « que la misère », et n'avoir « jamais été
heureuse ». On peut ainsi resituer à son adolescence le début d'une dépression
chronique sévère, toujours en cours actuellement, et pour laquelle elle a toujours un
suivi médical et un traitement régulier. Malgré ce suivi débuté il y à environ quinze ans,
elle a effectué plus d'une quinzaine de tentatives de suicides, quelquefois « comme un
appel au secours », d'autrefois pour tenter réellement de mettre fin à ses jours, comme
elle le rapporte ainsi :
«-Vous souvenez vous d'avoir été malade, vous même pendant l'enfance ?
-Ce que j'ai, je souffre heu depuis toujours, c'est de dépression, comme souffre ma
sœur, comme souffre mon autre grande sœur Valérie...et pis de tentatives de suicide
qu'on a fait à répétition. Ça alors là on en a fait un paquet. Et encore moi je me suis
calmée hein... j'avais un mode opératoire c'était whisky et temesta 2,5. Alors là je
pouvais m'en taper deux boites, hop je tombais dans le coma, c'était bien. Heu ma
sœur elle c'était encore différent, ma sœur elle... elle se taille les veines... On est toute
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les trois et.. ma dernière est comme nous elle... on est tout le temps suivi j'ai tout le
temps des... des anxiolytiques, des antidépresseurs... Pis j'ai fait je sais pas combien de
tentatives de suicide [...]
-Vous avez été hospitalisée pour ça ?
-Ben j'ai fait […] j'ai toujours eu le même mode opératoire de suicide ! Et ma sœur
c'est pareil elle a un mode opératoire c'est comme ça, elle a la lame de rasoir et elle se
taillade ! […] Je n'ai jamais été heureuse, vous savez quand heu vous venez au monde
et puis que vot' vie c'est ben... qu'une suite d'emmerdements ... on a pas la même
vision des choses hein ! Moi j'ai... ja'i eu tellement de coups durs dans ma vie, tellement
de coups durs que bon ben non... […]
-Et à l'heure actuelle, vous êtes toujours suivie pour votre dépression ?
-A l'heure actuelle ? J'suis toujours dans le même état, j'suis dépressive...
-C'est lorsque vous avez été avec votre deuxième mari que vous avez commencé à
faire des tentatives de suicide ?
-Des tentatives de suicides. J'me suis esquinté hein. J'me rappellerai toujours, ça a
commencé à mes quarantes ans. Quand j'ai eu quarante ans [...] j'suis tombé par terre,
je sais pas. Tout est ressorti, je sais pas. C'est là où j'ai commencé mes premières
tentatives de suicides... et pis j'me trouvais tellement bien quand j'avalai mes cachets...
-Vous en avez fait une dizaine vous me disiez...
-Une bonne dizaine hein. Heu j'dirai même heu plus près des quinze. […] Et vous
savez à force ça abîme hein. Ca abîme hein. Y voulait pu me, y voulait pu me, comment,
faire de lavements d'estomac parce que ça m'esquintait, ça m'esquintait à chaque fois.
-Et...Vous vouliez appeler au secours... Ou vous vouliez mourir ?
-Heu...Y à eu p'tête une ou deux fois où j'ai voulu mourir, ouais. Mais les autres fois
c'était des appels au secours. C'était plus pour dire heu... « j'vais pas bien quoi, j'vais
pas bien» ».
L'exemple de Mme E était illustratif d'une trajectoire sociale qui semblait être d'emblée marquée
par la précarité, voire l'extrême précarité. Ainsi, depuis sa naissance, les désavantages sociaux de
tous types s'était très vite cumulés pour elle : désavantages familiaux (carence affective,
maltraitance, famille déstructurée9), matériels et financiers, culturels, sociaux, et médicopsychologiques.
Si par la suite elle avait connu, notamment à l'occasion de son deuxième mariage, une période
transitoire où l'amélioration de chacun de ces facteurs avait permis un redressement transitoire de
sa trajectoire sociale et sanitaire, rapidement les désavantages anciens et persistants s'étaient liés
à de nouveaux pour faire basculer de plus belle sa situation sociale vers sa position initiale
extrêmement dégradée. On retrouvait ici la marque d'une évolutivité et d'une non linéarité des
trajectoires sociales.
Sur le plan médical, le cas de Mme E était également illustratif de l'interaction entre dégradation
de la trajectoire sociale et dégradation de la trajectoire de santé des précaires. Ainsi, la patiente
développait une dépression chronique réactionnelle aux multiples désavantages de sa situation
sociale connus par elle dès son plus jeune âge, dont elle ne devait jusqu'à aujourd'hui jamais sortir.
9 Nous entendons sous le vocable de famille déstructurée une situation familiale ou les parents ne jouent pas le rôle de
parent, situation qui englobe donc : l'absence physique d'un ou des deux parents, la maltraitance, les carences
affectives ou d'autorité parentale.
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Ses tentatives de suicide multiples avaient ensuite aggravé un peu plus son état de santé non
seulement psychologique mais aussi bio-médical (exemple de l'insuffisance rénale aiguë préterminale secondaire à son refus de boire).
Réciproquement, son état de santé dégradé s'était cumulé et avait interagit avec ses autres
handicaps sociaux pour ancrer encore davantage sa trajectoire sociale dans la précarité (exemple
de l'aboulie et de la clinophilie secondaire à sa dépression chronique sévère lui faisant abandonner
ses démarches de surendettement, l'amenant à être de plus en plus régulièrement assaillie par les
appels téléphoniques et courriers de ses créanciers).
Ainsi, parmi les types évolutifs de trajectoire sociale des enquêtés que nous avons pu reconstituer
et analyser, un type était marqué par une précarité voire une extrême précarité constituée dès le
plus jeune âge voire la naissance. Cependant si ce type de trajectoire sociale semblait être marqué
pour les patients par une situation de ''gel'' social ou ''d'enlisement'' dans la précarité, semblant
ainsi constituer une forme de ''fatalité'', cela ne devait pas faire succomber aux apparences.
En effet, en réalité, derrière le détail d'une trajectoire sociale de ce type, on trouvait toujours, à
l'instar du cas de Me E, un processus continu, évolutif, dynamique et non linéaire de précarisation,
où cumul et interaction de désavantages sociaux et sanitaires étaient la règle.
Aussi et malgré tout, le caractère évolutif et non linéaire ainsi décrit du processus permettait de
maintenir un certain espoir. Ainsi, il restait permis d'espérer qu'un processus inverse de cumul
d'éléments favorables puisse en sens contraire progressivement stabiliser, voire améliorer la
situation sociale et de santé de cette patiente. Dans cet ordre d'idée, on comprend bien que des
soins médicaux de qualité seraient favorables, mais non suffisants, pour aider cette patiente à
stabiliser voire à améliorer conjointement sa trajectoire sociale et son état de santé.
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II) Un facteur néfaste majeur - la violence familiale :
L'influence d'un antécédent de maltraitance familiale : l'exemple de Mr D
La situation de précarité sociale et médicale que connaît actuellement M. D, 29 ans, est
étroitement liée à sa poly-addiction débutée depuis son adolescence et toujours
entretenue actuellement. Il est en effet depuis trois ans en cours de sevrage aux
opiacés sous méthadone, toujours usager régulier de cocaïne, alcoolo-dépendant,
tabagique et lourdement dépendant au THC.
Lorsqu'on lui demande à quelle période de sa vie il a débuté sa consommations de
drogue, il parle du début de son adolescence. Il évoque alors immédiatement les
difficultés familiales qu'il a connu durant son enfance : maltraitance, famille
déstructurée, père alcoolodépendant et violent battant sa mère, elle-même devenue
par la suite alcoolodépendante et violente envers ses enfants : « -Et ton père tu l'as
connu ?
-Oui et non. Il est mort, je l'ai pas connu. Le seul souvenir que j'ai de lui c'est... il la
frappait, il lui a cassé les tibias, il la... fin voilà, il lui a fait beaucoup de mal. Ma mère
était alcoolique à l'époque...
-Et...lui aussi ?
-Ouais […] j'te dis le seul souvenir qu'j'ai de mon père c'est les coups c'est... un
nunchaku. Parce qu'il a balancé un nunchaku sur ma mère. Pis ça aussi [il se lève et se
dirige vers la porte de sa chambre dont l'encadrement est encore abîmé]. Tu vois là
mon père, ça je l'ai pas vu c'est mon frère qui me l'a raconté, mon père, tu vois ma
mère était là par terre allongée, y avait ses pieds là dans la porte, mon père lui il a pris
la porte [disant cela il mime les coups de son père] et bam ! Bam ! Il a tapé tapé sur les
jambes de ma mère, tapé tapé tapé, jusqu'à ce qu'il lui pète les tibias !»
Durant leur enfance, selon M. D, leur père ne s'occupe pas de pourvoir aux besoins de
la famille. Il est artiste peintre mais ne vend que peu ses toiles. C'est sa mère, chefmagasinière à la SNCF qui à la charge d'apporter un salaire fixe au foyer. De plus, c'est
elle qui a la charge exclusive de l'éducation des cinq garçons, des tâches ménagère et
de l'entretien du domicile. Pour M. D, si ça mère sombre alors elle-même dans l'alcoolodépendance durant son enfance, c'est à cause de sa situation extrêmement difficile, et
de nombreuses autres violences conjugales dont elle fut la victime de la part de ses
autres amants, déjà avant son père. Il rapporte que par la suite, sa mère les maltraita
lui et ses frères, et donne de nombreux exemples des sévices qu'elle perpétra sur eux.
Comme il le déclare à la fin de notre entretien, M. D déclare ne pas avoir « confiance
en [lui] », et avoir gardé de son expérience de maltraitance, une forte tendance à la
tristesse et aux troubles anxio-dépressifs (il déclare avoir déjà effectué trois tentatives
de suicides par différents moyens, dont la défenestration et l'intoxication
médicamenteuse volontaire).
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En réalité, dès l'âge de treize ans, il adopte une stratégie de sédation de son anxiété par
des conduites addictives de plus en plus sévères et nombreuses pour, comme il le
déclare : « calmer [s]es crises de nerfs et l'angoisse ». La facilité avec laquelle ces
substances sont disponibles dans son environnement (il habite dans un quartier
défavorisé de grands ensembles à Dijon où les « connaissances qui dealent » ne sont
pas rares), l'absence mise en avant par le patient ''d'échappatoire'' à ses troubles (à
cause notamment d'une situation d'échec scolaire et de l'absence d'activité de
substitution valorisée socialement et accessible ou satisfaisante pour lui), et la faible
propension de son entourage, tant familial qu'amical à la parole et l'introspection
approfondie, le conduit à préférer, « comme [s]es potes », la sédation dans un usage de
drogues de plus en plus néfaste.
Il connaît dès son adolescence plusieurs ruptures familiales, amicales et de couple,
notamment lorsqu'il est envoyé dans plusieurs foyers, puis en milieu éducatif fermé
suite à une mesure de justice. Il rencontre par la suite une femme de quinze ans son
aînée, elle-même battue par son premier mari et héroïnomane, avec qui il vit plusieurs
années. Ils habitent alors dans des squats et entretiennent ensemble leur dépendance
aux drogues. Pendant ces années, il occupe transitoirement un emploi d’équarrisseur
dans une boucherie industrielle en intérim, mais son addiction le conduit à quitter ce
travail pour un « business » (trafic de drogues) plus lucratif. En effet, sa consommation
lui coûte cher relativement à son salaire d'ouvrier : « en France un gramme d'héro c'est
cinquante euros ».
Finalement, il fait deux crises de pancréatites aiguës l'année passée,à l'age de vingthuit ans, et dit garder depuis la deuxième crise des douleurs pancréatiques chroniques.
On lui prescrit alors des morphiniques à forte dose, qu'il arrive à se faire prescrire par
un vagabondage médical et en dupant plusieurs médecins différents de celui qui lui
prescrit habituellement son traitement par méthadone (l'association des deux
traitements étant théoriquement contre-indiquée en raison du risque de mésusage, de
surdosage et d'arrêt respiratoire).
Plus tard il devra « tout di[re] » à son médecin traitant « à cause d'un courrier de la
sécu » lui mentionnant l'impossibilité de se voir rembourser et délivrer les deux
traitements en parallèle. Son médecin ne maintient depuis lors que le traitement par
méthadone. M. D souffre depuis régulièrement de récidives de douleurs qu'il n'arrive
pas bien à soulager seul, sans pour autant aller consulter. Il déclare à ce propos : « on
ne me donne rien d'efficace, y a que la morphine qui me calme ». Il se fournit
cependant ponctuellement en antalgiques de paliers II acquis par le marché noir, et
recours également à des augmentations épisodiques de sa consommation d'alcool
chronique comme stratégie antalgique (mais pour ces douleurs dorso-lombaires
récurrentes dans ce dernier cas). Il expose ainsi son recours à l'alcool à visée
antalgique : « je traite le mal par le mal ».
Au total, la situation actuelle de M. D est marquée par une grande précarité
psychologique, médicale, sociale, financière et matérielle. Si son bénéfice récent du RSA
et de la CMU-C viennent limiter cette précarité, celle-ci reste importante. Il est
notamment récemment revenu loger chez sa mère par manque d'argent.
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M. D est ainsi dans une situation d'extrême précarité au regard de l'ensemble des
dimensions de la vie quotidienne prise en compte par EPICES. Au-delà de ce point,
concernant son avenir à moyen terme, il est légitime de s'interroger : s'il devait survenir
à nouveau une rupture brutale de sa relation avec sa mère qui le loge actuellement
( par un décès qui est probable compte tenu de son état de santé très dégradé, ou bien
à cause d'une nouvelle « brouille ») tous les ingrédients sembleraient alors réunis pour
le conduire à une forme de marginalisation sociale et d'extrême pauvreté dont il serait
par la suite extrêmement difficile pour lui de sortir.
La trajectoire sanitaire et sociale de M. D illustrait bien les points déjà décrits à propos des patients
précaires précédents (diversité des facteurs en cause, dynamique de précarisation, interaction
santé-précarité). Elle illustrait également l'influence forte et durable de ses antécédents de
maltraitance et de violence familiale (physique, verbale, psychologique) subis durant l'enfance, sur
la survenue de troubles psychologiques et psychiatriques, addictifs puis bio-médicaux
extrêmement lourds, tout comme sur sa trajectoire sociale. Notamment ces antécédens
semblaient avoir favorisé une certaine instabilité de ses relations familiales et sociales, ainsi qu'une
certaine reproduction de la violence dans ses relations inter-personnelles en société (violences
l'ayant entre autre conduit à être condamné par la justice dès son plus jeune âge).
A l'instar de M. D et au fur et à mesure de nos différents entretiens, nous avons pu constater
l'importance de la violence familiale subie par nombre de nos enquêtés. Cette importance
concernait tant la fréquence que la force des conséquences néfastes de cet antécédents sur les
trajectoires de vie des patients. Pas moins de six des dix patients interrogés déclaraient ainsi avoir
connu un antécédent de maltraitance familiale durant l'enfance ou de violences conjugales à l'âge
adulte, avec toujours de lourdes conséquences apparentes sur leur trajectoire sociale et de santé.
Cependant, ne faisant pas exception à la règle, ce facteur de précarisation ne semblait avoir pris sa
pleine et entière influence sur la trajectoire de vie des patients (comme ici de M. D) que par cumul
et interaction avec un ensemble d'autres handicaps sociaux aussi divers que sévères.
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PARTIE II : CARACTERISTIQUES DESCRIPTIVES, GENETIQUES ET
EVOLUTIVES DE L'HABITUS DE SANTE DES PATIENTS
PRECAIRES
I) Un Habitus de santé minimaliste :
A) Un Habitus de répression des affects : résistance à la douleur et force de
caractère :
Très fréquemment dans les déclarations des patients on pouvait mettre à jour une certaine forme
de fierté attachée à la défense d'une philosophie de vie de soins minimalistes. Manifestement pour
les patients qui tenaient ce type de propos, adopter un style de vie ''à la dure'' , faire montre d'un
caractère et d'une idiosyncrasie endurante était valeureux :
« Il y a eu assistante sociale et tout ce qui s'en suit pour des coups, morsures […],
l'assistante sociale est venue, j'étais en quatrième. Mais... elle [sa mère] a réussi à les
faire fuir. Y a eu enquête de voisinage les voisins ont pas parlé, pis...j'avais quoi quinze
ans seize ans […] la grosse enquête ça a été quand elle m'a mordu à ce bras là, pis... à
l'arcade sourcilière, jusqu'au sang... pour une note de mathématiques […] j'avais
qu'une amie à qui je parlai, […] elle savait exactement ce qui se passait. Mais par
contre je la suppliais de jamais le dire. Jusqu'au jour où... si vous voulez je m'étais mis
un bandage pour cacher ici [elle montre son avant bas], à l'arcade sourcilière j'avais
fait croire que c'était ma chienne, parce que j'avais un petit chien à l'époque, que
c'était elle qui m'avait mordu, et.. comme j'avais... on faisait du basket, et j'arrivais pas
à dribbler, ma main, mon bras me faisaient trop mal... Et c'est elle qui a parlé, que je lui
ai fait la tête pendant au moins quinze jours si je me souviens bien. Parce que c'est elle
qui a parlé. On s'était disputé elle avait promis de jamais dire quoi que ce soit. Alors
après j'ai compris oui que c'était pour m'aider mais bon...J'avais pas besoin de ça […]
depuis l'enfance ça a toujours été comme ça, je vous dis j'ai reçu des coups, j'ai eu droit
à tout, ça ma forgé un caractère ou... je suis seule, je reste seule et faut que je me
batte. C'est tout [ …] J'ai une politique c'est heu, quoiqu'on fasse dans la vie on fait nos
choix. Mais par contre il faut savoir se battre... Et j'ai toujours été une battante»
Mme B
On pouvait bien lire ici comment une certaine résistance à la souffrance psychologique (liée à la
maltraitance familiale) ainsi qu'une résistance à la douleur physique (comme lors du match de
basket-ball) était perçues par cette patiente comme des éléments de caractère et d'idiosyncrasie
aussi utiles que valeureux pour conduire sa vie face aux difficultés du quotidien. Ces attitudes
étaient ainsi adoptés par la patiente dès son plus jeune âge.
Dans les passages suivants reproduisant les déclarations de M. A tenus avec une fierté ostentatoire
on pouvait bien voir comment M. A vantait sa résistance physique et psychologique. Lors des
41
épisodes décrits (l'un relatif à un passage aux urgences pour une suture de plaie de la main, un
autre relatif sa rééducation après son AVC, et le dernier relatif à la survenue d'une tendinite du
poignet lors de son travail) il plaçait manifestement son honneur dans le fait d'avoir agi ''en dur''
et de se présenter comme quelqu'un de résistant à la douleur :
«En dehors de votre AVC et de votre pancréatite et de l'accident dont vous m'avez
parlé, ça a du vous arriver d'être un peu malade d'être grippé ?
-Mouais.... oh... Une grippe tout ça, moi heu pfoou...[il fait une mou qui exprime l'ironie
et la négligence]
-Vous vous soigniez ?
-Comme ça heu moi... j'ai pas besoin d'être soigné
- D'accord. Vous n'alliez pas voir le médecin ?
- Même pas un cachet rien du tout hein. Jamais pris un cachet de ma vie !... Si tiens
maintenant ! [il veut dire depuis son AVC]. Mais avant non... [il reprend de plus belle en
parlant soudain plus fort] Un mal de tête moi je prenais pas un cachet hein ! Moi j'ai pu
avoir mal aux dents, mal à la tête, mal... Jamais un cachet ! Moi ? Jamais un cachet ! Il
a fallu que je tombe malade pour vraiment prendre des cachets autrement...
- Oui, après l'AVC ?
-Ouais. Je suis pas, je suis pas médicaments. Je trouve que... [à voix mal audible] pis
maintenant il m'en faut tout un tas...
-Vous trouvez quoi ?
-Ben j'en ai déjà pour la tension. J'en ai pour le cholestérol, j'ai pour faire fonctionner
les reins ; pis là en plus j'ai des antibiotiques pour ma jambe...
-Mais vous avez dit, je suis pas médicament, vous avez dit je trouve que... vous trouvez
que quoi ? Qu'on s'en sort mieux sans ?
-Ben voilà. Moi tout ce qu'est aspirine tout ça je sais pas ce que c'est. Jamais pris sa de
ma vie. [il reprend à voix plus haute] Là j'ai une amie,des fois elle me dit « oh j'ai mal à
la tête, je prends un efferalgan », je lui dis « ouais, pfou oh, si tu veux ça sert à rien !
-Vous êtes plutôt résistant à la douleur alors ?
-Ouais oh pfou ! [Après un silence il poursuit sur un ton animé et très empreint de
fierté] Tiens quand je m'étais ouvert la main à l'usine, tiens avec un cerclage là, en
ferraille. Eh ben il me l'a recousu comme ça. Tiens j'ai posé la main comme ça là [il pose
sa main sur la table] j'lui ai dis « tiens ben allez recousez ! », à l'hôpital ! Il me dit
« jamais vu ça, recoudre quelqu'un comme ça sans... sans anesthésie ». Il me dit :
« d'habitude, quand on plante l'aiguille, y à au moins un petit sursaut » il me dit : « rien
du tout là ». Et je me suis même pas arrêté de travailler hein ! Je travaillais dans les
produits chimiques, donc heu j'mettais un gant ! J'ai jamais été enlevé les fils ! C'est
moi qui les ai enlevé ! Avec un scalpel et pis une pince velcro ! Alors tu vois ! [il éclate de
rire][...] Oh ben moi je suis comme ça ! [avec fierté, puis il rit] »
M. A
et :
« -Après mon accident [son AVC], quand j'étais à l'hôpital heu que j'me suis retrouvé
dans l'fauteuil roulant, la première chose que j'ai faite c'était de monter tout seul
depuis le lit dans le fauteuil. Je me suis pété deux trois fois la gueule du lit ! Ils m'ont dit
« attention, faut faire attention, attendre qu'on soit là », j'ai dit « Non, j'ai pas le temps
42
moi ! » [il rit] … Et pis quand j'étais sur l'fauteuil roulant, j'bloquais le fauteuil roulant
pis j'me chopais après le lit pis j'me levais ! ...Ben j'me suis cassé la gueule combien de
fois !»
M. A
et :
« Est ce que à cause de votre travail vous avez commencé à ressentir des douleurs ou
bien à avoir des problèmes de santé, des articulations par exemple, du dos etc ?
-Non... y à qu'un coup je m'étais fait une tendinite
-Elle a duré
-Ben oh, quelques semaines...
-Vous vous êtes arrêté de travailler
-Non. Ben disons moi je me suis jamais trop arrêté. Non.. je suis pas un gars...qui va
s’arrêter comme ça de travailler [...]
-Et là vous avez fait comment ? Quand vous avez senti la tendinite vous avez tenté de
vous soigner vous même un petit peu en attendant de voir le docteur ?
-Ben non de toute façon je pouvais plus bouger le poignet hein, c'était ce poignet là je
pouvais plus le bouger.
-Oui mais... les tendinites souvent ça ne vient pas brutalement...
-non non c'est venu doucement, ça faisait deux semaines quelque chose comme ça pis
un moment j'ai eu trop mal je pouvais plus bouger le poignet pis alors j'ai été à
l'infirmerie, y avait une infirmerie là bas pis il m'a dit [un collègue de travail] « si ça se
trouve c'est une tendinite » pis heu il m'a filé un pansement tout ce qui fallait
-au boulot ?
-oui
-Et ça c'est passé ?
-Oui... au bout d'une semaine ça allait mieux... mais au début j'ai eu mal...
-Mais vous vous êtes pas arrêté ?
-Non, j'ai fait autre chose,
-Vous n'avez pas consulté le médecin ?
-Non, j'ai fait autre chose ! A un autre poste... J'ai fait, c'était sur une machine, avec
c'te main là je poussait [il désigne celle qui était saine], c'était pour les becs de
chalumeaux, vous savez c'est... enfin ça rectifiait le dessus des becs...
-Et du coup vous avez travaillé avec la main droite seulement ?
-Voilà... je me suis pas arrêté [avec fierté] »
M. A
Dans cet autre exemple on pouvait comment Mme E tentait de réprimer ses affects négatifs tant
physiques (liés à sa propre faim) que psychologiques (liés à la souffrance de ses enfants) («on
essayait de pas y penser la journée ») :
« je leur achetais des pommes de terres, seulement voilà, pour faire des pommes de
terre, faut de l'huile, faut du gras ou du beurre, pis j'en avais pas, alors on essayait de
pas y penser la journée, mais les p'tits pleuraient, ils me disaient : «maman, j'ai faim »
[...] voir les petits comme ça c'était dur hein, on crevait de faim»
Mme E
43
Dans les déclarations suivantes de Mme C, nous pouvions bien lire la répression des affects
psychologiques et des émotions à laquelle la patiente s'adonnait. On voyait aussi la faible aisance
et la faible propension déclarée par la patiente à gérer de telles souffrances par l'intermédiaire
d'une stratégie passant davantage par verbalisation et l'introspection, ou encore par la thérapie
psychologique. Au contraire la patiente déclarait tenter d'éloigner ses doutes, ses regrets ou en
général ses émotions négatives en les réprimant à la manière dont elle réprimait aussi, sur un plan
corporel, ses symptômes de douleur physique :
« -Et sinon vous avez dit que vous faisiez un peu de déprime, vous parliez d'angoisse.
Pour ces problèmes là qui est ce qui vous suit? Votre généraliste ou bien est ce que vous
avez consulté un spécialiste, un psy?
-Non c'est mon généraliste. J'avais pas trop envie de voir quelqu'un d'autre [rire]. Je
sais qu'il y à des spécialistes, mais bon...non [rire gêné].
-Et pourquoi?
-Ben je m'écoute pas trop... puis j'ai pas eu l'habitude dans ma vie»
Mme C
Si les précédentes déclarations insistaient davantage sur les rudes conditions de vie (matérielles,
financières, professionnelles et quelquefois familiales) connues par les patients et leur interaction
avec l'habitus répressif et minimaliste en santé, les deux suivantes insistaient davantage sur la
souffrance psycho-sociale que de nombreux patients avaient pu connaître suite à l'expérience de
relations sociales inter-personnelles empruntes de discrimination et de violence symbolique10 à
leur encontre du seul fait de leur condition sociale pauvre.
Les deux exemples issus des déclarations de Mme G et Mme E cités ici, laissaient bien apparaître
comment les patientes avaient tenté de réprimer la souffrance connue en ce type d'occasion :
« […] Mais là on était regardé ! Que ce soit en ville, que ce soit à la pharmacie... que ce
soit n'importe où on était regardé comme des pestiférés. […] Vous allez chez le dentiste
heu vous êtes CMU, bon vous êtes regardé de travers heu « ah ben on comprends pas
comment ça marche le système de la CMU, on va être payé dans combien de temps, »
et pis devant tout le monde hein ! Ah ben là c'est terrible hein. […] J'vous dis on était
regardé au démarrage de la CMU, ben c'était, p'tête juste après le passage de la Loi
[...] Aujourd'hui même si y à du monde dans la pharmacie, ça ne va même pas me
gêner de le dire ça : « je suis CMU, ma carte vitale ne passe pas et j'ai mon attestation
sur moi » par exemple... et ça me gêne même pas
-Et comment vous l'expliquez ça que, auparavant ça vous gênait et plus maintenant ?
-Je pense que heu... déjà j'ai changé, j'ai mûri, j'ai mûri et puis heu […] depuis mon
divorce j'ai pris des sacrés claques dans la gueule donc heu oui j'ai mûri, dans ma tête.
J'ai appris déjà à vivre seule, j'ai appris à me battre, à me relever, parce que j'étais
tombée très bas, et donc tout ça ça m'a fait mûrir
-et par rapport au regard des gens c'est...
-Ben j'ai mûri c'est à dire qu'aujourd'hui, voilà aujourd'hui c'est mon regard sur les gens
qui a évolué parce que moi à l'époque la personne qui me regardait de travers je
baissais les yeux et aujourd'hui je la regarde en face [...] Et ça c'est toute mon
expérience moi c'est ce que je dis, ça c'est toute mon expérience de vécu que j'ai eu, les
10 Cf appendice méthodologique, notamment : La théorie de l'Habitus de Bourdieu.
44
malheurs les problèmes d'argents, les enfants, tout ça, tout ça font aujourd'hui de moi,
pour moi hein ! Que je me sens plus forte »
Mme G
Plusieurs déclarations de Mme E faisaient état de la violence psycho-sociale qui l'avait affectée,
dont celles-ci :
« Par rapport au fait d'être plutôt pauvre, vous en avez pris conscience comment ? Et
quand ? C'était enfant je pense ?
-J'ai pris conscience enfant, quand heu... une petite gamine, dont les parents était un
peu fortunée, m'a dis : « toi t'es une sens-la-pisse »... J'ai pris conscience là, que j'étais
pas, voilà, que j'étais pas tout à fait comme les autres... Et on m'le faisait bien sentir
hein. Parce que nous, on, on nous mettait en colonie de vacances mais on payait pas,
parce qu'on était des cas-sociaux, mais ça on nous le faisait bien sentir hein ! J'en ai eu
conscience très très tôt hein !
-Comment... vous avez un souvenir particulier ? Comment on vous le faisais sentir ?
-Ben heu j'étais pas traitée comme les autres enfants hein, les enfants qui payaient.
Avec eux ah ! On prenez des gants, avec moi on n'en prenait pas hein, j'payais pas
hein... C'qui me reste c'est les grandes tables tous les vendredi après-midi, de bonbons,
parce que les enfants avaient le droit de venir acheter, mais moi j'avais pas d'argent,
alors moi j'me rappelle j'allai derrière un arbre et puis j'attendais qu'ça se passe quoi
[…] J'vous dis on nous l'faisait bien remarquer qu'on était des enfants d'pauvres.
-Les autres gamines avec vous ou aussi les monitrices ?
-Tout l'monde, tout l'monde. Si y avait quelque chose dans l'dortoir c'était toujours moi
[la coupable désignée]. C'était toujours moi qui allait dans, y avait un p'tit, un espèce
de p'tit cachot au dessus, et pis on m'enfermait la journée parce que quoiqu'il s'passait
c'était toujours moi ! Si y avait eu une bêtise même si j'y étais pour rien, c'étais toujours
moi pour les sœurs, parce qu'on osait pas toucher aux autres. Les autres payaient alors
on osait pas y toucher. C'était chez les sœurs hein ! Et c'était des sœurs hein pourtant.
Des sœurs à cornettes ! Les autres enfants y payaient, c'est tout nous on payait pas, on
était des chiffonniers et c'est tout ! »
Enfin, dans la suite des propos de Mme E, on pouvait lire aussi comment cette souffrance psychosociale (en cumul d'autres souffrances liées à ses autres difficultés de vie matérielles, familiales
etc) l'avait affectée psychologiquement, et comment, en conséquence, elle avait adopté une
stratégie de répression de celle-ci. Cette stratégie répressive n'avait pas empêché cependant
qu'elle cultive un syndrome dépressif chronique, émaillé comme nous l'avions vu (en partie I) de
multiples tentatives de suicides qui marquait ainsi l'échec de la répression affective:
« Ben j'ai fait […] j'ai toujours eu le même mode opératoire de suicide ! Et ma sœur
c'est pareil elle a un mode opératoire c'est comme ça, elle a la lame de rasoir et elle se
taillade ! […] Je n'ai jamais été heureuse, vous savez quand heu vous venez au monde
et puis que vot' vie c'est ben... qu'une suite d'emmerdements ... on a pas la même
vision des choses hein ! Moi j'ai... ja'i eu tellement de coups durs dans ma vie,
tellement de coups durs que bon ben non ! [...] Je garde en moi, je garde au fond de
moi, j'essaie de pas y penser, et pis à un moment ça déborde ... »
Mme E
45
Notons au vu de toutes ces déclarations cinq éléments déjà présents, que la suite de notre
analyse étayera :
– D'une part c'était le quotidien difficile des patients (difficultés de tous ordres) qui les
poussait visiblement à se prémunir contre les sentiments et sensations désagréables en se
forgeant une ''carapace'' psychologique et physique.
– D'autre part une fois cette idiosyncrasie endurante forgée, les habitudes psycho-culturelles
semblaient avoir une influence propre sur les conduites de santé des patients dans le sens
d'un recours minimaliste aux soins. Il y avait une sorte de ''relais'' entre conditions de vie
et culture/préférences fonctionnant apparemment comme un ''cercle vicieux''.
– Troisièmement, de manière encore plus radicale, on pouvait se demander jusqu'à quel
point la répression n'affectait pas directement les capacités des patients d'abord à
''écouter'' leur maux, puis à les ressentir (à les ''entendre'') même (« je ne suis pas malade
[…] je n'ai pas besoin de me soigner ») - soit si les habitudes ne finissaient pas même par
dégrader la capacité des patients à identifier leurs symptômes comme pathologiques
quand ils l'étaient. Ce manque d'identification semblait d'ailleurs aggravé par leur manque
de capital culturel (connaissances et compétences spécifiques) en santé11.
– Quatrièmement, on observait que si les contraintes de vie des patients avaient
apparemment déterminé leurs habitudes et leur idiosyncrasie, les patients ''en jouaient'',
c'est à dire qu'ils utilisaient aussi les ''avantages'' que cette force de caractère/résistance
leur apportait pour assumer leur quotidien. Ceci renvoyait, au-delà des déterminants
sociaux, aux stratégies propres des patients, soit à une forme de ''liberté d'action'' (fut-elle
faible/très faible) pour gérer leur quotidien et leur santé au sein de fortes contraintes de
vie.
– Enfin, agir de la sorte conduisait souvent les patients à un ''échec'', avec la déclaration
d'une entité morbide (physique et/ou psychologique) et souvent de complications («à un
moment ça déborde ... » ).
11 Point que nous détaillons plus loin.
46
B) Représentation instrumentale et usage intensif du corps :
1) Le corps comme outil de travail:
Les rudes conditions socio-économiques de vie des patients, ainsi que leur culture personnelle et
familiale (dont le système de valeurs morales forgé par les patients, et dans lesquels le travail
comme moyen privilégié de l'autonomie prenait une part importante 12), induisaient pour de
nombreux patients précaires interrogés une certaine représentation spontanée13et un certain
usage du corps qui était essentiellement assimilé à outil de travail.
Si le corps était investit prioritairement comme outil de travail, nous entendions ce terme de travail
au sens large. En effet, à coté de leur emploi ou de la recherche active d'un emploi, plusieurs
patients avaient des activités de travail plus informelles ou domestiques voire de « débrouille''
(non déclaré, trafic14,bricolage, maraîchage, braconnage, bûcheronnage 15 etc) , mais qui avaient
toutes en commun d'être la plupart du temps d'une importance vitale aux patients (en terme de
revenus matériels ou financiers produits).
De plus, ces activités étaient souvent des activités peu qualifiées, répétitives, et demandant un
effort plus souvent physique que mental : elles demandaient ainsi prioritairement un engagement
du corps. Tous ces points étaient aisément lisibles dans les exemples de déclarations de plusieurs
patients que nous citons au paragraphe suivant.
2) Un outil mis à profit de manière intensive, souvent jusqu'au point de rupture:
De nombreux patients interrogés, en plus de s'adonner à des activités les conduisant à solliciter
fortement leur corps, travaillaient aussi de manière très soutenue voire quasi-ininterrompue.
Souvent ils ne respectaient même pas un repos hebdomadaire, ni même aucun arrêt de travail
thérapeutique pourtant prescrit par un médecin 16. Les conséquences morbides d'un usage aussi
intensif de leur corps par les patients ne se faisaient généralement pas attendre longtemps.
Pendant trois ans, Mme C a cumulé les emplois à mi-temps d'ouvrière agricole et
d'auxiliaire de vie à domicile. Par ailleurs dès qu'elle avait du temps ''libre'' elle
s'occupait de sa mère atteinte de la maladie d'Alzheimer (qu'elle gardait à son domicile
parce qu'elle n'avait pas les moyens de payer une maison de retraite), et s'adonnait
également à diverses autres activités (potager, entretien du jardin et de la maison,
bûcheronnage, ou encore vendanges annuelles, posant alors ses congés pour s'y
rendre)
12 Nous développons également ce point plus bas : cf La transmission inter-générationnelle des habitudes de vie
13 Nous nous référons ici à la représentation spontanée de leur corps à laquelle les patients se référaient de manière
pragmatique et prioritaire dans leur vie. Notre objectif n'était donc pas d'exposer les connaissances théoriques des
patients au sujet de leur corps, ressortant du domaine cognitif pur, mais leur perception et leur vécu au sujet de leur
corps dans leur vie quotidienne, de la manière dont ils nous l'ont laissé approcher par leur déclarations.
14 Seulement un patient nous a déclaré s'être adonné à un trafic (deal de drogue en l'occurrence) : M. D cf partie I
15 Ces dernières activités étaient logiquement le fait quasi-exclusif d'habitant des milieux ruraux et semi-ruraux
16 Nous détaillerons plus bas le rapport entretenu par les patients précaires aux mesures d'arrêt de travail cf partie
suivante
47
Elle finît par déclarer une lombarthrose et une gonarthrose bilatérale invalidante
relevant d'un traitement chirurgical de manière relativement précoce (a seulement 45
ans). Ces pathologies l'handicapaient quotidiennement dans son emploi d'auxiliaire de
vie, sans toutefois que Mme C n'ait arrêté de travailler à aucun moment.
Elle se contenta de mettre en suspens certaines de ses activités productives
personnelles (elle ne tailla pas on bois elle-même cette année au contraire des années
précédentes). De plus elle se résolut à diminuer ainsi son activité personnelle
uniquement lorsque ses douleurs et son handicap furent intenses, étant alors même
dans un état proche l'épuisement aussi bien physique et psychologique : « Depuis 2009
j'étais à mi temps à la ferme, et je faisais mon autre mi temps d'aide ménagère en
même temps […], je m'occupai d'une dame sur C, à 5 km d'ici, et j'allais aussi faire les
vendanges les jours où je le pouvais [durant ses congès]. Quand je rentrais à la maison
je faisait diner maman, je la couchais... et puis ensuite fallait faire dehors. Dehors, je
m'occupe de mon chien, de mon oie, je tonds la pelouse , je fais le jardin [potager] [...]
J'ai acheté du bois aux A. [une forêt proche], que j'ai fait jusqu'ici, mais que j'ai du faire
faire cette année, parce que je n'y arrivait plus cette fois»
Dans d'autres déclarations Mme C relatait son attitude antérieure au regard de
l'ensemble de ses activités de travail en général, en tout point similaire à celle sus
décrite: « Je travaillais beaucoup, je ne me reposais pas, par exemple si je me tordai un
doigt, je ne m'arrêtai pas [...] J'ai eu le dos, les vertèbres démontées, j'ai contiunué à
travailler... j'ai eu une épaule d'opérée, je me suis arrêté 3 mois alors qu'on devait
m'arrêter pendant 6 mois... mais bon j'avais besoin de travailler, j'avais besoin
d'argent, j'avais besoin d'acheter ma voiture, j'avais besoin d'évoluer un peu, donc je
pouvais pas m'arrêter.»
Mme C
Cet autre issue des déclarations de Mme G au sujet de son père était également fortement
illustratif à tous ces égards:
«Au boulot, il a eu un bloc de pierre qui lui est tombé dans le dos [il était ouvrier dans
une carrière de pierre] […] Là c'était sur la fin donc il a été opéré, il a été opéré du dos
avec une plaque heu une plaque en ferraille dans le dos là je sais pas comment qu'on
appelle ça […] Ah ben ça a tout cassé les trucs enfin c'est les les disques. Les disques y
z'ont tous sauté, enfin ça a été... ça a été terrible […] La nuit des fois il hurlait au début,
je l'entendais hurler.Ben là il a carrément été passé en invalidité là […] C'était en 88, en
88 parce que je me souviens, j'étais enceinte de Charlène, et ben mon père faisait du
jardin, il avait un jardin ! Donc c'est mon père et moi qui avons été arracher les patates,
et heu il avait mis ça dans une caisse de vigne, vous savez les caisses métalliques là, et
on l'a soulevé tous les deux, moi enceinte jusqu'aux yeux, et lui avec sa barre dans le
dos : il en a réussi à plier sa barre ! Il a été obligé de se faire réopérer. En urgence.
-Oh là là !.C'était après son accident de travail ?
-Ouais
-et il bossait encore dans les champs ?
-Ouais
48
*-alors qu'il était en invalidité ?
-ouais... Il a plié la barre, ça je m'en souviendrais toujours, j'me souviens bien de ce
détail »
Mme G
Ainsi les déclarations des patients précaires faisaient très souvent apparaître un rapport
instrumental (ou utilitariste) à leur corps/santé ; avec un corps/une santé considérés comme des
outils de travail au service de l'amélioration du quotidien et de l'endiguement de la précarité.
En effet, nombreux étaient les patients rencontrés qui avaient soumis et continuaient de
soumettre leur corps à un usage intensif dans des activités productives ayant pour but
d'endiguer la précarité tout en répondant à leur système de valeurs (valeur-travail exposée plus
loin).
A cette occasion, et parce qu'ils réprimaient la douleur et leurs affects négatifs, ils exposaient
souvent leur corps jusqu'au point de rupture et de déclaration d'une entité clinique morbide.
49
C) Le rapport des patients aux arrêts de travail :
1) Refus et non-respect des arrêts de travail thérapeutiques :
La plupart des patients interrogés, pour des raisons à la fois socio-économiques (difficultés de vie),
mais aussi psycho-culturelles (répression des affects, valorisation du courage au travail), ne
respectaient pas les conseils ou les prescriptions médicales d'arrêt de travail thérapeutique.
-Mme C déclarait avoir respecté un arrêt de travail de trois mois seulement
après chaque opération de chacune de ses deux épaules, alors que selon elle les
chirurgiens avaient initialement préconisé six mois d'arrêt selon elle. Elle déclarait
aussi ne pas s'être arrêté après avoir été touchée par des lumbagos à plusieurs
reprises, ni non plus après une entorse de doigts (alors qu'elle était ouvrière agricole) .
-M. A déclarait avec fierté ne pas s'être arrêté lors de la survenue d'une
tendinite du poignet droit, ni après avoir été suturé au pouce droit ( ce alors qu'il avait
un emploi d'ouvrier dans l'industrie métallurgique qui sollicitait ses membres
supérieurs de manière répétitive, et qui l'amenait aussi à manipuler des produits
chimiques dont le contact avec sa plaie n'était pas recommandé).
-Le père de Mme G, pourtant en invalidité à cause d'un handicap lié une
arthrodèse lombaires à l'origine de douleurs et d'incapacité fonctionnelle partielle
chronique, ne respectait pas les limitations d'activités prescrites. Il s'adonnait en effet
couramment à des activités productives privées mettant son rachis lombaire à très
rude épreuve, et ce jusqu'à ce qu'un nouveau traumatisme lié à ces activités contraigne
le patient à subir une reprise de son arthrodèse initiale.
Les exemples similaires abondaient dans les déclarations des patients.
2) Évitement de consultations par appréhension de l'arrêt de travail :
Au delà de ce non respect/refus des mesures de repos thérapeutique prescrites ou conseillées, on
pouvait également observer chez les patients une tendance à éviter de consulter par peur de se
voir prescrire un arrêt de travail :
«-Et vous avez eu des accidents de travail?
-Oui j'en ai eu un, mais je ne l'ai pas fait passer en accident de travail. J'ai été brulé par
de l'eau chaude sur une jambe, c'était quand j'étais encore à la ferme : un tuyau d'eau
chaude s'est démonté et j'ai pris l'eau bouillante dans la jambe, j'avais des cloques,
c'était douloureux!... Mon employeur était pas là. Je l'ai prévenu plus tard. Je suis
rentrée chez moi, j'ai essayé de nettoyer avec de l'eau, de désinfecter, mais après je ne
tenais plus, j'avais trop mal. [...] J'ai continué d'aller travailler, pendant quinze jours, je
faisais des pansements moi même, avec des bandes, je pensais que ça allait passer
quoi... Mais au bout de quinze jours, ça faisait trop mal, les bottes frottaient dessus au
travail, et ça s'est infecté. Là j'ai été chez le docteur, j'été bien obligée, et il m'avait
50
arreté un peu, ça s'était infecté et ça coulait [plaie purrulente]»
Mme C
et plus loin au sujet de cet épisode:
«-Alors comment vous l'expliquez? Le fait que pour autant, vous n'avez pas changé vos
habitudes?
-Pas du tout, j'y vais toujours très tard
-Même après votre brulûre! même après votre épaule!
-Non je n'ai pas changé du tout, non. Il n'y à vraiment que quand je peux plus du tout
tenir, que j'y vais. Mais autrement...
-Parce que...?
-Non je veux pas changer c'est comme ça quoi... C'est dur [elle rit]. Et puis il y à toujours
quelque chôse à faire, je peux pas m'arrêter, j'ai peur de pas pouvoir tout faire, et j'ai
peur aussi si j'y vais qu'il m'arrête trop longtemps... On a peur aussi pour le travail,
parce que c'est pas évident non plus, quand on est arrêté et qu'un employeur vous dit
“ben c'est trop long, il faut qu'on te remplace...” c'est , c'est un peu dur [avec dépit
cette fois, puis un silence]... mais bon c'est comme ça...»
Ou plus tard durant l'entretien :
«-Et sinon vous avez des peurs quand vous consultez un spécialiste que vous n'avez pas
avec votre généraliste par exemple?
-Ben j'ai toujours peur qu'il me découvre une maladie, ou autre chose... Ou qu'il me
dise qu'il faut opérer. C'est surtout qu'on me dise qu'il faut aller à l'hopital et que je
doive y rester ensuite qui me fait peur. Parce que maman serait toute seule pendant ce
temps là [c'est elle qui s'occupe de sa mère atteinte d'une maladie d'Azlheimer évoluée
cf partie II]... Enfin c'est pas facile quoi [...] à part ça,à part la peur qu'ils me trouvent
quelque chose et qu'ils m'arrêtent [qu'on lui prescrive un arrêt de travail], sinon j'ai été
en clinique ça s'est très bien passé. »
et encore :
«-Il voulait vous opérer?
-Il peut pas m'opérer parce que je suis trop jeune. Donc là on va voir pour une nouvelle
genouillère avec mon médecin et puis... peut-être prendre un avis vers un autre
chirurgien. Le problème c'est qu'il faut être arrêté 3-4 mois ensuite, sans bouger... donc
on verra...»
Ces exemples fournis par Mme C étaient éloquents.
Ainsi même lorsque les patients recevaient une prescription médicale de repos, ils la refusaient
ou bien ne la respectaient pas dans un grand nombre de cas. Ceci était lié à la fois aux
nécessités matérielles et financières (précarité), soit à cause de facteurs psycho-culturels
(répression des affects, valorisation du courage au travail), ou encore à cause des deux à la fois.
On pouvait également observer chez certains patients une tendance à éviter de consulter par
peur de se voir prescrire un arrêt de travail.
51
D) Le rapport aux médicaments :
1) Une apparente aversion pour les traitements médicamenteux: « je ne suis pas
médicaments » :
De nombreux patients déclaraient prendre des médicaments prescrits par leur médecin, ou
s'automédiquer avec des médicaments allopathiques 17. Pourtant quelquefois dans le même temps
ils pouvaient déclarer ne pas aimer prendre de médicaments :
«-Pour vous ça vous semblait pas bon de prendre des médicaments au départ?
-[soupir] ben normalement on ne devrait pas en prendre oui...»
Mme C
Et plus loin au sujet d'un « rebouteux » auquel Mme C a parfois recours (et dont nous apprenons
en fait qu'il s'agit d'un ostéopathe):
« -Ca fait de l'effet, et rapidement en plus, et sans prendre de médicaments.
-C'est un osthéopathe?
-Voilà! C'est ça. C'est dommage! Parce que ce sont des soins qui devraient être
recconnus. Au lieu de s'enfiler des comprimés!
-Parce que c'est pas bon de prendre trop de comprimés?
-Ben non, non, moi j'ai l'estomac qui est fragile. J'ai des effets secondaires, des
allergies...»
Mme C
2) les raisons avancées du désamour :
On pouvait mettre en évidence plusieurs raisons à ce faible amour déclaré concernant la prise de
médicaments :
et :
–
pour certains patients (comme dans l'exemple sus-cité concernant Me R), c'était les effets
secondaires potentiels ou déjà expérimentés des médicaments qui étaient mis en avant,
voire une certaine méfiance vis à vis des laboratoires pharmaceutiques « qui vendent de
tout, même des médicaments comme le Médiator ».
–
Pour d'autres patients, c'était l'inefficacité des traitements, supposée ou déjà réellement
expérimentée, qui étaient mise en avant : « Non je prenais pas de cachets, ou bien sauf si
des fois mes parents en avaient […] Mais bon des fois les cachets me faisaient rien
aussi.»(M. F)
«- Même pas un cachet rien du tout hein. Jamais pris un cachet de ma vie !... Si tiens
maintenant ! [il veut dire depuis son AVC]. Mais avant non... [il reprend de plus belle en
parlant soudain plus fort] Un mal de tête moi je prenais pas un cachet hein ! Moi j'ai pu
17 Allopathiques ou pharmacologiques
52
avoir mal aux dents, mal à la tête, mal... Jamais un cachet ! Moi ? Jamais un cachet ! Il a
fallu que je tombe malade pour vraiment prendre des cachets autrement...
- Oui, après l'AVC ?
-Ouais. Je suis pas, je suis pas médicaments. Je trouve que... [à voix mal audible] pis
maintenant il m'en faut tout un tas...
-Vous trouvez quoi ?
-Ben j'en ai déjà pour la tension. J'en ai pour le cholestérol, j'ai pour faire fonctionner
les reins ; pis là en plus j'ai des antibiotiques pour ma jambe...
-Mais vous avez dit, je suis pas médicament, vous avez dit je trouve que... vous trouvez
quoi ? Qu'on s'en sort mieux sans ?
-Ben voilà. Moi tout ce qu'est aspirine tout ça je sais pas ce que c'est. Jamais pris sa de
ma vie. [il reprend à voix plus haute] Là j'ai une amie,des fois elle me dit « oh j'ai mal à
la tête, je prends un efferalgan », je lui dis « ouais, pfou oh, si tu veux... ça sert à
rien ! »
M. A
3) Un désamour rhétorique plus qu'un désamour réel :
Cependant, derrière cette mise en avant de l'inefficacité des médicaments, parfois largement
supposée ou postulée plus que réellement expérimentée, il fallait rechercher d'autres mobiles.
Ainsi ce qui frappait chez certains patients, à l'instar de M. A, c'était qu' il n'y avait pas, dans
certains de leurs propos, de distinction faite entre « les médicaments », qui étaient ainsi tous
regroupés dans une même catégorie : par exemple, « les médicaments […] pour la douleur» étaient
tous regroupés par Mr B dans une même catégorie (comme si il n'existait pas différents
médicaments pour les douleurs ou la maladie en cause, plus ou moins fort, et donc
potentiellement plus ou moins efficaces).
Le plus évident était d'expliquer ce regroupement spontané des médicaments dans une même
catégorie par une ignorance des patients en cause.
Cependant cette explication par l'ignorance semblait en porte à faux, en particulier lorsque nous
interrogions plus en avant certains patients, comme ici M. A, sur son regroupement spontané des
médicaments ''dans un même sac'' et tous présentés comme inutiles. Ce faisant, on pouvait alors
s'apercevoir que Mr B n'était pas, en réalité, si naïf que cela :
« -Mais vous savez que l'aspirine c'est pas le meilleur traitement pour les douleurs,
surtout pour les douleurs de dents, car des fois ça fait très mal
-ouais pff
-Non mais ce que je veux dire, on vous a déjà parlé de traitements plus forts pour
traiter les rages de dents j'imagine ?
-Oui ouais oh je vous dis moi ça passe c'est comme ça...
-Mais on vous en a déjà parlé du fait qu'il existe des traitements plus forts ?
-oui oui, je sais.. c'est pas le problème ça, non mais pour moi c'est pas la peine, ça
vient ça part, j'en a vu d'autres [il rit] »
M. A
53
Aussi, plutôt que de l'ignorance, ce que le patient semblait exprimer de manière ostentatoire en
avançant une certaine inefficacité « des cachets » était bien plus un désintérêt pour ces questions.
Pourtant, en approfondissant encore l'interrogatoire de M. A on pouvait s'apercevoir qu'il n'avait
en réalité jamais tenté la prise de certains traitements, notamment de la classe des antalgiques,
dont pourtant il affirmait l'inefficacité en général. Les déclarations du patient sur l'inefficacité des
« cachets » semblaient donc bien plus des déclarations rhétoriques ou de principe, visant
davantage à affirmer de manière ostentatoire et forte son style de vie « à la dure » qui impliquait
des pratiques de santé minimalistes 18.Aussi, si nous prenions l'ensemble de sa déclaration ce fait
était même quasiment évident :
« -Vous vous soigniez ?
-Comme ça heu moi... j'ai pas besoin d'être soigné
- D'accord. Vous n'alliez pas voir le médecin ?
– Même pas un cachet rien du tout hein. Jamais pris un cachet de ma vie ! [...] »
M. A
On pouvait bien noter ici le caractère rhétorique des propos de Mr B ( « je n'ai pas besoin d'être
soigné », « jamais pris un cachet de ma vie »), alors qu'il savait bien que cela n'était pas exact, et
qu'il se voyait obligé de nuancer juste après ses propos (en réalité il prenait bien des cachets
depuis plusieurs années, et même quotidiennement pour diverses maladies qu'il énumérait
ensuite). Tout ceci pouvait se comprendre si on comprenait que sur un plan psycho-culturel,
prendre des cachets était pour ce patient perçu comme faire preuve en quelque sorte de
« faiblesse ». Ceci contredisait visiblement en partie ces représentations et valeurs propres chose
que le patient avait visiblement du mal à assumer dans ces déclarations.
4) Des conditions favorisant la prise de médicaments:
Au delà des déclarations initiales, la prise de médicaments par les patients (observance de
prescriptions et/ou automédication) était en réalité importante. Plusieurs éléments semblaient
influer sur la prise de médicaments des patients :
–
la confiance envers leur médecin les incitait à prendre les traitements prescrits par lui 19.
–
la facilité à se procurer les médicaments et le fait qu'ils ne les empêchent pas de poursuivre
leurs occupations habituelles semblaient aussi importants pour plusieurs d'entre eux.
Par exemple, M. F après avoir affirmé lui aussi de manière assez rhétorique le fait qu'il ne
«prenai[t] pas de médicaments» nuançait aussitôt ses propos en précisant que si des médicaments
étaient facilement disponibles (si ses parents en disposaient à leur domicile par exemple) il pouvait
facilement tenter de s'automédiquer tout de même., par exemple pour des céphalées ou des
18 Nous développons tout au long de cette partie II et dans la suivante cet Habitus de santé minimaliste adopté par
nombre de patients interrogé, ainsi que l'attachement et la fierté des patients à son sujet.
19 Nous ne détaillons pas ici ce point car il fait l'objet d'une partie à part entière plus loin.
54
douleurs dentaires :
« Non je prenais pas de cachets, ou bien sauf si des fois mes parents en avaient...Parce
que sinon allez chez le médecin tout le tintouin, c'est pas la peine... Surtout que j'étais
tout le temps parti sur les routes [avec son travail d'ouvrier dans le BTP]»
M.F
Plusieurs patients rapportaient une manière de faire qui se rapprochait de celle de M.F , marquée
par une automédication ''à moindre coût'' en terme de temps ou d'argent.
Ainsi les patients émettaient fréquemment des déclarations de désamour au sujet des
médicaments, ou plus simplement de méfiance face à leurs effets indésirables (appréhendés ou
déjà expérimentés), à leur inefficacité (présupposée ou déjà expérimentée), ou face aux
laboratoires pharmaceutiques.
Il fallait cependant se méfier des déclarations en ce sens des patients, qui avaient souvent une
fonction plutôt rhétorique et semblaient en réalité surtout viser à affirmer ostensiblement et à
valoriser leur style de vie ''à la dure'' et leur habitudes de soins minimalistes.
Certaines conditions, en premier lieu la confiance envers le médecin prescripteur semblait
favoriser la prise de médicaments par les patients 20. Au delà des traitements prescrits plusieurs
patients s'automédiquaient, avec en ce cas une préférence nette pour les traitements qui
étaient facilement disponibles et dont l'acquisition ou la prise ne mettait pas en danger la
poursuite de leurs activités quotidiennes (en particulier de leur travail/ activités de lutte contre
la précarité).
5) Une fréquente automédication:
En réalité les pratiques d'automédication étaient assez répandues chez les patients interrogés.
Nous présentons maintenant la logique sous-jacente à cette pratique chez de nombreux patients,
les différents types de remèdes auquel il était fait recours, ainsi que la manière dont cette pratique
s'inscrivait dans leur quotidien.
a) Une automédication à visée quasi-exclusivement curative :
Lorsque nous les interrogions, la plupart des patients recourraient presque uniquement à
l'automédication dans une visée curative, c'est à dire pour tenter de guérir par eux même une
maladie qui s'était déjà déclarée :
« J'ai été brulée par de l'eau chaude sur une jambe, c'était quand j'étais encore à la
ferme : un tuyau d'eau chaude s'est démonté et j'ai pris l'eau bouillante dans la jambe,
j'avais des cloques, c'était douloureux... Mon employeur était pas là, je l'ai prévenu plus
tard, je suis rentrée chez moi, j'ai essayé de nettoyer avec de l'eau, de désinfecter, mais
après je ne tenais plus, j'avais trop mal, j'ai été voir ma voisine qui m'a dit qu'elle
20 Nous détaillons plus loin les caractéristiques et les déterminants de la relation entretenue par les patients précaires
interrogés avec les médecins.
55
connaissait quelqu'un, une guérisseuse, qui exercait à V, dans le village a 12km du
hameau, alors avec son mari ils m'ont emmené : elle m'a percé les cloques avec une
aiguille , en versant du vinaigre d'alcool blanc dessus, et en récitant des prières je sais
pas, je n'entendais pas ce qu'elle disait. Au début moi j'y croyai pas, mais sur le coup ça
m'a soulagé un peu. J'ai continué d'aller travailler, pendant 15 jours, je faisais des
pansements moi même, avec des bandes, je pensais que ça allait passer quoi... Mais au
bout de quinze jours, ça faisait trop mal, les bottes frottaient dessus au travail, et ça
s'est infecté. Là j'ai été chez le docteur, j'été bien obligée, et il m'avait arreté un peu, ça
s'était infecté.»
Mme C
« Sinon il existait des remèdes, des remèdes de grand-mère comme on dit, dans votre
famille pour garder la santé, pour se maintenir en forme
[les patients adoptent une expression faciale marquant la perplexité]
...Je veux dire ils prenaient des clous de girofle par exemple, pour les douleurs dentaires
comme vous m'avez dit, mais est-ce qu'on pouvait prendre aussi des remèdes comme
ça, dans votre famille, pour éviter de déclarer une maladie, ou pour garder la forme
-Non, non. Pas trop non. »
M.et Mme F
"-Parlait-on souvent ou facilement de maladie chez vous? La santé ou la maladie, étaitce un sujet tabou? Par exemple, en parlait-on à table aux repas de famille?
-bof, on en parlait de temps en temps, mais sans plus, on disait tiens celui là n'est pas
bien... mais c'est tout. C'était pas tabou, mais on en parlait que quand les gens n'allait
pas bien»
Mme C
"Non pis, maintenant on entend des tas de trucs: on entend qu'on tombe malade avec
les produits pesticides et tout ça dans les champs, avant ils avaient pas tout ça. Alors si
ils utilisaient du désherbant tout ça , mais ils se protégeaient pas et puis y avait pas de
problèmes, enfin on ne savait pas tout ça. Maintenant on nous dit tellement de
chôses :on ne sait plus quoi faire ou pas faire! Avant ils faisaient leur patates, leur
cochons, ils faisaient tout ça tout seul, je me rappelle bien y en avait une, une voisine,
elle mangeait sa tranche de lard gros comme ça [elle écarte son pouce et son index de
10cm]; eh ben! Elle a jamais eu de problèmes! Et pis j'avais un oncle, y faisait sa goutte,
il buvait son petit verre comme ça dans l'après-midi, il a jamais eu de problème! C'était
pas comme maintenant! Y avait pas tous ces problèmes! Ou bien on ne savait pas, on
se chauffait au bois dans les maisons que maintenant il parait que c'est dangereux...
non c'était pas pareil, y avait pas autant de soucis [...]
Mme C
Les déclarations sus-citées montraient bien la faiblesse générale des préoccupations des patients
pour la prévention primaire en santé. On observait que, de manière générale, les patients ''se
soignaient'' quand la maladie était déjà présente voire déjà sévère, n'abordaient pas le sujet de la
santé ou de la prévention à table en famille (pas une préoccupation courante), qu'ils pouvaient se
transmettre quelquefois familialement des ''remèdes de grand-mère'' à visée curative, mais très
peu à visée préventive (prévention primaire).
56
De plus quand des déclarations étaient relatives à la prévention primaire en santé (comme dans les
dernières déclarations sus-citées à propos de prévention au travail, domestique ou encore
diététique) certains patients exprimaient rapidement un mélange d'anxiété, d'agacement et
d'incompréhension (on lisait bien, en effet, dans les dernières déclarations de Mme C la question
générale sous-jacente que se posait la patiente : '' pourquoi devons nous nous soucier autant de
cela ? Et pourquoi alors que les anciens faisaient autrement et ''allaient mieux'' que nous ?'').
b) Automédication par remèdes traditionnels:
i) Les ''remèdes de grand-mère'':
Chez plusieurs patients, l'automédication à visée curative avait recours à des remèdes
traditionnels, la plupart du temps appris de leur parents et des membres de leur famille : les
« remèdes de grand-mère » :
« -Mais dans votre travail par exemple vous portiez beaucoup de charges ? [elle
acquiesce] Vous avez du avoir des problèmes de dos, sans doute ?
-Là oui !
-et vous attendiez aussi pour le dos ?
-Oui oui ah oui
-vous attendiez une semaine ? Deux semaines ? [Elle sourit d'autant plus. Je comprends
que je sous estime la durée] Plus que deux semaines ? … Ça vous fait rire ?
-ben oui je sais, mais c'était comme ça
-donc par exemple si vous aviez une grippe, même une grosse, ou des maux de dos,
vous faisiez comment ?
Son fils intervient à ce moment là
Mr Ber- A l'ancienne ! Elle c'était comme à l'époque de sa mère ! Elle se soignait
comme à l'époque des parents ! Vous voyiez par exemple les mals de dents ! Ben c'était
à base de clous de girofle !
-Ah bon ?
Mme D- ben oui ! C'est ça, c'était bien hein !
M. D -En fait ma mère, avant sa maladie je m'en rappelle quand j'étais petit, elle avait
toujours un petit remède ! Elle avait un remède comme les clous de girofles heu, un
petit truc qu'elle emballait je sais plus, mais voilà quoi. »
M. et Mme D
«- si votre maman avait une bonne grosse grippe ou bronchite ou quelque chose de ce
genre, est ce qu'elle essayait de faire quelque chose, de se soigner par elle même avant
de consulter le médecin ?
-Ah oui oui ! Ah ben avec des tisanes de thym des trucs comme ça, elle attendait
plusieurs jours
M. A
Ces remèdes de grands-mère suivaient souvent des recettes et un protocole clairement défini,
dont il semblait aux patients que seul le respect garantissait l'efficacité (comme dans toute
recette, il n'était pas question d'utiliser n'importe quel ingrédient dans n'importe quelle indication,
57
ni de n'importe quelle manière) :
« -Comment réagissez votre entourage lorsque vous ou votre maman tombait malade?
Appelaient-ils le médecin immédiatement ou commençait ils des traitements par eux
mêmes avant?
-Oui, souvent, on avait des tisanes, donc il nous donnient des tisanes de tilleul, de
ronce, de la menthe, enfin des plantes... et aussi des cataplasmes fait à partir de
graines d'orge et moutarde, par exemple qu'on plaçait sur le dos lorsqu'on avait une
bronchite... et pour les plaies, ma grand mère se soignait d'abord seule, elle prenait des
feuilles de choux qu'elle cuisait avant de les déposer sur ses plaies, ou bien sur, du
mercurochrome, des pommades grasses qui soit-disant tiraient l'humeur... voilà elle
essayait d'abord par ces moyens-là»
Mme C
ii) les remèdes triviaux et radicaux :
Il existait cependant quelques remèdes traditionnels qui ne suivaient pas un protocole aussi précis,
et ce parce qu'ils étaient bien plus triviaux, mais aussi bien plus radicaux. A ce titre leur efficacité
paraissait à priori assurée aux patients. C'était en particulier le cas de la prise d'alcool ou de
toxiques entreprise quelquefois à visée antalgique :
« M. D- Que maintenant moi à mon époque ! Si j'avais mal aux dents ben c'était...
héroïne et alcool !
Mme D- [la mère soupire de dépit en entendant son fils faire cette dernière déclaration]
pffff ! Putain c'est pas vrai !
M. D- Ben si parce qu'à l'époque moi c'était le shit, pis après quand je suis parti à
Nantes, j'avais dix-huit ans, ça a été l’héroïne [sa mère exprime sa désapprobation par
une grimace et en secouant la tête] Ben si ! ça a commencé avec les douleurs... Enfin
même l'héroïne ça me calmait pas les rages de dents. Alors là je prends l'alcool, l'alcool
et l'héroïne ! Et c'était mon quotidien tous les jours […] Là j'avoue là les douleurs que
j'ai ! Là j'ai ben le pancréas qui me fait hyper mal ! Là j'ai toutes les dents, là on m'a
refait les dents [ils montre ses dents] là c'est que de la pâte hein ! J'ai mal au dents ! Y à
que l'alcool […] ce que je veux dire moi c'est... tu vois j'ai grandi aux G [une cité
populaire], moi... mes remèdes c'est : moi j'ai commencé à fumer du shit. Moi à douze
ans j'ai commencé à fumer des clopes, à treize ans j'ai commencé à fumer du shit, je
fumais le shit j'ai commencé à boire de l'alcool […] Le docteur une fois j'ai été le voir
pour mon pancréas, parce que mon souci, en ce moment, c'est le pancréas, à cause de
l'alcool. J'ai très très mal ! Mais le seul truc qui me calme la douleur du pancréas, c'est
le mal par le mal. Quand je dis le mal par le mal c'est l'alcool ou le cannabis ! »
M. D
« -Sinon la goutte ! [il prend un air amusé]
-La goutte ? Ah la goutte... de l'alcool fort quoi ?
-Ouais [il poursuit, toujours d'un air amusé] pour les dents ça je l'ai essayé moi et ça
marche hein
-Ah bon vous aussi vous avez essayé ?
M. F -Ouais ben c'est ce que mon père y faisait quand il avait mal au dents
58
Mme F -Oui ben moi aussi mon père, mon oncle y faisait ça quand j'étais petite
-Et... du coup vous avez trouvé que ça marche ? … mais il doit y avoir des effets
secondaires ?
M. F -Oui ben ça calme, un coup comme ça j'étais à la maison pis fallait que j'y retourne
quoi, que je retourne bosser, non ben j'ai pris un p'tit verre, ça a été impeccable [il rit]
-Mais pour bosser ça doit pas être terrible après ?
M. F- Oui non mais c'est juste un petit godet comme ça hein (il mime entre son pouce et
son index une hauteur de 2 cm environ] »
M. et Mme F
iii) Le recours aux guérisseurs :
Deux patientes avaient déjà eu recours à des ''guérisseurs'' ou « rebouteux », perçus comme ayant
une certaine connaissance en santé et une certaine légitimité à intervenir pour leur santé à l'aide
de médications traditionnelles, et ce malgré l'absence de formation professionnelle reconnue par
les institutions :
«-Mon employeur était pas là, je l'ai prévenu plus tard, je suis rentrée chez moi, j'ai
essayé de nettoyer avec de l'eau, de désinfecter, mais après je ne tenais plus, j'avais
trop mal, j'ai été voir ma voisine qui m'a dit qu'elle connaissait quelqu'un, une
guérisseuse, qui exercait à V, dans le village a 12km du hameau, alors avec son mari ils
m'ont emmené : elle m'a percé les cloques avec une aiguille , en versant du vinaigre
d'alcool blanc dessus, et en récitant des prières je sais pas, je n'entendais pas ce qu'elle
disait. Au début moi j'y croyai pas, mais sur le coup ça m'a soulagé un peu »
Mme C
Les deux patientes qui avaient antérieurement consulté un guérisseur traditionnel l'avaient surtout
fait grâce à phénomène de bouche à oreille (conseils de proches), ainsi que non sans un certain
scepticisme initial, mais essentiellement poussé à cela par l’échec de traitements plus ''classiques''
et par une pensée du type ''plus rien à perdre'' (à essayer), ou même paradoxalement quelquefois
pour éviter de consulter un médecin (notamment de peur que le traitement du médecin -arrêt de
travail notamment-ne soit pas acceptable pour eux).
C'était ce qui se lisait bien dans le récit réalisé par Mme C : la patiente déclarait avoir tenté de
traiter seule ses brûlures sans succès, et avoir renoncé à consulter un médecin pour ne pas
déclarer d'accident de travail ni être mise en arrêt de travail, raisons pour lesquelles elle avait
terminé par se laisser convaincre par des proches (voisins aidants et dignes de confiance ) qui
l'avaient conduit chez un magnétiseur, alors que la patiente présentait dans le même temps un
certain scepticisme initial.
Au total et de manière générale, le recours à des toxiques ou à des guérisseurs étaient assez rares.
59
c) Automédication ''allopathique'' :
Plus fréquemment, les patients s'automédiquaient donc à partir de médicaments et traitements
allopathiques (produits pharmaceutiques ou de parapharmacie).
«- Mais si vous avez eu mal pendant plusieurs jours, en attendant le dentiste, vous avez
pris de la goutte pendant plusieurs jours de suite ? Parce que j'imagine que ça marche
bien, mais après quelques heures ça doit plus marcher ? Et puis...
- Non ben ça c'était juste cet après midi là, parce que je devais bosser, je pouvais pas
m'arrêter je devais partir à V... […] Mais sinon quand même je prenais des cachets
-Vous les trouviez où ? Sans aller voir le médecin ? Des médicaments en vente libre
alors ?
-Oui doliprane, mais ce qui marchait mieux c'était la codéine
-Ben... la codéine ça n'est pas en vente libre...
Me Cor- Oui mais ce qui a c'est que comme je vous ai dis moi aussi j'avais pas, je ne
faisais pas trop attention à mes dents non plus donc heu, plusieurs fois j'ai eu la joue
qui a gonflé comme ça [elle mime un œdème impressionnant de la face avec ses mains]
donc là j'allais chez le médecin qui me donnait des cachets des antibiotiques des
cachets pour la douleur... et il me donnait des efferalgan à la codéine
-Ah bon, mais avant d'avoir la face gonflée comme ça, parce que vu ce que vous dites
ça devait être un sacré abcès quand même, vous aviez du avoir des douleurs aux dents
déjà bien avant de faire ces abcès là ? Vous n'avez pas consulté avant ?
-Non, ben comme je vous dis je pouvais pas tout le temps aller chez le dentiste »
Mme F
Les patients qui s'automédiquaient avec des médicaments allopathiques se référaient presque
toujours à une prescription médicale dont ils avaient bénéficié antérieurement et ils réutilisaient
alors leur connaissances et compétences antérieurement acquises à l'occasion de consultations et
de soins antérieurs auprès de professionnels de santé pour des symptômes ou une affection jugés
similaires.
La plupart du temps c'était de mémoire qu'il pratiquaient cette automédication (ou qu'ils
prodiguaient leur conseils à autrui). Plus rarement c'était en conservant le protocole écrit sur une
ancienne ordonnance médicale qu'il réutilisaient à l'occasion :
Une patiente avait ainsi conservé une ancienne ordonnance pour des lombalgies récurrentes, et
réutilisait d'anciennes boîtes mise en réserve à l'aide du modèle ainsi conservé lors des récurrences,
avant de consulter à nouveau son médecin uniquement si les douleurs n'avaient pas cédé après
une semaine, ou exceptionnellement d'emblée si la douleur et la gêne fonctionnelle était très
intense.
Il n'était pas rare enfin que le recours à l'automédication par les moyens allopathiques se fasse
aussi sur les conseils de membres de leur entourage dignes de confiance (souvent parent ou ami
proche). Ceux-ci prodiguaient des conseils d'après des connaissances qu'ils avaient le plus souvent
eux même acquises après avoir consulté un médecin antérieurement.
La référence au médecin et à ses conseils et prescriptions antérieures était donc omniprésente,
60
mais elle semblait avoir des effets paradoxaux : d'une part les patients acquéraient certaines
compétences dans la gestion autonome de leur santé et maladie grace à lui, mais d'autre part elle
semblait faciliter un recours aux traitements pharmacologiques par automédication lorsque les
patients avaient identifié l'indication des traitements. Pour éviter cela, il faudrait alors considérer la
portée éducative des informations fournies par le médecin, tout en insistant peut-être davantage
en pratique auprès des patients sur la nécessité de consulter lorsque certains signes clés/d'alarme
surviennent ; c'est le rôle de l'éducation à la santé/thérapeutique.
d) S'automédiquer pour différer ou éviter une consultation:
Le but de l'automédication, en réalité fréquente chez les patients, était de retarder ou au mieux
pour eux d'éviter une consultation auprès d'un professionnel de santé :
« […] vous aviez du avoir des douleurs aux dents déjà bien avant de faire ces abcès là ?
Vous n'avez pas consulté avant ?
-Non, ben comme je vous dis je pouvais pas tout le temps aller chez le dentiste » Mme F
« -Oui ben ça calme, un coup comme ça j'étais à la maison pis fallait que j'y retourne
quoi, que je retourne bosser, non ben j'ai pris un p'tit verre, ça a été impeccable. »
M. F
« -Elle avait un remède comme les clous de girofles heu, un petit truc qu'elle emballait
je sais plus, mais voilà quoi. Pis elle voulait pas nous mettre trop dans les trucs médicals
-Et pourquoi pas trop les trucs de médecins ou la médecine ?
-ben fallait déjà essayer de se débrouiller, si ça marche pas on va chez le médecin...
Mais fallait pas trop en faire quoi. Je pense que c'était plus comme ça, ça va passer
quoi pas besoin de gros trucs [il regarde sa mère] et pis elle avait pas le temps, ma
mère avait toujours son travail, elle travaillait de trop... fin voilà»
M. D
«-[…] je faisais des pansements moi même, avec des bandes, je pensais que ça allait
passer quoi... Mais au bout de quinze jours, ça faisait trop mal, les bottes frottaient
dessus au travail, et ça s'est infecté. Là j'ai été chez le docteur, j'été bien obligée, et il
m'avait arreté un peu, ça s'était infecté [...]
-nous avons parlé de votre accident de travail, de votre brulure à la jambe, lors duquel
vous n'avez pas voulu consulter immédiatement le médecin mais pour lequel vous avez
d'abord préféré attendre et essayer de vous traiter par vos propres moyens. Y a t il eu
d'autres épisodes de maladies, ou d'autres accidents pour lesquels vous avez procédé
comme ça? Et de façon générale, comment procédez-vous quand survient un problème
de santé de ce type?
-Oui...[elle sourit] ben oui d'autres fois en général j'ai attendu... Et je me suis fait
souvent gronder par le docteur, parce que je n'aime pas trop aller le voir comme ça [...]
-Alors comment vous l'expliquez? Le fait que pour autant, vous n'avez pas changé vos
habitudes?
-Pas du tout! J'y vais toujours très tard
-Même après votre brulûre! même après votre épaule!
-Non je n'ai pas changé du tout, non. Il n'y à vraiment que quand je peux plus du tout
61
tenir, que j'y vais. Mais autrement...»
Mme C
«-Comment réagissez votre entourage lorsque vous ou votre maman tombait malade?
Appelaient-ils le médecin immédiatement ou commençait ils des traitements par eux
mêmes avant?
-Oui, souvent, on avait des tisanes, donc il nous donnient des tisanes [...] voilà elle
essayait d'abord par ces moyens-là
-Donc elle n'appelait pas toujours le médecin, ni immédiatement lorsqu'elle avait une
maladie?
-Non non, elle essayait toujours de se soigner oui, pendant une paire de jours,
-combien de temps?
-Souvent une semaine, des fois deux semaines... mais quand elle avait trop mal elle
appelait le médecin.
-Donc le critère qui la faisait appeler le médecin c'était essentiellement la douleur?
-Oui c'était la douleur, voilà, elle essayait de se soigner, et quand elle ne pouvait plus
tenir, qu'elle ne pouvait plus travailler, faire ce qu'elle avait à faire, on appelait le
médecin»
Mme C
« - […] y à qu'un coup je m'étais fait une tendinite
-Elle a duré ?
-Ben oh, quelque semaines...
-Vous vous êtes arrêté de travailler
-Non. Ben disons moi je me suis jamais trop arrêté. Non.. je suis pas un gars...qui va
s’arrêter comme ça de travailler […]
-Et là vous avez fait comment ? Quand vous avez senti la tendinite vous avez tenté de
vous soigner vous même un petit peu en attendant de voir le docteur ?
-Ben non de toute façon je pouvais plus bouger le poignet hein, c'était ce poignet là je
pouvais plus le bouger
-Oui mais... les tendinites souvent ça ne vient pas brutalement...
-non non c'est venu doucement, ça faisait deux semaines quelque chose comme ça pis
un moment j'ai eu trop mal je pouvais plus bouger le poignet pis alors j'ai été à
l'infirmerie, y avait une infirmerie là bas pis il [un collègue] m'a dit « si ça se trouve
c'est une tendinite » pis heu il m'a filé un pansement tout ce qui fallait
-au boulot ?
-oui
-Et ça c'est passé ?
-Oui... au bout d'une semaine ça allait mieux... mais au début j'ai eu mal...
-Mais vous vous êtes pas arrêté ?
-Non, j'ai fait autre chose,
-Vous n'avez pas consulté le médecin ?
-Non, j'ai fait autre chose, un autre poste... J'ai fait, c'était sur une machine, avec c'te
main là je poussait [il désigne celle qui était saine], c'était pour les becs de chalumeaux,
vous savez c'est... enfin ça rectifiait le dessus des becs
-Et du coup vous avez travaillé avec la main droite seulement ?
-Voilà... je me suis pas arrêté [avec fierté] »
M. A
62
et :
« -[...] Et je me suis même pas arrêté de travailler hein ! Je travaillais dans les produits
chimiques, donc heu j'mettais un gant ! J'ai jamais été enlevé les fils ! C'est moi qui les
ai enlevé ! »
M.A
e) La faible influence d'un échec antérieur de l'automédication:
Il n'était pas rare que l'automédication réalisée antérieurement par les patients se soit soldée par
un échec, et qu'elle ait même conduit à une aggravation clinique et à des complications morbides.
L'exemple fourni par Mme C (qui avait fini par voir s'infecter ses plaies de jambes après sa brûlure
du deuxième degré) était une bonne illustration.
Cependant, même lorsque les patients avaient déjà expérimenté l'échec d'une automédication
antérieure (avec quelquefois de lourdes conséquences morbides), cela ne leur faisait presque
jamais renoncer à y recourir de nouveau par la suite :
« -Alors comment vous l'expliquez? Le fait que pour autant, vous n'avez pas changé vos
habitudes?
-Pas du tout! J'y vais toujours très tard
-Même après votre brulûre! même après votre épaule!
-Non je n'ai pas changé du tout, non.»
Mme C
Dans leurs arbitrages en terme de pratiques de santé, notamment concernant le recours aux
professionnels de santé et à l'automédication, les patients trouvaient très un souvent un bénéfice
supérieur au fait de s'automédiquer en retardant ou en évitant les consultations, même si le risque
placé en contrepartie dans leur balance décisionnelle était une évolution défavorable et des
complications morbides (que parfois ils avaient pourtant déjà durement expérimenté). Cela
semblait surtout dû à leurs difficiles conditions de vie qui les pressait d'être présents sur d'autres
terrain (travail, activités de lutte contre la précarité au quotidien).
Cependant de manière concomitante, la mauvaise identification de leurs symptômes par les
patients constatée précédemment21, qui les conduisait parfois à sous-estimer la morbidité les
affectant et leurs besoins de santé réels semblait s'associer à cette explication pour expliquer leur
moindre recours médical, le retardement de consultation et l'automédication. Une somme de
facteurs était donc en jeu. Certains de ces facteurs paraissaient modifiables : connaissance et
compétences en santé, soutien informationnel des patients (pharmacie, autres professionnels,
réseaux d'éducation thérapeutique/à la santé), accès aux soins (aides sociales).
21 Cf partie précédente.
63
* Les pratiques d'automédication des patients précaires avaient quasi-exclusivement une visée
curative.
* Les patients recouraient quelquefois aux soins traditionnels qui comprenait les ''remèdes de
grand-mère'', les traitement triviaux et radicaux, ainsi que le recours à un guérisseur.
Les ''remèdes de grand-mère'' suivaient un protocole précis qui devaient en garantir l'efficacité.
Les patients les plus âgés y recouraient plus fréquemment que les jeunes (ces derniers soit n'en
avait pas connaissance, soit, tout en en ayant connaissance ne leur accordaient pas beaucoup
de crédit). Le recours aux guérisseur se faisait surtout après épuisement des alternatives
thérapeutiques envisagées par les patients, sur un phénomène de bouche à oreille et seulement
lorsque la maladie n'était pas perçue comme trop grave.
Toutefois, de manière générale les traitements traditionnels et guérisseurs n'avaient pas autant
de crédibilité aux yeux des patients que les médicaments allopathiques.
* Au delà des déclarations dévalorisant le recours aux médications allopathiques, la plupart des
patients accordaient en réalité un grand crédit à ces traitements et en faisait un usage
autonome assez fréquent.
Les patients recouraient aux traitements allopathiques en reprenant une prescription médicale
pour des symptômes jugés similaires à l'affection ayant motivé la prescription initiale. Ils le
faisaient de mémoire ou d'après une trace écrite (ordonnance/boite de médicaments avec
posologie inscrite dessus conservées). Ils le faisaient d'après des prescriptions antérieurement
faites à eux-même ou à des proches (transmises par ces proches dans ce dernier cas). La notion
de personnalisation des prescriptions selon le terrain individuel (relativement aux antécédents
de chacun et/ou aux précautions d'emploi, contre-indications et effets secondaires potentiels)
ne semblait donc pas totalement acquise pour tous les patients (du moins pas toujours en
pratique).
* Quelque soit leur nature, les pratiques d'auto-médication entretenues par les patients
semblaient avoir pour visée essentielle de différer ou de retarder au maximum la consultation
d'un professionnel de santé et d'éviter au maximum d'avoir à délaisser, même temporairement,
leurs activités habituelles (de travail ou de lutte contre la précarité).
* Au total, les patients arbitraient souvent en faveur de l'automédication, y compris lorsqu'ils
avaient pu expérimenter auparavant un échec de celle-ci (échec aux conséquences parfois
graves). Plusieurs éléments semblaient ainsi l'expliquer :
- Les bénéfices attendus à court terme de l'automédication pour la poursuite de leurs
activités quotidiennes (de lutte contre la précarité et/ou de travail) leur semblaient
apparemment souvent supérieurs aux risques potentiels.
64
-Les contraintes de vie (financières, matérielles) étaient (très) fortes et renforçaient
l'attractivité de l'automédication, tandis que pour sa part la tendance à sous-évaluer la
morbidité les affectant et leurs besoins de soins faisaient souvent apparemment sousestimer le risque encouru.
- Au delà d'une certaine sous-estimation des risques (en terme cognitif- lié à un défaut
de capital culturel spécifique en santé), c'était la répression de l'écoute de soi et de sa
peur qui semblait pousser les patients à agir de la sorte ''vaille que vaille'' (dispositions
psychologiques/répression des affects - en lien avec les conditions de vie et la nécessité
prioritaire de lutter contre la précarité- comme déjà vu)
- Une certaine prise en compte prioritaire de l'urgence à gérer son quotidien (lutte contre
la précarité) prédominait apparemment sur la prise en compte de toute autre éventualité
à moyen/long terme en terme de santé. Ceci constituait chez les patients précaires un
rapport au temps orienté prioritairement sur le présent/quotidien/la ''vie au jour le jour''
en défaveur d'une appréhension des événements à moyen/long terme. Ce rapport au
temps (lui même conditionné par les conditions de vie matérielles donc) paraissait faire
entrave à l'intégration d'une approche préventive en santé (qui par définition est une
approche de la santé englobée dans une perspective temporelle à moyen/long terme.
- Enfin l'attachement des patients à leur autonomie personnelle et responsabilité
individuelle (capacité à s'assumer seul - notion chère aux patients22) paraissait en jeu.
* Concrètement les patients semblaient ainsi s'automédiquer pour retarder ou en éviter au
maximum les consultations et les arrêt de travail à court terme.
*Une somme de facteurs était donc en jeu. Certains de ces facteurs paraissaient modifiables :
accès aux soins (aides sociales), connaissance et compétences en santé, soutien informationnel
des patients (recours aux médecins, pharmaciens, autres professionnels, réseaux d'éducation
thérapeutique/à la santé). L'amélioration des conditions de vie matérielles semblait cependant
devoir être traitée en priorité.
22 Nous détaillons cet attachement des patients précaires à leur autonomie et responsabilité individuelle plus loin cf
partie Éthique de vie et comportements de santé.
65
E) Une représentation spontanée et pragmatique de la maladie comme handicap :
Les conditions socio-économiques (précarité) et culturelles (répression des affects – déficit de
capital culturel) de vie des patients, à l'origine de l'adoption de l'habitus de santé minimaliste des
patients interrogés, étaient également à l'origine d'une représentation spontanée et pragmatique
de la maladie comme handicap23.
Ainsi dans les perceptions et les représentations de nombreux patients, approchées par leur
déclarations, un état de santé suffisamment atteint pour que les patients lui accordent réellement
de l'importance et utilisent alors le terme de « malade » (ou de « maladie ») renvoyait la plupart
du temps à un état de santé où non seulement la maladie avait déjà sévi, mais encore où elle était
suffisamment avancée voire compliquée, pour que les symptômes désagréables et la gêne
fonctionnelle occasionnée viennent entraver le fonctionnement social normal des patients.
Or, cette définition de la maladie correspondait en réalité à celle fournie par les institutions
sanitaires et sociales pour qualifier le handicap24.
Ainsi forgée, la représentation spontané de la maladie entretenue par les patients précaires était
telle qu'à la limite, leur poser la question de savoir s'ils avaient déjà ''été malades'' eux-mêmes ou
un de leur proches semblait désigner pour eux : ''avez vous déjà été (vous ou l'un de vos proches)
handicapé par une maladie ?'' :
«-J'ai perdu ma grand-mère en 1976, mon grand-père en 77 ou 78,
-Vous avez des souvenirs d'eux malades ?
-Non [en réfléchissant]... Non ma grand-mère avait des plaies aux jambes, mais sinon
elle n'était pas malade, et mon grand-père non, il n'était pas malade,
-Il est décédé à quel âge ?
-Je ne sais plus, a peu près 80ans[...]
-Et, avant qu'il décède, vous vous rappelez l'avoir vu malade ?
-oh... il était déjà fatigué, il était à la maison, il avait du mal a marcher, mais autrement
non, il n'était pas dans un lit, non il marchait, il n'était pas vraiment malade [l'auteur
souligne]
-Il n'y a donc pas d 'éléments qui vous ont fait penser qu'il était malade ?
-Non, il y avait juste la grand-mère qui était malade de temps en temps, qui avait des
plaies eu jambes, restée alitée parfois...Mais mon grand-père, non [...]
-Et si on revient au cas de votre mère, vous m'avez parlé de plaies aux jambes, a-t-elle
connu d'autres soucis de santé?
-Elle a connu des problèmes de reins, enfin de dos, de ventre, elle a été opéré en 198384 pendant que j'étais partie en formation; et plus jeune, quand j'étais enfant elle a eu
23 De même que pour la représentation spontanée de leur corps forgée par les patients (cf note 19) nous nous référons
ici à la représentation spontanée de la maladie qui valait pour les patients, c'est à dire celle à laquelle ils se
référaient de manière pragmatique et prioritaire dans leur vie. Notre objectif n'était donc pas d'exposer les
connaissances théoriques des patients au sujet des maladies en général (ni même de celles qui les touchait en
particulier), connaissances ressortant du domaine cognitif pur, mais d'analyser leur perception et leur représentation
prédominante, pragmatique et spontanée de leur corps dans leur vie quotidienne, celle à laquelle il se référaient pour
la conduite de leur vie, de la manière dont ils nous l'ont laissé approcher par leurs déclarations.
24 De plus, c'était logiquement que cette représentation de la maladie comme handicap faisait directement écho à la
représentation fonctionnelle ou utilitariste de leur corps entretenue par les patients.
66
des grippes... des bronchites... mais autrement non, elle n'était pas trop malade. [...]
-Quand vous étiez enfant, vous dites qu'elle était rarement malade mais tout de même
quelquefois... Quel souvenir gardez-vous de votre mère malade? Avez-vous été choqué
par la situation? Qu'est ce qui vous a fait comprendre qu'elle était malade?
-Parce que je voyais qu'elle restait au lit, qu'elle ne bougeait pas, qu'elle pleurait des
fois, je le voyais bien...»
Nous apprendrons plus tard dans l'entretien que la grand-mère de Mme C qu'elle ne considérait
ainsi pas comme malade, avait en réalité de ''l'angine de poitrine'' (soit probablement un angor
chronique stable liée à l'athérosclérose - une pathologie pourtant grave :
«-[…] elle ne se plaignait pas beaucoup pour autant, elle était assez dure, elle avait de
l'angine de poitrine au coeur, mais c'était comme ça ils étaient durs [elle rit] »
Mme C
« - Ma grand-mère elle habitait avec nous [ …]
-Et votre grand-mère elle est décédée de quoi ?
-vieillesse !
-vieillesse ?
-ouais
-Mais... vous ne l'avez pas connue malade ou pas étant gamin?
-Ah oui si elle a été malade du cœur à la fin
-Est ce que vous avez des souvenirs des premiers temps où elle était malade ?
Comment ça s'est passé ?
-Ah oui, ben... déjà elle avait fais un infarctus tout ça donc elle était tombée dans la
cour tout ça. Pis après donc heu elle est restée couchée tout le temps quoi. [...]
-Est ce que plus jeune elle était déjà malade du cœur, de la tension de quelque chose ?
-Non... non non.Enfin je pense pas quoi, parce que … moi le peu que je me rappelle...
non elle s'occupait des vaches tout ça
-Quand elle est tombée dans la cour : elle avait fait un malaise, elle a perdu
connaissance ?
-ouais... Elle a été à l’hôpital, elle est revenu peu être une semaine après. Pis après
ben... elle était à la maison quoi, dans sa chambre pis elle avait des cachets des trucs
comme ça... [il frappe de la paume de la main sur la table comme pour exprimer un
certain
fatalisme]
-Et elle est décédée peu de temps après ?
-Ouais... ben peu être six sept mois après... elle s'est endormi et elle ne s'est pas
réveillée. Avant elle se levait plus elle était très fatiguée...»
M. A
Il s'agissait ici des déclarations des patients les plus éloquentes. De nombreuses autres, sans être
aussi explicites, avaient un sens similaire. Nous pouvions bien observer ici que dans les perceptions
et les représentations des patients, les membres de leur famille n'étaient considérés comme étant
réellement malade que lorsqu'ils ne pouvaient plus réaliser leurs tâches habituelles, et en
particulier se mouvoir et travailler comme avant.
C'était ainsi le cas concernant la représentation qu'avait Mme C de l'état de santé de sa grand67
mère : pour la patiente, celle ci n'était pas malade, sauf par moment lorsqu'elle était alitée pour
ses plaies de jambes. Puis, bien après que nous lui ayons posé la question de ses antécédents
familiaux, Mme C nous informait finalement que sa grand-mère était atteinte de coronaropathie,
et ce sans l'avoir considéré initialement et spontanément comme malade pour autant.
Apparemment, dans l'esprit de Mme C cette « angine de poitrine » n'empêchait pas sa grand-mère
de rester debout et de continuer à travailler, donc n'était pas prise en compte de manière
spontanée. Au contraire, les « plaies de jambes » (ulcères veineux) de sa grand-mère, qui l'avaient
immobilisé à plusieurs reprises étaient bien davantage considérées par la patiente comme une
maladie importante (de manière spontanée c'était la seule maladie qu'elle citait initialement) et
ce, malgré le fait important que sur un plan purement bio-médical, la gravité des ulcères veineux
était bien moindre que les antécédents cardiaques de sa grand-mère.
Le même type de perceptions et de représentations avait cours pour M. A, qui déclarait ses grandparents morts « de vieillesse », ce qui sous entendait ''de leur belle mort'' (c'est à dire que
spontanément il répondait qu'ils n'étaient pas mort des suites d'une maladie à ses yeux).
Cependant, en approfondissant notre interrogatoire, M. A finissait par nous apprendre que sa
grand-mère avait fait « une crise cardiaque » ( terme populaire pour désigner un infarctus du
myocarde et/ou une insuffisance cardiaque aiguë et/ou un trouble du rythme cardiaque ou encore
une mort subite) une pathologie très lourde également, et fait encore plus important, une
pathologie qui presque toujours s'installe à bas bruit et évolue sur un mode chronique (la plupart
du temps liées aux cardiopathies hypertensives, valvulaires ou à l'athérosclérose coronarienne)
avant de se compliquer en « crise cardiaque » .
Cela étant, M. A ne considérait sa grand-mère comme « malade », que dans la période où elle
«était tombée», ne tenait plus sur ses jambes et avait fini par être alitée, alors totalement épuisée
et handicapée. A contrario au sujet de la période antérieure à cette crise cardiaque, le patient
déclarait au sujet de sa grand-mère : « non, je ne pense pas [qu'elle était malade puisqu'] elle
s'occupait des vaches tout ça [elle pouvait encore travailler]»
Le mode d'installation chronique et occulte de certaines maladies pourtant graves était
apparemment mal pris en compte par les patients. Le modèle physiopathologique qu'il avait en
tête n'était apparemment pas spontanément favorable à une prise en compte des processus
morbides occultes et de long terme – soit pas favorables à la prévention en santé. Tout ceci
semblait s'expliquer plus largement par le peu de loisir que les patients avaient pour se préoccuper
de maladies à un stade asymptomatique, mais aussi à leur culture/style de vie comme à un certain
manque de connaissances et compétences en santé. Ici encore certains de ces facteurs étaient
modifiables et paraissaient ressortir pour certains du champ d'action de la médecine générale et
plus largement des soins primaires25.
25 Nous abordons ces points essentiellement dans notre partie Discussion.
68
Dans les deux exemples présentés ici, les parents des patients ne se considéraient et/ou
n'étaient pas considérés comme ''malades'' (de manière spontanée et pragmatique plus que
théorique) tant qu'ils n'étaient pas alités et/ou entravés dans leur activités ou leur travail par
une maladie évoluée et compliquée de handicap.
La santé semblait donc avant tout pour les patients précaires interrogés représenter l'absence
de handicap/ incapacité fonctionnelle au travail, et la maladie sa présence.
Le mode d'installation chronique et occulte de certaines maladies pourtant graves était
apparemment mal pris en compte par les patients en pratique. Le modèle physiopathologique
qu'ils avaient en tête n'était donc apparemment pas spontanément favorable à une prise en
compte des processus morbides occultes et de long terme – soit pas favorables à la prévention
en santé.
Tout ceci semblait s'expliquer plus largement par le peu de loisir que les patients avaient pour
se préoccuper de maladies à un stade asymptomatique (dureté des conditions de vie), mais
aussi à leur culture/style de vie, comme à un certain manque de connaissancescompétences/capital culturel en santé. Ici encore certains de ces facteurs étaient modifiables et
paraissaient ressortir du champ d'action de la médecine générale et plus largement des soins
primaires26.
La question de l'impact de cette représentation de la maladie et de la santé sur les conduites de
santé ultérieures des patients se posait nécessairement (absence de préoccupation pour la
prévention et absence de réelle prise en compte voire d'identification de leur maladie à un
stade précoce et/ou peu invalidant, malgré les risques parfois réellement encourus).
26 Nous abordons ces points essentiellement dans notre partie Discussion
69
F) Plus de recours et de pression sociale aux soins pour les patients inaptes au
travail :
1) Changements de pratiques après la survenue d'une maladie handicapante:
a) Changements internes aux patients handicapés :
Nous avons pu observer, si ce n'était un abandon complet, au moins un infléchissement net de
l'habitus de santé minimaliste chez les patients qui avaient connu une maladie handicapante et en
particulier invalidante au plan de leur capacité de travail.
Si la peur de se voir à nouveau touché par la maladie (similaire ou une autre) était parfois exprimé
par certains patients ayant un antécédent de maladie grave, il fallait noter que ce sentiment n'était
en réalité pas si fréquemment évoqué que cela par eux27.
Finalement, et de manière concordante avec la représentation spontanée et pragmatique de la
maladie comme handicap cultivée par les patients interrogés, c'était la présence d'un handicap
certain et en particulier d'une inaptitude au travail chez les patients interrogés auparavant touchés
par une maladie grave qui nous a semblé coïncider le mieux avec un net changement dans leurs
pratiques de santé personnelles.
b) Changements de comportements de l'entourage des patients handicapés :
Au delà de ce changement interne aux patients concernés par le handicap, nous avons pu observer
qu'il se produisait souvent en parallèle un net changement dans l'attitude des membres de leur
entourage dans leur manière de se représenter le proche handicapé, de le conseiller voire de
l'enjoindre aux soins28.
Il nous a ainsi semblé en aller ainsi, comme si la maladie invalidante développée faisait parvenir le
patient à un véritable statut social de malade qu'il n'aurait sans doute pas acquis aux yeux de ses
proches sans ce handicap et cette incapacité de travail flagrante.
Par suite ce statut semblait accorder aux patients atteints de maladie handicapante un ensemble
de nouveaux droits mais aussi de nouveaux devoirs vis à vis de leur santé (autorisations voire
injonctions à ''s'écouter davantage'' – à suivre repos et soins plus fréquents).
Ce statut de personne malade incitait les patients concernés à prendre en charge leur santé
27 Même en prenant en compte l'effet de non déclaration de ce sentiment que la pudeur, la fierté, et tendance à la
répression des affects psychologiques ayant cours chez les patients n'avaient sans doute pas manqué de générer. D'autres
facteurs explicatifs nous semblaient ainsi en jeu dans le changement d'attitude des patients touchés par une maladie
handicapante.
28 Il aurait fallu, pour en être plus sur, confirmer cet élément par une étude observationnelle des interactions entre les
patients atteint de handicap en cause et les membres de leur entourage. Nous ne nous basons pour la suite de l'
analyse relative à ce point malheureusement que sur les déclarations des patients eux-mêmes relatives à ces
interactions.
70
personnelle de manière plus active (plus de soins, de suivi, mais aussi plus de prévention, y
compris primaire et relatifs à d'autres aspects de leur santé sans rapport direct avec leur maladie
initiale (sur un plan purement bio-médical).
2) Plus de soins médicaux, plus de suivi et plus de prévention, y compris pour des
problèmes de santé sans rapport avec la pathologie initiale :
i) Le cas de M. A:
M. A déclarait toujours actuellement (comme nous l'avons déjà largement montré) un
fort attachement à une philosophie de soins minimaliste, mettait toujours un point
d'honneur à exposer sa résistance à la douleur, sa force de caractère et sa capacité à
faire face à la maladie de manière autonome, et se déclarait toujours actuellement peu
enclin à prendre des médicaments.
Cependant, un hiatus apparaissait en réalité entre ses propos et ses pratiques actuelles
de santé (et plus généralement ses pratiques de santé ayant cours depuis son AVC,
survenu il y a 5 ans).
En effet depuis la survenue de cet accident cérébral (qui lui avait laissé une séquelle
hémiparétique gauche modérée limitant son périmètre de marche, sa capacité à se
maintenir debout de manière prolongée, ainsi que sa capacité de travail), il avait du se
résoudre à quitter son emploi d'ouvrier spécialisé dans l'industrie métallurgique, un
emploi qu'il affectionnait pourtant beaucoup. Il avait également dû déclarer son
handicap et bénéficiait désormais d'une reconnaissance de son invalidité (en invalidité
de catégorie 1).
Ce handicap lui avait fortement fait changer ses habitudes de soins et l'observance de
ses traitements : il se rendait ainsi désormais tous les deux mois chez son médecin
traitant pour y être suivi, prenait quotidiennement et même méticuleusement ses
comprimés
anti-hypertenseurs,
hypo-cholésterolémiant
et
anti-aggrégant
plaquettaires, observait parfaitement ses contrôles de doppler des troncs supraaortiques ainsi que les autres examens de suivi (notamment sanguins) qui lui étaient
prescrits.
De plus, ce qui était à noter, c'est qu'au delà du suivi et des soins qui était directement
liés à son AVC, M. A avait désormais adopté des habitudes de consultations et de
recours aux soins bien plus assidues qu'auparavant, y compris pour des soins n'ayant
aucun rapport direct avec sa pathologie ( tels que des soins ophtalmologiques et
dentaires).
Enfin c'était l'attitude de l'entourage de M. A à son égard et concernant sa santé qui
s'était radicalement modifiée (nous exposons ce fait en détail au paragraphe suivant).
71
ii) Mme D :
Mme D déclarait avoir toujours entretenu, jusqu'au jour où elle avait été frappée d'une
rupture d'anévrysme cérébral, des pratiques de santé minimalistes (par exemple elle
différait alors pendant de longs mois la prise en charge de ses lombalgies ou de ses
douleurs articulaires chroniques, ne consultait qu'exceptionnellement un médecin,
n'accordait pas d'importance particulière à la prévention primaire en santé, entretenait
un rapport instrumental avec son corps qu'elle exploitait intensément dans son ancien
emploi de chef-magasinière etc)
Tout en continuant toujours à déclarer un certain attachement et une certaine fierté
d'avoir ainsi « beaucoup travaillé » et peu consulté, la patiente avait tout de même
largement révisé sa manière de prendre en charge sa santé depuis qu'elle avait subi
une rupture d'anévrysme cérébral.
Cette maladie, survenue donc brutalement il y à environ quinze ans, lui avait laissé pour
séquelles graves une hémiparésie droite et des troubles du langage très sévères
(aphasie non fluente29) . Elle l'avait également forcé à devoir interrompre sa carrière, à
déclarer son handicap, et à se faire reconnaître en invalidité de catégorie 2.
Mme D recourait désormais régulièrement à des consultation et des soins auprès de
professionnels, non seulement pour des soins plus ou moins directement en rapport
avec sa maladie ( dont ophtalmologue et rhumatologue), mais encore pour des soins
n'ayant aucun rapport bio-médical direct avec celle-ci (dentiste).
Au delà de ces changements dans l'attitude de la patiente envers sa santé propre, ce
qui avait beaucoup évolué était également l'attitude de l'entourage proche de la
patiente vis à vis de sa santé (ce que nous exposons également dans le détail au
paragraphe suivant).
3) Statut de personne malade/inapte, attention et pressions de l'entourage proche :
Ainsi, comme si les patients handicapés ou invalides avaient ainsi acquis un nouveau statut les
identifiant aux yeux des membres leur entourage proche comme réellement malade ou fortement
vulnérable, ceux-ci modifiaient également fortement leur attitude vis à vis de la santé de leur
proche.
En particulier, ils cultivaient une tendance marquée la vigilance et à l'émission de conseils voire de
pressions envers le proche handicapé afin que celui-ci ''se soigne davantage''.
29 Cette aphasie non fluente partielle avait d'ailleurs fortement limité son interrogatoire, qui de plus était totalement
fortuit, puisque nous l'avons interrogée très partiellement à l'occasion de notre visite à son domicile pour réaliser
initialement l'interrogatoire de son fils. Nous n'avons pu conserver de ce bref échange avec Mme D que quelques
éléments exploitables, dont cette partie ici présenté (pour laquelle par ailleurs l'interrogatoire de M. D-fils nous avait
bien évidemment largement aidé - notamment concernant les aspects relatifs aux changements survenue dans la
conduite de l'entourage familial de Mme D après la survenue de sa maladie handicapante)
72
De plus, ce que nous avons pu observer, ici encore, c'était que les proches du malade avaient
également tendance à faire pression sur celui-ci pour qu'il adopte un suivi et des soins voire des
examens de dépistage pour des maladies n'entretenant aucun rapport direct (sur un plan biomédical) avec la maladie invalidante de leur proche :
Par exemple que M. A déclarait ne pas avoir reçu de conseils particuliers, ni encore
moins de pressions de la part de ses sœurs ni de sa mère, avant son AVC, pour adopter
un suivi médical régulier, malgré son âge et ses nombreux facteurs de risque cardiovasculaires (âge, surpoids, sédentarité, tabagisme actif, hypercholestérolémie,
antécédent familial qui n'étaient soit pas bien identifiés par l'entourage, soit négligés
par eux).
Il avait même reçu, à titre d'exemple, plusieurs dizaines de pipes à tabac en cadeaux de
Noël ou d'anniversaire de leur part.
En revanche, depuis qu'il avait été touché par cet AVC ischémique en 2009, qui l'avait
laissé avec une séquelle hémiparétique gauche modérée l'ayant conduit à une
reconnaissance en invalidité de catégorie 1, Mr B avait comme acquis un statut de
malade aux yeux de ses proches, et c'était désormais régulièrement que sa mère et ses
sœurs abordaient le sujet de sa santé avec lui (presque toutes les semaines lors des
repas pris en commun, selon les dires du patient).
Sa famille faisait également pression sur lui, selon ses dires, pour qu'il adopte un suivi
et des soins réguliers, y compris pour des pathologies n'ayant aucun rapport direct
avec son AVC : par exemple, récemment, sa sœur lui avait indiqué l'adresse du Centre
d'Examens de Santé de la Sécurité Sociale pour qu'il y bénéficie d'une évaluation de sa
vue, et l'adresse d'une clinique dentaire pour qu'il y réalise des soins dentaires.
De manière similaire, l'entourage familial de Me Ber avait largement infléchi son
attitude à l'égard de sa santé après la survenue de sa rupture d'anévrysme cérébral,
l'ayant laissé avec une séquelle hémiparétique droite et des troubles mnésiques et
phasiques.
Si auparavant cet entourage observait leur proche retarder ses soins, s'automédiquer
et négliger tout suivi, malgré la présence de facteurs de risques cardio-vasculaires (âge,
tabagisme actif, surpoids, sédentarité), sans intervenir pour lui conseiller de ''se
soigner'' davantage, depuis que celle-ci avait comme acquis un véritable statut de
malade auprès de ses proches (en particulier ses fils), ceux-ci avaient une attitude
beaucoup plus vigilante envers sa santé, exerçant même de nombreuses pressions sur
elle pour qu'elle réalise un suivi médical complet et des soins réguliers.
De plus, les soins que ses fils la poussaient ainsi à observer étaient relatifs à sa maladie
invalidante, mais également à des pathologies ou des symptômes sans aucun rapport
avec sa rupture d'anévrysme (ils l'avaient ainsi par exemple poussé à aller consulter un
dentiste pour suivi, alors qu'auparavant ils n'avaient jamais fait pression sur elle pour
73
qu'elle aille consulter un professionnel, même quand elle avait connu des douleurs
dentaires).
* Le fait de connaître un handicap entravant sa capacité de travail semblait faire ''prendre
conscience'' (de manière tardive) tant aux patients atteints qu'aux membres de leur entourage,
de la gravité de leur état de santé et de la nécessité de soins médicaux réguliers et d'un suivi
médical.
Si les patients adeptes de l'Habitus minimaliste émettaient habituellement une certaine
désapprobation quant au fait de « trop s'écouter » c'est à dire de porter une attention jugée
trop soutenue à leurs symptômes, la vigilance portée à leur état de santé par les patients
inaptes eux-mêmes et/ou leur entourage était grandement améliorée (bien que
regrettablement tard) après la survenue d'une maladie entravant les capacités de travail.
* Un antécédent de maladie handicapante semblait ainsi fortement favoriser un changement de
pratiques des patients envers leur propre santé, dans le sens une meilleur observance des
traitements prescrits ainsi que d'un recours plus important et plus rapide aux soins médicaux,
au suivi médical et à la prévention (prévention non seulement secondaire et relative à la
maladie handicapante, mais aussi primaire et relative à d'autre pathologies sans rapport direct
avec la maladie initiale). Leur nouveau ''statut de malade'' semblait avoir ''autorisé'' les patients
concernés à « s'écouter » davantage et à prendre davantage soin de leur santé.
* Comme si l'inaptitude au travail évidente de leur proche leur avait fait prendre conscience de
la vulnérabilité de sa santé, les proches du patient inapte semblaient lui avoir accordé un
véritable statut de personne malade ou vulnérable. Ce statut semblait favoriser non seulement
une attention plus soutenue de leur part à sa santé, mais aussi l'expression envers lui d'une
certaine pression voire injonction à recourir aux soins médicaux.
74
G) Un habitus de santé différencié vis à vis des enfants :
1) Un recours aux soins plus rapide et facile pour les enfants :
Les patients, qui presque tous adoptaient l'habitus de santé minimaliste et de répression des
affects impliquant de retarder fréquemment leurs soins médicaux personnels (ou ceux de leurs
proches adultes - sauf après une maladie invalidante donc- ), déclaraient en revanche de manière
systématique et catégorique abandonner (ou au minimum infléchir très fortement) les pratiques
minimalistes lorsqu'il agissaient pour la santé de leur(s) enfant(s).
Ainsi, lorsqu'il s'agissait de la santé de leur(s) enfant(s), les patients recourraient beaucoup plus
facilement aux professionnels de santé.
Ils y recouraient soit systématiquement – sans quasiment aucune tentative de discerner ce qui
méritait ou non une consultation médicale rapide - soit en tentant de faire preuve de plus de
discernement.
Dans tous les cas, un principe d'extrême vigilance semblait s'imposer à tous les parents envers la
santé de leurs enfants.
2) Recours aux soins pédiatriques avec et sans discernement :
a) Le recours sans discernement :
Les déclarations suivantes des patients illustraient bien le fait que la plupart des patients précaires
interrogés recouraient rapidement aux professionnels de santé pour leur(s) enfant(s), mais encore
pour certains sans aucune tentative de discerner si la bénignité de l'affection en cause aurait pu
éviter cette consultation :
« -Donc votre fille à une fille.... Et votre fils a des enfants également ?
-Mon fils a deux filles, et...ma fille, la dernière, elle a deux p'tites filles aussi...
-Ça c'est la dernière... Est-ce que vous avez l'impression, que... les deux derniers, quand
leurs enfants sont malades...
-Oh ben y courent tout de suite chez l'médecin ! Alors là alors là c'est ! Ah oui ! Ah oui !
C'est même exagéré même ! Ah oui tout de suite !
-Même si par exemple leurs enfant faisait un peu de fièvre à peine 38 ?
-Oh !! Elle tousse un peu... Allez médecin ! Eux oui !
-Et la grande, avec sa fille...
-Elle la soigne.
-Elle attend un peu avant de l'emmener chez le médecin ?
-Non elle l'emmène, elle l'emmène.
-[...] mais est-ce que vous avez l'impression que, par exemple, quand sa fille tombe
75
malade, elle a tendance à essayer de la soigner un peu toute seule à la maison et à
attendre un peu avant de consulter le médecin ? Plus que vos autres enfants lorsqu'ils
soignent leurs enfants par exemple ?
-Non ! C'est pareil ! C'est pareil. Ah si elle va l'emmener. Elle va l'emmener.
-humm... d'accord, donc d'après ce que vous me dîtes, autant pour elle elle va retarder
les consultations et avoir tendance à ne pas se soigner, autant...
-Pour elle ! Pour elle. Elle ne veut pas se soigner ! Elle ne veut pas se soigner ! Mais
pour sa fille !... alors la oui, tout de suite ! Elle y va tout de suite... »
Mme E
Dans ses déclarations suivantes, Mme E rapportait la manière dont ses enfants se conduisaient
lorsque leurs propres enfants étaient malades. Si les enfants de Mme E retardaient beaucoup voire
renonçaient fréquemment à leurs soins personnels, il adoptait apparemment un recours beaucoup
plus rapide et quasi-systématique pour leurs enfants.
Il semblait même que dans ce recours aux médecins pour leurs enfants soit adopté par les patients
quelque fut alors la pathologie ou les signes cliniques affectant leur(s) enfant(s), y compris
d'apparence bénigne (fébricule, toux modeste et débutante).
Les déclarations suivantes de M. A, étaient encore plus informatives :
« Vous faisiez comment en général, si vous voyiez que votre fille [étant enfant] faisait
un peu de fièvre
-Oh ben je l'emmenais directement à l'hôpital
-tout de suite ?
-Ah ouais ah ouais,...
-Vous n'attendiez pas un ou deux jours en lui donnant d'abord un peu de paracétamol
par exemple..
-Ta ta ta ta...[il désapprouve]
-Non ? tout de suite tout de suite ?
-Ouais, non non tout de suite
-et... vous l'emmeniez.. chez le médecin ?
-à l'hôpital des enfants
-à l'hôpital d'enfants [au CHU] directement ?
-Ah ouais ! ah ouais...
-Mais...vous ne l'emmeniez pas voir le généraliste ?
-Non. Non. Ben quand elle était malade je l'emmenais directement en pédiatrie, [sur la
défensive] je m'en occupais de ma fille, c'est pas pareil [sous entendu : « que pour ma
santé »] »
M. A
Ici, il apparaissait, aussi nettement que dans le premier exemple cité, que M. A recourait à un
médecin précocement et quasi-systématiquement pour sa fille.
76
Précisons maintenant quelques éléments concernant les facteurs explicatifs potentiels du
comportement de M. A ayant pu être écartés par l'interrogatoire :
–
S'il reconnaissait que cela l'avait arrangé de ne pas avoir à avancer le règlement des
consultations aux urgences pédiatriques du CHU, il déclarait dans le même temps
que cela n'était pas la principale cause de son recours à des structures de ce type
pour sa fille
–
Le recours précoce de M. A ne semblait pas expliqué par sa perception d'une grande
vulnérabilité ni d'un état de santé particulièrement mauvais de son enfant.
–
M. A ne rapportait pas avoir de méfiance particulière vis à vis de la compétence de
son médecin généraliste en terme de soins pédiatriques
Nous devions alors souligner plusieurs éléments ressortant de l'habitus de santé de ce patient vis à
vis des soins de sa fille :
–
Son attitude de recours quasi-systématique aux soins médicaux, qui plus est
hospitalier et spécialisés laissait paraître qu'il en allait pour lui comme si, cherchant
ce qu'il y à avait de meilleur pour son enfant, cette ''prise en charge optimale''
devait nécessairement être hospitalière ou pédiatrique spécialisée.
–
En effet, la dernière déclaration du passage sus-cité : (« quand elle était malade je
l'emmenais directement en pédiatrie, je m'en occupais de ma fille, c'est pas pareil
[sous entendu : « que pour ma santé »] ») démontrait bien la représentation
cultivée par Mr B que la prise en charge optimale des problèmes de santé de sa fille
semblait être pour lui synonyme de recours à une structure de soins bénéficiant de
professionnels spécialisées en pédiatrie et d'un important plateau technique, tel le
service d'accueil des urgences pédiatriques du CHU.
–
Ceci démontrait également sa manière de percevoir la situation : il semblait en aller
en effet pour lui comme si, ne s'étant pas rendu aux urgences pédiatriques pour sa
fille, il aurait du considéré ne pas s'être correctement occupé de la santé de sa fille.
Ainsi on pouvait résumer les principales caractéristiques du recours de M. A pour sa fille comme
suit :
–
premièrement, ce recours à un professionnel de santé était rapide et quasisystématique
–
deuxièmement , il s'orientait préférentiellement vers une structure de soins bénéficiant
d'un personnel de santé sur-spécialisé et d'un plateau technique sur-équipé
relativement à la bénignité des pathologies généralement rencontrées par sa fille. Ce
fait semblait être dû à la représentation sous-jacente et erronée du patient que le
recours à ce type de structures médicales représentait en toutes circonstances le
77
moyen de la prise en charge optimale de la santé de sa fille.
–
Au total cette inadaptation du recours du patient à un professionnel de santé pour sa
fille, tant liée à son caractère quasi-systématique, qu'à l'inadaptation de la structure de
soins élue par lui constituait ce que nous pouvions qualifier de recours sans
discernement. Cette pratique s'apparentait ainsi à une forme de surmédicalisation des
soins en direction de sa fille, dont le patient ne semblait pas avoir conscience.
–
Par ailleurs, la forte défense de sa manière de faire par le patient semblait révélatrice
de la représentation sous-jacente qu'il cultivait au sujet de sa responsabilité parentale :
ne pas avoir emmené sa fille dans ce type de structure aurait visiblement été assimilé
par le patient au fait de ne pas se préoccuper et s'occuper correctement de la santé de
sa fille (comme sa déclaration émise sur un mode défensif : « je m'en occupais de ma
fille » semblait bien le mettre en évidence). Ainsi assumer correctement sa
responsabilité parentale semblait équivaloir pour ce patient au fait de recourir aux
soins médicaux sans tentative de discernement, rapidement et quasisystématiquement, quelque fut alors la gravité de l'état de santé de sa fille, qui plus
était assez souvent dans une structure de soin surmédicalisée au regard des pathologies
en cause.
–
Au delà de ces éléments ressortant de la représentation des structures de soins et de
son rôle parental cultivées par le patient, le manque de discernement dans le recours
aux soins pédiatriques de M. A semblait aussi partiellement lié à un manque de
connaissance et de compétence en santé du patient (déficit de capital culturel), ainsi
qu'à un manque d'assurance personnelle du patient au sujet de sa capacité à faire face
en autonomie aux problèmes de santé de sa fille.
b) Le recours avec discernement :
Certains patients, plus rares dans notre échantillon, déclaraient tenter de différer ou d'éviter un
recours aux soins y compris lorsque c'était la santé de leur enfant qui était en jeu.
Cela étant, les conditions qu'ils respectaient étaient alors à la fois clairement définies et
scrupuleusement suivies : c'était si et seulement si ils avaient identifié la maladie de leur enfant
comme bénigne de manière quasi-certaine, et que le danger d'une évolution défavorable mettant
sérieusement en jeu l'état de santé de leur enfant était perçu comme totalement absent.
C'est ce dernier type de recours au médecin un peu moins systématique et faisant état d'une
compétence apparemment un peu plus grande des parents dans la gestion des soins de santé de
leur enfants, que nous avons nommé le recours avec discernement.
Les déclarations suivantes de M. et Mme F illustraient bien ces différents points :
« Donc désormais, quand il [leur fils de 4 ans] tombe malade, vous l'emmenez
immédiatement ou systématiquement chez le médecin ?
78
Mme F -Ben non heu quand même. J’essaye, enfin on essaye de voir déjà ce qu'il a.
Déjà s'il a de la fièvre, s'il à une rhino, parce que la rhino maintenant on connaît, ou des
fois une gastro s'il a la diarrhée là alors on essaie déjà de lui donner ce qu'y faut [Mr
Cor acquiesce par un hochement de tête]
-Vous lui donnez quoi alors ? Vous faites comment ? Et quand est ce que vous vous dites
qu'il faut peut-être aller consulter le médecin
-Ben disons que si on voit qu'il a la rhino déjà on lui fait les lavages de nez, il aime pas
ça mais il se mouche pas encore, donc on lui dit mais il se mouche pas bien. Donc après
si on voit que ça traîne qu'il tousse trop qu'il fait beaucoup de fièvre...
-Vous lui donnez des médicaments ?
M. F -Doliprane. Pis si admettons il nous fait de la diarrhée on lui donne du riz, des
carottes...
Mme F - On a déjà tout un stock de boites de Doliprane donc on lui en donne un peu...
Après si il a 40° de fièvre là je dis pas on y va [...]
-Et si ça traîne comme vous disiez, vous attendez combien de temps en général, enfin
j'imagine que ça dépend de la maladie aussi peut-être ?
M. F -Ça dépend, ça dépend...
Mme F - si ça traîne par exemple qu'il mouche deux-trois jours que la fièvre part pas là
on y va
-Et si vous n'êtes pas sure de ceux qu'il a
Mme F- Je vais chez le médecin
M. F- Ah ben non mais si on ne sait pas ce qu'il a, ça c'est pour les p'tits rhumes
-Oui les rhumes, les bobos ? S'il se fait une plaie par exemple ?
Mme F -Voilà mais sinon on attend pas. Si je ne sais pas ce qu'il a on l'emmène. Par
exemple s'il a des boutons, parce qu'une fois il nous a fait des boutons partout sur le
visage [...] alors là j'ai pas attendu, je l'ai emmené direct »
M. et Mme F
On pouvait bien voir ici la manière dont ce jeune couple tentait de discerner par eux même ce qui
était bénin et ce qui nécessitait une consultation médicale d'emblée.
De plus, on pouvait bien lire que si la pathologie en cause n'était pas identifiée par eux comme
bénigne de manière certaine, il n'hésitaient pas à consulter d'emblée leur médecin généraliste.
Ainsi, ce type de recours avec discernement semblait dépendant de l'existence d'une certaine
compétence médicale des patients et de leur assurance dans leur capacité à identifier de manière
fiable ces situations bénignes et dénuées de risque, et à gérer en autonomie les soins de leurs
enfants dans ce cas.
A ce sujet on pouvait noter que, pour tenter d'identifier la maladie en cause et son caractère bénin
ou malin (et fournir ainsi un diagnostic ''profane'' mais utile et pratique), les patients se référaient
à ce qu'un médecin (le plus souvent leur médecin traitant) leur avait auparavant communiqué
comme diagnostic lors d'épisodes antérieurs, ou encore aux conseil de leur entourage (mères des
deux parents notamment, perçues comme expérimentées et compétentes en la matière).
Enfin, lorsque la maladie en cause était bénigne de manière certaine, les patients recouraient à
une automédication allopathique ayant recours aux traitement simples et déjà prescrits par leur
79
médecin traitant antérieurement à leurs enfant pour une affection identique.
Il ajoutaient facilement des mesures hygiéno-diététiques reçues de source sûre pour eux (encore
une fois un médecin consulté auparavant et le plus souvent leur médecin traitant, et également
souvent le pharmacien) telles que : l'apport de boisson supplémentaire en cas de diarrhée ou de
fièvre, le déshabillage de leur enfant en cas de fièvre, l'apport d'une alimentation riche en
féculents et pauvre en laitages en cas de diarrhées.
Dans certains cas toutefois, les mesures ainsi retenues par les patients suite à une consultation
antérieure auprès de leur médecin les conduisaient à entreprendre des mesures inadaptées ( M.
et Mme F nous avaient ainsi déclaré avoir plusieurs fois recouru à un bain d'eau froide pour lutter
contre la fièvre, mesure autrefois promue par le corps médical, mais désormais reconnue inutile
voire dangereuse).
Enfin, si ces patients n'étaient pas certains de la bénignité de l'affection en cause ou de son
évolution ils consultaient alors tout de même, aussi précocement que systématiquement.
3) Au delà de la vulnérabilité infantile perçue, la défense de sa responsabilité
parentale :
a) Perception de la vulnérabilité infantile :
Si certains parents nous ont déclaré plus ou moins fortement considérer (ou avoir considéré dans
le passé, et surtout lorsque ceux ci étaient nourrisson) leur enfant comme particulièrement
vulnérable au plan de leur santé, en réalité, passé l'âge de deux ans, la plupart des patients ne
percevaient pas la santé de leur(s) enfant(s) comme étant beaucoup plus fragile que celle d'un
adulte.
Mme E, par exemple, déclarait avoir considéré une de ces fille née prématurée comme
particulièrement vulnérable, en particulier lorsque celle-ci était encore nourrisson. C'était surtout
après que sa fille ait été touchée par un asthme du nourrisson (ayant nécessité plusieurs
hospitalisations service pédiatrique) qu'elle avait logiquement acquis cette représentation.
Cependant, en cherchant à déterminer si la conduite sanitaire de Me Pi avec cet enfant avait été
très différente de celle qu'elle avait pu adopter vis à vis de ses autres enfants nous nous sommes
aperçu qu'il n'en était pas allé ainsi.
En effet, pour soigner ses enfants, Mme E déclarait avoir rapidement recouru de manière générale
aux professionnels de santé. Si elle déclarait avoir été un peu plus angoissée au sujet de sa fille née
prématurée, essentiellement avant ses deux ou trois ans, elle n'indiquait pas avoir adopté de
pratiques particulièrement différente avec ses deux autres filles, qui elles, n'avaient pas connu
autant de problèmes de santé étant nourrisson.
Au contraire, elle faisait état de pratiques similaires à celle déjà décrites pour l'ensemble des
80
parents interrogés et répertoriée ci dessus (grande vigilance, recours précoce et quasisystématique aux soins médicaux)
D'autres patients, tout en déclarant avoir déjà été davantage angoissés à une période de leur vie
par la santé d'un de leur enfant ayant connu des affections plus sévère que les autres, ne
déclaraient cependant pas, à l'image de Mme E, de différences majeures dans leurs manières de
procéder (ou d'avoir procéder dans le passé) à l'égard de leurs autres enfants.
Ainsi, au-delà de la perception et de la représentation d'un de leurs enfants comme plus
vulnérable que les autres sur un plan médical (représentation souvent acquise suite à des épisodes
de maladies plus sévère ayant touché l'enfant en question) les patients ne déclaraient pas pour
autant avoir adopté de pratiques très différentes dans la prise en charge de la santé de leurs
différents enfants.
Au contraire, lorsqu'ils déclaraient leur manière de prendre en charge la santé de leur différents
enfants en général, les parents interrogés déclaraient avec force, comme s'il en allait pour eux
d'une question d'honneur, qu'ils avaient toujours et systématiquement surveillé avec une grande
vigilance l'état de santé de leurs différents enfants.
b) ''Soigner avec vigilance ses enfants pour être un parent digne'' :
Les déclarations suivantes des patients illustraient bien la manière dont les patients interrogés se
défendaient souvent avec force d'avoir adopté un habitus minimaliste à l'égard de la santé de leurs
enfants :
« -Et lorsque votre fille était malade, par exemple qu'elle avait une bonne grippe ou
une otite, vous attendiez un peu avant de la soigniez ou...
-Je consultais. Non non je consultais
-Tout de suite ? Vous...
-Tout de suite. Non non, pour ça mes enfants...
-Vous n'essayiez jamais de temporiser un peu, en leur donnant des tisanes ou du
doliprane par exemple...
-Non quand même ! Ah ça non mes filles je me suis toujours occupé d'elles […] »
Mme E
-Mais...vous ne l'emmeniez pas voir le généraliste ?
-Non. Non. Ben quand elle était malade je l'emmenais directement en pédiatrie, [sur la
défensive] je m'en occupais de ma fille, c'est pas pareil [sous entendu : « que pour ma
santé »] »
M. A
Ces deux déclarations étaient très similaires. Plusieurs autres issus de nos différents entretiens
81
allaient dans le même sens. On pouvait noter plusieurs éléments :
–
Les patients mettaient visiblement un poing d'honneur à exposer le fait qu'ils avaient
toujours agi avec une extrême précaution et vigilance vis à vis de la santé de leurs
enfants
–
Leur attachement à affirmer leurs conduites de santé plus vigilantes et précautionneuse
pour leurs enfants se lisait bien dans la force et la répétition de leur déclarations à ce
sujet (on pouvait bien lire la vivacité et la force avec laquelle Mme E présentait par
exemple sa manière de procéder vis à vis de la santé de ses filles :« je consultais »
répété deux fois avec force, « Tout de suite » repris à notre question et présenté
comme un impératif exécuté automatiquement par elle)
–
Avoir adopté d'autres pratiques de santé pour leurs enfants (en particulier plus légères)
ne semblait pas envisageable pour les patients. Il aurait en particulier été considéré par
eux comme une preuve d'indignité parentale que d'avoir pris le moindre risque pour la
santé de leurs enfants, alors même qu'ils s'adonnaient fréquemment pour eux même à
des pratiques beaucoup moins vigilantes et prenaient ainsi régulièrement des risques
pour leur santé propre.
–
Ceci renvoyait aux valeurs propres et représentations des patients qui n'auraient
apparemment pas toléré de retarder les soins de leur enfant, ni même d'adopter des
pratiques de soins plus ''légères'' lorsque objectivement ces conduites étaient ''surmédicalisées'', ces conduites étant synonyme pour eux de négligence voire de carence
de soins. Cela renvoyait aussi aux connaissances et compétences des patients en la
matière, ainsi qu'à leur propre confiance en leurs capacités de gestion autonome.
–
Ceci laissait apparaître la représentation sous-jacente cultivée par les patients selon
laquelle être digne de sa responsabilité parentale passait nécessairement par l'adoption
de pratiques d’extrême vigilance et précaution vis à vis de l'état de santé de leur enfant,
même si pour cela le risque était de quelquefois consulter avec excès ou bien recourir à
des soins trop spécialisés au regard de la bénignité de certaines affections en cause.
–
Cela étant, il n'était rien moins sur que la conduite ''sans discernement'' soit spécifique
des patients précaires, tant il semble que de manière générale la responsabilité
parentale et l'attachement à ses enfants puisse logiquement faire adopter des
pratiques de soins très rapprochées et quelquefois sur-médicalisées par anxiété et pour
''ne pas prendre le moins risque''. Ainsi de ce point de vue les patients précaires
adopteraient en réalité des pratiques de soins rapides et faciles pour leurs enfants qui
tout en dénotant bien avec les pratiques en directions de leur santé personnelle,
seraient ainsi liées à la responsabilité et aux facteurs psycho-affectifs rencontrés en
réalité chez tout parent responsable. On peut uniquement raisonnablement penser que
le recours sans discernement était plus fréquent en raison de différents facteurs (déficit
relatif de capital culturel, manque de confiance en ses capacités/en soi entravant la
prise en charge avec plus de discernement) chez ces patients.
82
Les patients adoptaient en général un recours beaucoup plus facile et rapide aux soins médicaux pour
leurs enfants que pour eux-mêmes. Ce recours semblait se réaliser sans discernement chez certains
patients, ou au contraire de manière plus raisonnée et renseignée chez d'autres.
Lorsque le retour se faisait sans discernement il amenait à consulter de manière inadapté certains
professionnels spécialisés ou certaines structures de soins à fort plateau technique pour des affections
bénignes ayant pu être pris en charge auprès d'un médecin généraliste en médecine de ville. Le manque
de discernement semblait partiellement lié à un manque de connaissance et de compétence en santé
des patients, ainsi qu'à un manque d'assurance personnelle dans leur capacité à faire face de manière
autonome aux problèmes de santé de leur(s) enfant(s).
Certains parents interrogés, plus rares dans notre échantillon, tentaient de discerner par eux-mêmes les
affections bénignes, qu'ils tentaient d'abord de prendre en charge eux-mêmes, et celles qui nécessitaient
une prise en charge médicale d'emblée. Ces patients qui recourraient ainsi avec discernement pour leur
enfant semblaient le faire selon leur expérience personnelle (expérience d'éducation d'autres enfants ;
cas de maladies bénignes et similaires déjà vécus et gérés par eux-mêmes auparavant, ou alors par un
médecin dans les cas précédents). Ils administraient alors à leur enfant des traitements allopathiques et
des mesures hygiéno-diététiques déjà éprouvées et conseillées par leur médecin.
Cela étant, dans tous les cas, au moindre doute concernant la bénignité de l'affection en cause ou son
évolution, tous les parents consultaient immédiatement un médecin. Certains signes et symptômes
interprétés par eux comme des signes d'alarmes (et médicalement assez pertinents tels que la
prolongation dune fièvre ou la non amélioration d'une virose après deux à trois jours, ou encore
l'existence d'une fièvre importante et/ou de boutons d'emblée) leur indiquait de suivre cette voie.
Aussi, qu'ils soient adeptes d'un recours avec ou sans tentative de discernement, tous les parents
interrogés sans exception semblaient cependant suivre un principe essentiel pour eux d'extrême
vigilance et d'extrême précaution à l'égard de la santé de leur(s) enfant(s)
S'il percevaient quelquefois l'état de santé de leur(d'un de leurs) enfant(s) comme particulièrement
vulnérable (ce qui était peu le cas après l'âge de deux ou trois ans dans notre échantillon où les enfants
des patients n'avaient la plupart du temps pas connu de lourds problème de santé), les patients ne
semblaient pas avoir réservé ces pratiques de vigilance et de recours facile à leurs seuls enfants perçus
comme vulnérables, mais bien à tous leurs enfants.
Ces pratiques contrastaient donc avec leurs pratiques de gestion de leur santé propre.
Il n'est cependant rien moins sur que la conduite ''sans discernement'' soit spécifique des patients
précaires, tant il semble que de manière générale la responsabilité parentale et l'attachement à ses
enfants puisse logiquement faire adopter des pratiques de soins très rapprochées et quelquefois surmédicalisées par anxiété et pour ''ne pas prendre le moins risque''. On peut uniquement
raisonnablement penser que le recours sans discernement était plus fréquent chez les patients
interrogés en partie en raison de différents facteurs : déficit relatif de capital culturel, manque de
confiance en ses capacités à gérer la maladie.
Les difficultés budgétaires semblaient aussi en jeu. Elles faisaient ainsi parfois recourir aux services
hospitalier et d'urgence pour des pathologies qui n'en relevaient pas parce qu'il n y avait pas d'avance de
frais en milieu hospitalier.
83
H) Un déficit de capital culturel favorisant le non-recours aux soins et la non
identification des pathologies :
Un certain déficit de capital culturel semblait aussi, à coté des autres facteurs déjà exposé,
expliquer les manières de faire et les représentation des patients. Ceci semblait favoriser en
particulier, la faible propension à l'introspection et à la verbalisation, autant que les difficultés de
discernement entre signaux corporels désagréables mais normaux et signes annonciateurs d'une
pathologie sous-jacente. Ainsi, dans les déclarations suivantes de plusieurs patients, la faiblesse
relative de connaissance, de vocabulaire ou de compétence médicale spécifique était clairement
visible :
« votre cancer de l'utérus, il s'est manifesté comment ?
-Ça s'est manifesté que je... je perdais du sang en permanence, tout le temps. Et j'étais
extrêmement fatiguée... mais moi j'allais pas au médecin par contre ! Ah non ! J'allais
au médecin pour mes médicaments quoi, pour mes médicaments puisqu'y me fallait
des médicaments pour la dépression, la thyroïde donc, et l'hypertension, parce que
j'fais d'la tension... Mais je lui ai jamais dit au médecin que j'faisais ça ! Et un jour heu...
voyiez, c'est...c'est mon mari qui m'a sauvé la vie ! Mais il est mort deux ans après...
-Pourquoi vous ne lui disiez pas ?
-Parce que je... j'pensai que c'était ma ménopause moi ! C'était pas... j'ai dit « bon ben
tu as cinquante ans, tu es en ménopause quoi, c'est tout ! Mais quand mon mari a dit
heu... il a dit au médecin est ce que c'est normal qu'elle perde abondamment tout le
temps tout le temps tout le temps du sang comme ça? » Il [son généraliste] m'a
regardé il m'a dit : « mais vous m'avez jamais dit ça ! »[...] Eh ben y m'a dit « moi, dès
demain vous allez voir la gynécologue, à Toulouse, vous partez, vous... vous y allez... Et
puis là... Là eh ben y m'ont fait une biopsie […]»
Mme E
Ici, on pouvait noter que la patiente déclarait avoir longtemps pensé que la ménopause se
manifestait de manière normale chez elle par des métroragies continues, ce qui semblait réveler
un certain manque de connaissance spécifique en santé. Il fallait cependant relativiser ce type
d'explications au regard de de la peur voire du déni de la maladie que la patiente semblait aussi
rencontrer.
Autre exemple, lorsque Mme C évoquait le décès de ses grands-parents, tout comme lorsqu'elle
détaillait ses antécédents médicaux, son approche de la physiopathologie du corps humain et de la
maladie se faisait selon un modèle mécanique. Le fonctionnement d'une machine et son usure
étaient visiblement le modèle implicite auquel elle se référait pour traiter du corps et de la
maladie, ce qui se retrouvait jusque dans le vocabulaire utilisé :
"-Lorsque vos grands-parents sont décédés, diriez-vous que c'était à cause de leur
maladie?
-Non, ils sont morts de vieillesse, le coeur a laché chez ma grand-mère, parce qu'à force
elle fatiguait aussi de ses jambes, et puis aussi à cause de l'âge... et puis le grand-père
il s'est endormi comme ça chez lui, il est mort pendant son sommeil... on peut dire qu'il
est mort de vieillesse. Ma grand-mère, ils l'ont envoyé à l'hopital, ils ont essayé de la
84
soigner, mais bon c'était déjà trop tard, elle a fait une crise cardiaque, le coeur a laché."
et à propos de ses antécédents médicaux:
"A l'épaule j'ai eu des becs de perroquet, c'est de l'usure quoi, c'est à force de porter
des charges, c'est le travail.... et puis là en ce moment c'est le genou qui est usé [en
tenant son genou gauche]"
ou encore :
"- si je me tordais un doigt, je ne m'arrêtais pas [...] Dans le dos aussi, j'ai les vertèbres
qui se démontent aussi assez souvent, j'ai la colonne qui s'est déviée"
La référence et le vocabulaire mécanique utilisés par la patiente marquaient ici une certaine
absence de connaissance précise et de vocabulaire ressortant du champ de la physiologie et de la
médecine. Quelquefois l'idée générale et sous-jacente de la patente n'était pas globalement
fausse, comme lorsqu'elle assimilait usure et arthrose, ce qui était bien globalement conforme à la
réalité30. Cependant, à d'autres moments les explications qu'elle était en mesure de fournir,
comme lorsqu'elle relatait le décès de ses grands-parents, étaient clairement simplistes et peu
renseignées.
Dans la déclaration suivante, M. A nous faisait part quant à lui de sa philosophie en santé, et de
son absence de connaissance spécifique, tout comme de volonté d'en savoir plus sur le sujet:
« -Donc si je résume, au long de votre vie, avant que vous ayez eu votre problème
d'AVC et votre gros problème de pancréas, vous n'avez pas spécialement eu
l'impression de faire attention à votre santé ?
-Pfooou... [son visage semble exprimer une forme de fierté et d'ironie tandis qu'il lève
les yeux au ciel]. Vous savez ça c'est comme une voiture : tant qu'elle marche faut pas
ouvrir le capot ! [il rit] Tant que ça marche, faut pas chercher à comprendre ! »
M. A
Ces propos étaient suffisament éloquents pour ne pas avoir à les commenter davantage. Ajoutons
seulement que le choix du patient de la comparaison de son corps à une voiture pour illustrer sa
règle de non-implication et de non entretien était elle-même totalement inexacte d'un point de
vue théorique (une voiture doit en effet bien s'entretenir au long cours) ce qui en révélait
beaucoup sur le déficit de capital culturel général de ce patient, au delà du seul déficit de capital
culturel spécifique en santé.
30 Nous pensons également qu'une partie de l'explication à cet usage de la comparaison mécanique reposait aussi sans
doute dans l'usage utilitariste du corps qui prévalait pour Mme C (utilisant son corps comme une ''machine'' ou un outil
de travail ) – cf supra
85
Si cela n'était pas le cas de tous les patients rencontrés, un certain déficit de capital culturel
semblait à l'oeuvre chez de nombreux patients interrogés, qui se laissait appréhender en
particulier lorsque les patients tentaient d'expliquer leurs antécédents médicaux (ou ceux de
leurs proches). Ce decifit de capital culturel semblait favoriser la non-identification par les
patients de certains de leurs signes et symptomes comme pathologiques. En conséquence, il
favorisait visiblement leur sous-estimation de la morbidité les affectant.
Si certains patients utilisaient parfois des termes médicaux pour désigner les maladies, sans
toujours bien les appréhender, ceux qui utilisaient du vocabulaire totalement aspécifique et
éloigné du domaine de la santé semblaient révéler ainsi une ignorance encore plus grande en
santé et leur manque de compétence spécifique en santé. Ce point semble important à garder
en tête pour réaliser un diagnostic éducatif lors de la prise en charge des patients .
Le deficit culturel semblait également aboutir pour certains patients à un détournement voire à
un désintérêt franc et explicite vis à vis de la poursuite personnelle de connaissances médicales,
démarche visiblement jugée par certains comme trop coûteuse (en temps et/ou en efforts
intellectuels), peu accessible pour eux et/ou sans grand interêt pratique (ou d'un intêret trop
faible en regard de l'effort exigé par cet exercice). Aussi, il rendait apparament peu probable
une auto-formation des patients par leurs propres moyens. Ceci soulignait au total l'importance
de le fonction informative/éducative en santé des généralistes et plus largement des réseaux
d'information et d'éducation thérapeutique (gestion de la maladie)/éducation à la santé
(prévention).
86
I) La transmission familiale de l'habitus corporel et de santé :
1) Des parents adeptes de l'habitus de santé minimaliste :
Lorsque nous les interrogions sur la gestion de leur corps et de leur santé à laquelle leurs parents
ou leurs famille proche s'adonnaient, la plupart des patients vantaient la force de caractère et la
résistance physique des membres de leur famille :
« Ma maman est très solide. Elle a 80 heu ça lui fait 85 ans elle conduit encore elle
marche sans béquilles sans rien
-Elle conduit encore ?
-Ah oui oui ! Elle fait son jardin et tout. Elle s'est faite opérer des deux genoux, d'une
hanche et d'une hernie discale. Mais elle va bien elle est en pleine forme et tout […] Ben
disons que papa lui non, on l'a jamais vu malade lui, c'était un roc ! Il était, c'était une
montagne...
-Mais est ce qu'il n'était vraiment jamais jamais malade ou bien est ce c'est plutôt qu'il
l'était dès fois et qu'il y faisait pas attention ?
-Ah il montrait pas ! Non... Et on m'a toujours dit que si ça trouve il était malade bien
plus avant... du pancréas, mais ça se trouve il montrait pas je pense [Il est décédé d'un
pseudo-kyste pancréatique infecté]. Parce qu'il était comme ça il était dur. Pis c'était
une montagne en plus il mesurait 1 mètre 95, pis il pesait 110 kilos.
-Et il était costaud ?
-Ah oui oui ! Il prenait des sacs d'engrais de 50 kilos sous chaque bras et y s'en allait
hein...
-Ah oui...
- [il répète] cinquante kilos sous chaque bras pis y s'en allait ouais, ou trois sur le dos pi
y partait !
Oh non c'était... il était dur[...]
-Et votre maman elle était costaud physiquement aussi ?
-Oh...non
-Elle avait pas ni une forte taille ou un fort poids ?
-non
-Par contre vous avez l'air de dire qu'elle était résistante aussi ?
-Ah oui ben maman elle est résistante hein !... Elle se plaint jamais maman
-Si y avait eu la grippe ou une grosse bronchite...par exemple pendant votre enfance est
ce que vous vous rappelez ?....
-Oh ben oui comme tout le monde
-Donc par exemple si elle avait une forte grippe ou une bronchite ou une autre maladie
de ce genre comment ça se passait, elle... est ce que du coup elle restait allongée...?
-Ah non non non ! Jamais ! Elle prenait un sirop un truc elle allait bosser ! Non jamais !
Ah ben maman c'est .. elle est dure hein.[...] Ma grand-mère elle habitait avec nous [ …]
-Elle se plaignait d'avoir mal quelque part ?
-Non
-Et vous pensez quelle avait peut-être mal quelque part ?
-Oh oui elle était... [il frappe deux coups secs du poing sur la table pour joindre le geste
87
à la parole], oui c'était... c'était du roc ! »
M. A
«Au boulot, il a eu un bloc de pierre qui lui est tombé dans le dos [il était ouvrier dans
une carrière de pierre] […] Là c'était sur la fin donc il a été opéré, il a été opéré du dos
avec une plaque heu une plaque en ferraille dans le dos là je sais pas comment qu'on
appelle ça […] Ah ben ça a tout cassé les trucs enfin c'est les les disques. Les disques y
z'ont tous sauté, enfin ça a été... ça a été terrible […] La nuit des fois il hurlait au début,
je l'entendais hurler.Ben là il a carrément été passé en invalidité là […] C'était en 88, en
88 parce que je me souviens, j'étais enceinte de Charlène, et ben mon père faisait du
jardin, il avait un jardin ! Donc c'est mon père et moi qui avons été arracher les patates,
et heu il avait mis ça dans une caisse de vigne, vous savez les caisses métalliques là, et
on l'a soulevé tous les deux, moi enceinte jusqu'aux yeux, et lui avec sa barre dans le
dos : il en a réussi à plier sa barre ! Il a été obligé de se faire réopérer. En urgence.
-Oh là là !.C'était après son accident de travail ?
-Ouais
-et il bossait encore dans les champs ?
-Ouais
-alors qu'il était en invalidité ?
-ouais... Il a plié la barre, ça je m'en souviendrais toujours, j'me souviens bien de ce
détail »
Mme G
A l'image des déclarations citées ici, presque toutes les déclarations des patients relatives au
rapport qu'entretenaient leurs parents à leur corps et à la manière dont il appréhendaient leurs
soins de santé faisait état d'une culture familiale de recours modeste aux soins médicaux, de
répression des affects physiques et psychiques, de rapport utilitariste et intensif de son corps,
d'attachement à l'autonomie dans les soins.
2) Une référence omniprésente aux pratiques de santé parentales :
Toujours actuellement, les patients semblaient se référer fortement à la manière dont pensaient et
agissaient les membres de leur famille et au premier chef leurs parents lorsqu'ils avaient vécu à
leurs cotés :
« -Mais pourquoi, je veux dire comment vous expliquez avoir réagit comme ça ? Et
pourquoi vous faites toujours comme ça avec votre santé ?
-[elle soupire]... Parce que je suis comme ça... je suis pas douillette [avec fierté], et puis,
j'attends la dernière minute. J'ai l'impression que je me plaindrai un peu si j'y allai
comme ça... Puis voilà, je suis comme ça, j'ai toujours été un peu comme ça, comme ma
mère : ma mère a toujours été comme ça, il fallait que ça marche... et puis on se plaint
pas! [elle rit]
-C'est un peu... “marche ou crève!” ?
-Oui voila! [elle rit] C'est exactement ça! On a toujours été comme ça, c'est ... [comme
si elle devait faire amende honorable devant le représentant du corps médical que je
représente tout de même sans doute à ses yeux] C'est une bêtise!... mais bon...
88
-Donc c'est essentiellement des habitudes de famille?
-Oui, oui. Et puis je suis un peu dure aussi, parce que maman me le dit quand je suis
dure.
-Vous êtes dure?... Vous êtes resistante à la douleur?
-Oui je résiste à la douleur,
-Et les autres personnes de votre famille c'était pareil?
-Oui c'était pareil
- Les autres personnes qui vous entourent ici, les voisins... tout le monde réagit un peu
comme ça ici?
-Oh oui, enfin non ... c'est sur y en a qui se plaignent quand même... mais bon, moi
j'étais comme ça. J'ai été élevée à la dure! [elle rit]
-Est-ce qu'un médecin, au cours de votre vie, vous a déjà fait une reflexion pour vous
dire ou vous faire comprendre que vous ne deviez pas vous plaindre?
-Non non non, ça s'est depuis toujours, c'est de famille
-Au contraire, il [le médecin] vous a dit plutôt l'inverse?
-Oui! [avec une expression d'acquiescement franc en hochant la tête de haut en bas,
suivie de rires]
-Alors comment vous l'expliquez? Le fait que pour autant, vous n'avez pas changé vos
habitudes?
-Pas du tout! J'y vais toujours très tard!
-Même après votre brulûre! même après votre épaule!
-Non je n'ai pas changé du tout, non. Il n'y à vraiment que quand je peux plus du tout
tenir, que j'y vais. Mais autrement...
-Parce que...?
-Non je veux pas changer c'est comme ça quoi!... C'est dur [...]»
Mme C
Nous citons ces déclarations explicites de Mme C, mais les déclarations similaires d'autres patients
étaient très nombreuses.
On pouvait ainsi s'apercevoir que la valorisation des pratiques de santé minimalistes,
l'attachement et la préférence des patients pour ce style de vie se comprenait en référence à leur
histoire personnelle et familiale, et à la culture familiale corporelle et de santé transmise entre les
générations.
3) Des conditions de vie des parents :
On pouvait voir que l'habitus de santé des parents des patients avait, lui aussi, le plus souvent été
forgé par eux dans des conditions socio-économiques de vie difficiles (en cela paraissant similaires
à, sinon quelquefois plus rudes encore que celles de leurs enfants) :
"-Et quand votre maman était malade, qu'elle avait une forte grippe ou une forte fièvre
par exemple, le reste de votre famille se tenait à son chevet? Ils faisaient quoi? Votre
grand-mère par exemple, elle réagissait comment?
-Ils étaient durs, la grand-mère était quand même assez dure, elle était pas facile, il
fallait pas trop se plaindre
89
-Et quand elle était malade elle même, comment réagissait votre grand-mère?
-Ben, elle aimait bien qu'on s'occupe d'elle quand même, mais faut bien dire qu'elle ne
se plaignait pas beaucoup, elle était assez dure, elle avait de l'angine de poitrine au
coeur, mais c'était comme ça ils étaient durs [elle rit]..
-Comment expliquez-vous qu'ils réagissaient comme ça? Ils auraient pu faire
autrement?
-C'était déjà qu'il y avait pas de mutuelle, avec le médecin à payer et les médicaments,
et puis... ben ma mère si elle travaillait c'était bien mais si elle travaillait pas c'était
plus bien... Il fallait faire tourner la ferme, c'était surtout ça."
Mme C
Les conditions de vie des parents des patients semblaient ainsi avoir été fortement marquées soit
par la privation (pour quelques uns) soit tout au moins par une franche austérité (pour tous), où la
frugalité ou privation pouvait affecter aussi bien les domaines financiers, matériels (dont
quelquefois alimentaires), la couverture maladie, le temps pour les loisirs (souvent quasiinexistants) etc. C'était aussi la nécessité de s'engager intensément et incessamment dans des
activités productives professionnelles ou domestiques qui caractérisait le mode de vie de presque
tous les parents des patients interrogés.
Ce contexte de vie semblait expliquer en grande partie l'existence de la culture utilitariste du corps
et de recours minimaliste aux soins. Elle semblait aussi expliquer cette part de la culture que
constitue la morale (ou l'éthique), ici ascétique, que les parents des patients semblaient cultiver, et
illustré ici par l'impératif suivi par sa mère, et à sa suite par Me R : « il fallait pas trop se plaindre».
Au-delà des contraintes objectives de vie connues par les patients interrogés, leur attachement
et préférence pour ce style de pratique de santé et de vie se comprenait en référence à leur
histoire et culture familiale.
La culture, le style de vie et les conduites de santé étaient en grande partie héritée de leurs
parents et ancêtres. L'intériorisation et la reproduction des manières de penser et d'agir
observées durant leur vie passée aux cotés de leurs proches avait influencé les patients.
Les pratiques de santé des parents ou ancêtres, leurs représentations et préférences semblaient
avoir elles-mêmes été fortement déterminées par des conditions de vie précaires et des
obstacles aux soins. La culture des patients (culture, éthique de vie) avait intégré ces contraintes
de vie, ces obstacles aux soins, et s'était modelée sous leur influence ; mais elle finissait
apparemment par agir de manière autonome comme frein au recours (phénomène de ''cercle
vicieux'' déjà décrit pour les patients interrogés).
90
J) Éthique et Habitus de santé :
Au fur et à mesure de nos entretiens, les références morales ou éthiques des patients nous sont
apparues comme conditionnant largement l'adoption par eux d'un style de vie général, et de
pratiques de corporelles et sanitaires en particulier.
1) La transmission familiale d'un code de conduite éthique :
Au delà du seul champ corporel et de santé, les pratiques de vie transmises entre les générations
semblaient se rapporter bien plus largement à la manière de conduire sa vie en général, soit à une
éthique de vie générale.
On pouvait bien lire dans les déclarations suivantes de M. D, la force physique et mentale de sa
mère, ainsi que la grande valorisation de cette qualité opérée par le patient. Au-delà de cet aspect,
on pouvait bien lire les valeurs de courage et de combativité face aux difficultés de vie,
d'investissement dans le travail et dans l'éducation de ses enfants, ainsi que d'autonomie et de
responsabilité parentale et individuelle (Mme D élevait alors seule ses enfants) dont paraissait
avoir fait preuve sa mère, et que le patient valorisait au plus haut point dans ces déclarations :
« - [à Mme D] Et si par exemple vous aviez besoin d'un arrêt de travail ou de repos ?
[Son fils répond à sa place]
M. D -Mais même quand ça allait pas quand on lui demandait, elle, elle allait quand
même au travail ! Son travail elle le prenait à cœur ! Et elle le faisait jusqu'au bout ! [la
mère acquiesce]. Pour ça, ma mère, ça je m'en rappelle, elle faisait son travail jusqu'au
bout ! Elle avait des nerfs d'acier! Même si elle avait des douleurs tout... Même si était
alcoolique à l'époque ! Ben ouais faut dire ce qui est maman, eh ben son travail elle le
prenait à cœur, elle le faisait jusqu'au bout ! Et ça j'suis fier de ma mère pour ça ! Elle a
toujours assuré ! Notr' mère elle nous a initié à … un peu à … l'éducation à la dure
quoi... un peu comme à son époque dans sa jeunesse. Comme sa mère l'a élevé ! Eh
ben elle nous a élevé à peu près pareil... »
M. D
et :
« -Ma mère elle était chef, donc elle avait un bon poste, et du jour au lendemain elle a
fait une rupture d'anévrysme, du coup elle est handicapée maintenant...[...] elle s'est
évanouie, elle a fait la rupture d'anévrysme... donc tout, la moitié de son corps a été
paralysé. Comme ma copine ! Ma copine, sa mère elle a fait le même truc que ma
mère. Mais elle sa mère par contre quand elle s'est réveillée, deux heures après... [il
s'interrompt en regardant sa mère avant de reprendre] faut le supporter hein ! Quand
on se réveille et comme ça faut le supporter ! Ben elle elle s'est réveillé comme ça deux
heures après elle en est morte. Ça l'a tellement stressé d'être paralysée et tout comme
ça qu'elle en est morte. C'est pour ça que je dis à ma mère : elle est solide elle est forte !
[il regarde sa mère] Maman ! Tu t'es relevée ! Tu t'es relevée de tout ça ! T'es une
guerrière maman oh ! Tu nous as pas laissé tombé ! C'est là ou j'ai envie de te dire que
t'étais très forte ! »
M. D
91
Dans les déclarations suivantes de deux patientes, on pouvait noter la grande valorisation opérée
par celles-ci et leur grand attachement déclaré au sujet des pratiques éthiques de leurs parents
(telles que l'investissement dans le travail et dans l'éducation de ses enfants, l'attachement à sa
responsabilité individuelle et à son autonomie).
On pouvait aussi bien lire la référence omniprésente des patientes à l'éthique de vie générale de
leurs parents lorsqu'elles-mêmes conduisaient désormais leur vie actuellement. Ces éléments
plaidaient en faveur de l'hypothèse d'une forte transmission familiale des valeurs morales et de
l'éthique de vie entre les générations comme déterminant important du style de vie et des
comportements de santé :
« il [son père] travaillait beaucoup pour s'occuper de moi a tout fait pour moi […] mon
père, il a toujours été là pour moi ».
Mme B
« Mon père nous disait souvent quand on mangeait, il nous disait souvent : « vous
voyez ben au moins vous avez à manger » il disait : « vous mangez trois fois par jour
alors estimez vous heureux » … ben il avait raison ! Alors se dire... que mes parents ont
toujours fait ça pour moi [...] ne pas pouvoir leur donner ce que mes parents m'ont
toujours donné ! Ça, ça fait mal...»
Mme G
2) Des valeurs cardinales - travail, autonomie et responsabilité individuelle,
responsabilité parentale :
a) La valeur-travail :
i) La forte valorisation du travail :
Presque tous les patients nous ont déclaré un fort sinon un très fort attachement, souvent même
un véritable amour de leur travail, et même du travail en général :
« -Le travail vous plaît ?
-Oui ! [franc et catégorique] ça m'évade ! […]
-par rapport au travail en lui même, il y à des points noirs ?
-Non il me plaît ! c'est vrai que d'aider ces personnes là, qui ont besoin d'être aidé, ça
m'aide à … à me sentir mieux en quelque sorte Pis ça m'évade un peu. Ça m'aide
mentalement »
« -Et le travail de façon générale, ça n'a pas impacté sur votre santé ?
-Non ! [franc et catégorique]. Au contraire, travailler pour moi, ça aide à vivre. C'est
physiquement et pis c'est... rester enfermé, je pourrai pas. Quand je vois y en a des
femmes... rester à la maison, je pourrais pas... je deviendrai folle hein »
Mme B
92
«-Pour ça veut dire quoi : « réussir sa vie » ?
-Réussir sa vie c'est essayer de garder son mari jusqu'au bout ce qui n'a pas été mon
cas, avoir un bon travail, et... des enfants en bonne santé
-Le travail c'est quelque chose qui revient souvent dans vos propos...
-C'est primordial, c'est primordial, c'est vital même, c'est vital »
Mme G
« -Ah j'aimais ça! Je … Moi c'est un truc ça, j'explosai dans le commerce j'étais, c'était
mon élément. […] j'aimais ça, m'occuper des clients et pis, les conseiller, gérer les
stocks...»
« -Je travaillai dans la fabrication des pièces métallique, pour les machines de chantier
[…] Ah oui ça me plaisais... j'aimais bien ça mais bon maintenant pff [il fait référence
avec dépit aux séquelles de son AVC qui l'ont rendu inapte à son ancien poste de
travail »]
M. A
Nous ne rapportons pas ici toutes les déclarations des patients qui presque tous nous ont ainsi
déclaré leur attachement et leur goût pour leur métier passé ou actuel, même quand les
conditions de ce travail semblaient pourtant difficiles notamment physiquement, ou impliquaient
des tâches répétitives et paraissant difficiles à endurer.
ii) Le travail comme valeur en soi ou comme moyen privilégié de l'autonomie ?
Par définition, les patients précaires connaissaient une vulnérabilité et une incertitude sociale.
Cette incertitude touchait bien évidemment la plupart du temps et entre autres éléments, les
aspects financiers et/ou matériels de leur situation.
Or, la plupart des personnes précaires interrogées avait pour source de revenus principale (et
souvent unique) celle liée à leur travail. Le travail ou la recherche d'un travail représentait pour
cette raison le moyen privilégié par beaucoup de ces patients pour gagner leur vie et tenter
d'endiguer la précarité, mais aussi d'entretenir leur famille, soit de leur autonomie financière et
matérielle :
«-Le travail c'est quelque chose qui revient souvent dans vos propos...
-C'est primordial, c'est primordial, c'est vital même, c'est vital.Déjà pour gagner sa vie
-Pour gagner sa vie... pour être autonome ?
-c'est ça, être autonome,surtout aujourd'hui que je suis toute seule »
Ainsi, si le travail était fortement valorisé par de nombreux patients précaires interrogés qui s'y
adonnaient régulièrement, au point de sembler parfois représenter pour eux une valeur en soi, il
reste que celui-ci semblait en réalité prendre pleinement et entièrement sa valeur auprès de ces
patients en tant qu'il constituait pour eux le moyen essentiel de gagner sa vie, d'endiguer la
précarité, et d'assumer ainsi sa responsabilité individuelle et parentale de manière autonome.
Aussi, par-delà la valeur-travail, les valeurs auxquelles les patients semblaient encore davantage
93
attachées faisaient jour.
b) autonomie et responsabilité individuelle :
Les patients se présentaient souvent explicitement ou plus en creux dans leurs déclarations,
comme fortement attachés à leur responsabilité individuelle et à leur autonomie :
« -J'ai une politique c'est heu, quoiqu'on fasse dans la vie on fait nos choix. Mais par
contre il faut savoir se battre. Et j'ai toujours été une battante
-Vous pensez qu'on est responsable de sa situation ?
-Oui. Je vous dis pour moi...
-Tout, complètement ?
-Oui »
Par delà certaines déclarations (dont celle-ci était la plus explicite), les patients démontraient
surtout leur attachement à ces valeurs par la manière, rapportée par eux, dont ils menait leur vie
et tentait de subvenir autant que possible à leur besoins de tous types, et surtout financiers et
matériels, par des voies autonomes et responsables (dont à ce titre leur travail individuel comme
nous l'avons vu). Cette autonomie dans la gestion de leur quotidien, et leur image en tant que
personne responsable était menacée par la précarité 31. Les patients s'y attachait pourtant avec
force.
c) responsabilité parentale :
Ne pas être financièrement autonome, ne pas pouvoir fournir à ses enfants de quoi vivre,
s'alimenter se vêtir etc correctement et sans l'aide d'autrui, conduisait les patients à se dévaloriser,
et à se percevoir comme des parents irresponsables voire indignes :
« Quand vous y allez [au restaurant du cœur], vous... Vous sentez que vous êtes, vous
vous demandez comment vous avez pu... tomber si bas quoi. Je vous dis mes parents
ont toujours tout fait pour nous. Mon père nous disait souvent quand on mangeait, il
nous disait souvent : « vous voyez ben au moins vous avez à manger » il disait : « vous
mangez trois fois par jour alors estimez vous heureux » … ben il avait raison ! Alors se
dire... que mes parents ont toujours fait ça pour moi et de ne pas être capable de faire
ça, je veux dire ne pas être capable de donner trois fois par jour à manger à mes
enfants, c'est ça qu'est terrible... De pas pouvoir leur dire comme mon père me disait,
de ne pas pouvoir leur donner ce que mes parents m'ont toujours donné ! Ça, ça fait
mal... c'est ça qui est le plus dur »
Ainsi, les patients entendaient essentiellement leur responsabilité parentale comme la capacité à
subvenir aux besoins affectifs et sanitaires, mais aussi matériels et financiers élémentaires de leurs
enfants, et ce sans avoir à s'en référer à l'aide d'autrui, ce qui était humiliant pour eux. S'ils ne
réussissaient pas dans cette entreprise de vie ils se percevaient alors comme des parents
irresponsables voire indignes.
31 Cf Partie V - Résultats complémentaires : les rapports des patients aux aides sociales à la couverture maladie.
94
Les conduites de santé des patients précaires ne semblaient pouvoir se comprendre pleinement,
que par la référence à une éthique de vie plus générale. En particulier la quête prioritaire des
moyens de l'autonomie et de la responsabilité individuelle comme moyen ''de la vie bonne'' et
digne sur un plan éthique, semblait aussi conditionner les pratiques de santé (préférence pour
l'automédication - évitement des consultations perçues comme entrave à la quête d'autonomie
et la lutte contre la précarité etc).
De manière générale, les préoccupations et occupations des patients étaient d'autant plus
tendus vers la quête de cette autonomie, que celle -ci était dans le même temps menacée au
quotidien par la précarité.
Ces valeurs éthiques semblaient en grande partie héritées familialement de leurs proches
parents. Elles semblaient s'être forgées, chez les patients et leur proches, sous l'influence de
leurs conditions de vie matérielles (ayant par exemple inclus certaines pratiques et valeurs –
telle la valeur-travail - sous les coups des nécessités matérielles), démontrant bien que toute
séparation franche entre culture et conditions de vie objectives n'était que théorique, tout
comme celle entre style de vie général et comportements de santé.
Cela étant, bien qu'apparemment important, ces déterminants culturels ne devaient pas
éclipser les déterminants matériels et psycho-sociaux des comportements de santé et du style
de vie général empruntés par les patients précaires (conditions de vie, obstacles aux soins) car
ces derniers nous sont apparus du début à la fin de nos entretiens comme les plus importants
en terme d'influence.
Prendre tous ces éléments en considération aura nécessairement un impact sur la prise en
charge des patients précaires. En particulier, une prise en charge globale compréhensive,
informative et éducative en santé aura nécessairement à prendre en compte les
représentations, croyances et préférences, la culture des patients, mais aussi leur cadre de vie et
leur contexte de vie socio-environnemental.
95
K) Obstacles géographiques à l'accès aux soins et défaut de couverture par
l'assurance-maladie : Les obstacles objectifs aux recours aux soins :
Parmi les patients interrogés, tous sans exception déclaraient avoir renoncé de manière répétée à
des soins médicaux en raison de leurs conditions socio-économiques, financières, matérielles de
vie. Ce type de renoncement aux soins était causé par la présence d'obstacles extérieurs à la
volonté et aux préférences des patients ou encore ''objectifs'' en ce sens (versus subjectifs/psychoculturels pour les précédents). Ces obstacles leur barraient l'accès aux soins lorsqu'ils ressentaient
la nécessité. Ils étaient de nature financière et plus rarement géographique aux soins.
Parce qu'il aurait été difficile de ne pas faire état de contraintes aussi fréquemment rencontrées
qu' importantes dans la vie des patients pour expliquer leur non-recours aux soins, nous ne
pouvions faire l'impasse sur l'exposé de ces obstacles à l'accès aux soins. Cependant, étant par
définition indépendants des représentations et des caractéristiques psycho-culturelles des
patients, ces obstacles objectifs aux soins étaient aussi ceux pour lequel on gagnait le moins en
explication lorsque nous utilisions la méthode compréhensive. Enfin, ces facteurs externes étaient
les plus évidents, étaient déjà connus, largement étudiés et documentés par les études
quantitatives en épidémiologie notamment [1,25]. Pour toutes ces raisons, malgré une importante
influence sur les conduites de recours des patients (probablement la première cause de nonrecours [25]) nous nous contenterons ici de dresser brièvement une typologie des différents types
d'obstacles objectifs aux soins en cause, à partir des faits présentés par les patients eux-mêmes,
sans entrer dans leurs détails.
1) Les obstacles géographiques :
Pour Mme H, on pouvait voir l'impact des obstacles géographiques, qui agissait souvent en
synergie avec d'autres facteurs matériels et financiers toutefois (tels l'absence de voiture
personnelle et les dépassements d'honoraires demandés par certains spécialistes) :
Malgré la situation sociale (de précarité limitée-score EPICES à 33/100) et les
dispositions internes relativement favorables de Mme H à l'adoption de pratiques de
santé ''normales'' , celle-ci connaissait de grandes difficultés à recourir actuellement à
certains soins. Elle déclarait en ce sens s'être privée récemment de soins
ophtalmologiques et de prothèses optiques essentiellement à cause du prix de celle-ci,
des dépassements d'honoraires liés à ceux-là et non remboursés par sa mutuelle, et de
la distance géographique. En effet Mme H n'avait pas le permis de conduire et devait
demander à des voisins de l'emmener, le trajet faisant 80 kilomètres aller-retour. De
plus, il n'y avait pas de gare ferroviaire dans son village ni à moins de 15km, tandis que
les transports par autobus publics à destination de Dijon (grande ville la plus proche où
exercent les spécialistes recherchés) partaient une seule fois par jour aux alentours de
six heures et demi du matin, pour un retour vers dix-huit heures).
Elle déclarait également ne pas recourir au dentiste autant qu'elle le jugeait pourtant
nécessaire, surtout lorsque des douleurs dentaires la touchaient. Elle expliquait ainsi au
sujet du dentiste le plus proche (sur place dans sa ville) : « [Il] vous prend avec deux
96
mois de délai alors que c'est une urgence ». En conséquence elle souhaitait aller
consulter un autre dentiste lorsque ses douleurs revenaient, mais il ne s'en trouvait pas
d'autre dans un périmètre géographique acceptable pour elle.
2) Les obstacles liés aux défauts de couverture des soins par l'assurance-maladie :
a) Dépassements d'honoraires médicaux:
Le non-recours/retardement de soins était souvent liés aux dépassements d'honoraires demandés
par certains professionnels de santé, et non pris en charge par l'assurance-maladie. Ces situations
étaient très dans les déclarations. des enquêtés. Il concernaient au premier chef le recours aux
médecins spécialistes : ophtalmologues, cardiologues, chirurgiens essentiellement. En revanche,
nous n'avons pas eu de déclarations des patients faisant état de dépassements d'honoraires de la
part des médecins généralistes consultés par eux.
b) soins et dispositifs médicaux non pris en charge par l'assurance maladie :
M. A déclarait avoir renoncé à faire un devis pour des prothèses dentaires en raison de leur prix et
de leur non-remboursement, bien qu'il soit bénéficiaire de la CMU-C. En conséquence, il avait
renoncé à faire réaliser une ablation de toutes ses dents très atteintes pour se faire appareiller par
des prothèses dentaires, ce qui serait pourtant le traitement le plus indiqué selon son dentiste et ce
qui était aussi sa préférence. Ne pouvant pas se payer cet appareillage, il avait opté pour une
extraction de ses dents les plus atteintes et les plus douloureuses, et la conservation de ses dents
les moins atteintes et les moins douloureuses (cependant jugées initialement suffisamment
atteintes par son dentiste pour qu'il pose l'indication théorique de leur extraction), tout en sachant
bien qu'à terme il garderait une gêne esthétique et fonctionnelle.
Ainsi, comme dans de l'exemple M. A, un renoncement lié aux soins et dispositifs médicaux non
remboursés était fréquemment retrouvé dans les déclarations des patients. Les soins et dispositifs
médicaux au sujet desquels les enquêtés déclaraient avoir renoncé étaient essentiellement les
soins dentaires et d'orthodontie, les prothèses dentaires, les prothèses optiques, les prothèses
auditives, certains traitement locaux et soins dermatologiques non remboursés , des traitements
déremboursés par l'assurance maladie (anti-arthrosiques, sirops antitussifs).
c) Refus de réaliser le tiers-payant social de la part des professionnels de santé :
M. A avait subit des refus de tiers payant à répétition, y compris dans les centres de soins publics.
Chaque fois qu'il avait bénéficié d'un examen ou d'une consultation spécialisée en cabinet médical
ou en clinique privé il n'avait jamais bénéficié du tiers payant-social (ni sur la part obligatoire, ni
sur la part complémentaire du prix des soins), même lorsque quelquefois il l'avait réclamé, au titre
de son ALD. Si au moment de notre entrevue, la situation financière de M.A était légèrement plus
favorable qu'auparavant, et qu'elle lui permettait désormais d'avancer la somme demandée pour
ses examens, il avait eu tendance à repousser la date de ses examens pour réunir la somme lors
des périodes les plus difficiles pour lui financièrement.
97
d) Absence de tiers-payant réalisable sur la part complémentaire des soins:
Un autre cas de figure, rencontré une seule fois lors de nos entretiens, était celui que Mme B nous
avait soumis : un renoncement aux soins, y compris aux consultations auprès de son médecin
généraliste, en raison de l'absence d'avance de frais concernant la part complémentaire des soins.
En effet, son médecin lui faisait bénéficier du tiers-payant social, mais il restait tout de même 6,90
euros à avancer à chaque consultation, ce qui était actuellement pour elle un entreprise
compliquée.
Un ensemble d'obstacles géographiques ou financiers variés s'associaient fréquemment dans la
trajectoire de santé des patients. Ces obstacles objectifs aux soins étaient retrouvé dans les
déclarations de tous les patients interrogés sans exception, y compris ceux dont le degré de
précarité (mesuré par le score EPICES) était plus faible.
Ce renoncement portait sur des soins qu'avec un regard médical, on ne pouvait
qu'exceptionnellement qualifier de soins ''de confort'', mais concernait au contraire presque
toujours des soins essentiels au regard de l'importance médicale, fonctionnelle et psychologique
des pathologies et des fonctions (organiques et sociales) en jeu. Ils entretenaient les patients
dans l'angoisse de ne pas pouvoir se soigner eux-même ou leurs enfants et finissaient parfois
par démoraliser les patients au point de leur donner une image négative des médecins et de
l'institution médicale, qui les éloignait encore davantage des soins.
98
PARTIE III : LE RAPPORT COMPLEXE DES PATIENTS PRECAIRES A
LEUR SANTE
I) Forte affirmation de la préférence pour des soins minimalistes...
Les pratiques de santé de type ''minimalistes'' des patients et leur fréquent renoncement aux soins
étaient adoptés ''de force et de gré'': certains obstacles externes étaient responsables de barrières
objectives aux soins médicaux, tandis qu'un certains nombre de facteurs culturels, psychologiques,
psycho-sociaux, et relatifs à l'histoire personnelle et familiale des patients (facteurs dits ''internes''
ou ''subjectifs'', dépendant en partie de la volonté des patients) orientaient également les
perceptions et pratiques des acteurs.
De plus, les pratiques de santé dans lesquelles ils s'engageaient, les patients précaires attendaient
non seulement certains bénéfices matériels
mais encore d'autres bénéfices moraux,
psychologiques, et relationnels. Ainsi si elles les avantageaient dans leur lutte contre la précarité
matérielle et financière (du moins à court terme), ces pratiques de soins modestes, cette
répression des affects physiques et psychiques, et le renoncement aux soins permettaient
également aux patients de mieux remplir leur rôles sociaux jugés prioritaires (rôle professionnel,
rôle parental, acteur social autonome et responsable de soi) ainsi que d'être en phase avec un
système de valeurs partagé avec le groupe social/familial d'origine et valorisant fortement la force
de caractère, la résistance dans l'adversité, les logiques de ''débrouille'' sociale et de pratiques de
santé autonomes.
II)…Contre ambivalence, insatisfaction, et aspirations plus ambitieuses
en santé :
Présenté uniquement sous cet angle, le tableau sociologique serait non seulement trop optimiste,
mais encore trop grossier, voire caricatural. En effet, si très souvent, les patients défendaient
fièrement leur pratiques de santé et étaient souvent désireux de ne pas laisser apparaître leurs
arrière-pensées ambivalence ou insatisfactions, de tels sentiments n'en étaient pas pour autant
inexistants chez eux... loin s'en fallait. Ainsi, parallèlement à leur défense de conduites
minimalistes, et de manière en apparence paradoxale, les patients témoignaient fréquemment de
la valeur qu'ils accordaient à leur santé.
«-Pour ça veut dire quoi : « réussir sa vie » ?
-Réussir sa vie sa vie c'est réussir sa vie de couple, réussir à faire grandir ces enfants.
Etre bien sur ses pieds, mentalement, physiquement [...]
-Et pour vous ça représenterait quoi :''être en parfaite santé'' ?
-C'est déjà être bien dans sa tête, parce que comme je vous disais, quand on est pas
bien dans sa tête, je trouve qu'après, on est mal partout. […] vraiment être sur ses
pieds mentalement, surtout mentalement garder le moral pour faire face, pour se
battre... après tant qu'on va bien dans la tête hein »
Mme B
99
« Réussir sa vie c'est essayer de garder son mari jusqu'au bout ce qui n'a pas été mon
cas, avoir un bon travail, et... des enfants en bonne santé et pis...être aussi en bonne
santé soi-même[...]
-Et qu'est ce que ça serait pour vous, ''être ne parfaite santé'' :
-c'est avoir mal nulle part, avoir la pêche, avoir le moral. C'est déjà pas mal. »
Mme E
Les expressions telles que la litote : « c'est déjà pas mal », ou encore « après tant qu'on va bien
dans sa tête [sous entendu tout ira mieux] », et les réponses des patients à la question cherchant à
explorer ce que représentait pour eux une vie réussie (« être bien sur ses pieds moralement,
physiquement », « avoir la santé » et « avoir des enfants en bonne santé ») illustraient bien le fait
que la santé n'était pas seulement pour les patients un instrument au service de la lutte contre la
précarité, mais semblait aussi représenter pour eux une certaine valeur en soi.
De plus, de nombreux propos des patients démontraient aussi bien qu'ils cultivaient en réalité des
ambitions plus importantes en santé que le seul état de santé minimaliste et fonctionnel. En
particulier, il cultivaient certaines aspirations en direction de pratiques hygiéno-diététiques et de
recours aux soins plus ''saines'' et ambitieuses que leur précédentes déclarations ne pouvaient
initialement le laisser penser, en prévention notamment :
« faut que j'arrête [de fumer]»
Mme G
« en ce moment, je trouve que ma santé est négligée, et même celle de mes enfants,
je...c'est négligé... ça ne va pas ! »
Mme B
Mais lorsqu'ils exposaient ainsi leurs ambitions plus grandes en santé et la valeur qu'ils accordaient
à la santé en général, les patients exposaient alors fréquemment dans le même temps leur
ambivalence voire leur franche insatisfaction au sujet de leurs propres habitudes de vie, de gestion
de leur santé, par rapport à leur état de santé, et également aux obstacles objectifs qui se
dressaient face à eux lorsqu'ils auraient voulu consulter, modifier leurs habitudes de vie, mais que
leur quotidien s'y opposait. C'était enfin aussi leurs sentiments d'impuissance et de désarroi qui se
laissaient alors lire, malgré la volonté sus-exposée de se montrer « dur », et de « ne pas top
s'écouter » de manière générale :
« -Ce serait quoi pour vous "être en parfaite santé"?
-[elle commence une énumération rapide] Pas avoir de maladie, pas avoir besoin de
prendre dé médicaments, être en forme, ne pas avoir de problèmes... de soucis. De
soucis de boulot, de soucis... d'avoir quelq'un à soigner... de soucis d'argent, de soucis
de voiture...[...]
-Mais les principaux freins à votre santé pour vous c'est...?
-C'est le temps et le travail, voilà qui... qui nous bouffe. Et puis les soucis... parce que les
soucis... ça fait que je mange plus, je grignote, et je mange des cochonneries[...]»MmeC
« Voilà! […] J'ai trop de soucis, j'ai trop de problèmes, de chômage, d'argent, de heu...
Martin, pour heu je veus dire avec mon fils, qui n'a pas de boulot […] Là je cherche pour
être assistante maternelle, parce que je voudrais retravailler seulement je ne trouve
100
pas […] quand je travaillerai, quand ça ira mieux là, on verra, peut-être que j'arriverai à
me dire : « faut que j'arrête [de fumer]» mais là pour le moment c'est pas possible, j'en
suis incapable»
Mme G
« en ce moment, je trouve que ma santé est négligée, et même celle de mes enfants,
je...c'est négligé... ça ne va pas ! Je vous dis : y à tellement de choses là qui se passent
que j'aimerai bien aller voir le médecin, mais je ne peux pas... »
Mme B
Une première explication à ses déclarations d'apparence paradoxales des patients pouvait résider
dans un ressenti par les patients de conflits de valeurs et d'injonctions contradictoires : injonctions
sociale et familiale à travailler ''dur'', nécessité objective de lutter contre la précarité en toute
circonstances, mais en parallèle injonction médicale et sociale à prendre soin de sa santé et à ne
pas trop ''forcer'' sur l'utilisation de son corps. Injonctions à gérer de manière autonome sa santé,
favorisant une forme de non-recours aux soins médicaux au profit de l'automédication, avec en
parallèle des ''rappels à l'ordre'' paternalistes de la part des professionnels 32 à posteriori lorsque
l'entreprise de gestion autonome a échoué par manque de moyens et de
connaissances/compétences spécifiques en santé. Les patients retiraient apparemment
fréquemment de ces situations des sentiments de malaise voire de souffrance psychologique et
d'impuissance.
Comme nous l'avons déjà exposé, si les patients n'exprimaient que peu leurs insatisfactions,
regrets et états-d'âmes, cela était en grande partie (et hors de la pudeur), du au fait que bien
souvent ils ne s'autorisaient pas à reconnaître leurs émotions et pensées de ce type, ni à les
exprimer, car leur environnement tant matériel que social, aussi bien que leur tendance
psychologique répressive les enjoignait bien davantage à refouler leurs affects négatifs pour
préserver leur combativité («il faut se battre »). Cependant, baissant quelquefois leur garde et
s'autorisant à une expression plus intime, ou à d'autres instants carrément débordés par leurs
émotions, les patients finissaient tout de même par livrer d'autres considérations et sentiments
personnels.
Les patients semblaient aussi en réalité présenter comme ''choisies'' ou ''préférées'' par eux, des
pratiques de soins et de recours en réalité subies en raison des obstacles objectifs aux soins qu'ils
rencontraient et de leur conditions de vie. En effet, avouer à autrui comme se rappeler à soi-même
sa condition sociale pauvre, et son impuissance partielle ''à s'en sortir par soi-même'' leur
paraissait visiblement honteux33. Ainsi appréhendé sous cet angle, les déclarations sur la
préférence pour un habitus minimaliste seraient en réalité à relier, au moins en partie aux
obstacles objectifs aux soins et à une stratégie de défense psychologique des patients face aux
sentiments de honte et d'impuissance que leur situation sociale générait chez eux :
« -Ce matin, je me suis renfermé sur moi-même, avec mon fils on s'est même disputé
par rapport à ça, parce que voilà, j'y arrive plus, j'ai été obligé de lui pleurer un paquet
de cigarettes, mais c'est mon fils qui m'a aidé. Parce que mon fils a été travailler ce
32 Ceci est développé dans notre partie relative à la relation des patients précaires avec les médecins Cf partie suivante
33 Notamment suite aux expériences de vie traumatisantes psychologiquement, liées au recours aux aides sociales, à
l'assistance sociale et aux différentes expériences de vie où ils avaient pu se sentir stigmatisés et discriminés en
raison de leur position sociale ; expériences que nous relatons essentiellement dans notre partie traitant du rapport
des patients aux aides sociales, et dans celle relative aux rapports entre patients précaires et médecins. Cf Partie V Résultats complémentaires : les rapports des patients aux aides sociales à la couverture maladie.
101
week-end dans un mariage, il a gagné deux cent euros, il m'a donné soixante euros,
pour acheter à manger et pour acheter des cigarettes... et je trouve pas ça normal
que... c'est mon fils qui m'aide à dix-huit ans. Lui aussi il a des besoins. Et pis c'est à moi de lui
payer le médecin. Enfin c'est pas à lui de payer son toubib. Le pauvre, je le vois, faut le voir,
parce que là en plus on est en pleine campagne, il éternue, il tousse il racle, il a les yeux
rouges... et moi je suis impuissante à coté.[...] Je pourrai lui donner de l'argent, lui dire « va
chez le médecin tu le payes » mais non, c'est ça qui me bouffe...[...] Je lui demande si il peut
attendre... Voilà. Enfin maintenant il a rendez-vous demain matin à onze heures ! normalement
j'aurai reçu mes sous et... voilà je lui paierai son médecin [...]
- et vous, pour vous …
-Ben je vous dis pour moi c'est la... c'est honteux !... parce que je peux pas emmener mon fils
chez le médecin pour qu'il ait son traitement...[long silence] »
Mme B
Ainsi, le rapport entretenu par les patients à leur santé et à leurs habitudes de santé paraissait plus
complexe qu'initialement présenté. En particulier, si la préférence des patients pour des soins
minimalistes était très fortement présente dans les déclarations des patients, d'autres nombreuses
laissaient apparaître qu'ils étaient en réalité souvent ambivalents, voire franchement insatisfaits de leur
état de santé, de leurs habitudes de vie et de santé. Certains propos démontraient bien que la santé était
tout de même une valeur en soi pour ces patients, et que viser un meilleur état de santé était tout de
même un objectif important pour nombre d'entre eux. Par exemple de nombreux patients exprimaient
conjointement des aspirations en direction de pratiques hygiéno-diététiques et de recours aux soins plus
''saines'' et ambitieuses, (plus préventives notamment) et déclaraient conjointement des sentiments de
désarroi et d'impuissance face à l'ensemble des obstacles objectifs (conditions de vie, obstacles aux
soins) qui s'y opposaient.
Ceci conduisait logiquement à se méfier des déclarations faciles des patients au sujet d'explications par
la préférence pour des soins minimalistes, qui pouvaient aussi masquer une inhibition des patients à se
déclarer limités dans leurs actions, parce qu'un tel aveu les renvoyaient à la honte générée par leur
condition sociale basse et au sentiment d'impuissance relative que leur situation sociale générait chez
eux. Une part des déclarations liés à la préférence pour les soins minimalistes semblait alors à
interpréter en terme de ''déclarations cache-misère'' ou comme autant de rationalisations à posteriori
de leurs conduites minimalistes en santé, adoptés sous les coups de la nécessité, mais présentées de
manière excessive comme préférées et choisies. D'après ces résultats, il semblait au total raisonnable de
relativiser l'influence des aspects socio-culturel reliés à l'Habitus (Habitus au sens sociologique de culture
née des conditions de vie sociales) des patients précaires sur leur sous-recours aux soins et leurs
conduites de santé minimalistes. Au total, une explication ''mixte'' des pratiques de santé des patients
précaires, intégrant à la fois l'effet limitant direct des conditions de vie très contraintes des patients
(probablement comme facteur d'influence prépondérant), mais aussi l'effet associé, et ainsi relativisé
d'un Habitus socio-culturel de préférence pour les soins minimalistes en santé semblait devoir s'imposer.
Enfin, l'ambivalence était un sentiment présent chez les patients, qui paraissait à explorer avec eux en
consultation, notamment pour les accompagner vers certains changements comportementaux (adoption
de conduite de santé plus ''saines'', préventives notamment). Cela étant cette ambivalence ne semblait à
explorer avec les patients que dans la mesure où on saurait leur proposer des objectifs réalistes, gradués,
et acceptables pour eux (notamment au regard de l'ensemble des obstacles aux changements de
pratiques que leurs conditions de vie socio-environementales leur opposaient de manière générale) et
dans la mesure où on leur proposerait conjointement un accompagnement sociale et une approche
102
prenant en compte de manière globale les aspect non seulement bio-médicaux mais aussi
psychologiques et sociaux de leur santé et de leur existence.
PARTIE IV L'ADOPTION DE PRATIQUES PLUS PROCHES DES
STANDARDS MEDICAUX ET L'ACQUISITION PROGRESSIVE D'UNE
COMPÉTENCE ''MÉDICALE'' EN SANTÉ :
I) Évolution de l'Habitus corporel et de santé des patients précaires :
Dans nos deux parties précédentes, après avoir décrit en détail l'habitus corporel et de santé des
patients précaires interrogés, nous avons exposé comment cet habitus semblait forgé sous
l'influence conjointe de leurs conditions de vie matérielles, financières, professionnelles mais aussi
sociales et psycho-sociales, familiales et culturelles. Nous avons exposés ensuite comment
l'attachement déclaré des patients à leur habitus de santé minimaliste, devait apparemment
nécessairement se comprendre en partie en raison d'un attachement réel, et en partie aussi en
raison de stratégies de défenses psychologiques et rhétoriques des patients face au sentiments de
honte et d'impuissance que leur situation sociale générait pour eux. Ceci faisait relativiser
l'influence de l'explication des conduites de santé par l'Habitus (au sens de préférence/culture),
sans toutefois lui ôter sa portée explicative pour nombre de situations où il semblait réellement
impliqué.
Aussi, dans un grand nombre de cas les patients nous déclaraient leur attachement conjoint à la
valeur-santé (de manière en apparence paradoxale mais pouvant s'expliquer par ce biais – comme
par les conflits de valeurs qui semblaient les habiter, et aux injonctions paradoxales auxquelles ils
semblaient soumis), et semblaient entretenir certains objectifs plus ambitieux en santé, qui se
heurtaient alors la force des déterminants socio-économiques et à une certaine inertie culturelle
tout de même présente.
Mais, même si la force conjointe des déterminismes socio-économiques et de l'inertie culturelle
ainsi décrite semblait importante, les perceptions, représentations et conduites de santé des
patients pouvaient évoluer au long de leur vie. Ainsi, il existait tout de même un aspect
dynamique/évolutif des manières de voir et d'agir en santé adoptées par les patients, soit de leur
Habitus en santé. En particulier, les patients acquéraient et modifiaient progressivement leurs
connaissances et compétences en santé, et beaucoup acquéraient progressivement des
représentations et logiques de gestion de leur santé plus proches de standards promus par la
médecine et le corps médical (logique de gestion ''médicale'' contre ''profane/traditionnelle'' et
minimaliste précédemment décrite).
Comme nous l'avons exposé, la plupart du temps la transmission et l'acquisition de compétences
en soins profanes ou ''traditionnels'' s'était faite pour les patients par l'intermédiaire de l'éducation
familiale et de la socialisation enfantine dans leur milieu social d'origine. L'acquisition d'une
compétence de type ''médicale'' semblait quant à elle, s'être progressivement réalisée
essentiellement sous l'influence de la fréquentation de professionnels de santé au long de leur vie
(consultations pour eux-mêmes ou un proche).
103
De manière semblant significative, quoique toutefois moins forte que le contact direct avec les
professionnels de santé, c'était l'apport des campagnes publiques de promotion de la santé, et
celui, dans une moindre mesure encore des informations médicales vulgarisées dans les médias et
la presse d'information grand public, qui étaient les autres sources privilégiées d'information et
d'éducation en santé pour les patients interrogés. Enfin pour seulement quelques uns c'était une
formation professionnelle ou une formation de secouriste qui leur avait permis d'acquérir ces
éléments médicaux (cas particuliers34).
Nous avons précédemment longuement vu que de nombreux facteurs allant des conditions socioéconomiques ou culturelles et psycho-sociales de vie des patients ne favorisaient pas leur recours
aux soins médicaux et aux professionnels de santé. Tous ces éléments représentaient autant
d'obstacles à la rencontre avec les professionnels de santé, et donc à la transmission d'information
et l'éducation en santé. Cependant, lorsqu'ils recourraient, le ''parcours d'obstacle'' des patients
précaires n'était pas terminé, car ils se trouvaient alors en face d'autres difficultés, ressortant cette
fois de la relation-médecin-malade dans tous ses aspects.
ENCADRE : Suivi des dépistages de maladies graves par les patients précaires:
On observait chez de nombreux patients, à coté de pratiques de santé minimalistes, un suivi
tout de même conséquent d'examens de dépistages ou de suivi concernant des maladies
asymptomatiques ou peu symptomatiques. Cela concernait en particulier les examens de
dépistage du cancer du sein, du colon, et des facteurs de risque cardiovasculaires
(hypertension artérielle, dyslipidémie, diabète) et dans une moindre mesure, du col de
l'utérus.
Motivations au dépistage déclarées par les patients :
Les explications avancées par les patients lorsque nous leur demandions les raisons les
motivant à recourir ainsi aux examens de dépistage ou de suivi étaient : la gravité perçue de
ces maladies et la gravité potentielle à ne pas adopter de suivi (ou de dépistage) pour ses
maladies, ainsi que le risque estimé par eux de développer la maladie. Une seule patiente
ajoutait que ces examens pouvaient avoir un bénéfice, notamment s'ils conduisaient à un
traitement précoce, et n'étaient pas perçus comme si contraignants au regard du bénéfice
attendu. Cette patiente évoquait également les progrès récents des traitements, notamment
en oncologie. Tous ces éléments ressortaient des connaissances théoriques en santé des
patients soit de facteurs d'influence cognitifs.
Plusieurs patients évoquaient également un sentiment de peur relatif au fait de développer
la maladie en cause et les ayant poussé à recourir ou au contraire à renoncer aux examens.
Mais le simple sentiment de peur de la maladie ne semblait pas expliquer le recours ou non
au dépistage. En effet, parmi les patients ayant énoncé leur peur, ce sentiment semblait
inciter une patiente à consulter, et les autres à ne pas le faire (par « peur » du résultat).
34 Deux patients avaient ainsi suivi une formation aux soins de premiers secours ; une patiente était quant à elle aidesoignante.
104
Plusieurs déclaraient leur appréhension vis à vis des traitements ou des consultations
médicales tout en réalisant leurs examens, mais en signifiant que cette peur leur avait coûté
un effort supplémentaire.
Surtout, il fallait noter que la plupart des patients ayant réalisé leurs dépistages déclaraient
l'avoir fait parce qu'ils faisaient confiance à leur médecin généraliste, qui leur avait conseillé
de suivre ces examens.
Ainsi si on ne trouvait pas de relation logique ni univoque évidente entre connaissance de la
maladie et réalisation des dépistages, ni entre peur d'être touché par la maladie et
dépistages, il semblait que la peur des traitements défavorisait la réalisation des dépistages
tandis que la confiance déclarée en leur médecin la favorisait35.
De plus, si on interprétait la peur des traitements comme étant liée à un manque de
confiance envers les médecins et/ou dans le rapport bénéfice/risque présenté par ceux-ci, il
semblait qu'une grande part de l'action favorisante des médecins sur l'adoption de pratique
de dépistages par les patients provenait d'une confiance installée dans la relation avec leur
médecin et dans les explications fournies par eux.
Partant de l'observation parallèle, que les patients qui déclaraient un sentiment de
confiance envers leur médecin étaient aussi ceux qui décrivaient le plus la relation avec leur
médecin comme « bonne », nous nous sommes alors engagés à poursuivre plus avant
l'étude de la relation médecin-patient précaire et des facteurs conditionnant sa qualité, et
l'étude de l'impact de cette relation sur les comportements de santé des patients.
35 Nous rappelons qu'il s'agit ici encore d'hypothèses théoriques issues de la compréhension du terrain, ce que nous
permettait de réaliser notre approche qualitative, mais aucunement d'affirmations validées par une étude quantitative
sur un échantillon représentatif des patients précaires suivis en médecine générale.
105
II) La relation médecin-patient précaire :
La principale source d'informations médicales36 déclarée par les patients interrogés était la
fréquentation de professionnels de santé, en particulier leur médecin généraliste, et
secondairement les autres professionnels de santé et spécialistes.
Nous exposons dans un premier temps le rôle que leur médecin généraliste jouait pour eux comme
il nous a été présenté par les patients interrogés. Puis nous exposons ce qui, selon les patients,
définissait un ''bon médecin'' et une relation médecin-patient de qualité. ce qui permettra, en
creux, de saisir ce à quoi les patients étaient attachés dans la relation aux médecins.Par la suite,
nous nous pencherons plus particulièrement sur des exemples de situations négatives voire
franchement traumatisantes vécues par plusieurs patients précaires lors de leur recours aux
médecins. Ceci nous permettra enfin de tenter une analyse de ces ''dysfonctionnement'' rapportés
par les patients dans la relation-médecin-patient et des différents facteurs d'importance
conditionnant la qualité de celle-ci.
L'exposé de ces résultats viendront ainsi apporter autant d'éléments de compréhension des
facteurs communicationnels, relationnels, psychologiques et psycho-sociaux en jeu dans la relation
médecin-patient précaire. Ces facteurs constituaient autant de facteurs influençant tant le recours
des patients précaires aux médecins et soins médicaux, que le transfert de compétences et de
connaissances entre médecin et patient précaire (information, éducation médicale).
A) Une relation privilégiée au médecin traitant :
1) Un référent médical :
Concernant la perception par les patients précaires de leur médecin généraliste, la plupart se
déclaraient satisfaits de la relation qu'ils entretenaient avec lui. En particulier pour presque tous
les patients, une confiance particulière avait pu s'établir progressivement entre eux et leur
médecin au fur et à mesure du temps, et presque tous déclaraient tenir leur médecin pour leur
référent privilégié concernant leur problèmes de santé et ceux de leurs proches :
« Les trois quarts du temps, j'appelle Docteur C, mon médecin traitant, avant de penser
aller ailleurs »
Mme H
ou encore :
« -Par exemple, je sais pas comment dire, Docteur C va dire que je suis atteinte d'une
maladie, et vous vous arrivez derrière vous dites : « non, docteur C a faux », je vais vous
mettre en doute vous mais pas mon médecin traitant ! »
Mme H
36Informations ''médicales'' : informations de santé répondant à la logique médicale, que nous opposons à l'information
profane ou traditionnelle des patients, essentiellement obtenue quant à elle par les patients de leur milieu familial et
social.
106
2) Un accompagnement social, psychologique et familial précieux :
Ce rôle de référent exercé par leur médecin traitant dépassait souvent très largement la seule
dimension bio-médicale de leur santé, englobant également certains aspects psychologiques,
sociaux et familiaux et de leur vie en lien avec leur santé. Ceci était favorisé par la relation de suivi
au long cours :
« J'y vais pour moi, je lui amène mes enfants […] il me connaît, je parle beaucoup avec
lui, il sait tout de ma vie...
-Vous lui faîtes confiance ?
-Ah oui ! Docteur C je lui confie ma vie, celle de mes enfants. Et tout, mes difficultés, ma
dépression il sait tout »
Mme B
et :
« -Ah oui oui oui, y à très très peu de temps, on va dire : c’est grâce au Dr C. que j’ai
coupé les ponts [avec une grande sœur semblant intrusive dans sa vie privée], enfin
c’est pas que j’ai coupé les ponts mais j’ai coupé le cordon entre elle et moi, parce que
jusqu’à il y a peu de temps elle essayait tout le temps de s’immiscer dans ma vie. C’est
…dès que j’avais une décision à prendre, c’est con mais je l’écoutais elle »
Mme B
Ou encore ici à propos de son recours aux aides sociales :
« -C'est lui [son médecin traitant] qui vous l'a proposé [de la faire bénéficier du tierspayant social] ?
-Ouais […] aussi lui... je veux dire c'est vrai que ça aurait été un autre médecin, je vous
cache pas... j'aurai préféré ne pas voir de médecin du tout
-[...] vous ne seriez pas aller voir un autre médecin et vous n'auriez pas osé lui
demandé ?
-Non […]
-L 'assistante sociale, c'est lui qui vous a conseillé d'y aller ?
-C'est Docteur C, parce que je parle beaucoup avec mon médecin...Il m'a ouvert les
yeux [...]
-Avant cela, vous l'aviez déjà envisagé ?
-Non! je... non. Je vous dis ce qui m'a ouvert les yeux c'est après la tentative de suicide
de ma fille […] pis les problèmes de sous, l'année dernière encore ça allait. Tout s'est
enchevêtré... ben là, fin de l'année dernière là... petit à petit...pis ça empire ça empire
[…] J'ai beau me démener j'y arrive pas je vous dis...
-Avant que le docteur C vous le propose, vous n'y aviez jamais pensé ?
-Non ! Jusque là pour moi je n'avais pas à y aller […] mais là c'est vrai que ça devient
plus dur... en tout : matériel, mental […] j'y arrive plus [ …] Donc c'est lui qui m'a dit, qui
m'a envoyé, il m'a dit que je pourrai pas m'en sortir sans [l'assistante sociale] pour le
moment, que c'était temporaire »
Mme B
107
Nous avons cité ici les déclarations de Mme H et Mme B, qui étaient très explicites, mais
nombreuses étaient les déclarations similaires émanant d'autres patients.
B) Représentation du ''bon médecin'' entretenue par les patients :
Si les patients interrogés partageaient cette relation de confiance avec leur médecin traitant, et le
qualifiaient tous et sans équivoque de « bon médecin », cela était du au fait sa prise en charge
répondait à un certains nombre de critères de qualité au regard des aspects bio-médicaux mais
aussi communicationnels, relationnels, psychologiques et sociaux.
1) la compétence bio-médicale :
L'élément considéré par les patients comme primordial pour définir ce qu'était « un bon
médecin » à leurs yeux, était sa compétence technique (ou bio-médicale pure) :
''-Pourquoi diriez-vous que c'était un bon médecin ?
- Ah ça non le Dr B, c'était pas le Dr B actuel, c'était son grand-père. Le Dr B était un
excellent médecin […] il avait un diagnostic […] »
Mme G
"-Donc un bon médecin, vous le jugez sur quels critères?
-Y à le diagnostic, si il trouve bien ce qu'on a et si les remèdes qu'ils donnent sont
efficaces aussi. "
Mme C
''-Et sur quels critères jugez vous qu'il s'agit d'un bon médecin, selon l'examen qu'il
fait... d'autres chôses?
-Là par exemple ça a été assez vite, mais il m'a quand même gardé trente quarante
minutes. Il a regardé si c'était pas les veines, si ça venait pas de la circulation mes
douleurs, il a pris les pouls... Non il m'a bien examiné.''
Mme C
« -[...] Et pourquoi vous lui faites confiance ?
-[...] il nous regarde bien... il examine bien , il nous connaît, c'est lui qui a fait le
diagnostic pour mon fils Ahmid […] il lui a fait faire des analyses d'urines et là derrière il
nous a envoyé vers le spécialiste, qui a dit que c'était le syndrome néphrotique […] »
Mme B
On lisait bien ici l'importance primordiale accordée, en toute logique, aux aspects purement biomédicaux et à la compétence technique du généraliste. Celle-ci, en l'absence de forte compétence
des patients en matière de santé était évaluée par eux selon la qualité de diagnostic réalisé et
selon l'efficacité des traitement dispensés antérieurement.
Cependant, on pouvait noter qu'en l'absence de compétence particulière en médecine pour
évaluer précisément la prise en charge technique (et notament diagnostique) de leur médecin, les
patients semblaient s'attacher la plupart du temps à certains signes qui à leurs yeux étaient le
108
mieux corrélé à celle-ci :
–
l'application mise par celui-ci à l'examen clinique, (« Non il m'a bien examiné» , et : « il
nous regarde bien... il examine bien») sans doute corrélée selon eux à la conscience
professionnelle du médecin;
–
les explications fournies pour étayer cet examen (« il a regardé si c'était pas les veines, si
ça venait pas de la circulation mes douleurs, il a pris les pouls...») et qui permettaient ainsi
aux patients, malgré une compétence médicale plus faible que celle du professionnel, de se
forger une opinion, ne serait-ce que sur la plausibilité du diagnostic retenu.
–
Enfin l'efficacité ressentie ou experimentée par eux des traitements antérieurement fourni
par ce médecin
Avec tout ceci, un dernier élément, pas encore mentionné, était le ''bouche à oreille'', qui était
décrit par plusieurs patients comme un facteur d'influence important avant d'aller consulter un
professionnel de santé. Leur décision reposait alors sur l'évaluation faite par leur proches dignes
de confiance et l'impression générale qu'ils avaient retiré du médecin.
2) Compétences relationnelle, en communication, psychologique et sociale du
médecin attendues par les patients ;
En dehors de la compétence technique ou purement bio-médicale de leur médecin, la plupart des
patients accordaient énormément d'importance aux compétences relationnelle, en
communication, psychologique et sociale des médecins fréquentés.
Ainsi, tous les patients sans exception déclaraient accorder une importance essentielle au fait de
se sentir écoutés et compris par lui, et au fait de ne pas se sentir jugés, mais acceptés comme ils
étaient, soit pour résumer à la qualité d'écoute et d'empathie des médecins consultés.
Concernant l'écoute, les patients déclaraient en particulier accorder beaucoup d'importance au
fait que les professionnels consultés prennent en compte leurs perceptions et représentations des
éléments en jeu, ainsi que leurs préférences en matière de suivi, d'examens et de traitements :
« J'y vais pour moi, je lui amène mes enfants […] il me connaît, je parle beaucoup avec
lui, il sait tout de ma vie...
-Vous lui faîtes confiance ?
-Ah oui ! Docteur C je lui confie ma vie, celle de mes enfants. Et tout, mes difficultés, ma
dépression il sait tout
-[...] Et pourquoi vous lui faites confiance ?
-On l'a depuis … près de dix ans maintenant je crois, et... rien à dire. Au contraire avec
lui on peut parler on peut... se vider un petit peu. C'est ça qui est agréable il nous
écoute. Pis il nous regarde bien, il... il examine bien , il nous connaît, c'est lui qui a fait le
diagnostic pour mon fils Ahmid […] Je discute énormément avec lui, le Docteur C m'aide
énormément »
109
Mme B
Ou encore :
"-Vous avez eu confiance en lui assez vite [son médecin traitant] ? Dès la première fois?
Comment ça s'est passé?
-Au début j'allais consulter sa femme en fait. Là c'était bien, on s'entendait bien et on
pouvait discuter. Puis ils se sont séparés, donc j'ai été le consulter lui. Oui et il discute
bien.
-Donc un bon médecin, vous le jugez sur quels critères?
-Y a le diagnostic, si il trouve bien ce qu'on a et si les remèdes qu'ils donnent sont
efficaces aussi. Et puis qu'on puisse parler aussi. Aussi ça, qu'il prenne du temps, qu'on
puisse parler. Et là c'est pareil, il a été un bout de temps, après son divorce, il était tout
seul, il s'est retrouvé surchargé de patients. Là il pouvait plus parler, c'était une
catastrophe, c'était clients sur clients. Là ils a retrouvé une associée, ils sont deux, ça va
déjà mieux! On a besoin de parler.
-Vous n'avez jamais eu à faire à des médecins avec lesquels ça s'était vraiment mal
passé?
-oh non non,
-Mais vous avez déjà été un peu frustrée en sortant du cabinet...
-Voilà soit qu'on m'a fait une réflexion, ou quand ça va trop vite. C'est la façon de le
dire aussi [elle fait à nouveau allusion au chirurgien orthopédique], si on écoute le
patient aussi... "
Mme C
Ainsi, dans les exemples de déclarations de ces différents patients , on lisait bien l'importance
accordée par ceux-ci à la qualité d 'écoute et d'accueil du médecin, ainsi qu'à la globalité de la
prise en charge entreprise par celui-ci. C'est ce que nous dénommons courament l'approche
globale bio-psycho-sociale centrée sur la personne.
3) Loyauté du professionnel consulté :
En dehors des compétences techniques évaluées et prises en compte par les patients, plusieurs
nous ont déclaré accorder de l'importance au fait que le médecin consulté fasse preuve de loyauté
envers eux, c'est à dire en particulier ne leur cache pas ni ses intentions, ni les résultats de ses
examens, mais qu'ils leur fournisse au contraire une information claire et loyale :
«Depuis le temps qu'il me connaît et qu'il, qu'il me suit, voilà y à la confiance entre lui et moi pis il
me cache rien»
On pouvait bien lire ici l'importance accordée par la patiente à la loyauté dont faisait preuve son
médecin traitant envers elle, et qui passait essentiellement par le fait de ''ne rien lui cacher''
(information loyale).
110
Pour de nombreux patients, leur médecin traitant représentait leur référent médical. La relation
de confiance et la profondeur d'échanges construite avec lui désignait également leur médecin
traitant à leurs yeux comme une personne de confiance et de bon conseil pour bon nombre des
problèmes sociaux, familiaux, psychologiques et moraux qu'ils pouvaient rencontrer au long de
leur vie.
Lorsque nous demandions aux patients de nous exposer les raisons pour lesquelles ils faisaient
confiance à un médecin en général, ou à leur médecin traitant en particulier, et pour lesquelles
ils considéraient leur médecin comme un ''bon médecin'', presque tous les patients mettaient
en avant les aspects techniques (ou bio-médicaux) de la compétence du professionnel évalué,
mais n'en délaissaient pas pour autant, loin s'en fallait, les aspects relationnels, psychologiques
et sociaux de ses compétences.
Toutes les qualités énumérées de la représentation d'un bon médecin pour les patients
renvoyaient, quant à elles, aux fonctions d'information et d'éducation en santé des médecins, à
l'approche globale bio-psycho-sociale centrée sur la personne, à l'importance du suivi au long
cours pour la relation de soin, et aussi au rôle d'accompagnement social du généraliste ( soutien
informationnel, orientation vers les professionnels du secteur social).
C) Les obstacles à l'établissement d'une relation médecin-patient précaire de
qualité :
Les patients connaissaient des obstacles objectifs aux soins, et une culture globale de sous-recours
aux soins. Cela étant, bien qu'ils consultaient déjà moins que les autres patients en général, ils
connaissaient aussi des difficultés lorsqu'ils recouraient. Pour analyser ces difficultés de relation,
nous devions recourir à l'analyse des consultations mal vécues par les patients, qui montraient un
certain nombre de dysfonctionnements relationnels de divers ordre. Ces exemples n'étaient pas
rares dans les déclarations des patients.
1) Facteurs culturels et problèmes de communication :
Il semblait avoir existé d'assez nombreux problèmes de communication entre médecins et patients
dans les consultations mal vécues par les patients interrogés. En particulier, certaines déclarations
de patients faisaient état de leur incompréhension des informations et du vocabulaire employé par
les médecins consultés :
« Déjà ils vous expliquent ça avec des noms des fois vous comprenez rien du tout... Vous
allez chercher dans un dictionnaire ! Hein !»
Mme E
Nous avons déjà précédemment pu observer quelques exemples de déclarations des patients
interrogés faisant ressortir un manque de capital culturel spécifique en médecine et/ou général.
Celui-ci ne favorisait apparemment pas la compréhension réciproque entre médecin et patients, et
ceci constituait certainement un obstacle à l'effet informatif/éducatif de la prise en charge
111
médicale. Cela étant, c'était aux médecins de s'adapter aux patients qu'ils avaient à prendre en
charge et non l'inverse.
Or d'après de nombreuses déclarations, les caractéristiques des patients notamment au regard de
leur niveau de capital culturel, ne semblaient pas toujours avoir été suffisamment prises en
compte par les médecins. Il semblaient ainsi que ces derniers avaient manqué à leur mission
d'information/éducation en santé, n'ayant notamment pas adapté leur vocabulaire et explications
(sur la forme, non sur le fond et la qualité bien entendu). Une écoute plus attentive et une
appréhension plus globale de ces patients aurait sans doute permis aux médecins concernés
d'améliorer leurs pratiques sur ce point. Si nous ne pouvions juger directement des pratiques en
jeu (n'ayant pas été observateur direct de la consultation), nous pouvions en revanche noter
l'insatisfaction des patients, ce qui en soi était déjà un critère important.
2) Obstacles psychologiques et psycho-sociaux :
Les patients qui avaient eu une ou plusieurs expériences négatives auprès du corps médical
gardaient en général de ces consultations un sentiment de déception, d'insatisfaction et
quelquefois d'injustice plus ou moins fort, voire de colère, de rancoeur et de défiance généralisée
envers les médecins. Certaines situations pouvaient également les avoir heurtées sur un plan
psycho-affectif et psycho-social. Les patients s'étaient en effet alors quelquefois senti dévalorisés,
voire humiliées par les propos ou atitudes des professionnels, blessés (blessure narcissique – soit
atteinte de l'image et de l'estime de soi). Souvent il existait alors en conséquence chez eux une
appréhension du recours aux médecins plus ou moins latente, par peur d'être à nouveau confronté
à ces problèmes relationnels, voire une défiance explicite à l'égard d'un ou de plusieurs médecins
(ou même à l'encontre du corps médical en son entier). Nous exposons maintenant plusieurs
situations par ordre croissant d'impact négatif sur la relation et sur les patients.
a) Défaut d'écoute et d'empathie:
Un premier type d'expérience négative que nous avons pu répertorier dans le vécu des patients
auprès du corps médical étaient des expériences marquées par un certain défaut d'écoute et
d'empathie du praticien consulté37. Ce type d'expérience générait une certaine insatisfaction chez
les patients, plus rarement une vraie défiance. Cela dépendait du niveau auquel ce manque
d'empathie avait été ressenti par les patients.
L'exemple rapporté par Mme C, de sa consultation auprès d'un chirurgien orthopédique et de la
déception que celle-ci lui avait laissé, illustrait bien, en miroir (ou en creux), l'importance accordée
à l'écoute empathique et à l'approche globale par cette patiente :
" Il y en a eu un [un médecin] dernièrement qui m'a fait des refléxions que je n'ai pas
trop aimé. Mais c'était pas pour la CMU; non de ce coté là non.
37 Nous précisons à nouveau : notre méthode d'étude ne nous permettait pas, en toute rigueur, d'approcher les pratiques
réelles des médecins, ce pourquoi il aurait fallu mener une observation directe des consultations. Cependant, les
propos rapportés par les patients sur leur vécu de la relation et leur sentiment d'insatisfaction subséquent en
particulier, étaient déjà des éléments importants à prendre en compte pour l'étude de la relation-médecin-patient.
112
-C'était pour quoi? Et c'était quel type de médecin?
-C'était le chirurgien pour mon genou, que j'ai consulté récement pour mon genou
droit. Il m'a dit que quand on est gros, c'est pour ça qu'on a mal au genou, que si j'ai de
l'arthrose c'est à cause de ça. Alors que j'ai connu des gens qui avaient de l'arthrose et
qui n'étaient pas gros, et c'était de l'usure. Enfin, il ne sait pas comment j'ai travaillé
aussi... enfin ça j'ai eu du mal à l'accepter... Normalement, il doit faire son travail, mais
il n'a pas à dire ce genre de choses. Mais bon...[avec une expression de dépit]
-Vous avez tendance à donner assez facilement votre confiance à un médecin?
-Non j'écoute d'abord. Et puis après si il m'engueule comme l'autre fois, ben forcément
ça ne passe pas [elle rit]
-Et sur quels critères jugez vous qu'il s'agit d'un bon médecin, selon l'examen qu'il fait
d'autres chôses?
-Là par exemple ça a été assez vite, mais il m'a quand même gardé vingt minutes [...] il
m'a bien examiné. Par contre il m'a pas parlé beaucoup, il m'a plutôt fait des réflexions
sans essayer de comprendre. Sans savoir ce que... moi c'est le travail, c'est ça qui... Je
trouve qu'il aurait mieux fait de rien dire [...]
-Mais, si on revient à ce sujet malgré tout, par rapport à votre poids, [Mme C pèse
environ 90kilos pour un mètre 65 soit un surpoids important] est ce que vous avez
l'impression que ça peut être source de souci de santé?
-Oui, c'est sur, parce qu'il fut un temps j'avais maigri, et, j'avais déjà moins mal. Mais...
chez moi c'est nerveux, c'est l'angoisse, c'est .. c'est tous ces soucis ... ça qui me fait
manger davantage, et j'ai repris du poids récement, c'est pas bon [rire gêné]
-Et votre médecin généraliste vous en parle de temps en temps ou fréquement?
-Oui oui, il me le dit. Il m'en parle souvent, c'est normal"
Mme C
il ressortait nettement des déclarations de Mme C, que la patiente accordait beaucoup
d'importance au fait de pouvoir être pleinement écoutée, comprise, et que le médecin consulté
prenne en considération ses explications personnelles (l'excès de travail physique) au sujet de la
maladie qu'elle développait (sa gonarthrose). Ainsi, Mme C aspirait dans ce cas à être pleinement
entendue et prise en charge non seulement au plan de ses symptomes physiques (ses gonalgies),
mais encore au plan de ses souffrances psychologiques et psycho-sociales (surmenage lié à ses
problèmes sociaux, à son cumul de deux activités professionnelles en plus de ses activités
domestiques; prise de poids elle-même imputable à des grignotages en lien avec une anxiété
réactionnelle à sa situation sociale et familiale).
De la même manière, Mme C accordait une grande importance au fait de ne pas se sentir jugée
mais acceptée et comprise. Elle n'acceptait pas que le chirurgien lui fasse une refléxion sur son
surpoids, parce que celui-ci n'avait pas voulu entendre ''sa manière à elle'' d'expliquer sa maladie
(soit la signification psychologique,sociale, et existentielle que la patiente donnait à sa maladie).
Elle avait mal acceptée cette réflexion du médecin et n'avait pas bien "adhéré" à ses autres
explications et sa prise en charge parce que cette réflexion avait été émise selon elle avec un ton
expéditif et sans tact et avant même qu'il ne l'ait écouté pleinement.
Ici un déni de la patiente par rapport à son problème de surpoids ne semblait pas en cause,
puisque lorsque nous lui demandions son avis sur la question (sans imposer notre point de vue, ni
lui laisser entendre qu'il s'agissait d'un jugement de valeur, soit avec davantage de prudence) elle
113
recconnaissait en réalité facilement le rôle de son surpoids dans le développement de ses
problèmes de santé et rapportait même en parler fréquemment avec son médecin traitant.
Aussi, le défaut d'écoute et le manque apparent de tact du chirurgien avait légèrement vexé la
patiente, et surtout impacté sur son adhésion à la prise en charge proposée. La relation était
impactée.
Cela étant, Mme C n'avait pas renoncé complètement à l'idée de se faire opérer, restait
globalement satisfaite de l'aspect bio-médical de la consultation du chirurgien, et pensait toujours
se faire opérer à moyen terme. Les conséquences négatives sur son suivi semblaient donc
globalement assez faibles.
On retrouvait dans les déclarations des autres patients quelques récits similaires de situations
négatives mais à l'impact globalement léger sur les patients.
b) Violence dans la relation médecin-patient :
A coté du premier type d'expériences de la relation-médecin-patient décrits par plusieurs patients,
que nous pouvions globalement qualifier de ''faiblement négatives'', plusieurs patients nous ont
rapporté avoir connu des entrevues bien plus fortement perturbantes pour eux et aussi
apparament bien plus fortement génératrices de défiance voire d'aversion envers le corps médical.
Ces sentiments négatifs parfois extrêmement fort semblaient en partie responsables du sousrecours de ces patients aux soins.
Ainsi, plusieurs patients interrogés nous ont rapporté avoir été pris en charge par des médecins
auprès desquels, non seulement ils avaient ressenti un défaut d'écoute empathique, mais encore
et de manière bien plus préoccupante, auprès desquels ils avaient ressenti une certaine violence
psycho-sociale (sentiment de dévalorisation, voire d'humiliation).
i) L'expérience de Mme B :
Mme B relatait en ces termes un épisode de recours aux soins aux urgences du centre hospitalier
le plus proche, lors duquel elle avait eu une altercation avec un jeune médecin:
« ça va dépendre de la mentalité du médecin parce que là je vois le mien yà j'ai rien a
dire ; mais y en a d'autres ben ça va pas quoi. Parce que y 'en a qui se croient un peu
trop supérieurs on va dire. […] le jeune homme là j'sais plus comment y s'appelle [un
interne du service des urgences l'ayant pris en charge], si lui... il m'a pris de haut. Il m'a
dit : « écoutez je suis médecin je sais encore de quoi je parle » « j'lui dit « alors là tu
sais quoi, je lui dis, tu retournes à l'école tu viens pas me... saouler, tu retournes à
l'école pi on en recause. C'est pas un spécialiste... lui ça y est il sort de l'école, ça y est
j'ai tout vu j'ai tout fait. Là par contre j'ai été mauvaise, je le cache pas, parce que je
suis pas vraiment du genre à garder ma langue dans ma poche. Mais parce que voilà
j'ai pas apprécié du tout qu'il vienne, il sort de l'école pis il se permet de dire une chose
que des spécialistes ils étaient trois sur mon enfant pour dire « oui ils est atteint de telle
maladie, pi lui l'interne il arrive il me dit 'yà eu une erreur, moi je sais ce que c'est pas
114
un syndrome néphrotique ».
Mme B
On pouvait bien voir dans cet épisode relaté par Mme B le discours autoritaire du médecin et la
relation-médecin-patient fortement asymétrique qu'il avait tenté d'adopter. La tension était encore
palpable, Mme B était fortement insatisfaite. La préoccupation pour son fils malade était
certainement une des causes de sa nervosité, mais le professionnel semblait avoir été
particulièrement peu regardant sur cet élément de la consultation dans son approche des patients
(Mme B et son fils). Mme B semblait aussi ressentir un sentiment d'injustice et de colère relative
au fait que sa personne et ses connaissances/compétences personnelles dans la gestion de la
maladie de son fils n'avaient pas été reconnues par le professionnel qui ne l'avait pas suffisamment
écouté. Cependant, la patiente semblait bien prémunie contre une généralisation des sentiments
négatifs qu'elle avait alors ressenti (colère, injustice) à l'ensemble des médecins, notamment grâce
à la bonne relation entretenue avec son médecin traitant et les autres spécialistes qui suivaient son
fils.
ii) L'expérience de Mme G:
Au point de départ de la relation conflictuelle et de défiance de Mme G aux médecins, une erreur
bio-médicale avait eu lieu. Cependant, en approfondissant notre interrogatoire, on pouvait assez
bien observer que ce que Mme G reprochait aux médecins, au delà de cet impair, était leur
manque d'écoute :
«En ce moment, j'ai tendance à faire soigner mes gamins et à m'oublier. Parce que
heu... les médecins ça me gave. Ça me gave... pis j'ai eu une grosse, ben comme j'vous
disais une grosse déception y à … quelque temps. Ben quand j'étais enceinte de Bryan
on a découvert que j'avais des calculs dans les reins et un calcul dans la vésicule. Donc
dans les reins on me les ont fait passer... la vésicule il est resté. Y prenait pas
d'importance, il bougeait pas, donc y m'l'ont laissé. Pis y m'gênait pas donc heu...
jusqu'à ce que j'ai un accident de travail à Leclerc, quand j'étais à Leclerc, j'me suis tapé
le dos dans un rac... c'est là où on range les marchandises... Et heu... j'ai eu très très
mal au dos...Pendant deux ans. Donc heu mon médecin à l'époque était M, qui m'a fait
faire des examens du dos : y avait rien. Et heu... y me disait que c'était ''là-haut'' que ça
se passait [un problème psychologique] alors que moi je savais que j'avais très mal au
dos, et heu que c'était pas psychologique. Il a mis ça sur la mort de mes parents, il a
mis ça heu... il a dit que psychologiquement j'étais très affectée donc que heu je
pouvais, attiser une douleur enfin voilà. Du coup ça m'a gonflé parce que heu... je n'ai
pas apprécié qu'on me fasse passer pratiquement pour folle. J'ai changé de médecin.»
Mme G
Finalement, après cette errance diagnostique, ce fut lors d'une nouvelle crise de colique hépatique
se manifestant par des douleurs de localisation plus typiques que Mme G fut prise en charge par
son nouveau médecin traitant. Le bon diagnostic fut posé, et Mme G fut opérée rapidement. Elle
signalait lors de notre entretien ne ne plus avoir eu de douleurs depuis cette cholécystectomie (un
an avant la date de notre entretien).
115
Si le problème de lithiase biliaire de Mme G fut donc, in fine, diagnostiqué et pris en charge de
manière adaptée et avec rapidité par son nouveau médecin traitant, il était intéressant de noter
que cela n'empêchait pas Mme G de déclarer encore actuellement des sentiments négatifs assez
vifs vis à vis de sa prise en charge, et de tous les médecins plus généralement (« Les médecins ça
me gave », répétées à plusieurs reprises). Des éléments supplémentaires allaient finalement
éclairer ce point un peu plus tard durant l'entretien : les difficultés de communication auxquelles
elle était en but avec son nouveau (et actuel) médecin traitant, et l'attitude quelquefois
paternaliste qu'il semblait adopter à son égard :
« Kevin c'est pareil, chaque fois qu'il va chez lui [son médecin traitant] je viens avec lui.
Je l'emmène. Ben qu'est qu'on veut c'est comme ça il a beau avoir 22 ans c'est mon fils
je l'accompagne toujours. Ben à chaque fois on avait le droit à ses petites réflexions...:
« faudra peut-être quitter maman un jour » qu'il lui disait, sinon c'était : « faudra peutêtre trouver du travail un jour » des trucs comme ça... Ben c'est comme ça il vit encore
chez moi, mais en ce moment comme je vous dis on ne peut pas faire autrement […]
mon fils a trouvé du travail maintenant, il a toujours cherché du travail et [...] comme je
vous disais en ce moment j'ai honte, parce que c'est mon fils qui touche son salaire il
me fait le plein de la voiture, ou alors il m'appelle il me dit « qu'est ce qu'il faut
rapporter à manger?» [...] en ce moment avec les quatre cent euros du RSA la maison
le chauffage, l'essence je n'y arrive pas... c'est mon fils qui m'aide, alors que ça devrait
être à moi de l'aider […] Non mais j'en ai assez, ils se les garde, mon fils a pas à … à
entendre ce genre de petites réflexions. Il me gonfle à la fin »
Mme G
.
Il était ici assez facile de noter que si le médecin en cause avait évité de calquer trop fortement ses
jugements de valeurs personnels sur les patients (succombant aux excès de sa « fonction
apostolique » [77]), cela se serait probablement mieux passé. Si aussi, il avait écouté et sollicité
plus attentivement ces deux patients, il aurait peut-être pu savoir que la réalité du contexte de vie
de ces patients et de leur relation était différente de celle qu'il imaginait apparemment (en réalité
le garçon était autonome, travaillait, et ne pouvait quitter le domicile maternel pour raison
financière. De plus il soutenait financièrement sa mère à cette période-ci). Visiblement, il se jouait
ici un phénomène de contre-transfert négatif du médecin à l'égard de cette patiente, dont celui-ci
ne semblait pas avoir pleinement pris la mesure.
L'insatisfaction de la patiente était grande, elle ne se sentait visiblement pas comprise et
suffisamment soutenue psychologiquement, et semblait même finir par ne plus accepter de la part
de son médecin traitant certaines remarques ou conseils, qui, même s'ils semblaient avoir été
dispensé avec léger manque de tact ou de psychologie de sa part, étaient sur le fond des
conseils/remarques tout à fait normal de la part d'un médecin, comme lorsque celui-ci abordait la
question de son tabagisme auprès de la patiente :
«-Dans un moment je l'avais perdu ma carte vitale. Bon ben là il [son médecin traitant]
me faisait des feuilles parce que j'avais pas le choix ! Heu j'avais pas trois euros pour
faire des photos, parce qu'ils demandent des photos pour faire la nouvelle carte !
J'avais pas trois euros heu y m'a dit heu : « plutôt que de fumer vous feriez mieux
d'acheter, d'aller faire vos photos pour aller faire une carte vitale. » Voilà ! Voilà! Ok je
fume et alors ! C'est mon problème c'est pas le sien ! C'est mon argent c'est pas le sien !
116
Pis là c'est l'argent de mon fils donc heu [elle tube une cigarette] ah mais... Il a des
réflexions y ferait mieux de les garder ! Ça ne le regarde pas ! Je veux dire a partir du
moment ou j'arrive chez lui j'ai le nez bouché, il me donne un truc pour m'deboucher le
nez heu... j'devais faire un examen gynécologique, y me fais faire mon examen terminé,
on en parle plus ! Heu j'ai mal au coude, y me donne un truc pour mon coude. Heu voilà
en plus heu moi j'veux dire en vieillissant ben hé... j'ai fait beaucoup de tendinite, j'ai
mes genoux qui voilà, qui me font mal ! Mais je veux dire : il n'a pas à se mêler du
reste ! Le reste, je le sais ce que je fais ! Je sais heu que c'est pas bon de fumer, je le sais
j'suis quand même pas con quoi ! [s'exclamant elle frappe des mains sur la table à
chaque nouvelle phrase] J'arrive pas a quarante neuf ans pour quand même me dire :
« oh ben dis donc ! Tu viens d'apprendre que c'est pas bon de fumer. Ben oui ben je le
sais quand même hein. Voilà ! […] Et ces réflexions y se les garde ! J'veux dire y à un
moment, on le dit une fois ! Y sait très bien que j'arrêterai pas, je peux pas ![...] Il le sait
je lui ai dit. Il me le dit une fois, pas à chaque fois.... chaque fois que j'y vais : « ah ça
sent le tabac », « heu, au fait la cigarette électronique elle est où ? » enfin voilà ! Ça me
barbe ! Si le médecin n'est pas capable de comprendre que, je ne peux pas arrêter ! Et
je ne le veux pas ! En plus. Je ne veux pas arrêter, je ne le veux pas... eh ben je
changerai de médecin , tant pis, rien à foutre...[elle soupire fortement]... ces petites
réflexions y se les garde... »
Mme G
Il s'agissait par ailleurs ici d'une bonne illustration du ''réflexe correcteur” du soignant, injonction
prématurée de modifier son comportement faite à la patiente, sans prise en compte de son
positionnement psychologique par rapport à un éventuel changement. En particulier, selon le
modèle des stade du changement comportemental de Prochaska et Di Clemente [106], la patiente
était ici en phase de pré-contemplation, et n'envisageait pas de changement pour le moment. En
conséquence, toute injonction à modifier son comportement ne pouvait que renforcer sa
résistance et son attachement au comportement de santé néfaste (conformément au principe de
la « réactance » de Brehm, qui énonce que « l’attrait du patient pour le comportement
dommageable augmente lorsqu'il perçoit sa liberté d’agir et son autonomie menacées »[106].
Au total, on pouvait voir que le médecin ne semblait pas avoir disposé de tous les outils
relationnels existant, que son approche psychologique de la patiente comportait quelques lacunes,
et qu'il entretenait possiblement un contre-transfert négatif envers sa patiente qui nuisait à la
qualité de la relation. La dégradation de cette relation était source de tension pour la patiente, les
conseils correctifs mal avisés renforçaient probablement son attachement au tabagisme, et enfin
les jugements de valeurs apparents, réels ou non, en tout cas perçu comme tels par la patiente, ne
la soutenaient pas psychologiquement alors qu'elle connaissait une période de vulnérabilité
psychologique et sociale forte. Enfin, dans une certaine mesure, tout ceci semblait contribuer à
éloigner la patiente des soins («En ce moment, j'ai tendance à faire soigner mes gamins et à
m'oublier. Parce que heu... les médecins ça me gave. Ça me gave...[...] ») même si elle déclarait
qu'elle changerait bien plutôt de médecin « s'il le fa[llait] », plutôt que de ne pas recourir aux
soins.
117
iii) L'expérience de Mme E :
L'expérience de cette quatrième patiente nous ayant rapporté un vécu difficile au contact des
professionnels de santé et que nous présentons maintenant, était encore plus sévèrement
négative, et semblait avoir eu un impact émotionnel et psychologique encore plus sévère sur elle.
En effet, Mme E avait vécu plusieurs consultations auprès de différents médecins qui l'avaient
laissée très insatisfaite, voire véritablement traumatisée. Malgré l'ancienneté de certains des
épisodes présentés ici, les répercussions psychologiques et émotionnelles négatives du vécu de
cette patiente semblaient toujours actuellement avoir une forte influence aussi bien sur ses
représentations du corps médical que sur sa manière d'appréhender le recours aux soins médicaux
(forte défiance).
iii.1) Récit du premier épisode négatif relaté par la patiente :
A l'occasion de sa deuxième grossesse, alors qu'elle est enceinte de six mois et demi, Mme E se
rend aux urgences, en raison de vives douleurs abdominales qui l'avaient prise depuis le matin, au
réveil.Ces douleurs qu'elle dénommait « des contractions », étaient en réalité liées à un hématome
rétro-placentaire compliquant une grossesse gémellaire (jusqu'ici elle ignorait d'ailleurs que la
grossesse était gémellaire).
Les douleurs ressenties par Mme E furent vives au point de lui faire consulter les urgences dans la
journée même38 (et ce alors que la patiente ne consultait pas facilement un médecin ni encore
moins le service des urgences habituellement, habituée de manière générale à endurer ses
souffrances physiques sans recourir aux soins médicaux (répression des affects)) :
« j'avais tellement mal !... je ne pouvais plus marcher […] j'ai dit : « y a quelque chose
qui ne va pas » ».
Mme E
Mme E se rendit donc aux urgences : malheureusement l'interne qui l'accueillit dans le service
n’émit pas le bon diagnostic et ne réalisa pas la gravité de la situation clinique. Il la renvoya à son
domicile.Finalement, trois jours plus tard, elle fit une hémorragie cataclysmique à son domicile et
un choc hémorragique sur le trajet de l'hôpital. Elle manqua de peu de perdre la vie, et perdit un de
ses jumeaux suite à l’hémorragie. Voici comment elle rapportait les faits :
« -[…]Ça faisait quand même deux jours que j'avais des contractions! L'autre [fœtus]
était décollé donc heu... J'ai été reçu par un espèce d'interne, entre midi et deux heures
comme ça. Je viens et j'lui dis : « écoutez, j'lui dis : j'ai vraiment des contractions ».
Comme un imbécile, y m'a répondu : « Madame on accouche pas à six mois et demi».
Point. Ça c'était un mardi. Le vendredi le heu... le deuxième jumeau, lui, il a percé la
poche ! Sa poche s'est percée, donc j'ai fait une hémorragie à la maison […] Y me
semblait que les urgences... j'pensais qu'ils allaient me garder moi j'souffrais... Et pis y
m'a dit « Non, non non. »
38 Les douleurs liées à un hématome rétro-placentaire sont typiquement décrites dans les manuels de gynécologie
comme des douleurs abdomino-pelviennes à type de « coup de poignard ».
118
-Vous n'aviez pas eu d'hémorragie encore ?
-Non, j'avais pas eu d'sang encore, non, non. J'avais eu que des contractions.
-Donc il vous a examiné aux urgences...
-Pas tellement non, pas tellement. Y m'a un peu palpé pis y m'a dit [elle fait une moue
exprimant le mépris] « oh mais Madame heu oh... on accouche pas à six mois et
demi!»
Mme E
Précisions premièrement : il nous importait peu ici de savoir si il y avait eu erreur médicale ou non,
mais ce qui nous intéressait était la perception de la patiente, son vécu. A ce sujet on pouvait tout
d'abord lire la rancœur de Mme E envers ce médecin, qu'elle allait même jusqu'à qualifier
d' « imbécile ». L'erreur technique que celui-ci avait commise (aux yeux de la patiente) était sans
doute en partie à l'origine de cette rancœur. Cependant, au delà de l'erreur technique en cause, il
était aussi évident que c'était l'attitude du professionnel et sa gestion de la relation humaine qui
lui était reproché par la patiente.
Ainsi, lorsque Mme E utilisait la comparaison à un imbécile, c'est aussi et de manière évidente
pour dénoncer la manière imbécile à ses yeux dont le jeune médecin s'était adressé à elle. C'était
en ce sens qu'elle répétait deux fois la formule expéditive du jeune médecin : « Madame on
accouche pas à six mois et demi », et accompagnait cette citation d'une expression faciale de
mépris (tentant de reproduire l'expression alors empruntée par l'interne, du moins telle qu'elle
l'avait ressentie).
De plus, dans les termes de l'échange rapportés par la patiente, on voyait bien la différence qui fut
volontairement marquée par le professionnel, entre sa position de médecin, détenteur de la
connaissance, de la compétence médicale et du pouvoir, qui dirigeât puis clôt unilatéralement les
soins et l'échange verbal, et la position de la patiente, à qui il fût demandé de subir passivement
l'échange et les soins.
Concernant les mots empruntés et rapportés par la patiente, la formule de politesse, « Madame »
utilisée par le jeune médecin ne devait pas tromper : si elle était une formule d'usage ou de
politesse consacrée, passant presque inaperçue à ce titre, elle semblait aussi utilisée, (peut-être
inconsciemment par le jeune médecin) comme une figure de style oratoire, une concession
oratoire faite à l'adversaire avant de lui opposer ses arguments. En effet, ce : « Madame » signifiait
visiblement : « Madame avec tout le respect que je vous dois », une formule d'ordre rhétorique
utilisée de manière stratégique par l'interne, car la suite du propos : « on accouche pas à six mois
et demi », signifiait sans ambiguïté : '' Madame, c'est moi qui ait la connaissance et le savoir
médical, vous semblez ignorante du fait qu'une grossesse dure neuf mois, peut être que votre
éducation et votre milieu d'origine ne vous on pas permis d'acquérir une telle connaissance, mais
je vous en informe et vous signale par là-même que la consultation est ainsi close''. Nul doute que
sous cette forme la violence du paternalisme imposée par le médecin se faisait plus visible.
iii.2) Récit d'une deuxième expérience négative :
Cet épisode était particulièrement intéressant en ce que les événements relatés par la patiente, au
contraire de ceux exposés ci-dessus, n'avaient donné lieu ici à aucun conflit ouvert entre la
119
patiente et le médecin, et qu'à l'heure de notre entretien la patiente, tout en conservant un
sentiment évident de malaise face aux faits rapportés, semblait ne pas arriver à discerner
clairement ce qu'elle reprochait aux faits ni au médecin consulté.
En effet, dans ses déclarations, même avec un recul constitué de plusieurs années, Mme E ne
reprochait explicitement rien à ce gynécologue. Au contraire, elle considérait ce professeur comme
celui qui lui avait « sauvé la vie » lors des complications de sa deuxième grossesse (il l'avait prise en
charge le vendredi qui suivit son passage aux urgences obstétriques, et réalisa la césarienne et les
soins relatifs à son hématome rétro-placentaire ayant évolué en hémorragie cataclysmique
associée à un choc hémorragique). Aussi de manière générale, les propos de Mme E à l'égard de ce
médecin exprimaient un grand respect et une grande reconnaissance. Cependant le récit qu'elle
faisait concomitamment des faits restait problématique :
Après la deuxième grossesse de Mme E, compliquée d'hématome rétro-placentaire et
choc hémorragique sur hémorragie cataclysmique, le Professeur et chef de service de
gynécologie-obstétrique où elle était prise en charge lui déconseilla fortement une
future grossesse (en raison du risque estimé par lui de récidive de ce type de pathologie
lors d'une nouvelle grossesse). A ce titre il lui conseilla un moyen de contraception.
Mais loin d'avoir alors reçu une information complète sur les différents moyens de
contraception lui permettant de prendre une décision libre et éclairée, Mme E signalait
qu'on l'enjoignit alors seulement à « prendre la pilule ». Mme E prit donc un temps la
pilule après sa sortie de la maternité. Mais celle ci n'étant pas remboursée, elle dût par
la suite la stopper en raison de difficultés financières, et tomba enceinte une troisième
fois.
Même si Mme E ne questionnait pas explicitement ce point, aux vues de sa situation, on pouvait se
poser la question de la qualité de l'échange entre Me P et ce gynécologue. En particulier, il fallait
questionner l'écoute du professionnel et sa prise en compte de la situation globale de Mme E, non
seulement médicale, mais aussi sociale.
En effet, la pilule étant chère pour la patiente et non remboursée, on pouvait se demander s'il
n'aurait pas été pertinent avant toute prescription de moyen de contraception, de questionner
Mme E pour connaître ses moyens financiers et ses préférences, afin de savoir entre autre
éléments, si elle pouvait effectivement se procurer la pilule par exemple. On pouvait également se
demander s'il n'aurait pas été plus pertinent de lui fournir des informations sur les autres moyens
de contraception (en particulier le stérilet, qui revenait moins cher au long cours).
Ces informations, Mme E déclarait ne les avoir jamais reçues de la part de ce gynécologue ni des
professionnels du service dans lequel elle fut hospitalisée pendant plusieurs semaines. Elle
rapportait qu'il lui fut seulement enjoint de « prendre la pilule », sans considération de faisabilité
ni d'acceptabilité de cette pratique pour elle.
Finalement, Mme E, aura à terme une troisième grossesse non désirée mais n'ayant
donc pu être évitée parce qu' elle n'avait pas pu durablement financer sa pilule. Elle
consulte à nouveau le Professeur G en Gynécologie-obstétrique. Cette nouvelle
120
entrevue entre les deux protagonistes survient alors que le gynécologue-obstétricien,
lui avait donc fortement déconseillé de tomber enceinte par la suite.
Le troisième accouchement de Mme E est également compliqué (d'une moyenne
prématurité) et à sa suite, le professeur informe alors la patiente de la pertinence,
selon lui, à réaliser une ligature de trompes. A nouveau, aux dires de la patiente, le
gynécologue n'aborde pas avec elle la question des autres moyens de contraception (en
dehors de la contraception orale, qui avait déjà échoué). Il lui présente même cette fois
la chirurgie comme le seul moyen d'éviter ce risque.
Présentons maintenant la tonalité des échanges entre la patiente et ce médecin tels qu'ils nous
furent rapportés par Mme E:
« Vous avez pris une contraception par la suite ?
-Ben j'ai pas pris parce que, avec tout ce que j'ai fait le Dr G. m'a coupé les trompes.
-Çà c'était après votre quatrième enfant, mais avant, entre le troisième et le quatrième,
avant d'avoir été opérée, vous preniez une contraception ? Le chirurgien vous avez
informé qu'une nouvelle grossesse était risquée...
- Oui y m'a dit « Plus rien. Si vous avez encore des enfants, vous allez mourir. »
-Mais du coup il vous a prescrit un moyen de contraception ?
-Non. Pour les jumeaux il m'a rien donné hein ! Y m'a dit : « Prenez la pilule ! » […] je
me suis déjà retrouvée enceinte... parce que... j'avais pas de quoi acheter la pilule et pis
je voulais pas demander l'argent à maman... Je me suis trouvé enceinte comme ça, de
la quatrième quoi39.[...] Le professeur il me l'avais dit, il m'avait dit : « le prochain vous
allez mourir hein !». Quand y m'a vu [pour la troisième grossesse et le quatrième
enfant] il m'a... c'est tout juste si y m'a pas sauté dessus. Il était énervé ! Y s'est mis
après moi !J'lui ai dit : [Elle prend une voix geignarde et forte, faisant semblant de
pleurer] « Ben qu'est ce que vous voulez que j'y fasse j'avais pas d'argent pour acheter
la pilule ! ». Hé ben y m'a dit « vous allez voir, vous en aurez plus cette fois-ci... Vous
n'aurez plus d'enfants ! ». Ça se passait trop mal. Il m'a dit, il m'a coupé, il m'a dit : « je
veux plus vous voir. Vous allez mourir comme ça ! alors c'est pas la peine hein. Vous
n'aurez plus d'enfants.»
Mme E
Ici encore, ce qui nous importait n'était pas de discuter de la pertinence de la chirurgie réalisée,
qui avait peut-être effectivement permis a Mme E de survivre par la suite. Notre recherche, se
concentrait sur l'étude de la relation médecin-patient vécue par la patiente. De ce point de vue,
nous ne pouvions manquer de pointer le manque apparent de loyauté, de clarté et de complétude
de l'information qui fut visiblement apportée à la patiente au long de sa prise en charge en
gynécologie. Ceci nous conduisait nécessairement à interroger l'éclairage fourni au regard de la Loi
relative aux droits des malades 40 et du code de déontologie médicale qui imposent pourtant à
chaque médecin de fournir une information claire, loyale et appropriée à ses patients afin de
garantir leur liberté de choix et la possibilité d'un consentement éclairé aux soins.
Par ailleurs, bien qu'il fut apparemment tout à fait bienveillant, le paternalisme du médecin était
39 Il s'agissait de la troisième grossesse et du quatrième enfant de Mme E, la deuxième grossesse de la patiente ayant
été gémellaire (et en prenant en compte son enfant mort-né à lors de son deuxième accouchement).
40 Loi du 4 Mars 2002 relative aux droits des malades.
121
flagrant : à l'activité et au pouvoir du médecin semblait ainsi avoir répondu en effet la passivité et
la soumission de la patiente à qui il ne semblait rien avoir été demandé d'autre que de subir les
soins, y compris hors des contextes d'urgence médicale 41. C'était aussi le ton directif voire
prophétique (notamment lors des annonces concernant le pronostic de la patiente sans traitement
(« Vous allez mourir ») ou les effets du traitement qu'il s'apprêtait à mettre en œuvre (« Vous
n'aurez plus d'enfants »)) du médecin, qui démontrait bien qui détenait l'essentiel du pouvoir dans
cette relation.
iii.3) Troisième épisode relaté par la patiente :
L'exemple suivant, décrivant la manière dont Mme E avait vécu et se souvenait de l'annonce par
son médecin oncologue du diagnostic de cancer de l'utérus, en 2000, était également éloquent.
Mme E rapportait avoir été informée du diagnostic de son cancer de l'utérus de la part de ce
médecin spécialiste par téléphone. Selon son récit des faits, ce fût ainsi sans aucune précaution
évidente à son endroit (notamment de sa réaction émotionnelle et psychologique), ni vis à vis du
contexte et du cadre de l'annonce de cette maladie grave, qu'on lui annonça la nouvelle :
« -[...] y m'ont fait une biopsie...Et pis un soir ben j'étais assise tranquillement en train
de regarder la télévision, comme ça... Y a le cancérologue qui m’appelle pis y me dit :
« Madame P, est-ce que vous avez déjà songé à avoir un cancer ? ». Alors là j'lui ai dis :
« -Hein, comment ? Un cancer ? Non pourquoi ? », « -Ben parce qu'y me dit : vous avez
un cancer ». Alors là...là j'me suis mise à pleurer parce que je savais même pas...
-Il vous a annoncé que vous aviez un cancer par téléphone?
-Au téléphone y m'a dit ça ! A huit heures du soir ! J'étais devant, j'étais... j'étais au
salon ! Et y m'a dit ça au téléphone ! J'ai fais « ben non. Non non. Pas du tout » […] Ah
ben... maintenant j'me dis... il a pas pris de gants hein.»
Mme E
Les faits décrits étaient surprenants. Le manque d'égards apparent du médecin-oncologue vis à vis
de la réaction émotionnelle et psychologique de la patiente ne pouvait que nous questionner. A
l'évidence, la pratique médicale du médecin oncologue ne semblait pas accorder à la fonction
relationnelle et psychologique de la prise en charge médicale autant d'importance qu'à sa fonction
purement technique. Il semblait concevoir que son rôle était de réaliser le diagnostic et la prise en
charge de la maladie, et semblait manifestement ne pas considérer avec autant d'attention la
malade elle-même. Cette absence de considération relative pour la patiente, pour ses réactions et
pour sa prise en charge psychologique et émotionnelle, clivée artificiellement de la prise en charge
de son corps et de sa maladie par le professionnel, était symptomatique d'une pratique techniciste
de la médecine.
Ici encore, c'était possiblement sans volonté de nuire, et de manière sans doute peu réfléchie que
ce médecin avait agit de la sorte. Peut-être considérait-t-il même avoir assumé pleinement sa
fonction lors de cette prise en charge. Pourtant les recommandations professionnelles concernant
41 Les contextes d'urgence médicale ne se prêtant pas autant bien sur à la participation du patient dans un modèle de
décision médicale partagée, les « marges de libertés » accordées au patient et à la relation thérapeutique sont alors
réduites [70].
122
les modalités déontologiques de l'annonce d'une maladie grave, qui imposent théoriquement de
ne livrer aux patients le diagnostic de cancer que lors d'un entretien en face à face, et en veillant à
respecter un certain nombre de précautions (notamment relatives au retentissement
psychologique et émotionnel de ce type d'annonces sur les patients) n'avaient pas été respectées
par ce médecin.
Au total, l'imposition d'un modèle de relation paternaliste privait les patients d'une information
claire loyale et appropriée, ainsi que du pouvoir de participer de manière éclairée, aux soins, de
leur autonomie et leur liberté de choix. Dans les cas où un modèle relationnel techniciste était
imposé par les médecins, c'était tout à la fois la subjectivité des patients et leur reconnaissance en
tant que personnes dotées d'émotions et de réactions psychologiques qui leur était déniée.
Ainsi, si le paternalisme rencontré cherchait manifestement à imposer l'autorité médicale, à
contraindre le patient à la passivité, à dominer et à infantiliser, le technicisme, quant à lui
déshumanisait. La vivacité du ton employé par la patiente pour décrire cet épisode, ainsi que sa
conclusion, livrée avec le recul des années : « Il a pas pris de gants », exprimaient bien son
sentiment d'injustice et d'insatisfaction.
Mme E entretenait depuis ces expériences de relation très négatives une représentation du corps
médical qui était également très négative. Elle avouait cultiver un sentiment de « peur » à leur
égard, de défiance, qui semblait inhiber son recours aux soins. Ses déclarations au sujet de sa
représentation des médecins furent de plus en plus explicites durant notre entretien. Alors que
nous l'interrogions ainsi sur la relation qu'elle entretenait avec son médecin traitant, voici ce
qu'elle déclara alors :
«-Et votre médecin traitant, vous parlez bien avec lui ? Vous vous sentez en confiance
pour lui partager vos soucis divers ?
-Oui, je parle bien avec lui... Mais je ne suis jamais en confiance avec un médecin.
-Ah bon, d'accord...
-Je suis toujours, j'ai toujours... je vais vous dire : je crois que ça, c'est les chirurgiens qui
ont fait ça. C'est quand vous êtes sur un lit d'hôpital, j'ai l'impression, et c'est pas
qu'une impression hein, j'en suis presque sure... heu...le chirurgien [prononçant cette
phrase elle fait une imitation manifestement en rapport avec sa représentation de
l'attitude des chirurgiens, en gonflant le torse et en ''roulant des mécaniques''] il
arrive, il est là, y vous regarde!...Et...y nous prenne un peu pour heu... pour de la merde
hein des fois hein même. Y sont... tellement imbus de leur personne !... « Hé attendez !
Hé Moi j'suis chirurgien hein! Qu'est ce que vous êtes vous ? Vous savez pas
vous hein?» J'ai toujours eu cette impression là. Toujours eu l'impression de... avec
médecins...
-Tous les médecins ?
-Tous, oui. Mais alors encore plus quand on va à l'hôpital. Vous avez le chirurgien qu'est
là, qu'arrive avec sa cour : « Oui ben voyez, elle a ça, bon... » Voilà. Et j'ai toujours eu
l'impression que... qu'y parlaient de moi comme... je sais pas... Oh pff! Qu'ils
s'occupaient même pas que j'étais là... bon voilà. Et c'est ça qui m'a... Qui m'a un p'tit
peu énervé, qui m'a un peu énervé... Parce que les chirurgiens sont des gens... pas tous
hein, je dis pas tous, mais qui, pour la plupart, vous prennent de très haut. [elle répète
et souligne le « très »] De TRES haut je trouve...
123
-Mais... ça... ce sentiment dont vous me parlez, ça a joué sur le fait que vous ne fassiez
pas certains examens ou que vous n'alliez pas consulter?
-Ouais. Ouais. Je trouve que les... les gens... dans la médecine, les gens... ont
l'impression qu'ils... qu'ils ont tout pouvoir. Ils ont le pouvoir y savent, y savent, y savent
heu... Ils ont le pouvoir. Déjà ils vous expliquent ça avec des noms des fois vous
comprenez rien du tout... Vous allez chercher dans un dictionnaire ! Hein ! Et j'ai
l'impression qu'y vous regarde tellement de haut ! Vous êtes une petite chose pfff oh....
J'ai toujours eu l'impression de ça.
-Vous avez ressenti ça avec tous les médecins que vous avez vu ?
-Ben celui avec qui j'ai ressenti le plus, c'est rigolo, c'est avec le cancérologue. Parce
qu'il me parlait pas bien du tout hein. Y me... quand j'me suis plaint que... bon que ça
m'avait laissé un peu de séquelles, mais bon j'ai pas pleuré ! J'lui dis « Oh ben, ça laisse
des séquelles». Y me dit [elle prend une vois forte et autoritaire] : «Ben hé oh ! Vous
traversez la rue ! Vous rencontrez un camion ! Vous êtes morte ! Eh ben ! Qu'est ce que
vous avez à vous plaindre ! ». Hop hop hop... ben j'ai pensé: « c'est bon hein, c'est bon
hein je dis plus rien. Je dis plus rien»...[...] Et j'ai toujours eu c't'impression là. Que
quand ils passaient, quand ils vont voir les gens sur les lits... les lits d'hopitaux, qu'ils
n'ont pas c't'humanité, ce … pff je sais pas.
-Mais... du coup... avec tous les médecins ça a fait ça ?
-Non. Non. Mais j'en ai peur quand même. Ils me foutent la trouille[…] N'importe
comment à chaque fois que je vais dans un cabinet de médecin j'suis pas bien, j'suis pas
bien, je me sens mal.
-hmm... et à cause de...
-heu... je pense que je dois avoir des problèmes d'infériorité. Je me sens mal à l'aise.
[...]- Si je vous comprends, d'une manière générale vous avez du mal, peut-être encore
plus à aller voir un spécialiste ?
-Oh ben alors là j'y vais pas ! Alors là c'est même pas la peine j'y vais pas !
-pourquoi ?
-Parce que je veux pas. Ah non, ah non. Les spécialistes c'est encore pire...
-Parce qu'ils ont un peu...
-ah ben ils sont encore pire eux ! Eux y sont, alors là les spécialistes ! Ah non...
-Vous trouvez qu'ils ont... un peu... ''la grosse tête''?
-Oui ils ont la grosse tête les spécialistes ! Ah non un spécialiste ! Ah non ben non ben
sûrement pas non... […]
-Mais pourtant ils sont pas tous...
-Non ! Parce qu'ils sont pas tous pareil. J'ai dit non si je retombe sur quelqu'un qui va
me... Non !
-On dirait que ça, ça vous a beaucoup marqué les fois où ça s'était mal passé ?
-Ah ben ceux là, ceux qui m'ont envoyé paître ou qui, oui oui ! Y m'ont beaucoup
marqué parce que j'me suis dit : « là y pourraient te répondre heu, quand même
poliment hein. La moindre des choses c'est d'te respecter un p'tit peu hein. Un tout
petit peu. » Alors c'est quand je les vois maintenant. Quand je le vois Ohhh j'dis ça y
est, qu'est ce qui va me dire encore celui-là. Faut dire que dans ma vie j'ai été mal
traitée aussi hein. […] Et j'suis pas toute seule à le dire hein, j'suis pas toute seule à le
dire. Et... qu'y nous prennent de haut dans les hôpitaux, j'suis pas toute seule à le dire
non plus hein.»
Mme E
124
On retrouvait ici tous les éléments négatifs impactant sur la qualité de la relation-médecin-malade
déjà évoqué dans les expériences de consultations et de soins médicaux vécues par Mme E
(manque d'écoute, relation autoritaire/paternaliste/infantilisante, relation techniciste manque de
considération ressentie pour sa personne, voire humiliation lors de certains échanges avec les
professionnels (surtout lors de son expérience auprès du médecin oncologue)). Tous ces éléments
avaient visiblement fortement impacté sur la qualité de la relation thérapeutique lors des
différentes consultations. Tout ceci en particulier avait apparemment nui à la qualité de
l'information, de l'éducation en santé de la patiente, n'avait pas permis un soutien psychologique
suffisant de la patiente, et ce y compris alors que ses différents problèmes de santé s'inscrivaient
dans une histoire de vie plus globalement marquée par des difficultés sociales, psycho-affectives et
psychologiques très fortes (dépression chronique avec multiples tentatives de suicide), et ce
depuis son enfance42.
Ces expériences avaient aussi visiblement impacté sur sa représentation du corps médical en son
ensemble, et la « peur »-défiance qu'elle déclarait à son égard semblait inhiber son recours au
soins médicaux. Enfin, la patiente s'était senti fortement déconsidérée, voire humiliée lors des
contacts avec les différents médecins qu'elle rapportait ici. Ceci semblait avoir encore dégradé une
estime de soi et une confiance en soi déjà faible auparavant (« je dois avoir des problèmes
d'infériorité. Je me sens mal à l'aise. »), qui pouvaient eux-mêmes s'expliquer par le nombre et la
force de ses expériences de vie sociale plus générale lors desquelles elles avait déjà subi nombre
d'humiliations43.
Ainsi, si certains facteurs de dégradation de la relation thérapeutique semblaient liés aux
caractéristiques des patients (faible culture, dispositions psychologique marquées par une
tendance à l'appréhension voire la défiance vis à vis des médecins, voire d'autrui en société de
manière plus large, après des expériences de vie en société très difficiles), bon nombre semblaient
en lien avec les caractéristiques de la pratique médicale en terme de communication et de
relation. Ces facteurs liés aux pratiques professionnelles constituaient autant de facteurs limitants
de la qualité de la relation thérapeutique, mais sur lesquels les médecins pouvaient agir
directement, notamment en acquérant et en intégrant à leur pratiques certaines compétences
psychologiques et en communication. Il s'agissait de facteur ''évitables'' de dégradation de la
relation entre médecin et patients précaires. Une partie du sous-recours des patients semblait
ainsi pouvoir se combattre par une relation de meilleur qualité. Notamment les médecins devaient
apparemment intégrer davantage ces compétences à leur pratique auprès des patients précaires.
42 Nous avions exposé son histoire de vie et son historique de santé dans notre première partie cf partie I, en
particulier : précarité des la naissance
43 Nous rapportons certaines de ces expériences de vie sociale plus large traumatisantes pour la patiente, notamment de
stigmatisation liée à sa position sociale basse, dont certaine connues dès l'enfance cf Partie V : Le rapport des
patients aux aides sociales.
125
Difficultés de communication, faiblesse de l'information et de l'éducation à la santé, faible
écoute active et empathique ; absence de prise en compte du vécu, des conditions de vie socioenvironementales et des caractéristiques psychologiques des patients, contre-transfert négatif
ou ''mission apostolique'' mal prise en compte, pratique autoritaire-paternaliste ou techniciste,
insuffisance d'intégration de l'approche globale centrée sur la personne ou encore d'inclusion
des patients à un modèle de décision médicale partagée semblaient autant de facteurs
ressortant des pratiques relationnelles des médecins, qui dégradaient quelquefois fortement la
relation thérapeutique, mais qui étaient modifiables.
Ces obstacles ne semblaient pas spécifiques de la relation entre médecins et patients précaires,
mais ils paraissaient être pour certains (distance culturelle/vocabulaire, paternalisme) encore
plus importants si le patient disposait de peu de connaissances, d'aisance à s'exprimer et à
demander des informations, ou encore à faire entendre ses vues aux professionnels (ce qui de
manière générale était le cas des patients précaires interrogés durant notre étude). Une
évolution des pratiques professionnelles semblait nécessaire sans quoi les médecins
paraissaient devoir aggraver l'accès aux soins de qualité des patients précaires, et renforcer la
tendance de ces derniers au sous-recours aux soins médicaux.
Au contraire, les pratiques professionnelles qui intégraient ces outils relationnels et de
communication que les patients ''plébiscitaient'' amélioraient apparemment les connaissances
et compétences en santé des patients précaires, leurs capacités de gestion de la santé et de la
maladie, leur satisfaction et leur adhésion aux soins. Accompagner les patients précaires en
médecine générale dans une démarche de changement comportemental vers des habitudes de
vie et des comportements de santé plus ''sains'' ne semblait pouvoir ainsi passer que par une
entreprise de ce type. Elle semblait aussi devoir s'accompagner d'une évaluation des conditions
de vie des patients précaires et d'une action sur celles-ci, ce qui soulignait l'importance de la
fonction d'accompagnement social des généralistes auprès de ces patients.
126
PARTIE V : RÉSULTATS COMPLÉMENTAIRES - LE RAPPORT DES
PATIENTS AUX AIDES SOCIALES À LA COUVERTURE MALADIE
Le rapport entretenu par les patients interrogés aux aides sociales et en particulier à la couverture
maladie nous est, au long de notre enquête, progressivement et de plus en plus apparu devoir être
exploré, et ce d'autant plus qu'en réalité, il semblait en fine conditionner fortement et directement
leurs conduites de recours aux soins médicaux avec un effet sur leur état de santé par ce biais,
mais aussi parce que le vécu globalement négatif des patients au sujet des aides sociales semblait
dégrader chez eux certains facteurs psychologiques/psycho-sociaux (estime de soi, confiance en
soi) qu'on savait déjà globalement reliés aux conduites de santé et à l'état de bien être général des
individus [16-18,28]. Il nous restait à en explorer le mécanisme en détail chez les patients précaires
de notre échantillon.
Par ailleurs, ce qui nous a rapidement interrogés durant notre enquête était qu'une part
importante des obstacles à l'accès aux soins des patients interrogés était liée aux difficultés
budgétaires qu'ils rencontraient, et que compte-tenu de ce fait, les aides à la couverture maladie
spécifiquement à destination des personnes précaires auraient théoriquement dû connaître un
important succès auprès de ceux d'entre eux qui y étaient éligibles. Mais, au lieu de cela, un
certain nombre de patients interrogés pourtant éligibles à ces aides, n'ignorant quelquefois pas y
être éligibles, et ayant par ailleurs déclaré un renoncement à certain soins à cause d'un défaut
d'accès d'origine financière, n'avaient pas recouru à ces aides. Il n'y avaient pas recouru soit
temporairement (pendant un temps plus ou moins loin, avant de s'être finalement décidé à y
recourir) soit définitivement (tout au moins jusqu'au moment de notre entretien).
Tout ceci imposait donc d'approfondir le rapport entretenu par les patients précaires interrogés
aux aides à la couverture maladie, Ce qui ne pouvait, en réalité, pas se comprendre sans se référer
plus généralement à leur rapport aux aides sociales.
I) Faible capital culturel et incompréhension des démarches
administratives:
Durant nos entretiens, certains patients ne semblaient pas détenir une compréhension pleine et
entière des démarches administratives et du fonctionnement de l'assistance sociale. C'était en
particulier les conditions d'octroi des aides sociales envisagées ou obtenues, les démarches à
réaliser, les formulaires à remplir, les pièces justificatives à fournir, ainsi que l'enjeu et le champ
couvert par le bénéfice des aides qui semblaient rester assez obscurs pour plusieurs patients
interrogés:
"-Et vous avez une complémentaire santé ?
-Oui j'ai une complémentaire, et puis là depuis 5-6 mois j'ai ausi la CMU 44. Mais c'est
pas ça que je voulais. Je voulai une aide à la complémentaire santé, ils n'ont pas
compris mais bon tant pis. Et là récement je voulai l'arrêter mais le docteur m'a
44 NB dans le vocabulaire couramment utilisé par les patients, ''avoir la CMU'' correspond en fait au fait de bénéficier
de la CMUC.
127
conseillé de ne pas le faire. Il faut, il faut une mutuelle. Meme pour maman quand elle
a été à l'hopital du coup on a rien payé: pas de frais journalier, pas de frais hospitaliers,
rien du tout pour l'instant...c 'est pour ça que c'est important. Mais c'est dur, parce que
le prix de la complémentaire a vraiment monté récemment.
-Vous payez combien?
-Je paye 89 euros par mois pour la mienne. Maman elle c'est plus de 100 et quelques
euros. Elle a un peu d'argent sur son compte donc c'est prelevé sur son argent mais bon
elle en a pas beaucoup non plus [...] Par exemple ma mère elle l'a eu laide pour la
mutuelle, ils lui ont payé la moitié du prix pendant six mois. Je voulai ça mais ils n'ont
pas compris. [...] Maintenant je l'ai, je l'ai, il faut bien. Enfin jusqu'en Juillet, et après on
verra bien. Mais j'ai toujours ma mutuelle [avec fierté], je paye toujours ma mutuelle.
-Vous payez encore une mutuelle?? En plus de la CMU-complémentaire?!
-Oui mais la CMU on ne paye rien. C'est simplement qu'on a la visite du docteur
gratuite. Et puis normalement il y à aussi les médicaments, ou je sais pas quoi. Mais ils
le savent à la pharmacie. Donc ils savent que j'ai la CMU et ma mutuelle aussi , ils
prennent ma mutuelle. [...]
- Mais... l'assistante sociale de Pouilly ne vous a pas dit d'arrêter de payer la
complémentaire santé lorsque vous avez eu la CMU-complémentaire?
-Ben je me demandais... je voulais la revoir pour lui demander si je pouvais arrêter de
payer la mutuelle. Mais le médecin m'a dit de ne pas le faire. Il m'a dit que sinon j'allai
avoir à payer je sais pas quoi. Mais bon, ça il faut que je l'éclaire, que je me renseigne.
[En aparté je ne peux pas m'empêcher de réexpliquer à la patiente le fonctionnement
de la CMU complémentaire, et lui conseille de reprendre rendez-vous auprès de son
assistante sociale, car au vu des éléments qu'elle me rapporte, elle bénéficie alors de la
CMU-complémentaire, qui la dispense normalement de devoir adhérer à une mutuelle
payante, mais continue de payer conjointement son rattachement à une
complémentaire santé, qui plus est assez couteuse, alors que celle-ci ne lui est plus
d'aucune utilité depuis 6 mois au moment de notre entretien compte-tenu de son
bénéfice de la CMU-c ]
-Oui... ben l'assistante sociale va revenir à la maison bientôt... pour le dossier de
maman. Donc je vais lui en reparler. Parce que là ça fait beaucoup. Ouais je voulais le
faire... je vais lui demander."
Mme C
Mme C en particulier, présentait d'importantes difficultés de compréhension des démarches
administratives, ainsi que des tenants et aboutissants de sa demande d'aides, dans son cas la
CMU-C et le RSA. En effet, Lorsque nous l'interrogions sur ces points, la patiente hésitait souvent,
avouait à plusieurs reprise son incompréhension et ses doutes, et poursuivais souvent ce type de
propos par « je vais lui en reparler [...] je vais lui demander" (se référant de la sorte à son assistante
sociale), démontrant bien ainsi ses difficultés à appréhender seule ces questions. Elle allait même
plusieurs fois jusqu'à bien marquer son désaroi par des formules telles que : là ça fait beaucoup"
ou bien "avec ces papiers, j'en bave" .
A force d'incompréhension, la patiente se retrouvait, au moment de notre entretien, à payer
simultanément son adhésion à une complémentaire santé privée (qui plus était, assez onéreuse)
en sus de son bénéfice de la CMU-C (qui rendait pourtant cette adhésion totalement inutile).
Lorsque nous abordions le sujet du RSA avec cette patiente, nous pouvions alors noter son
incompréhension des démarches administratives nécessaires à son attribution :
128
« -Pour le RSA, en ce moment, j'en bave. Ca fait deux fois que je m'y reprend ou qu'il
me renvoie des papiers supplémentaires à compléter. Là j'ai envie de taper du poing [...]
ils m'ont envoyé le dossier de demande. Il faut remplir ses revenus, tout ça , pour voir si
on y a droit et combien. Et voilà que ces jours-ci ils me renvoient le même dossier à
remplir que celui que j'ai rempli là il y à 3 mois...alors bon... Mais bon ces jours-ci là,
lassistante sociale doit revenir donc elle va voir que j'ai fait une demande dans mon
dossier, je pense qu'elle va m'aider, enfin j'éspère."
Mme C
Précisons un élément important et permettant de bien saisir l'ampleur de l'incompréhension de
cette patiente : le dossier administratif de déclaration de revenus auquel se référait Mme C était
en fait lié au mode d'attribution normal du RSA et en particulier au fait que celui-ci nécessite que
tout bénéficiaire actualise sa déclaration de revenus tous les trois mois. Il était ici flagrant que la
patiente n'avait pas compris ce processus, puisqu'elle parlait de "papiers supplémentaires" et de
"[renvoi]du dossier de demande" de la part de l'administration, semblant incriminer à un
dysfonctionnement de l'administration. De plus pour remplir cette déclaration elle avouait à
nouveau avoir trop de mal seule, et avoir besoin de l'assistante sociale.
Pour résumer son malaise face à l'ensemble de ces démarches administratives (elle en avait
d'autres en cours dont une pour réévaluer l'APA de sa mère dépendante), que Me C percevait
manifestement comme trop lourdes et trop complexes pour pouvoir les réaliser seules, la patiente
concluait par la formule: « il y à trop de paperasse ».
II) La résistance des patients au bénéfice des aides sociales :
A) Résistance psychologique et renoncement volontaire à l'assistance sociale :
Tous les patients interrogés, à l'exception d'un seul 45, déclaraient un malaise assez important et
même une assez forte résistance psychologique à bénéficier de l'assistance sociale. Cette
résistance psychologique des patients s'accompagnait dans les faits d'un non recours volontaire
très répandu aux aides sociales :
"-Qui vous a dit que ça vous concernait peu-être le RSA?
-L'assistante sociale de Pouilly m'en avait déjà parlé, ça fait un bout de temps, même
plusieurs années [...] je sais pas peut-être deux ou trois ans, mais j'ai pas voulu le faire
non plus. Enfin c'était gênant, comme pour la CMU quoi, je voulai pas demander ça
alors que je travaillais "
Mme C
Parmi les éléments majeurs d'explications fournis par les patients à même d'expliquer ces faits, un
qui revenait systématiquement était à la fois leur attachement extrême au fait de ''gagner leur vie''
par leur travail46, ainsi que leur représentation des aides sociales comme d'un revenu déconnecté
du travail. Ces représentations et habitudes de vie étaient chez eux à l'origine d'une représentation
45 Il s'agissait de M. A dont nous exposons le cas particulier plus loin
46 Nous avons déjà longuement exposé ce point plus haut cf partie IV le système de valeurs morales...
129
des aides sociales/CMU-C comme une forme de ''charité'', et du recours aux aides comme une
forme de mendicité. Tout ceci inhibait visiblement leur recours :
« La première fois que j'ai fait la demande [de CMU-C], c'était quand j'étais encore ben
avec le père des trois p'tits donc heu... ouais ouais ben y à eu un moment ben donc on
s'est retrouvé ben dans la panade heu j'avais pu de boulot heu pu de droit, ça a pas
duré longtemps hein ben ça a duré une année peut-être hein. Donc là j'avais pu de droit
j'ai demandé la CMU mais j'ai eu du mal hein... j'ai eu beaucoup beaucoup beaucoup
de mal à l'époque...
-Vous avez eu du mal... à accepter d'aller voir l'assistance sociale ? A demander la CMU
?
-Oui, les deux, vous savez quand vous avez travaillé toute votre vie, pis même
beaucoup travaillé, pis que vous vous retrouvez à devoir être en train de... de mendier
parce que pour moi y à pas d'autres mots, à être là à raconter votre vie et à avoir
l'impression de mendier... pour pouvoir vous occuper de vos enfants, pour pouvoir
heu... rien que les faire soigner... vous vous sentez plus bas que tout »
Mme G
et :
"-Vous avez une complémentaire santé ?
-Oui j'ai une complémentaire, et puis là depuis 5-6 mois j'ai la CMU. Mais c'est pas ça
que je voulais. Je voulai une aide à la complémentaire santé, ils n'ont pas compris mais
bon tant pis [...]
-Et pourquoi vous ne vouliez pas de la CMU?
-Parce que je travaille, donc j'estime que je peux payer ma mutuelle, mais je voulai une
aide. Par exemple ma mère elle l'a eu laide pour la mutuelle, ils lui ont payé la moitié
du prix pendant six mois. Je voulai ça mais ils n'ont pas compris [...]
-Et lorsque vous êtes allée voir l'assistante sociale de Pouilly pour vous, pour avoir une
aide pour la mutuelle, vous ne vouliez pas de la CMU pour quelle raison?
-Parce que ça me génait, j'avais l'impression de mendier."
Mme C
ou encore:
« Comme je dis je vais avoir quarante-trois ans, pour moi... j'ai travaillé toute ma vie
[…] je pensai pas avoir besoin de l'assistante sociale [...] je vous dis jusque là je me
débrouillais seule, je peux travailler hein je l'ai toujours fait jusque là »
Mme B
B) Une résistance moins forte chez un patient handicapé et reconnu inapte au
travail :
A l'inverse de tous les autres patients interrogés, M. A ne déclarait ni malaise ni résistance
particulière quant à son bénéfice de certaines prestations d'aides sociales, comme la CMU-C
par exemple :
130
«-Vous avez trouvé ça génant de bénéficier de certaines aides sociales après votre AVC ?
-Pff... [il a une expression faciale de négation] ben hé ! Je suis à 100%, j'ai la CMU [la CMUcomplémentaire], puisque donc j'pouvais pas travailler tout ça [en disant cela il écarte les
bras et opine du chef en direction de sa jambe gauche], donc j'ai la CMU […] D'toute façon...
j'suis là... [soudain plus fort] je r'bosserai ! Si j'avais pas ce handicap maintenant. J'suis
obligé ! Hé... comment j'aurai fait pour payer la note de l'hôpital ?»
Cependant, bien qu'il ne déclarait pas de forte gêne, on pouvait observer que M. A semblait
se sentir malgré tout tenu de se justifier (peut-être de manière plus ou moins conscientisée).
Ainsi par exemple, il présentait de manière ostentatoire son handicap physique (il désignait
ostensiblement son hémicorps parétique) lors de sa réponse. Donc, au-delà d'une absence
de gène déclarée par le patient, la réalité de celle-ci restait visiblement à confirmer.
Ainsi, le seul patient de notre échantillon qui nous déclarait ne pas avoir eu de fortes
difficultés à accepter de recourir aux aides sociales était aussi celui qui présentait aussi la
plus forte incapacité de travail tant visible que socialement reconnue dans notre échantillon :
l'hémiparésie était à la fois assez évidente à l’œil nu et l'inaptitude à reprendre sa profession
exercée avant son AVC était à la fois reconnue par les institutions sanitaires et sociales
(invalidité catégorie I) et par son entourage47.
Par un exemple en miroir, ceci confortait selon nous l'hypothèse selon laquelle les patients
précaires, très attachés au travail, ne toléraient que très difficilement de percevoir leur
revenus sans travailler, sauf lorsque leur capacité de travail avait justement été fortement
dégradée, notamment par une maladie handicapante, et qu'ils étaient alors reconnus
socialement en tant que personne « malade », inapte/handicapée.
Au total, un peu de la même manière que leur handicap semblait leur procurer le statut de
véritable malade dans leur environnement social et semblait les ''autoriser'' alors à
« s'écouter » et à se soigner, il semblait que le fait qu'ils bénéficient d'un statut de personne
malade/inapte au travail reconnu socialement fasse percevoir aux patients précaires leur
bénéfice d'aides sociales financièrement déconnectés du travail comme plus acceptable
socialement, et par contrecoup comme moins lourd à assumer pour eux sur un plan
psychologique et psycho-social.
C) Dégradation du statut social, coût psychologique et psycho-social de la demande
d'aides :
Les racines du malaise et de la résistance des patients précaires interrogés à bénéficier des aides
sociales semblaient en réalité se plonger entre autre dans le sentiment de dévalorisation
personnelle et même de honte qu'ils avaient la plupart du temps déjà experimenté à l'occassion
d'un recours antérieur à certaines aides ou à l'assistance sociale :
« vous vous sentez plus bas que tout »,
Mme G
47 Nous avons détaillé ce point de la reconnaissance de sa situation de handicap et d'inaptitude au travail par
l'entourage de Mr B plus haut.
131
« j'avais l'impression de mendier »
Mme C
ou encore :
« -Le tiers-payant, il [son médecin traitant] vous le fait depuis quand ? Récemment ?
-Voilà oui ça fait ... depuis le mois de Janvier environ [trois mois à la date de l'entretien]
-Et quand il vous l'a proposé...
-Ben... Pour moi c'est me sentir vraiment dévalorisée, je me sens dévalorisée.
Demander le tiers-payant c'est vraiment être... un cas, pour moi être un cas social, ce
que je ne supporte pas»
Mme B
Ces déclarations des patients comprenaient des termes extrêmement péjoratifs. Le recours
semblait pour eux être à l'origine d'un fort sentiment de dévalorisation personnelle, d'indignité
morale, en somme de honte, ainsi que de dégradation de leur statut social (ce que les propos
« être un cas social» et «[être] plus bas que tout[sous-entendu dans la hiérarchie sociale]»
illustraient bien).
Ainsi, comme le miroir de la situation de fierté et de dignité morale dans laquelle se trouvaient les
patients interrogés lorsqu'ils réussissaient à vivre de manière autonome grace aux revenus de leur
travail, et à remplir ainsi ce qu'ils considéraient comme leur responsabilité individuelle et leur
devoir moral48, à l'inverse, lorsque les patients se trouvaient acculés, du fait de la dégradation de
leur situation socio-économique, à recourir aux services d'assistance sociale et à demander des
aides sociales leur permettant de (sur)vivre, ils se sentaient profondément dévalorisés et dégradés
sur un plan non seulement social (statut social dégradé), psychologique et psycho-social (image de
soi et estime de soi dégradée) mais aussi moral (sentiment d'indignité morale).
48 Comme nous l'avons longuement vu précédemment cf partie IV le système de valeurs morales....
132
D) Violence sociale symbolique envers les bénéficiaires de l'assistance sociale
(discrimination et stigmatisation) :
Les éléments négatifs de leur recours à l'assistance sociale constituaient pour les patients le
véritable coût social, psychologique et psycho-social de leur demande d'aide sociale. Ce coût, qui
semblait ainsi déjà très important pour eux, était en réalité aggravé par un autre phénomène : la
discrimiation et stigmatisation quelquefois exercées en société envers les bénéficiaires de
l'assistance sociale, et plus largement envers ''les pauvres'', situations que plusieurs patients
avaient personnellement expérimenté :
« […] Mais là on était regardé ! Que ce soit en ville, que ce soit à la pharmacie... que ce
soit n'importe où on était regardé comme des pestiférés. […] Vous allez chez le dentiste
heu vous êtes CMU, bon vous êtes regardé de travers heu « ah ben on comprends pas
comment ça marche le système de la CMU, on va être payé dans combien de temps, »
et pis devant tout le monde hein ! Ah ben là c'est terrible hein. […] Et pis la pharmacie
[elle imite l'employé de pharmacie à voix haute] : « sur quelle touche y faut qu'on
appuie pour les CMU ? », devant tout le monde... Ah là vous êtes vraiment... vous vous
sentez pestiféré. Vous allez chez l'ophtalmo heu « il est où le rayon des lunettes
CMU ? » Enfin voilà c'est, c'est terrible quoi, vous avez l'impression d'être vraiment le le
le heu le plus bas de l'échelle sociale C'était dur là. […] J'vous dis on était regardé au
démarrage de la CMU, ben c'était, p'tête juste après le passage de la Loi »
Mme G
ou encore:
« celui-là je peux pas le voir, de toute façon pour lui les gens qui sont au RSA sont des...
des moins que rien. L'autre jour au conseil municipal [elle fait référence à un conseiller
municipal de l'opposition dans sa commune d'environ 200 habitants], il disait qu'il
fallait remettre les gens au travail de force. Non mais, comme si les gens qui n'avait pas
de travail n'avais pas envie de travailler, moi ! Moi je vous dis ça fait vingt cinq ans que
je travaillai, j'ai toujours travaillé, je me suis toujours débrouillée seule, pour moi, pour
élever mes enfants pour... y à six millions de chômeurs en France non mais oh ! C'est
peut-être qu'y à six millions qui préfèrent vivre du chômage et du RSA ! […] Non ce
monsieur [elle souligne le mot « monsieur »] lui il dit... non mais les gens croient peutêtre que vivre avec quatre-cent cinquante euros par mois c'est agréable, pis de
toujours... de toujours compter ses sous : « je vais encore stresser si je chauffe trop la
maison si... » toujours le stress que la facture augmente et... non c'est... c'est... je vous
assure vous vous sentez regardée comme, de la... de la merde ! excusez-moi y à pas
d'autre mot. »
Ces déclarations étaient explicites au sujet de la stigmatisation des personnes précaires bénéficiant
d'aides sociales. C'était surtout la deuxième déclaration qui laissait bien apparaître le phénomène
d'attribution automatique par certains personnages sociaux d'attributs négatifs aux bénéficiaires
d'aides : ainsi l'élu municipal cité par la patiente dénonçait explicitement (et publiquement) la
paresse, la duplicité et l'égoïsme qu'il supposait chez les stigmatisés.
133
D'autres épisodes de leur vie, relatés par les patients, illustraient bien et de manière plus large les
expériences de vie traumatisantes qu'ils pouvaient avoir vécu antérieurement, non seulement en
raison d'un bénéfice d'aide/d'assistance sociale, mais plus largement à cause de leur statut de
''pauvre'' (le leur propre ou celui de leurs parents dans l'enfance). Ces expériences laissaient
quelquefois apparaître un traitement social discriminant à leur égard de manière explicite, tandis
que dans d'autres on pouvait aussi penser que c'était en grande partie le malaise ressenti par les
patients qui leur avait mal fait supporter ces épisodes. En tout état de cause, les deux phénomènes
(vécu négatif par anticipation et discrimination explicite) semblaient dans beaucoup de cas
étroitement liés :
"-Et lorsque [récemment] vous êtes allée voir l'assistante sociale de Pouilly pour vous,
pour avoir une aide pour la mutuelle, vous ne vouliez pas de la CMU pour quelle raison?
-Parce que ça me génait, j'avais l'impression de mendier. Et ça... J'ai vécu ça étant
petite.... parce qu'on avait pas assez d'argent, on était obligé de faire des demandes
[elle inspire profondément]... ça ça a été un peu dur...
-Vous aviez quel âge?
-C'est quand j'avais neuf ans, dix ans par là. On allait chercher des colis aux restos du
coeur. Puis nous c'était même pas les restos du coeur à l'époque, c'était directement à
la mairie... Tout le monde se connaissait. Moi ça me gênait beaucoup. C'était très dur...
Donc pour moi, ce genre de chôse... j'ai l'impression de mendier...
-Dans votre fammille, ils réagissaient de la même façon?
-Oui... On a pas envie de... de mendier...
-Vous avez un souvenir marquant en tête?
-Oui, il y avait justement un magasin en face de la mairie à l'époque. Beaucoup de gens
y allaient pour faire leur courses... et quand vous sortiez avec le panier tout le monde
était là... vous regardait... Et ça ça me gênait un peu... c'était dur... C'était pas du tout
pareil que maintenant, maintenant il y à des accueils, là il y en avait pas, tout le monde
se connaissait.."
Mme C
et :
« Ce qui m'a le plus angoissé c'est, là là ou j'ai été à reculons, c'était au restos du cœur
par exemple. Ah oui. Là ma fierté en a pris un coup
-Quand vous êtes allée c’était quand ?
-Ah ben j y suis retourné récemment... bien obligée hein... mais j'y suis allée à reculons
parce que... parce que j'étais déjà allé une fois avec mon ex compagnon le père des
trois donc... et pis heu là ben j'y suis retournée depuis qu'je suis divorcée donc heu...
-Et...ça a été difficile j'imagine ?
-Ben c'est déshonorant... c'est heu... vous êtes là avec vos sacs heu... c'est ça que j'ai eu
du mal à y retourner. Mais pas le choix hein
-C'était les gens qui y étaient peut-être aussi ?
-Ben c'est pas... non, c'est non ! Non ! C'est pas... y sont accueillants mais c'est vous,
c'est MOI intérieurement qui heu qui n'arrivait pas à me mettre dans la tête que heu
mes enfants allait manger grâce à... ben pis même les autres personnes qui étaient là
ben... on savait qu'on était tous dans la même misère donc heu non mais ce que je
n'appréciais pas justement, c'est le regard des gens heu extérieurs ! C'est ça ! Vous êtes
là à attendre avec vos sacs ils savent très bien ce que vous venez chercher. Voyez c'est
134
ça... qui me...
-Parce que vous attendiez dehors ?
-Oui pis les gens vous voient. Vous êtes à la vue... à la vue de tout le monde ! Donc heu
ça c'était... dégradant. Humm c'est le mot ça. Donc j'ai eu beaucoup de mal à y
retourner....Ben oui heu on est des miséreux hein... à leurs yeux on est des miséreux... »
Mme G
Notons, qu'ici les patients avaient mal vécu les épisodes relatés, sans qu'une attitude
discriminatoire explicite ni évidente à leur encontre ne soit présente lors de ces épisodes. De plus,
si on aurait pu théoriquement s'attendre à ce que la fréquentation antérieure des dispositifs
d'assistance sociale permette aux patients de s'adapter, et d'accepter plus facilement d'en être à
nouveau bénéficiaires par la suite, on pouvait bien noter ici que la relation était loin d'être aussi
simple et univoque dans la réalité. Pour certains patients au contraire, un recours antérieur à
l'assistance sociale particulierement traumatisant semblait inhiber leur volonté de recourir à
nouveau.
Mais plusieurs patients interrogés déclaraient également avoir subi l'humiliation et la
stigmatisation du seul fait de leur pauvreté et du statut social dégradé. Ils semblaient même avoir
quelquefois finit par subir un véritable statut social de ''bouc-émissaire'' lors d'épisodes de vie
antérieurs particulièrement traumatisants pour eux :
« Par rapport au fait d'être plutôt pauvre, vous en avez pris conscience comment ? Et
quand ? C'était enfant je pense ?
-J'ai pris conscience enfant, quand heu... une petite gamine, dont les parents était un
peu fortunée, m'a dis : « toi t'es une sens-la-pisse »... J'ai pris conscience là, que j'étais
pas, voilà, que j'étais pas tout à fait comme les autres... Et on m'le faisait bien sentir
hein [...]
-Et les autres gamins ça arrivait souvent ça ? A l'école aussi
-Ah oui, y en a eu souvent... oui... On était des pauvres hein ! C'est tout... les habits
j'vais vous dire c'était pas merveilleux, on avait des pulls, des trucs raccommodés, et les
sabots c'était vraiment pas magnifique...
-Les autres se moquaient ?
-Oh oui, énormément... Énormément... « t'es une sens-la pisse » qu'elle m'avait dit...
mais, on l'disait pas à ma mère hein. On n'disais jamais. Elle avait déjà bien à faire de
ses tourments... »
Mme E
135
Ainsi, le non-recours aux aides sociales nous est d'abord apparu être en rapport avec une
certaine incompréhension/ignorance des patients à leur sujet, soit à un déficit de capital
culturel et/ou de soutien social informationnel.
Le faible capital culturel et/ou soutien social informationnel de certains patients, et en parallèle
la complexité des démarches administratives étaient autant d'éléments faisant potentiellement
obstacle à leur démandes d'aides sociales, limitant donc la réduction des inégalités sociales que
ces aides auraient du permettre.
Ces obstacles admnistratifs et culturels/cognitifs pouvaient cependant être en partie levé par le
recours à une assistante sociale ou à un tiers à même de leur fournir des explications et un
soutien informationnel (soutien social informationel). Ceci renvoyait directement, pour ce qui
nous intérresse le plus, à l'importance de l'accompagnement social de la part du médecin
généraliste49.
Mais le non-recours des patients semblait aussi lié à des facteurs culturels, psychologiques et
psycho-sociaux.
Ainsi, c'était souvent apparemment une incompatibilité perçue par les patients entre le fait de
répondre à leur Éthique et style de vie (qui impliquait de travailler, souvent dur, pour gagner sa
vie, d'être responsable financièrement de soi et de ses enfants de manière autonome) tout en
recourant aux aides sociales qui freinait visiblement leur recours.
On pouvait aussi bien lire dans les déclarations de certains patients comment la discrimination
sociale/stigmatisation dont ils avaient fait l'objet du fait de la pauvreté de leur condition sociale
et/ou du fait de leur recours à l'assistance sociale avait quelquefois abouti à faire d'eux des
boucs-émissaires et la cible d'humiliations en société. La souffrance liée à leurs expériences de
vie passées semblait réactivée chez les patients par une nouvelle confrontation (envisagée ou
effective) à l'assistance sociale.
Plus largement et au-delà des épisodes de vie des patients qui impliquaient une discrimination
sociale évidente et explicite à leur égard, c'étaient les anticipations négatives des patients au
sujet du regard social qui pourrait être porté sur eux en cas de recours qui semblaient les avoir
conduit à un vécu négatif de celui-ci, et semblaient avoir inhibé, in fine, leur recours.
Tous ces éléments exposaient visiblement les patients à une dégradation de leur image de soi et
leur estime de soi, parce qu'il n'arrivaient pas à répondre à leurs yeux à leur conception d'une
vie digne et éthique et/ou parce qu'ils intériorisaient une image sociale dégradée et la reprenait
à leur compte. Dans tous les cas, comme pour se protéger psychologiquement et socialement
les patients semblaient préférer ne pas recourir pendant un temps plus ou moins long. Lorsqu'ils
s'y résolvaient finalement cela n'était jamais ''de gaieté de cœur'' : c'était apparemment surtout
lorsque la pression financière avait été trop forte et l'avait emporté dans leurs arbitrages.
49 Fonction d'accompagnement social que nous détaillons plus loin dans nos résultats (cf partie IV) et dans notre
discussion.
136
DISCUSSION
Nous débuterons tout d'abord par une analyse et discussion des principales forces et faiblesses
méthodologiques de notre étude. Dans un deuxième temps, nous comparerons les principaux
résultats de notre étude à ceux de la littérature sur le sujet. Enfin, dans une troisième et dernière
partie, nous discuterons des implications de nos résultats pour la pratique des soins médicaux en
direction des patients précaires, en particulier sous l'abord relationnel, social, et
d'accompagnement au changement des comportements de santé.
PARTIE I FORCES ET FAIBLESSES MÉTHODOLOGIQUES DE NOTRE
RECHERCHE :
I) Forces :
A) Thème et méthodologie employée :
Le problème des ISS questionne notre société, notre système de santé, et particulièrement les
soins primaires et la médecine générale qui sont appelés à jouer un rôle important dans leur prise
en charge[29,30,65]. Nous avons vu le rôle important que joue le médecin généraliste auprès des
patients précaires pour les accompagner socialement et dans leur changement comportementaux
vers des pratiques de santé plus ''saines''. A ce titre, que les thèses de médecine générale se
penche sur ce sujet pour en approfondir leur compréhension est pertinent, sinon nécessaire [65].
Le HCSP, dans son rapport de 2009 où il rappelle de manière oxymorique qu'il est possible de
« sortir de la fatalité », souligne que « L’organisation de la recherche en santé en France repose sur
une organisation par pathologies […] appareils et maladies [...] probablement en partie
responsable du fait que les causes et les mécanismes des inégalités sociales de santé font
particulièrement défaut pour certaines catégories de population ».Il rappelle également que : « les
inégalités sociales de santé et le gradient continu qu’elles dessinent dans la société, leurs origines
dans les toutes premières années de la vie et le processus continu qui les façonnent tout au long de
la vie de l’individu, les différents niveaux individuels, micro et macro-social qui les déterminent
appellent une approche interdisciplinaire, en particulier une implication forte des sciences
humaines et sociales [ce qui] suppose de favoriser les coopérations entre disciplines et spécialistes
d’appareil [et de les] décloisonner » [66]. Ainsi, l'emprunt effectué à la méthodologie sociologique
de la théorie ancrée transposée en recherche de médecine générale et plus largement à certaines
notions de sciences humaines et sociales [46, 47] et qui a permis la rigueur de notre recherche
qualitative, était de ce point de vue justifié.
De plus, au cœur des travaux de recherche et thèses en médecine générale sur l'interaction santéprécarité, si beaucoup portent sur les représentations de la précarité entretenues par les médecins
généralistes (souvent d'ailleurs d'un point de vue statique et non dynamique) - peu portent sur le
137
point de vue des patients précaires, qui sont pourtant les premiers concernés. Peu de travaux
cherchent ainsi à appréhender les logiques de diverses natures (psychologiques, psycho-sociales,
sociologiques) à l’œuvre chez ces patients, leur inscription dans le vécu des patients et leur
évolution au long de la vie des patients (voire dans une perspective d'étude au long cours,
transgénérationnelle).
En effet, la quasi-totalité des études de ce dernier type sont des travaux de recherche
sociologique, là où nous venons de souligner l'importance, pour les étudiants et praticiens de
médecine générale, d'appréhender aussi ces faits et d'en approfondir leur compréhension.
Cependant, à la différence des travaux de sociologie académique, nous avons logiquement
davantage orienté notre regard sur les éléments d'interaction entre patients précaires et acteurs
du système de santé, médecin généralistes en particulier, sans toutefois délaisser l'observation de
l'ensemble des autres déterminants et logiques d'actions guidant les comportements de santé des
patients de manière bien plus large. De ce point de vue le recueil selon la méthode du récit de
soins [44] fut fécond.
S'il est possible d'espérer « sortir de la fatalité », ce n'est certainement qu'en considérant les
patients précaires à la fois comme subissant des conditions de vie déterminantes et « injustes »
qui appellent à ce titre à une action systémique large [18], mais aussi comme des acteurs à part
entière, doués d'une conscience de leur situation, capable de stratégies d'actions et de
changements comportementaux pour peu qu'un accompagnement éclairé en santé leur soit
apporté. Dans le document de travail réalisé par Rode pour l'observatoire du non-recours aux
droits et services, l'auteur résume ainsi le postulat sous-tendant tout travail de sociologie
compréhensive par enquête qualitative :
« La sociologie dite compréhensive [est] la mieux à même de restituer les points de vue des
individus sur leurs situations et de reconstruire le sens qu’ils attribuent à leurs pratiques,
expériences et actions[...] Les entretiens [qualitatifs] ont cet avantage de donner à voir comment
les personnes vivent ces difficultés, ce que ces dernières provoquent chez elles. [Les personnes
précaires] sont souvent représentées comme des personnes « souffrantes », « vulnérables », «
désintéressées » de leur santé, ayant des comportements « irrationnels» […] Or, dans le champ de
la santé, la littérature sociologique met précisément en garde contre ce type de discours qui « réifie
l’usager, le réduit à l’état d’un objet à corriger, sans lui accorder le statut d’un sujet disposant de
connaissances, d’attitudes, de croyances, sans reconnaître la capacité de les mettre en œuvre pour
prendre des décisions »[67]
Nous pourrions ajouter qu'il est, à fortiori dans le champ de la médecine générale, nécessaire de
se méfier aussi des explications unilatérales. Il faut ainsi conjointement appréhender l'importance
capitale des déterminants sociaux et psycho-sociaux de la santé, mais aussi pouvoir noter les
logiques personnelles d'actions des acteurs, leur part sinon de liberté, de «négociation de leurs
besoins en univers contraint »[68], pour prendre pleinement la mesure des réponses à tenter d'y
apporter, pour adapter ces réponses au plus près de la réalité des patients. En particulier en
médecine générale, ceci passera par l'accompagnement social des patients précaires, par la qualité
de la relation thérapeutique (information, éducation, empathie), par une orientation vers les
structures de travail en réseau médico-social, d'information et d'éducation à la santé, enfin par une
action collective de la recherche et des organismes professionnels pour plaider en faveur de
138
changement systémiques plus larges50.
Au total, cette perspective d'étude et les actions qui sont appelées par elle s'inscrivent dans une
logique d'approche globale bio-psycho-sociale centrée sur la personne, qui est une compétence
centrale de la médecine générale selon la définition qu'en fournit la WONCA-Europe. Elles
s'inscrivent aussi dans une perspective de réconciliation des besoins en soins des patients
individuels et des besoins de santé à un niveau communautaire (réduction des ISS), ce qui,
toujours selon la WONCA, doit être un autre objectif prioritaire de la pratique des généralistes
[50].
B) Variété de l'échantillon :
Rappelons d'abord le plus évident. En travail qualitatif, même s'il faut souvent un nombre de
patients minimal, le nombre de patients inclus est moins important que leur variété au regard de
l'objectif de l'étude. C'est aussi l'approfondissement des entretiens et de leur analyse qui garantie
la qualité des résultats obtenus, bien davantage que le seul nombre de participants inclus. En effet,
à la différence d'un travail quantitatif où l'objectif est d'être représentatif d'une population, ici
l'objectif est d'appréhender en profondeur les logiques en jeu chez les individus étudiés et de
comprendre plus finement les processus en jeu, les logiques de causalité induites, les interactions.
En statistiques on ne mesure que ce que l'on aura recherché préalablement, on définit les
variables à priori, et lorsque les résultats sont interprétés, les rapports de causalité (hors
évidences) ne sont pas toujours si simples à inférer entre deux variables corrélées (ils peuvent
même laisser part à une certaine subjectivité qui n'est pas toujours reconnue comme telle, parce
que les statistiques ont le pouvoir d'impressionner et de donner une apparence de science exacte,
tirant leur prestige du modèle mathématique/des sciences physiques/biologiques). De même,
dans une corrélation démontrée, une troisième (quatrième ou plus...) variable peut aussi
intervenir sans qu'on ne puisse s'en apercevoir tout de suite, en particulier si on ne l'a pas intégrée
au modèle d'étude initial. Nombre de corrélations démontrées restent ainsi obscures à
l'explication en terme de causalité parce qu'il manque des connaissances de terrain/en terme de
causalité, de variable en jeu etc
Pour résumer schématiquement, en travail quantitatif on doit démontrer si oui ou non des
variables connues sont corrélés, on pense en terme de probabilité de survenue d'événements
conjoints, et on infère des logiques de causalité, tandis qu'en travail qualitatif on doit ''tomber'' sur
ce qu'on ne cherchait pas initialement/ce qu'on avait pas envisagé ou projeté préalablement de
cette manière. Les critères de qualité méthodologique ne sont pas les mêmes. Avoir un échantillon
de dix personnes n'est donc pas la principale faiblesse de notre étude. Si ce nombre n'est pas très
grand, l'approfondissement des entretiens et de l'analyse sur cette base de travail aura tout même
selon nous, garanti une certaine qualité à notre travail. La saturation de nos catégories fut assez
complète, comme nous le détaillons plus loin. Les entretiens ont notamment duré environ trois
heures chacun (mini 2h, maxi 4 heures), le verbatim des données brutes issues des entretiens était
constitué de plus de 300 pages. Le rôle central de la relation médecin-malade n'était pas par
exemple, un élément qui au départ nous apparaissait comme tel avant de mener cette recherche.
50 Autant de points sur lesquels nous ouvrons notre discussion dans une troisième partie
139
De plus, il nous faut avouer que, notre recherche s'étant étalée sur plus de dix-huit mois, et ayant
commencé à exercer parallèlement à la tenue de cette recherche dans un centre de santé
accueillant spécifiquement des patients précaires, les contacts avec ces patients ont été pour nous
bien plus soutenus et fréquents que les seuls contacts présentés ici dans notre thèse. Aussi, même
si certains entretiens informels lors de nos consultations n'entraient pas stricto-sensu dans notre
échantillon, il nous ont permis d'affiner notre réflexion et de vérifier que nous ne faisions pas
''fausse-route'' au regard de certains éléments qui revenaient fréquemment dans les déclarations
des patients (entretiens et consultations confondues).
Quant à elle, la variété des caractéristiques des patients recrutés était une force de notre travail.
En effet, l'échantillon théorique avait une forte amplitude en terme de degré de précarité. Ainsi,
sur les dix patients interrogés, certains connaissaient un degré de précarité mesuré par EPICES
extrêmement faible (score EPICES de 33/100), et d'autres une situation sociale à la limite de la
marginalisation sociale ou de l'extrême précarité (score EPICES 82/100).
Mais c'étaient aussi le statut des patients au regard des différentes dimensions de la précarité
affectant les patients (statut mesuré par les différents items du score EPICES) qui variaient de
manière importante entre les patients. Ceci assurait un fort contraste des expériences de vie. La
variation des terrains de recrutement en médecine générale selon trois niveaux d'équipement des
« bassins de vie » (définis par la méthode INSEE) sur les quatre niveaux présents en Cote-d'Or
ajoutait à la variété des expériences de vie. En particulier nous disposions d'un terrain de
recrutement dans la zone la plus équipée (grand pôle urbain) et dans la zone la moins équipée
(bassin de vie « isolé »)[43].
Une limite de ce point de vue était de ne pas avoir pu recruter de patient en zone «animé par un
petit pole urbain ». Ceci a été décidé après avoir essuyé quatre échecs auprès de différents
praticiens contactés dans cette zone par téléphone : un non joignable à plusieurs reprises sur la
période d'essai, un se déclarant « non-intéressé », et deux autres déclarant un manque de temps
pour participer à notre recrutement. Il faut noter de ce point de vue que le recrutement avait été
facilité dans les trois zones par le recours à des praticiens–maîtres de stage universitaire (MSU),
tandis que l'absence de praticiens -MSU dans la zone « petit-pole urbain » en Côte d'Or a
certainement favorisé notre échec en ce que les MSU sont habituellement plus sensibles aux
travaux de recherche/thèses en médecine générale et plus disposés à y participer.
C) Grille d'entretien et conduite des interrogatoires :
La conduite d'entretiens approfondis, sur une longue durée d'interrogatoire (2h30 à 3h en
moyenne), la diversité des thèmes abordés se référant à l'ensemble des dimensions de vie des
patients, ainsi que la reproduction minutieuse de leur trajectoire sociale et récit de soins lors de
nos interviews est un autre garant de la qualité de notre recherche.
En particulier les trajectoires sociales et sanitaires ont été interrogées et reconstituées sur le temps
long, depuis la prime enfance des patients, et systématiquement complétées par des questions se
référant aux trajectoires familiales et sociales transgénérationnelles concernant les parents, frères
et sœurs, voire quelquefois les grands-parents des patients. De même, l'exploitation autant que
possible de la présence fortuite de proches des patients durant nos entretiens, notamment des
140
parents (à qui nous posions alors également un ensemble de questions sur les habitudes sanitaires
et le style de vie familial) a favorisé notre appréhension sur un mode trans-générationnel.
La technique d'écoute active et empathique (absence de jugement) et l'usage de diverses
technique d'interrogatoire (reflet compréhensif, réitération...) a permis une incitation systématique
des patients à approfondir, développer ou expliciter leurs déclarations, sentiments. L'absence de
fortes contraintes de temps (quitte à devoir retourner à plusieurs reprises au domicile des
patients) a également permis l'approfondissement nécessaire, et la création progressive d'une
atmosphère plus intime, propice à la levée de l'inhibition des patients. Le suivi d'un principe de
neutralité dans l'interrogatoire (non-influence des patients et non-orientation de leurs réponses ou
déclarations ; absence d'émission de jugements de valeur et attitude ouverte de compréhension
empathique des patients même lorsque leurs déclarations heurtaient quelquefois l'interrogateur) a
permis de combattre au mieux l'inhibition des patients, en particulier lorsque des sujets délicats
étaient abordés (vécu de la pauvreté, hygiène de vie médicalement néfaste, vie sexuelle, violences
subies, opinions racistes exprimées etc).
Cela étant, une des principales limites à la levée de l'inhibition, au moins au départ des
interrogatoires (avant que l'atmosphère plus ''intime''ne se crée), était le statut de l'interrogateur
et sa présentation en tant que professionnel de santé, ce qui pouvait logiquement inhiber les
déclarations des patients sur leurs conduites de santé (peur du jugement d'un professionnel), ou
encore limiter la virulence de certains propos sur le corps médical (dont l'interrogateur faisait
partie). En réalité, avec une stratégie de présentation de soi en tant « qu'étudiant en médecine »
plutôt que médecin, avec l'ensemble de ces techniques d'écoute et d'incitations à s'exprimer
librement, ainsi qu'avec la proximité/intimité croissante au fur et à mesure de longs interrogatoire,
l'inhibition éventuelle des patients a pu être levée chez tous les patients sans exception comme
nos résultats le démontrent bien (même si quelquefois tardivement au cours de l'entretien pour
certains aspects).
Le fait que les patients ait été volontaires pour participer (puisque ceux qui refusaient de participer
nous l'avaient signalés préalablement par téléphone) est sans doute un point qui favorisait chez
eux cette expression libre, par sélection des plus disposés à communiquer. Ceci pouvait d'ailleurs
constituer un biais de sélection éloignant les patients les plus défiants à l'égard de la médecine/des
médecins et ceux que « la honte de soi» [63] retenait de parler de leur expérience. Cela étant,
nous avons tout de même pu rencontrer plusieurs patients qui cultivaient ces sentiments, comme
nos résultats l'exposaient.
Enfin, l'enregistrement audio et la réécoute systématique des entretiens a permis de prévenir le
biais de mémoire de l'interrogateur. Ils ont également permis une analyse renouvelée des données
par réécoute(s), ainsi que l'aller-retour permanent de l'analyse aux données du terrain. Ainsi,
certaines déclarations des patients, d'abord considérées comme floues ou peu significatives par
nos soins, prirent progressivement tout leur sens et leur importance analytique et théorique au fur
et à mesure de l'écoute, de l'analyse renouvelée et des aller-retour entre analyse et enquête de
terrain, des croisement d'expériences. Les résultats obtenus ont pu progressivement et de plus en
plus orienter la tenue des interrogatoires suivants, répondant au principe de comparaison continue
de la théorie ancrée déjà exposé.
141
D) Analyse et saturation des données :
La saturation des données du terrain concernant l'habitus de santé des patients était de notre
point de vue satisfaisante. Les données obtenues, ainsi très riches, variées, et en apparence
disparates ont ensuite du être réunies, recoupées, rapprochées selon les similitudes, les
inférences, les logiques de causalité etc sous forme de notions, catégories théoriques synthétiques
et logiques processuelles. La saturation de ces catégories proprement dite, soit le fait que toute
information nouvelle issue du terrain puisse être rapporté à une des grandes catégories
synthétiques et au nombre limitée, a été obtenue progressivement.
Cette saturation a mis le temps quasi-complet de la recherche pour aboutir. Finalement quelques
grandes catégories théoriques suffisamment discriminantes pour se référer aux conduites propres
des patients précaires en santé, et en même temps suffisamment synthétiques et suffisamment
larges pour regrouper un ensemble de conduites et de déclarations hétérogènes issues des
différentes expériences de vie et de santé ont progressivement pu émerger. Les catégories
théoriques principales au sujet des caractéristiques (descriptives et évolutives) de l'habitus de
santé des patients étaient peu nombreuses, au nombre de cinq : répression des affects négatifs,
rapport utilitariste au corps et à la santé, préférences pour des soins minimalistes, interaction
entre déterminants sociaux et culture/stratégies des patients-acteurs en santé, évolution de
l'habitus selon les contacts et la qualité de la relation médecin-malade (incluant l'évolution
favorable comme au contraire la défiance et l'éloignement des soins médicaux et de la rationnalité
médicale. Ce faible nombre d'éléments « chapeaux » d'où découlaient ensuite toutes les autres
notions s'y rapportant signait selon nous le succès des processus de « réduction » et de « synthèse
théorique ».
II) Faiblesses :
A) Biais de subjectivité potentiel :
La principale faiblesse de cette recherche réside dans sa réalisation par un seul enquêteur et
analyste, ne permettant pas de ce point de vue une bonne prémunition contre les aspects
éventuellement trop subjectifs de sa compréhension, de son interprétation et de son analyse des
données du terrain. Le travail d'enquête de terrain selon la méthodologie de la théorie ancrée
aurait en effet nécessité, en toute rigueur et pour se prémunir contre ce biais de subjectivité
potentiel, un travail en équipe de recherche. Deux étudiants (ou au mieux, davantage) auraient
ainsi dû non seulement mener séparément les différents entretiens, mais surtout les analyser
séparément, avant mise en commun et discussion autour de leurs résultats respectifs. Cette
recherche aurait donc idéalement nécessité la rédaction d'une thèse en commun et une
« triangulation des chercheurs »51 [69].
Cependant, le biais de subjectivité potentiel a pu être limité, concernant les principaux résultats de
notre étude, à l'aide de la triangulation « écologique », par laquelle les analyses et interprétations
ont été soumises directement à la vérification auprès des participants de la recherche [69]. Enfin,
51 La triangulation est une procédure visant la rigueur et la validité des savoirs produits par la recherche qualitative.
Elle consiste pour l'essentiel en la superposition et la combinaison de plusieurs perspectives. En particulier, la
triangulation des chercheurs recoure aux points de vue de plus d'un chercheur.
142
le fait que nos résultats aient retrouvé un grand nombre d'éléments similaires à ceux de la
littérature médicale et sociologique sur le sujet était, de ce point de vue, un élément rassurant,
permettant raisonnablement de considérer le biais de subjectivité comme étant probablement
relativement faible.
B) Rédaction :
Nous avons également conscience du style et/ou de la présentation des résultats paraissant parfois
lourd(e-s), que nous avons emprunté pour la rédaction de nos résultats. Ceci constitue
incontestablement une des faiblesse de ce travail. Nous nous sommes engagés dans une démarche
de choix rigoureux des termes nous paraissant les plus pertinents au regard d'éléments d'une
variété très grande, relevant tantôt plus du domaine de la psychologie, de la psycho-sociologie, de
la sociologie, ou d'éléments théoriques de médecine générale. Nous avons cependant tenté de
n'utiliser des termes issus de sciences humaines et de sciences sociales que pour mieux les
réinsérer dans un champ d'étude et un champ théorique se rapportant à la médecine générale.
Enfin, nous nous sommes engagés à utiliser des termes similaires pour désigner des notions qui
quelquefois sont désignées stricto-sensu dans les différentes sciences humaines par des termes
différents selon la branche et l'angle précis d'étude, voire son courant théorique, tandis qu'elles se
rapportent souvent à des processus sinon relativement similaires, le plus souvent
complémentaires (par exemple la domination symbolique est un terme qui ressort de la sociologie
et psycho-sociologie en particulier issue des travaux influents de Bourdieu [53,54] ; l'étude de la
relation médecin-malade parlera davantage, quant à elle, de dirigisme et de paternalisme dans la
relation médecin-malade [70] soit d'un phénomène davantage psychologique mais qui s'insère en
même temps plus largement sur un plan psycho-sociologique/sociologique dans un processus de
domination symbolique (laquelle ne s'y résume donc pas). Ainsi, l'étude sous l'angle psychosociologique/sociologique de la domination symbolique apporte un complément d'information aux
données issues de la psychologie médicale relative à l'étude de la relation thérapeutique [71]).
C) Thème et méthodologie : une faiblesse relative
Toute la difficulté de notre travail, et de notre question de recherche, à laquelle nous avons tenté
de répondre de manière la plus claire possible, a été pour nous d'inclure avec la rigueur dont nous
étions capables compte tenu de nos connaissances académiques limitées, certains outils issus des
sciences humaines et sociales dans notre description/analyse, afin d'en enrichir d'autant notre
compréhension et théorie finale, mais ceci sans jamais quitter un angle d'approche qui restait
prioritairement celui de la médecine générale.
Nous pensons avoir partiellement réussi dans cette entreprise, mais ne doutons pas des limites de
notre réponse nécessairement imposées par notre absence de réelle compétence académique en
sciences humaines et sociales. Aussi mener en recherche en médecine générale une approche du
terrain selon les problématiques et le corpus théorique spécifique de cette discipline, tout en
l'enrichissant des apports de disciplines complémentaires semble être un défi, que nous ne
pouvions bien sur pas relever seul avec nos faibles moyens, qui aurait nécessité que nous
disposions de plus amples connaissances et compétences théoriques générales relatives, et qui de
143
manière générale semble appeler davantage à une coopération et un travail en réseaux de
recherche pluri-disciplinaire qu'à un travail de thèse isolé [66] 52.
En résumé, nous pourrions tout à fait faire notre la déclaration de Meriaux et Ernst au sujet de leur
thèse en commun sur les représentations de la précarité chez les internes en médecine générale :
« Notre thèse n’est donc ni tout à fait médicale, ni tout à fait sociologique ou anthropologique, elle
pourrait représenter un pont entre les deux disciplines avec les avantages et les limites que cela
représente. Avantage de relier deux thématiques fortement intriquées dans la pratique quotidienne
de la médecine générale, et inconvénient de n’être spécialisée dans aucune des deux disciplines. »
[72]. Cela étant, nous avons tenté de souligner le caractère spécifique à la médecine générale de
notre travail et continuons maintenant de le faire en discutant des implications pratiques de nos
résultats pour la pratique courante de cette discipline.
52 Nous discutions brièvement de ce point en ouverture de notre discussion sur la formation et la recherche médicale en
matière d'ISS.
144
PARTIE II : LA LITTÉRATURE SUR LES CARACTÉRISTIQUES ET
DETERMINANTSL'HABITUS DE SANTE DES PATIENTS PRÉCAIRES
Les pratiques de répression de la douleur et des symptômes désagréables adoptées par les
patients précaires et les conduisant à minimiser la morbidité de leur état de santé sont retrouvées
par Boltanski [73], qui voit aussi dans l'investissement dans le travail physique, surtout chez les
patients occupant des postes de travail manuel et/ou issus d'un milieu rural (en général plus
d'activités de travail domestique également manuelles), l'origine de cette répression sensorielle et
psychologique. Boltanski insiste également sur le capital culturel relativement plus faible des
patients précaires qui inhibe leur identification de symptômes morbides par comparaison aux
taxinomies et classements nosologiques en vigueur dans une culture médicale qu'il ne détiennent
pas (et souvent bien moins que les patients issus de catégories sociales plus aisées). Il rapporte
enfin un gradient social des pratiques de santé allant d'un aspect très utilitariste dans les « classes
populaires », à un aspect beaucoup plus hédoniste et préventif chez les catégories sociales plus
aisées (ces dernières recourent beaucoup plus facilement et ont intégré le modèle préventif à leur
mode de vie – parce qu'elles l'ont compris, mais aussi et surtout parce qu'elles en ont les moyens
socio-économiques53) [73].
D'après nos résultats, une part très importante du non-recours aux soins médicaux des patients
semble lié aux conditions de vie socio-économiques des patients (préoccupations et activités liées
à la lutte contre la précarité des patients et concurrentes des soins ; obstacles aux soins). Ce fait est
également bien documenté par la littérature [1,25,67,68]. De plus, dans nos résultats, nous
évoquions la forte probabilité d'une sous-déclaration de ces barrières dans le face à face de
l’interrogatoire. Ainsi, les déclarations des patients au sujet des obstacles étaient probablement
masquées par les déclarations ''cache-misère'' et la rationalisation à postériori de leur conduites
réalisées par les patients.
Cette sous-déclaration par les patients des barrières objectives aux soins qu'ils rencontraient, au
profit d'une forme de sur-déclaration de conduites choisies ou préférées est aussi bien appréhendé
par Rode [67]. De manière plus générale et non seulement au sujet des obstacles aux soins, De
Gaulejac et Paugam renseignent bien le sentiment de honte, de dégradation morale et du statut
social (« disqualification sociale » chez Paugam) que les individus ressentent lorsqu'ils se
retrouvent au bas de l'échelle sociale, et qui conduisent à différentes stratégies de défenses
psychologiques et psychosociales, dont la rationalisation à posteriori de conduites empruntées
sous le coup de la nécessité, au profit de déclarations de mobiles d'actions moins menaçants pour
l'estime de soi des patients (que la pauvreté et l'impuissance relative) [45, 63,64].
Cependant, chez Rode et Boltanski, comme Desprès et Williams et al, l'habitus des patients
précaires est tout de même en partie lié à une culture et un ensemble de préférences pour des
soins modestes ou autonomes (automédication). Cet Habitus - au sens sociologique où Bourdieu
entendait ce terme - se forme selon ces auteurs comme une adaptation culturelle et psychologique
à un environnement matériel et psycho-social très contraint et très rude [62,67, 73, 74].
Dans leur étude au sujet des canaux de transmission des ISS, Bricard et al insistent, quant à eux,
53 Pour l'alimentation équilibrée par exemple, pour les postes de travail qui sont souvent moins manuels et ''physiques''
plus on s'élève dans la hiérarchie sociale.
145
sur le rôle de la transmission familiale inter-générationnelle, ce qui est aussi retrouvé dans la revue
de la littérature médicale et sociologique qu'ils réalisent [75]. Ces auteurs insistent en particulier
sur le fait que cette transmission concerne à la fois la transmission de comportements à risque
entre les générations, mais aussi de normes globales de santé s'inscrivant dans le cadre de la
transmission d'un style de vie plus général. En particulier selon cette auteure : «Les enfants de
fumeurs ont en premier lieu plus de risques d’être également fumeurs[...] Les personnes déclarant
que leur père avait un problème d’alcool ou que celui-ci est décédé prématurément ont également
plus de risques d’être fumeurs, ce qui suggère l’existence d’une transmission des comportements à
risque à travers les générations. [De plus], le risque d’obésité est également plus élevé chez les
personnes dont les parents sont décédés prématurément ou jugeant que leurs parents n’avaient
pas un très bon état de santé lorsqu’ils avaient 12 ans. Enfin, le risque d’avoir un régime
alimentaire déséquilibré est corrélé au tabagisme du père et à la consommation d’alcool de la
mère, ce qui suggère l’existence d’une transmission de normes globales de santé […] »[75].
Ce canal de transmission inter-générationnelle des ISS par la transmission de pratique de santé et
de styles de vie plus larges entre les générations de patients précaires se retrouve aussi dans une
autre récente revue systématique de la littérature internationale en médecine, psychologie des
comportements de santé et sociologie [76]. Cette revue insiste également sur les phénomènes
culturels et psychosociaux de « contagion » des comportements de santé, et sur l'impact des
« identités sociales fortement ancrées » des individus (''deeply rooted identity''), qui sont
directement en lien avec la notion d'Habitus de santé et de style de vie au sens sociologique de ces
termes.
Enfin le non-recours aux soins par défiance est bien renseigné chez Desprès et Rode. Il prend
souvent racine chez les patients précaires au sein d'une expérience de vie marquée plus
globalement par un vécu négatif, voire traumatisant et conflictuel en société (maltraitance,
violences, discrimination sociale, stigmatisation) qui fait alors perdre la confiance en soi et en
l'autre aux patients, alors que, comme le rappelle Rode : « la confiance en soi et en l'autre est un
préalable indispensable à la consultation ». [67, 74] Mais à un niveau moins large cette défiance
est aussi directement en lien avec les interactions médecin-malade qui, de manière générale, se
dégradent plus spécifiquement quand la catégorie sociale des patients décroit, point que nous
détaillons dans la partie suivante.
Au total, les habitudes de santé des patients précaires et leur habitudes de vie telles que détaillées
dans la littérature sont proches de nos résultats, en particulier concernant l'investissement dans le
travail et la lutte contre la précarité, le conditionnement d'une sensibilité physique, psychologique
et d'une culture de santé par le milieu familial, social et les conditions de vie. Les soins
essentiellement curatifs et minimalistes engagés par les patients (visant essentiellement à
maintenir leurs capacités fonctionnelles à un seuil minimal), ainsi que le sous-recours (pour
diverses raisons et processus complexes et intriqués) sont également bien renseignés chez ces
auteurs.
En rapprochant nos résultats de ceux fournis par la littérature, il paraît raisonnable d'admettre une
explication ''mixte'' des pratiques de santé des patients précaires suivis en médecine générale,
intégrant l'effet limitant direct des conditions de vie socio-économiques et obstacles objectifs à
l'accès aux soins des patients (probablement prépondérant en terme d'influence), mais aussi les
effets propres et conjoints d'un Habitus des patients (Habitus au sens sociologique d'adaptation
146
psycho-culturelle à leur rudes conditions matérielles et psycho-sociales de vie) et d'une défiance
envers les médecins dans un moindre mesure (pour certains patients, surtout apparemment parmi
ceux ayant connu les expériences de vie sociale et/ou de recours aux médecins les plus
négatives/traumatisantes). Dans leur analyse socio-anthropologique de la signification du
renoncement aux soins pour les patients précaires, Desprès et al soulignent que les obstacles aux
soins sont probablement les plus influents sur les conduites de santé des patients. [74]. Ces
auteurs insistent également sur le fait que selon leur étude, le renoncement liés aux obstacles
objectifs aux soins, le renoncement par habitudes culturelles/préférences et le renoncement par
défiance sont en réalité fréquemment entrelacés, agissent en synergie et se renforcent
réciproquement :
«Si les personnes qui vivent des situations de précarité mobilisent plutôt le renoncement-barrière,
elles évoquent pour une part d’entre elles les deux [autres] formes de renoncement. [Ainsi,] un
même individu peut mettre en œuvre à différents moments de sa vie, en fonction du type de soins
dont il a besoin, les [différentes] catégories de renoncement. […] Pour les catégories précaires,
celles-ci sont fréquemment associées, l’une participant à la production de l’autre. [L’analyse des
déterminants des renoncements] montre une intrication des différentes dimensions concourant à
ces conduites. Les contraintes budgétaires sont souvent reliées à d’autres causes. Des
insatisfactions, une non-adhésion au discours médical viennent peser sur les arbitrages réalisés
dans un contexte de restrictions budgétaires. […] Par exemple, certains patients insatisfaits de la
relation avec leur médecin traitant, et connaissant parallèlement des difficultés financières auront
tendance à « laisser tomber ». […] Le renoncement-barrière n’est donc pas toujours un
renoncement-barrière « pur ». À l’inverse, les obstacles rencontrés pour se soigner, quand ils durent
dans le temps, contribuent à une mise à distance [psycho-culturelle] de la médecine et [aussi à]
construire des formes de défiance» [74].
147
PARTIE III : SUR L'ÉVOLUTION DE L'HABITUS DE SANTÉ ET SES
DÉTERMINANTS - LES ENJEUX DE LA RELATION MEDECINPATIENT PRÉCAIRE :
I) L'évolution de l'habitus de santé et ses déterminants :
Dans nos résultats comme dans la littérature, les déterminants sociaux des comportements de
santé liés aux conditions de vie des patients et à leur accès aux soins ont donc une influence
primordiale. Cela étant, selon ces conditions de vie, mais aussi selon le niveau de culture
spécifique en santé/d'information des patients, leur expérience de la maladie (évolution après
expérience de la maladie chronique et handicapante), selon le rapprochement de leurs contacts
avec les professionnels de santé (médecins en premier lieu) et surtout la qualité des expérience
vécues auprès d'eux, les habitudes de soins minimalistes et de sous-recours des patients précaires
peuvent évoluer progressivement en direction de pratiques de santé et d'habitudes de vie plus
''saines'', tout comme peuvent progressivement s'améliorer au long de leur vie leurs connaissances
et compétences dans la gestion de leur santé/maladie. Le rôle du généraliste, en particulier, est
alors capital.
Les travaux sociologiques sus-exposés font, de manière générale référence à cette évolution
possible des connaissances, compétences en santé, et des habitudes de santé et de recours selon
les conditions de vie, mais aussi selon un ensemble de facteurs dont le rapprochement des
contacts avec les professionnels de santé, notamment après la survenue d'une maladie chronique,
qui amène progressivement à s'approprier des savoirs médicaux et manières de gérer sa maladie
et sa santé [67, 73,74]. Desprès et al en particulier font référence au rôle central de la relation des
patients avec le généraliste dans ce contexte. Il est de manière générale le « passeur » privilégié
entre le monde médical et le quotidien des patients précaires, de part sa position privilégiée et les
caractéristiques de sa pratique :
«Dans certaines trajectoires de vie, la distance à la médecine se maintient, voire se renforce
notamment pour des raisons économiques. A l’inverse, des rencontres peuvent transformer les
relations de soins. [...] Certains parcours de soins montrent de quelle manière une rencontre entre
deux personnes, un individu en quête de soin et un médecin particulier, peut réengager celui-ci
dans un processus de soins. [En particulier,] l’image du médecin de famille est encore prévalente
dans ces milieux, incarnant le modèle type idéal, se référant à une forme de proximité sociale qui
se construit dans le temps. Le médecin généraliste, « pas le médecin qui se prend la tête, qui se
prend pour un grand seigneur ! » (Jean) incarne un intermédiaire entre la classe dominante et les
classes populaires. Il constitue un médiateur entre deux mondes sociaux. Des relations de proximité
[...] peuvent se nouer et nous ont été décrites »[74]
Ce rôle du généraliste dans les soins de premiers recours et le suivi au long cours, de la fréquence
des contacts auprès de lui, de sa plus grande proximité sociale, de sa prise en charge globale, de sa
prise en charge conjointe de problèmes de santé aigus, chroniques, tout en promouvant et
accompagnant les patients dans un changement comportemental à visée préventive, de
l'adaptation des soins et de sa communication, facilitées par une meilleure connaissance mutuelle
148
correspondent aux éléments de définition de la médecine générale fournis par la WONCA-Europe
[50]. Cela fait aussi référence à ce que Balint dénomme la « compagnie d'investissement
mutuelle »[77].
En particulier pour répondre à ces missions, le généraliste doit accompagner les patients sur le
plan social, ce qui est d'une importance capitale dans le cadre d'une approche globale bio-psychosociale centrée sur la personne, mais soulève aussi des questions quant aux compétences et aux
moyens à engager pour le médecin pour mettre en œuvre au mieux cette compétence auprès des
patients précaires, point que nous détaillons plus loin en ouverture. Les patients de notre
échantillon appréciaient généralement beaucoup cet accompagnement social. Il avait, pour
plusieurs, eu un rôle central pour favoriser leur accès aux soins notamment.
II) Les enjeux de la relation médecin-patient précaire :
Les contacts plus rapprochés avec les médecins, mais surtout la qualité de ces contacts est donc
essentielle pour l'amélioration des habitudes de santé et de recours des patients précaires. Dans
nos résultats, les patients qui avaient connu des expériences satisfaisantes de recours aux
médecins (écoute, information,empathie, participation aux décisions médicales les concernant)
semblaient avoir acquis plus facilement des compétences dans la gestion de leur santé, être mieux
disposés à recourir aux soins médicaux, dans un degré d'autant plus grand que leur fréquentation
antérieure et positive avait été rapprochée. La confiance déclarée par les patients envers leur
médecin traitant semblait importante pour leur suivi (consultation, actes de dépistage). A l'inverse,
certains patients rapportaient des expériences psycho-sociales négatives voire traumatisantes du
recours aux soins médicaux qui semblaient avoir négativement et plus ou moins fortement
impacté leur propension à recourir aux soins (« peur », défiance) et à intégrer savoirs et
compétences médicales à la gestion de leur santé. Ce manque relatif de compétence des patients
dans la gestion ''médicale'' de leur santé n'était alors pas corrigé par le recours médical dans ce
contexte d'entrevues négatives ou limitées, ni par le temps. Il pouvait s'accompagner d'un nonrecours par défiance.
Difficultés de communication, faible information et éducation à la santé, écoute active empathique
trop faible, paternalisme, absence de prise en compte du vécu, des conditions de vie socioenvironnementales et des caractéristiques psychologiques des patients, contre-transfert négatif ou
« mission apostolique » mal prise en compte [77], pratique autoritaire-paternaliste, techniciste,
insuffisance d'intégration de l'approche globale centrée sur la personne ou encore d'inclusion des
patients à un modèle de décision médicale partagée semblaient ainsi, dans nos résultats, autant de
facteurs ressortant des pratiques relationnelles des médecins, qui dégradaient quelquefois
fortement la relation thérapeutique, mais qui étaient modifiables.
Ces obstacles ne semblaient pas spécifiques de la relation entre médecins et patients précaires.Ils
paraissaient cependant être pour certains (distance culturelle/vocabulaire, paternalisme) encore
plus importants si les patient disposaient de peu de connaissances, d'aisance à s'exprimer et à
demander des informations, ou encore à faire entendre leurs vues aux professionnels. Parce que
ces éléments questionnés par nos résultats sont essentiels à la pratique, nous les détaillerons
maintenant.
149
En réalité, d'après la littérature, la confiance des patients précaires envers leur médecin
généraliste, fondée sur leur ressenti d'éléments de divers ordres est en effet un élément capital.
Mercer et al ont étudié ce qui correspondait le mieux, pour des patients précaires vivant dans une
zone siocio-économiquement défavorisée en Grande-Bretagne, à des soins médicaux de qualités.
Pour ces patients c'était la compétence bio-médicale qui primait. Ils l'évaluaient principalement
sur la base de la capacité des médecins à réaliser les diagnostics, et sur les expériences de
traitements antérieurement prescrits et leurs résultats. Mais dans une mesure non négligeable,
c'était la compétence relationnelle des médecins qui faisait d'eux des bons médecins pour les
patients précaires. Ils devaient notamment démontrer qu'ils tenaient compte de leur avis et
préférences, les écouter, faire preuve d'empathie, les informer de manière claire loyale et adaptée
[78].
Dans sa thèse de sociologie sur le non-recours aux soins des patients précaires [79] (ayant servit de
base à son article sus-cité), à partir des entretiens auprès de ces personnes, Rode trouve que la
confiance est aussi un élément capital du recours auprès de leur généraliste. Il distingue une
confiance « décidée », et une confiance « assurée ». La première se fonde sur des critères
relationnels (ressenti des patients au sujet de la qualité d'écoute, des informations reçues),
notamment parce que les patients ne peuvent pas réellement vérifier la qualité des procédures
bio-médicales engagées (n'étant pas techniquement compétent pour cela). A coté, un deuxième
type de confiance fonctionne « les yeux fermés » mais reste très rare chez ces patients.
Une autre étude quantitative conduite par Molborn et al [80](et rapportée dans sa thèse par
Chatelard [81]) retrouve que la probabilité de retardement ou de non-recours aux consultations
est inversement corrélée à la confiance déclarée envers leur médecin . Ces résultats corroborent les
nôtres. Ils est également intéressant de noter qu'ils renvoient directement aux obligations des
médecins à informer leurs patients, à adapter leur informations et à inclure leurs patients aux
décisions les concernant selon la Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades en France.
Ainsi, en plus de se référer à des impératifs éthiques/déontologiques, ces obligations légales
correspondent donc aux réelles préférences et désirs des patients (y compris des patients
précaires). Pourtant les pratiques professionnelles n'y sont pas toujours fidèles.
Ainsi par ailleurs, dans la littérature, les difficultés de la relation-médecin patients précaires
renvoient d'abord aux menaces pesant sur la qualité de la relation thérapeutique de manière
générale et avec tout patient, quelque soit sa position sociale. Ils sont en rapport avec les facteurs
organisationnels (temps, organisation du cabinet, secrétariat, à un niveau plus large organisation
des soins primaires etc), des facteurs psychologiques étudiés par Balint (« transfert/contre-tranfert
négatif », « fonction apostolique du médecin », « iatrogénie » du « remède-médecin »)[77], aux
défenses psychologiques du patient face à la maladie (« régression » psycho-affective face à la
maladie, « espaces de la relation thérapeutique », possibilité d'« enlisement » pathologique dans la
« dépendance »aux soignants du patient, « dénégation », « déni » et « isolation »)[70, 71,77] aux
défenses psychologiques empruntées par le médecin pour se protéger du malaise que lui causent
parfois certaines situations cliniques (« retrait » ou « médecin-amibe », pratique « techniciste »,
« dirigiste », autoritaire ou « paternaliste »)[70,81], aux difficultés de communication (« confusion
150
des langues » [77] ou « décalage cognitif54 » entre le médecin et le patient [70, 82]), ou encore à la
trop faible écoute de la part des médecins.
En particulier, concernant ces dernières (communication, écoute), la conférence de consensus de
Toronto établit le manque de communication en médecine en recensant les études sur la pratique
médicale. Ainsi, les malades, en général, posent peu de questions (7 % du temps de la consultation
en moyenne), les médecins consacrent très peu de temps à l’explication : les 2/3 du temps
consistent à analyser la symptomatologie et à se concentrer sur le diagnostic à établir. 54% des
plaintes des patients et 45% de leurs inquiétudes ne sont pas perçues par les médecins. Les
problèmes psychologiques des patients passent inaperçus dans 50% des cas. Le discours du patient
est interrompu par le médecin au bout de 18 secondes en moyenne, alors que la durée spontanée
moyenne est de 92 secondes. En conséquence, la réponse du médecin risque logiquement d’ être
inappropriée : ce dernier peut passer du temps à donner des informations qui ne sont pas celles
dont le patient a besoin [83].
Moreau et al, qui étudient l'efficacité thérapeutique de « l'effet-médecin » en soins primaires à
partir d'une revue systématique de la littérature, rappellent également que les patients attendent
une attention particulière de leur médecin [84]. Une enquête qu'ils rapportent, menée auprès de
1148 patients de la région Lorraine étudiant les raisons de changement de médecin généraliste
montre ainsi que le reproche essentiel des malades au sujet de la relation avec leur médecin
concerne le manque d’attention (« il vous examine trop vite » : 10,5 %, « il est trop pressé » : 6 %,
« il ne passe pas assez de temps » : 6,5 %, « il ne prend pas le temps de vous écouter » : 6 %). Les
patients ne demandent pas que le médecin soit disponible en permanence mais ils souhaitent une
plus grande concentration au moment même de la consultation. Les patients sont demandeurs
d’écoute, d’une prise en compte de leurs soucis, d’explications tant sur le plan diagnostique que
conduite à tenir. Ils recherchent une approche négociée, une démarche préventive pour rester en
bonne santé [85].
Des difficultés de relation et de communication menacent donc la qualité des soins auprès de tous
les patients, quelque soit leur catégorie sociale. Cependant, en second lieu, la catégorie sociale des
patients influe non seulement sur les interactions, mais aussi sur la qualité des pratiques
médicales.
En effet, une revue systématique de la littérature internationale en psychologie de la relation
thérapeutique et en sociologie médicale menée par Willems et al sur l'impact de la position sociale
des patients sur la communication médecin-patient (incluant 12 recherches originales et métaanalyses), montre ainsi que les patients issus d'une plus basse position sociale reçoivent en général
moins de signaux socio-émotionels positifs, moins d'informations sur leur situation médicale,
moins d'indications sur leur conduite à tenir. Les médecins ont aussi davantage tendance à être
directifs et à moins donner l'occasion de s'exprimer aux patients lorsqu'ils ressortent d'une
catégorie sociale basse. En conséquence, la consultation avec ces patients est davantage fermée et
la relation construite ne permet pas un réel partenariat médecin-patient[86].
54 Le concept de « décalage cognitif » chez Fainzang : les questions et les préoccupations des malades sont souvent
mal entendues mal comprises par les médecins et font alors l’objet d’une réponse inappropriée de leur part [103] – nous
développons l'apport de Fainzang, notamment vis à vis de la communication et de la relation médecin-patient précaire
plus loin dans cette partie.
151
De plus, tandis que les patients issus des plus hautes catégories sociales communiquent de
manière plus active et ont une expression affective plus marquée, sollicitent davantage le médecin
pour qu'il leur donne des informations, au contraire, les patients de plus basses catégories sociales
sont souvent désavantagés à cause de la mauvaise perception par le médecin de leurs besoins et
désirs d'informations, comme de leur capacité à prendre part au processus thérapeutique. Enfin, la
manière dont le médecin s'adresse aux patients précaires influence également la manière de
communiquer de ces derniers en renforçant leur inhibition initiale. Au total, il existe un gradient
social de qualité de la prise en charge relationnelle (information/éducation, empathie) des
médecins. Autrement dit les pratiques médicales effectives sont socialement discriminantes[86].
Dans notre pays, les inégalités sociales de prise en charge concernent par exemple la dispensation
de conseils hygiéno-diététiques aux hypertendus au cabinet de médecine générale [87]. Mais ce
gradient de pratique relationnelle et informative s'associe également à des pratiques de prise en
charge cliniques socialement graduées (d'autant moins suivies par les médecins , et de qualité
moindre lorsque le statut social des patients décroit). Ainsi, en médecine générale (notamment en
France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis), c'est surtout le cas au sujet de la prévention ou du
suivi de pathologies chroniques : réalisation d'actes cliniques de prévention, de dépistage, de suivi
de pathologies chroniques, renseignement des dossiers médicaux, orientation vers des
spécialistes. Falcoff, généraliste et enseignant-chercheur en médecine générale, l'énonce bien,
dans son article titré « le dilemme de la médecine générale face aux ISS : faire partie du
problème ou contribuer à la solution ? »[88].
C'est aussi ce que Lombrail appelle « obstacles secondaires à l'accès aux soins » rencontrés par les
personnes précaires. Il s'agit du fait qu'une fois le recours réalisé, de plus grands obstacles se
posent encore aux patients précaires (comparativement aux plus aisés) pour disposer de soins de
qualité [89]. Ce type d'inégalités sociales dépendantes des pratiques des médecins concernent
notamment la prise en charge de la maladie coronaire et des facteurs de risques cardio-vasculaires
[90], l'hypertension artérielle [91] le diabète [92], ou encore la couverture vaccinale contre le DTP,
le HPV et la réalisation de frottis cervico-utérin [93, 94, 95]. Enfin, elles concernent aussi le
renseignement, dans les dossiers médicaux des patientes, de leur statut au regard du dernier
frottis [96].
Plusieurs auteurs, sociologues, médecins, anthropologues, psychologiques sociaux fournissent des
compléments d'information et hypothèses explicatives au sujet de ce gradient social de qualité de
la prise en charge (à la fois relationnel et d''information/éducation à la santé, mais aussi en terme
d'actes cliniques de prévention/suivi de pathologies chroniques donc). Comme les résultats de
notre étude qualitative se rapportaient essentiellement à la relation médecins-patients précaires
et ses enjeux (notamment en terme de qualité de la relation et de changement comportementaux
subséquents chez les patients) nous nous concentrerons sur cet aspect du problème.
Falcoff et Jaen soulignent que le nombre de demandes compétitives des patients 55précaires est
généralement plus important en consultation, et que cela est sans doute en partie responsable de
la qualité moindre des soins fournis. En effet selon eux, ces situations conduisent, à tort, souvent à
privilégier la gestion des problèmes les plus urgents, notamment en défaveur de l'information, la
55 « Demandes compétitives » : demandes explicites des patients et besoins de santé objectivés par le médecin (que ces
derniers soient ou non exprimés par le patient) qui se cumulent lors de la consultation [88,97].
152
prévention, et de certains actes de suivi de pathologies chronique [88,97]. Au niveau plus large de
l'organisation des soins, c'est la loi de Hardt ou « inverse-care law » qui explique en partie ce
facteur. Elles énonce que la disponibilité des professionnels, des infrastructures de santé et des
soins de qualité décroit dans les zones socialement défavorisées, soit paradoxalement lorsque les
besoins de santé croissent [98, 99]. Il existe donc des éléments organisationnels qui expliquent
partiellement les défauts de qualité de la relation thérapeutique. Ce ne sont cependant pas les
seuls.
Kandell et al soulignent que, assez paradoxalement, c'est souvent un manque de connaissance biomédicale des médecins qui entrave leur explications et informations aux patients. Il est en effet
assez difficile d'expliquer un traitement, un examen etc lorsque l'on ne dispose pas des données
objectives et précises (déroulement des procédures d'examens ou thérapeutique, rapport bénéficerisque etc) à fournir aux patients et/ou qu'on ne sait pas où ni comment aller les chercher de
manière rapide et efficace en consultation pour les transmettre aux patients[70]. Cela étant il ne
s'agissait que d'un facteur parmi d'autres.
Selon Boltanski, de manière générale, le manque de capital culturel global, et de capital culturel
spécifique en médecine des patients précaires, accroît la distance avec le médecin et les difficultés
de compréhension des informations et explications fournies par le médecin. En particulier, le
vocabulaire et les taxinomies médicales sont généralement d'autant plus étranger au patient que
sa position sociale est basse. Il en résulte des interprétation intuitives et trompeuses des patients.
Le médecin n'explicite pas assez ses termes ou utilise quelquefois à l'inverse un vocabulaire
mécaniste et trop schématique sans réellement expliquer la maladie ou les examens entrepris. Ce
vocabulaire grossier est souvent mal interprété par les patients et les induit des erreurs de
compréhension [73].
Le manuel théorique de médecine générale de la SFMG, se rapportant aux travaux de Cicourel à
propos de la « communication contrariée », souligne les importantes difficultés des médecins
comme des patients à communiquer. Il insiste lui aussi sur les aspects culturels : différences de
registres linguistiques, de vocabulaire, et de références culturelles qui vont croissantes entre
médecins et patients lorsque la catégorie sociale des patients décroit [70,100]. Ces explications
d'ordre socio-culturelles questionnent donc directement la compétence en communication et en
information/éducation du médecin, soit sa capacité à adapter son vocabulaire à celui couramment
utilisé par le patient, en utilisant des termes compréhensibles par le patient, sans pour autant
restreindre son message sur le fond, soit sans limiter pour autant la qualité ni la quantité
d'information fournie.
Mais selon Boltanski, c'est aussi le manque de capital culturel et symbolique 56 des patients qui
place les médecins en position de forte domination symbolique des patients précaires (imposition
du pouvoir plus marquée que lors des soins fournis par eux auprès des patients à plus fort capital
symbolique et culturel, soit ressortant généralement des catégories sociales aisées). Ce manque de
capital des patients limite les moyens de pression des patients de basses catégories sociales sur le
médecin pour obtenir de lui des informations. Ceci favorise une moindre information de sa part,
56 Capital symbolique cf définition dans l'appendice méthodologique, en particulier : La théorie de l'Habitus de
Bourdieu.
153
car il se sent, à tort, moins tenu de se justifier ou d'inclure le patient dans la décision médicale :
« l'information médicale qui se transmet au cours de la consultation médicale est d'autant moins
importante (quantitativement et qualitativement) que le malade est situé plus bas dans la
hiérarchie sociale, c'est-à-dire que son aptitude à comprendre et à manier la langue savante
qu'utilise le médecin et, par conséquent, ses moyens de pression sur le médecin, sont plus faibles.
[En conséquence,] l'effet proprement éducatif de l'acte médical s'exerce avec moins de force auprès
de ceux dont la formation ou la transformation exigerait pourtant l'effort d'inculcation le plus
systématique et le plus continu »[73].
Pour Desprès, anthropologue et chercheuse à l'IRDES, la relation médecin-patient est «marquée
par des rapports de classe, [responsables du fait que] le modèle traditionnel paternaliste […] reste
prégnant quand le patient appartient à une catégorie sociale défavorisée» [101]. Pour elle, c'est
donc, comme chez Boltanski, en partie une forme de confrontation et de rapport de domination
sociale qui se joue dans le colloque singulier entre médecin et patient précaire, en lien avec des
facteurs sociologiques plus larges, et à la défaveur du patient. Ceci favorise une forme d'abus
d'autorité de la part des médecins. Selon cette auteure, en retour et pour garder une forme de
contrôle de la relation et d'autonomie malgré tout, le patient va faire appel à des stratégies plus ou
moins conscientisées de rétention d'informations le concernant ou de résistance aux propositions
de son médecin. Il s'agit d'une forme de défiance, mais aussi d'une stratégie de défense
psychologique du patient. Ces stratégies réactionnelles aux attitudes des médecins à leur égard ne
limitent donc pas seulement le recours aux soins des patients, mais encore inhibent leur
participation lorsqu'ils recourent. C'est une forme de ''repli sur soi'' à visée protectrice. Seulement
ces réactions du patient compliquent encore la transmission d'informations entre les
protagonistes, aggravent les problèmes d'observance :
« Le patient témoigne apparemment d’une forme de soumission dans l’interaction, ce qui
n’empêche pas qu’il puisse opposer néanmoins une résistance pendant la consultation. Il va
éventuellement cacher des informations de manière à garder une forme de maîtrise du diagnostic
et du traitement. [...] Ces résistances visent à maintenir avant tout sa dignité et une identité
positive. »[101]
En Théorie de la communication, l'analyse transactionnelle de Berne [102] théorise qu'on peut
classer les éléments de communication qui s'échangent entre deux protagonistes selon trois type
principaux : le mode ''Adulte'', le mode ''Parent'', et le mode ''Enfant''. Une communication de type
"adulte" correspond à une expression factuelle lors de laquelle on transmet un message de
manière objective, une information. Dans le type "parent", la communication transmet une
opinion, un jugement de valeur, un ordre. Enfin, le mode ''enfant'' correspond à l'expression d'un
sentiment, d'une émotion personnelle, quelquefois peu verbalisé, ou avec un vocabulaire, une
attitude enfantine.
A tour de rôle chaque individu utilise généralement chacune des trois formes d'expression. La
communication reste conditionnée par le contexte de l'échange, la situation, les acteurs en place.
Cependant, certains types de communication s'établissent préférentiellement : en particulier, une
communication sur un mode ''Parent'' appelle une réponse sur un mode ''Enfant'', et vice-versa. Si
154
on s'exprime de manière adulte, (qu'on transmet plus d'informations que d'émotions ou d'ordres),
on suscitera plus facilement une réponse du même type (échange factuel entre ''Adultes") [102].
Ces éléments d'analyse transactionnelle peuvent permettre de comprendre en partie pourquoi un
mode de relation paternaliste, autoritaire, fonctionnant par émission d'ordre de la part du
médecin, voire de jugement de valeurs, semble entraîner le repli sur soi des patients observé par
certains sociologues, et conduisant les patients à ne plus s'exprimer que sur un mode ''Enfant'', qui
peut facilement se limiter à une posture de mécontentement et de repli sur soi, de rétention
d'information peu verbalisée. D'un point de vue éthique c'est extrêmement dérangeant : c'est une
forme de dégradation des capacité d'expression du patient, de son autonomie dans la prise de
parole et de décision, une forme de privation de liberté et de dignité.
Fainzang, sociologue et anthropologue, directrice de recherche à l'INSERM, montre également en
contexte français et à partir d'une étude des comportements de médecins hospitaliers vis à vis de
leurs patients en service d'oncologie, qu'en dépit de la loi relative aux droits des malades 57,
l’information sur leur état de santé et sur leurs traitements n'est pas donnée à tous de manière
équivalente. Ainsi, selon cette auteure : « bien que les médecins se déclarent souvent soucieux de
modeler leurs comportements en fonction des dispositions psychologiques des personnes, dans la
pratique ils opèrent une sélection sociale des bénéficiaires de l’information ». [103]
Les médecins fondent leur appréciations des malades sur la connaissance qu’ils ont d'eux, ou sur
l’impression que ces derniers leur donnent en termes d’appartenance sociale, dont ils se font une
idée à partir de signes extérieurs tels que le langage, la tenue vestimentaire, les attitudes
corporelles, la prestance sociale, tous signes indicateurs approximatifs d’un capital culturel. Les
médecins préjugent alors de la capacité des patients à comprendre, mais aussi à supporter
l'annonce d'une maladie grave (amalgamant souvent ces deux compétences), ainsi que de leur
volonté d'être informés en la surévaluant pour les individus présumés issus catégories sociales
élevées, ou en la sous-évaluant pour ceux présumés appartenir aux catégories sociales basses.
Cette stratégie peut-être peu conscientisée, mais en tous les cas jamais déclarée par les médecins,
les conduit souvent à soustraire l’information à des personnes appartenant à des milieux
défavorisés quoique très demandeuses, tandis qu’ils la délivrent à des malades issus de catégories
sociales plus proches de la leur, en l’absence même d’une demande explicite de leur part [82, 103]
« Les pratiques d’information au sein du colloque singulier s’inscrivent ainsi dans un mécanisme de
reproduction sociale, en vertu de quoi les médecins, en voulant s’adapter à l’aptitude supposée des
patients à recevoir l’information, ne la fournissent qu’à ceux qui en sont les dépositaires habituels
dans la société. » [103].
En plus des éléments déjà discutés, l'étude de Fainzang interroge donc également sur l'usage des
stéréotypes sociaux dans la pratique médicale. En effet, ceux-ci sont fréquents dans
l'enseignement et la pratique de la médecine [104,105] (par exemple : patient homosexuel=risque
de VIH ; femme=risque de grossesse ; patient précaire= risque d'usage nocif d'alcool, peu
observant et peu désireux de s'impliquer dans sa prise en charge). Certains de ces éléments sont
présents directement dans les enseignements, d'autres sont plus implicites et ressortent d'un
apprentissage direct au contact des pairs et du terrain, ceux que certains psychosociologues
57 Loi du 4 Mars 2002 relative aux droits des malades.
155
dénomment le ''hidden curriculum'' (ou enseignement masqué des pratiques relationnelles58)
[106]. Ces stéréotypes comme tout phénomène d'étiquetage ont un intérêt évident en terme de
classement et d'efficacité cognitive pour les médecins, étant notamment souvent basés sur des
réalités épidémiologiques.
Cependant, ces stéréotypes semblent aussi devoir inexorablement comporter un risque pour les
professionnels. Surtout, si les praticiens sont pressés par le temps, qu'ils fonctionnent trop par
automatismes cognitifs, ou bien encore s'ils souhaitent éviter d'appréhender pleinement la réalité
et la complexité de leur patients, notamment pour gagner du temps, de l’énergie, ou pour se
protéger psychologiquement du contact avec eux, ces stéréotypes peuvent ne pas être pris avec le
recul suffisant, et conforter les médecins dans des vues simplistes, voire favoriser des pratiques
socialement discriminantes et stigmatisantes, tout ceci même sans une volonté affirmée de leur
part de nuire au patient. Ce type de problématiques souligne encore l'intérêt d'une approche
globale centrée sur la personne en médecine, seule permettant d'appréhender la prise en charge
d'une personne dans la singularité de sa situation, de son histoire de vie, de ses préférences et
désirs, au-delà des préconçus des médecins ou des récurrences statistiques.
Ainsi, alors que la qualité de la relation médecin-patient précaire (dans la littérature comme dans
nos résultats) se révèle d'une grande importance pour l'amélioration des pratiques de santé des
patients et la réduction de leur distance aux soins et à la rationalité médicale, de nombreuses
menaces planent au dessus de cette relation. Elles concernent sa qualité, et à terme les bénéfices
attendus en terme comportemental, d'état de santé et de bien-être général pour les patients
précaires. Ces menaces sur la qualité de la relation et de la communication, approchées par nos
résultats, sont ainsi confirmées par la littérature qui en fournit de plus amples explications.
Finalement, il existe non seulement des obstacles objectifs aux soins rencontrés par les patients
précaires et en grande partie responsables de leur sous-recours aux soins médicaux, mais en sus,
même lorsque les patients se décident à consulter, le ''parcours du combattant'' ne semble faire
que commencer pour les plus défavorisés. Un certain nombre de barrières culturelles se posent
dans leur communication avec les médecins, mais encore un certain nombre de processus
psychologiques, et un certain nombre de processus sociologiques et psycho-sociologiques qui
conditionnent tous les interactions entre médecins et patients précaires. Les menaces sur la
qualité de la relation thérapeutique sont d'autant plus fortes que les patients ressortent d'une
catégorie sociale basse, éloignée de celle du médecin, et ceci paradoxalement alors que ces
patients connaissent les plus forts besoins de santé [1].
Les médecins agissent couramment sous l'influence de logiques d'actions qu'ils semblent
méconnaître en grande partie. Cela est doublement préoccupant : d'un point de vue éthique,
comme du point de vue du résultat en terme de ''perte de chance'' pour les patients.
C'est aussi plus simplement la relative ignorance des déterminants sociaux de la santé et des
comportements de santé, ainsi que la relative ignorance des praticiens et étudiants en médecine à
58 Le « hidden curriculum » ou « enseignement-off » est une notion renvoyant à toutes les attitudes, comportements et
compétences acquises de manière informelles par les étudiants lorsqu'ils côtoient observent et intériorisent les
comportement de leurs mentors et pairs. C'est un enseignement informel qui à ce titre n'est ni contrôlé ni encadré. Il
peut être très intuitif, variable (''mentor-dépendant'') et peu conscientisé par les étudiants et futurs-médecins. Cf partie
suivante et [106].
156
propos des interactions entre santé et précarité qui est à l'origine des lacunes de leur pratiques
cliniques. Ceci soulève des lors la question de leur formation initiale et continue sur tous ces
points. En raison de leur importance pour la pratique clinique, en guise d'ouverture, nous
détaillerons maintenant ces points. En particulier, nous aborderons le contenu et les moyens
d'enseignements qui peuvent apporter des solutions aux problèmes ici soulevés.
157
PARTIE IV : ENJEUX AUTOUR DE LA FORMATION DES MEDECINS A LA
PRISE EN CHARGE CLINIQUE, RELATIONNELLE ET A L
ACCOMPAGNEMENT SOCIAL DES PATIENTS PRECAIRES
I) Limites de la formation actuelle :
A) Autour de la relation médecin-malade :
Concernant la prise en charge relationnelle des patients, l'observation déjà décrite des pratiques
effectives comme lacunaires (en population générale, comme à fortiori avec les patients précaires)
plaide en soi pour une amélioration de la formation à ces pratiques. De plus Lucet, (dans sa thèse
de médecine générale où elle analyse l'évolution de l'empathie chez les étudiants en médecine
avant et après un stage chez le généraliste), rapporte, se basant sur une revue systématique
d'études internationales réalisée par Neumann et al, que si le stage permet généralement
d'améliorer l'empathie des étudiants, celle-ci, de manière générale, décroit au cours de leurs
études et de leur carrière. Les études l'expliquent en partie par un manque de formation, par le
caractère parfois dur et anxiogène des conditions de travail, « qui peuvent induire un certain [...]
manque d'empathie [voire] un certain cynisme au cours du temps » [106,107]. Le consensus de
Toronto, dans le même sens, montre que le temps n'améliore pas spontanément les capacités
relationnelles, d'empathie et de communication des médecins. Suivre une formation initiale et
continue plus poussée qu'actuellement est donc nécessaire [83].
B) Autour du rôle l'accompagnement social des généralistes :
Nous avons pu noter dans notre étude la fonction de conseil social que les patients précaires sinon
attendaient, du moins appréciaient vivement de la part de leur médecin généraliste. Une patiente
en particulier nous avait ainsi fait par du ''déclic'' qu'avait pu représenter le conseil minimal et non
spécialisé de son médecin traitant, et l'orientation de sa part vers un centre social («Dr C m'a
ouvert les yeux »). Au-delà, plusieurs patients avaient bénéficié de ce soutien informationnel et de
l'orientation de leur médecin qui semblait avoir eu un impact assez fortement positif pour eux.
Pourtant, dans la pratique, la plupart des généralistes connaissent des difficultés dans leur mission
d'accompagnement social : méconnaissance des aides, des structures et intervenant locaux, peur
d'aborder le sujet avec les patients (notamment par peur de se montrer incompétent), manque de
temps et de reconnaissance pour ces tâches administratives mal reconnues et non rémunérées.
Quelques uns considèrent encore que cette mission n'est pas de leur ressort ni compétence. Enfin,
dans leur grande majorité, les généralistes se déclarent mal formés à cette tâche [65, 108, 109].
158
C) Autour de la prise en charge des patients précaires et plus largement des ISS en
médecine générale :
Par ailleurs, concernant la formation à la prise en charge clinique des patients précaires, et plus
largement des ISS, la commission des déterminants sociaux de la santé de l'OMS rappelle que : « la
responsabilité […] de l'enseignement universitaire de la médecine va au-delà de ses responsabilités
thérapeutiques et préventives [et que] son influence est [...] majeure sur la façon de penser la
santé, de se la représenter et de concevoir les déterminants de la santé »[18].
Se basant sur ces conclusions de l'OMS, la neuvième recommandation d'action du rapport de 2009
du HCSP pour « sortir de la fatalité […] des ISS » appelle à «former les professionnels et les usagers
sur les déterminants sociaux de la santé » et souligne que « les programmes de formation initiale
des professionnels de la santé ne laissent [actuellement] qu’une place réduite aux connaissances
sur les déterminants sociaux de la santé, [...] reflétant une vision essentiellement biologique de la
santé et de la maladie, fortement axée sur les soins curatifs, au détriment d’approches socioéconomiques, culturelles et macro-sociales. [En ce sens, il poursuit :] certes, des modules de
Sciences humaines et sociales ont été introduits dans les premières années de médecine, mais cet
apport reste marginal, par rapport à l’approche médicale. Dans la même démarche, les
recommandations de bonne pratique clinique doivent insérer la question « sociale » dans leurs
considérations et leurs réflexions. Cette précaution permettrait d’éviter le renforcement d’inégalités
dites par construction, aggravées par les pratiques médicales aveugles aux déterminants psychosociaux et économiques. La formation initiale a enfin pour but d’éviter aux professionnels des
« anticipations négatives » vis-à-vis de certains groupes de patients, conduisant parfois à des soins
de moindre qualité. [Pour conclure] le groupe de travail recommande d’intégrer les déterminants
sociaux dans la formation initiale des professionnels de santé, y compris les médecins, de manière
significative.» [66].
Pour le Collège de la Médecine Générale les connaissances des praticiens sur les ISS restent
« généralement intuitives et fragmentaires [...] les problèmes de santé accrus des plus pauvres leur
semblent évidents, [mais] la notion de gradient de santé n'est pas évidente ni acquise pour
beaucoup ». Cet organisme professionnel insiste ensuite sur l’intérêt d'aborder la question des ISS
lors de formation médicale « en particulier en intégrant la notion de gradient social de santé de
manière transversale dès l’enseignement aux étudiants de premier et deuxième cycles des études
médicales.». Si, par ailleurs il salue tout de même la création récente d'une offre de formation
continue concernant les inégalités sociales d’accès aux soins de prévention, le Collège appelle aussi
à la multiplication de ce type de formations jugées « trop rares » afin de « sensibiliser plus
largement les médecins aux ISS pour qu'ils les intègrent dans leur pratique» [110].
Lemaire, dans sa thèse où elle étudie les représentations des médecins généralistes sur les ISS
constate les lacunes de leur connaissances. Elle propose d'inclure la question des ISS au cursus
universitaire dès le deuxième cycle des études médicales, avec à l'appui de cette revendication
l'argument que toutes les spécialités médicales sont concernées [111]. Les internes de médecine
générale interrogés par Meriaux et al avaient, quant à eux, du mal à repérer les patients précaires,
appréhendaient mal leur contexte de vie, avaient presque tous une vision « simpliste des ISS […] se
limitant à une opposition entre ''riches'' et ''pauvres'' ignorant totalement la notion de gradient
social de santé ». Elles concluaient (reprenant Falcoff) que sans formation plus conséquente, les
internes de médecine générale étaient amenés à plutôt «faire partie du problème que de la
159
solution [des ISS] ». Enfin les internes se montraient tout de même conscients d'une part de leurs
difficultés mais les sous-estimaient. Il étaient aussi disposés à suivre une formation [72].
II) Outils à intégrer aux pratiques :
A) Outils et formation pour améliorer la relation médecin-malade :
L'empathie ou les qualités de communication du médecin ne s’améliorent pas avec l’expérience
[84]. Aussi, cette pratique relationnelle ne doit pas être laissée à la seule intuition des praticiens.
Des outils existent, qui pour certains ont été validés en population générale et ont fait la preuve de
leur efficacité.
1) outils pour la relation médecin-malade:
L'effet thérapeutique de l'effet-médecin remonte aux observation d'Hippocrate [70]. Les analyses
de Balint au sujet du « remède-médecin » sont des apports théoriques importants [77] mais
jusqu'ici l'effet thérapeutique de la relation restait une donnée empirique et subjective.
Moreau et al ont voulu savoir si l'efficacité de ce « remède-médecin » pouvait se mesurer en
conduisant récemment une méta-analyse d'essais cliniques randomisés au sujet de la relation
médecin-patient en population générale [84]. Ces auteurs ont également souhaiter distinguer les
techniques qui avaient fait la preuve de leur efficacité, soit les différents ''principes actifs'' validés
du remède médecin, dans l'esprit de l'evidence-based-medicine.
Selon ce travail, deux composantes de l'effet-médecin sont généralement distinguées dans les
travaux et les interventions cliniques : les composantes «émotionnelle» et « cognitive ». La
composante émotionnelle repose sur « une attitude d’attention, d’empathie, d’écoute active, une
incitation à poser des questions, à exprimer des émotions, une prise en compte des attentes, des
représentations et croyances, une réassurance positive et des capacités à suggérer des
changements comportementaux et psychoaffectifs chez le patient » . L'intervention « cognitive »
passe quant à elle par « une démarche explicative positive sur le diagnostic, le pronostic et le
traitement, et des conseils adaptés».
Cette méta-analyse confirme l'efficacité thérapeutique de « l'effet-médecin » : certaines des
études démontrent une amélioration de critères de jugement objectifs tels que le niveau de
pression artérielle et le taux d’HbA1C. La plupart des ces études mesurent des paramètres
subjectifs. : une intervention globale « cognitivo-émotionnelle » est ainsi efficace au long cours
non seulement sur l’anxiété, sur les signes fonctionnels (douleur chronique, limitation
fonctionnelle etc), ou encore sur l'observance des patients, la réduction de leur demande de
médicaments et d'examens complémentaires. L'efficacité sur le plan thérapeutique est directe ou
par le biais d’une réassurance et d’un accroissement de l’observance thérapeutique [84].
Un certain nombre de facteurs qualitatifs entrant en jeu et limitant le caractère reproductible des
interventions ici présentées, ainsi que l'hétérogénéité importante des situations cliniques et des
critères de jugements entre les différents essais limitent les généralisations possibles. Cela étant
160
cette méta-analyse permet de proposer raisonnablement que les actions « cognitivoémotionnelle » adaptées aux soins primaires (notamment au vu des contraintes de temps et
ogranisationnelles afférentes) et inscrites dans une approche globale bio-psyho-sociale centrée sur
la personne soient davantage promues et enseignées : l'empathie, l'écoute active et réflective au
moyen de l'usage de questions ouvertes, l'entretien motivationnel, et l'inclusion du patient dans
un modèle de « décision médicale partagée » en particulier[84].
Dans le même ordre d'idée, le consensus de Toronto montre que la détresse psychologique des
patients atteints de maladies graves diminue quand ceux-ci pensent avoir reçu l’information
adéquate. Il promeut ce type d'approche [83].
De plus, l'approche bio-psycho-sociale centrée sur la personne, est progressivement intégrée à la
recherche clinique, et permet de dépasser le seul modèle bio-médical habituellement étudié lors
des essais cliniques pharmacologiques, de valider puis de promouvoir certaines interventions
cliniques ne passant pas par les seuls traitements pharmacologiques (malgré donc souvent des
difficultés de mesure et de standardisation des interventions) [112]. Notamment son coût est
faible pour les patients comme pour la collectivité, malgré des bénéfices souvent importants.
Par exemple, dans la prise en charge des lombalgies, pathologie fréquente en médecine générale,
invalidante et au coût important pour la collectivité, comme pour les patients (lorsqu'elle limite
leur capacité de travail par exemple), des études montrent que recourir précocement aux examens
complémentaires ou à un avis spécialisé devant un tableau de lombalgie aiguë banale est contreproductif, inutilement coûteux pour la collectivité comme pour les patients, et favorise le passage à
la chronicité des lombalgies, quand une simple intervention d'information/éducation passant par
la remise d'un livret explicatif de leur maladie aux patients réduit de 25% le taux des patients
lombalgiques chroniques à trois mois. De plus les patients sont plus satisfaits de l'information
fournie, ils consomment moins d'AINS et moins de myorelaxants [113]. Au vu de la fréquence des
lombalgies chroniques chez les patients de médecine générale, et en particulier chez les patients
précaires, ainsi que de la réduction du coût financier qui est entraînée par ce type d'intervention
pour les patients, ce type de ''remède'' semble particulièrement approprié pour réduire la
morbidité des patients précaires et pour réduire la pression financière des soins sur leur budget.
L'entretien motivationel (EM) est une autre pratique s'adressant quant à elle aux patients dans une
démarche de changement comportemental. Elle a démontré ses effets notamment en terme
d'éducation thérapeutique dans le diabète, de changement dans les habitudes de vie à visée
préventives (règles hygiéno-diététiques), comme dans la prise en charge des addictions (tabac,
alcool) où elle étaient initialement le plus appliquée [114]. Elle fait appel de manière prioritaire à
l'exploration de l'ambivalence des patients face à leur comportement de santé néfastes pour
aboutir à un changement comportemental. Elle fait aussi appel à la revalorisation de la confiance
des patients dans leurs capacités à réussir un changement comportemental.
Au vu de l'ambivalence observée des patients précaires dans notre étude à propos de certaines de
leurs conduites de santé et habitudes de vie pathogènes, comme de la faible confiance qu'ils
déclaraient quelquefois dans leurs capacités à modifier leur comportement, un ''outil'' de ce type,
de faible coût, permettant d'inclure les patients dans une démarche préventive, explorant
prioritairement leurs sentiments d'ambivalence pour en faire un moteur du changement de leurs
161
comportements de santé, et enfin revalorisant les patients et les réassurant vis à vis de leur
capacités d'actions, nous semble on ne peut plus approprié pour accompagner les patients
précaires dans une démarche de changement comportemental.
La mise à disposition au cabinet de documents d’informations scientifiquement validées sur la
promotion de la santé, sur les moyens de prévention, sur les maladies et sur les services de santé
est un autre outil indispensable. De manière générale, les documents facilitant la communication
d'information aux patients doivent permettre de libérer du temps (moins d'explication
''professorales'', confinant parfois au monologue de la part du médecin) au profit d'une
communication se basant sur ces informations techniques préalablement données à l'écrit mais
centrée sur ce qui questionne le plus le patient à partir de celles-ci. Les omnipraticiens peuvent se
procurer ces documents auprès des organismes acteurs des politiques de promotion de la santé –
INPES [115], INCA [116 ] – qui les fournissent gratuitement, ou encore auprès de revues médicales
(revue Prescrire[117]...) et de certaines associations.
Plusieurs revue systématiques d'études répertoriées par Falcoff [88] montrent que la diffusion de
documents d’information aux patients ayant un niveau d’éducation faible a améliore leur adhésion
a des soins préventifs : dépistage du cancer du col utérin [118], du cancer colorectal [119], et
vaccination anti-pneumococcique [120] notamment. Les documents doivent être brefs, clairs,
écrits dans un niveau de langage adapté au niveau de lecture des patients cibles. Ils doivent être
testés préalablement sur les patients. Ce type d’action peut permettre d'améliorer les pratiques
d'information et d'éducation à la santé à l'égard des patients précaires, et même plus largement
réduire les ISS à condition que selon l'auteur : « ı) les documents soient conçus et rédigés pour les
personnes ayant un niveau de lecture faible ; 2) les documents ciblent des problèmes de santé, ou
de qualité des soins, pour lesquels les inégalités sociales en médecine générale sont marquées
(maladies cardio-vasculaires, prévention primaire et dépistages) ; 3) le médecin prenne le temps de
répondre si le patient aborde le problème » [88].
Une revue systématique de la littérature rapportée dans le même article par Falcoff, cite
également les interventions sur le déroulement de la consultation qui visent à rendre le patient et
quelquefois le médecin plus actif pendant celle-ci. Dans certaines études, le patient doit compléter
un questionnaire avant sa consultation ou bien lire une brochure d’information l’incitant a poser
des questions et a exprimer ses idées sur le diagnostic et le traitement pendant la consultation. Les
interventions rendent aussi le médecin plus actif (par exemple il doit lire le questionnaire rempli
par le patient en salle d’attente avant de débuter la consultation puis cibler ses informations sur ce
qui pose problème au patient. Ce type d'interventions est efficace : elles réduisent l’anxiété,
améliorent l'état fonctionnel et la satisfaction des patients [121].
L'usage de certains outils informatiques au cabinet pour la pratique individuelle des généralistes,
afin d'éviter notamment qu'ils n'oublient d'informer, de proposer de réaliser et de renseigner les
dossiers médicaux de leurs patients concernant les principales procédures de dépistages et actes
de suivi de pathologies chroniques sont aussi importants. Les deux types de dispositifs de rappels
ainsi destinés aux professionnels validés en essais cliniques et promus par la litérature rapportée
par Falcoff sont le registre (''register'') qui consiste en une liste des patients pour lesquels certaines
procédures de prévention ou de soins sont recommandées selon une périodicité bien définie, et
les dispositifs de type ''reminder'' qui sont des programmes de rappels automatiques destinés au
162
médecin ou a l’infirmière lorsque le moment de réaliser la procédure approche [88].
Ces outils peuvent aussi être intégrés de manière perfectionnés dans des tableaux de bords de
suivis de pathologies chroniques, qui ont prouvé leur efficacité notamment pour améliorer le suivi
et l'information des patients atteints de diabète de type II ou encore l'HTA (des maladies
extrêmement fréquentes, au suivi apparemment simple en terme de standardisation des
procédures, mais pour lesquels des rappels automatiques sont donc efficaces : rappel de
réalisation annuel de BU, d'ECG etc) [122]. Outre le diabète de type 2 et l’HTA, ont été développés
des tableau de bords pour le suivi de l'insuffisance rénale chronique, l'hépatite C,
l'hypercholestérolémie, la fibrillation auriculaire et la prévention/le dépistage chez l’adulte de 50 à
74 ans.
Au total, on peut intégrer à sa pratique une combinaison de ces outils de rappels avec la remise de
documents d'information lorsque le rappel alarme le médecin : ainsi sa pratique d'information est
plus systématique (ce qui profite aux patients précaires habituellement moins informés), le
médecin évite toujours de se lancer dans un monologue professoral (préférant explorer de
manière spécifique les points qui lui posent le plus de question après la lecture du patient - gain
de temps) et in fine les patients sont mieux sensibilisés et informés, l'information est adaptée à
leurs besoins personnels (tant cognitifs que besoins de réassurance par rapport aux appréhensions
liées aux dépistages, examens, traitements etc de manière générale), enfin la connaissance de son
patient par le médecin augmente.
Tous ces outils relationnels sont basés sur l'écoute empathique des patients, intégrés dans une
approche globale bio-psycho-sociale centrée sur la personne, et dans le cadre de l'inclusion du
patient à un modèle de décision médicale partagée qui est au cœur de la mission du généraliste
[50]. Ils sont à la fois efficaces, peu coûteux pour les patients comme la collectivité et adaptés aux
spécificités organisationnelle de la médecine générale (contraintes de temps, intervention à un
stade précoce et indéterminé dans une grande hétérogénéité de situations cliniques). Ils sont
précieux pour la pratique clinique auprès de tous les patients, mais nous semblent devoir faire
l'objet d'un effort accru d'intégration des médecins généralistes lorsque ceux-ci ont à prendre en
charge des patients précaires : cela permettrait de favoriser leur adhésion au soins, leur
changements de comportements de santé, de favoriser leur information et leur compétence en
santé, et enfin améliorer leur état de santé. Ceci questionne directement la formation des
médecins et futurs-médecins pour qu'ils puissent intégrer ces compétences à leur pratique.
2) Formation à la relation et la communication médecin-malade :
La conférence de Toronto [83] conclut à la nécessité d'intégrer à la formation des médecins une
formation relationnelle de qualité, et le moyen conseillé est plutôt la mise en situation avec
contrôle vidéo et jeux de rôle.
Lucet dans sa thèse, retrouve une amélioration des pratiques relationnelles des étudiants après
leur stage de médecine générale (surtout dans sa composante ''cognitive'') qu'elle explique par un
effet conjoint du modèle d’identification (ou « role-modeling »), du débriefing et d'un
enseignement empathique centrée sur l’étudiant. L'effet du « role-modeling », souligne
163
l'importance de l’influence du comportement du maître de stage/mentor sur la construction de
l’identité propre du futur médecin (lié à la notion de « hidden curriculum »59). Le débriefing est un
échange en fin de consultation permet à l’étudiant d’avoir une approche plus globale du patient
(les émotions suscitées par un patient, aussi bien chez l’étudiant que chez le maître de stage, « en
se partageant, se clarifient et se comprennent mieux »), l'enseignement dit «empathique centrée
sur l'étudiant» est une relation d’enseignement qui reflète en miroir l’approche médicale centrée
sur le patient qu'il doit atteindre (les étudiants sont écoutés avec empathie, revalorisés, ont plus
de responsabilités, de contact avec les patients, apprennent à connaître les patients au-delà de
leur diagnostic médical) [106].
Plusieurs revues systématiques de la littérature sur les moyens efficaces d'enseigner l'empathie
aux soignants sont passées en revue par Lucet dans sa thèse [106] : ils passent par un
enseignement pratique et/ou théorique. Plusieurs techniques reviennent sur des situations vécues
ou recourent à des mises en situations fictives, apprennent à décoder, clarifier, exprimer les
émotions, à communiquer avec le patient, a ''prendre sa place'', surtout sur un plan cognitif. Il
s'agit des groupes Balint, de l'entraînement à la conscience de soi et de ses sentiments, des
discussions de groupe autour d’expériences auprès de patients, des focus groupes, des jeux de
rôle, du visionnage et décodage de vidéos de consultation, de la littérature, du théâtre, ou de
l'écriture d’un récit du point de vue du patient, ou encore de l'accompagnement d’un patient lors
d’une consultation médicale, voire encore de l'hospitalisation de l’étudiant de 24 à 30h
consécutives etc. Chacun de ces moyens à été contrôlé par une ou plusieurs études d'intervention
(avant/après enseignement) : ils améliorent les compétences des soignants, la satisfaction des
patients, la compréhension mutuelle [106, 123].
Les co-formations sont des ateliers/formations qui « permet[tent] à chacun, qu’il soit professionnel
ou patient, de partager son vécu, et de devenir à la fois co-chercheur, co-acteur et co-formateur.
Cet exercice de croisement des points de vue des professionnels et des patients sur la santé, la
précarité, le rôle des soignants permettent alors de faire tomber malentendus et barrières » [88].
Chatelard, dans sa thèse sur les compétences psycho-sociales nécessaires à la prise en charge des
patients précaires en médecine générale rapporte l'expérience d'une co-formation dont le thème
était « santé et gens du voyage ». Cette formation a conduit les soignants à une meilleure prise en
compte de la culture de ces personnes, une modification des pratiques en un sens plus
empathique et compréhensif. La satisfaction des professionnels et des usagers des soins était
soulignée [81].
Un autre exemple est la co-formation par le « croisement des savoirs et des pratiques » entre les
professionnels des unités de soins psychiatriques du chu de Nantes et des patients précaires,
organisée par l’équipe de liaison psychiatrie précarité du CHU de Nantes avec les ateliers du
croisement des savoirs et des pratiques d’ATD Quart monde [124]. Les participants on exploré leur
divergences sur des points de vocabulaire, leurs représentations des notions de santé et de
pauvreté. Les personnes précaires ont pu exprimer leur représentations des soignants, des soins,
de la santé, leurs sentiments (notamment défiance), et donner les raisons de leur ressenti, leurs
préférences et désirs.
Cet « échange de savoirs » en groupe a permis l'amélioration de la compréhension et de la
connaissance mutuelles entre les professionnels et les personnes précaires participantes, ou
59 Cf note précédente et [106].
164
encore avec les militants associatifs. Elle a aussi aboutit à la rédaction en commun (soignants,
personnes précaires, militants associatifs) d'un document d'amélioration des pratiques de soins.
Les participants étaient très satisfaits après cette expérience. Cet outil paraît particulièrement
intéressant pour améliorer la qualité des soins auprès des patients précaires, mais aussi leur
autonomisation éclairée dans les soins, réduire leur défiance, tout en favorisant plus largement
leur participation à un modèle de « démocratie sanitaire » [125].
165
B) Outils et formation à l'accompagnement social des patients précaires en
médecine générale :
Nous avons pu noter la fonction de conseil social que les patients précaires sinon attendaient, du
moins appréciaient vivement de la part de leur médecin généraliste dans notre étude, l'importance
d'une action du généraliste lors du suivi au cabinet en direction des conditions d'accès aux soins
des patients précaires, et enfin les difficultés rencontrées par les généralistes dans leur mission
d'accompagnement social.
En réalité, il ressort pleinement du champ d'action, des connaissances et des compétences du
médecin généraliste d'accompagner les patients dans leur démarches sociales. La WONCA-europe
dans sa définition de la médecine générale, rappelle ainsi qu'une des missions essentielles de
celle-ci est de « répondre aux problèmes de santé dans leurs dimensions physique, psychologique,
sociale, culturelle et existentielle.[En conséquence], la prise en charge doit reconnaître toutes ces
dimensions simultanément et accorder à chacune une importance adéquate [en raison du fait que]
les comportements face à la maladie et les modes d’évolution des pathologies varient selon ces
diverses dimensions. Les interventions qui ne s’attaquent pas à la racine du problème causent
beaucoup d’insatisfaction au patient. » [50].
Ainsi, même s'il n'est pas un professionnel du secteur social, le généraliste doit cependant disposer
de connaissances et de compétences à même d'offrir un conseil social minimal au patient (soutien
informationnel). Il doit aussi savoir les orienter si nécessaire vers des professionnels de ce secteur,
dans le cadre d'une pratique en réseau de travail médico-social.
Il semble ainsi que le médecin doit disposer de certaines connaissances minimales et non
spécialisées au sujet des principales aides sociales (les principales aides sociales, leur guichet
d'accès et les conditions d'éligibilité (dans leurs grandes lignes) non seulement concernant
l'assurance maladie et les soins, mais aussi plus générales (minima sociaux, aides alimentaires,
associations etc) pour qu'il puisse fournir autant que possible à ses patients des conseils et une
orientation adaptées à leur situation. Cela étant, le temps et la mémoire du médecin sont limités.
Aussi, au-delà des connaissances minimales, lire et savoir se référer durant sa pratique à certains
ouvrages ou sites internet spécialisés et synthétiques constituent un élément indispensable la
compétence sociale du médecin généraliste auprès des patients précaires.
Des outils pratiques existent pour aider le généraliste à accompagner les patients sur ce plan dans
sa pratique individuelle au cabinet : on peut citer en particulier le site internet de l'assurance
maladie [126], de l'administration (vos-droits.fr) [127] l'ouvrage et le site internet du COMEDE
pour les patients migrants [128], le site internet de l'INRS pour les problèmes en lien avec la
médecine du travail [129], ou encore certains sites spécialisés dans la prise en charge globale d'une
personne atteinte d'un trouble bio-médical précis : sites internets de l'aidant des malades
d’Alzheimer [130] ; ivg.gouv [131] etc.
En particulier le Collège de la Médecine Générale (CMG) vient d'éditer des recommandations pour
le recueil systématique des données sociales des patients en consultation, qui invite à recueillir 16
indicateurs, dont 7 des la première consultation, pour repérer la vulnérabilité sociale de ses
patients en pratique courante de manière fiable et pour adapter ensuite sa prise en charge[110]. Il
166
faut aussi noter que les recommandations ont également pour but que les éditeurs de logiciel de
gestion du cabinet intègrent des champs de saisie informatique facilement accessibles, ce recueil
devant permettre également, à terme, des études de pratique individuelle (audit) pour repérer les
gradients sociaux dans sa prise en charge au cabinet (dépistages, actes de suivi), ou encore des
études épidémiologiques et expérimentales sur les ISS à un niveau plus large de santé
communautaire[110].
Ces recommandations du CMG sont opportunes car si certaines publications sur le sujet concluent
à une identification intuitive et efficace des patients précaires par leur médecin traitant [132],
d'autres retrouvaient des résultats contraires [111]. Reste que l'étude de la réception de ces
recommandations et leur acceptabilité pour les généralistes montre une application très partielle
de celles-ci, avec en particulier une peur des généralistes de stigmatiser les patients [111]. De plus,
son acceptabilité pour les patient n' a pas encore été évaluée mais est en cours. Enfin le généraliste
doit savoir quoi faire de ces données une fois enregistrées et une fois le patient vulnérable
identifié comme tel ce qui renvoie une fois encore à ses connaissances de bases et compétences
sociales (sus décrites) ou encore plus largement en matière d'ISS.
C'est aussi le développement professionnel continu (DPC) sur ce thème, bien que rare, qui peut
améliorer les connaissances et compétences des praticiens sur le sujet. Flye et al et Ernst-Toulouse
et al remarquent que si les omnipraticiens se déclarent peu formés, ils se montrent aussi disposés
à suivre une formation sur le sujet [108,109]. C'est l'offre de DPC qui doit donc évoluer en ce sens,
comme en un sens plus large pour la prise en charge des ISS en médecine générale. Pour Flores et
al, généralistes-enseignants de l'université Paris-Descartes, il faut ainsi : « reconsidérer la valeur
généralement péjorative attribuée à la partie « sociale » du travail des généralistes » ce qui passe
aussi par une intégration accrue de son enseignement dans la formation initiale des internes en
médecine générale [65].
Enfin, au delà de la pratique individuelle, l'accompagnement social passe nécessairement par
l'intégration d'un réseau de travail médico-social pluri-professionnel quelquefois intégré (maisons,
pôles de santé et médico-sociaux), mais plus généralement informel et passant par la constitution
par le praticien d'un annuaire de personnes ressources du secteur social local. Selon Falcoff,
l'intérêt de ce type de réseau est double, puisque s'il permet au médecin d'orienter plus facilement
ses patients, d'assurer leur suivi, d'adapter sa prise en charge, en sens inverse les acteurs médicosociaux peuvent adresser au médecin des personnes repérées par eux comme étant par exemple,
en rupture de soins [88]. Cet intérêt ''en sens inverse'' renvoie ainsi directement à l'intérêt de
toucher par ce moyen ceux qui sont éloignés des soins en général, et ''même du généraliste''. Ceci
renvoie au dépassement d'une philosophie des soins axée uniquement sur un niveau de prise en
charge individuelle des patients lors du ''colloque singulier'', ne permettant d'intégrer que les
patients précaires qui recourent déjà aux soins, pour intégrer pleinement dans la pratique des
généralistes des actions et objectifs de santé communautaire60.
60 Niveau d'action sur lequel nous revenons à la fin de notre partie Discussion.
167
C) Outils et formation à la prise en charge clinique des patients précaires et plus
largement des ISS :
L'importance des connaissances sur les interactions santé-précarité et les ISS pour la pratique sont
multiples. Premièrement, partant de la connaissance de l'existence du gradient social de morbimortalité, mais aussi du gradient social de prise en charge non seulement relationnel (concernant
l'empathie, l'approche globale centrée sur la personne, l'information et l'éducation à la santé) et
de prise en charge bio-médical sus-exposé (en particulier en terme de réalisation d'actes de
dépistages et de prévention, mais aussi d'actes de suivi de pathologies chroniques) les médecins
doivent savoir comment améliorer leur pratique.
Il est difficile de segmenter de manière théorique les différentes pratiques complémentaires à
même de favoriser l'amélioration des comportements de santé, de la situation sociale et de l'état
de santé des patients précaires, tant ces différentes dimensions de la prise en charge en médecine
générale s'entrelacent et sont à appliquer de manière coordonnée. Cependant, pour résumer ce
qui vient d'être dit, et ouvrir plus largement sur les compétences et actions complémentaires, nous
pouvons procéder comme suit.
Premièrement, comme nous l'avons déjà exposé, cette entreprise passe par l'acquisition et
l'intégration de connaissances et de compétences accrues en terme relationnel (communication,
information et éducation, empathie approche globale) qui peuvent s'appuyer sur les outils susexposés, ainsi que par un effort accru de vigilance et d'intégration à leur pratique de la part des
médecins lorsqu'ils prennent en charge des patients précaires au cabinet.
Deuxièmement, il est nécessaire pour les généralistes d'être formés à et d'intégrer les outils et
compétences en jeu dans l'accompagnement social des patients précaires. Nous avons déjà abordé
ces deux premiers points.
Mais troisièmement, prendre en charge les patients précaires et plus largement les ISS en
médecine générale passe aussi, au-delà de la seule information/éducation à ce sujet, par une
pratique de promotion et de réalisation des actes préventifs et de suivis de pathologies chroniques
de qualité au cabinet, ne délaissant pas les objectifs en vigueur pour la population générale au
motif que les patients sont ''trop lourds'' à prendre en charge, et présentent de plus nombreuses
et plus lourdes demandes compétitives lorsqu'ils consultent |88,110].
Quatrièmement, cette entreprise passe par une plus grande orientation des patients vers les
réseaux d'information-éducation à la santé, et d'éducation thérapeutique, avec ici encore, la
nécessité de proposer cette orientation aux patients de manière plus équitable qu'actuellement.
Cinquièmement, il ne faut pas négliger l'apport que peut apporter le fait d'intégrer un réseau de
travail pluri-professionnel médical et/ou médico-social concentré sur une réflexion et la mise en
oeuvre d'actions adaptées (actions intégrant souvent les outils précédemment présentés ici mais
les utilisant de manière ciblée sur les plus défavorisés) ciblant spécifiquement l'amélioration des
savoirs, de la compétence et de l'état de santé des patients précaires, dans le cadre d'une
démarche de lutte contre les ISS en soins primaires (démarche de santé communautaire). Nous
concluons maintenant en détaillant ces trois derniers points.
168
1) pratiques cliniques à promouvoir au cabinet (plus larges que la seule relation thérapeutique et
l'accompagnement social auprès des patients) :
Prendre en charge des patients précaires en conservant les objectifs sanitaires standards promus
en population générale demande souvent dans la pratique plus de temps, plus d'efforts et plus de
vigilance des praticiens (notamment pour ne pas délaisser la prévention et le suivi de pathologies
chroniques). Aussi le temps, les efforts et les moyens consacrés doivent être à la hauteur des
besoins des patients. Les objectifs sanitaires ne sont pas différents selon la catégorie sociale des
patients, et l'équité impose non une égalité de traitement des patients, mais justement une égalité
au regard des objectifs sanitaires promus et poursuivis [109].
Le Collège de la Médecine Générale, comme Falcoff, soulignent ainsi, en l'absence de
recommandations consensuelle préalables pour la prise en charge des patients précaires comme
pour la prise en charge des ISS de manière plus large en médecine générale, que l'important est
globalement que les efforts des praticiens se déploient actuellement pour repérer de manière
beaucoup plus systématique qu'à l'heure actuelle la vulnérabilité sociale des patients selon les
différents type de facteurs socio-environnementaux pathogènes auxquels ils sont exposés,
toujours dans le cadre d'une approche globale bio-psycho-sociale centrée sur la personne. C'est en
ce sens que le CMG a publié ses recommandations pour le recueil systématique des données
sociales des patients (sus-exposées) [88,110].
Ainsi selon le Collège, « Connaître le statut par rapport à l’emploi et le cas échéant la profession
d’un patient est indispensable pour évaluer au mieux les facteurs de risques professionnels dans
le cadre de pathologies courantes (allergie, lombalgie, toux chronique, céphalée, trouble du
sommeil etc). Cette information est également utile afin d’adapter une prise en charge
thérapeutique selon les conditions de travail (usage de médicaments altérant la vigilance, travail
auprès d’enfants, en altitude etc). Le médecin pourrait penser à dépister plus systématiquement la
maladie coronarienne chez les ouvriers (dont on sait qu’ils ont un sur-risque cardio-vasculaire), ou
à être plus systématique sur la date du dernier frottis chez les patientes ayant un emploi non
qualifié (dont on sait qu’elles sont moins bien dépistées).
Connaître le type de couverture sociale est indispensable avant toute prescription de traitement,
d’examens radiologiques ou biologiques, ou avant l’adressage d’un patient à un confrère. En effet,
un patient bénéficiant de l’assurance maladie obligatoire seule (AMO) n’a pas de prise en charge
du ticket modérateur. De nombreux cas de renoncements aux soins, de problèmes d’observance ou
de non suivi des préconisations trouvent leur origine dans le remboursement partiel des frais
engagés. Cela sous-tend également la nécessité pour tout médecin généraliste de bénéficier d’un
réseau de professionnels de santé exerçant en secteur 1. Enfin, connaître les capacités de
compréhension du langage écrit du patient est également une information indispensable à
recueillir au cours d’une consultation. En effet, les patients qui ne lisent pas correctement le
français ne le disent généralement pas spontanément à leur médecin. Cela nécessite pourtant une
adaptation du mode de transmission des informations. » [110]
Falcoff, selon la même approche, fournit un exemple pratique similaire :
« Un homme de 45 ans vient consulter en urgence pour une infection respiratoire fébrile banale, et
il est reçu entre deux consultations sur rendez-vous ; son examen clinique est normal. Cette
169
consultation pourrait être très brève. Mais quelques questions sur sa position sociale montrent que
ce patient exerce un métier manuel, qu’il n’a pas de mutuelle, est célibataire, n’a pas vu de médecin
depuis quelques années. L’enjeu de la consultation change : il faut évaluer l’ensemble de ses
facteurs de risque et essayer d’amorcer un suivi. »[88]
Falcoff rappelle cependant que La réponse aux ISS en terme de pratique clinique au cabinet de
médecine générale ne peut pas se baser uniquement sur des données scientifiques : soit qu' il faut
adapter sa pratique au cabinet « en se basant a la fois sur les preuves disponibles, sur la théorie et
sur ce qui parait raisonnable dans chaque contexte d’exercice ». En particulier : il est compliqué de
dégager plus de temps pour la consultation auprès des patients précaires mais : « Qu’il consulte
sur rendez-vous ou pas, le médecin généraliste devrait se donner les moyens de dégager du temps
pour les cas complexes, soit en faisant des consultations longues, ce qui est pénalisant pour lui
dans le système de paiement a l’acte, soit en faisant revenir les patients aussi souvent que
nécessaire et de maniéré aussi rapprochée que nécessaire tout en étant gérable par le
malade. »[88]
Comme nous l'avons vu, les patients précaires sont aussi moins orientés vers les spécialistes dans
le suivi de certains facteurs de risque et pathologies chroniques. Mais cela peut aussi provenir du
moindre goût pour le recours aux spécialistes de ces patients comparativement aux patients plus
aisés, comme de leur problèmes budgétaires. Aussi, dans ce contexte : «Une maniéré de lutter
contre les inégalités dans ce domaine pourrait être, pour chaque médecin généraliste,de définir
précisément les situations justifiant l’envoi systématique aux spécialistes, et de choisir des
correspondants accessibles aux patients défavorises. ».[88]
Au-delà des pratiques mises en jeu, c'est aussi l'importance de réaliser, dans le cadre d'une
démarche qualité autour de sa pratique individuelle au cabinet, un audit de sa pratique selon les
critères sociaux des patients, pour pouvoir dépister, évaluer puis combattre un gradient social de
prise en charge dans sa pratique individuelle. C'est l'autre intérêt (intérêt pour le contrôle à
posteriori) du recueil de données sociales promues par ces auteurs.
Au total, les pathologies et facteurs de risques sanitaires que connaissent les patients au bas de
l'échelle sociale n'étant de manière générale pas différents de ceux connus en population générale
[1], mais différant la plupart du temps en terme de degré (de sévérité, d'exposition), les pratiques
cliniques notamment préventives proposées aux patients selon un abord global et centré sur la
personne ne sont pas radicalement différentes de celles qui sont à adopter avec tout patient
quelque soit sa situation sociale. Cependant la littérature fait ainsi remarquer qu'elles doivent faire
l'objet d'une attention et d'un effort de vigilance accrues des praticiens lorsque décroit la catégorie
sociale des patients. Les patients précaires recourent déjà peu, il s'agit au final de ne pas ''louper le
coche'' concernant notamment la qualité de la relation et des procédures préventives et de suivi
de maladie chronique engagées lorsqu'ils sont au cabinet.
2) Orienter vers les réseaux d'information-éducation à la santé et d'éducation thérapeutique :
a) Rappels de définitions :
Selon les autorités sanitaires (HAS) : « L’éducation pour la santé [...] a pour but que chaque citoyen
170
acquière tout au long de sa vie les compétences et les moyens qui lui permettront de promouvoir
sa santé et sa qualité de vie ainsi que celles de la collectivité. [...] Elle s’adresse à la population dans
toute sa diversité avec le souci d’être accessible à chacun.[...] En privilégiant toujours une approche
globale des questions de santé, elle utilise des portes d’entrée variées : des thèmes particuliers (la
nutrition, le tabac, la contraception, les accidents, les vaccinations, l’accès aux soins, le sida, le
cancer, les allergies...), des catégories de population (les jeunes, les femmes enceintes, les
personnes âgées dépendantes, les personnes en situation de précarité...), des lieux de vie (la
famille, l’école, le quartier, l’entreprise, l’hôpital, la prison...)» [133].
L'éducation thérapeutique du patient (ETP) est une branche de l'éducation à la santé plus large.
Selon la définition des autorités sanitaires : « elle s'adresse à toute personne « ayant une maladie
chronique, enfant, adolescent ou adulte, quels que soient le type, le stade et l’évolution de la
maladie [ainsi qu'à leur] entourage [et ce] dès l'annonce du diagnostic de maladie chronique
[(éducation thérapeutique ''initiale''] ou au tout autre moment d'évolution de la
maladie [éducation thérapeutique « de suivi régulier», « de renforcement » ou «de reprise »»[134].
L'ETP «vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour
gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Elle fait partie intégrante et de façon
permanente de la prise en charge du patient. Elle comprend des activités organisées, y compris un
soutien psychosocial, conçues pour rendre les patients conscients et informés de leur maladie, des
soins, de l’organisation et des procédures hospitalières, et des comportements liés à la santé et à la
maladie. Ceci a pour but de les aider, ainsi que leurs familles, à comprendre leur maladie et leur
traitement, à collaborer ensemble et à assumer leurs responsabilités dans leur propre prise en
charge, dans le but de les aider à maintenir et améliorer leur qualité de vie. »[134]
Aussi, c'est une pratique rigoureusement codifiée qui passe par plusieurs étapes que des soignants
non formés ne sauraient réaliser : 1) Élaboration d'un diagnostic éducatif, 2) Définition d'un
programme personnalisé d’éducation thérapeutique du patient, 3) Planification et mise en œuvre
les séances d’éducation thérapeutique collective et/ou individuelle, 4) Réalisation d'une évaluation
individuelle [134]. Les moyens auxquels elle recoure sont variés : techniques de communication
centrées sur le patient ; techniques pédagogiques (exposés interactifs, études de cas, tables
rondes, simulations à partir de l’analyse d’une situation ou d’un carnet de surveillance, travaux
pratiques, ateliers, simulations de gestes et de techniques, activités sportives, jeux de rôle etc) ;
outils variés (« affiches, classeur-imagier, bandes audio ou vidéo, cédéroms, brochures etc)
b) De l'importance d'orienter vers un réseau d'éducation à la santé/ thérapeutique :
Les autorités et organismes sanitaires en charge de l'ETP et de l'éducation à la santé insistent donc
sur la distinction nécessaire de la part des professionnels de santé entre information du patient et
ETP ou éducation à la santé. Stricto sensu, elle ne peut passer que par un travail en réseaux de
soins [134] En particulier, se basant sur une revue de la littérature systématique sur le sujet, la HAS
rapporte ainsi que plusieurs méta-analyses d’études contrôlées randomisées concernant l’asthme,
la polyarthrite rhumatoïde, la prise au long cours d’anti-vitamines K ont montré que l’information
seule ne suffisait pas à aider les patients à gérer leur maladie au quotidien.
L'ETP, quant à elle, a démontré ces bénéfices en population générale atteinte de pathologie
171
chronique (comme par exemple dans l'asthme (diminution des épisodes d’asthme nocturne,
absentéisme professionnel et scolaire, réduction du nombre d’hospitalisations et de séjours aux
urgences, des visites médicales non programmées)) le diabète de type1 (impact significatif et
durable sur le contrôle métabolique et les complications du diabète)). De manière générale, elle
participe à l’amélioration de la santé du patient atteint de maladie chronique (biologique et
clinique), à l’amélioration de sa qualité de vie et de celle de ses proches[134].
Pourtant, selon une enquête réalisé en 2012 dans des cabinets de médecine générale et rapportée
par Kandel et al, 89% des médecins sont convaincus de faire de l'éducation thérapeutique alors
que ce chiffre n'est pas crédible au vu des études officielles. Il semblerait bien plutôt dû à une
méconnaissance des généralistes de ce qu'est réellement l'éducation thérapeutique, avec
confusion entre entretien ponctuel de soutien au patient, délivrance d'une information médicale
sur la maladie ou les traitements, ou encore conseil de prévention. Cette confusion des
généralistes au sujet de l'ETP est certainement en grande partie responsable du manque
d'orientation subséquent de leur part vers les structures ad hoc, de leurs patients potentiellement
bénéficiaires (sur quinze millions de personnes potentiellement concernées en France, encore peu
en profitent réellement) [70].
Aussi rappeller la définition et les principes de l'ETP, garant de son efficacité clinique, nous semblait
important avant toute autre considération à son sujet. En particulier, le manuel théorique de
médecine générale rappelle qu'ainsi largement ignorants des définitions et modalités de
réalisation de l'ETP, les médecins adoptent couramment certaines pratiques contraires à l'esprit
comme à la lettre de la démarche éducative : prise en charge isolée au cabinet ''dans son coin'',
« interrogatoire du patient, attitude d'expertise du professionnel qui fixe lui-même les objectifs à
atteindre, classement nosographique des informations recueillies, approche par problème,
standardisation des activités proposées...» [70]
Le Manuel rappelle aussi qu'un certain nombre d'obstacles s' opposent à sa mise en œuvre en
pratique courante au cabinet de médecine générale, y compris pour les médecins ayant suivi une
formation spécifique à cette pratique (soit les plus motivés à cette pratique et les plus compétents
en la matière -représentant une minorité dans la profession). Il en est ainsi de la durée des séances
d'ETP (30 à 45 minutes nécessaires pour une prise en charge rigoureuse - soit nécessité d'organiser
en conséquence l'emploi du temps différemment), des nombreux motifs de consultation, de la
difficulté à faire revenir le patient spécifiquement pour des consultations éducatives, enfin du
manque de compétences particulières (communication) ou encore d'outils adaptés (vidéos, jeux
de rôle, matériels etc). Aussi, bien que tentant de réaliser une l'ETP avec certains de leur patients,
les généralistes, mêmes formés, n'arrivent en réalité qu'à suivre de manière assez informelle ses
principes[70].
c) Intérêts pour les patients précaires et pour réduire les ISS :
Falcoff souligne que si les programmes d'ETP ne sont que très rarement étudiés en terme
d'efficacité au regard des ISS, certains ont tout de même démontré leur efficacité en la matière.
Ainsi un programme éducatif a destination de malades insuffisants cardiaques a permis de réduire
les écarts sociaux d'information, d'éducation, de connaissances et de compétences entre patients
de différentes catégories sociales, comme de réduire le nombre global de décès et
172
d’hospitalisations à un an. L’analyse par sous-groupes montrait que ce bénéfice concernait les
patients de faible niveau d’alphabétisation (tandis que les patients de haut niveau
d’alphabétisation ne connaissaient pas d'amélioration significative après intervention, étant
suffisamment informés de manière générale sur leur maladie avant de suivre l'ETP) [88, 135].
Au total, l'ETP, et plus largement l'éducation à la santé semblent des outils particulièrement
intéressants au regard de leur efficacité en population générale, quelquefois sur la réduction des
ISS, et même si elle reste peu étudiée dans cette optique. En particulier, si nous nous référons au
déficit de connaissances et de compétences en santé particulièrement important qui frappait
spécifiquement les patients précaires (déficit de capital culturel spécifique), il semble important de
penser à orienter de manière accru les patients précaires vers ces réseaux de soins. En parallèle,
les données des études cliniques à son sujet doivent permettre aux généralistes une prise de
conscience plus grande des limites de leur pratique courante réalisée de manière isolée au cabinet,
qui doit s'accompagner d'une prise de conscience parallèle de leur rôle essentiel dans l'orientation
des patients précaires vers les structures ad hoc.
Peu des patients interrogés dans notre travail, bien que pour de nombreux porteurs de pathologies
chroniques, avaient bénéficié d'une orientation de leur généraliste vers un réseau d'ETP adapté. Il
est possible que cela provenait aussi d'un faible goût des patients pour ce type de prise en charge.
Ceci nécessiterait d'être mieux renseigné. De manière générale, l'intérêt spécifique des
programmes d'ETP mériterait d'être mieux renseigné au regard des données sociales des patients
[88]. Enfin les réseaux de ce type sont encore trop inégalement répartis sur le territoire national,
comme y compris en Bourgogne [136], souvent plus présents dans les zones déjà les plus
favorisées en termes socio-économique et d'infrastructures, ce qui renvoie à la Loi de Hardt. Un
effort de promotion dans les zones plus défavorisées et à plus fort besoin en direction d'une
couverture géographique plus équitable paraît nécessaire.
173
3) Travail en réseaux de soins ou médico-sociaux intégrés et contrôlé (recherche)
ciblant spécifiquement les patients précaires :
a) Des expérimentations qui fonctionnent en soins primaires...:
Au-delà de la pratique courante des généralistes, qu'elle soit individuelle ou s'inscrive en réseaux
de soins et médico-sociaux informels (orientation des patients et coordination des soins), prendre
pleinement en compte les problématiques de précarité-santé et plus largement les ISS appelle
aussi à mener une réflexion et des actions à un niveau plus large relevant de la santé
communautaire.
Nous avons vu le nombre importants de facteurs qui entrent en jeu pour conditionner les
comportements de santé des patients précaires (et plus largement leur état de santé) et qui ne
ressortent pas seulement d'une action au cabinet (conditions de vie, éducation thérapeutique/à la
santé, suivi social coordonné etc). Plus largement nous avons vu toutes la difficultés des patients
précaires à recourir, quelquefois même à leur médecin traitant (quelquefois il n'en ont même pas).
Il est donc nécessaire de dépasser le niveau du ''colloque singulier'' au cabinet pour prendre aussi
en considération en soins primaires les patients qui ne recourent pas, et pour proposer et
expérimenter des actions à ce niveau. La santé communautaire est un domaine d'intervention
légitime de la médecine générale selon la définition qu'en fournit la WONCA [70].
En ce sens, le CMG appelle dans notre pays à « à associer les différents acteurs du champ social,
médico-social et les représentants des patients, au diagnostic de la situation sociale [des]
territoire[s], afin que tous travaillent à la mise en place d’interventions visant à diminuer les ISS ».
Ces réseaux doivent à terme permettre de mener des actions innovantes en soins primaires,
incluant les généralistes, et inspirées de ce qui fonctionne ailleurs en la matière, mais en les
adaptant à chaque population, chaque réseau d'acteurs professionnels, et chaque territoire.
Pour plusieurs chercheurs ou organismes professionnels en médecine générale, il faut notamment
s'inspirer de ce qui se fait depuis longtemps en la matière au Royaume-Uni (où les politiques
publiques ont adopté des objectifs prioritaires de réduction des ISS, et les réseaux de soins
primaires intégrés menés des expérimentations en la matière depuis bien plus longtemps qu'en
France, en lien toutefois avec les caractéristiques nationale du modèle britannique d'organisation
des soins primaires (NHS) [65, 88] ).
Ainsi, Une campagne de sensibilisation accrue des professionnels de santé et des patients à divers
actes de dépistage durant quinze mois dans une zone socialement et sanitairement défavorisée en
Grande-Bretagne rapportée par Flores et al [65, 137], augmenta de manière significative le suivi de
soins préventifs dans une patientèle très défavorisée. Le protocole suivi eu recours à une action
répétée de prévention profitant des consultations pour d’autres motifs, à un courrier envoyé deux
fois à chaque foyer comportant la liste des soins préventifs à effectuer pour chaque membre de la
famille, au recours aux visiteurs de santé au domicile des patients pour encourager l’observance et
occasionnellement au recours à la réalisation-même des soins préventifs au domicile des patients.
De même, une délégation de compétence médicale et un personnel administratif supplémentaire
174
fut nécessaire (pour mettre en place le système d’enregistrement des soins préventifs et pour
suivre les procédures nouvellement introduites). A la fin du programme, la couverture vaccinale
des plus jeunes enfants et le taux de frottis chez les femmes les plus âgées étaient seulement
légèrement plus faibles que ceux des témoins, et tous les autres taux de dépistages et de soins
préventifs réalisés par les patients défavorisés étaient à un niveau équivalent pour certains
dépistages, voire supérieur pour d'autres, à celui des patientèles de zones voisines socialement
favorisées et mieux pourvues en professionnels de santé.
D'autres expérimentations ont aussi rencontré un franc succès en France. Une intervention
réalisée en 2011 en médecine générale en France, au sein d'une population défavorisée vue en
cabinet de ville [94] a également fourni de bons résultats grâce à une sensibilisation forte des
médecins locaux aux ISS et à l'importance de la prévention dans celles-ci, ainsi qu'à un effort accru
d'information, de sensibilisation à la prévention et d'éducation pour la santé ciblé sur la population
locale socialement défavorisée, et passant par un travail en réseau. A la fin on observait une
absence de gradient social pour trois soins de prévention (dépistage des cancers du col utérin, du
sein et du colon). Plus, après cette intervention, non seulement le taux de suivi des soins de
prévention par la population défavorisée s'était amélioré, mais il était même pour certains actes à
des valeurs supérieures à celles connues en population générale au niveau national. Cette
intervention ne touchait cependant que les patients précaires suivis en médecine générale et ayant
donc franchi la barrière de l'accès aux soins.
Par ailleurs, le ''disease management'' est un modèle d'organisation des soins primaires intéressant
pour prendre en charge les patients précaires. C'est « un modèle d’organisation des soins
développé initialement aux États-Unis,[...] puis en Angleterre et en Allemagne [qui] concerne les
principales pathologies chroniques. C’est une tentative pour a la fois réduire le coût des prises en
charge et améliorer la conformité des soins aux recommandations. [...] Les programmes de disease
management associent constamment quatre éléments : ı) l’identification d’une population de
patients atteints de la pathologie par la constitution et la tenue d’un registre ; 2) des
recommandations et/ou une protocolisation des soins ; 3) une aide offerte aux patients pour les
aider a gérer leur maladie (par des procédures d' ETP) ; 4) un système d’information pour suivre en
continu l’évolution des patients et la qualité des soins. » [88]
Le disease-management se caractérise donc par l'intégration de l'éducation thérapeutique à
d'autres approches ayant prouvé leur efficacité sur la réduction des ISS en soins primaires (tenues
de registres, proctololisation des soins, contrôle de la qualité des soins) et par l’apparition de
nouveaux acteurs qui peuvent être des infirmières, des travailleurs sociaux, d'autres professionnels
(éducatifs, administratifs) spécialement formés à certains aspects de cette prise en charge [28, 88].
La revue systématique de la littérature internationale de Bourgueil et al étudiant la manière dont
les soins primaires peuvent réduire les ISS rapporte que ce type de programme d'actions intégrés
en soins primaires a contribué à réduire les symptômes de dépression dans une population à faible
niveau de revenus, et que les programmes de disease management pour l’insuffisance cardiaque
et le diabète, ont amélioré à la fois la connaissance de leur maladie par les patients, les symptômes
et la qualité des soins dans les populations immigrées à faible revenus [28] ;
Les ateliers-santé ville [138], ou encore certains groupements territoriaux de professionnels de
175
santé sont prometteurs en France. Ainsi, dans notre région, le groupement de professionnel de
sant pluri-professionnels du pays beaunois fait figure de réseau de santé local associant de
manière exemplaire Hopital public, structures de santé et d'aide à domicile, pharmacies et
cabinets d'exercice libéral. Les divers professionnels de santé et paramédicaux (médecins,
infirmiers, kinésithérapeuthes, pharmaciens, psychologues, ergothérapeuthe, aides-soignants,
auxiliaires de vie), du secteur social et de l'aide à domicile sont associées et travaillent ensemble
pour coordonner, évaluer leurs pratiques.
Le groupement fournit une coordination ''ville-hopital'' des soins, une offre de formation
professionnelle, expérimente de nouvelles formes d'exercice et de rémunération, travaille sur
l'accès aux soins des patients, fournit une offre d'éducation thérapeutique aux patients, un réseau
de périnatalité, de soins palliatifs, de prise en charge des troubles « dys », mutualise les moyens
des zones les plus dotés au profit des zones les plus défavorisées du territoire. [139]. Ce type de
structures paraît le plus adapté pour intégrer les soins et la prise en charge sociale, pour faciliter le
parcours de santé des patients , pour engager des pratiques contrôlée en recherche en soins
primaires. Ils semblent fournir la préfiguration de ce vers quoi pourrait être amené à évoluer la
pratique de la médecine générale si elle souhaite réellement répondre aux divers en jeu de santé
communautaire qui se posent à elle, dont les ISS.
b) .. à la nécessité d'une « culture de la publication » en terme de prise en charge des patients
précaires et des ISS en soins primaires :
Toutes ces expérimentations pour améliorer la prise en charge clinique, éducative et informative
des patients précaires et réduire les ISS en soins primaires doivent être au mieux contrôlées,
protocolisées pour pouvoir se diffuser lorsqu'elles donnent de bons résultats comme y appelle le
HCSP : « une culture de l'expérimentation et de la publication en matière de prise en charge des
inégalités sociales de santé en soins primaires doit ainsi émerger » [65, 66, 88].
176
PARTIE V L'ACTION SUR LES CONDITIONS DE VIE ET D'ACCÈS AUX
SOINS DES PATIENTS PRÉCAIRES À UN NIVEAU SYSTÉMIQUE
PLUS LARGE : QUEL RÔLE POUR LES GÉNÉRALISTES ET LA
RECHERCHE EN MÉDECINE GÉNÉRALE?
Nos résultats pointaient prioritairement les conditions de vie des patients et les obstacles objectifs
à l'accès aux soins qu'ils rencontraient. Même le mode de ''conditionnement'' psycho-culturel
(Habitus au sens sociologique) des patients par leurs conditions de vie et les obstacles objectifs à
l'accès aux soins revenaient à pointer du doigt ce facteur. A ce titre nos résultats questionnaient
sur le rôle des généralistes dans l'accompagnement social des patients, mais ils questionnaient
aussi bien plus largement leur rôle possible à un niveau systémique plus large.
Toutes les publications relatives aux interactions entre santé et précarité et plus largement
relatives aux ISS, qu'elles émanent des organismes de santé publique (OMS,HCSP) [18, 66], de
travaux de recherche en sciences sociales ou en médecine [65,88] ou encore d'organismes
professionnels (CMG, SMG) [110, 140] concluent régulièrement en affirmant la nécessité urgente
de chercher à améliorer l’égalité des chances à l’école et/ou plus globalement les conditions de vie
des patients, ainsi que d'améliorer la couverture sociale des patients précaires pour espérer lutter
efficacement contre les ISS. Elles soulignent également la nécessité de mettre en place dans notre
pays des politiques de prévention et de promotion de la santé ciblées vers les populations les plus
modestes pour réduire les inégalités des chances en santé, et sur le rôle central des soins primaires
en la matière [28, 88].
Les ISS sont en effet avant tout, et comme leur nom l'indique bien des « inégalités sociales ». A ce
titre elles sont régulièrement considérées comme « évitables et particulièrement injustes » [18,
110]. Elles doivent faire l'objet d'une action politique et sociale large. C'est précisément ce à quoi
appelle la commission sur les déterminants sociaux de la santé de l'OMS, qui émet ainsi des
recommandations politiques générales selon trois principes d’action structurant : « [1)-] améliorer
les conditions de vie quotidiennes, c’est-a`-dire les circonstances dans lesquelles les individus
naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent ; [2)-] lutter contre les inégalités dans la
répartition du pouvoir, de l’argent et des ressources, c’est-a`-dire les facteurs structurels dont
dépendent les conditions de vie quotidiennes ; [et 3)-] mesurer l’ampleur du problème, évaluer
l’efficacité de l’action, étendre la base de connaissances, se doter d’un personnel formé a l’action
sur les déterminants sociaux de la santé et sensibiliser l’opinion à ces questions ».[18]
Dans la lignée du rapport de la commission Marmot de l'OMS, le HCSP rappelle quant à lui pour
notre pays : « l’enjeu actuel [que représente] la mise en oeuvre en France [...]de politiques
explicites pour réduire les ISS [et] améliorer les conditions de vie » des plus défavorisés.[66]
Au niveau des publications de scientifiques et organismes professionnels de notre pays, le récent
Collège de La Médecine Générale, tout comme Flores et al, omnipraticiens, chercheurs et
généralistes-enseignants du département de médecine générale de l'université Paris-descartes, ou
encore Chatelard, dans sa thèse de médecine générale sur la précarité appellent respectivement à
considérer l'importance «de témoigner des inégalités sociales de santé sur notre territoire [en vue
d'une] modification organisationnelle visant à réduire les ISS en soins primaires» [110], à
considérer l'importance du « rôle de plaidoyer du médecin généraliste et de la recherche en
177
médecine générale au sujet des ISS »[65], et à une «nécessaire prise de position» théorique et
pratique des praticiens par rapport à ce sujet [81].
Ainsi, même si ce niveau d'action prioritaire est aussi celui sur lequel le médecin généraliste a, pris
individuellement, le moins de portée ou qui est le plus éloigné de sa pratique courante, une
certaine responsabilité sociale lui incombe et incombe parallèlement à la recherche en médecine
générale en tant que témoins privilégiés des ISS et acteurs centraux du système de soins primaires.
Ils doivent assumer une fonction éthique, sociale, politique et sanitaire de plaidoyer au sein du
débat collectif nécessaire sur les ISS.
A ce titre, Ils doivent prendre part au débat impliquant tous les acteurs sociaux (représentants de
la profession et des internes en médecine générale (en tant que futurs praticiens- syndicats
professionnels par exemples), représentants de l'assurance-maladie, des collectivités territoriales,
et également des associations et structures participantes aux réseaux de soins ou médico-sociaux)
dans le cadre du modèle de « démocratie sanitaire » [125]. Ils doivent rappeler l'importance d'une
prise en charge globale des ISS incluant une action systémique large, au-delà de l'amélioration de
l'accès aux soins des patients précaires, qui, bien que nécessaire, n'est pas suffisante. Ils doivent
rappeler en la matière l'importance des mesures socio-économiques et politiques visant à
davantage d'équité dans la distribution du pouvoir politique et des richesses socio-économiques et
culturelles.
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ANNEXES
ANNEXE I : SCORE EPICES (Évaluation de la Précarité et des Inégalités de santé dans
les Centres d'Examens de Santé)
Source : CETAF: Centre d'Appui Technique et de Formation dans les Centres d'Examens de Santé.
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ANNEXE II : GUIDE D'ENTRETIEN AUPRÈS DES PATIENTS
Dans le cadre de ma thèse sur les inégalités sociales de santé avec le département de médecine générale de
l'université de Bourgogne, j’effectue une recherche sur la question de l’accès au soin dans les différents
milieux sociaux. Je voudrais savoir si on est égaux ou pas dans la société face à la maladie, aux soins. Pour
faire ce travail, je souhaiterais parler avec vous de votre propre expérience de vie depuis votre enfance et
pour que vous me donniez aussi votre avis sur ces questions de santé et d’accès aux soins. C'est
l'expérience et le vécu de chacun que je cherche à rapporter donc il n'y à pas de réponse juste ou de
réponse fausse, ni de question piège.
Bien sûr, personne ne pourra identifier que vous m’avez parlé car je vous donnerai un autre nom, vous serez
anonyme. Je préfère vous enregistrer par magnétophone pour me permettre d'être bien concentré sur ce
que vous me direz dans cet entretien, et si je prends des notes ce sera plus difficile pour moi de garder le fil
de la conversation. De plus, en enregistrant je pourrai retranscrire en restant fidèle, exhaustif, à ce que vous
m’avez dit. Je serai de toutes façons le seul détenteur de l’entretien que je retranscrirai moi-même et je
serai le seul à l’utiliser.
Trajectoire biographique et familiale :
Trajectoire géographique et scolaire :
-Où êtes vous né ?
-Pour les étrangers :de quelle nationalité êtes vous ?
-Ou avez vous passé votre enfance ? Ou avez-vous été élevé ? Avez-vous vécu à la ville ou à la campagne
durant votre enfance ?
-Quel était le métier de vos parents ? Vos parents ont-ils fait des études ? Lesquelles ? Quels diplômes ontils eu ? Quel métier ont-ils exercé ?
-A quel âge vos parents vous ont ils eu , vous et vos frères et sœurs ? Étaient-ils jeunes ou âgés ?
-Avez-vous des frères et sœurs ? Avec combien d'autres enfants avez vous été élevé ?
-Vos parents passaient-ils du temps à la maison ? Avec vous et vos frères et sœurs ? Passaient-ils du temps à
jouer avec vous ? A vous aider à étudier vos leçons ?
-Comment décririez-vous l'éducation que vous ont donné vos parents ? Étaient-ils plutôt sévère quand vous
aviez de mauvaises notes ou quand vous faisiez des bêtises ? Quel type de sanction prenaient-ils ? Qu'en
pensez-vous aujourd'hui ? Cela vous atteignait-il moralement et comment cela se manifestait-il ?
-Comment décririez-vous votre père ? Votre mère ? Vos frères et sœurs ?
-Quelle ambiance régnait-il à la maison ? Pourriez-vous me décrire comment cela se passait ? Explorer
l'ambiance générale, l'existence de conflits familiaux notamment, et le déroulement de la vie familiale
pendant l'enfance et la jeunesse.
-Votre famille élargie (grands-parents, oncles, tantes, cousins etc) était-elle présente dans votre entourage ?
Quelle était l'entente avec votre famille élargie ? Y avait-il beaucoup de fêtes et de réunions familiales ?
-Votre famille était-elle riche, aisée ou pauvre ? Comment le viviez-vous ? Aviez-vous le sentiment d'être
riche, aisé ou pauvre, par rapport à quoi ? À Qui ? Le ressentiez-vous alors ? En souffriez-vous ? Comment
viviez-vous tout cela ?
-Jusqu'à quel âge avez vous été à l'école ? Le cas échéant, pourquoi avez-vous abandonné vos études ?
191
-Avez-vous appris un métier ? Ou avez-vous suivi une formation professionnelle ? Laquelle ?
-Avez-vous obtenu un diplôme ? Le cas échéant, lequel ?
-Et le permis de conduire ?
Événements marquants de votre vie et de votre jeunesse :
- Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance ? En relance : plutôt heureuse ? Malheureuse ? Pourquoi ?
-Avez-vous rencontré des difficultés, des coups durs pendant votre jeunesse ? De quelles difficultés les plus
marquantes vous souvenez vous ? (faire citer et développer l'existence de conflits, ruptures, événements de
vie etc)
-Pouvez-vous donner un ou des exemples marquants qui rendent compte du fait d'avoir bien vécu ou mal
vécu sa place par rapport aux autres, dans sa famille (père, mère, frères et sœurs), famille élargie (…) ou
plus largement dans le voisinage, à l'école, dans le quartier ?
Trajectoire de vie :
Plus que de passer des premiers temps de la vie adulte, à la situation actuelle, retracer le parcours de vie
depuis les premières années de l'âge adulte dans ses divers aspects.
Parlons maintenant de vos premiers moments dans la vie adulte, après le départ du domicile parental :
Trajectoire familiale :
-Quand avez-vous quitté le domicile de vos parents? A quel âge et pour quelle(s) raison(s) ?
-C'était pour aller où et pour faire quoi ? Etiez-vous accompagné(e) ? Comment cela s'est-il déroulé les
premiers temps ?
Trajectoire géographique:
-Par la suite, où avez-vous habité ? Combien de temps , et avec qui ? Pour quelle(s) raison(s) ?
-Cela vous plaisait-il ? Qu'est ce qui était le plus agréable ou difficile à vivre ?
Trajectoire professionnelle et dans l'emploi :
De la même façon que pour la trajectoire géographique et familiale, retracer la trajectoire de vie
professionnelle et dans l'emploi (périodes de chômage, d'inactivité, de travail, ou de formation etc).
-Après vos premières années de vie adulte, qu'avez vous fait professionnellement (emploi, type de
travail, formation etc) ? Avez-vous occupé un ou plusieurs emplois ? En quoi cela consistait-il
concrètement ?
-Si plusieurs emplois occupés : quelle(s) raison(s) vous ont poussé à changer d'emploi ?
-Avez-vous connu des périodes de rupture d'emploi ? Qu'est ce qui était difficile à vivre pendant
cette(ces) période(s) ?
192
Mode de vie actuel :
Lieu de vie :
-Et maintenant où habitez-vous ? Avec qui (conjoint, parents, enfants, autre)? Depuis quand ?
-Si seul et sans logement : Où êtes-vous hébergé ? Ou dormez-vous la nuit ? Depuis quand ?
-Votre lieu de vie actuel vous plaÏt ? Pourquoi ? C'est mieux ou moins bien que le(s) lieu(x) où vous avezvécu auparavant ? Pourquoi ? A quoi avez-vous le plus de mal à vous habituer actuellement ?
Famille, amis, environnement social :
-Connaissez vous des personnes qui vivent près de chez vous ? (ou, pour les sans domiciles fixes : qui sont
dans votre situation?)
-Où habite votre famille ? C'est loin d'ici ? Est ce que vous la voyez seulement pour les grandes occasions
et fêtes de familles ou régulièrement ? Quelle est l'ambiance lors de vos réunions de famille ?
- Avez-vous des amis, des voisins, des collègues ? Les fréquentez-vous souvent ? Et quelles sont vos
activités en commun ?
- Pour la famille, les amis, l'entourage : échangez-vous des services ? Lesquels ?
-De façon générale: avez-vous l'impression d'être isolé ?
Emploi, travail, ressources :
-Actuellement quel emploi exercez-vous ? Depuis quand ? En quoi cela consiste-t-il concrètement ? C'est
fatiguant physiquement ou moralement ? Quels sont vos horaires de travail ? Est-ce loin de chez vous ?
Combien de temps mettez-vous pour vous y rendre ? Cela vous plaît-il ? Qu'est ce qui est le plus agréable,
le plus difficile à vivre ?
-Est-ce que vous avez une bonne ambiance au travail ? Vous vous entendez bien avec tous vos collègues ?
-Y a -t-il un médecin du travail que vous consultez ?
-Avez-vous déjà eu des arrêts de travail ? Ou déjà connu un accident de travail ? Pouvez-vous nous décrire
comment cela s'est passé ? Faire préciser le type de maladie, la durée de l'arrêt, le suivi de la maladie ou de
l'accident etc.
Les ressources, la protection sociale :
Protection sociale et couverture maladie :
- Si emploi actuel : quel type de contrat de travail avez-vous (CDD, intérim, CDI, formation...) ? Combien
gagnez-vous ?
- Si en recherche d'emploi, inactif, en formation : recherchez-vous du travail ? Comment ? Depuis quand ?
Comment expliquez-vous le fait que vous n'ayez pas d'emploi ? Exercez-vous des petits boulots ou des
activités informelles (travail « au noir ») pour vous en sortir ? Combien gagnez-vous par ce biais ?
-Est-ce que vos revenus vous permettent de couvrir l'ensemble de vos dépenses ? Quelles sont les
premières dépenses que vous allez essayer de réduire en cas de difficultés financières ?
-Pouvez-vous me détailler, en gros, vos dépenses courantes sur un mois, pour le logement, l'alimentation,
les charges, l’électricité etc ?
Couverture maladie et accès aux soins :
193
-Est-ce que vous disposez d'une assurance maladie ? D'une complémentaire santé ? De la CMU ou d 'une
autre aide pour la santé ?
-Quelle somme allouez-vous à la santé ? A une complémentaire santé ? A des soins ou des médicaments
non remboursés ?
-Si accès à une aide à la couverture sociale : comment avez vous été mis au courant de ces dispositifs ?
Avez-vous rencontré des difficultés pour y avoir accès ou pour réaliser les démarches relatives ? De quel
type (financières, compréhension, caractère fastidieux des démarches etc) ?
-Est-ce qu'un médecin ou professionnel de santé vous a déjà fait bénéficier du tiers payant (avance de
frais) ? Vous l'a-t-on proposé ou l'avez vous demandé ? Vous êtes vous senti gêné(e) ?
-Rencontrez-vous des difficultés d’accès aux soins ? A quoi est-ce dû ? Est-ce seulement une question
d’argent ?
-Est-ce que vous bénéficiez d'une autre aide (financière ou matérielle, pour le logement, l'alimentation
etc) ?
-Avez-vous des proches à qui vous pourriez demander de l'aide si nécessaire ? Une aide matérielle ?
Financière ? Pour le logement ? Un soutien moral ?
Situation administrative (pour les étrangers) :
-Pour les étrangers : quelle est votre situation administrative (titre de séjour, réfugié au titre du droit d'asile,
séjour régulier avec procédure de demande de titre de séjour ou d'asile en cours, séjour irrégulier)
Gestion du quotidien :
-A quelle heure vous levez-vous ? A quelle heure vous couchez-vous ? En semaine, le week-end ? Les
vacances ?
-Qu'est ce que vous faîtes le soir en général ? Par exemple, les soirs de la semaine dernière, qu'avez-vous
fait ?
-Pouvez-vous me raconter ce que vous avez fait ce week-end ? Et hier qu'avez-vous fait ?
-Pendant les vacances, qu'avez-vous fait ?
-Avez-vous un passe-temps favori ?
-Êtes-vous sorti au cinéma, bar, restaurant, musée récemment ?
Histoire des problèmes de santé
-Quand vous étiez petit, vous souvenez-vous d'avoir été malade ? De quelles maladies vous souvenezvous ? Vous souvenez-vous comment vous les aviez contractées ?
-Comment réagissez vos parents (inquiétude, désinvolture) ? Ils allaient demander des conseils ou des
médicaments à leur entourage proche ? Ils vous emmenaient chez le médecin, au dispensaire, à l’hôpital ?
-Avez-vous eu des maladies graves qui vous ont fait resté au lit, immobilisé pendant longtemps ? Ou
hospitalisé ? De quelle maladie s'agissait-il ?
-Qui s'occupait de vous ? Comment vous êtes-vous rétabli ?
-Avez-vous eu des maladies qui ont eu des complications enfant ou adolescent ? Savez-vous pourquoi ?
Quelle a été la réaction et la conduite de votre entourage ?
-Pouvez-vous par exemple, me raconter comment s'est déroulé le moment où on a découvert que vous
194
n'alliez pas bien ? Et comment s'est déroulé le suivi de votre maladie, combien de temps ça a duré ?
-Dans votre famille, y avait-il des pathologies héréditaires ? Avez-vous en mémoire des cas de gens qui
avaient des maladies graves ou qui étaient souvent malade ?
-Par exemple, pouvez-vous me décrire le moment ou vous vous souvenez avoir vu et pris conscience que
quelqu'un de votre entourage était malade ? A quoi cela se voyait-il ? Faire décrire les indices, la réaction
familiale à cette maladie etc
-Dans la famille, la santé était un sujet fréquent ou tabou ? Parlait-on de maladie à table, pendant les repas
de famille ?
-Avez-vous vécu des décès pour cause de maladie grave ou pour des raisons liées à des problèmes de
soins ?
-après votre départ du domicile familial et lors des premières années de vie adulte :
-Vous souvenez-vous avoir rencontré des problèmes de santé à cette époque ? Pourriez-vous m'en donner
un exemple ? Comment l'avez-vous géré?
-Est-ce que vous aviez le sentiment de « faire attention à votre santé » dans votre jeunesse ? Si oui,
comment ?
-Y à-t-il eu, par ailleurs des périodes où vous avez eu le sentiment, sur le moment ou après coup, de ne pas
vraiment avoir fait attention à votre santé ( conduites à risque : violences, conduite routière, usage de
tabac d'alcool ou autre etc) ? Des périodes de votre vie où vous n'avez pas du tout consulté de médecin,
alors que peut-être vous en auriez eu besoin ?
-Est-ce que cela a changé au fur et à mesure de votre vie d'adulte ? Pourquoi selon vous ? Pourriez-vous
me donner un exemple ?
-Avez-vous déjà été victime d'accidents graves ? détailler les conditions et les conséquences
Et avez-vous des amis ou des connaissances proches qui ont eu des accidents graves ? lesquels ?
Comment l'expliquez-vous ? Le regrettez-vous ? Que feriez-vous pour l'éviter aujourd'hui ?
-Avez-vous été hospitalisé ou subi une opération ou un traitement lourd à l'age adulte?
Où et quand ? Pour quelles raisons ? Comment cela s’est-il déroulé ? Comment a été prise la
décision de recourir à l'hôpital ? Qui a pris la décision d'appeler un médecin ? après quels problèmes? Étiez
vous consentant ou non? Réticent ou non ? Avez-vous eu le sentiment qu'on a pris en compte vos
décisions ? Que l'on vous a informé clairement ?
Gestion de la santé et pratiques corporelles
-Vous souvenez-vous d'avoir eu (vous ou votre entourage) des comportements de prévention des
maladies, même traditionnels –des « recettes de grand-mère" comme disent certains ?
-Est-ce que votre famille accordait une attention particulière à la santé ?
-Que veut dire, selon vous “ prendre soin de soi ” ou « faire attention à sa santé »? Avez-vous l’impression
de faire attention à votre santé ? Estimez-vous qu’il est important d’entretenir son corps ? Cela vous est-il
possible dans votre vie quotidienne ? Pratiquez-vous une activité sportive ? Depuis quand ? Pourquoi
cette activité sportive ?
-Vous est-il déjà arrivé de vouloir modifier certains de vos comportements pour des raisons de santé ? Par
exemple par des régimes alimentaires, ou en limitant votre consommation de tabac, d’alcool, de
195
psychotropes, vos comportements etc. ? Si oui, que c’est-il passé ? Quelqu'un vous y a-t-il incité ou aidé ?
Représentation des liens entre pratiques corporelles, environnement et santé :
-Y a-t-il eu des moments ou des périodes dans votre vie au cours desquels vous n'avez pas vu du tout de
médecins ? Et des moments où vous consultiez moins souvent ? Des moments où vous ne faisiez plus du
tout attention à votre santé ? A quoi était-ce dû ? Était-ce un choix ou une obligation ? Est-ce que vous
avez l’impression que cela a eu des conséquences sur votre santé passée ou actuelle ? Et sur votre vie
passée ou actuelle ?
-Vos problèmes de santé actuels et passé ont-ils ou ont ils eu des conséquences sur votre vie familiale,
sociale ou professionnelle ? Si oui : quelles sont ces conséquences ? Par exemple Vous empêchent-ils de
travailler ? Dans ce cas, faites vous quelque chose pour y remédier ?
-A l'inverse, y a-t-il un lien, selon vous, entre vos comportements dans la vie de tous les jours et votre
santé ? Pouvez-vous donner quelques exemples ?
-Y a-t-il un lien, selon vous, entre certaines de vos conditions de vie et votre santé ?
-Y a -t-il un lien, selon vous, entre certaines des principales difficultés que vous connaissez dans votre vie
(récapituler les principales difficultés énoncées par l'interviewé)et votre santé ? Comment l'expliquezvous ? Pouvez-vous me donner un ou plusieurs exemples marquants ?
-Pensez-vous que vos conditions de travail ont fait courir des risques à votre santé ? Quelles attitudes
adoptez-vous, ou adoptiez-vous quand vous aviez un emploi, pour vous protéger des accidents de travail ?
Qu'est ce qui, selon vous, s'opposait à votre protection au travail ?
Gestion de la maladie et suivi des traitements:
-Généralement, quand vous souffrez d’une maladie ou d’une affection que faites-vous ?
Est-ce que vous vous faites soigner pour tous les problèmes de santé que vous ressentez ? Ou bien, au
contraire, y a-t-il des problèmes de santé pour lesquels vous ne consultez pas, alors que d’autres personnes
iraient voir un médecin par exemple ? Lesquelles ? Pour quelles raisons ?
Est-ce que cela vous arrive de vous soigner vous-même ? Souvent ? Régulièrement ? Pour
quel type de maladies ? Que faites-vous ? Qui vous a conseillé ou aidé à le faire ? Après coup, le regrettezvous ou non ? Avez-vous changé vos habitudes au cours de votre vie par rapport à la maladie ? Par rapport
au fait de prendre soin de votre santé ? Pourquoi selon vous ?
-Avez-vous tendance à retarder une consultation ? Êtes-vous au contraire très prévoyant ?Pourquoi?
-Prenez-vous parfois (ou souvent) des médicaments sans aller voir auparavant un médecin –par exemple du
paracétamol, ou du sirop contre la toux… ? Demandez-vous conseil à un pharmacien ? A quelqu'un d'autre ?
-Pensez-vous que le fait d'attendre avant de consulter un médecin a des conséquences sur votre état de
santé ? Pour vous personnellement, est-ce que cela a déjà eu des conséquences ?
-A partir de quels critères considérez-vous qu’il faut absolument consulter un médecin ?
-Avez-vous souvent des difficultés à suivre les prescriptions d'un médecin après la consultation ? Si oui, dans
quels cas ? et d'après vous, pourquoi ? Quand un médecin vous donne une longue liste de médicaments à
prendre, est-ce que vous les prenez tous ? Suivez-vous toujours tous ses conseils ? Pourquoi ?
-Avez-vous déjà eu un traitement à suivre ? Comment cela s’est-il passé (difficultés éventuelles, réactions
196
diverses, conséquences sur la vie quotidienne, familiale, le travail, financière etc.) ? L’avez-vous suivi
jusqu’au bout ? Pourquoi ?
Habitudes de consultations, relation avec les médecins, professionnels de santé et institutions médicales :
-Voyez-vous régulièrement des médecins ? A quelle fréquence en moyenne consultez-vous un médecin ?
Quels types de médecins voyez-vous (généralistes, spécialistes, dentistes, psychologues, médecines
"alternatives", etc.) ? Quels centres de soins fréquentez-vous ? Suivez-vous actuellement un traitement
pour une maladie ?
- Comment avez-vous connu votre médecin ? Combien de médecins (généraliste) avez-vous consulté dans
votre vie ? Aviez-vous confiance en ces médecins ? Qu’est-ce qu’un bon médecin pour vous ? Qu’est-ce
qu’un mauvais médecin ?
D'une manière générale, que pensez-vous des médecins ? Avez-vous confiance en la médecine? Pensezvous que les médecins sont efficaces pour tous les types de problèmes de santé, ou bien considérez-vous
que certains problèmes se résolvent mieux par un autre moyen ? Si oui : lesquels ? dans quelles
conditions ? Y avez-vous recours ?pensez vous que le role principal de votre medecin est de vous guérir? Ou
voyez vouz d autres roles? Lesquels et pourquoi?
-Qu est ce qui fait que vous avez confiance en un medecin? Avez vous confiance enlui?pourquoi? En les
autres medecins? pourquoi? Donnez vous facilement votre confiance à un medecin? Pourquoi? Qu'est ce
qui vous déplait chez un médecin?pourquoi? Comment expliquez vous ce qui vous plait ou vous deplait
chez votre médecin?
-Croyez vous qu il soit compétent pour prendre en charge tous vos problèmes de sante? Pourquoi? Que
pensez vous de votre médecin lorsqu il vous envoie voir un spécialiste? Que ressentez vous qd il vous envoi
chez un spécialiste ou passez des examens? Avez vous des craintes quand vous consultez votre medecin?un
autre medecin? Lesquelles et comment les expliquez vous?
-Est-ce que quelque chose vous gêne ou vous fait peur dans le fait de consulter un médecin?(distinguer les
réticences psychologiques des réticences sociales) ; Et dans l'idée d'avoir un suivi médical sur plusieurs
semaines ?
-Vous etes vous deja senti frustre ou insatisfait en sortant de chez votre médecin? Ou un autre médecin?
Pourquoi? Qu avez vouz fait pour que ca ne se reproduise pas? Etes vous satisfait se vitre medecin?
pourquoi? Qu est cz qui vous plait le plus chez lui? Quel serait son point faible ou ce qu il pourrait ameliorer
ds votre prise en charge?
-Avez-vous déjà eu le sentiment d'être mal soigné ? (traitement non adapté, prise en compte
d'une partie seulement des problèmes, etc.) Et avez-vous déjà eu le sentiment d'avoir été mal accueilli dans
une consultation ou un centre de soins ? Que s'est-il passé ? A quoi cela était-il dû ? (situation
administrative, sociale, type de maladie, etc.). Est-ce que, depuis, vous êtes plus réticent à aller voir un
médecin ? Lorsque vous n'êtes pas content des soins qui vous sont accordés, que faites-vous ? (en parler
avec le médecin ou l'infirmière, changer de centres de soins, ne rien faire, …) ? Pourquoi ?
Préférences en matière de recours aux soins
-Connaissez-vous d’autres possibilités de vous faire soigner (que celle énoncée plus haut) ?Lesquelles ? Des
possibilités de vous faire soigner gratuitement ? Y avez-vous déjà été ? Qui vous en a parlé ? D'une manière
générale, par quel moyen êtes-vous informé sur la santé et les structures de soins ?
197
-Accordez-vous de l'importance au choix du médecin et du centre de soins dans lequel vous consultez?
De quoi cela dépend-il éventuellement ? A partir de quels critères choisissez-vous le type de médecins et le
centre où vous consultez ? Était-ce différent avant ?
-Que pensez-vous des différents centres de soins où vous avez été ? Est-ce que vous avez payé les
consultations? En étiez-vous gêné ? Est-ce que cela vous gênait d'y côtoyer les autres personnes qui s’y
trouvaient ? Que pensez-vous d’elles ? (Avaient-elles plus ou moins de difficultés que vous ?)
-Quelle différence faites-vous entre le fait de consulter un médecin généraliste, dans un hôpital, dans un
centre de soins gratuits (publique ou associatif), un dispensaire municipal, une permanence spécialisée
d'accès aux soins-précarité hospitalière etc. ?
-Si vous aviez le choix, dans quel type de centre de soins préféreriez-vous consulter ? Pourquoi ?Selon vous,
dans quel type de structures de soins les médecins sont-ils le plus compétents ? Et dans quel type de
centres pensez-vous que vous trouveriez le meilleur accueil ? A votre avis, est-ce la même chose pour
toutes les catégories de malades ou de personnes ?
Représentation personnelles de son corps, de la maladie et de la mort :
-De quelle malade est il le plus difficile de guérir selon vous? Qu est ce qu il est le plus important de faire
pour guérir d une maladie selon vous? D une maladie légère?grave? Que faut il faire d autre alors pour
guérir ou au moins pour que la maladie évolue le moins mal possible et que la santé s améliore?
-Quelle est selon vous la maladie qui risquerait le plus de vous arriver?pourquoi? Cette idée vous effraie t
elle? Que faites vous pour éloigner la maladie? Qui vous informe sur cette maladie?
-Y pensez vous souvent? pensez vous souvent a la maladie et a la mort? Selon vous meurt t on tjs de
maladie ou accident bien peut on mourir d autre chose ?
-Voyez vous votre corps comme un partenaire de vie ou un adversaire a combattre? Est ce que cela a
toujours été ainsi? Cornent l'expliquez vous?
-Avez vous peur de transmettre des maladies a vos enfants? Votre entourage? Lesquelles et pourquoi selon
vous? Est ce que cela a toujours été ainsi? Vous faites vous du souci pour la santé d un de vos proche? Qui
et pourquoi? Cornent vous y prenez vous pour l'aider ou le conseiller? Quand il faut changer ses habitudes
de vie pour sa santé pourquoi est ce difficile selon vous? A quel age ou après quel entonnement vous étés
vous soucié pour votre santé? Cornent l expliquez vous? Existe t il des maladies honteuses en société selon
vous lesquelles? comment l expliquez vous?
-Qu est ce qui selon vous explique le plus l amélioration de la santé globale et de l espérance de vie
générale de la population? Pensez vous qu in est tous égaux face a la santé la maladie? et la médecine?
Que faudrait il faire pour améliorer cela selon vous? Dans votre vie quotidienne qu est ce qui préserve le
plus votre santé selon vous? Qu est ce qui la dégrade le plus? comment l expliquez vous? Pensez vous que
la précarité sociale ou la pauvreté dégradé la santé? Par quels principaux moyens selon vous? comment
faudrait il s y prendre pour combattre cela? pensez vous qu on pourrait faire mieux pour que les gens
soient en meilleure santé et comment? Diriez vous que les médecins sont plutôt meilleurs ou plutôt moins
bons qu avant pourquoi? Et le système de santé? Pourquoi?
Représentation personnelle de l'évolution du système de santé et des pratiques médicales :
198
-En ce qui concerne votre santé, l'évolution de la médecine et des institutions médicales et médico-sociales,
ainsi que le recours aux médecins, avez-vous l’impression qu’il y a eu plusieurs périodes différentes au
cours de votre vie ou bien est-ce la même chose depuis que vous êtes enfant ?
Est-ce que quelque chose à changé, dans votre manière de considérer les médecins ou les hôpitaux,
lorsque vous vous êtes marié par exemple, ou lorsque vous avez eu des enfants ? (+ autres moments
importants de la biographie ?) A quoi est-ce dû ?
Est-ce que le système de soins a changé depuis votre enfance ? Si oui, en quoi ? Et pourquoi d’après vous ?
Représentation personnelle de la précarité et des inégalités de santé :
Représentation personnelle de la précarité :
- Diriez-vous que vos difficultés s'apparente à une situation de précarité ou de pauvreté ? Pourquoi ?
C'est quoi pour vous connaître la précarité ou la pauvreté ?
Représentation des inégalités de santé :
-Pour vous les inégalités de santé c'est quoi ?
-Vous sentez-vous victime d'une inégalité de santé ? Exclus des soins ? Pourquoi ?
Perspectives d'avenir :
-Comment voyez-vous votre avenir ? Et par rapport à la santé ? Qu'est ce que cela veut dire pour vous
« être en parfaite santé » ou dans un état de santé idéal ?
-Qu'est ce que cela veut dire pour vous « réussir sa vie » ? Pensez-vous que la santé y prend une part plutôt
minime ou plutôt importante ?
Pour conclure :
-Procéder à un récapitulatif de ce qui a été dit, en insistant sur ce qui a été le plus mis en avant par
l'interviewé concernant les caractéristiques d'une personne précaire selon elle, concernant l'impact positif et
l'impact négatif de ces caractéristiques sur l'état de santé supposé de cette personne précaire.
-Par ailleurs récapituler et reformuler ce que l'interviewé à dit sur sa propre situation sociale, sa propre
situation sanitaire, et les liens principaux qu'il a mis en avant reliant ses conditions de vie à son état de
santé.
-Enfin demander à l'interviewé si on a bien résumé ce qu'elle nous a dit, si elle veut ajouter quelque
chose, développer, s'étendre sur un ou plusieurs points, ou même illustrer un point dont elle a déjà parlé
par un exemple supplémentaire, une anecdote etc...
-Pour terminer lui demander si le questionnaire était bon, si elle a pu exprimer ce qu'elle voulait faire
entendre, les points positifs et négatifs, ce qui pourrait être amélioré selon elle pour un entretien futur .
-Ne pas oublier de prendre son contact et de s'assurer de pouvoir se donner un nouveau rendez-vous pour
un entretien ultérieur, pour ré-aborder certains points si nécessaire en fonction des avancées de la
recherche .
-Ne pas oublier de dire à l'interviewé qu'on lui transmettra personnellement une information concernant
l'avancée du travail de recherche et les résultats des différents entretien et du travail effectué.
199
200
APPENDICE MÉTHODOLOGIQUE
201
202
PARTIE I : MÉTHODOLOGIE DE LA THÉORIE ANCRÉE
Nous avons utilisé une méthodologie d'analyse de données qualitatives issue de la méthode
sociologique de la Théorie ancrée [46,47]. Cette méthodologie d'étude compréhensive développée
par Glaser et Strauss a plusieurs caractéristiques essentielles :
c'est une méthode inductive :
–
Elle doit permettre au chercheur d'élaborer progressivement une ou des hypothèses
théoriques, directement à partir des déclarations et des notes qu'il prend au contact du
terrain
–
Au contraire des méthodes hypothético-déductives dont l' objectif est de confirmer ou
d'infirmer par un protocole expérimental, une hypothèse théorique préalable du
chercheur ; une méthode inductive a pour objectif de permettre au chercheur de former
des hypothèses théoriques à partir de données recueillies au plus près du terrain. Elle se
place donc en quelque sorte en amont d'une éventuelle vérification expérimentale (qui use
du procédé hypothètico-déductif quant à elle), et elle en est complémentaire
Émergence des thèmes, des catégories théoriques, des relations d'inférences entre catégories
théoriques et concepts théoriques :
–
C'est en explorant d'abord le terrain (par interrogatoires, enquête de terrain etc) que le
chercheur doit laisser émerger les thèmes et les éléments essentiels (catégories
théoriques, relation d'inférences entre elles puis concepts théoriques) concernant son sujet
de recherche : il doit en quelque sorte ''laisser parler'' les informations issues du terrain
–
En réalité le processus d'émergence des données n'est pas un procédé de recueil passif et le
rôle actif du chercheur doit être souligné : les éléments reconnus par lui comme essentiels
le sont par une identification et une analyse active (si bien que notre première description
quelque peu idéaliste de l'émergence spontanée des données directement depuis le terrain
doit être nuancée: au total le chercheur et sa subjectivité interviennent inévitablement, et
c'est par une analyse active des informations qu'il a préalablement obtenu du terrain qu'il
peut élaborer des hypothèses théoriques. Cependant l'élaboration d'une théorie ne vient
qu'après un long et rigoureux processus de recueil et d'analyse du terrain, dont l'objectif
est pour résumer, de prémunir autant que faire se peut le chercheur contre l'élaboration
d'hypothèses théorique a priori (ou d'une manière solipsiste ou métaphysique qui n'aurait
qu'un rapport lointain avec la réalité sociale)
–
Selon Glaser et Strauss, la qualité des hypothèses théoriques formulées in fine dépendra de
la fidélité du chercheur au terrain, mais aussi de sa sensibilité théorique, de sa rigueur dans
le recueil comme dans l'analyse des données, ainsi que de sa capacité de synthèse
théorique pour faire émerger les catégories théoriques, délimiter leur contours et leurs
interrelations.
203
Nous allons maintenant souligner quelques aspects épistémologiques importants dans l'usage de
la méthodologie de la théorie ancrée, afin de parachever sa description :
La suspension initiale du jugement (Epochè) :
–
Pour ne pas s'enfermer dans un discours solipsiste ou ''métaphysique'' élaboré à priori et
s'éloignant trop du terrain, et pour ne pas calquer ses connaissances préalables du sujet
étudié sur le terrain (ce qui limiterai fatalement son champ de vision en l'obligeant à utiliser
une focale pré-définie), le chercheur doit s'astreindre autant que faire se peut, surtout au
début de son enquête de terrain, à suspendre ses acquis théoriques préalables concernant
le sujet précis qu'il commence à examiner (dans notre cas les acquis préalables concernant
le rapport à la santé des personnes précaires).
–
Ceci signifie qu'afin de ne pas interroger les participants de façon trop orientée, le
chercheur ne doit pas avoir de théorie précise au préalable sur le sujet abordé, mais au
contraire forger cette théorie au fur et à mesure de son enquête de terrain, à partir des
matériaux recueillis progressivement et qui lui semblent le plus digne d’intérêt
–
la finalité de cette suspension de jugement est que les hypothèses théoriques soient au
maximum formées par abstraction à partir des données du terrain soit de manière
empirique et non issues de l'imagination ou de l'opinion du chercheur
Analyse et méthode de comparaison continue :
L'analyse et le classement progressif des données du terrain permet l'élaboration progressive
d'hypothèses théoriques et leur validation ou leur infirmation par les données du terrain :
–
Les premiers résultats de l'étude sont d'abord regroupés en catégories et en notions
théoriques
–
Les contours de ces catégories et notions théoriques, ainsi que les relations entre ces
éléments sont d'abord flous. Ils doivent se préciser petit à petit grâce au processus conjoint
de réflexion du chercheur et de retour au terrain : les éléments théoriques émergents sont
ainsi confirmés par le retour aux données du terrain, précisés (dans leurs contours et dans
leurs interrelations) ou parfois infirmés (l'hypothèse infirmée doit alors être abandonnée
ou reformulée en partie)
–
C'est à la lumière de ses découvertes théoriques progressives que le chercheur doit ensuite
interroger à nouveau le terrain, et/ou réinterroger les données du terrain déjà analysées
mais de manière insuffisante (nécessitant désormais une relecture et une analyse
complémentaire à la lumière des avancées théoriques effectuées)
–
Ce processus conjoint d'interrogation du terrain-analyse-retour au terrain, est qualifié de
manière parlante d'aller-retour permanent et dénommé aussi sous le vocable de
« méthode de comparaison continue » par Glaser et Strauss [46].
204
–
De la rigueur du chercheur dans l'application de cette méthodologie de comparaison
continue dépend une part essentielle de la qualité de ses résultats théoriques finaux
L'application rigoureuse de cette méthodologie permet ainsi progressivement d'affiner et de
préciser les éléments théoriques en cours d'émergence dans leurs contenus, leur contours et leurs
rapports réciproques.
Densité ou saturation des catégories, notions et concepts théoriques :
–
Lorsque les contours théoriques d'une catégorie, d'une notion ou d'un concept théorique
sont suffisamment précisés par les données du terrain pour que toute nouvelle donnée à
son sujet ne viennent plus le (la) modifier, on dit que la catégorie, notion ou concept est
« saturé(e) » [46,47].
–
C'est lorsque les éléments de sa théorie (catégories, notions, concepts théoriques) et leurs
rapports entre eux sont suffisamment précisés et confirmés par les données du terrain que
le chercheur peut clore son enquête
–
En raison de cette méthodologie, la durée précise de l'étude ainsi que la taille et les
caractéristiques précises de l'échantillon théorique ne peuvent être connues par avance au
départ de l'enquête61.
Échantillonnage selon un principe de variation maximale et échnantillonage théorique selon les
besoins de la théorie naissante :
L'échantillonnage selon un principe de «variation maximale » sus-exposé [46] correspond à un
mode recrutement suivi de manière générale au long de tout le recrutement est visant à une
variation maximale entre les expériences vécues de la précarité et de la santé chez les patients
couramment suivis en médecine générale. Le recrutement devait donc varier au maximum selon
les caractéristiques des patients au regard du degré de précarité et des différentes dimensions de
la précarité mesurée par le score EPICES (inclusion progressive de patients dont les caractéristiques
sus-exposées variaient comparativement à ceux précédemment inclus), mais aussi selon l'état de
santé.
De plus et en parallèle, une fois les catégories en cours d'émergence, la variation devait aussi
s'attacher à cibler des patients connaissant une expérience particulière au regard de la santé et de
la précarité afin de saturer la catégorie en question (par exemple cibler les mères de famille, les
femmes, les personnes handicapées à un moment de la recherche et du recrutement pour
permettre de saturer la catégories théorique s'y rapportant). Une fois la catégorie saturée, soit par
exemple lorsqu' interroger de nouvelles mères de famille, femmes ou personnes handicapées ne
fait que nous faire rencontrer des éléments déjà entendus étiquetés et vérifiant la catégories
théorique s'y rapportant, il faut passer à un autre thème/une autre catégorie théorique.
En réalité le plus souvent l'analyse conjointe de plusieurs catégories émergentes se mène de front,
car elles se rencontrent souvent chez plusieurs patients à la fois.
61 Nous discutons de ce point dans la partie discussion.
205
Échantillonnage en variation maximale et échantillonnage théorique étaient donc bien différents
des modes d'échantillonnage de patients représentatifs d'une population utilisés lors des enquêtes
épidémiologiques par exemple. Ils répondent à une visée théorique et qualitative (compréhension
des mécanismes en jeu et des logiques de causalité – élaboration d'une théorie fondée de manière
la plus empirique possible à leur sujet) contrairement au mode d'échantillonnage représentatif qui
répond à une logique épidémiologique de représentativité et d'étude de corrélations dans une
population (sans explication des mécanismes et logiques de causalité en jeu – qui nécessitent une
interprétation du chercheur et sont parfois trompeuses (causalité inverse/réciproque dans les
système de corrélations, ''fausses évidences'').
Pour résumer, nous citerons le Dr Hennebo, généraliste enseignant à l'université de Lille, et auteur
d'un guide de bon usage de la Theorie ancrée pour les étudiants en médecine [47]:
« [Dans la théorie ancrée] ce n'est pas le chercheur qui déterminera à priori les thèmes centraux,
mais le matériau issu des entretiens, donc les personnes interrogées, ou plus exactement l'analyse
et l'interprétation des entretiens. Le chercheur doit donc pratiquer une suspension de ses acquis
préalables sur le sujet, pour que le thème provienne des entretiens et non de ses préconceptions (à
condition donc, de ne pas biaiser le déroulement des entretiens en « forçant » les personnes
interrogées à lui délivrer des données qui en réalité proviennent de sa manière erronée de les
interviewer). […] Cette approche qui peut paraître déroutante laisse la possibilité aux données de
s'exprimer pleinement»
Pour ses fondateurs Glaser et Strauss [46] les découvertes sociologiques doivent ainsi être ancrées
empiriquement dans le terrain et non déduites d’un cadre de pensée a priori. Les théories ainsi
développées sont des « nouvelles théories », plus ou moins en lien avec des théories existantes.
Cette approche a l’utilité de générer de l’innovation. La primauté donnée à l’émergence s’inscrit
dans une logique de découverte.
Suspension des acquis théoriques concernant le sujet de recherche et acquis théoriques
généraux:
La référence à la méthode de suspension du jugement ne doit pas duper en déniant l'existence de
facteurs subjectifs propres au chercheur et qui de ce fait ne font pas de lui un observateur
totalement neutre et impartial (si tant est qu'un tel observateur puisse exister): le chercheur garde
au contraire ses acquis théoriques généraux et sa sensibilité théorique générale. Cette suspension
doit concerner uniquement les acquis théoriques du chercheur concernant le sujet précis qu'il
souhaite investiguer.
Conformément aux principes méthodologiques de la Grounded Theory, afin de favoriser un plein
éclairage du travail de recherche réalisé, nous exposons ici de manière explicite, succincte et dans
leurs grands traits, ces principaux pré-supposés théoriques généraux issus de connaissances au
carrefour de la psychologie sociale, de la sociologie, et la psychologie des comportement de santé.
206
PARTIE II : CADRE CONCEPTUEL ET PRÉ-SUPPOSÉS THÉORIQUES
GÉNÉRAUX
I) Enrichir notre recherche qualitative en médecine générale de l'apport
des sciences sociales :
L'importance pour notre sujet d'étude des modèles théoriques des déterminants sociaux de la
santé et des comportements de santé et des modèles théoriques explicatifs des comportements de
santé définissant, intégrant et étudiant les facteurs socio-économiques, culturels, psychologiques
et psycho-sociaux comme des facteurs d'influence essentiels des comportements de santé des
patients a déjà été exposée dans notre introduction. Ces modèles font autorité dans la recherche
sur les inégalités sociales de santé, sur les liens entre précarité et santé, et sur les comportements
de santé, et ont déjà été brièvement présentés (cf Introduction et [18, 22,24 30]).
Or, en réalité, loin de n'être étudié que par la recherche médicale, en épidémiologie et santé
publique ou encore en psychologie des comportements de santé, tous ces facteurs (facteurs socioéconomiques, culturels, psychologiques et psycho-sociaux) sont autant de phénomènes étudiées
par les sciences humaines et sociales, dont certaines, sociologie et psychologie sociale en
particulier, ont fourni des bases théoriques supplémentaires à l'approche de notre recherche en
médecine générale. En effet, si nous ne prétendons pas disposer de connaissances académiques
en la matière, nous avons du appréhender certains concepts théoriques essentiels de ces
disciplines en rapport avec le cadre général de notre sujet, soit en rapport avec les théories
sociologiques et psycho-sociales actuellement dominantes au sujet de la culture, des styles de vie
des individus et de leurs déterminants. Nous présentons ici une brève présentation de leurs
caractéristiques théoriques essentielles.
Ces quelques appuis théoriques pour l'appréhension du terrain et à l'analyse des données du
terrain, tout comme leur exposition sembleront certainement schématiques et restrictifs à un
regard de spécialistes de ces différentes disciplines. Précisons donc que notre ambition et
prétention n'était pas d'acquérir et de faire usage de compétences académiques en sciences
humaines et sociales. Il était en réalité d'approcher de manière rigoureuse les grands traits
théoriques d'importance issus de ces disciplines se rapportant au cadre de notre sujet, pour
enrichir notre recherche en médecine générale et pouvoir l'appréhender avec rigueur, en intégrant
ces apports à un modèle d'étude médical bio-psycho-social qui fait désormais autorité dans ce
champ disciplinaire [48,49,50].
II) Éléments généraux de théorie sociologique et de psychologie
sociale :
Nous débuterons par un bref rappel historique des principales caractéristiques théoriques des
courants de pensée sociologiques et de psychologie sociale historiquement influents, afin de
mieux appréhender comment se situent les courants sociologiques et de psycho-sociologie
207
actuellement dominants en sciences humaines et sociales, ces courants ayant fournis quelques
bases théoriques à notre approche en médecine générale réalisée selon le modèle bio-psychosocial.
A) Sociologie holiste ou des structures sociales :
Historiquement ce sont les sociologues Comte, Marx, puis Durkheim qui donnent naissance à la
sociologie holiste ou des « faits sociaux ». Cette manière d'appréhender les phénomènes sociaux
stipule que leur existence et leur déroulement est du à des structures sociales dépassant les
individus, et qui déterminent plus ou moins totalement leurs comportements et actions.
De ce fait elle met logiquement en garde le sociologue contre une tentative de compréhension
des phénomènes sociaux à partir du recueil des témoignages des acteurs en jeu : les structures (les
rapports de productions économiques chez Marx, les faits sociaux comme entités supraindividuelles coercitives pour les individus chez Durkheim) incluent les individus et dirigent leurs
actions sans que ceux-ci en aient une totale conscience. Il serait donc vain de recueillir des
données ayant trait à la subjectivité des individus.
Cette manière objectiviste de traiter les phénomènes sociaux répond à l'injonction de Durkheim d'
« étudier les faits sociaux comme des choses », prenant modèle sur les sciences de la nature et en
particulier la science physique [52]. Une telle méthodologie devait permettre l'éclosion de théories
sur de grandes lois scientifiques au sujet des forces régissant les phénomènes sociaux, comme cela
se fait en sciences naturelles.
Cette approche, si elle a le mérite d'interroger l'existence et le rôle de structures de la vie en
société, ainsi que de forcer le chercheur à rompre avec les explications fournies consciemment par
les individus (rejetés ainsi comme ''pré-notions'' chez Durkeim ou ''idéologie'' chez Marx) au profit
de la mise à jour de déterminants sociaux initialement plus obscurs, méconnus ou du moins
partiellement inconscients pour les acteurs eux mêmes, a, comme revers logique, le défaut de faire
totalement fi du point de vue et de la volonté des individus et de les considérer comme
négligeables. A la limite, il postule un déterminisme total des individus en société.
Nuances - Postérité :
«En réalité, les analyses historiques de Marx (La guerre civile en France, le 18 Brumaire de Louis
Bonaparte) se révèlent moins déterministes que ses œuvres plus militantes (Manifeste du parti
communiste), dans la mesure où il reconnaît que l'action des classes sociales et éventuellement de
certains hommes peut orienter l'histoire, ne serait-ce que temporairement.[...]
Finalement, la diversité et l'aspect contradictoire de certains de ses textes ont autorisé plusieurs
lectures de son œuvre. Une partie des chercheurs ont privilégié l'étude des structures et des lois du
système économique [...] d'autres chercheurs, en majorité des historiens ont accordé une relative
autonomie au culturel et au politique dans des travaux portant sur la culture populaire ou les
rapports de force entre acteurs collectifs [...](école des Annales etc)» [51].
208
Quant à l'école Durkheimienne, « après la seconde guerre mondiale, l'influence de cette école s'est
effacée, mais d'autres courants de pensée sociologiques, en particulier les fonctionnalistes ont
empruntés à Durkheim certains de ses concepts [pour en tirer leur postulats et concepts cardinaux
(tel Parsons postulant le primat de la société comme entité fonctionnelle et l'existence de fonctions
sociales (reproduction etc) s'imposant nécessairement aux individus]» [51].
B) Sociologie de l'action sociale :
Parallèlement aux travaux du français Durkheim, Weber à la même époque, développe une
conception et une méthodologie très différente de la sociologie. Alors que le premier transposait
une méthode objectiviste inspirée des sciences naturelles, le second place l'action sociale des
individus et l'étude de leur intentionnalité au centre de la recherche sociologique.
L'action désigne pour Weber : « toute conduite à laquelle son auteur peut accorder une
signification et un intentionnalité (par ex : ouvrir une porte). [Toute action n'est pas une action
sociale]. L'action sociale désigne toute action d'un individu entreprise en tenant compte des
réactions des autres (par ex : ouvrir une porte pour laisser passer quelqu'un). Toute action sociale
suscite une réponse (par ex : la personne a qui ont a ouvert la porte peut adresser un signe de
remerciement), si bien que le sociologue doit étudier les actions réciproques des uns et des autres
(ou interactions)» [51].
Weber définit donc les phénomènes sociaux comme des interactions entre des comportements
individuels obéissant à des motivations, des significations et des intérêts qu'il s'agit de comprendre
par le travail sociologique [52].
Aussi contrairement aux sciences naturelles où le chercheur ne peut étudier son objet qu'en le
soumettant de l'extérieur à l'observation (physique, chimie etc), le sociologue doit, selon Weber,
comprendre les actes sociaux de l'intérieur, en s'interrogeant sur les intentions des individus [51].
Pour pouvoir donner à un sens à l'étude des actions sociales entreprises par les individus, weber
postule l'existence d'une ''rationalité sociale'' toujours existante et sous-jacente à celles-ci : il s'agit
là du seul postulat permettant en effet de s'intéresser aux logiques d'actions à l’œuvre chez les
individus. Cependant, loin de ce que ce mot pourrait laisser entendre, Weber ne postule pas que
chacun agirait selon une rationalité politique ou économique d 'un seul type (en calculant ses
intérêts économiques à brève échéance et de manière systématique comme ce que défend par
exemple la théorie économique classique de l'homo œconomicus élaborée au 17e siècle).
Weber distingue en effet différents modèles de rationalité et de conduites (qu'il dénomme idéauxtypes) adoptés par les individus selon la situation et le champ ( ou domaine d'action tel le domaine
économique, politique, familial, bureaucratique etc) au sein duquel ils agissent.
Ces modèles théoriques de rationalité élaborés par Weber sont suffisamment contrastés pour
permettre de recouvrir les divers comportement observés sur le terrain, tout en étant
suffisamment larges pour pouvoir regrouper sous chacun bon nombre de conduites et avoir ainsi
un intérêt théorique. Ce ne sont « ni une moyenne [des comportements observés], ni une
description fidèle, mais un modèle théorique abstrait (à l'image du marché chez les économistes
209
néoclassiques) qui doit permettre de mettre en valeur la logique des relations sociales telles
qu'elles découlent des intentions des différents acteurs (par ex : lorsqu'il construit l'idéal type de
l'esprit du capitalisme au Moyen Age et à l'époque moderne, pour rendre compte de l'état d'esprit
des entrepreneurs, il réduit leur système de valeurs aux deux valeurs centrales retrouvés chez ceuxci que sont le travail et l'épargne)»[51].
Ce sont les interactions entre les différentes intentionnalités et logiques d'actions des acteurs ainsi
reconstruites abstraitement, et la confrontation des différents résultats des entreprises
individuelles qui doivent fournir ainsi une explication causale aux phénomènes sociaux.
Aussi contrairement à Marx ou Durkheim, aux fonctionnalistes ou aux structuralistes, qui tentaient
de mettre à jour de grandes Lois sociologiques valables de tous temps, en tous lieux et pour toute
société humaine, Weber pose la validité de ses modèles abstrait comme dépendante de la
situation historique, culturelle et géographique examinée (il limite ainsi le risque d'erreur liée à
l'ethnocentrisme et l’anachronisme dont s'était rendu coupables, à son sens, les sociologues des
structures) [51,52].
Posant la sociologie comme science de la culture, à l'opposé de la vision naturaliste des premiers,
Weber souligne également l'incapacité d'expliquer la totalité des phénomènes sociaux et le
caractère toujours perfectible des explications sociologiques élaborées.
Postérité :
La sociologie compréhensive de Weber réhabilite donc l'étude de la culture et de la subjectivité
des acteurs sociaux, méthodologie qui « s'est révélée particulièrement féconde : En France
Bourdieu notamment s'en est inspiré [53,54]. Aux Etats-Unis elle a influencé Becker [55] et plus
généralement l'école sociologique de Chicago [56] ou encore le courant interactionniste (dont
Goffmann [57,58]). » [51]
Cependant, si, faisant la part belle à l'étude des motivations des individus, elle ''redonne un visage
humain'' à la sociologie et permet également de maintenir l'espoir d'un changement
comportemental et social issu de leur volonté, la sociologie Weberienne met relativement de coté
l'explication sociologique fournie par l'étude des structures sociales supra-individuelles et de la
coercition dont celles-ci sont responsables. Ceci ne sera pas le cas de la majorité des courants
sociologiques sus-cités inspirés par Weber.
En effet le paradigme dominant actuellement les sciences sociales est de considérer l'apport et la
complémentarité de l'étude en terme de structures sociales et en terme d’intentionnalité des
acteurs. A ce titre, la sociologie de Bourdieu, fortement influente en France et dans le monde
depuis les années 70, illustre bien la synthèse et le dépassement désormais majoritairement admis
en sociologie entre objectivisme et subjectivisme.
210
C) Le paradigme actuellement dominant en sciences sociales : entre structures
sociales et acteurs sociaux:
1) La sociologie de l'Habitus de Bourdieu :
Nous introduirons notre rappel théorique concernant la sociologie de l'habitus de Bourdieu par un
rappel concernant la formation antérieure de la notion d'habitus dans la sociologie d'Elias :
a) Elias et la « civilisation des mœurs » [59] :
Dans la sociologie contemporaine, c'est d'abord Elias qui a mis en évidence la transmission de
l'habitus comme signe d’appartenance à une catégorie sociale, dans ses recherches concernant le
« processus de civilisation » [59,60]. Dans ce travail de sociologie historique, Elias non seulement
décrit l'évolution des mœurs globales (de toute la population) en Europe du Moyen-Age à nos
jours vers toujours plus de « civilité » et de raffinement, mais il propose également , le premier,
une théorie sociologique visant à lever le voile sur ces processus culturels et habitudes
comportementales. Il met ainsi à jour les processus structurels ayant présidé à l'adoption, d'abord
à visée distinctive (par certains groupes sociaux seulement dans une visée distinctive) puis
généralisée de ces mœurs. En effet, selon Elias, c'est le groupe social dominant (les seigneurs et
les princes féodaux), qui adopta en premier le procédé de raffinement des mœurs, en tant que
stratégie de distinction dans le cadre de la lutte entre les différents groupes sociaux pour la
domination sociale qui avait cours au Moyen-Age.
Selon Elias, au cours des siècles, les changements politiques, sociétaux et l’avènement progressif
d'un État centralisé monarchique détenant le monopole de la violence, prive progressivement les
seigneurs féodaux de l'usage libre de la violence physique dans leurs fief, qui constituait
auparavant leur principal moyen de s'assurer une position sociale dominante. Parallèlement, les
changements structurels dans le processus productif et dans les échanges économiques sont à
l'origine de l'avènement d'un groupe social rival de l'aristocratie : la bourgeoisie des producteurs,
commerçants et financiers.
Ces bouleversements conjoints des structures politiques économiques et sociales entraînent d'une
part une concurrence nouvelle pour la suprématie entre le groupe social dominant et un nouveau
groupe social challenger, en même temps qu'il va aboutir d'autre part, avec l’avènement de l’État
centralisé monarchique organisé autour de la société de cour, à un changement des règles de la
compétition entre les groupes pour la domination sociale : en effet, à la cour comme dans le
nouvel État central en général, où se côtoient désormais aristocrates et bourgeoisie montante
surtout issue de la noblesse de robe, la position dominante ne s'obtient plus désormais par l'usage
de la violence physique sur ses adversaires, mais par l'usage d'une violence plus feutrée et
l'adoption de mœurs plus raffinées, « civiles », dont la fonction première est de se distinguer des
ses adversaires, pour s'attirer l'attention du Roi, ses faveurs, et par là même l'influence et le
prestige social.
Elias fournit ainsi de nombreux exemples de cette évolution à travers la citation de nombreux
documents historiques, récits, manuels de savoirs-vivre qui reflète ces changement de pratiques
211
de vie, de politesse, corporelles etc au cours du temps dans les différents groupes sociaux, et
toujours selon une évolution ''descendante'' depuis l'élite sociale jusqu'au ''bas peuple''.
Notamment, il fait remarquer de manière assez pertinente que le raffinement ou la civilisation des
mœurs corporelles ne s'établit pas en raison de notions ou théories hygiénistes (celles-ci
n'apparaissant en France qu'aux XIXe siècle et dans la suite des idées de Lavoisier au 18e siècle),
mais en raison de processus sociaux.
Nous retiendrons donc pour l'essentiel des recherches d'Elias le rôle de la lutte sociale entre
groupes sociaux rivaux pour la distinction et la domination sociale comme processus social
structurel à l'origine de l'évolution des mœurs et des pratiques corporelles des individus.
L'organisation sociale et les stratégies des groupes sociaux et des individus appartenant à ses
groupes pour se distinguer lors de leurs interactions sont ainsi le creuset des pratiques culturelles
et comportementales, y compris en ce qui concerne celles en apparence les plus intimes
(pratiques corporelles).
b) Bourdieu et la « critique sociale du jugement» [54] :
Bourdieu sociologue majeur de la deuxième partie du Xxe siècle, à l'influence internationale
toujours forte actuellement en sociologie et en psychologie sociale, a élaboré dans les années
soixante une théorie sociologique des goûts et des styles de vie. On lui doit le terme-même et la
notion de style de vie utilisée désormais couramment en recherche médicale et en sociologie
médicale, notamment dans l'approche par les déterminants sociaux de la santé et des
comportements de santé62.
«C'est en étudiant les différences sociales de goût et d'habitudes de vie dans la France des années
1960 que Bourdieu a relevé combien de gens d'une même catégorie sociale partageaient les
mêmes valeurs culturelles : leurs centres d’intérêt et leurs goûts étaient globalement similaires, ils
parlaient de manière similaire, choisissaient des vêtements similaires, avaient des préférences
similaires en matière d'art et de loisirs [...]
Quelque soit le milieu social étudié, l'éventail des choix y était finalement relativement limité, et il
était selon Bourdieu déterminé essentiellement par les goûts, et non seulement par le coût.
Selon Bourdieu, si les membres d'une même catégorie sociale partageaient les mêmes goûts , c'est
parce qu'il partageaient les mêmes dispositions de classe, le même habitus.
C'est cet habitus commun qui les conduisait à aimer ou à détester les même choses. Et c'est cette
conscience d'un habitus partagé qui leur donnait le sentiment de leur position sociale : ils
“correspondaient” ainsi à leur classe, leur habitus les situait dans la hiérarchie sociale des goût et
des styles de vie» [61].
Ainsi l'habitus, composé de « schèmes de perception, de représentation et d'action » était d'abord
collectif, propre à un groupe social, puis adopté par l'individu issu du groupe par incorporation (ou
intériorisation) des dispositions sociales de son milieu d'origine. [54] Selon Bourdieu, l'habitus est
62 Cf Introduction et [18].
212
« structuré », c'est à dire qu'il est déterminé par les conditions socio-économiques et culturelles de
vie des groupes sociaux et des individus, ainsi que par la position sociale du groupe ou de l'individu
donné dans la hiérarchie sociale : un groupe (puis un individu issu de ce groupe) adoptera une
pratique parce qu'elle le situe et le distingue du groupe (et des individus issus des groupes) susjacent et sous-jacent dans l'échelle sociale. Bourdieu reprend ainsi à Elias la notion de pratique
distinctive et de compétition sociale comme élément essentiel de la genèse des goût, des
croyances représentation et pratiques des groupes sociaux et des individus qui en sont issus.
Si l'Habitus est « structuré », il est aussi « structurant » c'est à dire que les schèmes de perception,
représentation et d'action amènent les groupes sociaux et les individus à réfléchir, aimer, penser,
choisir et agir différemment et de façon socialement différenciée [53]. Les pratiques corporelles en
particulier ne faisaient pas exception à ces logiques de conditionnement social.
« L'Habitus n'est pas inné, il se construit dans l'interaction entre le sujet et son entourage. Chacun
naît au sein d'un groupe social particulier, possède son style de vie spécifique, que Bourdieu appelle
«l'Habitus de groupe». Chaque fraction de classe a son Habitus de groupe, qui à la fois l'identifie et
le différencie de toutes les autres fractions de classe de la société.
Cet Habitus est inscrit jusque dans les corps et dans les gestuelles des individus. On peut
déterminer à quelle classe appartient une personne à la façon dont elle marche, parle, rit ou
pleure, à partir de tout ce qu'elle fait, pense, et dit. L'Habitus de notre groupe social façonne et
limite nos manières de penser, d'agir, de percevoir et d'interférer avec le monde qui nous entoure.
Mais en règle générale, nous en somme largement inconscients, précisément parce que nous
sommes nés et avons grandi au sein de ce groupe social » [61].
Bourdieu est aussi à l'origine des notions sociologiques distinguant les différentes formes de
capital : le « capital social » (ensemble des personnes sur lesquelles il peut compter pour lui
apporter réconfort, aide mais aussi du pouvoir de l'influence dans la compétition sociale), le
« capital culturel » (habitus culturel, niveau de diplôme, possession de biens culturels) et le
« capital symbolique » (prestige, réputation, renommée, « forme perçue et reconnue comme
légitime des différentes espèces de capital »[53]) qui s'ajoutent ainsi au « capital économique »
(richesse, niveau de revenu) des individus pour définir la position sociale qu'ils occupent
[51,61].Dans la compétition sociale, les individus utilisent ces différentes formes de capitaux qu'ils
tente de préserver voire d'augmenter en empruntant des « stratégies » conditionnées par leur
Habitus. [51]
« En admettant que le capital culturel repose si lourdement sur l'Habitus constamment reproduit
qui est intégré en chacun de nous, Bourdieu semble tout à fait pessimiste sur la possibilité de
mobilité sociale. Sa description paraît laisser peu d'espoir au changement. Cependant, comme il le
dit lui-même, l'Habitus « n'est pas un destin » ; il est social et non génétique. Il ne génère pas des
conduites automatiques mais des tendances à certaines conduites. S'il tend à se reproduire à
l'identique il est aussi ce qui permet aux individus de s'adapter à des situations inédites et donc
d'évoluer. Par ailleurs, si les Habitus au sein d'une même classe sociale sont proches, ils ne sont pas
213
identiques : chaque individu est confronté à des expériences sociales diverses. La diversité des
expériences et la multiplicité des champs existant dans nos sociétés laissent ouvertes les possibilités
de changement. »[61]
Ainsi l'influence propre de la culture et des facteurs psycho-sociaux est réhabilitée chez Bourdieu,
même si ceux-ci sont étroitement liée aux interactions des individus en contact avec les structures
sociales. L'individu est ainsi en partie reconnu comme acteur et décisionnaire, ses caractéristiques
culturelles et sa psychologie sont pris en compte, il n'est pas uniquement ballotté passivement par
les événements et déterminé par ces conditions de vie. Cela étant, ses perceptions,
représentations mentales, valeurs, goûts, attitudes et comportements sont fortement conditionnés
par son expérience sociale large et par les limites que ses conditions socio-économiques,
culturelles et psycho-sociales de vie opposent à l'élaboration comme à la mise en œuvre de ses
stratégies d'actions.
L'influence de Bourdieu est toujours actuellement majeure dans le champ sociologique, mais aussi
de la psychologie sociale. Au-delà, nombre de ses concepts tels que ceux de capital social et de
capital culturel, d'Habitus (ainsi repris a Elias et à d'autres avant lui mais ainsi considérablement
précisé et enrichi) et de style de vie sont de nos jours couramment employés en sociologie
médicale, psycho-sociologie, psychologie des comportements de santé [30] et dans l'étude des
déterminants sociaux de la santé et des comportements de santé [18, 62]63.
2) L'interactionnisme symbolique :
Dans la formation et l'adoption du paradigme actuellement dominant en sciences sociales opérant
le dépassement de l'opposition entre individu et société, le courant sociologique interactionniste
prend un rôle de premier ordre. A l'image de ceux de Bourdieu nombre de leurs travaux se situent
également à la frontière entre psychologie sociale et sociologie. L'école Interactionniste prend
d'ailleurs son origine dans les travaux de G-H Mead, psychologue social et philosophe du début du
Xxe siècle.
Selon les travaux de Mead en psychologie du développement, l'individu autonome n'est pas
63 En réalité ou plus précisément : la sociologie médicale, en tant que branche de la sociologie utilise couramment
toutes ces notions ; les notions d'Habitus et de style de vie ainsi définies appartiennent à la fois au domaine de la
sociologie et de la psycho-sociologie, discipline qui intègre quant à elle et par ailleurs cependant plutôt la notion de
soutien social (informationnel et/ou émotionnel) sus-défini (cf Mat et Méth.) que de capital social. Les modèles
théoriques en psychologie des comportements de santé, en tant qu'ils intègrent des éléments de psycho-sociologie
utilisent la notion de soutien social, et utilisent couramment les notions de style de vie mais sans intégrer autant que
sa définition l'exigerait pourtant, la force des déterminants sociologiques conditionnant ce dernier[30]. Le modèle
des déterminants sociaux de la santé et des comportements de santé [18] intègre quant à lui des notions psychosociales (dont le soutien social-avec la différence sus-définie entre cette notion et la notion bourdieusienne de
capital social), la notion sociologique de style de vie, la notion de niveau culturel/socio-culturel (plus que capital
culturel au sens sociologique), et ,ici encore, plutôt la notion psycho-sociologique de soutien social au sens susdéfinie que de capital social tel que défini par Bourdieu. Les notions bourdieusiennes de violence symbolique et de
domination symbolique (soit schématiquement de violences/dominations qui s'exercent entre deux individus (ou
plus) en raison des différences de prestige entre les individus en présence (renvoyant aux normes sociales et à la
légitimité sociale des caractéristiques des individus)) sont englobe certains processus psycho-sociaux (tels que
discrimination sociale et stigmatisation – toutes deux notions au croisement de la sociologie et de la
psychosociologie) sans s'y limiter cependant [59].
214
premier : au contraire le « soi » émerge des différentes interactions de l'individu avec autrui et se
forme toujours dans un contexte sociétal [61].
Mead explique la genèse de la conscience de soi de l'individu de la manière suivante : dès la
naissance, la perception, l'imitation et l'intériorisation par l'enfant des normes culturelles et règles
sociales (gestes, mots et attitudes à valeur « symbolique » dans l'échange social) durant sa
socialisation enfantine crée chez lui la notion de « soi», qui est le siège des règles/normes sociales
(comportements et attentes des autres individus à son sujet progressivement de mieux en mieux
discernés par l'enfant). Mais à coté de ce « moi » bâti dans les interactions, Mead signale
l'existence d'un « je » réflexif, capable de recul par rapport au « moi » (et donc aux attentes
sociales à son égard, mais aussi capable de recul par rapport à ses propres actions antérieures).
Ainsi, si le « moi » agit en conformité à ce qu'on lui a enseigné, le « je » est en mesure de réfléchir
à ses actions et de poser des choix, donnant ainsi la possibilité de se distancier en partie des rôles
sociaux normés selon les attentes sociales, et de tirer des enseignements de ses actions et
interactions passées [61].
Ainsi schématiquement, pour Mead et les sociologue tenants de l’interactionnisme symbolique
après lui, l'individu n'est pas premier, mais c'est l'interaction symbolique (au sens de :porteuse de
sens, de représentations et d'attentes sociales) qui l'est. Ce paradigme est donc contraire à la
conception de Weber et des tenants de ce qu'on appelle l'individualisme méthodologique, qui
voient dans l'individu l'élément de base des phénomènes sociaux. Mais Mead ne perçoit pas non
plus, à la différences des tenants du holisme méthodologique, la société comme première - ce ''
grand tout'' qui déterminerait obligatoirement et systématiquement les conduites des individus –
puisqu'ici une distance au rôle inculqué sous l'influence de la vie en société reste possible [61].
Ainsi, se basant sur les découvertes de Mead, les interactionnistes tentent de dépasser en
sociologie l'opposition entre individu et société et articulent de cette manière les marges de
manœuvre et prises de recul possibles des individus (stratégies d'action) en reconnaissant
conjointement l'influence des conditionnements sociaux et des déterminants sociologiques et
psycho-sociaux[52].
Pour les sociologues du courant interactionniste, la vie sociale se compose d'une multitude
d'interactions réciproques. Les normes et les rôles sociaux (contrairement à leur définition chez les
fonctionnalistes) ne s'imposent pas totalement aux individus, mais sont des constructions sociales
qui naissent, perdurent et se transforment au cours des multiples interactions. Bien souvent les
comportements sont stéréotypés et semblent seulement obéir à des règles sociales, mais en
réalité, pour subsister, ces règles ont besoin d'être confirmées ou actualisées sans cesse par les
individus en interaction. Aussi, au cours de leurs relations, les acteurs, tels des acteurs de théatre,
peuvent aussi laisser libre cours à une part de création, de prise de recul, à des stratégies de
négociation avec le rôle et l'identité sociale assignée.
Goffmann, sociologue influent de cette école, distingue ainsi sur le modèle de la dualité soi /je de
Mead le rôle identitaire socialement assigné ou « identité virtuelle» de l'identité personnelle ou
« réelle » et étudie ainsi les phénomènes de stigmatisation qui limite les marges de manœuvre des
individus : ceux-ci sont censés répondre au moins jusqu'à un certain point à l'image qu'on
entretient d'eux en société (à l'«identité virtuelle ») et s'ils s'en éloignent trop, ils peuvent être
totalement décrédibilisés, marqués de honte et humiliés socialement. Les individus élaborent des
215
stratégies de gestion des identités et du stigmate [61]. Les patients précaires sont souvent la proie
d'un processus de stigmatisation en ce qu'il ne répondent pas à la mission de réussite sociale que
notre société assigne à ses membres et que les membres de leur entourage social attendent d'eux
[45,63,64].
Ainsi, même les aspects à première vue les plus idiosyncratiques et intimes des individus ne sont
pas tant le fruit d'une psychologie propre à l'individu, que d'un conditionnement social, culturel et
historique issu de ses expériences d'interrelations personnelles. Ils sont sans cesse en évolution
sous l'effet des nouvelles interactions dans lesquelles l'individu est engagé. Les individus en tant
qu'acteurs gardent une ''marge de manœuvre'' et peuvent élaborer des stratégies personnelles
d'actions et d'interactions, mais ceci dans une certaine mesure plus ou moins restreinte selon leur
contraintes de vie. Ce postulat est très proche de celui de la sociologie de l'Habitus de Bourdieu.
Elle étudie et reconnaît un rôle aux intentions individuelles dans la genèse des conduites, tout en
reconnaissant le poids des déterminants sociaux. Il est désormais le postulat dominant en sciences
sociales et celui sur lequel nos réflexion théoriques prendront appui quant au sujet plus précis des
comportements de santé des patients précaires suivis en médecine générale.
216
TITRE
DE LA THÈSE
PARTIR DE
10
: L'HABITUS
DE SANTÉ DES PATIENTS PRÉCAIRES SUIVIS EN MÉDECINE GÉNÉRALE
PATIENTS DE MÉDECINE GÉNÉRALE EN
:
UNE ÉTUDE QUALITATIVE À
COTE D'OR.
AUTEUR : JULIEN MORON
RÉSUMÉ :
Le déterminants sociaux de la santé et le lien entre précarité et santé sont de plus en plus étudiés.
Cependant, peu d’études se concentrent sur l’aspect des pratiques de santé à l’échelon microsociologique.
Étude qualitative par entretiens compréhensifs semi-dirigés auprès de patients précaires (score EPICES
supérieur à 30) recrutés dans 3 cabinets de médecine générale. L’échantillonnage respectait le principe
de variation maximale. Le guide d’entretien abordait l’histoire de vie des patients, leurs pratiques de
santé et logiques d’action selon la méthode du récit de soins. L’analyse a été compréhensive sur le
principe de la théorie ancrée.
Dix entretiens ont été effectués. Les patients précaires avait un Habitus de répression de leurs affects
négatifs (douleur physique et psychologique) qui les conduisait à sous-estimer la morbidité les affectant.
Ils décrivaient leur corps comme un outil de travail (au sens large) au service du quotidien et de
l’endiguement de leur précarité. Au sujet des soins de santé, ils valorisaient un comportement
minimaliste et essentiellement curatif. Les consultations (y compris en soins primaires) étaient
régulièrement évitées ou repoussées afin de ne pas interrompre le travail. Les obstacles aux soins et la
défiance envers les médecins jouaient aussi un rôle important dans le sous-recours des patients.
Contrastant avec ces principes, les patients précaires décrivaient des consultations plus fréquentes (voir
même sans discernement) pour leurs enfants. Leur représentation de la maladie était assez pragmatique
et correspondait à un état de santé limitant la capacité fonctionnelle de travail. Les contacts plus
rapprochés avec les médecins lors de la survenue de maladie chronique, et surtout la qualité de la
relation médecin-malade étaient essentielles pour l'évolution des comportements de santé et de la
disposition générale des patients à recourir aux soins.
L'habitus de santé et de recours aux soins minimaliste valorisé était un habitus au sens sociologique, soit
une adaptation culturelle des patients à leur contraintes de vie. Il avait à son tour une influence propre
favorisant les conduites de santé minimalistes. L'effet direct des obstacles aux soins et de la défiance s'y
associait pour expliquer le sous-recours. L'accompagnement social par le généraliste et la qualité de la
relation médecin-malade (empathie, information, éducation) semblaient primordiales pour infléchir cet
habitus.
MOTS-CLÉS :
DÉTERMINANTS SOCIAUX DE LA SANTÉ; INTERACTION SANTÉ-PRÉCARITÉ; COMPORTEMENTS DE SANTÉ;
RELATION MÉDECIN-MALADE
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