s é c u r i t é d e s p ro f e s si o n n e ls d e sa n t é 1/4 Prévenir la violence dans les soins Les établissements de santé subissent de plein fouet la violence présente dans notre société. Aujourd’hui, les professionnels de santé n’en sont plus épargnés et ce, qu'elle soit physique ou morale. De la simple agression verbale au passage à l’acte, la violence envers les soignants s’exprime de multiples manières, et l’hôpital n’est plus ce "lieu protégé" de dispensation des soins. Même si tout évènement n’a pas une conclusion dramatique, ces actes font partie du quotidien des soignants. VIOLENCE À L’HÔPITAL, UNE RÉALITÉ agressives et incontrôlées représentent aujourd’hui la cinquième cause d'accidents du travail, soit 2,2 % chez les professionnels de santé contre 1,2 %, pour l'ensemble des assurés 1 du régime général . Les situations engendrant la violence sont bien connues : mauvais accueil, attente prolongée, défaut de communication, barrages culturels, tensions internes... Les agressions les plus fréquentes se produisent aux urgences, en psychiatrie, dans les services de médecine et de long séjour pour personnes âgées. Côté soignants, les principales victimes en sont les infirmier(e)s, les aides-soignant(e)s et les agents de service hospitalier. Bien que ce soit à l’encontre des soignants qu’elle s’exerce le plus fréquemment, la violence existe aussi dans les rapports soignants-patients et soignants-soignants. ❚ Soignants contre patients. Lorsque trop d’éléments stressants se conjuguent, le stress professionnel devient souffrance et engendre une violence qui submerge les équipes soignantes. Il arrive alors que le "soin" perde son sens, entraînant les soignants à manquer de sang-froid et parfois à adopter des comportements limites envers les patients car la violence leur semble le seul moyen pour s’affirmer, rompre avec une situation. Ces comportements ne sont généralement que le résultat de réactions défensives, mais qui, si elles ne sont pas prises en compte, peuvent se transformer en maltraitance. Dans les institutions pour personnes âgées, par exemple, face à la vulné- SOiNS - n°698 - septembre 2005 rabilité du vieillard qui fait de lui une victime potentielle, le soignant peut adopter, sans en avoir conscience, un comportement qui génère de la souffrance, se traduisant par une conduite coutumière malveillante, blessante, voire même agressive, dictée finalement par le contexte professionnel (absence de convivialité dans la relation, actes de soins et de confort différés, usage intensif de médicaments, etc.). ❚ Violence entre soignants. « Les services sont des microcosmes s’étayant sur les mêmes bases sociologiques et psychologiques que la société, avec ses échecs et ses © Denis Dugas réussites. Les évènements qui s’y produisent ont valeur d’exemple tant nous reproduisons au travail ce que nous sommes à l’extérieur », indique 2 dans son manuel à l’usage des soignants , Aline Mauranges, psychologue clinicienne et conseillère en ressources humaines à l’Hôpital Tenon, AP-HP, Paris. L’existence de relations conflictuelles dans les équipes paraît logique car tout le monde ne peut pas s’entendre avec tout le monde. Le milieu hospitalier, fonctionnant sur un mode particulièrement affectif, est d’autant plus propice aux "débordements comportementaux". Cumulés à d’autres facteurs comme l’obligation de réussite professionnelle, la jalousie, l’inégalité des tâches ou encore l’insuffisance d’intégration des nouveaux arrivants, ces conflits relationnels au sein de l’équipe soignante peuvent aboutir à des situations graves de harcèlement. Point culminant d’une relation conflictelle entre deux personnes, le harcèlement moral est un phénomène de plus en plus observé. © Denis Dugas ❚ Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les conduites © Denis Dugas SÉCURITÉ DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ 1• Prévenir la violence dans les soins 2• Prévenir le risque nosocomial 3• Prévenir les troubles musculo-squelettiques 4• Prévenir l’épuisement professionnel NOTES 1. Costargent G, Vernerey M. Rapport n° 2001-110 sur les violences subies au travail par les professionnels de santé, Inspection générale des affaires sociales, octobre 2001. 2. Mauranges A. Stress, souffrance et violence en milieu hospitalier. Manuel à l’usage des soignants. Publication de la MNH, 2001. À disposition des soignants sur simple demande. 3. “Agir aux racines de la violence”, rapport Clery-Melin remis à Jean-François Mattei, ministre de la Santé, de la famille et des personnes handicapées, contribution à l'exercice de préparation de la loi d’orientation en santé publique, mars 2003. 51 s é c u r i t é d e s p ro f e s si o n n e ls d e sa n t é QUELLE PRÉVENTION POUR LA VIOLENCE ? EN SAVOIR PLUS • Beaumont L. Violence et cadre de santé, Mémoire École des cadres de santé, 1998 ; à consulter sur l.beaumont.free.fr/memoire.html • Belmin J. L’infirmière et les soins aux personnes âgées. Spécificités des soins, situations fréquentes. Masson, 2004. • Bergeret J. La violence fondamentale. L’inépuisable Œdipe. Dunod, 1984. • Collectif. Violence et Soins (dossier). Soins 624, avril 1998. • Danancier J. Évaluer et prévenir la violence dans les établissements sociaux. Dunod, 2005. • Lawler J. La face cachée des soins, soins au corps, intimité et pratique soignante. Seli Arslan, 2002. • Morasz L. Comprendre la violence en psychiatrie. Approche clinique et thérapeutique. Dunod, 2002. • Michaux Y. La violence. Collection que sais-je ? PUF, 1986. • Moser G. L'agression. Collection Que sais-je ? PUF, 1987. Fiche réalisée en partenariat avec la Mutuelle nationale des hospitaliers et des professionnels de la santé et du social 52 ❚ Un milieu de travail sûr et sans danger est un droit indéniable pour chaque soignant et constitue un élément essentiel d’une prestation de soins de qualité. La violence à l’encontre des soignants ou des patients ne devrait pas être tolérée. Pourtant, fréquemment, de nombreux cas de violence ne sont pas signalés en raison d’un entêtement des équipes de santé à penser que les agressions font partie du travail. Les infirmier(e)s doivent refuser énergiquement de tolérer la violence et le harcèlement, et soutenir les personnes ayant été victimes d’abus en prenant des mesures individuelles et collectives en milieu de travail ou par l’intermédiaire des associations. Sans négliger l’action des pouvoirs publics, dans la pratique, les infirmier(e)s, les employeurs et les associations d’infirmier(e)s ont donc une responsabilité partagée dans l’assurance de la pérennité d’un cadre de travail sécurisé. ❚ La formation des soignants est indispensable. Pour Aline Mauranges, la prévention de la violence au sein des services passe par l’organisation régulière de réunions de synthèse, un soutien psychologique actif du personnel et surtout par la formation continue et spécifique des acteurs de santé car réfléchir, remettre en cause les pratiques, faire évoluer les idées et pratiquer l’autocritique sont des moyens sûrs pour évacuer les tensions, être solidaires, repérer ses propres sensibilités face aux pathologies, et respecter le désir du malade. ❚ L’importance du mode de conduite des soignants est également à souligner. Pratiquer la politique de la main tendue et s’ouvrir spontanément au dialogue sont les premiers pas vers le désamorçage de la violence, ce qui exige un savoir-faire dans son comportement. Le soignant doit apprendre à rester calme, à adopter une expression franche sans montrer sa peur. Le nombre de soignants au sein d’une équipe est aussi un facteur de prévention non négligeable. Le renforcement permanent des équipes est d’ailleurs une problématique actuelle. ❚ Le comportement du soignant doit s’adapter au type de patient car l’expression de la violence varie d’un service à l’autre. D’après Aline Mauranges, par exemple, le soin en psychiatrie, dominé par les expressions de souffrance psychique des patients, plonge d’emblée le soignant dans un monde à part. L’agitation du patient et/ou ses conduites agressives l’obligent à régler son comportement : d’abord en évaluant la dangerosité du sujet pour se protéger d’un risque réel de violence, ensuite en évaluant les risques suicidaires du patient pour le protéger lui. Dans la continuité des soins, le comportement du soignant doit ainsi conjuguer écoute, dédramatisation des situations, attitude sécurisante sans toutefois oublier la vigilance. ❚ Le processus d’accompagnement des malades passe également par la mise en place de groupe de paroles et de moyens d’aide à la réinsertion sociale. ❚ Violence et santé : une réalité reconnue par les pouvoirs publics. Dans le cadre du “Plan d’action pour le développement de la psychiatrie et la promotion de la santé mentale” le rapport du 15 septembre 2003, intitulé 3 “Violence et Santé ” , rédigé par la mission Cléry-Melin, précise que « dans un contexte de tension sur les effectifs et d’émergence de nouvelles organisations, les difficultés pour les soignants de fournir un travail de qualité vont à l’encontre de leurs valeurs éthiques et peuvent les conduire à un non-sens dans le travail et une perte d’estime de soi. La négation de leur engagement, l’absence de reconnaissance des efforts réalisés sont très coûteux sur le plan de la santé et peuvent amener de véritables décompensations psychiques (épuisement professionnel…). Il importe, afin d’expliquer, d’analyser, puis d’agir sur les situa© Denis Dugas tions de violence, de mieux recenser les actes de violence physique et psychique dont sont victimes les personnels et les patients ». N’oublions pas enfin que les soignants sont protégés par la loi n°96-1093 du 16 décembre 1996 relative à l'emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d'ordre statutaire, qui stipule que « les fonctionnaires bénéficient à l’occasion de leur fonctions, d’une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales (…). La collectivité territoriale est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait et injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions et réparer le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ». SOiNS - n°698 - septembre 2005