conjurés, complot, prise de pouvoir, meurtre ou fuite de la famille qui détient le pouvoir,
puis exercice du pouvoir et vengeance par un membre de la famille de la victime. Dans
Ubu, l’action est copiée fidèlement sur Macbeth, de Shakespeare, mais elle est
simplifiée et accélérée. Par exemple, à l’acte I, scène I, quand mère Ubu dévoile ses
intentions et tente de convaincre le père Ubu, on s’attendrait à ce qu’elle le dise
subtilement et longuement, pour atténuer ses propos, or la mère Ubu dit : «Qui
t’empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur place ». Ou lorsqu’Ubu
tente de convaincre le capitaine Bordure de renverser Venceslas (acte I, scène 4). Ici
aussi, dans le théâtre tragique, les deux personnages auraient exposé leurs
motivations, fait une longue argumentation, mais ils disent seulement : « PÈRE UBU : Dans
quelques jours, si vous voulez, je règne en Pologne. CAPITAINE BORDURE : Vous allez tuer
Venceslas ? PÈRE UBU : Il n’est pas bête, ce bougre, il a deviné. CAPITAINE BORDURE : S’il
s’agit de tuer Venceslas, j’en suis. » Ni l’un ni l’autre ne donnent de motivations ni
d’argumentation dans un sens ou dans l’autre. En quatre répliques, le meurtre du roi
est décidé. Enfin, Ubu dit souvent « Dépêchez-vous, plus vite ! » (Acte III, scène 2), il
veut toujours que l’action se passe plus vite. Cette action accélérée et simplifiée, qui
donne un peu l’impression de voir un film en accéléré, crée un décalage comique par
rapport à l’action originale, celle du modèle tragique, et donne un effet parodique.
D’autre part, la spatialité et la temporalité sont traitées de façon absurde dans
cette pièce, alors qu’au théâtre classique, à cause des unités aristotéliciennes, tout se
passe dans un temps et dans un espace très restreint. Dans Ubu, par exemple, à l’acte
V, scène 1, la mère Ubu dit : « quelle course effrénée, traverser toute la Pologne en
quatre jours ! ». Elle a réussi à traverser le pays en courant sous la neige en quatre
jours, c’est impossible. Père Ubu dit aussi : « Nous devons faire au moins un million de
nœuds à l’heure » (acte V, scène 4) et juste après, le père et la mère Ubu disent qu’ils
seront bientôt en France et en Espagne, puisqu’ils sont au Danemark. Ils traversent
donc les pays à une vitesse prodigieuse. Ce traitement absurde du temps et de
l’espace met à distance certaines convertions veritables, qu’on ne prend plus au
sérieux. La pièce est un peu absurde et l’absurde crée la parodie.
Troisièmement, la parodie fonctionne aussi en tirant les modèles originaux vers le
bas, vers le scatologique, vers les instincts triviaux. Tout d’abord, le lexique de la pièce
est trivial. Dans le théâtre classique et même romantique, les mots d’argot, voire de la
vie courante, sont bannis. Or, Ubu parle de « fiole » pour la tête (acte I, scène 1), de
« coupe-choux » (acte I, scène 1) ou de « petit bout de bois » (acte III, scène 7) pour
l’épée, etc. Et des mots comme la tête et l’épée, souvent appelée « le fer » par
métonymie, sont les attributs du héros tragique et représentent l’intelligence, le courage
et la noblesse, ce qu’Ubu ne possède pas. Ces mots sont tournés en ridicule, et avec
eux la tradition théâtrale. Mais le lexique n’est pas seulement argotique, il est aussi
vulgaire, voire, souvent, scatologique. En effet, le mot « merdre », avec le « r »
supplémentaire qui rappelle l’orthographe rabelaisien, bien que ce soit un néologisme,
et qui renforce encore l’impact de l’insulte, paraît une bonne trentaine de fois dans la
pièce, et les insultes ne manquent pas : « andouille », « sagouin payé», « bouffresque »,
« soûlard »…Même si les thèmes et l’histoire d’Ubu Roi sont copiés du théâtre
classique et romantique, le vocabulaire y est totalement opposé, les personnages
disent ce qu’il est normalement interdit de dire sur scène, et l’usage d’un tel lexique
pour une histoire qui est, à l’origine, reprise des thèmes classiques, crée un effet
parodique et comique.