Mlle PEREZ-GARINO
Cours de philosophie
Lycée des Iscles –Manosque
2008-2009
Cours de philosophie
Classe Terminale S
Cours n°4 : Le Désir
08/12/08
LE DESIR
LE DESIR
Introduction
Introduction
L’interrogation sur le désir est aussi vieille que la philosophie elle-même. En témoignent
aussi bien
Le Banquet
de Platon que, chez Lucrèce, le livre IV du
De Natura Rerum
, aussi bien
le
Discours sur les passions de l’amour
, longtemps attribué à Pascal, que, plusieurs près de nous,
les pages consacrées au désir par Sartre, en 1943, dans
L’Être et le Néant
. Il faudra se demander
selon quelle logique le désir est ainsi venu s’inscrire avec insistance dans la réflexion
philosophique comme un objet possible d’interrogation. Inscription qui n’est pas en effet sans
quelque paradoxe, si du moins on accorde que la philosophie a plus souvent choisi d’aborder le
réel à partir des exigences de la raison (voir le cours sur la raison et le réel, I et III) que sous
l’angle du désir. A la faveur de cette priorité donnée aux exigences de la raison, le désir risquait
d’apparaître au philosophe surtout comme un objet de défiance, pour ainsi dire comme
constituant en nos l’autre de la raison, voire l’adversaire de la raison. Force est donc, por
apercevoir selon quelle logique le désir offre matière à philosopher, de partir ici d’une telle
défiance et de ce qui, à travers les questions que le vécu même du désir pose au philosophe, peut
convaincre celui-ci de tenter de relever le défi que le désir semble lancer à la raison.
Plan du cours
Introduction ................................................................................................................. 1
I/ Le problème de la conscience désirante : le désir entre souffrance et ennui. ............ 2
1) Mettre à raison le désir ? ....................................................................................................... 2
2) Le tragique du désir. .............................................................................................................. 3
II/ Parcours : les dialectiques du désir ............................................................................ 4
1) Le désir comme désir de l’éternité. Platon. ........................................................................... 5
2) Le désir comme conflit des consciences. .............................................................................. 7
III/ Un débat contemporain : le désir comme construction de la subjectivité ou comme
ouverture à autrui ? ..................................................................................................................... 10
1/ L’approche psychanalytique. Lacan .................................................................................... 10
2. L’approche phénoménologique. Lévinas. ............................................................................ 13
Conclusion ................................................................................................................. 17
Chapitre 1 : Le Désir.
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I/ Le problème de la conscience désirante : le désir entre
souffrance et ennui.
De cette défiance prévisible à l’égard du désir témoigne au mieux le sort qui lui est
réservé dans la morale provisoire que Descartes présente comme devant être mise en place par
le philosophie a point de départ de sa recherche de la vérité : partons de ce traitement infligé
par la raison cartésienne au désir, et demandons-nous ensuite ce qui, dans le vécu même du
désir, peut ou non apparaître le justifier.
1) Mettre à raison le désir ?
Dans la troisième partie du
Discours de la Méthode
(1637), Descartes avait avancé, en
attendant que la science soit constituée, quatre maximes instaurant les bases de ce qu’il appelle
la « morale par provision ». La première de ces maximes prescrivait d’ « obéir aux lois et aux
coutumes de son pays ». La deuxième appelait à se gouverner « suivant les opinions les plus
modérées et les plus éloignées de l’excès », ainsi qu’à être « le plus ferme et le plus résolu » qu’il
est possible dans ses actions. Fermeté et résolution qui apparaissaient à Descartes exiger que,
pour éviter les hésitations et les reniements, l’on suivit jusqu’au bout une opinion, même
douteuse, à laquelle on se serait « une fois déterminée », non sans chercher toutefois à en
trouver une qui fût meilleure. C’est par la troisième maxime que le sujet se voyait invité à traiter
le désir avec la plus grande méfiance, puisqu’il était demandé de « tâcher toujours plutôt » à se
« vaincre que la fortune, et à changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde ». En clair : avant
que la raison eût construit un édifice du savoir suffisamment vaste et solide pour que vînt s’en
déduire « la plus haute et la plus parfaite morale » (
Principes de la philosophie
1644, Lettre-
Préface), il était, en tout cas, sinon encore rationnel, mais d’ores et déjà raisonnable de sacrifier
tout ce qui, dans le surgissement de nos désirs, semblerait perturber l’agencement du réel.
Du moins ne s’agissait-il de la part de Descartes que d’une maxime provisoire : rien
n’interdisait donc d’imaginer qu’une fois rationnellement refondé l’ensemble des vérités celles
qui concernaient la morale fussent moins sévères à l’égard du désir. Tout indique pourtant, à
considérer nombre de philosophies qui ont ménagé en elles une place à l’interrogation sur le
désir, que l’accueillir dans sa teneur spécifique et dans la dynamique qui est proprement la
sienne constituait une tâche délicate. Au point que la problématique à laquelle s’affronte la
philosophie, quand elle s’essaie à prendre en charge les questions soulevées par le désir, n’a
guère besoin, ici, d’être longuement élaborée : elle consiste pour l’essentiel à déterminer à
quelles conditions, entre le désir et le sujet, notamment entre le désir et ce que le sujet identifie
comme la dimension rationnelle de sa subjectivité, peut se concevoir une autre relation que
celle qui prend la forme d’une soumission pure et simple du désir à la raison. Comment la raison
philosophique peut-elle ne pas se contenter, si l’on ose dire, de mettre à raison le désir, et
Chapitre 4 : Le Désir.
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qu’advient-il pour la représentation que la raison est conduite à se forger d’elle-même si elle
reconnaît le désir autrement que comme son ennemi le plus intime ?
Faut-il pour expliciter cette problématique, procéder à une définition, en bonne et due
forme, de ce qu’est le désir ? Ne suffit-il pas ici de s’observer soi-même ?
2) Le tragique du désir.
Quel que ce soit l’objet de mon désir, le désir est manque de cet objet vers laquelle il me
porte. Pas de désir sans le sentiment d’un manque : je ne désire pas ce que j’ai. Pas de désir, en
conséquence, sans une part de souffrance : c’est parce que je n’ai pas ce que je désire que je
souffre de ce manque et que je désire le combler. Schopenhauer, mieux que tout autre, a décrit
cette expérience. L’homme est désir, explique-t-il, mais le désir est manque. Aussi toute vie est-
elle souffrance : «
vouloir, s’efforcer, voilà tout leur être : c’est comme une soif inextinguible. Or
tot vouloir a pour principe un besoin, un manque, donc une douleur…
» (
Le Monde comme
volonté et représentation
, 1818, IV, 57). Certes, au-delà de la souffrance que crée le manque, la
satisfaction est l’expérience d’un plaisir. Bref répit cependant : «
Tout désir naît d’un manque,
d’un état qui ne nos satisfait pas ; donc il est souffrance tant qu’il n’est pas satisfait. Or nulle
satisfaction n’est de durée ; elle n’est que le point de départ d’un désir nouveau
». Ainsi, la
renaissance perpétuelle du désir fait-elle resurgir la souffrance du manque : «
Pas de terme
dernier à l’effort, donc pas de mesure, pas de terme à la souffrance…
» (IV, 56). L’expérience du
désir serait en ce sens fondamentalement l’épreuve du malheur. Ou du moins l’épreuve de
l’absence de tout bonheur à laquelle nous confronte le cercle infernal s’enferme et se perd la
conscience désirante : le bonheur nous fuit quand nous souffrons de désirer ce qui nous
manque, mais, quand ce que nous désirons ne nous manque plus, quand nous possédons ce que
nous ne désirons plus, ce n’est pas le bonheur qui nous envahit, mais l’ennui. Reste alors, por
échapper au désespoir, à relancer la mécanique du désir, puis désirer encore, pour fuir l’ennui
dans de nouveaux désirs et dans de nouvelles souffrances : Don Juan est ainsi l’éternel symbole
de la conscience désirante, mais aussi ce triste héros d’une vie qui «
oscille, comme un pendule,
de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui
» (IV, 57). Mille et trois, tel est, nous dit Molière, le
nombre de ses conquêtes en Espagne, à la faveur desquelles il tente d’échapper à l’ennui en
séduisant en et désirant encore, non sans sombre toujours dans un nouvel ennui : celui de son
désir tout à la fois accompli et destitué, puisque, satisfait qu’il est d’avoir possédé ce qui lui
manquait, il ne désire plus et souffre trop de ne plus désirer ce qu’il a.
A analyser en ces termes le vécu de la conscience désirante, nous voyons en fait surgir un
désir qu’aurait pour objet la fin même du désir : je désirerais que mon désir cesse. Mais
comment puis-je désirer ne plus désirer, et est-ce là, vraiment, ce que je désire ?
L’accomplissement du désir, par le plaisir qu’il me procure est bien aussi, en un sens, ce que je
désire : je désire le plaisir que la satisfaction du désir me donne. Mais, si c’était uniquement ce
plaisir que je désirais et qui met un terme à mon désir dans l’instant même je parviens à
Chapitre 4 : Le Désir.
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l’atteindre, le désir ne vivrait comme tel que de son insatisfaction : désirant ce que je n’ai pas,
j’en souffre ; obtenant ce que je désirais, je ne désire plus. Faut-il donc ne jamais obtenir ce que
je désire pour ne pas cesser de le désirer, ou perdre ce que j’ai obtenu pour le désirer à nouveau ?
Tout le tragique du désir tiendrait ainsi à ce paradoxe qui semble indépassable : insatisfait, le
désir est souffrance, morsure du manque ; dans sa satisfaction, le désir s’abolit, et le bonheur se
perd.
Comment, dans ces conditions, ne pas nous faire une maxime, provisoire o non,
d’échapper à la tyrannie du désir ? Ne serait-il pas là, au fond, la condition de toute sagesse que
de prendre au sérieux l’avertissement de Lucrèce : «
A désirer toujours ce que tu n’as pas,
explique Lucrèce (III, 957-958), à mépriser les biens présents, ta vie s’est écoulée incomplète et
sans joie…
» ?
Où l’on voit par conséquent par quel biais la question du désir communique directement
avec celle de bonheur, qu’on laissera de côté pour une autre leçon que celle-ci. C’est néanmoins,
bornons-nous à l’entrevoir ici, la question de la morale (comment vivre ?) que nous invite de
façon ultime à ouvrir toute réflexion sur le désir :
- d’un côté, il n’y a pas de désir qui ne mette en jeu l’espoir d’un bonheur (ne plus
souffrir de ce qui nous manque et que nous désirons) ;
- d’un autre côté, cependant, pouvons-nous désirer ne plus désirer ?
Induire de cette aporie que, décidément, il n’y a pas d’amour (ou de désir) heureux serait
confondre le discours philosophique avec un défilé de platitudes. Por nous épargner de céder à
pareille confusion, mieux vaut sans doute, en réservant à la question du bonheur (voir : « le
bonheur ») l’examen spécifique qu’elle requiert, aborder celle du désir sous l’angle de la
réflexion sur la conscience désirante et sur la place du désir dans la façon dont nous pouvons
nos représenter notre subjectivité : qui suis-je donc, en tant que conscience désirante, et
comment puis-je me concevoir moi-même comme cet être de désirs qui n’a jamais ce qu’il désire
et qui désire sans cesse ce qu’il n’a pas ?
II/ Parcours : les dialectiques du désir
Afin de manifester sur quels modes et à quel prix (pour elle o pour le désir) la
philosophie s’est efforcée d’intégrer dans le déploiement même de la raison ce qui pouvait
sembler constituer l’autre de la raison (le désir), on examinera, dans cette deuxième étape,
quelques figures particulièrement significatives d’une telle intégration. Dans chaque cas, on sera
attentif à ce qui se présente comme une sorte de dialectique par laquelle le désir se retourne
pour ainsi dire dans ce qui apparaissait d’abord comme son contraire : toute la question est alors
de déterminer si, au terme de chacun de ces processus qui conduisent le désir à s’arracher en
quelque façon à lui-même, son intégration à la rationalité ne se paie pas d’une perte de ce qui
faisait la teneur même du désir, tel que nous avons non pas seulement à le penser, mais aussi à le
vivre.
Chapitre 4 : Le Désir.
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1) Le désir comme désir de l’éternité. Platon.
De l’amour
: dans sa version française, le sous-titre du
Banquet
ne doit pas égarer. Le
terme grec d’
Eros
recouvre bien plus le désir que le sentiment amoureux dans ses formes les plus
épurées auxquelles correspondrait plutôt le grec
agapè
. Entre la jouissance brute et l’affection
qui transcende tout désir d’ordre charnel (l’amour filial, l’amour du prochain, voire l’amour de
Dieu), il est certes de multiples et subtiles transitions, mais nous savons bien que l’érotisme, qui
s’attache à l’ensemble des représentations et des actes ayant trait au plaisir sexuel, a tout de
même plus à voir avec le désir qu’avec l’affection ! Pour autant, l’érotisme, nous le savons aussi,
n’est pas la pornographie, qui représente la sexualité indépendamment d’une quelconque
considération de pudeur et abstraction faite, c’est le moins que l’on puisse en dire, de tout
retentissement affectif du désir. S’interrogeant sur
l’Eros
, c’est donc sur le désir (
épithumia
) et
sur les sentiments qui l’accompagnent que le dialogue de Platon entreprenait de mettre en scène
une vaste discussion. Or, dans cette discussion, Socrate, quand il prend la parole après une série
d’autres intervenants part précisément du poins que nous avions nous-mêmes relevé en
réfléchissant à notre propre vécu du désir.
«
L’objet du désir pour celui qui éprouve ce désir, est quelque chose dont il ne dispose
pas et qui n’est pas présent, bref quelque chose qu’il n’a pas et qu’il n’est pas lui-même, quelque
chose dont il est dépourvu
» (200e, traduction Léon Robin).
Ce dont nous avons « désir d’amour », c’est donc quelque chose qui nous est extérieur, un
« autre » que nous : nous pouvons à la rigueur, même si l’amour de soi n’est pas sa dérives
possibles, nous aimer nous-mêmes, mais nous ne pouvons nous désirer nous-mêmes. Ainsi que
nous l’enseigne la mythologie grecque et la littérature. Narcisse, en adolescent qui se regardait
dans l’eau d’une fontaine comme on se regarderait dans un miroir, s’éprit bien de lui-même et
de sa beauté. Se contemplant lui-même, portant à son plus haut point l’amour de soi, devenant
pour lui-même son objet érotique, le jeune homme, nous raconte le mythe, disparut comme
humain, changé qu’il fut en la fleur qui porte son nom : le narcisse. La mésaventure de cet
adolescent dont le regard s’était ainsi trop fixé sur lui-même a été réinterprétée par la
psychanalyse comme une attitude de complaisance envers soi potentiellement névrotique, en
ceci qu’elle en vient à rendre incapable de s’intéresser à autrui. Modalité potentiellement
névrotique en effet du rapport à soi, puisque le sujet, quand il vit de cette manière la dynamique
du désir, tend à ne plus sortir de lui et comblé par lui-même à l’altérité de l’objet comme à celle
d’autrui.
Pour qu’il y ait désir de cet « autre », encore faut-il donc, si nous suivons les indications
de Socrate que ce quelque chose que nous ne sommes pas nos manque : «
celui qui désire, désire
une chose qui lui manque et ne désire pas ce qui ne lui manque pas
» (200 a). Nul ne désire être
grand o fort s’il l’est déjà. Nul ne désire acquérir les œuvres complètes de Platon s’il les possède
déjà. Si l’on objecte qu’on peut, sans être malade désirer la santé, ou encore, sans être le moins
du monde pauvre, désirer la richesse, Socrate répond que ce que l’on désire alors, c’est «
jouir de
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