Éditorial Dermatologie et précarité R.Viraben (Service de dermatologie et médecine sociale, hôpital La Grave, Toulouse) L es situations de précarité sont diverses. Du SDF en rupture sociale à l’immigré sans titre de séjour et en demande d’intégration, chaque individu est unique dans son parcours et chaque demande est spécifique. Mais, dans tous les cas, les problèmes dermatologiques sont au premier plan, sans doute moins du fait de leur gravité que de leur visibilité. Au regard d’autrui, la peau stigmatise. Elle crée une barrière qui constitue le premier obstacle aux tentatives de socialisation. Certes, il existe peu de dermatoses spécifiques de la précarité, mais toutes se présentent sous des formes cliniques historiques directement liées aux conditions sociales. Les infections cutanées (ectoparasitoses, teignes, impétigos) sont profuses et les pertes de substance délabrantes ; les cancers cutanés sont de stade avancé. Cette présentation résulte de la conjugaison de facteurs multiples : – le défaut de recours au système de santé ; – les mauvaises conditions d’hygiène, la malnutrition, les comorbidités liées à l’alcool et aux toxicomanies ; - la résilience surtout, c’est-à-dire la capacité qu’ont ces populations de modifier leur seuil de tolérance pour la douleur comme pour les conditions de vie. La prise en charge est ardue, parce que le dialogue lui-même est difficile. Il est toutefois nécessaire pour établir le climat de confiance indispensable à la relation thérapeutique. Elle nécessite à la fois une bonne connaissance théorique des dispositifs administratifs et des réseaux, mais également une disponibilité incompatible avec les impératifs économiques de la T2A. Paradoxalement, cette offre de soin médicale spécifique ne procède pas d’une simple démarche éthique : elle permet, dans un système de santé cohérent, de prévenir le développement de maladies contagieuses importées, d’ouvrir des droits à l’accès aux soins et de familiariser le patient avec un monde médical inconnu et souvent mal utilisé. Cette démarche est économique, parce qu’elle permet d’intervenir plus tôt, de façon plus adaptée, et de prévenir. C’est une véritable démarche de santé publique. La peau est vraiment le lieu des discriminations. Celle-ci est parfois active : c’est la volonté de différence qui s’exprime par les marques dont on se couvre pour affirmer une rupture et s’identifier à un groupe minoritaire. Elle est le plus souvent passive : c’est la peau qui subit les outrages des conditions de vie, qui porte les cicatrices des violences, séquelles d’une vie antérieure. Ce type de marque demeure caché, entaché d’une certaine honte qui incite à se tenir à distance de la consultation médicale générale. La précarité est une maladie générale à expression dermatologique. ◾ Images en Dermatologie • Vol. I • n° 4 • octobre-novembre-décembre 2008 125