
JUIN 2012 - N° 282 - L’INFIRMIÈRE LIBÉRALE MAGAZINE 19
Chaque jour, vous
poussez la porte
de dizaines de
foyers, vous béné-
ficiez d’un capital
“confiance” impor-
tant et, pourtant, pas la moindre
petite plaquette d’information
rédigée à votre intention. Au
mieux, on pense à vous comme à
une personne dont les proches
seront mieux préparés que d’au-
tres – on connaît votre disposition
naturelle à sauver des vies – à
accepter le prélèvement de vos
organes “si jamais”.
Il faudra effectivement pas mal de
temps avant que la greffe perde
cette image très hospitalière « de
thérapeutique d’excellence, une
activité un peu isolée, de dernier
recours, un peu coupée de l’amont
et qui assurait seule le suivi des
patients greffés en aval », comme
le souligne la directrice générale
de l’Agence de la biomédecine
(ABM)(1), Emmanuelle Prada-Bor-
denave, au cours de la présenta-
tion à la presse du nouveau Plan
greffe. Principale mesure de ce
Plan 2012-2015: encourager la col-
laboration des professionnels de
santé de l’hôpital et de ville autour
du patient. « La cassure entre les
transplantés et les autres se
constate dès la salle d’attente d’un
cardiologue. Il faut pourtant réap-
prendre à vivre ensemble, ce qui
ne demande aucune dépense sup-
plémentaire. » Il n’est d’ailleurs
pas prévu d’accompagner le Plan
de financements spécifiques ni
pour les réseaux, ni pour l’hôpi-
tal(2).. D’après l’ABM, davantage
que les montants alloués, c’est
«l’évaporation des financements
destinés à l’activité de greffe »,
attribués sous forme de forfaits
aux établissements, qui pose pro-
blème. « Une partie est utilisée
pour combler les déficits. » L’impli-
cation des directeurs d’établisse-
ments, mais aussi des ARS, sem-
ble indispensable pour que l’acti-
vité greffe se développe.
En Lorraine, le réseau Néphrolor a
pris de l’avance. Alors qu’il visait
initialement à fédérer tous les ser-
vices de néphrologie des établisse-
ments hospitaliers de la région
autour des patients souffrants d’IRC
en phase terminale ou préterminale,
il s’est très vite étendu à la ville, en
articulant autour des patients à des
stades d’IRC encore peu avancés
«leur médecin traitant et les profes-
sionnels de santé libéraux: l’Idel, le
diététicien, le psychologue, le kiné-
sithérapeute et le pharmacien. Ils les
suivent au quotidien, les connaissent
bien et seront donc toujours là après
la greffe, qui n’est qu’une des étapes
du parcours de soin. C’est un véritable
apport d’oxygène: avec notre
2000epatient greffé au CHU de
Nancy, on n’imaginerait pas suivre
1400 patients à l’hôpital », résume
sa présidente, le DrMichèle Kessler.
Le même type de réseau existe à Lille
et Bordeaux. Imparable, le suivi
“hors hôpital” du patient transplanté
décharge les services de greffes d’une
partie des consultations. L’heure de
la reconnaissance des professionnels
de ville aurait-elle sonné?
GRANDES OUBLIÉES
Les médecins traitants disposent
d’un décret qui leur cède depuis
2006 la mission d’informer les jeunes
de 16 à 25 ans sur les « modalités de
consentement au don d’organes à
fins de greffe »(3). L’ABM leur réserve
un accès dédié sur son site Internet
et les sociétés savantes, des forma-
tions continues. On en est loin avec
les Idels, qui sont chanceuses si elles
ont bénéficié de quelques heures
de module en Ifsi leur expliquant le
concept de mort encéphalique. C’est
finalement sans surprise que les
Idels entretiennent bon nombre
d’idées fausses, relativisant elles-
mêmes leur rôle dans la chaîne du
don: « Cela ne concerne que les
jeunes, les bien-portants. » Bref,
pas vraiment ce qui compose l’es-
sentiel d’une clientèle il faut bien
l’avouer. Et puis, « c’est
SANTÉ PUBLIQUE DON DE VIE EN VILLE
Témoignage
« Dans le doute, le non l’emporte »
Cristina Malor, ex-infirmière coordonnatrice de prélèvements
à l’hôpital Foch (92), aujourd’hui Idel à Gif-sur-Yvette (91)*
« J’ai travaillé pendant quatre ans au service des greffes
pulmonaires à Foch. À la naissance de mon deuxième enfant,
j’ai revu mon organisation et ai quitté le service à contrecœur.
Pendant un an, je me suis chargée de la coordination des prélèvements d’organes,
toujours à Foch. On m’appelait lorsqu’un donneur était pressenti, pour gérer sa prise
en charge et celle de ses proches, car l’infirmière coordonnatrice est un pilier entre
la réa, le patient et la famille. De l’autre côté, j’étais en contact avec l’ABM qui tient
la liste des personnes en attentes de greffes. J’avais aussi pour mission de sensibiliser
le personnel de l’hôpital, les Ifsi... En réa, on reste avec le donneur jusqu’à la fin
du prélèvement au bloc opératoire, qui peut durer 24 heures. Je m’y étais préparée,
mais, du point de vue humain, on prend quelques claques quand même. On a vu tant
de patients partir faute de greffe, mais là, on découvre une famille sous le choc de
l’annonce du décès d’un proche qui n’a pas l’air d’être mort... La probabilité de pouvoir
donner est seulement de 1%, et là-dessus, la moitié ne le sera pas: dans le doute,
c’est toujours le non qui l’emporte. Aujourd’hui, en libéral, j’en parle sans tabou. »
*Membre du conseil d’administration de l’association Grégory Lemarchal Ensemble contre la mucoviscidose depuis 2007.
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