BILLET D’HUMEUR Un certain travail social a vécu, un autre voit lentement mais sûrement le jour. Il convient dès lors de bien repérer les enjeux. Il nous faut débattre, nous les travailleurs sociaux, des préconisations et des orientations politiques prises. Il ne nous faut ni les encaisser béatement parce que ce sont des points de vue qui nous sont imposés, et qui par conséquent doivent être obligatoirement appliqués ni les rejeter rageusement. N’y a t’il pas, en toute objectivité, un retour du travailleur social qui est amené de plus en plus à faire du contrôle social. De ce contrôle social, nous serions les exécutants consentants ou résignés, et les usagers seraient des clients, des numéros classés en fonction de leurs difficultés. Ne serions nous plus que des « techniciens », soit disant neutres des relations humaines, exerçant notre mandat avec des ordres et obligation de rendre compte et quel compte ? Sommes-nous alors directement ou indirectement des agents du pouvoir, si nous tentons d’aider, d’accompagner les pauvres, les précaires… selon leurs besoins réels ou supposés, et ce principalement dans le cadre de politiques dont nous ne détenons pas la maîtrise et auxquelles nous ne nous sommes pas opposés. Pour illustrer mes propos, les procédures administratives et techniques nécessaires, qui ont officiellement pour fonction d’améliorer la visibilité du travail réalisé dans le cadre de financements publics, contribuent, par ailleurs, à renforcer le contrôle des individus dans toutes les dimensions de leur existence. La notion de confiance dans le travail social tend à s’estomper au profit de procédures normalisées, d’obligations de résultats (quantitatif à l’appui), d’évaluation ou d’enquête qui prive l’individu ou la structure de tout espace d’innovation ou d’appréciation d’une situation au travers d’une liberté d’action, de parole et de conscience non contrainte. Heureusement, grâce à un certains sens critique et éthique, nous ne nous acquittons pas tous à l’identique de notre mandat. Certains d’entre nous n’appliquent pas à la lettre les orientations politiques, et s’emploient à infléchir ces dernières selon les situations et les possibilités qu’ils peuvent construire ou proposer, mais cela suffit-il ? La situation de ces usagers qui nous inquiètent, nous déstabilisent et interrogent la pertinence de nos modalités d’intervention, qui dérangent le politique, qui questionnent les travailleurs sociaux, ne relève pas seulement de configurations subjectives, ou politiques. En effet, on ne peut faire abstraction des conditions sociales qu’ils rencontrent, des traditions culturelles, des conditions économiques, des idéologies dont ils sont porteurs. En un mot, ce qui chez eux ne va pas témoigne le plus souvent de la société telle qu’elle évolue, de la place faite à chacun, et de l’absence de prise de parole par ces derniers. Ce n’est donc pas de leur seule responsabilité mais bien de la notre de décrypter et d’agir en conséquence. Nous vivons aujourd’hui avec la crise financière, économique, sociale et sociétale, une situation des plus inquiétantes et déroutante, voire qui pourrait devenir démotivante pour les intervenants du champ social. Dès lors, devons-nous nous réfugier derrière des pratiques, des discours abscons en direction d’usagers qui ne sont plus les mêmes, dans un monde qui n’est plus celui d’autrefois. En effet, rien ne nous empêche de nous consoler avec des « prêt à penser » caricaturalement opposés et inopérants. De fait, certains travailleurs sociaux sont obsédés par l’individu qui doit être au centre de toute action, les autres (les cadres à la demande des financeurs) ne jurent que par une approche comptable et le fonctionnement du zéro défaut, alors que même les entreprises sont incapables d’y parvenir. Que faut-il faire alors ?il faut être réaliste et prendre en compte le réel, ses contraintes, ses limites, ne pas confondre principe de réalité et principe de résignation, car dès lors, on fait objectivement le jeu de cela même que l’on veut combattre. Il nous faut donc débattre, s’opposer, valider, et intervenir de façon argumentée afin de pouvoir, individuellement et collectivement, prendre prise sur les mutations en cours ; nous, ceux que l’on qualifie d’expert, de technicien du social, car on n’ose plus parler de travailleur social, en la circonstance. En effet, le travail social, l’intervention sociale est au cœur de la tourmente. Nous sommes à l’heure où l’insertion est des plus difficile, voire impossible pour bon nombre de travailleurs pauvres et précaires, l’intégration salariale échoue car les usines ferment, les plans sociaux éjectent les salariés, les services publics se délitent et la protection sociale est chahutée. Comment alors nous pouvons accueillir ces nouveaux usagers qui avaient jusqu’alors des moyens de tenir tant bien que mal ? Il y a le RSA, qui entre assistance et travail, se glisse furtivement mais qui, à mon sens, participe à la mise au travail des pauvres sur des emplois mal rétribués et peu rémunérés , c’est l’institution du prolétariat de seconde zone. Pour les employeurs c’est un aubaine et un moyen de tirer les salaires vers le bas et de rendre captifs ses sous-salariés en entretenant la peur du chômage. Nous allons devoir cheminer avec les situations que nous allons rencontrer auprès de ces nouveaux chômeurs et travailleurs pauvres, et les aider à déculpabiliser pour qu’ils reprennent confiance en eux. Mais nous devons aussi faire remonter aux politiques les contradictions des dispositifs lorsqu’ils sont inopérants, et faire valoir la pertinence de ceux à développer. Nous devons être acteurs du changement du travail social, de la pauvreté et de la précarité et c’est à ce prix seulement que nous parviendrons à être opérationnels, et rester optimistes pour construire un avenir autre que celui qui nous est imposé parle fonctionnement de la société. Où sont les fantassins de la république évoqués par Pierre Bourdieu au sujet des travailleurs sociaux ?