La Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 2 -mars-avril 2013 | 63
DOSSIER THÉMATIQUE
La femme de l’alcoolique
On peut se demander pourquoi c’est d’abord et en
priorité à elle que se sont intéressés les psychiatres,
le plus souvent d’obédience psychanalytique (3).
Peut-être est-ce parce qu’à cette époque l’alcoolisme
concernait en premier lieu les hommes, l’alcoolisme
féminin, alors plus honteux, étant moins visible
car plus dissimulé. On peut aussi penser, comme
l’enquête citée précédemment l’a montré, que les
épouses étaient très présentes et actives vis-à-vis
de leur conjoint alcoolique.
Quelle que soit la réponse, il a été dressé de ces
femmes un portrait peu flatteur et, par ailleurs, loin
d’être spécifique, les auteurs reconnaissant qu’il
pourrait s’appliquer à des épouses de conjoints non
alcooliques. En voici quelques traits.
Ces femmes infantilisent leur mari en gardant
la mainmise sur le budget du ménage et en leur
donnant parcimonieusement de l’argent de poche,
tout comme une mère en donne à son enfant.
Ce sont des femmes autoritaires qui ont décidé de
façon unilatérale du moment du mariage.
Elles ont un tel souci de respectabilité qu’elles
peuvent interrompre la prise en charge de leur mari
dont l’hospitalisation ferait rejaillir sur elles la honte
d’une maladie inavouable.
Elles ont le fantasme d’un mari destiné à mourir et se
plaignent plus de son impuissance sexuelle que de sa
déchéance physique. Ce sont des mantes religieuses :
le mâle peut disparaître après la fécondation.
Le médecin doit se dégager de cette atmosphère
fantasmatique en refusant d’officialiser la puissance
qu’elles convoitent afin de permettre au conjoint
d’accéder à la dignité de sujet.
Cette description de l’épouse de l’alcoolique l’ins-
crit avec son conjoint dans un destin auquel il leur
est impossible d’échapper et permet d’expliquer la
répétition, sans donner véritablement les moyens
du changement : cette femme retrouvera un autre
homme alcoolique et cet homme recherchera et
trouvera sans doute une épouse identique à la
précédente.
On peut s’illusionner en pensant que la compré-
hension de ce qui motive le choix du partenaire
empêchera justement la répétition, comme si la
conscience d’un processus était suffisante pour
y mettre fin. L’expérience devrait pourtant nous
permettre de percevoir combien il est difficile de
changer, même quand nous savons parfaitement
que nos comportements nous sont néfastes. Il n’est
pas si rare que nous reproduisions les mêmes erreurs
au cours de notre vie.
Quant aux quelques conseils très généraux donnés
par les auteurs, ils ne seront pas d’un grand secours
pour le praticien et pourront même avoir des consé-
quences négatives dans la mesure où ils peuvent
induire la suspicion vis-à-vis de ces épouses, la prise
de distance, voire le rejet.
L’apport de la thérapie
familiale systémique
Les travaux sur la communication (4) nous ont permis
de comprendre qu’il est artificiel de vouloir étudier de
façon isolée les comportements. De fait, et en parti-
culier au sein d’une famille, les comportements sont
reliés entre eux, chacun des membres de la famille
étant à la fois acteur et réagissant aux comporte-
ments des autres qui, à leur tour, ne peuvent pas ne
pas répondre, et ainsi de suite. On entre alors dans
un processus circulaire dont il est illusoire de vouloir
dire lequel des partenaires de l’interaction en a été
l’initiateur, bien que chacun soit en général incapable
de percevoir sa propre contribution au processus et
attende de l’autre qu’il change.
Dans le cas de l’alcoolisme, celui qui doit changer, c’est
à l’évidence le buveur, puisque son comportement
est préjudiciable tant pour lui-même que pour son
conjoint et ses enfants. Mais, peut-il le faire seul ?
Les études concernant la famille étant toujours par
nature rétrospectives, s’appuyant sur ce que l’on
peut constater à partir du moment où le patient a
été identifié, il est difficile d’affirmer qu’il existait
une organisation familiale préalable au surgisse-
ment de la pathologie et qui serait en quelque sorte
responsable de sa survenue. Il est fort probable que
le dysfonctionnement familial que l’on constate se
soit mis en place à la suite de l’apparition des symp-
tômes. Il peut bien sûr exister des facteurs familiaux
prédisposant et/ou contribuant à l’émergence du
trouble, mais, une fois celui-ci installé, il sera impos-
sible d’agir sur eux, puisque leurs actions se situent
dans le passé. En revanche, ils seront importants à
prendre en considération dans la prévention des
rechutes.
Ce qu’il est tout à fait envisageable de déterminer
dans un premier temps, c’est la nature du fonc-
tionnement familial qui s’est mis en place depuis
la survenue de la pathologie et qui peut contribuer
à son maintien, pour tenter de la modifier. C’est
l’hypothèse défendue par l’école de Palo Alto (5)
et qui a été résumée dans la célèbre formule : “Le
problème, c’est la solution” (appliquée au problème
pour tenter de le résoudre).