Mlle PEREZ-GARINO
Cours de philosophie
Lycée des Iscles –Manosque
2008-2009
qu’advient-il pour la représentation que la raison est conduite à se forger d’elle-même si elle
reconnaît le désir autrement que comme son ennemi le plus intime ?
Faut-il pour expliciter cette problématique, procéder à une définition, en bonne et due
forme, de ce qu’est le désir ? Ne suffit-il pas ici de s’observer soi-même ?
2) Le tragique du désir.
Quel que ce soit l’objet de mon désir, le désir est manque de cet objet vers laquelle il me
porte. Pas de désir sans le sentiment d’un manque : je ne désire pas ce que j’ai. Pas de désir, en
conséquence, sans une part de souffrance : c’est parce que je n’ai pas ce que je désire que je
souffre de ce manque et que je désire le combler. Schopenhauer, mieux que tout autre, a décrit
cette expérience. L’homme est désir, explique-t-il, mais le désir est manque. Aussi toute vie est-
elle souffrance : «
vouloir, s’efforcer, voilà tout leur être : c’est comme une soif inextinguible. Or
tot vouloir a pour principe un besoin, un manque, donc une douleur…
» (
Le Monde comme
volonté et représentation
, 1818, IV, 57). Certes, au-delà de la souffrance que crée le manque, la
satisfaction est l’expérience d’un plaisir. Bref répit cependant : «
Tout désir naît d’un manque,
d’un état qui ne nos satisfait pas ; donc il est souffrance tant qu’il n’est pas satisfait. Or nulle
satisfaction n’est de durée ; elle n’est que le point de départ d’un désir nouveau
». Ainsi, la
renaissance perpétuelle du désir fait-elle resurgir la souffrance du manque : «
Pas de terme
dernier à l’effort, donc pas de mesure, pas de terme à la souffrance…
» (IV, 56). L’expérience du
désir serait en ce sens fondamentalement l’épreuve du malheur. Ou du moins l’épreuve de
l’absence de tout bonheur à laquelle nous confronte le cercle infernal où s’enferme et se perd la
conscience désirante : le bonheur nous fuit quand nous souffrons de désirer ce qui nous
manque, mais, quand ce que nous désirons ne nous manque plus, quand nous possédons ce que
nous ne désirons plus, ce n’est pas le bonheur qui nous envahit, mais l’ennui. Reste alors, por
échapper au désespoir, à relancer la mécanique du désir, puis désirer encore, pour fuir l’ennui
dans de nouveaux désirs et dans de nouvelles souffrances : Don Juan est ainsi l’éternel symbole
de la conscience désirante, mais aussi ce triste héros d’une vie qui «
oscille, comme un pendule,
de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui
» (IV, 57). Mille et trois, tel est, nous dit Molière, le
nombre de ses conquêtes en Espagne, à la faveur desquelles il tente d’échapper à l’ennui en
séduisant en et désirant encore, non sans sombre toujours dans un nouvel ennui : celui de son
désir tout à la fois accompli et destitué, puisque, satisfait qu’il est d’avoir possédé ce qui lui
manquait, il ne désire plus et souffre trop de ne plus désirer ce qu’il a.
A analyser en ces termes le vécu de la conscience désirante, nous voyons en fait surgir un
désir qu’aurait pour objet la fin même du désir : je désirerais que mon désir cesse. Mais
comment puis-je désirer ne plus désirer, et est-ce là, vraiment, ce que je désire ?
L’accomplissement du désir, par le plaisir qu’il me procure est bien aussi, en un sens, ce que je
désire : je désire le plaisir que la satisfaction du désir me donne. Mais, si c’était uniquement ce
plaisir que je désirais et qui met un terme à mon désir dans l’instant même où je parviens à
Chapitre 4 : Le Désir.