LesRencontres
de la photographie d'ArlesPage 24
du 16.7
au 22.7.2015
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xxx LA CULTURE
ême si la guerre–ou «le dés-
ordre dans la démesurede
l'absurde»– «estprésente dans
beaucoupd'œuvresde cette édition
2015, c'est pour limiter sonpouvoir
de séduction et comprendre les
moyens d'arrêter sa fatalité», dit
OlivierPy,grandordonnateur du
festival, quirêve de «promouvoir
l'amour de l'esprit»… pour que
«nos enfants ne rêvent pas unique-
ment d'être milliardaires».
Le tonestdonné. Peut-être est-
ce pour l'entendre quedes dizaines
de milliers de quidams se bouscu-
lentderrière les remparts. Car, oui,
la foule est désormais au rendez-
vous, c'estmême uneinéditema-
réehumaine. On peut rêver qu'elle
ne soit pas juste charriéepar le
long férié du 14 juillet, et que les
curieux aimantés par l'ambiance se
transforment en spectateurs, oui,
on peut rêver...
Hymneàla vie
Du côté du «Off»–ce festival
qui fédère plusde 1.300 spectacles
indépendants fêtant ses cinquante
ans d'existence –, on fait le plein…
dans un mélange d'intentions. Les
uns cherchent un peude fraîcheur
dans lessalles (parfois improvisées)
croisées au hasard –il faut dire que
le mercure ade la fièvre –, les au-
tres ont parfois lu des articles criti-
ques avant d'opter pour un caba-
ret, un titrecomiqueou
pour l'apparition d'une
«vedette». Dans lesnavet-
tes(bus) gratuites qui fen-
dent la ville toutes lescinq
minutes, où les program-
mes serventd'éventail,mas-
quantparfois mal la nervo-
sité née dans la sueur,d'aucuns
prennent le risque de rompre la
torpeur:vous, commentfaites-
vous pour trouver la perle, est-ce
par le bouche-à-oreille?
Acertainesheures,pour cause de
fournaise, il n'yaplus ni boucheni
oreille, alors, si votrerouteestivale
faithalteàAvignon,foncez
jusqu'au Théâtredes Doms,là où
– tous les jours,à18.00h –, Jean-
LucPiraux vous tient une conver-
sation où la tendresse a la dent
dure: «Puisqu'il paraît que nous
aurons àmourir, dépêchons-nous de
vivre!»
Normalement, avec Six pieds sur
terre,il ya de quoi choper le bour-
don. Saufque le texte, certes grave
–qui passe de la visite de maisons
de retraite au port du lange pour
grabatairesfabriquéà partir de mé-
duses pêchées à bord d'unbateau
imaginaire –, nous fait décoller en
pleindélire hédoniste. Et le talen-
M
tueuxPiraux, un comédien huma-
niste habité par un clown, s'y
connaîten décollage, luiquidé-
boule sur unescènedépouillée
avec sonenvie d'en découdre avec
les statistiques morbides et les in-
terdits (interdit de manger,de fu-
mer ou de boire afin de mourir en
bonne santé), lui qui mêle trousde
mémoireet disgrâces, digressions
farfelues et moments d'intense
poésie, lui qui ne fait l'économie
d'aucune dérision ni d'aucune
complaisance, regardele spectateur
droit dans le cœur,le laissant KO,
au bord de la larme… existentielle.
Le silence, une arme
Ce n'estpas un spectacle mais
uneleçon de vie. Et si c'en est un,
de spectacle, il est d'ungenresin-
gulier, et d'unesensibilitéinatten-
due.
Ane rater sous aucun prétexte.
Ubu ne se rate pasnon plus, et
c'estune belle surprise du «In»
(ou programme officiel). Le verbe
yest haut, mais c'estsurtout le cas
du corps.Et pour cause,l'affaire se
trame sur…un terrain d'aérobic
(avec public disposé tout autour).
Ubu estun spectacleitinérant,
uneformule légère adaptée aux sal-
les des fêtesde quinze villages du
Grand Avignon.Et dans cet Ubu,
d'après Alfred Jarry, qui raconte
comment la soifde pouvoir rend
fou au pointde faire naître la
guerre,le Père Ubu estincarnépar
un Olivier Martin-Salvan au
mieuxde sa forme: ce dictateur
grassouillet force ses ministres et
ses ennemis à faire du sport, vec-
teur de décervelage généralisé.Au
final, servi par de moulants mail-
lots olympiques criards, parune
gestuellede gymnases maladroits
(dontl'inénarrable Gilles Os-
trowsky)et des lancersde boudins
en mousse, Ubu décuple les res-
sorts d'une farce réduite:
c'est cocasse et potache à
souhait, àen perdre parfois
la vigilancedu propos.
Dans Le Roi Lear de Sha-
kespeare,pasquestion de
rire,biensûr –pour cause
de trahison, de dénide la
parole («tonsilence estunearme de
guerre») et de destruction du sens,
filial et politique.Le verbeyest
également haut–selonl'adapta-
tion d'Olivier Py quisigne la mise
en scène dans la Cour d'hon-
neur –, et ce qu'on luireproche,
c'est de l'être trop, saturé/distancié
à en devenir inaudible. C'est(trois
heures durant) la mauvaise sur-
prise du «In» –que l'on oppose
au RichardIII de ThomasOster-
meier, sublimé par Lars Eidinger
(lire page 24).Si bonne idée il ya,
elle tientàla métamorphosedu
plateau: le plancher disparaîtpour
laisser au sol un cercle de terre
noire,où les morts sont avalés, où,
aussi, le monstrueux vire au
Grand-Guignol, et où Lear –Phi-
lippeGirard –peine résolument à
convaincre dans sonrôlede roi fou
et désemparé.
*Site: www.festival-avignon.com
En filrouge,le festival rend
hommageàShakespeare,àune
langue et àla folie. «Macolèrec'est
monartet mon artesten colère.»
Désespéré mais pas désespérant.
69eFestival d'Avignon
M
ARIE-ANNELORGE – mlorge@le-jeudi.lu
«Ubu» dans uneversionolympique
LEROI ET SESFOUS
Avignon, le soir.Ils sont ve-
nus, ils sont tous là, les specta-
teurs. Afouler parmilliers un
grand escalier.Celui-là qui
mène à une gigantesque cour
intérieure.Celle du Palais des
papes. Le décorest impres-
sionnant, et sa démesure pro-
voque le frissoncollectif.
Avantmême que ne son-
nent les légendairestrompet-
tes annonciatrices de l'entrée
en arène des comédiens, les
spectateurs frissonnent donc
d'être là, justed'être là, masse
à la fois conspiratrice et en-
chantée. Et quiattend – d'au-
tant qu'onlui prometunehis-
toire de roi. Et l'attentedécu-
ple le frisson –, c'estméritoire
en période caniculaire.
C'estun momentsuspendu,
qui à luiseul vaut le déplace-
ment, et qui fait quepar mil-
liers, des gens – les mêmes qui
l'annéedurant boudentpeu
ou prou le théâtre –consen-
tent à suer, àbourse délier. Le
spectacle estlà.
Devant cedécorà l'allure de
mur humain,le comédien dit
alors qu'ilest«leroi de ses
douleurs». Le motricocheun
peu, passionnément ou pasdu
tout. Rideau.
Billet
Dans le décor
Marie-Anne Lorge