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Introduction :
le théâtre français au XXe
siècle
Christine Lombez
On a traditionnellement coutume de voir dans la période de
l'après-guerre 1939-45 une charnière décisive dans le renouvellement
du théâtre français avec l'émergence d'un « théâtre moderne » ou
« Nouveau Théâtre », représenté par trois figures de proue : Ionesco,
Adamov et Beckett. Cette césure temporelle gagne toutefois à être
nuancée et complétée ; en effet, on remarque que dès les premières
décennies du XXe siècle, des tendances novatrices apparaissent dans
la dramaturgie française, qui vont poser les fondations d'un re-
nouvellement en profondeur du théâtre tel que l'on pourra l'observer
dans tout son éclat un demi-siècle plus tard.
Les tendances avant-gardistes
du début du siècle
Le passage du XIXe au XXe siècle est marqué par l'émergence de
« l'Esprit Nouveau » qui va marquer tout un pan de la littérature
française et de la recherche artistique. Face à un mouvement symbo-
liste qui s'essouffle1 se développe à Paris une avant-garde regroupant
1. L'esthétique théâtrale symboliste dont l'œuvre la plus représentative est sans doute le
Pelléas et Mélisande de Maeterlinck (1893) apparaît toutefois intéressante car elle a eu
des répercussions incontestables sur le théâtre moderne ; par son désir d'un art absolu,
libre de toute contingence matérielle, la primauté accordée au rêve et au lyrisme, le goût
Introduction : le théâtre français au XXe siècle
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des peintres cubistes tels que Braque, Picasso, des poètes
(Apollinaire, Cendrars, Reverdy), des musiciens, notamment avec le
Groupe des Six (Milhaud, Satie, Dutilleux…). Apollinaire lui-même
avait érigé en slogan de toute son œuvre la déclaration suivante : « Il
faut être absolument moderne1 ». La scène française a également été
marquée par ce nouvel air du temps, peut-être même avant tous les
autres genres littéraires ; en 1896, en effet, est représentée pour la
première fois la pièce d'Alfred Jarry, Ubu Roi, montée par Lugné-
Poe, auteur en outre de la mise en scène de Pelléas et Mélisande de
Maeterlinck en 1893 et de celle de L'Annonce faite à Marie de Claudel
en 1912. La pièce de Jarry a pu être considérée comme la première
pièce d'avant-garde. De fait, elle a déclenché un énorme scandale lors
de sa création et le premier mot prononcé par le père Ubu
« Merdre» donne le ton : il ne s'agit plus de se conformer aux goûts
du public mais de l'agresser en faisant le choix de la grossièreté
verbale et de l'outrance gratuite. Ubu est laid, sot, lâche, cruel ; ex-roi
d'Aragon, il vit en Pologne en compagnie de sa femme, Mère Ubu, qui
le pousse à prendre le pouvoir. Il va régner en despote et ruiner son
pays avant d'en être chassé. Son exil le conduira en France. Autant
que le premier mot de la pièce, la dernière réplique est caractéristique
de l'absurdité qui baigne l'ensemble : « S'il n'y avait pas de Pologne, il
n'y aurait pas de Polonais ! »
Extrait
Ubu Roi (Acte I, sc.1)
Père Ubu. Merdre.
Mère Ubu. Oh ! voilà du joli, Père Ubu, vous estes un fort grand voyou.
Père Ubu. Que ne vous assom'je, Mère Ubu !
Mère Ubu. Ce n'est pas moi, Père Ubu, c'est un autre qu'il faudrait
assassiner.
Père Ubu. De par ma chandelle verte, je ne comprends pas.
prononcé de l'irréalité, ce théâtre ouvre la voie aux recherches d'un Jean Genet, lui-
même partisan d'une dramaturgie de l'allégorie et de l'irréalité.
1. Formule de Rimbaud que l'on trouve dans « Adieu », Une saison en enfer.
Lectures d'une œuvre : En attendant Godot, Fin de partie
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Mère Ubu. Comment, Père Ubu, vous estes content de votre sort ?
Père Ubu. De par ma chandelle verte, merdre, madame, certes oui, je suis
content. On le serait à moins : capitaine de dragons, officier de
confiance du roi Venceslas, décoré de l'ordre de l'Aigle Rouge
de Pologne et ancien roi d'Aragon, que voulez-vous de mieux ?
Mère Ubu. Comment ! Après avoir été roi d'Aragon vous vous contentez de
mener aux revues une cinquantaine d'estafiers armés de coupe-
choux, quand vous pourriez faire succéder sur votre fiole la
couronne de Pologne à celle d'Aragon ?
Père Ubu. Ah ! Mère Ubu, je ne comprends rien de ce que tu dis.
Mère Ubu. Tu es si bête !
Père Ubu. De par ma chandelle verte, le roi Venceslas est encore bien
vivant : et même en admettant qu'il meure, n'a-t-il pas des légions
d'enfants ?
Mère Ubu. Qui t'empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur
place ?
Père Ubu. Ah ! Mère Ubu, vous me faites injure et vous allez passer tout à
l'heure par la casserole.
Mère Ubu. Eh ! pauvre malheureux, si je passais par la casserole, qui te
raccommoderait tes fonds de culotte ?
Père Ubu. Eh vraiment ! et puis après ? N'ai-je pas un cul comme les
autres ?
On a pu voir dans cette pièce une parodie du Macbeth de Sha-
kespeare ; sont particulièrement frappantes les différences de style
qui passent du plus ridiculement affecté (« Que ne vous assom'je ») au
trivial, tel qu'on le relève dans la dernière réplique. Ce qui a particu-
lièrement choqué le public d'Ubu Roi, c'est en fait la mise en pièces
par Jarry de toutes les conventions théâtrales. Il ne s'agit plus ici
d'écrire une pièce « bien faite », destinée à plaire, mais au contraire de
s'en prendre à la notion de vraisemblable, aux règles de la morale, de
transgresser l'unité du langage en inventant le néologisme « merdre »
par exemple ; quant aux conventions d'exactitude géographique, elles
sont également malmenées, comme le dit la célèbre formule de Jarry
placée en en-tête de la pièce : « L'action se passe en Pologne, c'est-à-
dire nulle part. » Il s'agit ici de la première grande subversion de l'es-
pace dramaturgique français. Comme l'écrit Jean-Hughes Sainmont
dans le Cahier du collège de Pataphysique d'octobre 1951 :
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