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Jean-Philippe PAGES
Année de maîtrise – 2003/2004
REPRESENTER L’HOMOSEXUALITE
Enjeux communicationnels et sociologiques du discours publicitaire
Mémoire professionnel
Sous la direction d’Emmanuel ETHIS
UNIVERSITE D’AVIGNON ET DES PAYS DE VAUCLUSE
UFR Sciences et Langages Appliqués
Département Sciences de l’Information et de la Communication
IUP Métiers des Arts et de la Culture, spécialité Culture et Technologies
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
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Remerciements
J
e tiens tout d’abord à remercier Emmanuel Ethis pour avoir dirigé ce
mémoire, ainsi que Juliette Dalbavie qui a été ma tutrice de mémoire et qui
a répondu avec pertinence et avec patience à mes interminables
interrogations ! Tous deux m’ont apporté soutien et conseils précieux sans lesquels je n’aurais pu
envisager ce mémoire de façon satisfaisante.
Je voudrais remercier ensuite toute l’équipe de Novencio qui m’a accueilli
chaleureusement dans ses locaux et qui m’a permis de mener à bien mon stage ainsi que mon
mémoire dans les meilleures conditions possibles.
Un grand merci donc à Frédéric, Fabrice, Fabien, Jérémy, Carlos, Jennifer, Majid,
Aude et Benjamin, pour leur bonne humeur, leur professionnalisme et leur humanité.
Enfin, un merci aux professeurs enseignant à l’I.U.P. Métiers des Arts et de la
Culture de l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, qui m’ont apporté tout au long de
mon parcours au sein de la formation des éléments théoriques sur lesquels se base ce travail,
mais aussi le goût de la réflexion.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
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Table des matières
Avant propos............................................................................................................ 5
Introduction ............................................................................................................. 6
PARTIE 1 | La mise en discours de l’homosexualité : le discours marketing et
publicitaire comme prolongement du discours psychologique........................... 9
Chapitre 1 | La mise en discours de l’homosexualité ...........................................................12
1.1.a
1.1.b
1.1.c
Une explosion discursive ?....................................................................................12
L’homosexualité : notion polymorphe. .................................................................15
De l’incitation au discours sur la sexualité à la création du personnage
homosexuel par la psychologie : retour sur la proposition de Michel Foucault ...19
Chapitre 2 | Le discours économique d’un « marché gay ».................................................23
1.2.a
1.2.b
1.2.c
Des (ir)éalités d’un « marché gay » au consommateur gay. .................................23
Le discours invisible du marché............................................................................27
L’offre commerciale et sa communication............................................................28
Chapitre 3 | Méthodologie d’analyse et présentation du corpus.........................................31
1.3.a
1.3.b
1.3.c
Options méthodologiques et concepts fondamentaux...........................................31
La question du choix des documents et le problème de l’absence........................35
Présentation du corpus ..........................................................................................38
PARTIE 2 | Derrière les signes, les stratégies discursives : la publicité à
l’épreuve de l’analyse sémiotique. ....................................................................... 44
Chapitre 1 | Les services à caractères pornographiques. ....................................................44
2.1.a
2.1.b
2.1.c
Omos .....................................................................................................................44
Girl’s line...............................................................................................................46
Synthèse ................................................................................................................48
Chapitre 2 | Les produits de la mode : habits et parfums. ..................................................48
2.2.a
2.2.b
2.2.c
Fragile....................................................................................................................48
Energy ...................................................................................................................51
Synthèse ................................................................................................................55
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Chapitre 3 | Les loisirs : jeux vidéo et voyages. ....................................................................55
2.3.a
2.3.b
2.3.c
Playstation .............................................................................................................55
Olea .......................................................................................................................58
Synthèse ................................................................................................................60
Chapitre 4 | Les produits de bien-être et de beauté. ............................................................60
2.4.a
2.4.b
2.4.c
No bacter ...............................................................................................................60
Canderel ................................................................................................................62
Synthèse ................................................................................................................64
Chapitre 5 | Les services financiers et assurances................................................................65
2.5.a
2.5.b
2.5.c
2.5.d
Banque privée Fideuram Wargny .........................................................................65
Sofinco ..................................................................................................................67
Maif .......................................................................................................................69
Synthèse ................................................................................................................71
PARTIE 3 | Les enjeux communicationnels et sociologiques du discours
publicitaire : du stéréotype androcentrique aux stratégies de l’implicite. ...... 74
Chapitre 1 | La publicité comme lieu de stéréotypes et de domination masculine............75
3.1.a
3.1.b
3.1.c
Quelle(s) homosexualité(s) pour quelle(s) représentation(s) ? .............................75
D’une sous représentation des homosexuelles au rejet de l’efféminement, ou
comment se reproduit la domination masculine....................................................82
La publicité peut-elle éviter les stéréotypes pour être une source de visibilité
positive pour la population homosexuelle ?..........................................................87
Chapitre 2 | Le paradoxe de l’implicite comme stratégie de représentation. ....................90
3.2.a
3.2.b
3.2.c
D’une culture de l’implicite à sa nécessité et son utilité marketing......................91
L’appareil interprétatif et la situation de communication au centre des stratégies
de l’implicite. ........................................................................................................93
Grammaire de l’implicite, ou comment ne pas dire ce que l’on dit. .....................98
Chapitre 3 | La publicité sur Internet : une resubjectivation possible ?..........................103
3.3.a
3.3.b
Des annonceurs frileux face à des sites un peu trop « chauds »..........................103
Les enjeux de la publicité sur Internet pour les homosexuel(le)s. ......................105
Conclusion ............................................................................................................ 108
Bibliographie........................................................................................................ 111
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5
Avant propos
L
e lecteur de ce document pourrait s’attendre à trouver une réflexion
purement théorique sur l’homosexualité et ses enjeux sociologiques ou
économiques, un questionnement sur l’existence d’une communauté
homosexuelle ou d’un marché gay. Ce mémoire ne répondant pas à ces questions, le lecteur
désirant un traitement approfondi de ces sujets pourrait bien être déçu. La réflexion proposée
dans ce mémoire s’inscrit dans une logique à la fois professionnelle et universitaire puisque nous
tenterons de voir quelles stratégies publicitaires il est possible d’adopter lorsque l’on souhaite
communiquer aux homosexuel(le)s et quels en sont les enjeux communicationnels et
sociologiques. Nos réflexions s’articuleront autour d’une analyse méthodique d’un corpus de
publicités papier présent en annexes et seront nourries par des références théoriques d’ordre
sémiotique, communicationnel et sociologique. Le lecteur pourra constater que les éléments
bibliographiques sur lesquels s’appuient notre mémoire démontrent la volonté de considérer
l’homosexualité d’un point de vue communicationnel, ce qui explique l’importance tenue par les
ouvrages généraux sur l’analyse de la publicité, la sémiotique et l’analyse du discours.
Ce questionnement sur les stratégies de communication destinées aux
homosexuel(le)s est le prolongement du stage de maîtrise d’I.U.P. Métiers des Arts et de la
Culture de l’Université d’Avignon. En effet, pendant quatre mois j’ai pu observer et contribuer à
l’activité de Novencio, une agence de communication et de conseil en marketing spécialisée dans
ce qu’elle appelle les « communautés LGBT », c'est-à-dire les communautés Lesbienne, Gay,
Bisexuelle et Transgenre. Ce terrain de stage a donc été un lieu privilégié qui m’a permis
d’initier et de développer ma réflexion, de constater de façon concrète les questions qui se posent
lorsque l’on souhaite communiquer aux homosexuel(le)s ; enfin cela m’a permis d’effectuer une
série de six entretiens avec des employés et des stagiaires de Novencio1. L’éclairage particulier
des propos de ces entretiens alimente ainsi à plusieurs reprises au fil de ce mémoire les
interrogations et les hypothèses corollaires à ma problématique.
1
Cf. annexes pour la retranscription des entretiens et pour la présentation institutionnelle de Novencio.
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6
Introduction
A
border l’homosexualité, c’est susciter des attentes multiples de la part
d’individus ou de groupes envisageant ce sujet sous des prismes
théoriques ou idéologiques aussi divers que la psychologie, la
sociologie, ou encore la religion par exemple, mais c’est aussi et surtout éveiller une attention
particulière de la part du lecteur, attention créée par un double mouvement qu’il convient
d’expliquer.
La première face de ce mouvement est que le champ médiatique a beau s’emparer
de la sexualité pour en faire des dossiers, des reportages, des sujets de débats, etc., le sexe est
toujours considéré comme vendeur. Malgré une large reprise de ce thème par la presse, la
télévision ou la radio, il y a, pour faire référence à Michel Foucault, une insatiable volonté de
savoir, de tout savoir sur le sexe, celui qu’on ne doit pas mentionner explicitement mais celui
auquel on ne cesse pourtant de faire allusion car il saurait tout de nous : savoir ce qu’il en est du
sexe, c’est savoir ce qu’il en est de nous, des arcanes de la mécanique obscure qui meut notre
être dans son ensemble, de nos désirs jusqu’à nos craintes et notre rapport à l’Autre.
La deuxième face de ce mouvement est que si l’on attend beaucoup des discours
sur la sexualité, on en attend peut-être encore plus des discours sur l’homosexualité, c’est-à-dire
sur une sexualité qualifiée de « déviante » par diverses instances comme le champ judiciaire,
religieux ou psychologique. Mise trop longtemps sur le banc de la marginalité et de l’anomalie,
vacillant entre ridicule et monstruosité, l’homosexualité connaîtrait aujourd’hui une visibilité
nouvelle. Ainsi, s’intéresser aux discours sur l’homosexualité, c’est se pencher sur un double
interdit : l’interdit la sexualité dans sa globalité d’abord, et l’interdit de la déviance par rapport à
la norme hétérosexuelle ensuite. Dans le même temps, cette attention portée sur l’homosexualité
aurait des vertus déculpabilisantes pour une société qui se sentirait peut-être investie d’un devoir
de pardon car elle aurait réprimé l’homosexualité, non pas en termes de discours, nous le
verrons, mais en termes juridiques.
Il y aurait donc aujourd’hui ce que l’on pourrait qualifier d’explosion discursive
sur l’homosexualité avec les discours politiques, associatifs, sociologiques et même
économiques qui s’attacheraient à définir, à tracer les contours d’une « communauté »
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
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homosexuelle. Un dictionnaire des cultures gays et lesbiennes est même paru2 récemment,
entérinant le bien fondé d’une culture homosexuelle et donc, par extension, d’une communauté
homosexuelle.
Dans cette diversité des discours sur l’homosexualité, nous nous intéresserons au
discours économique, et plus particulièrement à un de ses aboutissements : le discours
publicitaire. Il est en effet courant d’entendre ou de lire que depuis le début des années 1990, il y
aurait un intérêt grandissant des marques pour ce qu’elles ont appelé le « marché gay ». En nous
inscrivant dans le département des Sciences de l’Information et de la Communication de
l’Université d’Avignon, nous n’aborderons pas ce « marché gay » d’un point de vue marketing
mais d’un point de vue communicationnel et sociologique en nous interrogeant sur la
problématique suivante : quelles stratégies discursives adoptent les publicités mettant en scène
l’homosexualité, et quels en sont les enjeux communicationnels et sociologiques ?
L’ordre social hétérosexuel a amené les homosexuel(le)s à créer dans les espaces
vides de l’exclusion et de la répression judiciaire des lieux de sociabilité spécifiques et des codes
de reconnaissance se basant sur une rhétorique complexe de l’implicite. Comment alors
représenter une minorité dont le stigmate, à l’inverse des Noirs, est invisible ? Comment
communiquer à une population qui, pour contourner l’ordre hétérosexuel, s’est constituée des
codes, une rhétorique de l’allusion, et qui refuse dans le même temps, en vertu d’un principe
d’idiosyncrasie intouchable, de se voir enfermée par les barrières taxinomiques des stéréotypes ?
Il y a-t-il des stratégies discursives particulières dans les publicités mettant en scène
l’homosexualité ? Peut-on dire que la publicité met en scène des homosexuel(le)s ?
Mais parlons-nous aujourd’hui réellement plus de sexualité et d’homosexualité
qu’auparavant ? L’impression de parler davantage de sexualité aujourd’hui serait un leurre, et
nous nous appuierons sur les propositions théoriques de Michel Foucault pour comprendre
comment la sexualité, et donc l’homosexualité, n’aurait pas été réprimée en termes de discours :
bien au contraire, l’intérêt que nous portons sur ces sujets serait permis par les technologies
invisibles d’un pouvoir qui aurait organisé et intensifié les discours sur la sexualité, notamment
via le discours de la psychologie qui, en s’attachant à observer, à étudier de façon
méthodologique l’homosexuel(le) comme personnage a ouvert la voie aux études marketing
2
Dictionnaire des cultures Gays et Lesbiennes, sous la direction de Didier Eribon, édition Larousse, paru en 2003.
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actuelles qui n’en sont que le prolongement. Le discours marketing qui précède, engendre et
s’intègre au discours publicitaire (re)définit l’homosexuel(le) selon des objectifs commerciaux
qui lui sont propres.
Quels signes ou combinaisons de signes les publicités peuvent-elles mobiliser
pour représenter l’homosexualité ? Notre mémoire se basera sur une analyse d’un corpus de
publicités papier à l’aide d’outils issus de la sémiotique et de l’analyse de discours, afin de
dégager les stratégies discursives de publicités qui mettent en scène l’homosexualité. Il s’agit
donc d’un angle particulier qui ne donne pas à notre mémoire un objectif de théorisation
générale. Il n’est pas question pour nous de faire un descriptif de la représentation de
l’homosexualité dans la publicité en général, mais bel et bien de s’interroger sur les spécificités
de la publicité papier, pour comprendre les mécanismes qui régissent son discours. Les options
méthodologiques sur lesquelles se basent nos analyses se veulent donc résolument orientées vers
une visée professionnelle puisqu’elles nous amènent à réfléchir sur comment communiquer aux
homosexuel(le)s, comment se produit le sens dans une image, et par conséquent, comment
parvenir à maîtriser, en partie, sa stratégie de communication.
Il est important de noter la spécificité de notre objet d’étude : outre le fait que
l’homosexualité est une notion plus difficile à définir qu’il n’y paraît, il n’est pas possible de
l’arracher de son terreau sociologique. Cependant, notre mémoire ne se donnera pas pour objectif
de déterminer l’existence ou non d’une communauté homosexuelle ou d’un marché gay. Nous ne
parlerons même pas d’une communauté homosexuelle ni même de communautés « LGBT »
(Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres) ; nous préfèrerons le terme plus neutre et plus
consensuel de population homosexuelle. En revanche, nous mettrons en parallèle les obstacles
qui se dressent lorsque l’on tente de communiquer aux homosexuel(le)s avec les particularités
sociologiques de cette population. Pour adopter les codes homosexuels dans une publicité, il faut
comprendre le contexte social dans lequel ils se sont créés et dans lequel ils se créent encore.
S’interroger sur les stratégies discursives de la publicité, c’est comprendre l’importance de
« l’évolution du contexte culturel et social dans lequel se trouve toujours plongée la publicité,
ainsi que les contraintes communicationnelles spécifiques qui la caractérisent et qui jouent un
rôle décisif dans la production de ses contenus 3». Nous nous ancrons donc dans une double
perspective, à la fois communicationnelle et sociologique nous conduisant à soulever une série
3
PERRET, 2003, p.152.
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Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
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d’interrogations axées sur le stéréotype et ce que le sociologue Pierre Bourdieu a appelé, dans
l’ouvrage du même nom, la « domination masculine », c'est-à-dire la supériorité culturellement
admise du principe masculin sur le principe féminin. Quel(s) stéréotype(s) les homosexuel(le)s
dénoncent-ils ? Une marque peut-elle éviter les stéréotypes dans son discours publicitaire ? Le
discours publicitaire actuel mettant en scène l’homosexualité ne perpétue-t-il pas une certaine
domination masculine ? La question du genre est en effet primordiale dès lors que l’on étudie
l’homosexualité qui est un lieu de redéfinition de ce qui est masculin et de ce qui est féminin, et
donc, dans un certain sens, ce mémoire est une contribution aux récentes gender studies.
D’ailleurs, nous nous attacherons autant que faire se peut à rappeler au lecteur que nous nous
intéressons aussi bien à l’homosexualité masculine que féminine, cette dernière souffrant d’un
manque de visibilité. Aujourd’hui, être homosexuel ce serait être avant tout un homme ! Ceci
explique notre détermination à écrire « les homosexuel(le)s » pour garder la marque du féminin
et déjouer, si cela est possible, l’ordre social androcentrique.
Enfin, vouloir comprendre les stratégies discursives des publicités mettant en
scène l’homosexualité, c’est se heurter à l’implicite, au presque dit, à la mise en valeur
paradoxale du caché, et cela nous amène à savoir si en fin de compte, on ne devrait pas parler
d’une interprétation de l’homosexualité plutôt que d’une représentation de celle-ci dans la
publicité. En ce sens, nous rejoindrions les propos de Jean-Baptiste Perret qui soutient que « la
publicité française ne montre […] pas d’homosexuels, pas plus aujourd’hui qu’hier4 ».
4
PERRET, 2003, p.170.
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Partie 1 | La mise en discours de l’homosexualité : le discours marketing
et publicitaire comme prolongement du discours psychologique.
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I. La mise en discours de l’homosexualité : le discours marketing et
publicitaire comme prolongement du discours psychologique.
N
ous pourrions être tentés de commencer notre étude en démontrant que
parler d’homosexualité serait une liberté assez récente qui aurait été
permise voire suscitée par la libération sexuelle de la société
occidentale dans les années 1960 : les facteurs politico-économiques et socioculturels de
l’époque auraient autorisé une remise en question de l’ordre moral et du système normatif
régissant la sexualité, et cette libération sexuelle se serait faite, entre autre, au profit d’une levée
du silence sévissant sur l’homosexualité. Nous aurions donc pu soutenir cette idée, convaincus
que la sexualité aurait été, en termes de discours, placée derrière les barreaux invisibles de la
censure.
Pourtant, le discours sur la sexualité n’aurait pas été l’objet d’une économie de
raréfaction mais, au contraire, d’une politique d’incitation et d’intensification. C’est en tous cas
la thèse que soutient Michel Foucault dans La Volonté de Savoir, le premier tome de son Histoire
de la sexualité, et nous y reviendrons plus tard. Apportons quelques précisions pour éviter
d’éventuels malentendus : il ne s’agit pas de dire que l’homosexualité n’a pas été sévèrement
réprimée ; en revanche il y a bel et bien eu incitation, intensification des discours sur
l’homosexualité, même pour la condamner. Nier, c’est aussi faire exister l’objet de négation. Si
dire c’est faire5, c’est aussi faire exister.
Il y a donc une prolixité sur l’homosexualité qui n’est pas si récente, et l’élan
classificatoire de la psychologie des perversions sexuelles a marqué une première étape dans
l’analyse, dans l’observation administrée et contrôlée du « personnage homosexuel ». La
psychologie a permis d’envisager l’homosexuel comme un objet d’étude, et c’est au marketing,
maintenant, de s’en emparer, de se pencher sur les styles de vies et comportements d’achats réels
ou supposés de l’homosexuel(le), de ce qui est appelé le « consommateur gay ». Par conséquent,
le discours économique est, en quelque sorte, un prolongement du discours psychologique du
XIXe siècle : en plaçant l’homosexualité sous le spectre identitaire, le marketing s’attache à
définir le personnage homosexuel dans sa façon de vivre, ses attentes et ses besoins.
5
Nous faisons bien sûr référence au titre de l’ouvrage de John L. Austin, Quand dire c’est faire, Paris, Le Seuil,
1970.
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La publicité constitue la mise en discours « finale » de la (ou des)
représentation(s) de l’homosexualité par le champ économique, et une analyse de publicités
grâce à des outils méthodologiques et des concepts issus de la sémiotique, de l’analyse du
discours et de la sociologie nous permettront de déterminer s’il existe des stratégies discursives
particulières dans les publicités abordant l’homosexualité. En fin de compte, notre étude de la
(ou des) représentation(s) de l’homosexualité dans la publicité contribue à cette mise en discours
de l’homosexualité !
1.1 La mise en discours de l’homosexualité
1.1.a Une explosion discursive ?
Dans les journaux, dans les discours d’hommes politiques, dans les traités
psychologiques, au cinéma, dans les talk-shows, dans les émissions de télé-réalité, dans les
reportages, dans la publicité, dans les textes de lois, dans les discours associatifs, et dans la rue
même avec des manifestations ou avec les devantures de bars/restaurants qui affichent un
drapeau arc-en-ciel synonyme d’attitude « gay friendly6 »… L’homosexualité semble être sur
tous les fronts. On parle d’une « visibilité homosexuelle », l’associant souvent à une
multiplication des discours tenus à propos de l’homosexualité. Mais peut-on dire qu’il y a
réellement, non pas une libération discursive (nous avons dit qu’il n’y a pas eu de répression du
discours sur la sexualité), mais une explosion discursive ?
Il serait peut-être plus juste de parler d’un glissement dans les sphères
d’énonciation des discours sur l’homosexualité. Si l’homosexualité était, au XIXe siècle, plutôt
l’objet de discours psychologiques, biologiques, judiciaires, pédagogiques, etc., elle s’est peu à
peu trouvée mise en discours par les médias. De la sphère scientifique, l’homosexualité est
passée à la sphère médiatique, même si cela ne veut pas dire que l’homosexualité n’est plus un
objet du discours psychologique. Parallèlement à ce glissement, il y a eu « une dispersion des
foyers d’où se tiennent ces discours, une diversification de leurs formes et le déploiement
complexe du réseau qui les relie » pour reprendre une phrase de Michel Foucault7 qui soulignait
que l’homosexualité était, au XIXe siècle, un objet pour la psychologie, la psychiatrie, la
biologie, la morale, etc. Cette dispersion des foyers de discours continue aujourd’hui, notamment
6
7
Comprenez « attitude accueillante envers la population homosexuelle ».
FOUCAULT, 1976, p.47.
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au sein même du champ médiatique : dossiers consacrés à l’homosexualité dans la presse, séries,
téléfilm, talk-shows, etc.
Les médias semblent être à l’origine de cette explosion discursive, ou de ce
sentiment d’explosion discursive : il n’y a qu’à voir la saturation du discours médiatique sur
l’homosexualité lors de l’agression homophobe de Sébastien Nouchet, ou lors de la célébration
du mariage controversé d’un couple homosexuel par le maire de Bègles. Cette saturation dans la
sphère médiatique pourrait s’expliquer par ce que le sociologue Pierre Bourdieu a appelé « la
circulation circulaire de l’information »8. Si le champ journalistique est composé de journalistes
aux parcours et aux opinions différentes, comment est-il possible que les produits journalistiques
soient si homogènes ? Bourdieu y répond en invoquant la concurrence. Les journalistes se lisent
entre eux « pour savoir ce qu’on va dire, il faut savoir ce que les autres ont dit 9», ils se voient
dans d’autres débats, sont informés par les mêmes agences qui disent ce qui est important de
dire…D’où un enfermement mental. Cette censure est d’autant plus efficace qu’elle est
invisible ! A cela s’ajoute la contrainte du succès commercial avec « le marché comme instance
légitime de légitimation » qui engendre une mentalité d’audimat. Or, l’homosexualité, comme
tout ce qui a trait à la sexualité peut-être, est un sujet vendeur, car, comme nous l’avons dit, on
perpétue l’idée selon laquelle la sexualité a été trop longtemps mise sous silence et qu’il faut en
parler pour tendre vers une libération.
Cette « circulation circulaire » de l’information se constate par l’augmentation du
nombre de programmes télévisuels évoquant l’homosexualité. Le site de l’observatoire du
traitement de l’homosexualité rapporte que, toutes chaînes hertziennes confondues, le nombre
d’émissions sur l’homosexualité était de 179 en 2002 contre 241 en 200310. Et le site de préciser
que « la visibilité des homosexuels s’est accrue dans les sphères publiques de notre société
depuis la fin des années 90 : les débats sur le Pacs ou sur l’homoparentalité, l’élection d’un
maire ouvertement homosexuel à Paris, la création d’associations homos dans de grandes
entreprises, la médiatisation des jeux de télé-réalité et de leurs candidats homos, l’affluence
record aux Marches des fiertés lesbiennes, gays, bis et trans… Les médias évoquent désormais
volontiers tout ce qui a trait à l’homosexualité et tous ces évènements sont autant d’occasions de
renforcer la présence des lesbiennes et des gays dans les médias. »
8
BOURDIEU, 1996, p.22-29.
Ibid p.24.
10
Rapport sur la représentation de l’homosexualité à la télévision en 2003. Sources : site officiel du traitement de
l’homosexualité par les médias (http://www.media-g.net/detail.php?id=RWCFBNIAWB).
9
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En plus de s’approprier et de diffuser des discours réservés autrefois au cercle
restreint de spécialistes comme les discours psychologiques ou sociologiques, la télévision s’est
emparée de l’homosexualité sous l’angle du divertissement : il ne s’agit plus uniquement de
chercher dans une émission de télé-réalité ou dans une série télévisuelle quelle personne ou quel
personnage va satisfaire le quota d’homosexuel(le)s supposé par le téléspectateur. Non,
l’homosexualité devient aussi un sujet à part entière de divertissement comme l’illustre la série
Queer As Folk diffusée sur la chaîne câblée Canal Jimmy, ou l’émission Follement Gay diffusée
en prime time en février 2004 sur M6.
Cependant, le discours médiatique a d’abord attiré l’attention de l’opinion
publique sur l’homosexualité via le problème du sida, contribuant ainsi à diaboliser
l’homosexualité, à perpétuer d’une certaine manière, la monstruosité de l’homosexuel(le) qui a
souvent été traitée au cinéma comme le souligne Rob Einstein dans son film The Celluloid
Closet11. Il faut donc comprendre qu’une augmentation de la visibilité d’une minorité n’est pas
nécessairement positive. Cela peut sembler évident, mais le bénéfice que tirerait la population
homosexuelle d’une plus grande visibilité est un point récurrent dans une grande partie des
entretiens que nous avons réalisés dans le cadre de notre étude.
Ensuite, peut-être que mis à part dans la sphère médiatique, il n’y a pas réellement
une explosion discursive, mais que la sphère médiatique, par son pouvoir de mise en avant, nous
a amené à rechercher ou à détecter dans les discours des allusions à l’homosexualité. Après tout,
mettre l’homosexualité en chanson, la peindre, la filmer, etc. n’est pas l’apanage de notre
époque.
Quoiqu’il en soit, ce qui importe, ce n’est pas tant de savoir s’il y a ou s’il y a eu
une explosion discursive à propos de l’homosexualité, c’est d’observer que nous avons le
sentiment que l’on parle plus d’homosexualité qu’auparavant, idée relayée par les médias qui
parlent, nous l’avons dit, d’une « visibilité homosexuelle ». Néanmoins, force est de constater
que cette multiplication de discours sur l’homosexualité, ou du moins cette dispersion des lieux
d’énonciation de discours sur l’homosexualité, a rendu plus difficile la définition de
l’homosexualité. En effet, parler d’homosexualité, c’est faire appel à la fois à l’idée d’une
pratique sexuelle effective ou désirée, d’une sociabilité particulière, d’une culture particulière, de
11
The Celluloid Closet, de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, (1995), d’après le roman éponyme de Vito Russo.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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15
revendications politiques, etc. Il semble donc important non pas vraiment de donner une
définition de l’homosexualité qui serait consensuelle et interdisciplinaire - cela serait trop long ,
peut-être impossible -, mais plutôt d’évoquer différentes facettes de cette notion, différents
problèmes et questions qu’elle soulève. Cela nous permettra de comprendre, lors de nos analyses
de publicités, pourquoi ce que certains percevront comme de l’homosexualité ne sera peut-être
pas reconnue comme telle par d’autres personnes.
1.1.b
L’homosexualité : notion polymorphe.
Il est frappant de voir que la sphère médiatique multiplie les discours sur
l’homosexualité sans jamais s’interroger sur cette notion, comme s’il existait une définition
consensuelle et tacite sur laquelle il ne serait pas nécessaire de revenir. Didier Eribon souligne
dans l’introduction de son Dictionnaire des cultures Gays et Lesbiennes, que « s’il est impossible
de parler d’ « une » homosexualité, en effet, c’est non seulement parce qu’il y a celle des
hommes et celle des femmes, mais aussi parce qu’il n’existe pas « une » homosexualité
masculine, ni « une » féminine. Ce sont toujours « des » homosexualités12».
Tenter de définir l’homosexualité, c’est se heurter à des notions diverses et parfois
opposées. David Halperin, auteur de l’article « Homosexualité » dans le Dictionnaire des
cultures Gays et Lesbiennes démontre qu’« à la différence d’autres termes de la fin du XIXe
siècle utilisés pour décrire le désir ou les rapports sexuels entre personnes du même sexe, […] le
mot « homosexualité » n’est pas inventé en vue d’interpréter le phénomène qu’il décrit, ou pour
y accoler une théorie médicale ou psychologique particulière. Peut-être est-ce là le secret de son
succès : différents auteurs, avec des idées très différentes sur le sexe et le genre, trouvent le mot
facile à adapter à leur propres objectifs idéologiques. Cela permet aussi d’expliquer pourquoi le
mot « homosexualité » qui commence son existence comme un terme purement descriptif, une
catégorie conceptuellement vide, a pu absorber si rapidement toute une gamme de notions
particulières issues de théories de ceux qui l’utilisaient »13. Puisque nos analyses se porteront sur
les stratégies discursives des publicités mettant en scène l’homosexualité, il nous semble
important de comprendre les enjeux et les problèmes d’une définition de ce terme.
12
13
Eribon, 2003, p11.
Ibid, p257.
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16
D’un point de vue historique, le mot « homosexuel » serait apparu en Allemagne à
la fin des années 1860 avec une optique militante pro-gay. Puis, l’usage du mot se répandit avec
la publication de Psychopatia sexualis de Richard von Krafft-Ebing en 1887, où
« homosexualité » acquit des connotations médicales.
David Halperin continue en soutenant l’idée selon laquelle l’homosexualité est la
réunion variable de trois notions différentes voire contraires :
1) Une orientation sexuelle qui n’implique pas nécessairement de rapports
sexuels.
2) Un choix d’objet sexuel qui n’implique pas nécessairement une orientation
sexuelle permanente.
3) Un comportement social déviant qui n’implique pas nécessairement une
orientation sexuelle ni une psychologie érotique.
Nous pouvons donc comprendre les difficultés qui surgissent lorsque nous
voulons définir un(e) homosexuel(le). Le terme « homosexualité » permet de regrouper dans une
même catégorie des personnes qui n’ont pas de rapports sexuels avec une personne du même
sexe mais qui en ont le désir, des personnes qui se jugent hétérosexuelles mais qui ont des
rapports sexuels avec une personne du même sexe, etc. Sans compter les personnes qui se
reconnaissent homosexuelles et celles qui ne le reconnaissent pas. Mieux, même au sein des
personnes qui se reconnaissent comme homosexuelles, il y a celles qui fréquentent les lieux de
sociabilité homosexuelle comme les bars et les restaurants, et celles qui ne les fréquentent pas
délibérément.
Ensuite, l’homosexualité suscite une série d’interrogations quant à la question du
genre. Parfois, l’homosexualité peut être représentée comme une intensification de l’identité de
genre. Ainsi, on comprend que l’homosexualité puisse englober des homosexuels masculins très
virils, et des homosexuelles hyper-féminisées. Inversement, l’homosexuel(le) peut renverser
cette identité de genre initiale : l’homosexuel peut être représenté comme efféminé, travestie, et
l’homosexuelle comme masculine. Cette inversion du genre est généralement perçue par la
population homosexuelle et par la population hétérosexuelle comme des stéréotypes de la
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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« folle » et de la « camioneuse ». Aujourd’hui, cette instabilité de la notion de genre est à son
paroxysme avec l’apparition de la notion de « métrosexuel », c’est-à-dire d’un hétérosexuel
adoptant les codes (vestimentaires en général) de certains homosexuels.
Dans le prolongement de cette question du genre, l’homosexualité fait intervenir
la notion de rôles sexuels avec une bipolarité passif/actif renvoyant elle-même à l’opposition
féminin/masculin. Et là encore, la confusion est de mise puisqu’un homosexuel « efféminé » ou
désigné comme tel peut endosser un rôle sexuel actif, tandis qu’un homosexuel « masculin » ou
désigné comme tel peut avoir un rôle passif (de même pour les homosexuelles). Mieux, certains
homosexuels qui n’adoptent que le rôle actif pendant un rapport sexuel avec un autre homme ne
se considèrent pas comme homosexuels, car ils perpétueraient le rôle sexuel dominateur ou du
moins considéré comme tel, culturellement attribué au masculin, alors que l’homosexualité
masculine - dans l’imaginaire hétérocentriste – est associée à l’efféminement de l’homme.
Quoiqu’il en soit, ces séries d’interrogations se basent sur une conception
bipolaire et binaire du genre et de la sexualité, car elles laissent de côté les questions de la
bisexualité et du transsexualisme.
On le voit, l’homosexualité peut être abordée selon les questions des pratiques
sexuelles, de genres, et de rôles sexuels. A cela s’ajoute une strate supplémentaire, qui s’inscrit
davantage dans une optique sociologique. L’homosexualité, aujourd’hui, est perçue sous un
spectre communautaire, en tout cas social : on parle, à tort ou à raison, d’une (ou de)
communauté(s) gay(s) voire d’une (ou de) communauté(s) LGBT (entendons Lesbiennes, Gay
Bi et Transgenres), d’un marché gay, d’associations homosexuelles, etc. Bref, l’homosexuel(le)
s’inscrit dans un groupe, que ce soit une communauté, un marché, etc.
Pourtant, ce n’est pas la sociologie qui fut la première à envisager l’homosexualité
d’un point de vue social14. Cette idée d’homosexualité comme phénomène social a été inaugurée
par le rapport sur la sexualité masculine publié en 1948 par Kinsey. Se développent ainsi,
timidement d’abord, des études sociologiques prenant l’homosexuel comme exemple pour
analyser l’envers de la norme sociale, comme Outsiders d’Howard Becker ou encore Stigmates
d’Erving Goffman. Dans Outsiders, Becker établit un parallèle entre le fumeur de marijuana et
14
ERIBON, 2003, p.440.
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18
l’homosexuel mettant en évidence l’existence d’une « carrière du déviant ». Dans Stigmates,
Goffman soulève le contraste entre « discrédités » et « discréditables », ou encore la notion de
« passing » où le stigmatisé adopte une posture qui lui permet de « passer pour » conforme à la
norme. Cette notion de passing s’applique donc aux homosexuel(le)s, et c’est ce qui rend
difficile l’identification de l’homosexualité et sa représentation dans la publicité, par exemple.
En effet, comment représenter non seulement un stigmate invisible, mais aussi des individus qui,
pour beaucoup, essayent de se conformer à la norme, en somme de gommer les écarts éventuels
par rapport à la norme dominante ?
Si nous nous attardons à expliquer les problèmes qui se posent lorsque l’on tente
de définir l’homosexualité, c’est pour montrer que la mise en discours de l’homosexualité, par la
multiplication des lieux d’énonciation des discours, par la diversification des notions qui se sont
appliquées à l’homosexualité, n’a pas contribué à en donner une définition consensuelle. En
somme, on parlerait de plus en plus d’homosexualité sans pour autant pouvoir définir clairement
ce que l’on entend par ce terme. Or, nous l’annoncions en début de partie, maîtriser le discours
sur la sexualité est un enjeu de pouvoir. Pourquoi sommes-nous amenés à parler de sexualité,
d’homosexualité ? Ne serions nous pas pris dans le jeu d’un pouvoir qui nous inciterait à parler
de sexualité nous faisant croire justement qu’en parler, c’est toucher la vérité des individus, une
vérité cachée par un pouvoir répressif qu’un discours courageux pourrait faire éclater ?
Le discours sur la sexualité est souvent présenté, pour reprendre un concept de
Michel Foucault15, selon une « hypothèse répressive ». Ce discours aurait été pris dans un
dispositif de raréfaction, et émettre un discours sur la sexualité serait, partant, un vecteur de
libération. Or, comme nous le montre Michel Foucault dans la Volonté de savoir, le premier
tome de son Histoire de la sexualité, il y aurait plutôt une incitation perpétuelle à parler de
sexualité, la sienne et celle des autres.
15
FOUCAULT, 1976.
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19
1.1.c De l’incitation au discours sur la sexualité à la création du personnage
homosexuel par la psychologie : retour sur la proposition de Michel Foucault.
Le premier tome de l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault, La volonté de
savoir, est un ouvrage majeur lorsque l’on s’interroge sur l’homosexualité, et ceci pour deux
raisons : Michel Foucault décrit comment il n’y aurait pas eu, selon ce qu’il appelle une
« hypothèse répressive », une mise sous silence de la sexualité : au contraire, il y aurait eu une
incitation constante à en parler ; ensuite, c’est dans la Volonté de savoir, que Michel Foucault
soutient l’idée selon laquelle l’avènement du discours psychologique a permis de passer de
l’ acte homosexuel au personnage homosexuel.
Encore une fois, il ne s’agit pas de dire que l’homosexualité n’a pas été réprimée,
elle l’a été, mais le discours sur l’homosexualité, lui, a été favorisé, même s’il s’agissait d’un
discours condamnant ou niant l’homosexualité.
Dès le début de La volonté de savoir, Michel Foucault réfute l’idée selon laquelle
il y aurait une répression récente du sexe qui serait née au XVIIe siècle avec le capitalisme
bourgeois qui, dans sa logique productrice, condamnait la futilité du sexe. Dès lors, le sexe aurait
été réprimé pour le faire disparaître, il y aurait eu une injonction au silence. Cette « hypothèse
répressive » se maintiendrait par « le bénéfice du locuteur 16» : en présentant la sexualité comme
un interdit, le discours du locuteur acquiert une aura transgressive puisqu’il bousculerait l’ordre
établi. En effet, en s’obstinant à parler du sexe en termes de répression, on accroît le pouvoir
d’un discours qui permettrait de révéler une vérité sur le sexe, une vérité cachée, contrainte au
mutisme par la force répressive du pouvoir dont il faudrait se libérer. On serait parvenu alors à
créer un plaisir spécifique au discours vrai sur le plaisir.
Michel Foucault critique non seulement l’évidence historique de la répression du
sexe - sans pour autant affirmer que le sexe n’a pas été prohibé -, mais aussi le caractère répressif
du pouvoir en général. Pour lui, ce qui importe, ce n’est pas tant le fait de savoir si on réprime ou
autorise le sexe, c’est le fait d’en parler, de voir quelles institutions en parlent, comment grâce à
cette mise en discours du sexe, le pouvoir « parvient jusqu’aux conduites les plus ténues et les
plus individuelles 17».
16
17
FOUCAULT, 1976, p.13.
Ibid , p.20.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
20
Si pour Michel Foucault, la mise en discours du sexe a été soumise à une
incitation croissante et non à une restriction, il reconnaît quand même que cette explosion
discursive ne s’est pas faite sans une épuration du vocabulaire : « il se peut bien qu’on ait codifié
toute une rhétorique de l’allusion et de la métaphore. De nouvelles règles de décence, sans
aucun doute ont filtré les mots : polices des énoncés 18». Il s’agit là d’un point intéressant pour
nous qui allons analyser les stratégies discursives des publicités mettant en scène
l’homosexualité : peut-être ces publicités sont soumises à une double police des énoncés, par une
rhétorique de l’allusion à la sexualité en général et, au sein de celle-ci par une rhétorique de
l’allusion à l’homosexualité plus particulièrement. En tout cas, cela nous amènera à nous
interroger sur l’importance de l’implicite, de la suggestion, de codes lorsque la sexualité est mise
en scène dans une publicité. Cette importance du détail a été accrue par la Contre Réforme qui,
en insistant sur l’importance des confessions, a valorisé l’allusion au moindre détail qui peut
renvoyer à la sexualité, aux désirs charnels.
A cette rhétorique de l’allusion s’ajoute un contrôle des lieux d’énonciation : ce
n’est plus tout le monde qui peut parler de sexe, dans n’importe quelle circonstance, etc. Ces
deux processus ont permis, paradoxalement, « une valorisation et une intensification de la parole
indécente 19», ce qui se retrouve dans le champ publicitaire où certaines publicités utilisent la
sexualité et l’homosexualité comme un élément transgressif et provocateur pour attirer
l’attention du consommateur.
Cette régulation du discours s’est bel et bien accompagnée d’une explosion
discursive sur le sexe, moins dans une vision générale de la sexualité que dans une volonté
méthodique d’analyse et de classification ; la sexualité n’est plus seulement l’affaire de morale,
elle est devenue un objet à rationaliser, à gérer, en l’observant et en l’enregistrant. Une
rationalisation du sexe à mettre en parallèle avec l’apparition du concept de population : la
gestion de la sexualité d’une population permettrait d’en contrôler l’évolution, de reproduire la
force du travail, etc. D’où la volonté de classer et gérer les sexualités périphériques, les plaisirs
annexes. Il ne s’agissait donc pas d’exclure des pratiques jugées aberrantes ; au contraire, il
s’agissait de les implanter, de les solidifier dans l’individu. Michel Foucault note que le sexe « a
été placé, voici plusieurs centaines d’années, au centre d’une formidable pétition de savoir.
18
19
FOUCAULT, 1976, p.26.
Ibid
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
21
Pétition double, car nous sommes astreints à savoir ce qu’il en est de lui, tandis qu’il est
soupçonné, lui, de savoir ce qu’il en est de nous 20».
On aurait lié la sexualité à l’identité d’une personne, et ce serait la psychologie
qui, selon Michel Foucault, aurait créé le « personnage homosexuel ». Comprenons qu’avant le
discours psychologique, l’homosexualité (même si ce mot n’existait pas) n’était perçue que
comme un acte, une pratique sexuelle interdite. Avec la psychologie, on s’intéresse à la sexualité
comme fondatrice d’une identité. Michel Foucault explique que « la sodomie – celle des anciens
droits civil ou canonique – était un type d’actes interdits ; leur auteur n’en était que le sujet
juridique. L’homosexuel du XIXe siècle est devenu un personnage : un passé, une histoire et une
enfance, un caractère, une forme de vie ; une morphologie aussi, avec une anatomie indiscrète et
peut-être une physiologie mystérieuse. Rien de ce qu’il est au total n’échappe à sa sexualité […]
il ne faut pas oublier que la catégorie psychologique, psychiatrique, médicale de
l’homosexualité s’est constituée du jour où on l’a caractérisée – le fameux article de Westphal
en 1870, sur les « sensations sexuelles contraires » peut valoir comme date de naissance – moins
par un type de relations sexuelles que par une certaine qualité de la sensibilité sexuelle, une
certaine manière d’intervertir en soi même le masculin et le féminin. L’homosexualité est
apparue comme une des figures de la sexualité lorsqu’elle a été rabattue de la pratique de la
sodomie sur une sorte d’androgynie intérieure, un hermaphrodisme de l’âme21». Là encore, cela
soulève des questions intéressantes pour notre champ d’étude qu’est l’image publicitaire :
comment est appréhendé ce personnage homosexuel ? Est-il perçu seulement par l’évocation de
l’acte homosexuel, ou est-ce qu’il y a des stratégies qui permettent de le représenter autrement,
détaché de ses pratiques sexuelles ? Sans oublier, comme nous l’avons abordé, que
l’homosexualité est une notion multi-facettes qui n’induit pas nécessairement des pratiques
sexuelles effectives.
Pour Didier Eribon, auteur d’une biographie du philosophe, Michel Foucault
n’aurait pas vraiment cru à l’idée que le personnage homosexuel, l’identité homosexuelle soit
née avec le discours psychologique. Il souligne par exemple le fait que dans Histoire de la Folie,
Michel Foucault fait remonter l’invention du personnage homosexuel au XVIIe siècle aux côtés
du fou. Didier Eribon s’interroge : « comment imaginer, en effet que ceux qui fréquentaient les
cabarets, les « Molly Houses », les bals, les restaurants, etc. tout au long du XVIIIe ou du XIXe
20
21
FOUCAULT, 1976, p102.
Ibid, p.59.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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22
siècle ne se soient pas pensés comme des personnes dotées d’une certaine identité ? Peut-être
pas d’une identité « homosexuelle » au sens contemporain du terme, mais une identité tout de
même 22». Didier Eribon poursuit : « si Foucault a effectivement adhéré lui-même, pendant un
temps, à cette idée d’une rupture historique par la psychiatrie en 1870, il a vite nuancé son
propos, notamment après avoir lu le livre de Boswell23 ».
Quoiqu’il en soit, ce qui nous importe n’est pas le fait de savoir si oui non
l’homosexuel en tant que personnage a été créé par la psychologie et par tout un appareil
discursif médico-légal. Peut être en effet que le personnage de l’homosexuel existait bien avant
la machine classificatrice de la psychologie. Peut-être qu’il existait une identité homosexuelle
avant l’avènement de la psychologie. Mais, la psychologie a été la première à mettre en étude ce
personnage homosexuel, et c’est ce qui nous intéresse : on étudie l’homosexuel, son mode de
vie. On établit des méthodologies, des outils, des théories, etc.
Ainsi, nous pouvons affirmer que la psychologie a ouvert la voie de l’observation
et de l’analyse du personnage homosexuel, et qu’elle a par conséquent permis, dans une certaine
mesure, la conception d’un « marché gay ». En effet, dans le prolongement de la psychologie, il
y a aujourd’hui une volonté d’étudier l’homosexuel comme consommateur : de la même façon
que la psychologie, le champ économique met en place des outils, des analyses, des stratégies
marketing pour cerner le(s) mode(s) de vie des homosexuel(le)s, leur(s) comportement(s)
d’achat, leurs besoins et attentes supposés, etc.
Le discours marketing actuel participe donc à cette explosion discursive, et il
s’interroge sur le personnage homosexuel, comme la psychologie, mais avec des méthodes et des
objectifs particuliers.
22
ERIBON, 1999, p.406.
Boswell tentait de trouver des traces de « gay subculture » ou de « gay people » au Moyen-Age, dans son livre
Christianity, Social Tolerance and Homosexuality. Gay people in Western Europe from the beginning of the
Christian Era to the Fourteenth Century Chicago et Londres, The University of Chicago Press, 1980.
23
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
23
1.2 Le discours économique d’un « marché gay ».
Notre questionnement sur les stratégies discursives des publicités mettant en scène
l’homosexualité ne peut se faire sans une recontextualisation générale du discours publicitaire :
comment le champ économique est-il amené à définir un marché gay ? Quels secteurs
économiques s’emparent de ce marché gay, réel ou supposé ? Comment se structurent les
moyens de communication permettant aux entreprises de toucher cette cible gay ? Cela nous
donnera des éléments du contexte dans lequel s’inscrit le discours publicitaire. Précisons qu’il ne
s’agit pas d’émettre un discours de vérité sur ce « marché gay » : il ne s’agit pas de savoir s’il y a
ou non un « marché gay » ou si la représentation que s’en font les entreprises est exacte ; il s’agit
de décrire comment ce marché gay, réel ou supposé, est présenté et imaginé, conformément ou
non à la réalité.
1.2.a Des (ir)réalités d’un « marché gay » au consommateur gay.
Nous l’avons dit, la psychiatrie a ouvert la voie des études axées sur le personnage
homosexuel, sur l’homosexualité comme identité, et le discours marketing actuel n’en est q’un
prolongement. Mais les entreprises ne s’intéressent pas à tous les homosexuels, volontairement
ou non : leur objet d’étude, de discours, est un certain type d’homosexuels qui partageraient un
mode de vie commun, ou qui s’articuleraient autour de valeurs et de besoins semblables. La
spécificité du discours marketing tend donc à donner une définition particulière de
l’homosexuel(le), une définition soumise aux intérêts économiques. Ainsi, les entreprises
parlent-elles d’un « marché gay », plutôt que d’un « marché homosexuel ». Peut-être est-ce pour
désexualiser ce marché, ou pour exposer une certaine modernité que permettrait l’anglicisme
« gay ». Cette distinction permet de penser que les entreprises ne viseraient pas les homosexuels,
mais les gays qui seraient un segment particulier de la population homosexuelle : les gays
assumeraient leur homosexualité, s’inscriraient dans des réseaux de sociabilité particuliers, etc.
De plus, s’intéresser à un « marché gay » et non à un « marché homosexuel », c’est masculiniser
la cible des stratégies marketing des entreprises, dans le sens où « gay » renvoie dans la plupart
des cas à l’homosexualité masculine. D’ailleurs, sur les six entretiens menés pour notre
mémoire24, cinq font état d’une différence entre un « marché gay » et un « marché lesbien »,
beaucoup mettant en évidence la quasi inexistence d’un marché lesbien : « Il est quasi inexistant
le marché lesbien ; Y’a encore moins de potentiel ! Les lesbiennes, c’est un marché
24
Cf. annexe n°15.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
24
expérimental ; Les lesbiennes sont pas prises en considération ; Le marché lesbien, il est
inexistant.. Enfin. Y’a des lesbiennes mais personne s’est penché dessus ».
Récemment, la conception utopique d’un consommateur gay aux revenus
supérieurs à la moyenne, dépensier et à l’avant-gardisme influent semble perdre en vitesse,
même s’il reste encore du chemin avant que les entreprises ne se rendent compte que la
population homosexuelle est une population hétéroclite. Ainsi se multiplient dans la presse
spécialisée des articles intitulés : « Marketing gay : la fin d’un mirage ?25 », « De l’utilité (ou
non) du marketing gay 26», etc. Le livre sur Les nouveaux marketings de Jean-Paul Tréguer et
Jean-Marc Segati est une illustration de l’enthousiasme que suscite, dans un premier temps, le
marché gay tel que les entreprises l’imaginent : les auteurs soulignent que l’intérêt pour les
annonceurs de développer des stratégies marketing spécifiques aux gays serait « mineur, voire
nul27 » en comparaison avec le marketing de masse.
Alors pourquoi les entreprises semblent-elles s’obstiner à vouloir communiquer et
vendre aux gays à tous prix ? Les auteurs d’affirmer qu’« il est clair que les gays et les
lesbiennes sont, en majorité, des consommateurs plutôt aisés en quête de reconnaissance et,
somme toute, assez faciles à atteindre en raison d’une vie communautaire relativement bien
balisée, avec ses lieux de vie, ses événements et ses propres médias 28». Nous voyons là que les
intérêts économiques du discours marketing tendent à unifier et homogénéiser la population
homosexuelle : cette citation reflète une opinion partagée par beaucoup d’entreprises encore,
opinion selon laquelle la majorité des homosexuels aurait des revenus supérieurs à la moyenne,
des modes de vies particuliers et fréquenterait les lieux de sociabilité homosexuelle. Ainsi, la
population homosexuelle atteindrait au maximum 10% de la population29 (soit six millions de
personnes en France) et elle serait composée en grande partie de ce que le jargon marketing
appelle des « DINK », comprenez « Double Income No Kids », c’est-à-dire des personnes ayant
« deux revenus et pas d’enfants ». Mieux, ces couples homosexuels sans enfant seraient encore
25
KUNERT et MITTEAUX, 2004.
GROSSIR et KAMAL, 2004.
27
TREGUER et SEGATI, 2003, p.155.
28
Ibid, p.156.
29
Soulignons qu’il n’est pas possible, en France, de quantifier avec exactitude la population homosexuelle : la loi
française, en effet, interdit toute enquête, sondage, etc. de demander l’orientation sexuelle de l’enquêté. Les chiffres
pour la population homosexuelle en France sont obtenus par projections de données d’autres pays. Ainsi, en France,
pour tenter de mieux définir la composition de cette population, certains s’appuient sur des sondages ou enquêtes
parues dans la presse gay : or, ces résultats sont nécessairement biaisés puisque les résultats ne tiennent compte que
des lecteurs de cette presse, c’est-à-dire des homosexuel(le)s qui se reconnaissent comme tel(le)s et/ou qui adoptent
des pratiques identitaires particulières (recherche d’informations dans les médias gays, etc.).
26
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
25
plus intéressants que les couples hétérosexuels sans enfant, « du fait de leur comportement
d’achat 30» ! Ainsi, l’homosexuel(le) serait plus dépensier que son homologue hétérosexuel(le),
et la plupart des discours marketing font état d’un niveau d’éducation supérieur à la moyenne
nationale, d’une influence de plus en plus étendue appelée « le pouvoir gay »31. En somme un
marché de rêve pour les entreprises !
Mais voilà, ce marché gay n’est peut-être pas celui que les entreprises espéraient :
non seulement le marché gay ne serait pas homogène, mais en plus, il ne serait pas constitué
uniquement de DINK à l’influence incontestable. Ainsi un article de l’Express rapporte que
« selon une enquête de l'Association démographique américaine, publiée en 2000, l'homosexuel
gagnerait moins, à niveau d'études égal, que son collègue hétéro. Quant à l'avant-gardisme gay,
il a du plomb dans l'aile. A la boutique homo du Virgin Megastore, au Carrousel du Louvre, on
a supprimé le rayon CD, devenu inutile. «L'homosexualité se banalise. Les jeunes, gays ou non,
partagent les mêmes goûts en matière de musique, de mode, de cosmétiques », souligne JeanFrançois Chassagne, président du Syndicat national des entreprises gaies (Sneg), partenaire du
Salon. Et les homos du Marais ont trouvé plus branché qu'eux: les gamins des cités, dont ils
copient le look "caillera!". Le suivisme, signe extérieur d'intégration ?
32
».
Alors, pour conseiller ces entreprises dans l’adaptation de leurs stratégies
communicationnelles, se sont développées des agences de communication spécialisées, il y
quelques années aux Etats-Unis, et assez récemment en France. Citons Community Impact, Les
Uns les Autres ou encore Novencio. La plaquette commerciale de cette dernière33 fait état de
cette diversité de la population homosexuelle : « ce qui intéresse un cadre dynamique gay n’est
pas obligatoirement ce qui passionne un jeune couple lesbien récemment pacsé. Donnez une
dimension gay à votre communication en adaptant votre message à des populations éclectiques
au-delà de leurs préférences sexuelles ». Mais pour communiquer vers ces entreprises désireuses
de conquérir ce « marché de rêve », il est difficile de sortir d’une image consensuelle du
consommateur gay .Ainsi, sur cette même plaquette commerciale, les éléments photographiques
semblent répéter ces représentations classiques du marché gay : jeunesse, modernité (piercing et
milieu urbain), richesse (cabriolé), besoin de s’affirmer (le jeune homme nous tire la langue pour
exposer fièrement son piercing, le groupe de jeunes femmes semble parcourir librement la ville
30
TREGUER et SEGATI, 2003, p.163.
Ibid, p.164.
32
MOUGIN et KHALIFA, 2003.
33
Cf. annexe n°2.
31
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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26
au moyen d’une voiture cabriolée, à la façon d’un road-movie des temps modernes), etc. Les
éléments textuels reprennent également l’idée d’un marché gay dont il faudrait avoir les clés
pour pouvoir le pénétrer : il est question de « monde gay », de « gay attitude », de « tendances »,
de « réseau », de « synergie », de « communautés LGBT », ancrant définitivement la légitimité
d’un « business », d’un « marché gay ».
Peut-être est-il donc nécessaire de se conformer dans un premier temps aux
représentations d’un marché gay tel qu’il est imaginé par les entreprises pour pouvoir modifier
ces conceptions par la suite en intégrant la diversité de la population homosexuelle. L’entretien
réalisé avec Frédéric Pérez34, le dirigeant de Novencio, montre cette conscience d’une
représentation uniformisante de l’homosexuel(le) : « il n’y a pas un mode de vie homosexuel
[…]Il faut faire dans la segmentation des modes de vies pour être expert de la communauté
[…].Je pense pas qu’il ait un comportement d’achat différent d’un hétéro. Quand t’as envie
d’acheter, t’achètes, alors qu’on voudrait le mettre dans un comportement d’achat ce qui est une
connerie monumentale[…].Une constante réelle, c’est que le gay est volatile, c’est un
caméléon.[…] Pas d’archétype homo. Idem pour les lesbiennes ! ». Quant à la question de
l’existence d’un marché gay, Frédéric Pérez souligne que ce n’est « ni une réalité ni une utopie.
C’est plus une utopie parce qu’on a fini de rêver, et c’est pas une réalité parce qu’on n’y est pas
encore. On est à la charnière, c’est aujourd’hui que tout se passe, c’est aujourd’hui que le
marché se fait, et il deviendra ce qu’on en fera ».
Autour de ces conceptions, erronées ou vérifiées, d’un marché gay, réel ou
supposé, s’est constituée une offre commerciale destinée, pas nécessairement de façon
spécifique, à la population homosexuelle telle qu’elle est imaginée par les discours marketing
des entreprises. On adapte ainsi une publicité à la cible homosexuelle ou on transpose
simplement une publicité existante dans un média homosexuel. Quoiqu’il en soit, il est important
de tenir compte de l’offre commerciale comme une forme de discours qui participe à la
définition peut-être pas de la population homosexuelle, en tout cas du « marché gay ».
34
Cf. annexe n°15.
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1.2.b Le discours invisible du marché.
La structuration de l’offre commerciale destinée ou communiquée aux
homosexuel(le)s peut être considérée comme un métadiscours, un discours qui précède, engendre
et s’intègre à celui du discours publicitaire.
En effet, il serait réducteur de n’envisager les stratégies discursives des publicités
que sous l’angle d’une analyse des signifiants iconiques et /ou textuels d’un document
publicitaire. Avant le discours de l’image et/ou du verbe, il y a le discours du produit : non pas
son positionnement marketing -même s’il doit être pris en compte - (un produit mettant en avant
sa modernité, ses spécificités techniques, son respect des traditions, etc.), mais la catégorie à
laquelle ce produit appartient (une voiture, un service financier, un produit de beauté, etc.).
Les entreprises tiennent un discours tacite mais réel lorsqu’elles choisissent
d’intégrer la population homosexuelle, ou du moins ce qu’elles définissent comme la population
homosexuelle, dans les stratégies marketing et communicationnelles d’un produit particulier. Le
fait de proposer aux homosexuel(le)s certains types de produits plutôt que d’autres est un
discours à part entière qui participe à la définition du consommateur homosexuel. Concevoir,
produire, distribuer et communiquer sur un produit spécifiquement élaboré ou non pour une cible
marketing contribue à la (re)définition de cette même cible marketing. Par exemple,
communiquer aux homosexuels sur une voiture deux places, c’est penser et dire que
l’homosexuel n’a besoin que d’une voiture deux places.
D’autre part, cette définition « muette » du consommateur homosexuel par la
structuration de l’offre donne lieu à une série de discours réels : des discours internes à l’entité
économique d’abord (étude de marché, plan de communication, plan média, etc.), et externes à
cette entité ensuite (publicité, sponsoring d’événements, etc.).
Alors, comment l’offre commerciale communiquée aux homosexuels s’organise-telle aujourd’hui ? Quels sont les besoins supposés des homosexuels ? Par quels vecteurs les
entreprises peuvent-elles communiquer aux homosexuels cette offre ?
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1.2.c L’offre commerciale et sa communication.
Dans un chapitre intitulé de façon aguicheuse « Rentabiliser une campagne
auprès des gays 35», Jean-Paul Tréguer et Jean-Marc Segati, rapportent que « bien sûr, les
homosexuels sortent, voyagent beaucoup et prennent plus soin de leur apparence que la
moyenne ». Si l’évidence de ces propos est contestable, ils indiquent néanmoins les pôles de
consommation principaux vers lesquels les homosexuel(le)s semblent s’orienter, ou peut-être
vers lesquels les discours marketing voudraient les orienter :
•
les produits et services liés aux sorties, à la fête et aux voyages :
Avec le rôle des bars et des restaurants comme lieu de sociabilité homosexuelle,
les marques de boissons, d’alcools, de tabacs, etc. ont vu dans la population homosexuelle une
cible idéale. On peut citer la marque de vodka Absolut qui avait choisi pour son lancement une
campagne de communication basée sur la cible gay, Marie Brizard qui a même lancé une gamme
« Rainbow Spirit » en référence au symbole homosexuel du drapeau arc-en-ciel. Il ne faut pas
non plus oublier les marques de bières, qui, comme Heineken par exemple, inclut la presse
homosexuelle dans leurs plans médias.
Toujours liés à la fête et aux sorties, les produits culturels sembleraient intéresser
particulièrement la population homosexuelle, et le sponsor d’événements artistiques est une
stratégie que peut utiliser une entreprise pour toucher la population homosexuelle.
Pour finir, les homosexuels voyageraient plus souvent que les hétérosexuels, ce
qui explique l’émergence de voyages organisés spécifiquement gays.
•
Les services financiers et les assurances :
La population homosexuelle souhaitant bénéficier, pour une partie d’entre elle,
d’une égalité de traitement avec les couples mariés et concubins, certaines banques et certaines
assurances ont développé des services spécifiques qui accordent les mêmes tarifs et avantages
qu’aux couples hétérosexuels.
35
TREGUER et SEGATI, 2003, p.165. On regrettera que les auteurs considèrent comme évidentes des choses qui
ne le sont pas forcément !
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29
•
Les produits de mode, beauté, sport et santé :
Les homosexuels sont dits, à tort ou à raison, être plus soucieux de leur corps et de
leur apparence. D’où l’intérêt des marques de produits de beauté (soin du visage, parfum, etc.),
de préservatifs, de produits complémentaires à la pratique d’un sport, et de vêtements (haute
couture ou non).
•
Automobile moto et high-tech
Etant supposés sans enfants, les homosexuels s’intéresseraient davantage aux
véhicules compacts. Ils seraient également plus sensibles aux roadsters, aux cabriolets, et aux
voitures concept comme la Smart.
Enfin, la population homosexuelle serait perméable aux nouvelles technologies, et
les marques de ce domaine décrivent les homosexuels comme des individus désireux d’être à la
pointe de la technologie, désireux de posséder « le dernier cri ».
Dans les entretiens que nous avons réalisés avec des employés et des stagiaires de
l’agence Novencio, les produits qui reviennent souvent pour définir les produits les plus
susceptibles d’intéresser la population homosexuelle ou les plus susceptibles d’être vendus à
cette population, confirment ce descriptif de l’offre commerciale.
Cette offre commerciale peut être communiquée aux homosexuel(le)s soit par le
biais des médias grands publics, soit par l’utilisation des médias gays. Néanmoins, l’utilisation
des médias grands publics est souvent considérée comme un exercice périlleux puisque les
marques, tout en voulant toucher la population homosexuelle, ne souhaitent pas froisser leurs
consommateurs hétérosexuels. Or, un avantage considérable des médias grands publics, c’est
qu’il permettent de toucher la population homosexuelle dans son ensemble et pas seulement les
homosexuel(le)s qui se reconnaissent comme tel(le)s et qui sont « dans le milieu », qui
fréquentent les lieux de sociabilité homosexuelle et qui s’informent via les médias gays, etc. Les
médias grands publics sont donc nécessaires et ont amené les publicitaires à jouer de codes, à
développer des stratégies de l’implicite.
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Utiliser les médias gays peut donc être une solution plus sûre pour la marque,
mais aussi plus restrictive comme nous venons de le dire. La radio (avec Radio FG) ou la
télévision (l’avènement de la chaîne câblée Pink Tv prévu pour Octobre 2004) ne sont pas
suffisamment développées pour l’instant afin d’assurer une rentabilisation de la campagne
publicitaire qu’une marque pourrait envisager. Il reste donc la presse (dont le titre principal est
Têtu mais il en existe d’autres gratuits ou payants, à notoriété et tirage plus ou moins importants
comme Illico, Idol, E-male, Garçons, Ex Aequo, etc.), et Internet (Gaysthouse, E-llico, Gayvox,
etc.).
Pour les sites Internet comme pour la presse dédiés à la population homosexuelle,
l’enjeu principal pourrait être de se financer autrement que par les publicités pour des produits ou
services à caractères pornographiques. Cela est assurément vrai pour Internet qu’on associe
(comme le Minitel à ses débuts) à la pornographie (rares sont les sites d’informations par
exemples qui ne font pas la promotion de sites pornographiques), mais aussi pour la presse,
notamment les magazines gratuits et/ou à faible tirage qui peuvent faire des articles sur
l’actualité, des produits culturels, des sorties, etc. tout en étant saturés de publicités pour des
services pornographiques. Par conséquent, l’enjeu pour les médias gays est de sortir de cette
orientation pornographique pour donner confiance aux marques ; mais tant que les marques ne
font pas confiance à ces médias, ceux-ci devront se financer par des publicités pour des produits
ou services à caractère pornographique ! Un cercle vicieux donc !
Concluons cette partie sur la définition de la population homosexuelle par le
discours économique et marketing, en rappelant que notre objectif n’était pas de confirmer ou
d’infirmer l’existence d’un marché gay, ni d’en définir ses spécificités. Il était nécessaire de
comprendre dans quel contexte économique et discursif s’inscrivent les publicités papier que
nous allons étudier. Nous avons donc abordé les fantasmes que suscite un consommateur gay
réel ou supposé, comment ce consommateur est défini par l’offre commerciale qui lui est faite, et
par quels moyens cette offre lui était communiquée. Cette contextualisation nous permet
maintenant d’envisager plus particulièrement l’analyse des stratégies discursives d’un ensemble
de publicités papier mettant en scène l’homosexualité.
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1.3 Méthodologie d’analyse et présentation du corpus
1.3.a Options méthodologiques et concepts fondamentaux
Voyons tout d’abord comment l’image et le texte publicitaire peuvent être
appréhendés grâce aux théories de l’analyse du discours et de la sémiotique, pour, plus tard,
émettre des hypothèses d’ordre sociologique.
Notre objectif d’analyse des stratégies discursives d’un ensemble de publicités
papier mettant en scène l’homosexualité nous amène, dans un premier temps, à définir la
publicité comme un message scripto-iconique, c’est-à-dire un message composé, à degrés
variables, d’éléments textuels (slogan, marque, texte informatif, etc.) et d’éléments iconiques
(photographie, dessins, schémas, diagrammes, etc.). Néanmoins, soulignons que cette
dichotomie texte/image n’est pas si évidente, puisque comme le signalent Bernard Cocula et
Claude Peyroutet, « parfois, les recherches typographiques font de la lettre et du texte un
message esthétique perçu plutôt comme une image 36».
Plusieurs théories peuvent s’appliquer pour analyser une publicité : des théories
psychologiques, esthétiques, sociologiques, rhétoriques, etc. Cependant, il convient de faire
appel à des outils théoriques plus globaux issus de la sémiotique qui permettent de s‘attacher à la
publicité non pas d’un point de vue émotionnel, esthétique, etc. mais d’un point de vue
sémantique : la publicité est un lieu de significations, un lieu où se construit du sens. En somme,
il s’agit de comprendre comment est produit le sens dans une image, comment la combinaison de
signes particuliers suscite l’interprétation chez le récepteur.
Dans Introduction aux sciences de la communication, Daniel Bougnoux reprend
une phrase de Gregory Bateson : « communiquer, c’est entrer dans l’orchestre 37», et poursuit
« vous ne communiquez pas si dissonez, ou si votre musique s’harmonise mal avec les partitions
des autres et les codes en vigueur. Entrer dans l’orchestre, c’est jouer le jeu d’un certain code,
s’inscrire dans une relation compatible avec les canaux, les médias, le réseau disponibles ».
Cette question de code, de relation, est importante pour vouloir adapter sa communication
publicitaire à la population homosexuelle. Comment représenter cette population (ou une partie
36
37
COCULA et PEYROUTET, 1986, p.123.
BOUGNOUX, 1998, p.20.
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d’entre elle) ? Si une marque fait le choix de l’implicite, de l’allusion, par quels signes, quels
codes va-t-elle suggérer l’homosexualité ?
Un code est un ensemble de règles qui permettent de produire et de déchiffrer des
signes ou des ensembles de signes. Un code est donc un système organisé de signes. Mais qu’estce qu’un signe ? Sur cette question, deux conceptions s’opposent (ou se complètent) : une
conception dyadique du signe partagée par Ferdinand de Saussure et Roland Barthes notamment,
et une conception triadique partagée entre autre par Charles SanderPierce et Umberto Eco.
Pour Ferdinand de Saussure, qui s’intéresse à la nature du signe linguistique
notamment, le signe est une entité psychique à deux faces indissociables : un signifiant et un
signifié, le signifiant étant la matérialité du signe (le mot /chien/38) et le signifié ce à quoi renvoie
cette matérialité (le concept de « chien »). Cette relation signifiant/signifié peut être
conventionnelle (pour les signes linguistiques : le mot /chien/ n’a aucun rapport avec la réalité
« chien »), ou motivée (pour les signes non linguistiques comme la photographie où il y a un
rapport de contiguïté).
Barthes s’inspire de cette vision dyadique du signe dans « Rhétorique de
l’image » où, en analysant une publicité pour la marque Panzani (analyse fameuse pour le
concept d’ « italianité » mis en avant par Barthes), il détermine par exemple un signifié « retour
du marché » dont le signifiant serait /filet entrouvert/. Peut-être devrions nous nous inspirer de ce
texte pour inventer un concept de « gaytitude », c’est-à-dire les connotations homosexuelles
d’une publicité ? L’impression de « gaytitude » est-elle liée au choix de signes particuliers (axe
paradigmatique) et/ou à la combinaison de ces signes (axe syntagmatique) ?
Toujours dans Rhétorique de l’image, Barthes distingue : le message linguistique
dans sa dénotation et sa connotation ; le message iconique non—codé, c’est-à-dire le dénoté ; et
enfin le message iconique codé, c’est-à-dire ce qui relève du culturel, du symbolique, de la
connotation. La dichotomie signifiant/signifié peut être alors prolongée au sein même du signifié
avec une subdivision signifié de dénotation (« une plage ») et signifié de connotation (« les
vacances »). De façon générale donc, le signe, dans sa nature bifaciale, serait l’union de ce que
Jean-Marie Floch appelle un « plan de l’expression » (le signifiant) et « un plan du contenu » (le
38
Par convention, un « signifié » sera mis entre guillemets et un /signifiant/ entre deux barres obliques.
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signifié). Mais comme le souligne Roland Barthes dans Rhétorique de l’image, le concept
d’italianité n’est possible que par rapport à un savoir français, c’est-à-dire que la mise en relation
signifiant/signifié ne serait possible que par une troisième face du signe.
Le travail du sémioticien Charles Sander Pierce a inauguré une conception
triadique du signe car il montre qu’un signe entretient une relation solidaire entre trois pôles : la
face perceptible du signe qu’il nomme « representamen » (le signifiant), ce que le signe
représente (l’« objet », le référent), et enfin ce que le signe signifie, l’ « interprétant »
(correspond au signifié).
Umberto Eco, dans la production des signes (1976), définit le signe iconique
comme la mise en relation de l’objet, du signifiant qui le désigne, et une structure perceptive
mentale capable de faire le lien entre les deux. Cette conception triadique du signe souligne le
rôle d’une structure interprétative qui va effectuer la mise en relation signifiant/signifié.
D’où l’importance du contexte de réception du message publicitaire. Nous nous
opposons ainsi à l’approche de Ferdinand de Saussure et Louis Hjelmslev selon laquelle un
message doit être systématiquement isolé de son contexte de production et de réception en vertu
du principe d’immanence. Cette abstraction ne nous apparaît pas pertinente, en tout cas pour
notre objet d’étude qu’est l’homosexualité : certaines publicités, nous le verrons, ne suscitent pas
une lecture orientée vers l’homosexualité lorsqu’elles sont dans un magazine « non
homosexuel » (parler de magazine hétérosexuel n’aurait pas de sens), alors qu’elles peuvent, si
elles sont publiées dans un titre de la presse gay, présenter des allusions à l’homosexualité. La
publicité est une forme de communication, et toute communication prend sens dans la situation
de communication particulière dans laquelle elle se réalise, c’est-à-dire le cadre physique, mental
et social dans lequel se retrouvent les partenaires d’échanges déterminés par une identité
psychologique, sociale et culturelle qui pèse sur l’interprétation. Ensuite, ces partenaires sont liés
par un contrat de communication : on attend par exemple un certain type de discours dans un
journal télévisé. On peut imaginer un autre exemple de contrat de communication : le lecteur
d’un titre issu de la presse gay peut s’attendre à ce que les publicités dans ce magazine soient
orientées, de façon plus ou moins visible, vers la population homosexuelle.
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34
La publicité étant une forme de communication, il convient de rappeler
brièvement que Roman Jakobson a défini six fonctions essentielles de la communication, valable
autant pour les messages textuels que pour les messages iconiques :
•
la fonction référentielle : renvoie aux référents, situationnels et textuels. Englobe les
éléments d’information objective.
•
La fonction expressive : axée sur les impressions, émotions, jugements provenant de
l’émetteur.
•
La fonction conative : attire l’attention du récepteur qui doit se sentir concerné par le
message.
•
La fonction phatique : permet d’établir, maintenir ou interrompre le contact physique et
psychologique avec le récepteur.
•
La fonction métalinguistique : permet d’expliquer le code, le sens des signes.
•
La fonction poétique : liée au plaisir esthétique provoqué par la mise en valeur
particulière de la face « signifiant » d’un signe.
En publicité, les fonctions les plus présentes sont souvent la fonction conative
(faire en sorte que le désir exprimé dans la publicité soit ressenti comme tel par le lecteur) et la
fonction phatique (agencer au mieux les éléments internes à la publicité pour accroître sa
visibilité et sa lisibilité).
Pour finir, quelques remarques spécifiques au message textuel publicitaire.
Roland Barthes indique que le message textuel peut avoir deux fonctions principales : une
fonction d’ancrage (le texte est redondant, il double les informations du message iconique) ou
une fonction de relais (le texte ajoute une information inédite à l’image) 39. Enfin, dans « Le
message publicitaire », Roland Barthes explique que le message textuel d’une publicité est une
imbrication d’un premier message « naïf », le message littéral dont on ne tient pas vraiment
compte (en lisant le slogan « cuisinez d’or avec Astra », nous savons bien que l’huile Astra ne va
pas transformer notre nourriture en métal « or »), et d’un message plus global « unique » car
« c’est toujours le même, dans tous les messages publicitaires : c’est, en un mot, l’excellence du
produit annoncé ». Le premier message serait, en quelque sorte, caché sous le second message
grâce à l’usage de figures de styles.
39
BARTHES, 1964.
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35
Pour analyser les publicités de notre corpus, nous nous baserons sur la grille
d’analyse développée par Bernard Cocula et Claude Peyroutet40 préconisant, après une étape
d’introduction (présentation de l’auteur du message, parution, genre du message, support, etc.),
d’adopter une approche intuitive (réactions spontanées et premières, opinions, connotations,
etc.). C’est ensuite que l’on pourra avoir une approche iconique (inventaire le plus neutre
possible des formes, motifs, relations spatiales,etc.), pour terminer sur une approche
iconographique (interprétation, relever la polysémie du message).
Afin de limiter la « signifiose41 » dans laquelle on pourrait facilement tomber,
Françoise Minot suggère de procéder à trois étapes complémentaires : 1) l’épreuve de
commutation et de la suppression qui permet de voir si la modification d’un signe a un impact
sur le sens global du message ; 2) l’effet de convergence : il y a-t-il d’autres signes dans le
message qui convergent vers un même sens ; 3) les entretiens individuels ou en groupes. En ce
qui concerne la méthodologie des entretiens réalisés pour notre étude, se référer à l’annexe n°15.
Notons néanmoins que ces entretiens ne sont pas axés sur les publicités qui constituent notre
corpus mais sur la publicité et le « marché gay » dans sa globalité.
Nous avons donc défini les concepts fondamentaux et les outils méthodologiques
pour l’analyse de nos publicités. Expliquons maintenant comment nous avons procédé pour
recueillir et choisir les documents constitutifs de notre corpus.
1.3.b La question du choix des documents et le problème de l’absence
Pour les publicités que nous avons choisi d’analyser, nous avons tout d’abord
décidé de nous focaliser sur une forme particulière de la publicité : la publicité papier. Nous
aurions pu nous pencher sur les spots publicitaires télévisuels ou encore sur des documents
radiophoniques. Notre choix s’explique par le fait que ces formes publicitaires, bien
qu’intéressantes, mettent en jeu des questions liées à la narration, à des techniques de montage,
au scénario, aux mouvements ou à la voix des personnages (une représentation commune de
l’homosexuel masculin est en effet liée à une gestuelle précieuse et maniérée (ou jugée comme
telle), et une voix féminine (ou jugée comme telle)). Ces formes publicitaires autorisent ainsi un
scénario révélant à la fin du spot l’homosexualité d’un personnage. La publicité papier, elle,
40
41
COCULA et PEYROUTET, 1986, Chapitre « Méthode d’analyse du message visuel fixe » p.109-122.
MINOT, 2001.La signifiose comme tendance à donner du sens à tout et n’importe quoi.
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impose la fixation d’une représentation de l’homosexualité en condensant, en accumulant une
série de signifiants plus ou moins explicites, palliant ainsi à l’absence d’un déroulement temporel
de la diégèse dans laquelle s’inscrit le propos publicitaire42. Cette qualité de la publicité papier
joue un rôle, nous y reviendrons, dans la construction de stratégies discursives stéréotypées de
l’homosexualité.
Ensuite, notre étude se centre sur les publicités papier commerciales et non sur les
publicités institutionnelles. Il pourrait s’agir effectivement de stratégies discursives différentes
entre ces deux types d’émetteurs, des différences qu’il serait trop long d’aborder ici Le propos
de nos analyses n’étant pas de retracer une évolution historique des représentations de
l’homosexualité dans la publicité, nous avons choisi de ne recueillir que des publicités
« récentes » (nous nous rendons bien compte que cela reste subjectif), c’est-à-dire dont la date de
parution est comprise entre 2001 et 2004, parues dans la presse homosexuelle et la presse
« grand public ».
Récolter des publicités mettant en scène l’homosexualité nous amène à nous
interroger sur ce que nous avons identifié comme ce qui pouvait relever de l’homosexualité.
Nous l’avons dit, il s’agit là d’une notion multi-facettes, et l’identification de celle-ci est
nécessairement subjective. Nous avons néanmoins accordé une définition assez large pour ne pas
nous restreindre à des publicités à caractère pornographique où des pratiques sexuelles auraient
été mises en discours, soit par des éléments iconiques, soit par des éléments textuels. Nous ne les
avons pas exclues parce qu’elles font partie du paysage publicitaire (elles sont même très
nombreuses), mais nous avons aussi et surtout recueilli des publicités où il est plus question d’un
désir homosexuel. Pour certaines d’entre elles, nous avons simplement pris en compte leur
présence dans un titre de la presse gay. En effet, nous supposons que la présence d’une publicité
dans un magazine gay sous-entend que cette publicité représente, d’une façon ou d’une autre,
l’homosexualité. Ceci explique que certaines publicités de notre corpus pourraient, aux yeux de
certaines personnes, ne pas être une représentation de l’homosexualité : publiées dans un média
grand public, l’homosexualité n’y serait pas présente. Quoiqu’il en soit, nous supposons que les
marques qui choisissent d’annoncer dans un titre de la presse gay avec une publicité qui paraît
42
Nuançons : la lecture d’une image n’est pas immédiate, du temps est nécessaire ; ainsi, certains documents
publicitaires papiers peuvent jouer sur une révélation de l’homosexualité « à la fin », en plaçant par exemple un
élément textuel qui suggèrerait l’homosexualité d’un personnage en bas du document, en petits caractères… Bref,
une sorte de légende qui viendrait corriger l’interprétation première du lecteur qui n’avait pas, dans le début de sa
lecture de l’image, perçu l’homosexualité du personnage.
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37
également dans la presse grand public considèrent cette publicité comme représentative, en partie
ou entièrement, de l’homosexualité, ou d’une image qu’elles se font de l’homosexualité. Cela ne
veut pas dire qu’il n’y a pas ou qu’il n’y a pas eu des erreurs dans le plan média de certaines
marques, comme le montre la publicité du parfum pour homme Desire43 qui a été publiée dans le
magazine homosexuel Têtu alors qu’elle évoque la femme comme objet de désir de l’homme ! Il
est donc nécessaire pour nous de tenir compte de cette réalité et ne pas nous baser uniquement
sur des publicités où l’homosexualité apparaîtrait comme « évidente », car nous verrons un peu
plus tard que cette « évidence homosexuelle » est peut être plus l’affaire de celui qui regarde la
publicité, le sujet interprétant, que de la publicité elle-même, l’objet interprété.
De plus, nous envisageons l’homosexualité dans son ensemble, c’est-à-dire aussi
bien l’homosexualité masculine que l’homosexualité féminine. Cela ne signifie pas pour autant
qu’il y a une répartition égale entre homosexualité masculine et homosexualité féminine : notre
corpus reflète la difficulté que nous avons eu pour trouver des publicités mettant en scène
l’homosexualité féminine, comme si le fantasme masculin hétérosexuel du couple lesbien était
moins utilisé qu’au début de la vague de ce qui a été appelé le « porno chic ». De surcroît,
malgré le discours insistant de l’existence d’un marché et d’un marketing gay, force est de
reconnaître que mis à part peut-être pour les produits liés à la mode ou aux parfums,
l’homosexualité n’est pas aussi présente que ce qu’on pourrait croire. C’est une sorte de
révélation par l’absence…
Pour finir, la sélection des publicités qui forment notre corpus ne s’est pas établie
sur des critères de qualité : ce qui nous intéresse n’est pas de savoir si telle ou telle publicité est
« bonne ». D’ailleurs, sur quels critères nous serions-nous basés ? Sur la façon dont est
représentée l’homosexualité (une représentation positive de celle-ci) ? Sur des critères
communicationnels (la publicité est elle la trace d’une stratégie communicationnelle et
marketing réussie) ? Sur des critères esthétiques (il y a un réel travail plastique sur la publicité) ?
Ainsi, notre corpus peut contenir des publicités que certains jugeront « mauvaises ». Cela est
probable, mais il est possible que l’homosexualité ne soit représentée explicitement ou
positivement que dans ces publicités jugées mauvaises par certains…
43
Cf. annexe n°3.
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38
Notre corpus s’appui sur onze publicités papier. Le choix d’un corpus non
exhaustif pose la question de la subjectivité de notre sélection ; néanmoins, cet éventail de
documents publicitaires montre notre volonté d’analyser des publicités issues aussi bien de la
presse dite « grand public » que de la presse gay, et promouvant des produits différents, du
produit de beauté au service financier en passant par la téléphonie rose.
1.3.c Présentation du corpus
Cette étape préliminaire a pour objectif de recontextualiser très brièvement les
documents dans leur situation de communication : d’où ces publicités proviennent-elles, quels
produits ou services mettent-elles en avant ? Nous avons décidé de classer les documents par
type de média d’abord (grand public ou presse gay) puis par revue/magazine. En effet, la
saturation de publicités pour des produits ou services à caractère pornographique dans beaucoup
de titres gays poussent les annonceurs à se tourner presque exclusivement vers le magazine Têtu
(et le récent Préférences), qui même s’il contient quelques publicités pour des services
pornographiques, est réputé plus « propre ». Cette présentation ne reprend donc pas l’ordre
d’analyse des documents puisque nous faisons un regroupement par média (notre propos étant de
replacer chaque document dans sa situation de communication).
Presse grand public :
•
Document n°3 : Fragile de Jean-Paul Gaulthier, issu du magazine ELLE de la première
semaine de décembre 2003.
- ELLE est un hebdomadaire édité par Hachette Filipacchi. Son lectorat est
majoritairement féminin. L’hebdomadaire s’articule autour de la mode, de la
beauté et des loisirs féminins avec des articles d’actualités people, sur le bien être,
le tourisme, la mode, le maquillage, les accessoires, les parfums, les produits de
beauté, la cuisine, la décoration. ELLE contient aussi des interviews, une
sélection culturelle (livres, films, etc.) et des horoscopes (solaire, lunaire,
numérologiques…).
- La publicité promeut le parfum pour femme « Fragile » de Jean-Paul Gaultier.
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39
•
Document n°5 : Playstation2 jeu en réseau, issu du magazine COMPUTER ARTS du
mois de janvier 2004.
- COMPUTER ARTS est un mensuel dédié aux arts numériques dans une optique
pédagogique. En effet, ce magazine est basé principalement sur des tutoriaux,
c’est-à-dire des exercices pratiques destinés à maîtriser un logiciel ou une
technique particulière. Le magazine contient également des interviews d’artistes
numériques, des actualités (logiciels, matériels, expositions, salons, etc.), des
sélections d’ouvrages, des dossiers, des bancs d’essais (matériels, logiciels). Les
rubriques du magazine couvrent les domaines de la 3D, la 2D, la PAO, la vidéo et
le webdesign. Il arrive d’y trouver des actualités sur des films ou clips musicaux à
effets spéciaux, des jeux vidéo…
- La publicité vante la capacité de jouer en réseau de la console de jeux vidéo
Playstation 2 de Sony.
•
Document n°11 : MAIF, assureur Militant, issu du magazine LE NOUVEL
OBSERVATEUR de la deuxième semaine de Mai 2004.
- LE NOUVEL OBSERVATEUR est un magazine d’informations. Il aborde des
faits d’actualité politiques nationaux et internationaux, des faits économiques, des
faits de société, et il contient également des sélections et critiques du monde du
livre et du monde des arts du spectacle. Son lectorat peut être qualifié de mixte,
plutôt intellectuel, politiquement sensible aux idées socialistes, et issu des classes
moyennes supérieures.
- La publicité promeut le contrat d’assurance risques habitation Raqvam de
l’assurance MAIF.
Presse gay :
•
Document n° 1 : Girl’s line, issu du magazine GARCONS du mois de mars 2003.
- GARCONS est un mensuel payant distribué en région parisienne, qui ne tient
pas une grande place dans la presse gay. Ce magazine contient : une sélection
d’objets (mode, design, décoration, nouvelles technologies), des adresses de
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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boutiques (mode, design), un agenda et une sélection de bars gays et lesbiens, une
présentation d’associations homosexuelles, des interviews d’homosexuel(e)s
faisant ou fréquentant le « milieu gay », des articles sur la santé, la mode, le bienêtre…Il contient également une sélection culturelle (livres, spectacles, vidéos,
expositions, musique), un trombinoscope de soirées gays, un courrier des lecteurs
et un horoscope. La quasi-totalité des publicités de ce magazine vantent des
produits ou services à caractère pornographique.
- La publicité promeut les services du réseau de messagerie rose dédié aux
homosexuelles Girl’s line.
•
Document n°2 : OMOS, issu du magazine ILLICO de la première quinzaine du mois
d’octobre 2003.
- ILLICO tient une place plus importante que GARCONS dans la presse gay, il
est tiré à 40 000 exemplaires et est distribué en région parisienne. Ce bimensuel
gratuit contient des dossiers à thématique variable (histoire de l’homosexualité,
Gay Pride, mode, homophobie, etc.), des actualités, une sélection culturelle
(cinéma, télévision, musique, théâtre, exposition et livre), un guide des adresses
d’établissements gays et lesbiens, un agenda de soirées... La quasi-totalité des
publicités de ce magazine vantent des produits ou services à caractère
pornographique.
- La publicité promeut les services de Omos, une messagerie rose pour
homosexuels (masculins).
•
Document n°4 : Energy, issu du magazine Têtu du mois d’avril 2003.
- Têtu est considéré comme le titre principal de la presse gay. Ce mensuel payant
à distribution nationale se distingue par un faible nombre de publicités pour des
produits ou services à caractère pornographique. De « grandes » marques comme
L’Oréal, Levi’s, Sofinco, etc. annoncent dans Têtu. Ce mensuel s’articule autour
d’informations politiques et médicales, d’actualités culturelles et d’articles sur la
beauté et la mode. Les articles culturels (cinéma, livre, musique, télévision)
tiennent une place importante, tout comme les photographies de mode masculine,
l’actualité nationale et internationale (politique, média, événements, etc.), les
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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informations médicales (sur le Sida notamment) et les dossiers divers axés sur des
personnalités. Têtu compte également un horoscope, une sélection culturelle
(beaux livres, DVD, musique, etc.) ainsi qu’une rubrique destiné aux jeunes
homosexuels (15-20 ans). Notons que la pornographie n’est pas absente du
magazine (sélection de DVD et articles).
- La publicité met en valeur la marque de jean’s Energy.
•
Document n°6 : Olea (deux versions) issu du magazine Têtu du mois d’avril 2004. Il
nous a semblé intéressant de conserver les deux versions de la publicité : une version gay
et une version lesbienne.
- Pour une description de Têtu, cf. document n°4
- Les publicités mettent en avant les services du club de vacances gay et lesbien
Olea.
•
Document n°7 : Gel de rasage No bacter, issu du magazine Têtu du mois de juillet 2002.
- Pour une description de Têtu, cf. document n°4
- la publicité vante les qualités du gel de rasage pour peaux sensibles de la marque
No Bacter.
•
Document n°8 : Canderel, issu du magazine Têtu du mois d’octobre 2001.
- Pour une description de Têtu, cf. document n°4
- La publicité met en valeur les sucrettes Canderel.
•
Document n°9 : Banque privée Fideuram Wargny , novembre 2002.
- Pour une description de Têtu, cf. document n°4
- La publicité promeut la banque privée Fideuram Wargny.
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42
•
Document n°10 : Sofinco, Prêt très personnel, issu du magazine Têtu du mois de Juin
2004.
- Pour une description de Têtu, cf. document n°4
- La publicité promeut les services de prêt à la consommation de la société
Sofinco.
Nous avons vu dans cette première partie comment notre analyse de publicités
mettant en scène un désir homosexuel s’inscrit tout d’abord dans un questionnement général sur
la mise en discours de l’homosexualité, plus particulièrement par les instances économiques.
Si l’homosexualité ne peut être définie de façon unique et consensuelle, force est
de constater que le discours médiatique semble s’emparer du sujet faisant presque oublier que
s’il y a eu une explosion discursive sur l’homosexualité, elle a commencé au XIXe siècle comme
le démontre Michel Foucault dans La volonté de savoir. Ainsi, le discours sur la sexualité
n’aurait été en rien censuré par un pouvoir répressif, mais au contraire incité et intensifié
notamment par des processus de régulation des lieux d’énonciation et par un développement
d’une rhétorique de l’allusion.
L’étude d’un personnage homosexuel par la psychiatrie est aujourd’hui prolongée
par les discours marketing depuis le début des années 1990. On passe ainsi d’un personnage
homosexuel à un consommateur homosexuel, mieux à un « marché gay », réel ou supposé, défini
entre autre par l’offre commerciale qui lui est associée et par le discours publicitaire qui en
découle. Il est donc légitime de s’interroger sur les stratégies discursives des publicités mettant
en scène l’homosexualité, ou du moins un désir homosexuel. Ces stratégies sont-elles spécifiques
ou, au contraire sont-elles communes à d’autres publicités ? Donnent-elles lieu ou non à une
vision stéréotypée et hétérocentrée de l’homosexuel ?
Maintenant que nous avons explicité les concepts fondamentaux sur lesquels nous
nous appuierons et la méthodologie de recueil de publicités (avec ses difficultés), nous pouvons
soumettre les documents de notre corpus à l’analyse sémiotique.
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Partie 2 | Derrière les signes, les stratégies discursives : la publicité à
l’épreuve de l’analyse sémiotique
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II. Derrière les signes, les stratégies discursives : la publicité à l’épreuve
de l’analyse sémiotique.
D
ans un souci de cohérence et de lisibilité, nous avons choisi de
regrouper les publicités de notre corpus par thème, c’est-à-dire en
fonction de la nature du produit ou du service dont il est question. Se
dégagent ainsi cinq thèmes : les publicités pour des services à caractère pornographique, les
publicités liées à l’univers de la mode (parfum et vêtements), les publicités axées autour du loisir
en général (nouvelles technologies et tourisme), les publicités promouvant des produits du bien
être (beauté du corps), et enfin les publicités pour les services financiers et les assurances. Cette
classification permet de faciliter les comparaisons entre les approches iconiques (dénotatif) et
iconographiques (connotatif) pour des publicités gravitant autour d’une même « thématique
produit ».
2.1 Les services à caractères pornographiques.
2.1.a Omos (document 1)
Cette publicité pour un service de messagerie rose à destination des homosexuels
masculins met en scène un seul personnage : un homme dont les traits physiques suggèrent la
jeunesse et qui ne semble pas s’inscrire dans un environnement bien précis.
C’est une des caractéristiques premières de cette publicité : l’importance de la
fonction phatique et de la fonction conative. Dans ce document, tout est fait pour attirer
l’attention du lecteur vers le regard du jeune homme et pour assurer une lisibilité des
informations textuelles. En effet, un des premiers procédés permettant d’attirer notre attention est
de décontextualiser le personnage : notre attention se porte nécessairement sur le jeune homme
puisque l’arrière plan se résume à un aplat blanc. Un autre procédé consiste à faire regarder le
jeune homme en direction du lecteur supposé : son regard est droit, il semble nous interpeller.
Notons que ce regard est mis en valeur par un contraste chromatique entre le bleu des yeux et les
teintes jaunes/orangées de la chair et du texte. De plus, le cadrage en plan rapproché nous invite
à nous concentrer davantage sur son visage que sur le reste de son corps. Pour assurer la lisibilité
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45
du texte, celui-ci est écrit en gros caractères (notamment le numéro de téléphone au bas de la
page) avec des polices plutôt grasses. La fonction conative se poursuit dans le texte avec la
présence de l’embrayeur44 « ta », qui formule une seconde interpellation (la première étant le
regard du jeune homme).
Se dégagent de la photographie des impressions de douceur : la texture la plus
présente est celle de la chair (le vivant occupe près de la moitié de la surface de la publicité, et on
devine la douceur de la peau du visage du jeune homme rasé), les tonalités de l’image sont, nous
l’avons dit, jaunes/orangées, et les contours du corps du jeune homme sont flous. Nous n’avons
cependant pas à faire avec une douceur féminine : le jeune homme n’a pas un visage androgyne
et ses cheveux sont plutôt courts malgré quelques mèches longues sur le devant. La masculinité
est également renforcée par les signes linguistiques : « l’esprit mec », « fil gay », et « Omos »
(/Omos/ se prononçant comme /homo/).
Parallèlement plusieurs indices plastiques et iconiques contribuent à créer une
sensation de fraîcheur : le signifiant /reflets spéculaires sur les cheveux/ a pour signifié
« cheveux mouillés ». Les yeux bleus du jeune homme sont également un autre indices pouvant
suggérer une certaine fraîcheur qui elle-même serait à relier avec la jeunesse du personnage.
S’agit-il pour autant d’une représentation d’une jeunesse candide ? Ce jeune homme, avec son
regard dirigé vers nous, ses rides d’expression et sa bouche entrouverte semble attendre quelque
chose…
N’oublions pas en effet qu’il s’agit d’un service à caractère pornographique : les
évocations sexuelles sont donc nombreuses. Nous ne rappellerons pas l’importance de la chair
dans cette publicité, mais il ne s’agit pas d’une nudité totale : le cadrage en plan rapproché nous
oblige à imaginer le reste du corps de ce jeune homme, et les colliers sont une accessoirisation
du corps, qui viennent couvrir son torse, très « légèrement » convenons-en ! Il s’agit d’un
procédé mettant en valeur le corps par un jeu de montré/caché (même faiblement).
44
L’embrayeur est un élément lexical qui a comme spécificité d’avoir des référents très différents et variables qui ne
sont fonction que de la situation de l’énonciation. Des mot comme « je », « aujourd’hui », « ton » sont donc des
embrayeurs. Le 18 avril 1981 Lucie dit « mon fils est né aujourd’hui » et le 16 décembre 2003 Ludwig dit « mon fils
est né aujourd’hui » : les mots « mon » et « aujourd’hui » ne se comprennent que par rapport à la situation
d’énonciation.
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46
Ensuite, une soumission sexuelle est clairement évoquée, soumission qui se
dégage dans un premier temps de l’angle de prise de vue en plongée qui tend à inférioriser le
protagoniste tout en valorisant « le regardant », ici le lecteur. D’autre part, le jeune homme
semble se pencher puisque les colliers qu’il a autour du cou ne touchent pas son torse. Enfin, le
personnage apparaît comme un homme encore jeune et (faussement) innocent qui peut
facilement tomber dans le péché…
Au niveaux des signes linguistiques, on notera que si le texte n’indique pas
clairement des rapports sexuels, il fait en tout cas nettement référence à l’homosexualité :
« esprit mec », « fil gay », « omos »…Les éléments textuels ont également pour objectif de
souligner l’efficacité du service : malgré un éclatement spatial de l’information, celle-ci est
extrêmement concise, il y a une accumulation de chiffres (notamment de numéros de téléphone),
l’utilisation du symbole « + ». Le service proposé est présenté comme la messagerie ultime par
l’hyperbole « tous les mecs » et l’utilisation de l’article défini « le » dans « le fil gay » et
« l’esprit mec ».
Ainsi, en constituant le jeune homme à la gauche de la publicité comme un objet
de désir, la publicité donne « la solution » au lecteur pour assouvir son désir grâce au texte à
droite.
2.1.b Girl’s line (document 2)
Il s’agit d’une publicité pour un service de messagerie rose dédié aux
homosexuelles. La mis en scène est rudimentaire puisqu’il n’y a qu’un personnage féminin
relativement jeune dans un décor quasi inexistant, en tout cas qui n’est pas identifiable, puisque
la femme, en sous-vêtement, semble être à quatre pattes sur un sol uniforme violet.
L’importance de la fonction phatique est évidente : l’abstraction du décor permet
d’attirer notre regard sur le corps de la femme, corps mis en valeur par le violet saturé du sol qui
produit un contraste chromatique fort, et par l’éclairage prononcé venant de la partie gauche de
la publicité. La surface plate du sol permet de créer un contraste plat/modelé avec les formes du
corps féminin. Les éléments textuels, en polices grasses, s’inscrivent dans un même souci de
lisibilité car ils sont inclus dans des encarts noirs ou orange. La diagonale tracée par le corps de
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la femme incite notre regard à se diriger vers le numéro de téléphone donnant accès au service de
la messagerie Girl’s Line.
Les connotations sexuelles sont également bien présentes étant donnée la nature
du service promu… Ainsi, plusieurs indices convergent vers les notions de chaleur et de
sexualité. La soumission sexuelle s’exprime d’une part par l’angle de prise de vue en plongée qui
infériorise la femme, et d’autre part par la position à quatre pattes du personnage qui laisse
dévoiler son dos. Or, un personnage de dos sera associé à la faiblesse et la lâcheté tandis qu’on
associera à un personnage de face du courage, une force d’action. D’autant plus qu’ici, le
personnage féminin n’est presque pas habillé, exposant par conséquent une grande partie de son
corps aux yeux de la lectrice.
La saturation des couleurs ainsi que l’éclairage assez intense ne suggèrent en rien
un univers empreint d’une douceur féminine. Même si les ombres diffuses peuvent renvoyer à
une forme de douceur, la sexualité envisagée ici est une sexualité intense, voire masculine : les
lignes de composition sont plutôt rectilignes et la poitrine de la femme n’est pas très visible. De
plus, il faut savoir que culturellement, le violet est une couleur symbolisant l’ambiguïté, et
particulièrement l’ambiguïté sexuelle. : d’un point de vue graphique, le violet est issu du
mélange de bleu (couleur associée à l’homme) et de rouge (couleur associée à la femme).
Pourtant, le personnage féminin n’est pas androgyne, sa féminité reste perceptible grâce à ses
lèvres maquillées, ses cheveux assez longs, etc.
Au niveau des informations textuelles, notons tout d’abord le vouvoiement avec
« testez », qui contraste avec le tutoiement par le regard de la femme. Peut-être que ce
vouvoiement n’est pas un vouvoiement de politesse mais un vouvoiement se référant à
l’ensemble des homosexuelles. Pour souligner les connotations sexuelles précédemment
dégagées, remarquons la phrase «testez l’aventure » qui renvoie directement à l’attitude du
personnage féminin. Enfin, notons que les éléments linguistiques instaurent une certaine
complicité similaire à celle qui s’établit grâce au regard dirigé vers nous de la femme : on a dans
le texte « fille à fille » et « code 4111 », l’évocation d’un rapport privé et presque exclusif entre
deux femmes.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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2.1.c Synthèse
On a vu avec ces deux publicités l’importance du corps, qu’il soit masculin ou
féminin, élément qui paraît tout à fait légitime étant donnée la nature des services vantés par ce
genre de publicités. Il y a mise en valeur de la personne et de sa « presque-nudité » : les
personnages sont rarement entièrement nus, un accessoire ou un vêtement léger couvrant une
petite surface de leur peau, le jeu du cadrage et du hors champ qui laisse libre cours à
l’imagination du lecteur, l’éclairage peut révéler des formes tout comme l’ « effet mouillé » sur
les cheveux ou sur le corps pour évoquer le désir sexuel ou pour souligner les muscles d’un
homme par exemple. Autre constante : l’importance de la fonction phatique, par un
dépouillement de la mise en scène, et de la fonction conative soit par des embrayeurs, soit par
l’interpellation du regard du personnage de la publicité que l’on pourrait nommer « tutoiement
visuel ». Lorsque le personnage d’une publicité regarde en direction de l’objectif, en direction du
lecteur, nous avons à faire comme l’explique George Péninou à « une publicité à la première
personne45 ». Cela place comme objet de désir autant le personnage de la publicité que celui qui
regarde la publicité. Parallèlement, la fonction poétique est très peu présente. Enfin, au niveau du
texte, nous remarquerons l’absence de phrases longues, l’importance du tutoiement ou du
vouvoiement, ainsi que la nécessité contradictoire de mentionner à la fois un réseau, un
« catalogue » humain fourni et une sorte d’exclusivité relationnelle déjà suggérée par le
« tutoiement visuel ».
2.2 Les produits de la mode : habits et parfums.
2.2.a Fragile (document 3)
Ce document publicitaire illustre le goût pour l’ambiguïté de Jean-Paul Gaultier,
puisqu’il mêle à un thème religieux les plaisirs charnels et notamment homosexuels.
Cette image fait appel à plusieurs références culturelles ; cependant, des indices
communs provoquent chez nous la reconnaissance de la scène comme une scène attrayant au
mystique, à la religion : la Déposition de Croix. Les codes kinésiques vont dans le sens d’une
45
PENINOU, 1972, p.64.
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interprétation religieuse : les trois hommes ont l’air compatissants et soutiennent une femme qui
apparaît à moitié inconsciente. Comme dans les tableaux religieux, nous avons des procédés de
l’ordre du pathétique, c'est-à-dire d’une exagération ou du moins d’un renforcement de
l’expression (yeux mi-clos, bouche entrouverte…), des traits, des postures, qui dramatise la
scène. Un autre processus de dramatisation religieuse réside dans les oppositions manichéennes :
/blanc/ vs /noir/, /blond/ vs /brun/, /homme/ vs /femme/… Quant à la Déposition de Croix, elle
est suggérée par le message plastique et plus particulièrement la composition de l’image qui est
en déséquilibre : le corps de la femme trace une diagonale, et un découpage en tiers de l’image
souligne que le poids graphique se situe dans le tiers inférieur droit. On peut donc supposer que
la publicité met en scène le thème religieux de la Déposition de Croix, et on identifierait ainsi la
femme comme étant une femme-Christ : elle a des traits masculins comme le montrent les
signifiants /sourcils épais et noirs/, /ossature saillante/, /poitrine cachée/, etc. Elle semble vidée
de son sang, comme le Christ à la déposition de Croix. Cette femme pouvant incarner le Christ,
on peut identifier le personnage en bas à droite comme étant Marie Madeleine : cette dernière,
dans les tableaux religieux, est représentée avec des cheveux longs, blonds et bouclés…ce qui se
retrouve chez le personnage de notre publicité. Ensuite, il tient le pied de la femme-Christ et la
bouteille de parfum est située près de lui : or, on sait que Marie Madeleine est souvent
représentée avec un pot d’onguent à ses côtés car elle aurait lavé, séché et oint les pieds du Christ
avec ses cheveux. Le personnage situé au plus près de la tête de la femme peut être identifié
comme Jean. Ce dernier est appelé «le disciple que Jésus aimait» ; il était extrêmement lié au
Christ. Il est souvent représenté en personnage imberbe dans la Bible, comme ici, et c’était le
seul apôtre présent à la crucifixion du Christ. Enfin, le personnage à la droite de la femme-christ
serait La Vierge Marie. En effet, dans les tableaux religieux, la Vierge est souvent représentée à
la droite de son fils comme ici.
Jean-Paul Gaultier propose donc une mise en scène originale de la Déposition de
croix notamment en inversant le genre des personnages, en les actualisant, etc. Ce thème
religieux permet d’évoquer un monde mêlant la mort, la fragilité et le rêve. Effectivement, la
représentation du Christ, le corps blanc et sans reflet de la femme-Christ opposé aux corps hâlés
et luisants des hommes, la dominante noire (culturellement associée au deuil), etc. tout cela
converge vers des connotations de mort. On pourrait donc trouver cette publicité morbide et
donnant finalement une image négative du produit. Cependant, ici, la mort n’est pas évoquée de
façon directe : on ne voit pas de sang, pas de blessure, les yeux de la femme sont même à moitié
ouverts. Il s’agit donc plus de fragilité, ce qui n’est pas étonnant puisque cela renvoie au nom du
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parfum promu. Parallèlement à ces connotations de fragilité se superposent des connotations de
sommeil et de rêve : le signifiant plastique /noir/, le drap recouvrant une partie du corps de la
femme et les yeux mi-clos de celle-ci peuvent renvoyer à l’univers de la nuit, du sommeil : la
femme serait en train de s’assoupir ou de se réveiller. Cette interprétation pourrait nous amener à
identifier les personnages qui entourent la femme comme des incubes, c’est-à-dire des démons
masculins qui abusent des femmes pendant leur sommeil. Ces personnages portent en effet
plusieurs signes connotant la bestialité ; ils sont torses nus, ils ont les cheveux longs, ils semblent
sortir des ténèbres pour capturer la femme. Ceci nous amène à un autre axe de lecture important :
dans cette publicité, la fragilité côtoie les plaisirs charnels, l’érotisme et l’homosexualité.
La publicité est clairement une évocation d’un rapport sexuel, l’expression des
hommes notamment de Jean pouvant relever autant de la compassion que d’une prise de plaisir
certaine : la pâleur du personnage féminin symboliserait alors « la petite mort », c’est-à-dire la
jouissance. Nous assisterions donc ici à ce qui pourrait être une orgie sexuelle, un plaisir
collectif. Ensuite, la femme pourrait évoquer la tubéreuse, plante qui compose le parfum
Fragile : comme la fleur, la femme est blanche, grande, élancée, et elle semble attirer
irrésistiblement par son odeur les personnages masculins qui la reniflent et qui cèdent à ce péché.
Une autre manifestation de l’ambivalence humaine transparaît avec l’identité
sexuelle des personnages qui n’est pas forcément évidente : il peut y avoir confusion entre
masculinité et féminité, et la publicité peut donc évoquer des relations homosexuelles : d’homme
à hommes (uranisme) et de femme à femmes (saphisme) ce qui n’est pas étonnant pour du JeanPaul Gaultier… Uranisme tout d’abord grâce à la masculinisation de la femme via le Christ. En
effet, il y a une réelle volonté d’évoquer un homme à travers cette femme aux traits prononcés,
aux mains anguleuses et sans vernis, aux cheveux mi-longs et au visage carré. D’autant plus que
ce personnage trace deux triangles pointe en haut, c’est-à-dire des symboles de masculinité.
Ensuite, celle-ci est privée de ces attributs féminins puisque un tissu noir recouvre de façon peu
naturelle ses seins, attributs quasi ultimes de la femme. Il peut y avoir uranisme car la femme est
masculinisée. Mais il peut s’agir aussi de saphisme, parce qu’ici la figure centrale reste malgré
tout une femme. Or, elle s’adonne à des plaisirs charnels avec des hommes qui ne sont pas des
symboles de virilité absolue, des hommes légèrement féminisés et dans leur physique et dans
leur attitude. Dans leur physique tout d’abord, car ils ont des cheveux plutôt longs pour des
hommes et des traits assez fins. Dans leur attitude ensuite car ces hommes sont associés à la
peine, aux sentiments alors qu’il s’agit d’un trait normalement féminin : la raison est en effet
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masculine alors que l’émotion est féminine. Il peut donc s’agir de relations saphiques, les
hommes entourant la femme étant féminisés. Cette ambivalence sexuelle vient de l’androgynie
des personnages, procédé courant dans les publicités liées à l’univers de la mode, du parfum,
mais aussi dans l’art (l’art dit décadent avait fait de l’androgynie un de ses thèmes de
prédilection).
Enfin, même s’il y a confusion des genres, la femme paraît ici dominatrice : elle a
un regard assumé vers nous (ce qui montre qu’elle s’exclut volontairement de la scène, de la
diégèse, et qu’elle a donc un certain recul, une certaine maîtrise de la situation), elle est
graphiquement dans une position supérieure aux hommes, son cœur est caché par un morceau de
drap noir (elle n’éprouve donc pas de sentiment à l’inverse des hommes), les hommes sont
associés à la bestialité (torses nus, cheveux longs) alors qu’elle semble distinguée (rouge à lèvre,
blancheur, etc.)…
JPG s’approprie le thème religieux, très porteur d’ambiguïté et qui permet des
interprétations contradictoires. Il utilise des personnages troubles comme le Christ, qui peut
connoter l’homosexualité, tout cela pour affirmer sa propre ambiguïté. On voit en tout cas dans
cette publicité le goût de JPG pour la confusion des genres et des valeurs, car ici, où il y a
référence à la religion via la Déposition de Croix, on ne sait plus très bien où est le bien et où est
le mal, et on pourrait se demander si finalement, pour Jean-Paul Gaultier, le bien ne serait pas
dans le mâle…
2.2.b Energy (document 4)
Univers fantastique, force, virilité, libération, jouissance, préciosité… autant de
substantifs pouvant définir les multiples connotations que les signes iconiques et plastiques
semblent proposer.
Ce document publicitaire nous immerge dans ce qui pourrait être un univers aux
frontières du fantastique : il est en effet difficile de situer la scène, le décor étant plongé dans
l’obscurité. Nous distinguons néanmoins dans ce qui d’un point de vue plastique est un clairobscur au sens donné par Johan Ittens46, certaines formes et textures (pierre, cailloux) qui
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Johan Ittens a défini sept contrastes dont le contraste de clair-obscur qui consiste à pouvoir distinguer des détails
dans une surface très sombre ou au contraire très lumineuse.
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peuvent évoquer une grotte, un environnement sous terrain. Cette idée est confirmée par le rayon
lumineux qui provient du coin supérieur gauche de l’image : en hors champ se trouverait le
monde extérieur. Cette source lumineuse avec des rayons bien définis participe doublement à cet
effet d’univers fantastique. En créant un effet de clair-obscur tout d’abord, mais aussi est surtout
parce que de par sa position, cette source lumineuse fait référence à la lumière divine, à Dieu.
Effectivement, il faut savoir que culturellement, une lumière provenant de gauche et d’en haut
renvoie à Dieu le Père. L’aspect mystique et fantastique de la scène est également permis par une
série de particules rouges assez lumineuses qui peuvent conférer une certaine magie à l’action.
Dans ce décor fantastique évolue un personnage masculin dont la force virile est
clairement mise en exergue. Tout d’abord, l’obscurité du décor permet de faire ressortir le corps
musclé du personnage illuminé qui plus est par le rayon de lumière. Ce clair obscur, avec des
ombres plutôt dures, accentue la musculature du protagoniste, musculature également soulignée
par les reflets spéculaires intenses et par le liquide jaune et luisant qui recouvre une partie du
torse de l’homme. Nous avons dit, rappelons-le, que cette lumière est une lumière divine, ce qui
nous amène à penser que le personnage dispose d’une force, d’un pouvoir qui lui serait conféré
par Dieu, par la volonté divine. Ensuite, toujours d’un point de vue plastique, nous pouvons
signaler que selon le critère gestaltiste de continuité47, les particules rouges délimitent un
contour ovoïde et oblique qui permet de centrer l’attention du lecteur sur le personnage.
Cette puissance virile se retrouve également dans les lignes de composition qui
sont plutôt rectilignes. Il est d’ailleurs possible de repérer un triangle qui pointe en haut dans les
lignes de composition formées par la ligne de l’épée, la ligne allant de la main droite jusqu’à la
tête et la ligne allant de l’extrémité de l’épée jusqu’à la tête. Or, d’un point de vue symbolique,
un triangle pointant vers le haut est associé à la force masculine ; à l’inverse, un triangle pointant
vers le bas est symbole d’équilibre et de féminité. Signalons néanmoins la présence de courbes
grâce à la forme ronde et jaune et grâce aux particules rouges qui accordent, au même titre que
les éléments liquides, une certaine douceur et une certaine féminité à la force du personnage. Il
ne s’agit pas de brutalité sauvage. D’ailleurs, les particules rouges pourraient évoquer du sang,
mais leur luminosité et le fait que le seul « blessé » ait le sang jaune atténuent cette idée. Notons
que la marque promue est « Energy », ce qui, en un sens, est un autre élément connotant une
certaine force.
47
Le critère de continuité défini par les lois gestalitistes montre que la continuité d’un ensemble de points maintient
la direction de chacune de ses parti dans le sens exigé par celle de l’ensemble.
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Autre symbole de puissance : l’épée avec laquelle le personnage semble avoir
blessé la forme ronde et jaune qui n’est autre qu’un smiley. L’épée, par métonymie, renvoie au
combat, à la force guerrière, aux gladiateurs, etc. Ainsi, ce personnage, héroïsé, serait une sorte
de gladiateur des temps modernes, qui aurait vaincu…un smiley ! Quel drôle d’adversaire, non ?
Il est important de s’arrêter sur ce symbole, ou ce deuxième personnage, pourrait on dire, de la
publicité.
Cet item que le personnage tient de sa main gauche peut être identifié comme un
smiley : sa forme est ronde, sa couleur est jaune et par-dessus tout les traits noirs dessinent
schématiquement un visage…bref, il s’agit là de toutes les caractéristiques d’un smiley48, ce
symbole représentant de façon simpliste une humeur, une expression faciale. Ici, le smiley
semble adopter une expression de tristesse, de malheur, de mécontentement, cela étant signifié
par le trait curviligne représentant la bouche du smiley.
Cette expression de tristesse peut donner lieu à deux interprétations : ce
mécontentement serait lié au fait que le smiley a été vaincu par le personnage masculin. Sa
défaite serait donc à l’origine de ce mécontentement. Une autre interprétation peut être soumise :
il ne s’agirait pas d’une tristesse passagère liée à cette défaite ; au contraire, l’homme à l’épée ne
se serait pas battu contre un smiley originellement souriant, mais contre le smiley de la tristesse.
Ainsi, il serait question d’un combat contre la morosité, la tristesse, la mélancolie, etc.
D’autre part, le smiley n’a pas qu’un rôle de protagoniste, il revêt également un
aspect plus global, de l’ordre du symbole. En effet, il faut savoir que le smiley est un symbole
associé à la musique techno, à ses fêtes, mais aussi, dans une certaine mesure, à la communauté
homosexuelle. Il est en effet possible de voir sur les vitrines de certains bars et restaurants le
drapeau arc-en-ciel (symbole de l’homosexualité) avec un smiley, cela signifiant que
l’établissement est « gay-friendly », c’est-à-dire particulièrement ouvert à la population
homosexuelle. Ce smiley donne une touche humoristique à cette publicité : il y a un écart
stylistique et symbolique entre l’homme héroïsé, presque mythifié, nous l’avons vu, et le smiley,
item contemporain synonyme de légèreté, de familiarité, etc.
48
Smiley est un terme d’origine anglo-saxonne dont la racine « smile » signife « sourire ».
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Quoiqu’il en soit, cette publicité semble mettre en scène un combat contre la
tristesse, les conventions, combat dont l’issue procure un sentiment de libération et de
jouissance.
Un sentiment de libération tout d’abord : le personnage masculin sort de la
tristesse, des conventions, bref de ce qui est ici considéré comme maléfique et qui est représenté
graphiquement par la dominante noire, l’obscurité et l’espace clos de ce qui pourrait être une
grotte. Cet affranchissement, accentué par la dynamique créée par les particules rouges et par ce
qui pourrait être des bandelettes de cuir autour des poignets de l’homme, donnerait à ce dernier
accès au monde extérieur, à la lumière divine, lumière dans laquelle il semble baigner, comme
jouissant de sa nouvelle liberté.
Car il est bien question de jouissance dans cette publicité : des particules rouges
semblent éclabousser, l’homme s’enduit le corps du sang doré de son adversaire, suggérant par la
même occasion la sensualité du rapport entre le fer de l’épée, le liquide jaune et la chair moite.
L’homme se délecte de sa victoire, jouit du sang doré et visqueux qui dégouline de son visage,
de son épée et de son torse. D’ailleurs, l’expression de son visage, (yeux fermés, bouche ouverte
et souriante), évoquant le plaisir, l’extase, est mise en valeur par la bande tracée par la partie de
son torse qui n’est pas souillée par le liquide jaune.
Pour finir, ce document est empreint d’une certaine préciosité. La scène est
esthétisée par les procédés que nous avons mentionnés, la lumière divine porte cette idée de
grande valeur, tout comme le sang doré du smiley. Les traces de ce liquide visqueux sur le sol
provoquent des halos lumineux qui peuvent faire penser à de l’or, à des pépites de ce métal si
précieux. Ensuite, le Jean’S lui-même est précieux : nous pouvons repérer un motif brillant sur la
cuisse droite du personnage. Après tout, il ne faut pas oublier que cette publicité promeut une
marque de Jean’S, marque dont le logo (cercle rouge et flèche jaune) se retrouve graphiquement
avec les particules rouges qui forment un cercle, et avec la couleur jaune omniprésente et la ligne
brisée tracée par le corps de l’homme qui reprend la direction de la flèche du logo Enegry.
Par l’esthétisation du corps masculin, la mise en valeur d’une virilité et d’une
puissance adoucie par des éléments féminins, cette publicité joue sur des fantasmes érotiques qui
peuvent être associés à l’homosexualité, homosexualité qui se retrouve d’ailleurs dans la
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symbolique du smiley. Ces hypothèses sont légitimées par le fait que cette publicité a été publiée
dans le magazine Têtu qui se définit comme le magazine « des gays et des lesbiennes ».
2.2.c Synthèse
Ces deux documents soulignent l’importance de la fonction poétique dans les
publicités pour des produits de mode : la mise en valeur du corps, constante, se fait dans un désir
d’esthétique, une érotisation par l’art, la lumière, les signes plastiques. Ces publicités comportent
très souvent des allusions à des références culturelles, à des mythes communs, et à l’ambiguïté,
ou l’ambivalence peut-être, de chaque être humain. Ces publicités jouent sur des thèmes
universels comme la libido, le couple Eros/Thanatos (vie/mort), etc. Il n’est donc pas rare de
repérer des signifiés contradictoires, l’héroïsation s’accompagne d’une certaine fragilité, les
frontières entre masculin et féminin sont volontairement floues. La publicité peut donc mettre en
scène des personnages androgynes, ou, au contraire, des personnages dont la masculinité ou la
féminité a été accentuée, permettant ainsi une forme d’ « homo-érotisme ». Pour reprendre les
termes de George Péninou49, ce genre de publicité insiste de façon quasi exclusive sur le
« message prédicatif » (vocation connotative) plutôt que sur « le message présentatif » (vocation
dénotative).
2.3 Les loisirs : jeux vidéo et voyages.
2.3.a Playstation 2 (document 5)
Les publicités pour les consoles de jeux vidéo Playstation de Sony sont réputées
pour leur humour décalé et leur impertinence. La publicité que nous allons analyser ne déroge
pas à la règle, puisque pour vanter le jeu en réseau permis par la Playstation 2, Sony n’hésite pas
à évoquer, entre autre, des rapports sexuels entre plusieurs hommes, et ceci de façon
humoristique, ou du moins supposée humoristique.
Un des premiers thèmes qui ressort de cette publicité est l’idée de jeu. Sony a
choisi d’illustrer cela par l’intégration dans l’espace publicitaire d’une photographie
49
PENINOU, 1972, p.70.
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monochromatique occupant plus de la moitié du document, et représentant ce qui semblerait être
des rugbymen : en observant les codes vestimentaires, on détecte des chaussures à crampons, des
chaussettes montantes, des shorts, des maillots raillés (caractéristiques des maillots de rugby) un
dossard portant le numéro troid..bref l’uniforme parfait du rugbyman modèle. L’analyse des
codes kinésiques confirment cela : nous assisterions à une mêlée étant donnée la posture penchée
des sportifs et leur nombre (on devine au moins quatre rugbymen). Des signes linguistiques font
référence plus ou moins explicitement à l’univers du jeu : le logotype Playstation 2 sera identifié
comme une référence à l’univers vidéo-ludique par le lecteur connaisseur, et certains termes
comme « jeu en réseau » ou « pour jouer en réseau » sont des éléments explicites. Si l’aspect
sépia de la photographique peut renvoyer au passé, à la désuétude, des éléments graphiques
comme l’encart violet biseauté dans lequel s’inscrit la mention « Playstation 2, jeu en réseau »,
les aplats blancs eux aussi biseautés, etc. suggèrent une certaine modernité. Outre cela, un
ensemble d’indices textuels comme « réseau, Internet, Playstation, pack eXtense de Wanadoo,
www.playstation.fr » ancrent définitivement cet univers ludique dans la modernité des nouvelles
technologies.
L’autre thème majeur est bien entendu le thème du réseau, puisqu’il s’agit d’une
publicité vantant les capacités de jeu en réseau de la Playstation 2. Ainsi, la représentation d’un
sport collectif comme le rugby est un premier procédé pour suggérer l’idée de réseau : utiliser
une photographie d’un sport collectif, c’est sous-entendre les notions d’équipe, d’adversaires, de
stratégies communes, etc. Le choix d’un sport collectif n’est donc pas innocent. D’autant plus
que nous assistons à un moment particulier d’un match de rugby : une mêlée. Le terme « mêlée »
est un écho explicite au jeu en réseau. Les signes plastiques participent à l’évocation d’un réseau.
Premièrement, la photographie ne prend pas toute la surface de la publicité : elle est coupée en
haut et en bas par des aplats blancs. De ce fait, cela contribue à l’impression d’entassement d’un
grand nombre de rugbymen dans un espace photographique limité. Il y a un effet de saturation de
l’espace : on ne perçoit ni le ciel, ni la terre, tout paraît bouché, bloqué par la masse humaine.
Nous avons à faire en effet à une masse humaine, à des membres qui s’entremêlent, à des
éléments reliés, connectés, fusionnés, et non des corps solitaires isolés. Pour finir sur cette notion
de réseau, notons le logotype dans l’encart violet (symbole de l’infini qui graphiquement renvoie
à l’idée de liaison) ainsi que l’indice textuel « plusieurs ». Comme le dit le texte publicitaire, cela
serait meilleur à plusieurs…Mais savons nous avec certitudes ce à quoi renvoie ce « c’est » ? Ne
pourrions-nous pas y voir une allusion à des rapports homosexuels ?
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La phrase « c’est meilleur à plusieurs » est particulièrement polysémique, nous
amenant à nous interroger sur ce « c’ ». Une première lecture nous conduirait à affirmer que cela
fait référence au jeu en réseau permis par la Playstation 2. Mais une deuxième lecture nous
inciterait à considérer ce « c’ » comme une allusion à la sexualité, éternel tabou dont on ne cesse
de parler mais dont il faudrait taire le nom. Il serait alors question d’une invitation à une orgie
sexuelle…
Certes il s’agirait d’une sorte de dicton, de proverbe sur la jouissance que
permettraient des relations sexuelles à plusieurs. Néanmoins, dans cette publicité, il y a la
volonté de faire un parallèle humoristique, et pas particulièrement érotique, entre ces relations
sexuelles à plusieurs et l’homosexualité. Les corps des hommes se frottent, se touchent, et une
forme humour est produite par le décalage entre la masculinité, la brutalité et la virilité du rugby
et la posture d’un des rugbymen. En effet, les cuisses des rugbymen sont musclées, un triangle
pointe en haut (symbole masculin) est formé par les jambes du personnage de gauche, on
suppose la brutalité d’une mêlée…en somme, une accumulation de signes connotant la
masculinité. Mais le rugbyman de gauche adopte une posture bien particulière : penché, il nous
présente son postérieur et ses parties génitales accentuées par l’étroitesse de son short. Il y a là
une référence explicite à l’homosexualité masculine. L’humour tient de la position de ce
rugbyman, une position qui renvoie à la faiblesse, la soumission et la lâcheté : nous l’avons dit,
un personnage de dos est considéré comme faible tandis qu’un personnage de face est considéré
comme courageux. De plus, pour accentuer sa faiblesse, son ridicule, notons qu’un triangle
pointe en bas (symbole féminin) est tracé par ses fesses et ses parties génitales. La situation fait
donc rire parce que le rugbyman de gauche, malgré la virilité de ce sport, est vu comme
sexuellement passif et féminisé. Rajoutons que l’encart en haut de la publicité est violet, c’est-àdire la couleur symbolisant l’ambiguïté sexuelle.
En jouant avec les décalages modernité/ancien, virilité/passivité sexuelle, Sony se
dote encore une fois d’une publicité à l’humour décalé qui donne une image jeune au produit.
Cette stratégie correspond assez bien au lectorat de Computer Arts, magazine dans lequel est
parue la publicité, qui se compose en partie de jeunes autodidactes aficionados de jeux vidéo. De
plus, bien que tourné vers les arts numériques, ce magazine est très orienté vers la technique,
l’informatique, un milieu réputé masculin voire machiste, ce qui explique –sans pour autant
légitimer- que l’évocation de rapports homosexuels est ici envisagée sous un angle comique.
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2.3.b Olea (documents 6 et 6bis)
Les deux publicités pour le club de vacances gay et lesbien Oléa mettent
respectivement en scène un groupe d’hommes et un couple féminin.
Consacrons-nous tout d’abord à la version masculine. Cette publicité met donc en
scène un groupe de quatre hommes en maillot de bain, dont l’âge doit être compris entre vingtcinq et trente ans, dans un décor de plage : on distingue une texture de sable, les vagues de la
mer et, au loin, une île avec des palmiers.
Les signes plastiques et iconiques de la publicité jouent sur un mélange du
féminin et du masculin. Effectivement, le pôle masculin se voit représenté tout d’abord par la
présence de quatre hommes, mais aussi par le fait que la musculature de ceux-ci est
particulièrement mise en avant par un jeu de lumières, de reflets spéculaires qui dessinent les
muscles, mais aussi par la posture des protagonistes qui amène à une contraction de la masse
musculaire de tout le corps, visible étant donné que ces hommes ne portent qu’un maillot de bain
moulant. D’autre part, notons que ce groupe forme un triangle pointant vers le haut (symbole de
la masculinité) : la tête des personnages centraux indique la pointe du triangle, la base de celui-ci
étant tracée par les pieds des hommes et ses côtés étant matérialisés par la ligne virtuelle
indiquée par la position des jambes des hommes sur les côtés. Cette accumulation de signifiants
connotant la masculinité et l’analyse des codes proxémiques nous amènent à penser que cette
publicité est une mise en scène de ce qui est communément appelé « l’amitié masculine ». Nous
avons effectivement l’impression qu’il s’agit d’un groupe d’amis hommes, partis en vacances
grâce à Oléa.
Cette masculinité est atténuée par la présence d’éléments symboliquement
féminins : le liquide est très présent et la scène semble baigner dans une douce chaleur comme le
montrent les ombres particulièrement diffuses, presque imperceptibles. Ensuite, alors que les
hommes au centre forment des lignes de composition rectilignes (masculinité) les hommes sur
les côtés indiquent des lignes de composition curvilignes à cause de leur cambrure (féminité).
Cela apporte en même temps un certain équilibre à une image où se dégage une certaine
apesanteur atemporelle. Si nous pouvions apporter une légende supplémentaire à la publicité, ce
pourrait être « luxe, calme et volupté ».
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Le temps semble figé : les quatre hommes sont en train de sauter, mais il n’y a pas
de flou de filé pour insister sur le mouvement. Il y a donc une volonté d’arrêter le temps, un désir
d’apesanteur qui, couplé avec les ombres diffuses et l’utilisation du noir et blanc, évoque cette
idée de « luxe, calme et volupté », d’un épanouissement sans fin. Le fait que les hommes sautent
et lèvent un bras peut sous-entendre une fierté de la part des protagonistes. Parallèlement, on
peut retrouver certains éléments qui font état d’un désir de liberté : la photographie est à bords
perdus, trois des quatre hommes ont un bras levé, et tous ont le dos tourné, tous regardent vers
l’horizon, symbole d’un futur à atteindre…
Enfin, la sensualité de la chair, la mise en valeur des muscles, le mélange
masculin/féminin, l’arc-en-ciel de la marque Oléa et la mention textuelle « gay et lesbien »
indiquent clairement que tout cela gravite autour de l’homosexualité. Ce que nous voyions
comme une amitié masculine serait donc soit deux couples homosexuels, soit quatre
homosexuels célibataires. Leur bras levé alors pour être l’indice d’une fierté d’être homosexuels
et de former une communauté. Rappelons que cette publicité est parue dans le magazine gay et
lesbien Têtu.
Cette vision communautaire de l’homosexualité ne se poursuit pas dans la version
féminine de la publicité. Dans cette version, le cadre exotique et chaleureux de la plage est
conservé : il y a du sable, la mer, un couple de femmes en maillot de bain, et toujours cette
impression d’une chaleur agréable véhiculée par les ombres très diffuses. Le propos de la
publicité est cependant ici plus clair que dans son homologue masculin : les codes proxémiques
indiquent que ces deux jeunes femmes forment un couple homosexuel puisqu’elles s’enlacent, se
sentent, sont très proches l’une de l’autre, etc.
Tout comme dans la version masculine, le corps est mis en avant : le décor en
arrière plan reste sommaire et légèrement flou ce qui dirige notre regard vers les deux
personnages féminins qui prennent une grande surface de l’image publicitaire. Leur corps,
légèrement luisant, laisse dévoiler les formes courbes de la chair. Tout semble orienté vers la
notion de plaisir et de sensualité : les corps moites s’enlacent, la femme de gauche semble sentir
les cheveux longs et mouillés de sa compagne, ce couple repose sur la douceur du sable qui
s’apparente à un morceau de tissu. Le noir et blanc et la douceur des ombres convergent là aussi
vers l’idée de « luxe, calme et volupté ». La symbolique féminine, certes déjà évoquée par la
mer, les cheveux longs, l’éclairage doux, la poitrine dévoilée par le maillot de bain, est aussi
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présente par un triangle pointe en bas (symbole féminin) tracé par les jambes des deux femmes,
de leurs hanches jusqu’à leurs genoux.
A cette douceur chaude, sensuelle et féminine se superposent des éléments
masculins : le couple forme un triangle pointe en haut, de l’extrémité des pieds jusqu’à la tête
des deux femmes. De plus, la femme de droite a un tatouage tribal sur son épaule gauche, ce qui
est plus souvent associé à l’homme qu’à la femme.
2.3.c Synthèse
La publicité pour le jeu en réseau sur Playstation 2 et celle pour le club de
vacances Oléa ont en commun la mise en scène d’homosexuels masculins, en groupe,
entretenant une espèce d’amitié masculine : une équipe de rugbymen d’un côté, et un groupe
d’amis ou deux couples homosexuels de l’autre. Autre point commun : pour ces deux marques,
les personnages homosexuels ou supposés évoquer des rapports homosexuels, sont représentés
de dos. Néanmoins, l’objectif de cette représentation dans la publicité Playstation 2 n’est pas le
même que celui de la publicité Oléa puisqu’il s’agit d’un effet de comique en affaiblissant
symboliquement le rugbyman. Notons que la version féminine de la publicité Oléa considère
davantage l’homosexualité féminine comme une question de couple plutôt que d’une
« communauté lesbienne ».
2.4 Les produits de bien être et de beauté.
2.4.a No bacter (document 7)
La publicité pour No Bacter, un gel de rasage destiné aux hommes ayant une peau
sensible, s’articule autour de trois thématiques principales : la propreté, la douceur et la
satisfaction narcissique.
La scène qui nous est proposée semble se dérouler dans une salle de bain malgré
la décontextualisation partielle de l’environnement. En effet, la bande légèrement bleutée en bas
de page et le mimétisme de la posture de l’homme de gauche et de l’homme de droite suggèrent
qu’il s’agit d’un même homme se regardant dans un miroir. Néanmoins, il n’y a dans ce reflet
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aucun signe iconique nous permettant d’affirmer que l’action prend place dans une salle de bain :
seul le dégradé bleu ciel (couleur de l’eau) et l’activité de rasage mentionnée à deux reprises
dans le texte publicitaire laissent entendre que l’homme se trouve dans une salle d’eau. Le miroir
joue un rôle de synecdoque : on imagine qu’en bas de celui-ci se trouve un lavabo, un robinet,
etc.
Tout cela connote assez fortement la propreté : la salle de bain est un lieu
d’hygiène, la couleur bleue de l’image, accentuée parce qu’elle contraste avec la teinte
complémentaire orangée du visage de l’homme, est la couleur de l’eau, symbole de pureté. De
plus, le miroir est également une allusion à la propreté : il s’agit d’une surface polie, il n’y a
aucune trace ni salissure sur celui-ci ; d’ailleurs, lorsqu’un objet est particulièrement propre, on
dit que l’on pourrait se voir dedans. Ensuite, le texte publicitaire situé en bas de page mentionne
« anti-bactérien », le nom du produit est « No Bacter » (pas de bactérie) ce qui suppose une
hygiène parfaite de l’homme, et la référence à des experts indiquée par « recommandé par des
dermatologues et vendu par des pharmaciens » souligne l’efficacité reconnue du produit. Les
teintes bleues, orangées et blanches de l’image sont une évocation plastique de la bouteille de gel
No Bacter.
Cependant, il ne s’agit pas d’évoquer une propreté agressive : l’efficacité du
produit tient aussi au respect de la douceur et de la sensibilité de la peau. Tout converge vers
elle : le cadrage en gros plan sur le visage de l’homme fait que la texture de la chair occupe
presque trois-quarts de l’image, le visage est mis en valeur par la faible quantité de texte et le
contraste provoqué par l’environnement bleu, l’éclairage est plutôt diffus et les ombres douces.
Le bleu ciel de la publicité, en symbolisant l’eau, suggère que le gel No Bacter apaise la peau qui
pourrait être blessée par les feux du rasage. En somme, tout gravite autour de la peau, ce qui est
tout à fait logique puisque le produit promu est un gel de rasage. L’homme semble donc se
regarder dans le miroir, et il se touche les joues pour constater avec une certaine satisfaction la
douceur de son visage fraîchement rasé , douceur permise par le gel No Bacter. L’accroche « le
gel de rasage de ceux qu prennent leur peau en main », qui est un jeu de mot faisant référence à
ce que l’image publicitaire représente, évoque également l’idée de soin.
Plusieurs éléments nous conduisent vers le thème de la satisfaction narcissique.
L’homme paraît satisfait du gel de rasage No Bacter : il se regarde dans la glace en se caressant
le visage pour apprécier la douceur de sa peau, et un sourire semble s’esquisser. Cette mise en
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scène peut nous faire penser au personnage de Narcisse. L’homme semble être amoureux de son
reflet qui prend plus de la moitié de l’image : l’homme sourit, ses yeux sont brillants et donnent
l’impression que le protagoniste est hypnotisé par l’image qu’il renvoie, et la contre-plongée
accentue l’ego du personnage. Le bleu de la publicité associé au miroir est une allusion à l’eau
dans laquelle se noya Narcisse qui admirait son reflet…La fonction expressive est donc très bien
représentée : l’ego, le moi avant tout. Mais le fait qu’il n’y ait pas de limite graphique (mis à part
la barre oblique en bas de page) séparant l’homme qui se regarde de son reflet peut nous amener
à un autre axe de lecture : l’homosexualité.
L’absence de traces, de rayures sur le miroir crée une continuité entre l’homme et
son reflet ; c’est comme si l’homme, d’un regard amoureux, regardait un autre homme. Cette
hypothèse homosexuelle est tout d’abord permise par le fait que cette publicité est parue dans le
magazine gay Têtu, mais aussi et surtout par la morphologie du personnage : les traits de son
visage jeune sont fins, ses sourcils ne sont pas épais, il est parfaitement rasé, ce qui le prive de la
vilité symboliquement portée par le poil. Ensuite, il s’agit réellement d’un double, d’un autre soi,
ce qui renvoie à l’étymologie du mot « homosexuel », « homo » signifiant « le même ». De plus,
cet homme baigne dans un environnement assez féminin : l’eau évoquée par les teintes bleues, la
salle de bain, le triangle pointe en bas tracé par le côté droit de la main, etc. tout cela renvoie à la
femme. Mais l’homme reste prédominant : le rasage est une activité masculine (visant
paradoxalement à éliminer les poils, symboles de virilité), et la main forme un triangle pointe en
haut…
Nous avons donc avec cette publicité des allusions à la douceur et à la propreté,
mais aussi au narcissisme et à l’homosexualité masculine.
2.4.b Canderel (document 8)
Un des intérêts de ce document publicitaire est qu’il représente l’homosexualité
non pas grâce à une photographie, mais grâce à un dessin. Cela a son importance dans notre
analyse sémiotique : tout a du sens dans un dessin, à la différence d’une photographie où, malgré
la subjectivité du cadrage, de la lumière, etc. il y a toujours une part d’incontrôlable. On choisit
ce que l’on dessine, il y a un principe d’économie et de pertinence du trait. L’autre intérêt de
cette publicité, est que le texte y tient une place importante, non pas en termes graphiques mais
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en termes sémantiques : c’est grâce aux éléments textuels que Canderel évoque, non sans
humour, l’homosexualité.
Le dessin représente dans un style épuré un jeune homme en maillot de bain assis
sur une branche d’arbre. Le personnage prend appui sur la branche avec sa jambe gauche, et il
semble porter le pouce de sa main gauche sa bouche. Plusieurs signes convergent vers le thème
majeur de cette publicité : la légèreté. Rappelons que Canderel est une marque de sucrettes, un
substitut permettant de donner un goût sucré à ses plats mais avec beaucoup moins de calories
qu’avec du sucre classique.
Tout d’abord, d’un point de vue iconique, le dessin met en scène un jeune homme
qui tient en équilibre sur une branche, ce qui suppose une certaine légèreté. Sa position, son
équilibre est mis en avant par le fait que le personnage se situe dans la moitié supérieure de
l’image, et seule sa jambe droite tombe dans le vide graphique de la partie inférieure de la
publicité. Cette thématique se poursuit avec les signes plastiques de la publicité : la scène ne
s’inscrit pas dans un décor déterminé, seul un aplat blanc fait office d’arrière plan ce qui allège
visuellement la lecture de l’image. De plus, le dessin est, nous l’avons dit, épuré, il y a peu de
couleurs (brun, rouge, blanc, chair…), et le trait, par sa longueur et sa finesse rappelle les
techniques du maniérisme. La branche d’arbre est longue et fine, le jeune homme est grand,
élancé et mince…Ensuite, il y a un parti pris de ne donner que très peu de relief aux volumes :
tout semble plat, ce qui bien sûr renvoie à l’atout du Canderel Pocket promu ici. D’ailleurs, le
style général du dessin avec ses aplats fins de couleurs orangées reprend le style des motifs
présents sur la boîte de Canderel en bas à gauche.
Légèreté du style donc, mais aussi légèreté de l’ambiance : l’atmosphère est
aérienne, paisible. Cela est matérialisé par la posture décontractée du jeune homme, par le fait
qu’il soit torse nu, en maillot de bain. La branche d’arbre, seul élément de décor, évoque un
calme champêtre. La couleur brune, le rouge, la couleur chair suggèrent également une certaine
douceur agréable.
Ensuite, légèreté de la situation : le fait que le personnage, avec sa coupe au bol,
son corps imberbe et peu musclé soit dans un arbre, seul, en équilibre, avec le pouce près de la
bouche comme s’il allait le sucer évoque une jeunesse insouciante. Le triangle pointe en haut
tracé par sa jambe gauche évoque cependant une certaine force masculine.
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Ce jeune homme a en effet une certaine force de caractère comme semble
l’indiquer la réplique « - J’en avais assez qu’on me traite de gros pédé ». On lui associe
effectivement les embrayeurs « je » et « me », ce jeune homme étant le seul protagoniste de la
publicité. L’utilisation de l’imparfait « avais » indique qu’il y a eu une rupture, qu’il n’est plus le
même, il ne serait plus un « gros pédé ». Cette allusion explicite à l’homosexualité est ici
abordée avec humour. « Gros pédé », comme simplement « pédé » est considéré comme une
insulte. Ici, l’imparfait indique une rupture, un changement d’état. Or, ce changement ne
s’applique pas à « pédé » (on est homosexuel ou on ne l’est pas), mais à « gros ». Ainsi, le
personnage ne retient comme insulte que « gros », et par la même occasion affirme avec une
certaine désinvolture qu’il est « pédé ». Grâce à Canderel, il n’est plus gros mais il reste
« pédé ». L’homosexualité est aussi présente graphiquement avec la posture décontractée du
personnage, sa jeunesse, son corps dévoilé, et le fait qu’il semble sucer son pouce comme
lorsque l’on a du sucre dessus. Concluons en soulignant que dans cette publicité la fonction
poétique du langage est particulièrement importante. Tout d’abord avec la réplique « -j’ en avais
assez qu’on me traite de gros pédé », nous venons de le démontrer, mais aussi avec le jeu de mot
« en gros, il est plat », qui par le rapprochement de termes opposés crée une forme d’humour.
Canderel est parvenue avec cette publicité à détourner le sens d’une insulte
courante comme « gros pédé », et à baser son propos publicitaire sur une vision légère et
humoristique de l’homosexualité.
2.4.c Synthèse
Si les publicités No Bacter et Canderel ont à première vue peu de choses en
commun, ces documents montrent une vision narcissique et solitaire de l’homosexuel. Ces deux
personnages sont seuls et satisfaits de leur corps, la mise en avant du « moi » par la fonction
expressive est très importante. D’ailleurs, la théorie de l’homosexualité comme une forme
particulière de narcissisme est d’ailleurs assez répandue en psychologie. De plus, les
personnages des deux publicités sont représentés de la même manière : jeune, imberbe, avec des
traits fins. Néanmoins, si No Bacter joue sur la stratégie du reflet (que nous développerons plus
tard) pour évoquer l’homosexualité, Canderel opte pour mentionner explicitement le mot
« pédé » tout en inversant la valeur négative symbolique du mot pour apporter une touche
d’humour à la publicité.
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2.5 Les services financiers et assurances.
2.5.a Banque privée Fideuram Wargny (document 9)
Cette publicité pour la banque privée Fideuram Wargny allie des stratégies
sémiotiques inspirant la rigueur et la confiance et le thème de l’homosexualité.
Rigueur tout d’abord pour établir une relation de confiance avec le prospect, le
lecteur ou la lectrice homosexuel(le) pouvant être intéressé(e) par les services de la banque. Cette
publicité est parue en effet dans le mensuel Têtu, mais il n’est pas pour autant question de
séduire le (ou la) client(e) potentiel(le) avec l’exhibition de corps dénudés, ou tout autre forme
de représentation érotisante de l’homosexualité. La banque privée Fideuram Wargny mobilise
ainsi les attentes rationnelles du prospect. D’ailleurs, cela est mentionné clairement dans
l’accroche : « on place sa confiance avant de placer son argent ». De ce fait, une certaine
rigueur, gage de sérieux, est évoquée par la composition de la publicité : les éléments
photographiques prennent une place relativement limitée (moins de la moitié du document) par
rapport aux aplats de couleur mauve. De plus, l’agrégation de plusieurs carrés photographiques
trace des lignes de composition rectilignes qui répondent visuellement à l’encart en bas de page
où se trouve le logo (carré) et les coordonnées de la banque. A ces indices graphiques s’ajoutent
des
signes
linguistiques
comme
« besoin »,
« solutions »,
« placements »,
« gérer »,
« patrimoine », « manquements légaux », « succession », qui sont des termes validant l’expertise
de la banque Fideuram Wargny. Ces termes font partie d’un jargon bancaire que semble
maîtriser la banque privée.
Rigueur ne veut pas dire pour autant austérité ! La banque Fideuram Wargny
réconcilie le milieu bancaire et la sympathie, notions parfois considérées comme antinomiques
par nombre de personnes. Graphiquement, cela se retranscrit par l’usage d’ un contraste de
couleur en soi grâce à la variation des couleurs teintant les photographies monochromatiques. En
effet, ces éléments photographiques sont de couleurs différentes : bleu, rose, jaune, vert,
orange…bref une diversité de couleur qui crée une excitation visuelle symbolisant la joie de
vivre. D’ailleurs, dans la continuité de cette idée, soulignons que ces photographies cadrent en
gros plan les visages d’hommes et de femmes, en couple pour la plupart, qui regardent vers nous
avec un sourire épanoui (sauf pour un couple en bas à droite). Ce regard frontal, ressort de la
fonction conative, interpelle le lecteur et la lectrice et donne un effet de réel, un effet de
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témoignage : ils nous regardent droit dans les yeux, leur sourire symbolisant leur satisfaction
d’être à la banque Fideuram Wargny ne peut donc pas nous mentir. De plus, cet effet de réel est
accentué par le fait que ces photographies ne sont pas esthétisées, elle s’apparente à de simples
photographies d’identité… Intégrer des photographies d’hommes et de femmes nous regardant,
en couple ou non, a pour but d’instaurer un climat de confiance dans une relation directe et
franche. Linguistiquement parlant, cette confiance est évoquée par des mots comme
« interlocuteur », « comprenne », « vous aide », « conseiller », etc. et par le mot « confiance »
dans l’accroche « Parce que l’on place sa confiance avant de placer son argent ». Notons que
cette accroche, assez classique pour ce genre de publicité, joue sur un procédé rhétorique qui
suggère une relation directe avec le lecteur : cette accroche, en commençant par « parce que »
s’apparente à une réponse faite à une question implicite qui pourrait provenir du lecteur qui
pourrait se demander « pourquoi choisir la banque privée Fideuram Wargny ? ». Ensuite, notons
la présence importante d’embrayeurs « vous », « vos », « votre », etc. qui appellent le lecteur ou
la lectrice et créent ainsi une relation entre la banque et le prospect.
Mais le capital sympathie de la banque est accru par le fait qu’elle semble
proposer des services particuliers à la population homosexuelle. L’homosexualité est en effet
présente graphiquement : une analyse proxémique nous amène rapidement à affirmer que les
photographies représentent des personnes homosexuelles, en couple ou célibataires. La variation
de teinte des photographies est également une allusion symbolique au Rainbow Flag, symbole de
l’homosexualité. De plus, tout semble évoquer le respect des diversités de chacun par la banque :
homosexuels célibataires, ou en couple, quels que soient leur âge ou leur origine, l’individualité
de chacun est respectée par la banque privée. Cela est suggéré par la diversité des teintes des
photographies. Néanmoins, cela n’empêche pas une certaine solidarité entre ces personnes
homosexuelles : ces photographies, en étant collées les unes aux autres, forment un seul élément
photographique occupant un peu moins de la moitié de la publicité. La notion de groupe
homosexuel est donc sous entendu. Enfin, le pavé de texte mentionne des éléments faisant partie
intégrante de la vie homosexuelle comme la phrase « célibat, union libre, PACS,
homoparentalité… » ou encore « votre conseiller vous aidera aussi à parer les manquements
légaux en matière de succession ». Cependant, cela n’empêche pas une relation directe avec son
banquier, une relation individuelle et adaptée comme cela est évoqué par les termes « chaque
cas », « différent », « votre situation », «vos choix », etc.
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La banque privée Fideuram Wargny parvient donc à instaurer un climat de
confiance en jouant sur son sérieux, sa rigueur, et sa capacité à gérer les particularités des
situations de chaque homosexuel(le).
2.5.b Sofinco (document 10)
Ce document publicitaire pour le service de prêt à la consommation Sofinco, joue
sur les thèmes de la rigueur bancaire tout en mettant en scène ce qui semble être l’image de
l’homme moderne dans un environnement emprunt de douceur et de sensualité.
Comme dans la majorité des publicités vantant des services bancaires ou
financiers, plusieurs signes plastiques, iconiques et linguistiques instaurent un climat de
confiance inspirant rigueur et sérieux. Sans pour autant délaisser les désirs irrationnels, cette
publicité ne déroge pas à la règle et tente ainsi de convaincre le client potentiel par des
arguments (apparemment) rationnels. Cela se remarque tout d’abord par la présence importante
des informations textuelles qui s’organisent en encarts et chevauchent même la photographie. En
effet, nous pouvons signaler une série de sept noms communs en haut à droite (déco, nouvelles
technologies, design…), un bandeau comprenant l’accroche « me faire plaisir maintenant », un
encart promotionnel « commencer à rembourser dans 3 mois », un encart avec un numéro de
téléphone pour obtenir des informations supplémentaires, un pavé textuel comprenant une suite
de renseignements importants et un exemple de prêt, un pavé en petits caractères pour les
mentions légales, et enfin le logo « Sofinco » avec son slogan « construisons vos rêves ». De
plus, une grande partie de ces informations sont composées de chiffres (pourcentages, sommes,
dates, numéro de téléphone, mensualités, etc.) ce qui tend à conférer une certaine crédibilité aux
propos de la publicité. Le pavé en bas à droite, avec ses puces, suggère que tout est énoncé
clairement et que le client peut avoir confiance. D’ailleurs, comme dans une démonstration
scientifique, nous avons un exemple encadré d’un liseré rouge qui illustre l’idée selon laquelle
tout nous est dit clairement. Les lignes de compositions tracées par les encarts, le cadre et les
carreaux de la fenêtre, sont droites, ce qui véhicule une certaine rigueur.
Parallèlement à cet argument de rigueur supposé inspirer la confiance, la publicité
Sofinco ne se prive pas de faire appel à des désirs plus irrationnels notamment par l’accroche
« me faire plaisir maintenant »et par l’élément photographique qui occupe un peu plus de la
moitié de la surface du document. Or si culturellement le texte sollicite davantage la raison,
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l’image, elle, permet de susciter l’éveil des émotions irrationnelles. Ici, la combinaison du texte
et de l’image permet de mettre en scène un homme « moderne » dans une atmosphère de
douceur, de légèreté et de sensualité. Le thème de la masculinité est d’abord évoqué par la
texture métallique du ventilateur, par le triangle pointe en haut tracé par la chemise de l’homme,
et par la physionomie de ce dernier avec sa légère barbe et ses muscles mis en valeur par des
reflets spéculaires diffus.
Néanmoins, ce personnage masculin baigne dans une atmosphère douce et légère.
Cela est véhiculé par le tissu fin de la chemise, le ventilateur, la luminosité générale, la
dominante orangée, la texture de la chair, les ombres diffuses, etc. Le ventilateur, en plus de
suggérer un souffle agréable, trace des ellipses faisant écho à la douceur féminine qui contraste
avec l’aspect rectiligne du cadre et des carreaux de la fenêtre. Cette publicité représente une
scène quotidienne d’un homme s’habillant, ou se déshabillant, dans un décor intérieur. Cela
ajoute une dimension de confort, tout comme la tenue décontractée du personnage (chemise très
fine et pantalon blanc en tissu léger). Ce bien-être serait permis par les services de prêt Sofinco,
puisque dans la liste des possibilités de « plaisirs », les mots « design » et « équipement » sont
particulièrement mis en avant de par la taille importante des caractères. Enfin, l’idée de confort
se poursuit avec les éléments symbolisant la nature comme la cadre boisé de la fenêtre, la
couleur verte en bas de la fenêtre, ou encore le fait que l’homme ne soit pas rasé. Il est
visiblement chez lui et agit par conséquent comme il l’entend. Cette liberté, qui serait elle aussi
permise par Sofinco, est évoquée dans le texte publicitaire avec des mots comme « maintenant »,
« vous choisissez », « si vous le souhaitez », « en toute liberté », « sans changer de banque »,
« sans justification à donner ».
Ensuite, le protagoniste pourrait être une représentation d’un homme moderne
idéal : masculin mais doux, assez jeune, décontracté, naturel mais sensible à ce qui relève du
design, de l’équipement, de la déco, des nouvelles technologies, etc. En effet, la série de sept
noms communs en haut à droite participe à la définition du personnage. On suppose qu’il a du
goût puisqu’il aimerait la « déco » et le « design », qu’il est cultivé car aimant les « spectacles »,
etc. Néanmoins, cette définition du personnage fait de cet homme une sorte d’idéal homosexuel,
et il y a d’ailleurs un jeu sur la sensualité de la scène.
Effectivement, les mots « déco, nouvelles technologies, mode, équipement,
spectacle, voyage » caractérisent souvent la façon dont les entreprises se représentent les champs
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d’intérêts de la population homosexuelle. De plus, l’ambiance douce que nous avons évoquée
contribue à la sensualité du personnage masculin, presque torse nu. Car on ne sait pas en fin de
compte si le personnage est en train de s’habiller ou, au contraire, d’ôter sa chemise pour sentir
sur son torse le souffle du ventilateur… Il y a une réelle ambiguïté accentuée par la phrase « me
faire plaisir maintenant ». Outre le fait qu’elle mentionne explicitement le « plaisir », cette
accroche joue sur l’embrayeur « me ». Qui prononce cette phrase ? L’homme en chemise
orange ? Est-ce une formulation rhétorique qui permet à la publicité d’énoncer ce que le lecteur
pourrait penser ? Dans ce cas, quel serait l’objet de plaisir ? Un des domaines mentionnés en
haut à droite, ou l’homme dont on peut supposer qu’il se déshabille ? Cette hypothèse est
confortée par le fait que cette publicité est parue dans le magazine Têtu : le lectorat, homosexuel,
pourra donc s’approprier l’image publicitaire, et l’envisager sous l’angle de la sensualité
homosexuelle. La situation de communication de ce document est donc particulièrement
importante. Publiée dans un magazine féminin, cette publicité pourrait ne pas être ambiguë : le
personnage masculin serait l’idéal masculin pour une femme, même si le fait que celui-ci ne soit
que le seul protagoniste empêche une identification à cet homme qui semble profiter du prêt à la
consommation Sofinco.
2.5.c
Maif (document 11)
L’assurance MAIF, se dote d’une publicité originale qui, par un jeu d’inversion
des normes parvient à cibler de manière subtile la population homosexuelle. En effet, cette
publicité est constituée du logo de la MAIF et d’une photographie représentant une affiche où on
peut lire, entre autre, le texte « couples hétérosexuels, la MAIF vous assure aussi ».
La MAIF affirme tout d’abord le sérieux et la qualité de ses services en incluant
plusieurs indices évoquant une certaine rigueur : le document publicitaire ne se compose
quasiment que de texte, les lignes de composition tracées par les caractères et les bords de
l’affiche sont rectilignes, et le logo de la MAIF reprend deux formes géométriques symboles de
stabilité, à savoir le carré et le triangle pointe en haut. Enfin, les couleurs utilisées (blanc, noir et
rouge) restent neutres et sans extravagance.
Mais ce qui domine dans cette publicité, c’est très certainement l’aspect
transgressif de la MAIF. La publicité représente effectivement une affiche collée dans la rue, à en
juger la texture de béton sale qui sert de support, comme le sont les affiches lors de mouvement
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sociaux. Car il s’agit bien d’un « problème » politique et social qui est mentionné, ou plutôt qui
n’est pas mentionné : l’homosexualité.
La publicité s’articule en partie autour du thème de la subversion. Afficher dans la
rue, c’est user de son droit d’expression, et la MAIF suggère ainsi qu’elle n’a pas peur de
proclamer haut et fort qu’elle assure aussi les couples hétérosexuels ! Cela est également insinué
par la mention en bas du logo de la MAIF : la MAIF serait un « Assureur militant ». Cette notion
de militantisme confirme l’hypothèse selon laquelle on serait face à une affiche identique à celles
que l’on peut voir dans les rues et qui permettent à des syndicats, notamment, d’exprimer leurs
revendications. De plus, d’autres indices graphiques nous mènent à associer à la MAIF la notion
de revendication subversive comme les bords déchirés et les plis de l’affiche légèrement
inclinée, l’utilisation de capitales et d’une police de caractères épaisse…Il y a un refus du propre,
de l’ordre établi et, par extension, de la norme. Car si l’on interprète ces signes graphiques
comme faisant référence à une affiche du type « revendications sociales », force est de
reconnaître que les propos tenus accentuent l’aspect subversif de la MAIF. Enfin, la fonction
conative est particulièrement importante puisque la représentation de l’affiche est frontale : le
lecteur est interpellé de la même manière qu’avec la représentation d’une personne qui
regarderait vers l’objectif photographique.
En revendiquant qu’elle assure aussi les couples hétérosexuels, la MAIF surprend,
car par un procédé d’inversion, elle établit l’homosexualité comme norme et marginalise de ce
fait l’hétérosexualité. Or, pour le lecteur du Nouvel Observateur d’où est issue cette publicité
(pourtant proche de l’idéologie socialiste), la norme reste le modèle hétérosexuel. Cela permet à
la MAIF d’affirmer avec humour qu’elle assure également les couples homosexuels, comme
l’exige la loi qui interdit de tenir compte de l’orientation sexuelle d’une personne. D’ailleurs,
cela est mentionné avec « pour la MAIF, un foyer a toujours été un foyer et ce, quelles que soient
les personnes qui y vivent, leur statut marital ou leur orientation sexuelle ». Cependant, comme
les textes juridiques interdisent également de se servir du respect de la loi comme argument
publicitaire, la MAIF choisit de prendre à revers la situation, et de revendiquer le droit d’assurer
les couples hétérosexuels.
D’un point de vue linguistique, cette stratégie de l’inversion crée une forme
d’humour car il y a un écart dans l’axe paradigmatique, c’est-à-dire dans l’axe du choix des
mots. Le lecteur lit « couples hétérosexuels » alors qu’il s’attend à lire « couples
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homosexuels ».Cela est d’ailleurs mis en évidence par le fait que le mot « hétérosexuel » est écrit
en rouge, et par le fait que ce mot soit visuellement scindé : sur une ligne nous lisons « hétéro »,
et sur la ligne du bas nous lisons « sexuels ». De plus, l’humour de cette inversion est renforcé
par le « aussi » qui termine la phrase en insinuant ainsi que les couples hétérosexuels sont
minoritaires et déconsidérés. Enfin, cela se prolonge dans le pavé de texte en bas de l’affiche où
nous retrouvons les mêmes procédés : les couples hétérosexuels avec enfants sont envisagés
comme une minorité marginalisée par les termes « même » et « voire ». Il est donc intéressant de
constater que si la publicité ne mentionne pas l’homosexualité (mis à part avec « orientation
sexuelle »), nous parvenons tout de même à comprendre que les propos ciblent la population
homosexuelle. Cela montre bien l’importance du système normatif dans lequel s’inscrit
l’instance interprétatrice. La lecture d’une publicité ne peut se faire sans une mise en relation
avec les normes existantes.
Pour finir, cette publicité joue sur la notion groupe, de communauté, de solidarité
avec des mots comme « rejoignez-nous », « notre contrat », ou encore « militant ».
La MAIF cible donc de façon originale et humoristique la population
homosexuelle, qui non seulement n’est jamais mentionnée comme telle, mais n’est pas non plus
incarnée par un personnage. En ne se composant quasiment que de texte, cette publicité parvient
à représenter l’ensemble de la population homosexuelle, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes.
Enfin, le propos publicitaire intègre à l’homosexualité la notion de couple, de foyer, ce qui est
chose peu courante.
2.5.d Synthèse
L’ensemble de ces publicités pour des services financiers ou pour des assurances
souligne l’importance du texte, de la fonction référentielle. On a pu voir en effet que le type de
bien promu amenait les publicitaires à jouer sur la notion de confiance, de rigueur, d’une part
avec des compositions rectilignes, et d’autre part avec des pavés textuels qui contiennent des
éléments chiffrés, des exemples, des arguments apparemment rationnels. Les publicités
s’efforcent également à instaurer une relation directe avec le prospect grâce à l’utilisation
d’embrayeurs qui tendent à impliquer le lecteur ou la lectrice dans le propos de la marque. Cela
ne signifie pas pour autant que les publicités pour des services financiers ou des assurances ne
peuvent pas faire preuve d’humour, et que la photographie tient une place secondaire. Ce genre
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de publicité peut donc combiner rationalité, désir et humour, et il tend vers une représentation
moins de personnages homosexuels que de personnes homosexuels. L’exigence de crédibilité
liée aux questions d’argent et d’assurance amène les publicitaires à donner une vision moins
sexuelle de l’homosexualité en l’ancrant dans le quotidien, ce qui ne signifie pas que cette notion
est complètement absente.
Nous avons soumis les publicités de notre corpus à une analyse sémiotique. Une
grille récapitulative mais non exhaustive est proposée en annexe (n°DD) reprenant pour chaque
document une partie des propos de l’analyse iconique et iconographique, c’est-à-dire
l’identification des signes principaux des publicités de notre corpus (signes plastiques,
linguistiques, etc.).
Ces analyses nous ont permis de dégager des stratégies discursives propres à
chacune des publicités de notre corpus ; nous avons pu étudier comment ces dernières mettent en
scène l’homosexualité, ou plutôt un désir homosexuel. Mais ces analyses ont été également
l’occasion de confronter chaque publicité d’une même thématique produit pour en dégager des
stratégies discursives locales, pour observer comment la catégorie du produit ou service promu
influe sur les stratégies communicationnelles d’une publicité. Nous pouvons donc maintenant
projeter ces analyses dans des perspectives communicationnelles et sociologiques plus larges,
pour comprendre les stratégies globales qui régissent le discours publicitaire proposé aux
homosexuel(le)s.
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Partie 3 | les enjeux communicationnels et sociologiques du discours
publicitaire : du stéréotype androcentrique aux stratégies de l’implicite.
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III. Les enjeux communicationnels et sociologiques du discours
publicitaire : du stéréotype androcentrique aux stratégies de l’implicite.
N
ous nous rendons compte avec les analyses que nous venons de mener,
qu’il ne serait question de parler d’une représentation de
l’homosexualité qui se plierait uniformément aux contraintes d’un
discours publicitaire lui-même unique. Il serait en effet plus raisonnable de souligner qu’il n’y a
pas une représentation monolithique de l’homosexualité, mais plusieurs représentations et
plusieurs argumentations selon le type de produit promu. Néanmoins, force est de reconnaître
que malgré une diversité relative dans les stratégies discursives locales qui sous-tendent les
propos publicitaires de produits différents, les représentations de l’homosexualité ne sont pas si
éloignées les unes des autres que cela, dans le sens où elles s’inscrivent dans les stratégies
globales de la publicité qui mettent davantage en scène des personnages, des stéréotypes, que des
personnes. En somme, les stratégies discursives des publicités mettant en scène l’homosexualité
sont inclues dans un dispositif discursif plus large, celui de la publicité qui favorise
l’implantation de figures stéréotypées façonnées par un ordre androcentrique, c’est-à-dire un
ordre où s’exerce la domination du principe masculin sur le principe féminin.
Cependant, si les publicités mettant en scène l’homosexualité subissent les mêmes
contraintes discursives que toutes les publicités, il nous semble important de noter que cette mise
en scène de l’homosexualité se fait de façon implicite : il y a une rhétorique de l’allusion
nettement plus prononcée que dans les publicités mettant en scène un désir hétérosexuel. Nous
allons l’expliquer, il y a réellement une stratégie discursive spécifique de l’implicite dans les
publicités mettant en scène l’homosexualité, et on peut se demander si la représentation de
l’homosexualité ne se fait pas dans l’esprit du récepteur, de celui ou celle qui regarde la publicité
plutôt que dans la publicité elle-même.
Enfin, face à cet ordre publicitaire, est-il possible pour la population
homosexuelle de se redéfinir dans des espaces réputés plus libres comme Internet ? Que peut-on
espérer des publicités Internet représentant l’homosexualité ?
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3.1 La publicité comme lieu de stéréotypes et de domination
masculine
Les publicités mettant en scène l’homosexualité n’échappent ni aux stéréotypes ni
à la domination masculine.
3.1.a Quelle(s) homosexualité(s) pour quelle(s) représentation(s) ?
Nous nous devons de préciser dès maintenant que notre discours ne s’inscrit pas
dans une volonté militantiste qui dénoncerait une dégradation de l’image de la population
homosexuelle par l’usage de figures stéréotypées et ce pour une raison simple : il ne faut pas
confondre stéréotypes, clichés, caricatures, etc. bref des termes trop souvent utilisés comme
synonymes alors qu’ils font état de réalités différentes. Le stéréotype, nous le verrons, ne revêt
pas nécessairement une dimension négative, et peut même s’avérer utile voire indispensable.
Il s’agit ici d’insérer les stratégies discursives des analyses précédemment menées
dans une perspective communicationnelle et sociale plus large : comme dans toute publicité,
celles mettant en scène l’homosexualité sont faites de stéréotypes, de « recettes » comme la mise
en valeur du corps, de l’ego, de valeurs universelles comme le bonheur, qui ne répondent à rien
d’autre qu’à la nécessité d’atteindre des objectifs commerciaux inhérents au discours publicitaire
et qu’il serait absurde d’élider : une publicité est faite pour vendre (au sens large), pour susciter
le désir, il ne faut pas l’oublier.
Les publicités de notre corpus semblent démontrer que le personnage homosexuel
est relativement identique d’une publicité à l’autre. En effet, ce qui marque tout d’abord, c’est le
fait que l’homosexuel est avant tout un homme, dans le sens où la représentation de
l’homosexualité féminine est peu présente comme nous l’avons mentionné en évoquant les
difficultés que nous avons eu pour constituer notre corpus. On la retrouve certes avec la publicité
pour Girl’s Line (notons que ce genre de service est rarement dédié aux homosexuelles), et pour
Olea. Dans d’autres publicités comme celle pour Fragile, la banque privée Fideuram Wargny ou
la MAIF, l’homosexualité féminine est constamment accompagnée d’une représentation de
l’homosexualité masculine : pour la banque privée Fideuram Wargny on a aussi bien des couples
d’hommes que de femmes, la MAIF neutralise la distinction des genres par le groupe nominal
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« couples hétérosexuels » et dans Fragile, l’homosexualité masculine ressort davantage que
l’homosexualité féminine grâce à la masculinisation physique de la femme-Christ.
Ces indications convergent avec d’autres indices pour montrer l’existence de ce
que l’on pourrait appeler une « règle de non cumul » : l’homosexuel ne peut pas porter plusieurs
stigmates, il ne peut pas être soumis à plusieurs dominations à la fois. Ainsi, l’homosexuel est
rarement une femme, et encore plus rarement une personne d’âge mûr, noir ou asiatique, obèse,
etc. Cela se retrouve dans nos publicités où en très grande majorité l’homosexualité est incarnée
par un personnage masculin jeune, mince, musclé et blanc. Il n’y a que dans la publicité
Fideuram Wargny où l’homosexualité est représentée avec une diversité d’âges, de genres, etc.
Ensuite, si l’homosexuel ne porte pas d’autres stigmates, d’autres signes de
domination, il n’est également pas mis en scène dans des situations d’infériorité (sauf dans des
publicités à caractère pornographique, où la soumission homosexuelle est envisagée comme
argument publicitaire, et dans la publicité Playstation 2 où il y a une féminisation symbolique du
rugbyman pour créer un effet de comique). Au contraire, il y a une tendance à la mythification, à
l’héroïsation, à l’affirmation d’une fierté homosexuelle. L’illustration parfaite de cette
mythification est très certainement la publicité Fragile où les personnages, androgynes, incarnent
des figures religieuses comme le Christ, la Vierge, Marie-Madeleine, etc.
Graphiquement, cela peut se retranscrire par des contre-plongées, des lignes de
compositions rectilignes, des triangles pointe en haut, etc. mais aussi est surtout une valorisation
de l’être, une esthétisation érotique du corps jeune, mince (mais pas maigre) et musclé. Dans les
publicités pour Omos, Energy, Fragile, Olea, Sofinco, etc. ; l’homosexualité rime avec jeunesse
et corps musclé. Pour l’homosexualité féminine, nous distinguons la même nécessité d’un corps
jeune, mince, et féminin (cheveux longs ou mi-longs, poitrine, musculature peu développée,
etc.), bref une vision qui s’éloigne de l’image de la « camioneuse » que l’on peut avoir des
homosexuelles et qui se retrouve dans nos entretiens, comme nous le verrons plus tard. Nous
pouvons donc dire dans un premier temps qu’il y a un physique homosexuel !
A cela s’ajoute une valorisation du Moi, une valorisation de l’ego, de l’individu
plus que d’une valorisation de ses rapports à l’Autre, conférant même un certain narcissisme à
l’homosexualité (No Bacter). Il est étonnant de constater que le personnage homosexuel s’inscrit
très rarement dans un décor identifiable et qu’il est très souvent seul. Effectivement, dans la
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77
plupart de nos publicités, l’homosexuel masculin est soit seul, célibataire (Canderel, Omos,
Energy, No Bacter, Sofinco), soit en groupe (Olea, Playstation), alors que l’homosexuelle est
plus facilement représentée seule (Girl’s line) ou en couple (Olea, Fideuram Wargny). D’autre
part, lorsque l’homosexuel(le) est mis(e) en scène avec d’autres protagonistes, il s’agit
exclusivement d’homosexuel(le)s. L’homosexuel(le) n’entretiendrait pas de rapport avec le
monde hétérosexuel, le monde « extérieur ». Nous disons « monde extérieur » car il nous semble
en effet qu’il y a une tendance à désocialiser l’homosexuel(le), une désocialisation qui se traduit
par une propension à décontextualiser sa mise en scène, à opter pour des décors neutres (aplat de
couleur), d’intérieur (salon et salle de bain pour Sofinco et No Bacter), ou, s’il s’agit de décors
extérieurs, des endroits où les homosexuels peuvent se retrouver seuls ou entre eux (sur une
branche d’arbre pour Canderel, peut-être sur une île pour Olea). Dans tous les cas, à l’exception
de la publicité Playstation 2, l’homosexualité est associée au bien être et à la fierté : cette
proclamation d’une fierté homosexuelle est véhiculée par la MAIF avec son aspect revendicatif,
et par Canderel qui fait de l’insulte « pédé » un trait identitaire banal voire positif.
Ce modèle de personnage homosexuel semble tout de même trouver des
fondements, et correspondre à une certaine réalité de la population homosexuelle. Effectivement,
on notera, entre autre, que l’idée d’un homosexuel plutôt seul (en tout cas très rarement en
couple) se retrouve dans les propos de Didier Eribon qui explique que les homosexuels en ayant
le sentiment d’être à part, de ne pas être comme les autres50 ont tendance à s’identifier à des
modèles de vies libres et affranchies, à rejeter l’idée de groupe même s’ils sont obligés d’y
participer51. D’ailleurs, dans l’entretien n°5, Fabrice Leclerc, à la question de savoir si pour lui il
y a une communauté homosexuelle répond «Oui y’en a une. Oui. Je le déplore mais c’est comme
ç a ». Toujours dans Réflexions sur la question gay, Didier Eribon fait état de l’âgisme52 qui sévit
dans le milieu homosexuel, où il y a un rejet des homosexuels ayant dépassé quarante ans. Cette
solitude narcissique de l’homosexuel, David Lelait l’explique par le fait que la vie sentimentale
de l’homosexuel ne se compose presque que d’amours passagères, ce dernier étant obnubilé par
la recherche d’un autre lui-même53 : « Dans bon nombre de cas, un homo va s'éprendre de celui
à qui il aimerait ressembler ». Quant au culte du corps, David Lelait affirme qu’il s’est accentué
50
ERIBON, 1999, p.142.
Ibid, p.190.
52
Ibid, p.198.
53
LELAIT, 1998, p.102.
51
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depuis l’apparition du sida, un corps musclé et puissant s’opposant de cette manière au corps
malade et maigre du sidaïque54.
Tout cela nous amène à une réflexion majeure dans notre questionnement sur les
stratégies discursives des publicités mettant en scène l’homosexualité : comment représenter ce
qui n’est pas représentable, à savoir une sexualité ? Quels signifiants utiliser alors que comme le
note le site Com Analysis55, « si la couleur de la peau est un stigmate perceptible, l’orientation
sexuelle n’est pas donnée - ou du moins actualisée - dès la naissance. Elle peut, en outre, être
par la suite dissimulée. Nous aurons donc à nous plonger dans un jeu entre le montré et le
caché » ?
Peut-être plus que pour d’autres personnages, la publicité est amenée à utiliser de
stéréotypes pour représenter l’homosexuel(le), elle est contrainte à mettre en scène des
personnages homosexuels plutôt que des personnes homosexuelles, en favorisant la saturation de
signifiants connotant l’homosexualité. Ainsi, des signes linguistiques comme « pédé »
(Canderel) ou même « hétérosexuel » (MAIF) permettent d’orienter le lecteur vers une lecture
homosexuelle de la publicité. Ensuite, pour permettre une identification plus rapide de la volonté
de cibler les homosexuel(le)s, les publicitaires peuvent faire appel à des références symboliques
comme la couleur mauve, le rose ou encore le très répandu arc-en-ciel. Il n’empêche qu’en ce
qui concerne ces symboles, nous nous devons de soulever deux points : tout d’abord, cela
suppose que le lecteur ou la lectrice de la publicité partage ces références, ces codes
symboliques. Ensuite, ces symboles, notamment l’arc-en-ciel, sont souvent associés à des
publicités de mauvaise qualité qui se servent de ces items pour toucher la population
homosexuelle de façon rapide et simple, voire simpliste. En effet, la publicité pour Fideuram
Wargny
peut-être
jugée
comme
peu
recherchée,
peu
élaborée
dans
sa
stratégie
communicationnelle : mettre deux personnes du même sexe avec un arc-en-ciel suffit pour faire
savoir que la publicité s’adresse aux homosexuel(le)s, et ces publicités de se voir taxées d’une
vision simpliste et stéréotypée de l’homosexualité.
Car c’est bien ce qui pose problème lorsque l’on choisit de s’adresser à la
population homosexuelle : éviter le stéréotype est un enjeu d’autant plus important pour les
publicitaires que la population homosexuelle est extrêmement attentive à la façon dont elle est
54
55
LELAIT, 1998, p.103.
LUGRIN ET PAHUD, 2001.
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représentée, et nous pouvons dire qu’il y a de la part de celle-ci une phobie du stéréotype, un
rejet des représentations convenues. Nous trouvons trace de cela dans nos entretiens56,
notamment en ce qui concerne la publicité télévisuelle Vizir : « la pub Vizir est vraiment ratée :
c’est franchement caricatural. […]Non, généralement les gays sont vraiment caricaturés ; la
pub est mal adaptée, elle parle pas avec nos codes. […].C’est à dire sans allusions à ce qu’on vit
au quotidien. C’est comme si on nous parlait dans une langue étrangère. Donc, oui, la publicité
n’est pas fidèle à la réalité, c’est plutôt des clichés. » (Entretien n°1) ; « Y’a aussi Vizir mais
c’est pas du tout du gay-friendly ; ça sonne faux. C’est le vieux cliché usé et délavé depuis des
années. C’est deux folles qui déblatèrent sur la blancheur de leur pantalon. La première pub
vizir c’était déjà un bon pédé avec un gros plan sur son cul. » (Entretien n°2) ; « C’est toujours
la même image. L’homo, c’est sexe, du cul plus ou moins sensuel quand c’est subtil. Y’a tout le
truc de l’amitié entre mecs […].Y’a jamais une approche de la vie de tous les jours » (Entretien
n° 4) ; « On tombe dans des clichés perçus négativement par les homos. » (Entretien n°5).
La notion de stéréotype est donc centrale lorsque l’on s’interroge sur les stratégies
communicationnelles visant la population homosexuelle et ce, pour deux raisons majeures. La
première, c’est que l’homosexuel(le) est considéré(e) comme un « caméleon57 », et il illustre le
concept de « présentation de soi » qu’a développé Erving Goffman et que reprend Didier Eribon
dans Réflexions sur la question gay. L’idée de Goffman, c’est que dans des situations sociales
différentes, l’individu présente des images différentes de lui-même. Cela peut être mis en
parallèle avec la notion de « passing », elle aussi développée par Goffman où les stigmatisés
agissent de sorte que leur stigmate ne soit pas perçu, qu’ils puissent passer pour conformes à la
norme. Cela se retrouve particulièrement dans la population homosexuelle qui peut adopter les
comportements et les codes des dominés dans certaines situations pour que leur homosexualité
ne soit pas perçue. On voit donc qu’il est difficile de faire un portrait robot de l’homosexuel(le)
type s’il devait en exister un.
A cela s’ajoute ce que nous pourrions appeler un processus de « double
exclusion » qui mène l’homosexuel(le) à penser qu’il ou elle ne peut être rangé(e) dans aucune
catégorie, réduisant à néant l’existence d’un stéréotype homosexuel. En effet, comme le
remarque Didier Eribon, « on trouve presque toujours dans les discours tenus par les
homosexuels la volonté de se dissocier, de se distinguer des autres homosexuels et de l’image
56
57
Cf. annexes n°15.
Entretien n°6
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80
qu’ils donnent de l’homosexualité58 ». Dans notre sixième entretien, Frédéric Pérez soulève
l’ambiguïté du stéréotype : « Par rapport à qui ? De gay à gay, ou d’un hétéro qui voit un gay ?
C’est ça la vraie question ! Où s’arrête la caricature vue par un gay et la caricature vue par un
hétéro ? Plus on devient communs, plus on considère qu’on est caricaturés. Pour un hétéro,
c’est une folle. Mais pour un gay c’est quoi ? On est les premiers à refuser le reflet de notre
propre image. J’ai des amis, y’en a qui sont folles, et quand ils en voient une à la télé, ils sont là
à dire : mais regarde-moi l’image qu’ils donnent des homos ! ».
On le voit bien, les publicitaires désireux de cibler les homosexuel(le)s
s’aventurent sur un terrain très glissant, où il faut joindre la volonté d’une visibilité dans la
publicité de la part d’une partie de la population homosexuelle, et le rejet total d’une
représentation stéréotypée. Il convient de s’arrêter un instant sur cette notion de stéréotype que
l’on associe, à tort, aux clichés, aux lieux communs, aux poncifs, à la caricature, en la dotant
d’une valeur symbolique négative qu’elle n’a pas forcément.
Dans Stéréotypes et clichés, Ruth Amossy et Anne Herschberg Pierrot distinguent
le stéréotype du cliché, du lieu commun, et du poncif. Pour faire bref, un poncif est un thème
récurrent (ex : le réveil printanier de la nature), un lieu commun plutôt une idée répandue (ex :le
printemps est la saison des amours), et le cliché est de l’ordre d’une expression figée (ex : le
printemps est une vie). Le stéréotype lui, correspond plutôt à un ensemble d’unités préfabriquées
à travers lesquelles se révèle le discours sur l’Autre. C’est le publiciste Walter Lippmann qui a
introduit le mot « stéréotype » dans les sciences sociales en 1922, et il le décrivait comme une
« image dans notre tête qui médiatise notre rapport au réel. Il s’agit des représentations toutes
faites, des schèmes culturels préexistants, à l’aide desquels chacun filtre la réalité ambiante 59».
Comme l’indique Ruth Amossy dans Les idées reçues, la pratique du stéréotype
n’est pas l’apanage d’un vingtième siècle soumis aux contraintes commerciales de
standardisation des médias soi-disant omnipotents. Non, la pratique du stéréotype se retrouve
même chez les Grecs qui avaient des stéréotypes sur les Barbares ! En revanche, la conscience
du stéréotype, elle, est bien « une des grandes obsessions des temps modernes60 ».
Etymologiquement parlant, le terme « stéréotype » a d’abord été utilisé en imprimerie pour
58
ERIBON, 1999, p.13.
AMOSSY et HERSCHBERG PIERROT, 1997, p.26.
60
AMOSSY, 1991, p.11.
59
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désigner un document imprimé avec des planches dont les caractères ne sont pas mobiles, et que
l’on conserve pour de nouveaux tirages. Par la suite, le mot « stéréotype » est venu à définir une
représentation culturelle dont les caractéristiques seraient d’être simple plutôt que complexe,
erronée plutôt que correcte, acquise de seconde main plutôt que par une expérience directe, et
résistante au changement61. C’est bien là un des traits majeurs du stéréotype : il serait immuable,
une croyance non vérifiée rigide que l’on répèterait.
Or, nous supposons que les publicités, aujourd’hui, usent d’un stéréotype de
l’homosexuel qui n’est pas celui qui était utilisé quelques décennies auparavant. Dans le
Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Gauthier Boche, en retraçant l’histoire des
représentations de l’homosexualité dans la publicité, montre qu’à partir des années 1960, la
publicité se tourne vers des stratégies du stigmate liées au profit symbolique du dénigrement :
l’homosexualité est synonyme d’efféminement ou de monstruosité. Le paysage actuel de la
publicité semble donc éloigné de ces stéréotypes, pour proposer des personnages nouveaux, avec
une inversion des genres rares : les hommes ne sont pas efféminés, ils sont musclés, virils mais
doux ; les femmes ne sont pas particulièrement masculines et conservent une sensualité certaine.
Alors, nous pouvons dire que le stéréotype de l’homosexuel, lui, n’est pas si rigide : les
publicités d’une même époque reprennent un stéréotype uniforme de l’homosexualité, mais ces
stéréotypes évoluent avec le temps. Nuançons : il est probable que cette évolution dans le
stéréotype homosexuel soit liée au développement de la presse gay et d’une évolution dans la
considération de l’homosexualité ; auparavant, l’homosexuel efféminé apparaissait plutôt dans
des publicités destinées à une cible hétérosexuelle (l’homosexualité comme effet de comique
assurant la domination hétérosexuelle) alors qu’aujourd’hui, ce stéréotype est très peu présent
dans ces publicités. Quant à l’homosexuel bodybuildé, il était très utilisé quelques décennies
auparavant (et l’est toujours) pour des produits à caractère pornographique. Ce stéréotype de
l’homosexuel existait donc auparavant mais il s’est développé en même temps que la presse gay
et que l’intérêt pour un marché gay qui ne se résumerait pas à des produits liés au commerce du
sexe.
En revanche, il semblerait qu’à ces stéréotypes effectifs de représentation de
l’homosexualité dans la publicité, il faudrait ajouter des stéréotypes fantasmés, ancrés dans
l’imaginaire collectif mais dont on ne retrouve en fin de compte que peu de traces dans les
61
AMOSSY, 1991, p.29.
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documents publicitaires. Ainsi, dans nos entretiens, la vision de la caricature des
homosexuel(le)s est constante : l’homme est efféminé et la femme est une « camioneuse ». Bref,
c’est comme s’il y a avait un stéréotype fantasmé qui ne correspondrait pas aux stéréotypes
effectifs utilisés en publicité. Nuançons néanmoins nos propos en rappelant qu’il ne faut pas
oublier que ces stéréotypes d’efféminé et de « camioneuse » peuvent être véhiculés par le
cinéma, les séries télévisuelles, etc. Peut-être même que cela est une spécificité des publicités
papier et qu’on les retrouve dans les publicités télévisuelles.
Pour terminer sur la représentation stéréotypée dans la publicité, il est primordial
de soulever que ce qui est craint par une grande partie des homosexuels, comme le confirment
les propos de nos entretiens, c’est plus le stéréotype de la « folle », qu’un autre stéréotype de
l’homosexuel. Les homosexuels hommes ont donc peur d’être rabaissés, la féminisation étant
perçue comme dégradante, et ils perpétuent par conséquent la domination masculine de l’ordre
social hétérosexuel. En bref, le fait que les homosexuels soient socialement considérés comme
des dominés ne les empêche pas de répéter des schémas de domination masculine.
3.1.b D’une sous représentation des homosexuelles au rejet de
l’efféminement, ou comment se reproduit la domination masculine.
La population homosexuelle est loin d’être le lieu de toutes les égalités, un lieu où
ne séviraient pas des hiérarchies normatives fortement ancrées. La répression qui a pu et qui peut
sévir contre les homosexuel(le)s ne les a certainement pas conduits à inventer de nouvelles
formes de rapports sociaux affranchis de quelconque domination. Ainsi, il ne fait pas bon pour
un homosexuel d’avoir plus de quarante ans, ou d’être laid, et encore moins d’être efféminé, car
il y a bien chez la population homosexuelle une perpétuation de ce que Pierre Bourdieu a appelé
la domination masculine.
Cette domination du principe masculin se traduit de deux manières : tout d’abord
par une très faible représentation des homosexuelles, et ensuite par le culte de la virilité et le rejet
de l’efféminement pour les homosexuels.
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83
L’invisibilité des homosexuelles, nous l’avons abordée dans notre première partie
où nous avons montré que si l’on parlait d’un marché gay, c’est qu’il n’est pas possible à l’heure
actuelle de parler d’un marché homosexuel dans le sens où il n’y a pas de marché lesbien, ou il
n’y a pas la volonté de s’intéresser à cet éventuel marché. On relèvera dans nos entretiens des
propos comme : « Les lesbiennes, elles sont quasi inexistantes malheureusement » (Entretien
n°3) ; « Y’a encore moins de potentiel ! Les lesbiennes, c’est un marché expérimental. Le marché
lesbien se récupère sur le marché hétéro. Les lesbiennes ont moins envie de parler d’elles. C’est
plus discret » (Entretien n°4) ; ou encore « C’est quoi une lesbienne ? (rires). Qu’est-ce que je
pourrais dire ?... […] tu regardes les adaptations de pubs, y’a quasiment jamais de lesbiennes,
c’est toujours l’homo homme » (Entretien n°5). De ce fait, la représentation des lesbiennes dans
la publicité est très faible, ou alors, comme l’indique Gauthier Boche, elle se fait selon une
« imagerie hétérocentrée 62», c’est-à-dire selon un archétype conforme au fantasme masculin
d’une lesbienne hypersexuée. Nous pouvons néanmoins nous interroger, et nous demander si
envisager la représentation des homosexuelles avec ce qui a été appelé la vague « porno-chic »
comme l’accomplissement d’un fantasme masculin, ce ne serait pas un autre exemple de la
domination masculine. Après tout, pourquoi la représentation qui est faite des homosexuelles
dans ces publicités ne correspondrait-elle pas à un fantasme qu’ont effectivement les
homosexuelles ou certaines d’entre elles ? La publicité Olea, dans sa version féminine, ne
pourrait-elle pas correspondre, dans une certaine mesure, à un fantasme autant lesbien que
masculin ?
Cette domination masculine s’exerce également au sein de la population
homosexuelle masculine, qui, pour une grande partie d’entre elle, rejette les images des
homosexuels efféminés. Ainsi, les homosexuels semblent redouter l’image de « la folle ». Dans
un sondage paru dans le magazine Têtu63, on note que sur les personnes interrogées (plutôt des
hommes homosexuels, ayant entre vingt-cinq et trente ans, et habitant la région parisienne), 80%
d’entre elles considère que le mot « folle » relève de l’insulte ; 93% ne se considère pas comme
folle, mais dans le même temps, 60% est d’accord pour dire que « les homosexuels sont tous un
peu folles à leur façon ». Nous voyons bien les contradictions qui découlent de cette peur de « la
folle ». L’exclamation de Didier Eribon va dans ce sens : « combien d’entre eux parlent au
féminin, d’eux-mêmes ou des garçons qui passent, mais contrôlent leurs gestes et leurs
62
ERIBON, 2003, p.390.
COSSE et al., 2003, p64.Cf. annexe n°11 pour résultats du sondage. Il faut relativiser les résultats de ce sondage :
les gens interrogés sont les visiteurs du site du magazine Têtu, qui peuvent correspondre à un profil particulier de
l’homosexualité...
63
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expressions dès qu’il croisent un collègue ou une connaissance !64». Proust, lui, définissait
l’homme homosexuel comme un inverti ; il faut comprendre par là que l’homme homosexuel
serait en quelque sorte une femme et qu’il serait donc attiré par son opposé sexuel, l’homme.
Mais ce serait oublier, comme le démontre le Pierre Bourdieu dans La domination
masculine, que la féminité et la masculinité sont des constructions culturelles, que le genre est
une construction sociale guidée par une représentation androcentrique de la reproduction
biologique et de la reproduction sociale. Dans son ouvrage, Pierre Bourdieu s’appuie sur des
observations ethnographiques des traditions de la société kabyle, conservatoire de l’inconscient
méditerranéen, pour démontrer qu’il y a un apprentissage de la masculinité et de la féminité.
Pierre Bourdieu explique que la différence biologique entre les sexes peut paraître légitimer la
différence sociale du genre, mais justement, la différence biologique n’est perçue et interprétée
que par un principe de vision social particulier qui n’est pas neutre. Il y a donc une « relation de
causalité circulaire ». La différence sociale viendrait de la différence biologique, différence qui
ne peut être perçue que par une entité socialement conditionnée. Il y aurait par conséquent une
domination masculine dont la reproduction historique serait permise par des institutions comme
l’Ecole (avec entre autre la division sciences dures et sciences molles), l’Eglise, le monde du
travail (avec des services d’hôpitaux ou des bureaux de ministères fonctionnant sur un modèle
familial où le chef est un homme, exerçant une autorité et une protection paternaliste sur le
personnel féminin), ou encore la Famille que Pierre Bourdieu juge être au centre du processus de
reproduction de la domination masculine65. Il est néanmoins frappant de voir que Pierre
Bourdieu parle en annexe du « mouvement gay et lesbien », perpétuant une différenciation entre
masculin et féminin qui ne se baserait visiblement pas sur des différences sociologiques puisque
si cela aurait été le cas, il aurait ajouté la marque du pluriel à « mouvement »…
Ensuite, le corps lui-même est envisagé par Pierre Bourdieu comme une
construction sociale, c’est-à-dire que la société aurait associé à l’homme et à la femme un réseau
d’oppositions binaires et symboliques confortant par la même occasion la dichotomie
masculin/féminin. Ainsi, serait associé au principe masculin : le haut, le dessus, le devant, le
droit, le sec, le dehors, etc. et au principe féminin : le bas, le dessous, le derrière, le courbe,
l’humide, le dedans, etc.66 D’ailleurs, nous avons fait appel à plusieurs reprises à ces couples
64
ERIBON, 1999, p.12.
BOURDIEU, 1998, p.92
66
Ibid, p.17.
65
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85
d’opposition dans les analyses de notre corpus, et cela explique l’attention avec laquelle nous
avons tenté de repérer systématiquement ce qui pouvait relever du masculin (triangles pointe en
haut, lignes de compositions rectilignes, dureté, clarté, etc.) et ce qui pouvait relever du féminin
(l’humide, les triangles pointe en bas, la mollesse, l’obscurité, etc.). Ces signes plastiques et
iconiques mobilisent chez le lecteur un système référentiel qui, de façon inconsciente, le renvoie
à l’opposition masculin/féminin. Pierre Bourdieu explique par exemple qu’avec les rites de
« séparation » kabyles (première coupe de cheveux, circoncision…), qui visent à émanciper le
garçon de sa mère, à le déféminiser, la masculinité est associée à des objets tranchants (couteau,
poignard, etc.).
Tout converge vers l’honneur masculin qui « peut se retrouver résumé dans un
mot, cent fois répété par les informateurs, qabel, faire face, regarder au visage, et dans la
posture droite (celle de notre garde-à-vous militaire), attestation de droiture, qu’il désigne ; de
même, la soumission féminine paraît trouver une traduction naturelle dans le fait de s’incliner,
de s’abaisser, de se courber, de se sous-mettre (vs »prendre le dessus »), les poses courbes,
souples, et la docilité corrélative étant censées convenir à la femme67 ». On comprend alors
l’importance que revêtent les codes plastiques, kinésiques, proxémiques, linguistiques,
iconiques, etc. dans les publicités que nous avons analysées. Tout cela permet de mieux saisir les
mécanismes interprétatifs inconscients qui confèrent à la publicité Playstation 2 un certain
humour, de bon ou de mauvais goût, nous laissons le lecteur en décider, et qui permet également
de comprendre en quoi l’homosexuel efféminé peut et a pu être en publicité un effet de comique,
à l’inverse de l’homosexuelle qui elle n’est jamais employée dans une situation jugée comique,
comme s’il était valorisant pour une femme d’adopter un comportement masculin, et que
l’inverse serait faux. Pourquoi donc un homme efféminé créerait un effet comique ? Cette
question n’est pas anodine et encore moins naturelle car elle montre la force de la domination
masculine. Si l’homme efféminé permettrait de créer une situation comique, c’est que l’on
applique la hiérarchie normative des genres en identifiant l’efféminement comme un
affaiblissement de l’homme. En riant de l’homme efféminé, on rie de la femme. La publicité
Playstation 2 en est une illustration parfaite ; en plus de montrer que le personnage homosexuel
n’est pas nécessairement utilisé dans des publicités visant la population homosexuelle, cette
publicité met en scène un rugbyman, incarnation quasi ultime de la virilité s’il en est, dans une
position que l’on jugera d’infériorité : l’homme est de dos, penché, et ses fesses sont
67
BOURDIEU, 1998, p.33.
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particulièrement mises en avant avec l’angle de prise de vue. Pourquoi cela serait-il synonyme de
féminisation et donc, par conséquent, de ridicule ? Parce que le devant est le lieu de la
différenciation sexuelle, alors que le dos, le derrière, est un lieu sexuellement indifférencié et par
conséquent potentiellement féminin. Les connotations clairement sexuelles du texte publicitaire
« c’est meilleur à plusieurs » contribuent à faire de ce rugbyman, un homme sexuellement passif,
féminin, et donc ridicule.
Certains homosexuels contesteront ce que nous venons de dire en s’évertuant à
expliquer que l’homosexualité, dans le sens où elle suppose une féminisation de l’homme,
n’aurait porté ces valeurs négatives que dans notre société moderne, qui, pour le coup, se verrait
accusée de régression. En effet, nombre d’homosexuels défendront l’idée selon laquelle
l’homosexualité était une pratique largement répandue dans les sociétés antiques grecques et
romaines, sans pour autant que cela soit condamné. Or, Pierre Bourdieu rappelle que pour les
Grecs, le rôle sexuel passif vouait la personne au déshonneur et à la perte du statut de citoyen, et
que pour les romains, cela était perçu comme une chose monstrueuse68. La peur presque
maladive pour nombre d’homosexuels d’être associé à une folle s’ancrerait alors dans la vision
traditionnelle du passif, de l’efféminé (même si l’on sait que la féminité ou la masculinité d’un
homosexuel ne détermine en rien son rôle sexuel).
Ainsi, traces visibles de cette déconsidération de l’efféminé, les publicités mettent
en scène des hommes musclés, virils mais sans brutalité. C’est ce qui caractérise très
certainement le stéréotype homosexuel publicitaire : une douce virilité. L’homme voit certains de
ses attributs masculins (les muscles surtout) mis en relief par des jeux de lumière, mais il
s’inscrit souvent dans une certaine douceur (douceur de la lumière, des textures, visage et torse
rasé, etc.), mais nous y reviendrons plus tard.
Pour les homosexuelles, il est bien difficile de les identifier en dehors d’une
situation de couple, car, nous l’avons dit, si on associe la féminisation de l’homme à
l’homosexualité, une femme qui s’inscrit dans un environnement traditionnellement masculin
sera vue comme une femme ayant atteint une certaine réussite sociale.
68
BOURDIEU, 1998, p.27.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
87
Pour finir, soulevons les difficultés qui se dressent lorsque l’on tente de mettre à
jour cette domination masculine. Comme le soutient Pierre Bourdieu au début de La domination
masculine, « étant inclus, homme, ou femme, dans l’objet que nous efforçons d’appréhender,
nous avons incorporé, sous la forme de schèmes inconscients de perception et d’appréciation,
les structures historiques de l’ordre masculin ; nous risquons de recourir, pour penser la
domination masculine, à des modes de pensée qui sont eux-mêmes le produit de la domination ».
De plus, outre cette domination masculine, comment les homosexuel(le)s peuvent-ils se penser
indépendamment des visions hétéronormées alors que « lorsque les dominés appliquent à ceux
qui les dominent des schèmes qui sont le produit de la domination ou, en d’autres termes,
lorsque leurs pensées et leurs perceptions sont structurées conformément aux structures même
de la relation de domination qui leur est imposée, leurs actes de connaissance sont,
inévitablement, des actes de reconnaissance, de soumission.69 » ? La publicité peut-elle, et doitelle, proposer une vision des homosexuel(le)s qui ne soit pas stéréotypée pour permettre ainsi
une visibilité positive de cette population ?
3.1.c La publicité peut-elle éviter les stéréotypes pour être une source de
visibilité positive pour la population homosexuelle ?
Les questions corollaires à nos interrogations sur la représentation de
l’homosexualité dans la publicité mettent en évidence les enjeux inhérents à la visibilité des
homosexuel(le)s dans la publicité. En effet, une partie de la population homosexuelle demande
une plus grande visibilité dans les médias et notamment dans la publicité tout en exigeant que
cette visibilité ne se fasse pas au prix d’une représentation stéréotypée. Ces discours supposent
alors qu’une vision stéréotypée de l’homosexuel(le) est nécessairement négative, que la publicité
pourrait outrepasser les contraintes discursives qui s’exercent sur elles, et enfin, que la publicité
est vecteur de visibilité pour la population homosexuelle.
Commençons donc par le premier point selon lequel le stéréotype serait nuisible à
la population homosexuelle dans le sens où il serait nécessairement porteur de valeurs négatives.
Cette idée se retrouve dans nos entretiens où les personnes interrogées critiquent la publicité
télévisuelle pour la marque de lessive Vizir pour son manque de réalisme ; clichés, caricature,
stéréotypes, etc. autant de mots récurrents alors qu’ils désignent des réalités différentes. Dans
69
BOURDIEU, 1998, p.19.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
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l’entretien n°1 on relèvera la phrase : « Non, généralement les gays sont vraiment caricaturés ;
la pub est mal adaptée, elle parle pas avec nos codes70 ».
Tout d’abord, Ruth Amossy précise que « le stéréotype n’existe pas en soi. Il
n’apparaît qu’à l’observateur critique ou à l’usager qui reconnaît spontanément les modèles de
sa collectivité s71 ». D’où sa thèse selon laquelle il vaudrait mieux parler de « stéréotypage »
plutôt que de stéréotype ; le stéréotypage serait effectivement l’activité de repérer un stéréotype
qui est nécessairement liée à l’individu qui décode le message qui lui est donné à voir. Ensuite,
dans Stéréotypes et clichés, Ruth Amossy et Anne Herschberg Pierrot soulignent la bivalence du
stéréotype : certes il peut être perçu comme négatif, mais dans un même temps, il participerait
positivement aux processus cognitifs et à la cohésion sociale d’un groupe donné. D’un point de
vue social, « l’adhésion à une opinion entérinée, une image partagée, permet par ailleurs à
l’individu de proclamer indirectement son allégeance au groupe dont il désire faire partie. Il
exprime en quelque sorte symboliquement son identification à une collectivité en assumant ses
modèles stéréotypés72 ». D’ailleurs, les homosexuel(le)s se perçoivent eux-mêmes par le biais de
stéréotypes (la folle, la lesbienne, le SM, la drag-queen, etc.). Même si cela était prononcé avec
humour, retenons l’exclamation : « Vendre des gros camions aux lesbiennes ça doit pas être
facile !!!! » de l’entretien n°1.
Le stéréotype simplifie une réalité, certes, mais par ce processus même de
simplification il se rend indispensable dans les processus de cognition sociale comme cela est
mis en évidence par le psychologue social Solomon Asch qui, dans Social Psychology, affirme
que « la conceptualisation des groupes peut être productive. Les impressions simplifiées
constituent un premier pas vers la compréhension de notre entourage […]. La simplification
aide souvent à voir clairement une situation et à surmonter la perplexité et la confusion suscitées
par la multiplicité des détails73 ». Ainsi, s’il faut tenir compte de l’unicité de chacun, ce n’est pas
une raison pour ne pas envisager un individu dans son rapport au groupe auquel il appartient.
D’autre part, nous l’avons dit, le stéréotype actuel de l’homosexuel est plutôt un stéréotype
positif, il ne s’agit presque plus du personnage de la folle. Nous pourrions faire un
rapprochement avec des propos que Ruth Amossy tient sur la condition féminine « étant donné
le partage des rôles de genres aujourd’hui et à la sensibilisation forte du public à la question de
70
Cf. annexe n°15.
AMOSSY, 1991, p.21.
72
AMOSSY et HERSCHBERG PIERROT, p.43.
73
Ibid, p.38.
71
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
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l’égalité entre les hommes et les femmes, il est beaucoup moins coûteux de moquer l’homme,
personnage qui passe facilement pour neutre, que la femme, qui quant à elle est perçue comme
femme avant de l’être comme personnage 74». Aujourd’hui, le public est sensibilisé aux
questions liées à l’homosexualité, et de même que la femme est perçue comme femme avant
d’être perçu comme personnage, l’homosexuel est perçu comme homosexuel avant d’être perçu
comme personnage, ce qui amène les publicitaires à ne pas mettre en scène l’homosexuel dans
une situation dégradantes ou ridicule (sauf quelques exceptions).
Ensuite, la publicité peut-elle se passer de stéréotypes ? Répondre à cette question
brièvement n’est pas chose facile ! Disons juste que le discours publicitaire est soumis à des
contraintes qui lui sont spécifiques qui le poussent à adopter des stratégies basées sur des
personnages stéréotypés : susciter le désir chez le plus grand nombre de personnes, être repéré
parmi les très nombreuses informations commerciales auxquelles nous sommes soumis, etc.
Comme le note George Péninou75, une des caractéristiques majeures du discours publicitaire est
la redondance de l’information, c’est-à-dire que les signifiants d’un même signifié sont souvent
surabondants pour assurer l’intelligibilité du message. De ce fait, l’utilisation de stéréotypes
sociaux permet de rendre plus rapide la compréhension du message, une rapidité qui est un
critère fondamental dans le milieu publicitaire. Cela ne doit pas empêcher pour autant les
publicitaires à constituer un panel de stéréotype pour l’homosexuel, c’est-à-dire poursuivre ce
qui a été inauguré par la marque de boissons alcoolisées Maxxium qui a segmenté sa
communication en quatre versions avec autant de stéréotypes76 (le « fashion victime »,
l’intellectuel, l’urbain et le nature).
Coculat et Peyroutet montrent bien que les contraintes auxquelles est soumis le
discours publicitaire amènent à une certaine homogénéité des stratégies communicationnelles
utilisées « ainsi, pour éveiller le désir d’achat, on peut : provoquer le plaisir en donnant aux
objets des significations agréables, flatter le principe de plaisir (au sens freudien), utiliser les
archétypes et les mythes, s’opposer à des inhibitions souvent justifiées, déculpabiliser les
acheteurs potentiels77 ». La question du stéréotype est plus problématique pour les publicités
papier qui, parce qu’elles figent une situation, parce qu’elles doivent créer un espace diégétique
fort, doivent recourir à une certaine « saturation sémiotique », elles doivent condenser plusieurs
74
AMOSSY, 1991, p.164.
PENINOU, 1972, p.276.
76
Cf. annexe n°13.
77
COCULA et PEYROUTET, 1986, p.129.
75
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signifiants autour d’un même signifié. La saturation de signifiants autour du signifié de
l’homosexualité peut être perçue comme négative car elle serait une exagération de la réalité.
Enfin, la publicité octroierait une visibilité certaine aux homosexuel(le)s ce qui
conduirait vers une meilleure acceptation de l’homosexualité par la société. Ce n’est pas la peine
de préciser que cette visibilité ne serait bénéfique que si la représentation de l’homosexualité y
est positive. Mais la publicité donne-t-elle une réelle visibilité aux homosexuel(le)s ? Jean
Baptiste Perret insiste sur le fait que « l’analyse de la dimension culturelle et sociale des
messages doit être équilibrée par la prise en compte rigoureuse de leur dimension économique,
afin d’éviter de projeter sur la publicité des problèmes et des enjeux qu’elle ignore78 ».
Néanmoins, Gautier Boche affirme ainsi qu’ « une représentation « positive » de
l’homosexualité dans la publicité est certainement un message tout aussi efficace que n’importe
quel autre discours social, ne serait-ce parce qu’il se donne précisément pour représentatif
d’une époque sans pour autant assumer réellement une dimension militante 79». Nuançons en
précisant que la publicité télévisuelle semble plus à même à avoir un impact sur cette visibilité
homosexuelle, comme le confirment nos entretiens où, lorsque nous demandions de citer des
publicités réussies et ratées, la très grande majorité des interrogés a fait référence à des spots
télévisuels. Mais pouvons nous réellement parler d’une représentation de l’homosexualité dans
la publicité ? Pouvons nous parler d’une visibilité homosexuelle ? Ne s’agirait-il pas, au
contraire, d’une représentation de l’homosexualité par l’implicite, par une rhétorique complexe
mais réelle de l’allusion ?
3.2 Le paradoxe de l’implicite comme stratégie de représentation.
Roland Barthes disait dans sa Rhétorique de l’image qu’ « en publicité, la
signification de l’image est assurément intentionnelle : ce sont certains attributs du produit qui
forment a priori les signifiés du message publicitaire et ces signifiés doivent être transmis aussi
clairement que possible ; si l’image contient des signes, on est donc certains qu’en publicité ces
signes sont pleins, formés en vue de la meilleure lecture : l’image publicitaire est franche, ou du
moins emphatique ». Les stratégies discursives des publicités mettant en scène l’homosexualité
semblent contredire cette franchise du propos publicitaire, ou, en tout cas, elles semblent
78
79
PERRET, 2003, p.170.
ERIBON, 2003, p.391.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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davantage s’orienter vers une emphase de l’implicite, emphase pour le moins paradoxale ! En
effet, il est rarement question dans l’imagerie publicitaire de mettre en scène des personnes
identifiées explicitement comme homosexuelles. Dans la majorité des cas, les stratégies
publicitaires s’articulent autour d’un jeu sur la béance du sens, sur une confusion et une
inversion plus ou moins évidente des genres, des rôles sexuels et des codes graphiques qui leur
sont associés, et ce afin d’amener la population homosexuelle à combler ce manque de sens
volontaire, à conclure que ces personnes dont l’identité reste difficile à déterminer sont
homosexuelles, ou du moins dont l’indétermination sexuelle permet à l’homosexuel(le) de
s’approprier le personnage en question comme un objet de désir. En effet, ces trous dans le
message publicitaire ne visent peut-être pas à représenter de façon codée un ou une
homosexuelle,
mais
peut-être
s’inscrivent-ils
dans
une
stratégie
qui
permettrait
à
l’homosexuel(le) de considérer la personne montrée comme ambiguë comme un partenaire
potentiel. Quoiqu’il en soit, il est indispensable pour comprendre pleinement ces stratégies de
l’implicite que ces rhétoriques de l’allusion s’ancrent dans la culture homosexuelle et qu’elles
sont considérées comme utiles et nécessaires d’un point de vue marketing.
3.2.a D’une culture de l’implicite à sa nécessité et son utilité marketing.
L’allusion est très certainement une des caractéristiques les plus importantes des
stratégies communicationnelles mettant en scène l’homosexualité. Si les publicitaires peuvent se
permettre d’user de stratégies basées sur l’implicite, c’est qu’il y a une culture du non-dit au sein
de la population homosexuelle. En effet, décoder un message est presque une habitude pour les
homosexuel(le)s qui, pour cacher leur homosexualité afin d’éviter l’injure par exemple, ont
développé une sensibilité accrue à l’allusion.
Didier Eribon explique que « l’homosexuel qui est obligé – ou qui fait le choix –
d’essayer de cacher ce qu’il est ne peut jamais être certain que l’autre à qui il veut cacher son
secret ne le connaît pas malgré tout 80». Il explicite ce propos en faisant référence au personnage
de Charlus, dans Sodome et Gomorrhe de Marcel Proust. Charlus croit que son entourage ne sait
pas qu’il est homosexuel (alors que ce n’est pas le cas), et Mme Verdurin s’en amuse en lui
offrant un livre et en lui disant : « tenez, voici un livre que j’ai reçu, je pense qu’il vous
intéressera…Le titre en est joli : Parmi les hommes ».
80
ERIBON, 1999, p84.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
92
Dans un de nos entretiens81, des propos confirment cette sensibilité à l’allusion
comme : « Tu restes trois secondes de plus à regarder la pub et tu tournes la page. Tu la
décryptes un peu, tu regardes c’est quelle marque, quel message… tu l’interprètes » ou encore :
« On les repère grâce aux attitudes (deux mecs mais seulement en train de se regarder… ; un
personnage symbolique de la communauté comme Dave, Dalida.. ; un contexte gay c’est-à-dire
que les gays fréquentent comme la plage, les boites, les saunas). Le slogan avec les jeux de mots,
ou même le nom de produit des fois. Y’a aussi l’emplacement de la pub : dans le Nouvel Obs,
une semaine avant la Gay-Pride, à côté de l’article sur la Gay Pride y’a une pub que tu peux
interpréter comme gay. C’est un peu subliminal ».
En plus de cela, les stratégies de l’implicite peuvent apparaître comme nécessaires
et utiles d’un point de vue marketing. Effectivement, dans un premier temps, cela permet
d’évoquer l’homosexualité autrement qu’avec les stéréotypes de « la folle » ou de « la
camioneuse ». L’implicite permettrait de contourner un des problèmes majeurs qui se posent
lorsque on élabore de stratégies communicationnelles destinées aux homosexuel(le)s :
l’invisibilité du stigmate. Ainsi, en ne montrant pas réellement d’homosexuel(le)s mais en
suggérant leur présence, les publicitaires parviennent à déjouer la crainte des homosexuel(le)s
d’être stéréotypé(e)s.
Toute la population homosexuelle ne lit pas nécessairement la presse gay, et il est
donc important pour les marques d’annoncer dans des médias « grand public » afin de toucher
ces homosexuel(le)s tout en communiquant vers elle par allusions et ce, pour ne pas heurter la
sensibilité d’une partie de leur clientèle. Ces allusions seront perçues positivement par la
population homosexuelle, tandis que les hétérosexuels ne s’y attarderont pas ou, au mieux, y
verront une attitude gay-friendly, attitude généralement jugée comme positive pour l’image de
marque de l’annonceur : être gay-friendly, ce serait être avant-gardiste, ouvert d’esprit, tolérant,
etc. Néanmoins, le fait que certaines marques développent un discours implicite parce qu’elles
craignent de perdre leur clientèle hétérosexuelle peut-être vu comme une forme de
discrimination comme l’explique Frédéric Pérez : « et cette crainte elle se voit aujourd’hui pour
les marques qui ont peur d’être assimilées à une marque gay…Comment on peut dire que ça ce
n’est pas n’est pas un signe fort de discrimination ?82 ».
81
82
Entretien n°2, cf. annexe n°15.
Entretien n°6, cf. annexe n°15.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
93
L’implicite permet également aux publicitaires de créer une relation de
connivence avec la population homosexuelle. Jouer sur des allusions, c’est faire appel à des
codes, des signes, des symboles, qui ne sont compris que par la population homosexuelle.
Comme l’écrit Emmanuel Ethis83 à propos du calendrier des Dieux du Stade (calendrier mettant
en scène des rugbymen nus) « lorsqu’on convoque le second degré, c’est, en général, pour
justifier plus ou moins adroitement de l’existence possible d’un contrat de connivence entre celui
qui produit une image ou un bon mot et celui qui les reçoit. Cela instaure d’emblée un jeu dont
le soi-disant second degré partagé signifie qu’on a décodé la règle implicite : on appartient
alors à la même « communauté culturelle » que ceux qui vous interpellent par ce contrat de
communication ». Nous pourrions dire ici que ce sentiment d’appartenir à une même
communauté culturelle ne doit pas être envisagé du point de vue la population homosexuelle¸
mais du point de vue des publicitaires qui, parce qu’ils se sont appropriés des références d’une
partie des homosexuel(le)s ont réussi à intégrer cette « communauté culturelle », condition sine
qua non pour s’adresser aux homosexuel(le)s sans paraître opportuniste.
Ces stratégies de l’implicite nous amènent à nous interroger sur le rôle du lecteur
dans l’interprétation de ces allusions. Une publicité peut mettre en scène une situation ambiguë,
encore faut-il que le lecteur perçoive cette ambiguïté…
3.2.b L’appareil interprétatif et la situation de communication au centre des
stratégies de l’implicite.
Barthes affirme que « toute image est polysémique, elle implique, sous-jacente à
ses signifiants, une « chaîne flottante » de signifiés, dont le lecteur peut choisir certains et
ignorer les autres 84». Une image est donc par nature polysémique, et l’objectif d’une stratégie
communicationnelle est d’orienter et de réduire cette polysémie pour produire un message
publicitaire intelligible rapidement, clair mais qui peut rester « ouvert », c'est-à-dire connotatif
plutôt que dénotatif. George Péninou rappelle que malgré cette orientation communicationnelle,
« fondamentalement, le décodage de l’image reste un fait de subjectivité et de culture85 ».
George Péninou parle même d’une « béance du sens ». Daniel Bougnoux confirme cela car pour
lui, quelque soit la forme de communication, « percevoir consiste à interpréter et à adapter sa
83
ETHIS, 2004.
BARTHES, 1964.
85
PENINOU, 1972, p.69.
84
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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culture (sa clôture) au monde de l’autre. Et tout sujet dispose d’un monde propre, c’est-à-dire
habite un système d’informations, de souvenirs ou d’anticipations qui intègre et oriente à chaque
instant tout signal nouveau 86».
Il est donc important de comprendre qu’un message, tant dans sa production que
dans sa réception, est soumis à des modèles et des contraintes divers. Le schéma de la
communication proposé par Catherine Kerbrat-Orecchioni87 permet de mettre à la lumière ces
dispositifs influant sur l’encodage et le décodage d’un message. Dans ce schéma, Catherine
Kerbrat-Orecchioni montre que l’encodage et le décodage d’un message sont soumis à des forces
qui les modèlent comme les contraintes de l’univers de discours en général, le modèle de
production ou d’interprétation en vigueur, les compétences linguistiques et para-linguistiques de
l’émetteur ou du récepteur (ce que l’instance connaît du code), les compétences idéologiques et
culturelles de l’émetteur ou du récepteur (l’expérience de l’instance, sa culture, ses opinions,
etc.) et enfin les déterminations « psy- » de l’émetteur ou du récepteur (son humeur par
exemple). Ce schéma met bien en évidence que les contraintes qui s’exercent sur les sphères
émettrice et réceptrice jouent un rôle dans la modalisation et l’interprétation d’un message.
Ainsi, si nous prenons l’exemple de la publicité Energy que nous avons analysée, un lecteur avec
des compétences idéologiques et culturelles particulières ne comprendra peut-être pas la
signification du smiley, qui peut, nous l’avons dit, être une allusion à l’homosexualité ou à la
musique techno. Un autre lecteur pourra n’y voir qu’une allusion à la musique techno parce que
ces compétences culturelles et idéologiques ne lui permettent pas d’identifier le smiley comme
une référence à l’homosexualité.
Les stratégies discursives des publicités faisant allusion à l’homosexualité font
donc appel à des codes qui sont plus ou moins perçus selon les compétences idéologiques et
culturelles du récepteur. Bernard Cocula et Claude Peyroutet eux, indiquent qu’il ne vaudrait
mieux pas parler de code, mais d’herméneutique pour les messages riches et polysémiques :
« mieux vaut parler d’herméneutique puisque, par définition, l’herméneutique consiste en une
interprétation des textes, et spécialement de leur symbolisme. Le terme s’emploie pour désigner,
comme l’écrit P. Guiraud, un système de signes implicites, latents, et purement contingents ».
Nous ne pouvons pas traiter de l’importance de la sphère réceptrice dans l’interprétation des
86
87
BOUGNOUX, 1998, p.55.
KERBRAT ORRECHIONI, 1980, p.19, cf. annexe n°6.
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messages publicitaires sans aborder quelques théories fondamentales développées par Umberto
Eco.
Dans son Lector in fabula, Umberto Eco envisage la réception des œuvres
littéraires en termes de coopération interprétative : le sens d’une œuvre ne se trouverait pas fixé
dans le texte lui-même et il soutient l’idée selon laquelle le lecteur est stimulé autant par ce que
l’œuvre dit que par ce qu’elle ne dit pas, dans le sens où une œuvre contient des blancs, des vides
que le lecteur doit combler. Il convient de préciser cette notion de « lecteur ». Pour Umberto
Eco, il y aurait un lecteur empirique, c’est-à-dire la personne qui lit effectivement le texte, et un
lecteur modèle, c’est-à-dire celui qui est « capable de coopérer à l’actualisation textuelle de la
façon dont lui, l’auteur, le pensait et capable d’agir interprétativement comme lui a agit
générativement88 ». En somme, un auteur prévoit via le choix d’un lexique, d’un style, un lecteur
modèle avec les compétences linguistiques, paralinguistiques, idéologiques et culturelles
« idéales » pour interpréter « au mieux » le texte. Ainsi, l’auteur délimite l’encyclopédie du
lecteur, c’est-à-dire non seulement le sens même des mots qu’il va utiliser, mais aussi dans
quelles situations il peut les utiliser. En revanche, si l’auteur prévoit un lecteur modèle, il ne peut
en aucun cas prévoir le lecteur empirique dont les codes peuvent différer tout ou partie de
l’auteur. On comprend mieux de cette façon comment les publicitaires peuvent envisager des
stratégies de l’implicite : ils mobilisent des codes et prévoient une cible homosexuelle modèle
capable de comprendre ces codes.
La notion de « programme narratif » mentionnée par Umberto Eco nous semble
également intéressante pour comprendre les mécanismes de ces stratégies de l’implicite. Ce
programme narratif, Umberto Eco le définit comme « une unité sémantique donnée comme
pêcheur (qui) est, dans sa structure sémantique même, un programme narratif potentiel 89». Cela
signifie que l’on attend d’un pêcheur certains gestes, certaines situations, un comportement, etc.
On imagine qu’un pêcheur peut acheter une canne à pêche, qu’il portera des bottes en
caoutchouc pour ne pas avoir les pieds mouillés, etc. bref, on associe au pêcheur un champ de
possibilités narratives. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour l’homosexuel(le) ? Quel est le
programme narratif d’un homme homosexuel : aller dans les bars, les boîtes de nuits gays, être
habillé au goût de la mode, etc. ? Et pour une homosexuelle ? Nous le voyons, on attend d’un(e)
homosexuel(le) d’être dans certaines situations, avec un certain comportement. Alors, si
88
89
ECO, 1985, p.71.
Ibid, p.20.
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l’homosexuel(le) d’une publicité ne s’inscrit pas dans ce programme narratif qui lui est
culturellement associé, il y a de fortes chances pour qu’il (ou elle) ne soit pas perçu(e).
L’importance de l’instance de réception est donc primordiale. Umberto Eco
explique que « le lecteur n’explicite […]que ce dont il a besoin. En agissant ainsi, il aimante ou
privilégie certaines propriétés tandis qu’il garde les autres sous narcose 90». Cela veut-il dire
pour autant que toutes les interprétations sont possibles, que toute l’interprétation se joue du côté
du récepteur ? Non, Umberto Eco, dans Interprétation et surinterprétation souligne
qu’ « interpréter un texte, cela veut dire expliquer pourquoi ces mots peuvent faire des choses
diverses (et non pas d’autres) en étant interprétés comme ils le sont91 », et qu’ « il a quelque part
des normes qui permettent de limiter l’interprétation92 ». De ce fait, il n’est pas permis de dire
qu’un texte peut tout dire et n’importe quoi même s’il peut signifier beaucoup de choses. Nous
devons tenir compte, entre autre, des éléments in praesentia, nous devons considérer le texte
comme un tout cohérent, c’est-à-dire que pour qu’une interprétation soit valide, il faut la mettre
en relation avec la globalité du texte, il faut chercher la présence d’autres éléments qui
convergeraient vers cette interprétation.
La signification d’un message est donc en grande partie actualisée par l’instance
de réception, mais nous devons signaler l’importance des contextes temporel et
communicationnel qui, en plus des éléments in praesentia et en plus des compétences de la
sphère réceptrice, modalisent l’interprétation du message. « Le contexte et les circonstances sont
indispensables pour pouvoir conférer à l’expression sa signification pleine et complète 93» nous
dit Umberto Eco.
Jean Baptiste Perret dans la revue Réseaux affirme que « la publicité française ne
montre par exemple pas d’homosexuels, pas plus aujourd’hui qu’hier
94
», réduisant ainsi à néant
les discours soutenant que la représentation des homosexuels dans la publicité se développe
parallèlement à la considération croissante d’un « marché gay ». Il se pourrait que ces discours
sur une représentation grandissante de l’homosexualité, notamment depuis la vague « pornochic », soient pris dans l’engrenage de tout un mécanisme discursif plus global que nous avons
90
ECO, 1985, p.112.
ECO, 1992, p.22.
92
Ibid, p36.
93
ECO, 1985, p.18.
94
PERRET, 2003, p.170.
91
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décrit lorsque nous nous sommes interrogés sur une éventuelle « explosion discursive »
concernant l’homosexualité. Nous pourrions supposer que l’éveil de la conscience sociale à la
question de l’homosexualité nous aurait amenés à chercher des traces, des preuves de cette plus
grande acceptation des homosexuel(le)s dans notre société. Partant, on aurait cherché dans la
publicité l’empreinte de cette « nouvelle visibilité homosexuelle », et on l’aurait trouvée en
interprétant les personnes androgynes ou la douce virilité d’un homme comme un motif homoérotique.
Cela nous amène à nous interroger sur les publicités parues il y a plus de soixante
ans et qui mettent en scène des motifs que l’on considère aujourd’hui comme homo-érotiques.
Les publicités95 pour les serviettes de bain Cannon (avec des militaires prenant un bain collectif)
ou pour les matelas Karpen (avec deux femmes se tenant par la main et l’accroche « elles ont du
dormir sur un matelas Karpen ») pourraient paraître comme des preuves « évidentes » qu’il
existait une représentation de l’homosexualité dans les publicités de cette époque. Mais c’est
peut-être transposer hâtivement le système référentiel actuel, propre à un temps donné, sur des
messages qui n’ont pas été produits dans le même système référentiel.
Pour finir, ces stratégies de l’implicite s’appuient également sur l’importance de la
situation de communication : une publicité prend une partie de son sens par rapport au support
dans lequel elle est publiée. Nous l’avons expliqué lorsque nous avons explicité notre démarche
et notre méthodologie pour le recueil et l’analyse de notre corpus : l’approche selon laquelle un
message doit être isolé de son contexte de production et de réception en vertu du principe
d’immanence ne nous paraît pas pertinente, du moins pour notre champ d’étude. Les stratégies
de l’implicite mobilisent en effet les attentes du lecteur. Il y a en effet un contrat de
communication qu’on ne peut mettre de côté : lorsqu’une personne achète ou se procure un
magazine dédié aux homosexuel(le)s, elle s’attend à trouver des informations qui lui
correspondent, et les messages publicitaires n’y échappent pas. Cela ne veut pas dire que les
publicités qui se trouvent dans un magazine dédié aux homosexue(le)s soient spécifiquement
conçues pour la population homosexuelle, ou en tout cas qui mettent en scène des personnages
homosexuels. Seulement, les trous, les vides soigneusement organisés par ces stratégies de
l’implicite seront comblés par ce que le lectorat attend de voir : des situations qui leur
correspondent, et qui sont donc liées tout ou partie à leur homosexualité. On se rend bien compte
95
Cf. annexe n°8.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
98
que certaines publicités ne seront pas perçues comme s’adressant à la population homosexuelle
dès lors qu’elles sont publiées dans des magazines grand public. Après tout, ne pourrait-on pas
imaginer que les publicités pour Energy, Sofinco, ou No Bacter puissent s’adresser à l’ «homme
moderne », et puissent se retrouver dans des magazines dits « masculins » comme Entrevue,
Men’s Health, etc ? Ces stratégies de l’implicite ont donc un énorme avantage pour les
annonceurs : il n’est pas besoin de dépenser de l’argent à décliner un concept publicitaire,
puisqu’une publicité suffit pour toucher à la fois une cible grand public et la population
homosexuelle.
Nous avons donc vu les mécanismes généraux de l’interprétation sur lesquels se
basent les stratégies de l’implicite des publicités mettant en scène l’homosexualité, ou pour le
coup, des publicités feignant de la mettre en scène ou de ne pas la mettre en scène, cela dépend
du point de vue selon lequel on désire se placer. Il nous est permis alors de nous demander s’il
est légitime de parler d’une représentation de l’homosexualité dans la publicité. Peut-être
faudrait-il mieux parler d’une interprétation de l’homosexualité ? Mais ce serait oublier que
comme l’a dit Umberto Eco, tout ne se passe pas du côté du lecteur, du récepteur ; l’œuvre est un
système organisé de signifiants qui contient donc en elle-même une partie de la signification
finale qui lui sera donnée. Il semble donc intéressant maintenant d’étudier comment ces
stratégies de l’implicite se mettent en place, comment (paradoxalement) se manifeste l’implicite.
3.2.c Grammaire de l’implicite, ou comment ne pas dire ce que l’on dit.
Une image est par nature polysémique, nous l’avons dit, mais force est de
reconnaître que beaucoup de publicités sont, passez nous l’expression, pleines de vides en ce qui
concerne l’homosexualité. Nous ne reviendrons pas sur le fait que l’homosexualité est une notion
polymorphe que nous avons choisie de limiter (ou d’étendre, tout dépend du point de vue) à la
notion de désir homosexuel. Rares sont en effet les publicités qui s’adressent explicitement à la
population homosexuelle. Dans notre corpus, les services à caractères pornographiques Omos et
Girl’s Line, Olea, Canderel, banque privée Fideuram Wargny et la MAIF constituent des
publicités visant de façon explicite la population homosexuelle, principalement grâce aux signes
linguistiques qui jouent une fonction d’ancrage dans le sens où ils mentionnent plus ou moins
clairement l’homosexualité : « Omos » évoque clairement « homo », Girl’s Line parle de réseau
« fille à fille », Olea s’annonce clairement comme le premier voyagiste « gay et lesbien »,
Canderel parle de « pédé », tandis que la Maif parle de « couples hétérosexuels ». Cela ne veut
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
99
pas dire pour autant que les stratégies de l’implicite doivent écarter l’utilisation de signes
linguistiques. Les mots peuvent, au contraire, être porteurs d’ambiguïté et activer le doute chez le
lecteur quant au sens d’une image.
Pour ce qui est des signes iconiques, les stratégies de l’implicite incitent à la mise
en scène d’un individu seul plutôt qu’accompagné, procédé qui permet une plus grande
ambiguïté quant à l’identité sexuelle du personnage. En effet, une identité sexuelle se définit par
la relation entre deux personnes. L’hétérosexualité est l’identité sexuelle par défaut d’une
personne. Ainsi, à moins de montrer clairement des individus du même sexe ensemble, présentés
sous certains rapports, il ne peut y avoir qu’une allusion homosexuelle. Cela explique pourquoi
une grande partie des publicités usant de l’implicite comme technique pour s’adresser à la
population homosexuelle (comme Sofinco ou Energy) mettent en scène un personnage solitaire
et rarement en couple. On relèvera bien sûr des exceptions comme la publicité Fragile, qui
parvient à évoquer l’homosexualité masculine comme féminine en représentant une femme
masculine, en compagnie de plusieurs hommes dont certaines caractéristiques les rapprochent
d’une identité féminine. De plus, il s’agit pour ces publicités de constituer le personnage de la
publicité comme un objet de désir : le désir homosexuel, qui est notre objet d’étude, ne signifie
pas forcément un désir sexuel ou érotique entre deux personnages du même sexe d’une publicité.
Le désir homosexuel peut tout simplement présenter le personnage de la publicité comme un
objet de désir pour une personne homosexuelle. C’est en tout cas ce qui ressort de nombreux
discours, comme celui du site Com Analysis96, où la présence d’un jeune homme au regard
langoureux serait une technique de l’implicite pour cibler les homosexuels. Mais au fond, ne
serait-ce pas se plier à une logique androcentrique selon laquelle un homme ne doit pas être
l’objet de la séduction mais le sujet de celle-ci ? Ne serait-ce pas reproduire des schèmes de
pensée androcentriques que de considérer qu’un homme dont le corps est érotisé est une
technique pour cibler les homosexuels ? Cela signifierait, entre autre, que l’homme qui joue de
son corps comme d’un objet érotique ne s’adresse pas à la femme, et donc que la femme ne peut
être le sujet dans le jeu de la séduction. La publicité pour L’Oréal que nous avons mis en
annexe97 est parue dans le magazine gay Têtu (mais ont pu être publiées dans des magazines
grand public) et illustre cette idée. Nous ne disons pas que ces publicités s’adressent
exclusivement aux homosexuels, mais le fait que nous soupçonnions une allusion homosexuelle
revient à cette idée androcentrique selon laquelle « l’homme objet » est suspect. Or, faisons nous
96
97
LUGRIN et PAHUD, 2001.
Cf. annexe n°9.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
100
de même pour les publicités pour les produits de beauté féminine ? Après tout, ces femmes
souriantes, au regard épanoui ne pourraient-elles pas contribuer à cibler les homosexuelles ? Il
semble moins important d’y répondre que de soulever que l’on se pose rarement, voire jamais,
cette question. Quoiqu’il en soit, il faut comprendre que ces motifs homoérotiques peuvent aussi
bien plaire aux homosexuel(le)s, qu’aux hétérosexuel(le)s, ce qui explique les difficultés que
nous pouvons avoir à définir les stratégies discursives des publicités visant les homosexuel(le)s.
Certains affirment même que ces publicités ne sont en rien des publicités démontrant un certain
intérêt pour les homosexuels, et nous avons dans nos entretiens des propos qui confirment
qu’elles sont souvent plutôt jugées comme « gay-friendly » comme : « Mais les mecs torse nu
pour moi c’est pas des pubs gays. C’est un mec torse poil. Point. Destiné aux amateurs de beaux
corps » (Entretien n°2) ou encore : « c’est pas parce que y’a un beau gosse que c’est gayfriendly ! C’est des pubs « good body friendly » c’est tout ! Avant, la discrimination c’était une
discrimination homme/femme. Maintenant, c’est une discrimination au faciès ! […] On va pas
foutre des gens moches dans des pubs ! C’est une constante, c’est vrai : le gay a toujours eu le
culte du corps mais moins avec la génération qui arrive plus « grungy », toujours mal rasée,
toujours habillée pareil, genre Jérémy Châtelain. Aujourd’hui on est « body addict », et comme
les pubs sont dans ce concept, elles plaisent aux gays » (Entretien n°6).
Il s’agit donc bien de stratégies du doute, qui se matérialisent par trois procédés
principaux : l’hyper-accentuation du genre, l’androgynie et ce que nous appellerons la technique
du miroir ou du « double je ». Tout cela forme les technologies de l’ambiguïté qui reposent sur la
compétence du lecteur à décrypter le ou une partie du message publicitaire comme ciblant les
homosexuel(le)s.
Un des premiers procédés est l’hyper-accentuation du genre qui correspond à une
exagération des propriétés intrinsèques à l’homme et à la femme. Par exemple, nous avons
soulevé à maintes reprises que les muscles des personnages masculins étaient dans notre corpus
mis en avant par plusieurs procédés graphiques (reflets spéculaires, cadrage, contrastes, etc.). De
même pour les femmes présentes dans les publicités de la vague dite « porno-chic » où leur
hyper-féminité était associée à l’homosexualité féminine. L’affirmation du genre semblerait donc
être une première façon de faire allusion à un motif homoérotique. Néanmoins, notons que cette
affirmation exacerbée du genre s’accompagne souvent d’éléments graphiques ou iconiques
ramenant au sexe opposé et qui engendrent une certaine ambiguïté. Pour les hommes par
exemple, ces éléments font passer d’une virilité brutale ou machiste à une douceur masculine.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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101
Dans la publicité Sofinco, l’homme est bien mis en valeur comme homme, mais certains
éléments le ramènent à une certaine féminité (le décor intérieur, le tissu, les mots « design » et
« déco », etc.).
Ensuite, certaines publicités n’hésitent pas à créer le doute sur l’identité sexuelle
des personnages qu’elles mettent en scène par la représentation de personnes androgynes.
L’androgynie se différencie de l’efféminement pour un homme car si l’efféminement serait un
affaiblissement d’un homme qui perdrait ses qualités masculines pour devenir (en partie) une
femme, l’androgynie a cela de pratique c’est qu’elle suppose que l’homme est à la fois masculin
et féminin ; il n’y a pas un processus jugé dégradant d’affaiblissement. L’androgynie serait
même une qualité positive : une femme androgyne acquérrait une certaine force, tandis que
l’homme androgyne acquérrait une douceur agréable. L’idée selon laquelle l’androgynie est
culturellement positive se retrouve d’ailleurs dans les mythes et la religion. Dans la religion par
exemple, car lorsque le christianisme s’est répandu à Rome, le phénix, qui est le symbole de
l’androgynie parce qu’il s’engendre lui-même, accompagnait souvent les images du Christ,
Christ qui est parfois représenté comme un personnage androgyne. On comprend mieux alors
l’évocation homosexuelle de la publicité Fragile par la représentation d’une femme-Christ. De
plus, l’utilisation de personnages androgynes en publicité renvoie implicitement à l’art dit
« décadent », c’est-à-dire de la fin du 19ème, où l’androgynie était un des thèmes majeurs. En
peinture la femme était représentée comme castratrice et puissante, et en littérature, comme
l’atteste les romans de Rachilde (auteur notamment de Monsieur Vénus), la confusion des genres
est de mise. Nous le voyons, mettre en scène des personnages androgynes permet aux
publicitaires de suggérer une certaine force positive, de conférer une esthétique certaine à
l’image et bien sûr de faire allusion à l’homosexualité. Reste à savoir ce qui fait la masculinité
ou la féminité d’un corps ou d’un visage….
Enfin, un des derniers procédés contribuant à susciter le doute chez le lecteur
quant à l’identité sexuelle du personnage de la publicité est ce que nous pouvons appeler la
stratégie du miroir ou du « double je ». Il s’agit d’une astuce graphique qui montre un
personnage en train de regarder le reflet que lui renvoie une surface réfléchissante (miroir, vitre,
eau, etc.)98. La publicité No Bacter de notre corpus illustre parfaitement cette théorie : par un
face à face virtuel entre une personne et son double (qui est donc du même sexe), cette stratégie
98
Cf. annexe n°10.
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102
du « double je » permet de faire allusion de façon habille à l’homosexualité. Parfois, le reflet ne
prend pas les mêmes postures, habits, coiffure, etc. de la personne qui se regarde99. Ce décalage
peut évoquer alors la double vie que certain(e)s homosexuel(e)s mènent en cachant leur identité
sexuelle à leur entourage tout en fréquentant des bars gay-friendly en soirée.
Nous voyons bien qu’avec ces stratégies de l’implicite, il est difficile de parler
d’une représentation de l’homosexualité dans la publicité. D’une part parce qu’à moins de
montrer explicitement deux personnes du même sexe dans certaines situations, la publicité ne
peut faire référence qu’à un désir que l’on interprète comme homosexuel. Ensuite, parce que la
plupart des publicités jouent sur une non représentation de l’homosexualité, sur une saturation
d’ambiguïtés qui ne demandent qu’à être activées par un regard désireux de déceler une allusion
à l’homosexualité. L’exhibition de ces personnages au corps exalté, au regard langoureux, aux
positions ambiguës peut n’être interprétée que comme un argument publicitaire pour toucher une
cible féminine (si la publicité montre un homme) ou masculine (si la publicité montre une
femme).
Est-il possible alors d’imaginer des espaces médiatiques où les homosexuel(le)s
pourraient donner une image de l’homosexualité qu’ils (ou elles) auraient définie eux-mêmes ?
Comme l’écrit Didier Eribon, « c’est dans et par le langage (et l’image) que se joue la
domination symbolique, c’est-à-dire la définition et l’imposition des perceptions du monde et des
représentations socialement légitimes. Le dominant, comme le dit Pierre Bourdieu, est celui qui
réussit à imposer la façon dont il veut être perçu, et le dominé , celui qui est défini, pensé et
parlé par le langage de l’autre, et celui qui ne parvient pas à imposer la perception qu’il a de
lui-même 100». Dans ce sens, la publicité sur Internet peut-elle permettre aux homosexuel(le)s de
renverser la représentation de l’homosexualité qui est donnée par une société hétérocentriste ?
99
Cf. annexe n°10, doc.1.
ERIBON, 1999, p.111.
100
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103
3.3 La publicité sur Internet : une resubjectivation possible ?
L’ère des illusions d’un Internet comme espace de libertés sans limite et
accessible à tous semble s’être évanouie en même temps que les espoirs suscités par une eéconomie non pas virtuelle, mais bien plus difficile à conquérir que prévue. Cependant, malgré
cette démythification légitime de l’Internet tout puissant, n’est-il pas possible d’envisager ce
média comme un vecteur potentiel d’une « nouvelle » image de l’homosexualité, qui viendrait
bien sûr s’inscrire dans un processus de « resubjectivation » global qui mobiliserait un ensemble
plus large d’acteurs et de médias ? Cette notion de « resubjectivation », Didier Eribon la définit
comme « la possibilité de recréer son identité personnelle à partir de l’identité assignée 101».
Cela pose évidemment le problème de la dépendance de l’identité (ou des identités)
homosexuelle(s) vis-à-vis des normes hétérocentristes : comment concevoir une population
identitairement autonome si celle-ci se construit en fonction de l’image que lui assigne une
société hétérocentriste ? Didier Eribon explique que « récupérer l’autonomie personnelle et
devenir un individu de plein droit implique d’abord de reconstruire l’image collective pour offrir
des modèles différents, ne serait-ce qu’en contournant ou contestant les « portraits » produits
par les porte-paroles de la norme sociale et sexuelle ou en les privant de leur charge
dégradante 102». Internet constitue-t-il un moyen efficace pour priver de leur charge dégradante
ces portraits produits par la norme sociale et sexuelle ?
3.3.a
Des annonceurs frileux face à des sites un peu trop « chauds »
Les sites web n’ont été que récemment pris en compte dans les médias plannings
des annonceurs, encore dubitatifs quant à l’efficacité réelle de la publicité sur Internet. Pourtant,
les webmasters ont fait preuve d’imagination pour intégrer sous des formats différents des
publicités qui leur assurent un maigre revenu : bannière horizontale, skyscraper, pop-up, popunder, adaptation temporaire de la charte graphique aux couleurs d’un produit ou d’une marque,
etc. Les modalités d’affichage de ces formats publicitaires sont également diverses : affichage
constant sur une page, à l’ouverture du site, lorsque l’internaute souhaite accéder à une autre
page, dans les newsletters envoyées aux abonnés, avant de télécharger un fichier, etc.
101
102
ERIBON, 1999, p.19.
Ibid, p.111.
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104
Mais la publicité par Internet ne convainc pas encore : les internautes se sont
habitués à ces publicités et le taux de clic sur ces bannières publicitaires ne correspond guère aux
espoirs que portaient les discours des acteurs de cette nouvelle économie. Enfin…tout dépend
dans quel secteur économique se situe l’annonceur, car la publicité sur Internet semble bien
profiter à un secteur : les marchands du sexe !
Comme le minitel, Internet a d’abord été un espace privilégié pour les services à
caractères pornographiques. L’on se souvient encore du temps (pas si éloigné que cela) où les
médias, et plus particulièrement la télévision, se faisaient presque une joie de présenter Internet
comme le nouvel outil indispensable pour qui désire se procurer rapidement et discrètement des
images pornographiques, pédophiles, etc. Il est vrai qu’Internet a été et est encore, comme
beaucoup d’outils de communication, un support pour des services à caractères
pornographiques : il y a eu la gloire du téléphone rose, du minitel rose…et c’est l’Internet rose
qui a pris la relève depuis quelques années ! Ainsi se sont développés des milliers de sites
spécialistes du sexe, des sites qui ont donc été parmi les premiers à se servir du Web comme
support publicitaire. Internet permet en effet à chacun de développer son site, mais encore faut-il
rendre son site visible parmi cette masse concurrentielle. Force est de constater que lorsque l’on
saisit dans son moteur de recherche « gay », « homosexuel », ou encore « lesbienne », les
résultats qui nous sont donnés relèvent pour une écrasante majorité de sites à caractères
pornographiques, des sites ayant presque de la peine à contenir toutes les bannières publicitaires
vantant les mérites de produits plus « hot » les uns que les autres.
Néanmoins, depuis quelques années, des sites d’informations destinés à ce que
certains appellent les communautés LGBT (comprenez Lesbienne, Gay, Bisexuel et Transgenre)
ont réussi à se développer : informations politiques, associatives, culturelles, événementielles,
services de chat, forum et… liens vers des sites érotiques ou pornographiques. Sans compter que
ces mêmes sites, à côté d’articles sur l’agression de Sébastien Nouchet ou sur les mariages
homosexuels célébrés à San Francisco présentent aux yeux des internautes des publicités pour
des sites de e-commerce (entre autres) spécialistes de la pornographie homosexuelle.
Effectivement, rares sont les sites qui décident de maintenir une ligne éditoriale qui exclut des
références directes à des services à caractères pornographiques.
Cette surabondance de la pornographie homosexuelle explique en partie la
réticence de certaines marques à annoncer sur les sites Internet dédiés aux homosexuel(le)s.
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105
Apparaître aux côtés d’une publicité sur le dernier DVD pornographique peut en effet s’avérer
nuisible pour l’image de marque de l’annonceur. Cependant, quelques grandes marques comme
IBM, Microsoft, EuropCar ou Sofinco annoncent depuis peu sur des sites d’informations dédiés
aux homosexuel(le)s103.
Mais que ce soit pour des services à caractères pornographiques ou pour des
produits plus « traditionnels », la publicité sur Internet semble a priori peu propice à une
éventuelle resubjectivation des homosexuel(le)s. Dans ces publicités, nulle mise en scène
sophistiquée, très peu d’efforts en terme d’esthétique, etc. Prenons l’exemple de Sofinco104 :
représenter deux personnes du même sexe proche avec un motif arc-en-ciel suffit pour cibler les
homosexuel(le)s ! L’on pourrait affirmer que cette pauvreté publicitaire est liée aux contraintes
de l’Internet : la publicité ne doit pas être trop lourde en terme de chargement, elle doit user de
clignotements, mouvements rapides, etc. pour attirer tant bien que mal le regard de l’internaute.
Néanmoins, si ce discours pouvait être tenu à l’heure de l’Internet bas débit, il paraît de plus en
plus difficile de le tenir aujourd’hui où de plus en plus d’internautes disposent d’une connexion
haut débit, surtout à en croire le discours marketing qui présente les homosexuel(le)s comme
friands de nouvelles technologies ! En effet, on commence à voir apparaître, sur des sites portails
importants notamment, des publicités plus esthétisées : effets de transparence, sons, ébauche de
scénario, et même parfois des extraits vidéos.
3.3.b Les enjeux de la publicité sur Internet pour les homosexuel(le)s.
Nous sommes pour le moment encore loin d’une généralisation de ces nouvelles
techniques publicitaires sur Internet, mais nous pouvons supposer qu’elles se développeront
parallèlement à l’accroissement du nombre de foyers équipés en connexions haut débit. Il s’agit
de comprendre que la publicité sur Internet pourrait tendre de plus en plus vers un
rapprochement des publicités télévisuelles et papiers. Les progrès technologiques permanents
couplés à une augmentation du taux d’équipement en connexions haut débit pourraient amener
vers de nouvelles formes publicitaires alliant esthétisme, scénarisation plus poussée, animation
vidéo, illustrations sonores , interactivité, etc. Ces nouvelles formes publicitaires, si elles se
développent, pourront alors peut-être conduire vers une reconsidération de la publicité sur
Internet. Ce média permet non seulement une interactivité qui peut participer à l’émergence de
103
104
Cf. annexe n°14.
Cf. annexe n°14, doc.5.
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106
stratégies publicitaires inédites, mais aussi un ciblage poussé. Un annonceur peut bien
évidemment effectuer un premier ciblage en fonction de la multitude de sites existants et parfois
très spécialisés (permettant donc de toucher des niches de marché), mais il peut également cibler
de façon assez précise, parmi les visiteurs de ces sites, un groupe d’internautes bien particulier en
affichant des bannières différentes en fonction de la page regardée (informations culturelles,
agenda de soirées, informations politiques, etc.) ou du profil de l’internaute si celui-ci s’est
enregistré sur le site web en question.
Dans la perspective d’être un agent médiateur entre des marques désireuses de
communiquer vers les internautes homosexuels et des webmasters de sites souhaitant percevoir
une rémunération via l’affichage de bannières pour des produits à caractère non pornographique,
l’agence de communication Novencio a inauguré en mai 2004 une plateforme d’affiliation.
Comme n’importe quel système d’affiliation classique, la plateforme Novencio Network permet à
des webmasters de gagner de l’argent dès lors qu’un internaute clique sur une bannière, visite le
site promu ou y effectue tout autre action (visite, achat, inscription à une newsletter, etc.). La
particularité de cette plateforme est de proposer des publicités non pornographiques et qui
s’éloignent du modèle « arc-en-ciel + deux personnes du même sexe », sans pour autant proposer
pour le moment des bannières tirant partie des dernières avancées technologiques105. Cet outil
s’ancre dans la logique de Novencio qui tente de contribuer à ce processus de resubjectivation en
démontrant aux annonceurs que l’homosexualité ne se résume pas à la pornographie mais qu’elle
serait un, ou plutôt des modes de vies particuliers.
La publicité sur Internet semble donc prendre une nouvelle direction, avec un
intérêt grandissant des marques grand public pour ce média, et avec un début, modeste il faut le
reconnaître, de « nouvelles » représentations de l’homosexualité, c’est-à-dire tendant davantage
vers les modèles représentatifs publicitaires de la télévision et de la presse. On relèvera par
exemple la publicité de Microsoft pour son produit « Msn Messenger » (un logiciel de chat). La
bannière met en scène trois personnages qui font office de terminaison florale à une plante
(symbole ici de réseau) : un indien, un policier et un ouvrier. On aura reconnu la référence au
groupe musical des années 1970 les Village People, souvent utilisé comme allusion à la
population homosexuelle. Une publicité plutôt subtile donc en comparaison de ce qui se fait
généralement sur la Toile.
105
Cf. annexe n°14 pour quelques bannières de la plateforme d’affiliation Novencio.
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107
Quoiqu’il en soit, il n’est évidemment pas question d’affirmer ici qu’Internet
serait le vecteur ultime et unique d’une éventuelle resubjectivation de la population
homosexuelle. En revanche, nous ne devons pas prendre une position inverse qui consisterait à
sous-estimer ce média. Il doit s’inscrire dans une stratégie plus large de resubjectivation qui
passe par d’autres médias et par d’autres discours que le discours publicitaire. Par sa capacité de
ciblage, Internet permet d’anéantir les stratégies de l’implicite, mais parallèlement, en ne
s’affichant que sur des sites visités par les homosexuel(le)s, les bannières publicitaires ne
contribuent pas à un accroissement de la visibilité des homosexuel(le)s. De plus, cela ne permet
pas de toucher les homosexuel(le)s qui ne consultent pas les sites d’informations qui leur sont
dédiés. Enfin, comme nous l’avons dit, les publicités sur Internet se rapprochent de plus en plus
des représentations de l’homosexualité données par les publicités télévisuelles et papiers ; elles
ne semblent donc pas s’inscrire pour l’instant dans de nouvelles stratégies discursives…
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108
Conclusion
D
éfinir
les
stratégies
discursives
des
publicités
représentant
l’homosexualité ainsi que leurs enjeux communicationnels et
sociologiques, c’est mettre au jour l’étendue et les limites du discours
publicitaire et de l’ordre social dans lequel il s’inscrit.
S’interroger sur l’homosexualité, c’est aussi interroger dans le même mouvement
l’ordre hétérosexuel : en délimitant les contours de l’homosexualité, on dessine en même temps
les frontières normatives de l’hétérosexualité. Comme le souligne Jean-Baptiste Perret, il y a eu
une évolution sans précédents des rôles sociaux de genre depuis une trentaine d’année106, rendant
floues et insaisissables les séparations jusque là culturellement assimilées et indiscutées entre ce
qui est masculin et ce qui est féminin. Paradoxalement, avec l’expression d’une crainte d’être
représenté(e) comme « folle » ou comme « camioneuse », le discours des homosexuel(le)s tend,
à l’inverse, à réaffirmer cette distinction des genres, alors que justement, l’homosexualité est vue
comme le lieu de la confusion du masculin et du féminin. Se pliant au moule d’une société
hétérocentriste, beaucoup d’homosexuels par exemple affirment leur masculinité (uniquement
dans leurs paroles parfois), donnent une image conforme à ce que l’on attend d’un homme,
solidifiant ainsi l’opposition des genres, et contribuant à implanter la domination du principe
masculin. Un cercle vicieux duquel il est bien difficile de se défaire, nos représentations étant
régies par une distinction culturelle des genres basée elle-même sur une distinction biologique
des sexes qui n’est pas naturelle. Les représentations de l’homosexualité ne semblent pas pouvoir
actuellement contribuer à un nouvel ordre social qui ne serait pas soumis à une hiérarchie
normative des genres, bien au contraire, elles solidifieraient l’ordre social existant, et
permettraient aux hommes hétérosexuels de mieux se redéfinir comme « homme » alors qu’ils
pourraient penser avoir perdu de leur identité, de leur « virilité » face à une société où les
femmes ont acquis une visibilité et un pouvoir qui perturbe l’ordre masculin. Mais, de nos jours,
si le discours publicitaire assure la pérennité de la domination masculine et de la distinction des
genres, il est également un des lieux de sa remise en cause107, il permet de faire remonter à la
surface du sensible les stratégies invisibles et les limites tacites d’une société androcentrique.
106
107
PERRET, 2003, p.152.
Ibid, p.169.
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Nos réflexions sur le discours des publicités représentant l’homosexualité reflètent
également le soucis d’une population qui refuse le stéréotype…finalement peut-être comme tout
le monde aujourd’hui ; on désire à la fois être reconnu par un groupe tout en refusant d’y
appartenir. Ainsi, en vertu d’une spécificité de l’homosexualité, la publicité devrait se passer de
stéréotypes, chose impossible et qui n’est même pas souhaitable. Comme l’explique Ruth
Amossy, « on peut se demander […] si, à dénoncer les représentations traditionnelles, on ne se
voue pas à leur en substituer d’autres non moins contraignantes, voire aliénantes. En effet, seul
un mouvement perpétuel de transgression et de déconstruction peut empêcher que se reforment
ailleurs de nouvelles images collectives. Il n’est jamais possible de garantir que les schèmes de
pensées nouveaux ne glisseront pas vers la stéréotypie108 ». En fin de compte, les questions
relatives aux stratégies discursives des publicités représentant l’homosexualité gravitent autour
d’une problématique commune : l’existence d’une identité homosexuelle et sa (re)définition.
Les publicitaires désirant communiquer aux homosexuel(le)s doivent en effet
appréhender la question d’une identité homosexuelle pour la représenter, ou pour user de
stratégies discursives aptes à s’intégrer à cette identité, s’il en existe une (ou plusieurs). En effet,
la question d’une (ou de) communauté(s) homosexuelle(s) n’est pas évidente, puisque on ne sait
pas s’il faut prendre comme critère les pratiques sexuelles, effectives ou désirées, la
fréquentation de certains lieux, un mode de vie particulier, etc. Constituer une communauté sur
un critère sexuel ne serait-il pas un moyen de perpétuer de façon inconsciente l’idée selon
laquelle le sexe serait fondateur de l’être ? Et tant bien même il existerait une (ou des) identité(s)
homosexuelle(s), serait-il possible de la (les) considérer indépendamment de la norme
hétérosexuelle ? Peut-être que ce qui serait à l’origine de cette (ou ces) identité(s)
homosexuelle(s) ne serait pas la sexualité même de l’homosexuel(le), mais plutôt la position de
cette sexualité dans le système normatif en vigueur : ce qui crée un mode de vie particulier, des
codes vestimentaires, linguistiques, etc., n’est pas la sexualité des individus en tant que telle,
mais comment cette sexualité se positionne dans l’échelle normative des schèmes de pensées des
dominants. En somme, l’identité homosexuelle, avec ses codes, serait une création de la norme
hétérosexuelle, ou du moins une création contre la norme hétérosexuelle. Pour déjouer la
répression quotidienne d’une société hétéronormée, la population homosexuelle (ou une partie
d’entre elle) s’est organisée et s’est constituée des codes, un langage de l’implicite. Ainsi, dans
ce discours contre la norme, l’identité homosexuelle a nécessairement conservé une trace
108
AMOSSY, 1991, p.15.
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invisible de la norme hétérosexuelle. Produire un discours contre, c’est produire un discours à
partir de. On peut émettre alors l’hypothèse selon laquelle dans tous ces codes homosexuels on
trouverait l’empreinte de la norme hétérosexuelle contre laquelle ces codes se sont formés. Par
exemple, l’hypervirilisation est un discours contre la vision de l’homosexuel efféminé ; les
homosexuels se sont même appropriés des codes parfois homophobes pour en inverser les
valeurs symboliques : certains s’affirment comme « pédé », parlent d’eux et des autres au
féminin, etc.
Néanmoins, si la norme hétérosexuelle a incité à la création de codes spécifiques,
à l’organisation de lieux de sociabilité particuliers, peut-être que dans ces espaces vides de la
répression normative la population homosexuelle a eu et a encore une certaine liberté dans la
définition ou dans la redéfinition de son identité….
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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111
Bibliographie
I.
Ouvrages
•
AMOSSY Ruth, Les idées reçues : sémiologie du stéréotype ; Nathan : 1991.
•
AMOSSY Ruth et HERSCHBERG PIERROT Anne, Stéréotypes et clichés ; Nathan :
1997.
•
BOUGNOUX Daniel, Introduction aux sciences de la communication ; La Découverte :
1998.
•
BOURDIEU Pierre, Sur la télévision ; Raisons d’agir éditions : 1996.
•
BOURDIEU Pierre, La domination masculine ; Seuil : 1998
•
COCULA Bernard et PEYROUTET Claude, Sémantique de l’image : pour une approche
méthodique des messages visuels ; Delagrave : 1986.
•
DYER Gillian, Advertising as communication ; Routledge : 1982.
•
ECO Umberto, Lector in fabula ou La coopération interprétative dans les textes
narratifs ; Grasset : 1985.
•
ECO Umberto, Interprétation et surinterprétation ; Presses Universitaires de France :
1992.
•
ERIBON Didier (dir.), Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes ; Larousse : 2003.
•
ERIBON Didier, Réflexions sur la question gay ; Fayard : 1999.
•
FLOCH Jean-Marie, Sémiotique, marketing, communication : sous les signes, les
stratégies ; Presses Universitaires de France : 1990.
•
FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité I : la volonté de savoir ; Gallimard : 1976.
•
KERBRAT-ORECCHIONI Catherine, L’énonciation : de la subjectivité dans le
langage ; Armand Colin : 1980.
•
JOLY Martine, Introduction à l’analyse de l’image ; Nathan Université : 1993.
•
LELAIT David, Gay Culture ; Anne Carrière : 1998.
•
MINOT Françoise, Quand l’image se fait publicitaire : approche théorique,
méthodologique et pratique ; L’Harmattan : 2001.
•
PENINOU Georges, L’intelligence de la publicité : analyse sémiotique ; Robert Laffont :
1972.
•
TREGUER Jean-Paul et SEGATI Jean-Marc, Les nouveaux marketings : marketing
générationnel, gay marketing, marketing ethnique ; Dunod : 2003.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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112
II.
•
Articles et revues
BARTHES Roland, « Le message publicitaire » in Les Cahiers de la Publicité, juilletseptembre 1963.
•
BARTHES Roland, « Rhétorique de l’image » in Communications, novembre 1964.
•
COSSE Emmanuelle et al., « Les Folles en question » in Têtu, n° 84, p114-117,
Décembre 2003.
•
ETHIS Emmanuel, « Le second degré n’existe pas ! A propos de nos nouveaux Dieux du
stade » ; 24 Février 2004.
•
GROSSIR Emmanuelle et KAMAL Fouzia, « De l’utilité (ou non) du marketing gay » in
CB News, n°790, p10-11, semaine du 10 mai 2004.
•
KUNERT Stéphanie et MITTEAUX Valérie, « Marketing gay : la fin d’un mirage ? » in
Stratégies, n°1315, p14-15, semaine du 26 février 2004.
•
MITTEAUX Valérie, « Les marques « gay friendly » mais toujours honteuses » in
Culture Pub Le Magazine, n°2, p34-47, Janvier/Février 2001.
•
PERRET Jean-Baptiste, « L’approche française du genre en publicité : bilan critique et
pistes de renouvellement » in Réseaux, volume 21/120, p149-170, 2003.
III.
•
Sites et pages Internet.
ERIBON Didier, (2001). Foucault, une pensée vivante. Page consultée le 25 mai 2004.
http://www.france.qrd.org/assocs/ueh/hist/index.php?page=trans2001_04_18 – 2001.
•
HERMAN Thierry et LUGRIN Gilles, (2003). Les chemins de la persuasion publicitaire.
Page consultée le 06 juin 2004.
http://www.comanalysis.ch/ComAnalysis/Publication80.htm - Décembre 2003.
•
LUGRIN Gilles et PAHUD Stéphanie, (2001). La pub et les ghettos II : quelles places les
homosexuels ont-ils dans la publicité ? Page consultée le 03 mars 2004.
http://www.comanalysis.ch/ComAnalysis/Publication31.htm - Novembre 2001.
•
LUGRIN Gilles et PAHUD Stéphanie, (2002). De la femme objet à l’homme objet : la
publicité sexiste. Page consultée le 03 mars 2004.
http://www.comanalysis.ch/ComAnalysis/Publication65.htm
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113
•
MEDIA G : site officiel de l’observatoire du traitement de l’homosexualité dans les
medias. Contient notamment des rapports sur le traitement de l’homosexualité à la
télévision depuis 2001. Consultation du 10 Avril 2004.
http://www.media-g.net
•
MOUGIN Véronique et KHALIFA Audrey, (2003). « Les illusions du marché gay » in
L’Express. Archives. Consultation du 05 mai 2004.
http://www.lexpress.fr/info/societe/dossier/homos/dossier.asp?ida=408158
•
THE COMMERCIAL CLOSET : site anglophone qui regroupe des publicités
représentant l’homosexualité, de tous les pays, sur tous les supports (Tv, web, papier,
ect.) et depuis 1917.
http://www.commercialcloset.com
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Annexes
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Annexes
- Annexe n°1 : Publicité Desire For a Man.
- Anexxe n°2 : Corpus d’analyse :
- 1| Omos
- 2| Girl’s Line
- 3 | Fragile de Jean-Paul Gaulthier
- 4 | Energy
- 5 | Playstation 2
- 6 | Olea, version masculine
- 6 bis | Olea, version féminine
- 7 | No bacter
- 8| Canderel
- 9 | Banque privée Fideuram Wargny
- 10 | Sofinco
- 11 | MAIF
- Annexe n°3 : Le schéma de la communication, Catherine Kerbrat-Orrechioni
- Annexe n°4 : Le second degré n’existe pas !, Texte d’Emmanuel Ethis.
- Annexe n°5 : L’homoérotisme dans les publicités anciennes
- Annexe n°6 : L’homme objet
- Annexe n°7 : La stratégie du reflet
- Annexe n°8 : Sondage « Les folles et vous ».
- Annexe n°9 : L’homosexualité par l’humour.
- Annexe n°10 : Publicité Maxxium : un début de segmentation ?
- Annexe n°11 : Bannières publicitaires Internet.
- Annexe n°12 : Entretiens : méthodologie et retranscription
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Annexe 1 | Publicité Desire For a Man
Desire For a Man
Source : Têtu, février 2003
Une publicité parue dans un magazine gay mais montrant la
femme comme objet de désir pour l’homme…Une erreur dans le
plan média de la marque !
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Annexe 2 | Présentation du corpus
- 1| Omos
- 2| Girl’s Line
- 3 | Fragile de Jean-Paul Gaulthier
- 4 | Energy
- 5 | Playstation 2
- 6 | Olea, version masculine
- 6 bis | Olea, version féminine
- 7 | No bacter
- 8 | Canderel
- 9 | Banque privée Fideuram Wargny
- 10 | Sofinco
- 11 | MAIF
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Annexe 3 | Le schéma de la communication, C. Kerbrat-Orrechioni
KERBRAT ORRECHIONI Catherine, L’énonciation : de la subjectivité dans
le langage, Armand Colin : 1980.
Schéma page 19.
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Annexe 4 | Le second degré n’existe pas, d’Emmanuel Ethis, 2004.
LE SECOND DEGRE N’EXISTE PAS !
(à propos de nos nouveaux Dieux du stade)
Dans une récente interview accordée à un grand quotidien national109, Max Guazzini, le
président du Stade français Paris déclarait à propos du fameux calendrier des rugbymen nus que
tout cela, « au départ, c’est uniquement pour s’amuser ». L’entretien visait à interroger Monsieur
Guazzini, également patron de la radio NRJ, sur l’ambiguïté de certaines photos où les sportifs
semblent jouer sur des postures fortement évocatrices de l’imagerie homosexuelle. Cette année,
le calendrier a - semble-t-il - atteint des records de vente sans précédent, records confirmés dans
le succès tout aussi important qu’a rencontré la vente du DVD du making-off sur les Dieux du
Stade ou plus exactement des DIEVX DV STADE, respect de la typographie oblige, un titre
qu’il faut entendre, selon l’interviewé, sur le même registre que le référent à la culture gay, c’està-dire « au second degré ». Reste à savoir de quel second degré il s’agit.
Lorsqu’on convoque le second degré, c’est, en général, pour justifier plus ou moins adroitement
de l’existence possible d’un contrat de connivence entre celui qui produit une image ou un bon
mot et celui qui les reçoit. Cela instaure d’emblée un jeu dont le soi-disant second degré partagé
signifie qu’on a décodé la règle implicite : on appartient alors à la même « communauté
culturelle » que ceux qui vous interpellent par ce contrat de communication. Le jeu du second
degré se résume donc souvent à la compréhension d’une ambiguïté, compréhension à laquelle est
attaché un véritable « facteur plaisir » lorsqu’on parvient à tirer à soi la couverture du sens
incertain. De fait, lorsque l’on est gay et que l’on se procure le calendrier ou le making-off des
Dieux du stade, on ne saurait supposer un seul instant que tous ces rugbymen se moquent
ouvertement de vous en feignant les codes imagétiques de votre communauté, mais plutôt que
ces derniers possèdent avec vous ces codes imperceptibles par le non-gay ; dès lors le rugbyman
devient au pire un gay-friendly, au mieux un type sensible à la beauté de ses collègues de jeu
109
Le Monde, édition du 26.12.2003.
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avec qui il fête gaiement ses troisièmes mi-temps sous la douche. De même, lorsque l’on est une
femme hétérosexuelle et que l’on achète ce calendrier, on est sans doute flattée par cette intimité
masculine soudainement offerte et si bien évoquée dans la fameuse chanson de Clarika : « Ah, si
j’étais un garçon, je saurais ce qu’ils font dans les vestiaires ah, si j’étais Paul ou Léon ou même
un porte-savon, un courant d’air ». Les Dieux du stade semblent résoudre partiellement ce
phantasme singulier du vestiaire sportif où la mixité demeure étrangère. Au demeurant, la
photographe est – rappelle Max Guazzini – une femme : « le calendrier est donc avant tout le
regard d’une femme ». Hommes, femmes, chacun pourra donc projeter ce qu’il veut sur les
Dieux du stade, les poses soumises de Grégoire Couturier ou le sourire merveilleusement
séraphique de Julian Hans : c’est l’œil du spectateur qui reconstruit le sens, ce qui dégage
amplement le producteur de ladite image de toute responsabilité de sens incontrôlé. On peut
seulement avancer sans risque que les acheteurs du calendrier ou du making-off ont en commun
un certain goût pour la beauté du corps humain, chacun inscrivant ce goût dans le registre qui lui
est propre.
Demeure la question du second degré également convoqué par Max Guazzini en ce qui concerne
le titre du calendrier et du film : si nous avons affaire à des « Dieux », c’est donc que ce goût
pour la beauté du corps sportif pourrait – c’est piquant – s’ériger en culte rendu à nos héros du
stade ? Un culte païen et amusant, il va sans dire. Il n’est guère que nos politiques pour prendre
au sérieux aujourd’hui la question du culte. On a bien compris que nos sportifs, eux, jouent du
second degré avec une habileté spirituelle d’exception. Il serait, en conséquence, déplacé
d’évoquer ici une quelconque référence à ce fameux culte du corps si bien rendu par le piqué de
l’image noir et blanc de la réalisatrice Leni Riefenstahl dans le fameux film intitulé Les Dieux du
stade, où cette dernière offrait à Hitler en 1936 son regard de femme sur la beauté plastique des
athlètes olympiques. Ceux qui ont pu voir le documentaire en deux parties se souviennent sans
doute de la première, sous-titrée La Fête de la beauté (Fest der Schönheit), où l’on voyait
évoluer des sportifs nus en rappel à l’olympisme grec des origines. Evidemment, nos Dieux du
stade version 2003 n’ont rien à voir avec cela : ils sont porteurs de valeurs bien différentes, et
comme le dit Max Guazzini « tout le monde a trouvé cela amusant ». Dédouanons donc nos sens
de ces vieilles histoires : on est là dans le second degré maîtrisé de la candeur et de l’innocence
de sportifs sympathiques, joueurs et attachants au service d’une simple opération marketing aux
vertus déculpabilisantes puisque, de surcroît, précise le patron d’NRJ, « depuis deux ans une
partie des sommes récoltées va à une association humanitaire ». Et rendons grâce aux Dieux. Je
précise au lecteur que tout ce que je viens d’écrire est évidemment à prendre au second degré !
Emmanuel Ethis - Avignon, 24 février 2004
Emmanuel Ethis est Professeur en Sciences de l’information et de la
Communication à l’Université d’Avignon dont il est le Vice-Président du Conseil
d’Administration. Il publiera prochainement Pour une po(ï)étique du
questionnaire en sociologie de la culture : le spectateur imaginé, un ouvrage
édité par L’harmattan dans la Collection Logiques sociales dirigée par Bruno
Péquignot avec une préface de Jean-Louis Fabiani.
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Annexe 5 | Homosexualité et publicités anciennes
Doc.1 | Matelas Karpen
« Elles on du dormir sur un matelas
Karpen Pil-O-Rest ! ».
Source : http://www.comercialcloset.com
Doc.2 | Serviettes de toilettes Cannon
« C’est au tour de l’armée – Crocodiles interdits ! ».
Source : http://www.comercialcloset.com
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Annexe 6 | L’homme objet
1
2
Doc.1 | L’Oréal
Source : Têtu n°68, juin 2002.
Doc.2 | Calvin Klein
Source : Têtu n° 76, mars 2003.
Doc.3 | Ayor
Source : Têtu n°76, mars 2003.
3
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Annexe 7 | Stratégie du reflet, du « double je »
1
Doc.1 | Fructis Style de Garnier
Source : Têtu n°67, mai 2002.
Doc.2 | Dior Addict, rouge à lèvres.
Source : http://www.commercialcloset.com
2
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136
Annexe 8 | Sondage : « Les folles et vous ».
Sources : Têtu n°84, décembre 2003.
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137
Annexe 9 | L’homosexualité par l’humour
1
Doc.1 | Tabouret TAM-TAM
Source : Têtu n°78, avril 2003.
Doc.2 | TRY, gel lubrifiant.
Source : Têtu n°78, avril 2003.
2
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Annexe 10 | Publicités Maxxium : un pas vers la segmentation ?
Publicités pour les boissons alcoolisées MAXXIUM | un pas vers la segmentation du
marché gay ?
Source : Stratégies, n°1315, p14-15, semaine du 26 février 2004.
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Annexe 11 | Publicités sur Internet et homosexualité
1
5
Doc.1 | DVD X de Titof
Doc.2 | Sofinco
Doc.3 | Msn messenger
Doc.4| IBM
Doc.5 | Sofinco
2
3
4
Régie NOVENCIO (ci-dessous)
Doc.1 | Manix, preservatifs
Doc.2 | Manix, préservatifs
Doc.3 | Professionnels Gays
1
2
3
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Annexe 12 | Entretiens
Les personnes interrogées ici travaillent chez Novencio, soit en tant que stagiaire
(Jennifer), soit en tant qu’employé (toutes les autres personnes interrogées). Les entretiens se
sont déroulés dans la salle de pause des locaux de Novencio.
En début d’entretien, je précisais systématiquement que ces entretiens serviraient pour
mon mémoire de fin d’études à l’IUP Métiers des Arts et de la Culture à l’Université d’Avignon
et des Pays de Vaucluse. Je signalais également que je m’orientais vers un questionnement des
représentations de l’homosexualité dans les publicités papier et non télévisuelles.
Guide d’entretien
I. ] Le marché gay :
- Est-ce qu’il y a une « gay attitude », un mode de vie gay, et si oui, comment la définirais-tu ? /
Il y a-t-il un mode de vie lesbien ?
- Il y a-t-il selon toi un engouement des marques pour les gays/lesbiennes ?
- Il y a t-il pour toi une communauté gay ?
- Est-ce que cette communauté lesbienne s’intègre à la communauté gay ?
- Est-ce que toutes les marques peuvent avoir une communication gay friendly, ou il y a des
produits plus ou moins aptes à être « gay friendly » ?
-Qu’est-ce qui fait la spécificité de ce marché ? Les consommateurs gays ont-ils des
comportements d’achats différents des hétéros ?
- Est-ce que c’est un marché « homogène » ?
- Peux tu me faire une typologie des consommateurs gays, c’est-à-dire définir différents types de
consommateurs gays ?
- Le marché lesbien est-il inclus dans ce marché gay ?
- Est-ce que tu fais attention lorsque tu achètes un produit si la marque a une communauté gay
friendly ?
- Est-ce qu’on associerait plus l’homosexualité aux hommes qu’aux femmes et si oui pourquoi ?
- Quels produits intéressent plus les gays / lesbiennes ?
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II.] La publicité :
– Peux tu me citer trois marques gay-friendly, ou du moins qui ont une communication gay
friendly ?
- Peux-tu me citer une pub réussie ?
- Peux-tu me citer une publicité ratée ?
- Que penses-tu de l’image de l’homosexualité donnée dans la publicité ? Les marques te
semblent-elles bien communiquer envers les gays ? Est-ce que les pubs donnent une image fidèle
à la réalité ?
– Est-ce que dès qu’il y a une pub gay friendly dans les médias hétéros tu te sens interpellé ou ce
sont des pubs comme les autres ?
–C’est quoi selon toi la caricature d’un gay ?
– On dit que les gays sont précurseurs de tendances. Qu’en penses-tu ?
– Visuellement, peux-tu me faire le portrait robot d’un gay ? Quel physique, quels habits, quels
décors, etc.
– Est-ce qu’on peut communiquer aux gays autrement que par l’argument sexuel ou érotique ?
– La publicité te paraît-elle aider à la reconnaissance des gays dans la société ?
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Entretien n° 1 | Carlos – Commercial – 36 ans
– Pour toi, est-ce qu’il y a une « gay attitude », un mode de vie gay, et si oui, comment la
définirais-tu ?
Pour moi, il y a une façon d’être et puis une manière de consommer. La gay attitude, c’est
beaucoup de superficialité, beaucoup… Pas mal de pipeau ! (rires)
Et puis c’est aussi un mode de consommation avec un goût pour les choses nouvelles, ce qui est
hors du commun. Et surtout, il y a un véritable refus de standardisation… c’est très important.
Aussi, c’est la surconsommation de produits innovants, être à la pointe des produits. C’est aussi
être informé de tout aussi, je m’en suis rendu compte depuis que je suis ici.
- Il y a-t-il selon toi un engouement des marques pour les gays ?
Oui, il y a un engouement.
- Comment tu l’expliques ?
Les gays, c’est quand même 7% de la population. C’est énorme ; c’est un vrai micromarché, un
marché important. Pour les marques, c’est une part de marché supplémentaire, voilà tout. A leur
place je ferais pareil ! Aujourd’hui, c’est plus facile de communiquer vers les gays. Avant, on
n’osait pas. Maintenant, on a une vraie visibilité, c’est plus facile. Y’a qu’a voir avec la Gay
Pride où il y a quand même 500.000 personnes, en moyenne.
– Est-ce que toutes les marques peuvent avoir une communication gay friendly, ou il y a des
produits plus ou moins aptes à être « gay friendly » ?
A vrai dire, je me suis jamais posé la question……Oui, oui, toutes les marques peuvent essayer
de cibler les gays. Evidemment, il y a des produits plus adaptés, comme tout ce qui est high
tech : hifi, téléphonie, loisirs…
Pour du crédit, c’est plus difficile, j’ai du mal à concevoir. Là en ce moment y’a Sofinco qui fait
pas mal de pub par exemple, mais bon…
- Pour toi, il y a t il un marché gay ou est-ce une utopie ?
Oui, y’en a un. Ca représente à peu près 7% de la population, mais c’est pas possible de
déterminer, en terme d’argent, combien ce marché représente. Je sais même pas si y’a des
statistiques sur les revenus des gays.
- Qu’est-ce qui fait la spécificité de ce marché ? Les consommateurs gays ont-ils des
comportements d’achats différents des hétéros ?
Oui, oui ! A revenu égal, les gays ont un pouvoir d’achat supérieur.
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- Pourquoi ?
Parce qu’ils n’ont pas de charges, pas de charges familiales alors ils peuvent dépenser un peu
plus pour leurs loisirs puisqu’ils n’ont pas de soucis de succession. Donc en fin de mois, les gays
ont plus d’argent, et c’est essentiellement consacré aux loisirs.
- Ensuite, est-ce que c’est un marché « homogène » ?
Non, je crois pas que les gays se comportent de la même façon. Y’a plein de diversité et
heureusement…. Je suppose qu’il y a une différence entre les gays de Paris et les gays de
province. Y’a même des différences d’un jour à l’autre… et puis y’ a des différences au niveau
de la classe sociale surtout.
- Puisque ce marché n’est pas homogène, peux tu me faire une typologie des
consommateurs gays, c’est-à-dire définir différents types de consommateurs gays ?
Non, c’est dur, c’est vraiment pas facile là comme ça… !!!
– Et le marché lesbien ? Est-il inclus dans ce marché gay ?
C’est une bonne question !!!
Oui, je pense que quand on parle du marché gay on inclut les lesbiennes. Y’a un esprit
communautariste plus fort chez les lesbiennes. D’après les chiffres, y’a plus de gays que de
lesbiennes, c’est de l’ordre de 60% - 40%, mais ça me paraît bizarre. C’est peut-être ce qui est
déclaré…
- Pour toi, pourquoi associe-t-on plus le marché gay aux homosexuels qu’aux lesbiennes ?
Vendre des gros camions aux lesbiennes ça doit pas être facile !!!! (RIRES).
Je pense que c’est à cause de la perception hétéro… Un homo dérange plus qu’une lesbienne ;
une lesbienne de tout façon ça excite les hétéros… Et puis les gays ont une visibilité plus
importante que les lesbiennes.
– Peux tu me citer trois marques gay-friendly, ou du moins qui ont une communication gay
friendly ?
(TRES LONGUE HESITATION : )
Je dirai : vodka Absolute…Euh…y’en a tellement peu à la télé…Toyota , je crois, enfin c’était
une marque de voiture japonaise.
…j’en sais vraiment rien ! Smart peut-être…
- Tu peux me citer une publicité ratée ?
La pub Vizir est vraiment ratée : c’est franchement caricatural.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
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- Que penses-tu de l’image de l’homosexualité donnée dans la publicité ? Les marques te
semblent-elles bien communiquer envers les gays ? Est-ce que les pubs donnent une image
fidèle à la réalité ?
Non, généralement les gays sont vraiment caricaturés ; la pub est mal adaptée, elle parle pas
avec nos codes.
C’est-à-dire ?
C’est à dire sans allusion à ce qu’on vit au quotidien. C’est comme si on nous parlait dans une
langue étrangère. Donc, oui, la publicité n’est pas fidèle à la réalité, c’est plutôt des clichés.
– Pour toi, c’est quoi la caricature d’un gay ?
Euh… un garçon efféminé qui fait du tricot sur un canapé le soir, comme Vincent Mc Doom!!!
Le problème c’est ça, c’est qu’on nous associe à l’image de Vincent Mc Doom.
– On dit que les gays sont précurseurs de tendances. Qu’en penses-tu ?
Oui, c’est vrai. ..La plupart des créateurs sont gays, donc oui, on est plutôt précurseurs de
tendances.
– Visuellement, peux-tu me faire le portrait robot d’un gay ? Quel physique, quels habits,
quels décors, etc.
Beau, viril, souriant, c’est très important ; dans un endroit confortable… genre un grand
appart’ ; dans une posture décontractée (mime : les bras derrière la tête)… avec les cheveux
courts, je préfère ! J’aime pas les cheveux longs ! Dans un endroit coloré aussi.
– Est-ce qu’on peut communiquer aux gays autrement que par l’argument sexuel ou
érotique ?
Oui oui, bien sûr, évidemment. Par des valeurs de tolérance…par euh…euh… le fait de pas être
dans un moule, se singulariser.
– La publicité te paraît-elle aider à la reconnaissance des gays dans la société ?
Oui, dans la pub ou n’importe quoi qui touche les gens. Ca permet d’éduquer les hétéros….
Mais une pub comme vizir ça les désinforme !…
Euh..non, c’est ridicule ! L’objectif d’une pub c’est de vendre aux gays, pas d’éduquer les
hétéros… et puis la pub pour les gays est tellement ciblée, dans des médias gays qu’elle ne
touche pas les hétéros.
Si les pubs sont ratées, c’est parce qu’elles sont faîtes par des hétéros.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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Entretien n°2 | Fabien – Journaliste – 24 ans
– Pour toi, est-ce qu’il y a une gay attitude, un mode de vie gay, et si oui, comment la
définirais-tu ?
Ben pour moi y’en a pas ! Y’a DES modes de vie car il y a de la diversité dans la communauté
LGBT, comme partout. Mais c’est clair qu’il y a des points communs : le goût pour le confort, la
décoration, les sorties, les sorties culturelles… Euh voilà ! Mais y’a pas UN mode de vie, c’est
trop communautariste. Mais c’est mon point de vue. Puis tout dépend de l’endroit où tu vis, les
gays ne sont pas tous à Paris, y’en a qui habitent dans la cambrousse, des villes où il y a moins
de choses à faire…
- Il y a-t-il selon toi un engouement des marques pour les gays ? Comment l’expliques-tu ?
Simplement car en effet, ils sont dans l’idée que les gays sont une population qui a un seul mode
de vie, qui a de l’argent, qui le dépense car ils n’ont pas de famille. Pour eux, les gays aiment le
luxe, le faste… et ils se trompent !!! Y’a qu’à voir le salon Rainbow Attitude avec des stands
BMW, des stands pour des meubles hors de prix… ça intéressait personne, personne ! Et
pourquoi cet engouement ? C’est tout simplement parce que y’a du fric à se faire, c’est tout
simple. Et puis souvent, c’est un engouement indirect, un peu caché pour ne pas perdre la
clientèle hétéro ou mixte. C’est une communication indirecte voire hypocrite.
- Pour toi, il y a t-il une communauté gay ?
NON, c’est clair !!! Communauté renvoie trop au rassemblement de personnes or les gays ne
sont pas rassemblés. Y’a des groupes, oui, mais pas de communauté, c’est trop « rassembleur »
comme terme. Y’a des groupes qui évoluent chacun de leur côté, en tout cas en France. Par
exemple les bears évoluent dans leur mouvance, les nanas évoluent dans leur mouvance… Ils
n’ont pas les mêmes attentes : va demander à une tapette de faire du camping avec des
nounours ! Les nounours aiment bien ce genre d’activité. Donc non, c’est clair et net. Ca
m’étonne même qu’on se pose la question. C’est plutôt une question d’hétéro, ou en tout cas de
quelqu’un qui ne connaît pas le milieu gay.
– Est-ce que tu fais attention lorsque tu achètes un produit si la marque a une communauté
gay friendly ?
Absolument pas ! Ou même des fois j’aime bien porter des trucs « mecs », je m’en fous
royalement !!! Du moment que ça me plaît. J’aime bien les chemises Marlboro alors que c’est
super hétéro.
– Est-ce que pour toi le marché lesbien est inclus dans le marché gay ?
Il est quasi inexistant le marché lesbien, donc si tu veux, il apparaît quelque fois dans le marché
gay mais sinon, c’est elles entre elles qui mettent en vente leur produit comme le magazine 10ème
Muse.
Pourquoi ? Le milieu lesbien est très caché, il ne communique que très peu et il y a de moins en
moins de revendications. Par exemple, La Coordination Lesbienne, l’asso, a quasiment plus
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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personne. Mais parallèlement, y’a une émergence des lesbiennes au niveau de la presse. Les
lesbiennes sont beaucoup entre elles... Y’a pas de marché lesbien, c’est très éparse.
- Est-ce qu’on associerait plus l’homosexualité aux hommes qu’aux femmes et si oui
pourquoi ?
Parce qu’on est dans une société très machiste. Un homme a une position sociale plus
importante qu’une femme dans les mentalités. Cette tendance a tendance à s’inverser, mais
plutôt en faveur des femmes hétéros que des lesbiennes. En tout cas, d’un point de vue
marketing, car d’un point de vue du fantasme, les lesbiennes ont une grande place.
L’homosexualité masculine a été plus visible dans l’histoire aussi : dans l’antiquité grecque, il
était de bon ton d’avoir un amant. L’homosexualité féminine ne se discutait même pas et ne se
discute toujours pas. C’est les hommes qui travaillaient, donc ce sont eux qui ont dicté les
mentalités, ils se sont adressés plus à des hommes qu’à des femmes. On change pas rapidement
des mentalités d’une société patriarcale, c’est sûr.
– Quels produits ont le plus une communication gay friendly ?
Les fringues à la limite. C’est un moyen d’expression, de revendication ; c’est un signe de
reconnaissance, un signe distinctif pour qu’on sache qu’on est des pédés ou des goudous.
– Peux tu me citer trois marques gay-friendly, ou du moins qui ont une communication gay
friendly ?
Energy…Minute Maid…
(longue hésitation)
J’en vois pas d’autres… Aucune idée, une marque par définition n’est pas gay friendly, elle est
friendly tout court ; elle veut juste se faire du pez donc elle se fait ami avec tout le monde.
Y’a aussi Vizir mais c’est pas du tout du gay-friendly ; ça sonne faux. C’est le vieux cliché usé et
délavé depuis des années. C’est deux folles qui déblatèrent sur la blancheur de leur pantalon. La
première pub vizir c’était déjà un bon pédé avec un gros plan sur son cul.
- Peux-tu me citer une pub réussie ?
Minute Maid m’a fait rire avec le clin d’œil aux Village People. Puis c’est un mec pas du tout
pétasse.
Y’a les pubs axes aussi, avec les hommes qui se retournent sur un homme et les femmes qui se
retournent sur une femme, c’est bien pensé je trouve.
Mais les mecs torse nu pour moi c’est pas des pubs gays. C’est un mec torse poil. Point. Destinés
aux amateurs de beaux corps.
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– Est-ce que dès qu’il y a une pub gay friendly dans les médias hétéros tu te sens interpellé
ou ce sont des pubs comme les autres ?
Forcément mon attention se réveille. Tu restes trois secondes de plus à regarder la pub et tu
tournes la page. Tu la décryptes un peu, tu regardes c’est quelle marque, quel message… tu
l’interprètes. Est-ce que c’est subtil ? Implicite / explicite ?
- Que penses-tu de l’image de l’homosexualité donnée dans la publicité ? Les marques te
semblent-elles bien communiquer envers les gays ?
Pour moi, y’a deux types de pubs : le premier type s’adresse directement aux gays dans les
médias gays… Elles son totalement explicites, avec un rainbow, deux mecs côte à côte pour des
produits exclusivement gays.
Le deuxième type, on les trouve dans les supports généralistes avec un message plus subtil,
moins visible mais aussi moins intelligent. On les repère grâce aux attitudes ( deux mecs mais
seulement en train de se regarder… ; un personnage symbolique de la communauté comme
Dave, Dalida.. ; un contexte gay c’est-à-dire que les gays fréquentent comme la plage, les boites,
les saunas..) Le slogan avec les jeux de mots, ou même le nom de produit des fois. Y’a aussi
l’emplacement de la pub : dans le Nouvel Obs, une semaine avant la Gay-Pride, à côté de
l’article sur la Gay Pride y’a une pub que tu peux interpréter comme gay. C’est un peu
subliminal.
- Est-ce que les pubs donnent une image fidèle à la réalité ?
Ben NON ! La pub en général n’est jamais le reflet de la réalité donc je vois pas pourquoi ça
serait plus la réalité pour les gays. Ils construisent ces mondes pour te donner envie.
– Pour toi, c’est quoi la caricature d’un gay ?
Pour moi y’a trois types de gays : la folle, la pédale ; le Sm, c’est très fréquent ;/ le travesti,
habillé en femme.
Pour les nanas, c’est la camioneuse, une Butch.
– On dit que les gays sont précurseurs de tendances. Qu’en penses-tu ?
Rires. Ben beaucoup de personnes disent ça parce qu’ils pensent que les gays ont de l’argent,
donc ils achètent le dernier cri. Mais pour moi c’est faux. Forcément, dès que t’as de l’argent tu
achètes les derniers produits, mais ç’est pas spécifique aux gays.
– Visuellement, peux-tu me faire le portrait robot d’un gay ? Quel physique, quels habits,
quels décors, etc.
En général, il est plutôt folle : tendance, strass avec des choses qui brillent sur elle, des cheveux
généralement courts, un pantalon strass avec un chien à côté. Dans une pièce avec plein de
froufrous, un lustre, assez kitsch…
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Le Sm est cuir, bretelle, avec une casquette cloutée, martinet à la ceinture, plutôt dans un
endroit sombre comme une cave !
Et pour le trav’ ben c’est une meuf, de la working girl à la femme fatale.
– Est-ce qu’on peut communiquer aux gays autrement que par l’argument sexuel ou
érotique ?
Oui ! Car heureusement on se résume pas à la sexualité. On a une vie qui par certains points est
différente des hétéros. Après de quelle façon… ? Puis une mentalité ne se représente pas. Il y a
la notion de liberté, d’ouverture d’esprit.
– La publicité te paraît-elle aider la reconnaissance des gays dans la société ?
La pub vizir, elle, dessert plus qu’autre chose. Je connais pas de pubs qui a réussi à favoriser la
compréhension des gays.
– L’image que les gays donnent d’eux-mêmes dans les publicités te paraît-elle positive, apte
à construire une identité homosexuelle ?
Non, car heureusement que c’est pas la pub qui aide à créer une identité. Et puis la moitié c’est
des trucs de rencontres. Ca manque de fond, manque de sens. J’comprends pas pourquoi dans
Têtu y’a pas des pubs goudous ou nounours. On est pas des marchandises !
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Entretien n° 3 | Jennifer – Stagiaire – 30 ans
– Est-ce qu’il y a un mode de vie « à la lesbienne » ? Si oui, ça serait quoi ?
Moi, je suis pas une référence parce que je suis pas dans le milieu personnellement. Mais je
dirais que oui : beaucoup de filles vont en soirées, sortent, vont dans des bars ou des endroits où
tu peux jouer au billard… c’est ce que j’ai vu en tout cas.
– Pour toi, les marques montrent-elles un intérêt pour les lesbiennes ?
(Moue). Euh… très peu, ou indirectement. J’ai des exemples : la pub Axe, y’a une fille dans un
bus, elle s’est mis du Axe et toutes les filles se retournent…Mais je pense que ça reste hétéro.
– Pour toi, il y a-t-il une communauté lesbienne ?
Oui, c’est clair ! Je pense que oui parce que y’a des lieux où tout le monde se retrouve. Y’a une
identité commune.
- C'est-à-dire ?
Ben y’a un look, le stéréotype de la fille un peu masculine, cheveux courts. Mais maintenant
c’est plutôt vers la féminité donc là c’est le regard qui te fait comprendre.
- Est-ce que cette communauté lesbienne s’intègre à la communauté gay ?
Moi j’ai jamais fait la différence. (hésitation). Je dirais oui.
– Est-ce que tu fais attention lorsque tu achètes un produit si la marque a une communauté
gay friendly ?
Si ça existait je le ferais mais ça existe pas. Mais une fois j’ai acheté une bougie arc-en-ciel mais
pour moi y’avait aucune connotation !!
– Est-ce que pour toi le marché lesbien s’intègre au marché gay ?
Là non !
Pourquoi ?
Les produits sont pas les mêmes…sauf……y’a même pas sauf ! On n’a pas les mêmes sousvêtements par exemple ! (rires) Et puis c’est plus hot pour les hommes. Mais ça dépend du
produit.
– Est-ce qu’on a tendance à associer l’homosexualité plus aux hommes, aux gays, plutôt
qu’aux lesbiennes ?
Oauis… Au niveau des médias, c’est plus les couples hommes qui sont mis en avant et j’ai
l’impression que les filles se cachent plus, ou du moins qu’elles sont plus discrètes. Tu vois deux
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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garçons dans une rue, y’en a un qui est plus efféminé donc ça saute aux yeux, mais pour les
filles… Et puis j’ai croisé des femmes masculines mais qui n’étaient pas lesbiennes. Mais le style
n’est pas en rapport avec la sexualité.
– Quels produits ont plus une communication gay friendly ?
Les fringues… La musique avec la provoc’ de Madonna qui embrasse Britney Spears. Tu portes
tout de suite un intérêt si y’a une image gay-friendly.
– Pour toi, quels produits intéressent plus les lesbiennes ?
C’est vraiment les habits, comme les hommes elles sont fans de mode. Y’a aussi les motos pour
les lesbiennes motardes, ou les belles voitures. (hésitation). Les jeux vidéo aussi.
– Peux tu me citer trois marques gay-friendly, ou du moins qui ont une communication gay
friendly ?
Donc Axe… Ikea qui avait sorti des pubs avec des gay. Y’en a une c’est pour le parfum Instant
de Guerlain, sur les arrêts de bus : y’a un gros plan sur une femme de dos, en robe du soir,
quelqu’un accroupi devant elle avec les mains sur ses hanches….Mais les mains c’était des
mains de filles !
– Est-ce que dès qu’il y a une pub gay friendly dans les médias hétéros tu te sens interpellée
ou ce sont des pubs comme les autres ?
Ca m’interpelle, c’est clair.
- Que penses-tu de l’image de l’homosexualité donnée dans la publicité ?
Les lesbiennes, elles sont quasi inexistantes malheureusement. Et puis les pubs y’en a eu
quelques unes pour les hommes, puis y’a les pubs pour le Sida. En général, les pubs véhiculent
une bonne image mais pour les filles j’en connais pas…
– Pour toi, c’est quoi la caricature d’une lesbienne ?
Pffff ! (Très longue hésitation). Je vais rentrer dans le commun mais ce serait une fille
masculine, cheveux courts avec une forte personnalité, de l’ambition…
– On dit que les gays sont précurseurs de tendances. Qu’en penses-tu ?
Non. Je les ai toujours vu suivre une mode et jamais en créer une.
– Visuellement, peux-tu me faire le portrait robot d’une lesbienne? Quel physique, quels
habits, quels décors, etc.
Cheveux courts, avec un jean, t-shirt, grosses chaussures genre Docks. Dans la rue, ou en tout
cas dans un milieu urbain, en train de marcher, de mater les filles !! (rires).
.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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– Est-ce qu’on peut communiquer aux gays autrement que par l’argument sexuel ou
érotique ?
(Moue)Je dirais non !
- Pourquoi ?
Je sais pas…j’essaye d’imaginer autre chose mais j’y arrive pas. Quoique pour Ikea y’avait rien
de sexuel…. Si ça doit être possible.
– La publicité te paraît-elle aider la reconnaissance des gays dans la société ?
Oui, je crois que tant que c’est que des pubs sans érotisme, mais plus dans la vie quotidienne,
oui je pense que ça aide à mieux les accepter.
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Entretien n° 4 | Jérémy – Développeur – 25 ans
– Pour toi, est-ce qu’il y a une gay attitude, un mode de vie gay, et si oui, comment la
définirais-tu ?
Mmmh…ouais. D’après Fred il est hyper indéfinissable, pas un stéréotype. Mais pour moi y’en a
un d’un point de vue psychologique : le gay il se sent différent alors il a besoin de se retrouver
avec des gens du même type, il recherche à rester entre gays. Mais c’est clair qu’au sein de cette
communauté y’a des jeunes, des vieux… Comme ils recherchent à être ensemble, le gay va avoir
tendance à sortir plus pour faire des rencontres, ils veulent vivre ensemble à la différence des
hétéros.
- Il y a-t-il selon toi un engouement des marques pour les gays ? Comment l’expliques-tu ?
Si si, y’en a un. C’est un marché en plein boom : on est dans une période où on recherche des
nouveaux marchés et le marché gay en est un comme un autre. Il est exploité mais personne
arrive à faire quelque chose ! Personne n’arrive à faire sortir le pognon ! (rires). Puis les gays
c’est très tendance, ils sont le reflet de la société d’aujourd’hui : libertins, rebelles, atypiques.
Etre homo c’est un style ; avoir un pote homo ça fait bien, si t’acceptes le milieu gay t’es un mec
« open » !
- Pour toi, il y a t-il une communauté gay ?
Oui..
– Est-ce que ça te gène d’acheter un produit qui a une communication gay friendly?
Ouais un peu ! J’me sentirais tarlouze !J’le pense. J’aurais du mal à acheter du gel parce que
c’est pour les gays !
– Est-ce que pour toi le marché lesbien est inclus dans le marché gay ?
Du tout. Non. Ca n’a rien à voir. Y’a encore moins de potentiel ! Les lesbiennes, c’est un marché
expérimental. Le marché lesbien se récupère sur le marché hétéro. Les lesbiennes ont moins
envie de parler d’elles. C’est plus discret.
- Est-ce qu’on associerait plus l’homosexualité aux hommes qu’aux femmes et si oui
pourquoi ?
L’homo de base c’est un mec, c’est vrai. Pourquoi ? Bonne question ! L’homosexualité, ça
choque plus entre hommes qu’entre femmes. Tu me prends deux nanas, ça me fait ni chaud ni
froid…voire chaud ! Et tu prends une nana et tu lui montres deux femmes ça lui fait rien, et deux
hommes non plus. Les gays se sont appropriés le mot « homosexualité », et le sida a beaucoup
contribué à lier l’homosexualité aux mecs. Y’a l’analogie homo égal sida.
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– Quels produits ont le plus une communication gay friendly ?
Fringues, direct ! C’est le premier truc. Tout ce qui est objet érotique, ça peut se lier aux
fringues d’ailleurs….Oauis, fringues, mode, sous vêtements. Tout ce qui est voiture aussi, les
trucs design et branchouilles.
– Peux tu me citer trois marques gay-friendly, ou du moins qui ont une communication gay
friendly ?
(longue hésitation)
Je sais vraiment pas.
- Que penses-tu de l’image de l’homosexualité donnée dans la publicité ?
C’est toujours la même image. L’homo, c’est sexe, du cul plus ou moins sensuel quand c’est
subtil. Y’a tout le truc de l’amitié entre mecs.
- Et pour les lesbiennes ?
Houla ! Ouais, c’est moins cul, plus dans l’amitié. Mais j’en vois moins, c’est hyper tendu.
- Est-ce que cette image colle à la réalité ?
Non non, du tout. C’est une façon primaire d’approcher le marché ; c’est comme pour le marché
hétéro : tu mets un mec et une meuf, ou tu mets une meuf sur une voiture… Y’a jamais une
approche de la vie de tous les jours.
– Pour toi, c’est quoi la caricature d’un gay ?
Le gay c’est un type qui fait « oulala » (prend une voix efféminée), tout maigre et efféminé.
- La lesbienne ?
La lesbienne, c’est la camioneuse. C’est l’inverse de l’homo. C’est le paradoxe : les mecs
essaient de ressembler à des filles en étant très doux par exemple.
– On dit que les gays sont précurseurs de tendances. Qu’en penses-tu ?
Oauis, c’est eux qui font la mode. Les gays sont vachement liés à la mode. Y’a qu’à voir les
grands couturiers, c’est des gays.
– Visuellement, peux-tu me faire le portrait robot d’un gay ? Quel physique, quels habits,
quels décors, etc.
Le gay : cheveux court, c’est con mais bon… Un visage fin, efféminé mais discrètement, très
doux, gay tendance, moulant, dans un milieu assez bourge, ou du moins le quartier à la mode, un
peu fêtard.
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La lesbienne : (hésitation) : y’a plus de styles. Comme une hétéro, discrète, un peu
« underground de la night », genre je vis la nuit ; très introvertie.
– Est-ce qu’on peut communiquer aux gays autrement que par l’argument sexuel ou
érotique ?
Mouais… le critère de différenciation ça reste la sexualité. Donc si tu parles pas de ça c’est plus
généraliste, subtil, mais on peut jouer sur la famille ou le travail par exemple.
– La publicité te paraît-elle aider la reconnaissance des gays dans la société ?
Mouais…Mine de rien ça doit marcher. Banaliser la gay attitude ça joue sur l’inconscient. Mais
ça donne pas forcément la meilleure image. Y’a des stéréotypes, c’est obligé ; c’est pour ça que
pour le site de Pink Tv, c’est bien ce qu’il a fait Fred : y’a 24 photos, une par jour, avec des
types de gays différents. Faut donc avoir une approche loin des stéréotypes, mais c’est plus dur
à profiler. Ca s’apparente au marché « jeunes » : y’a un peu de tout, ils sont toujours rebelles…
– L’image que les gays donnent d’eux-mêmes dans les publicités te paraît-elle positive, apte
à construire une identité homosexuelle ?
Non, c’est trop caricatural. Trop homo ! Trop direct homme pour homme, ça laisse pas de place
aux autres. Le gay est limite hétérophobe. J’exagère ! (rires).
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Entretien n° 5 | Fabrice – Directeur Administratif et Financier – 35 ans
– Pour toi, est-ce qu’il y a une gay attitude, un mode de vie gay, et si oui, comment la
définirais-tu ?
(moue). La question d’enfer ! Oui il y a une gay attitude. On n’a pas la même façon de vivre que
la majorité des hétéros, et donc cette différence elle se voit au quotidien, dans la façon de
travailler, de consommer, de s’habiller…C’est pas les mêmes concepts.
- Pour le travail ?
Oui, on est plus ponctuels, plus respectueux de certaines choses…je dirais pas plus efficaces
mais en tout cas plus consciencieux. Mais bon, c’est comme partout : y’a des exceptions.
- Il y a-t-il selon toi un engouement des marques pour les gays ? Comment l’expliques-tu ?
Pour moi y’a deux choses : la première, c’est qu’on parlait pas des gays avant, donc les
annonceurs, si tu veux, ils communiquaient pour tout le monde. Maintenant, avec TF1 y’a le
concept de la ménagère de moins de cinquante ans, et on a commencé une segmentation du
marché. Ensuite, les gays sont devenus plus visibles et ils sont apparus comme une niche de
marché intéressante ; les annonceurs y voient un eldorado.
Oui c’est justifié, car dans la vie de tous les jours, tu consommes un produit qui a une
communication adaptée. Ca permet d’augmenter les ventes, et ça permet aux gays de
s’intéresser à la publicité. Par exemple, dans le Têtu de ce mois-ci, y’a la publicité Sofinco où
c’est un mec, avec la chemise ouverte : tu regardes ce que c’est… maintenant je sais pas si ça
aurait été le cas si ça avait été une nana !
- Pour toi, il y a t’il une communauté gay ?
Oui y’en a une. Oui. Je le déplore mais c’est comme ça. Justement, depuis des années, on essaie
d’être comme les autres, reconnus, mais maintenant, aujourd’hui qu’on nous reconnaît des
droits, on perd de notre différence et ça fait réagir. Ca se voit même dans le monde de
l’entreprise : c’est un fonctionnement différent qu’une société hétéro, c’est un monde à part.
– Est-ce que tu fais attention lorsque tu achètes un produit si la marque a une communauté
gay friendly ?
Si elle a une communication gay friendly non. Mais à l’occasion d’une communication gay
friendly je m’intéresse au produit.
– Est-ce que pour toi le marché lesbien est inclus dans le marché gay ?
C’est quoi une lesbienne ? (rires). Qu’est-ce que je pourrais dire ?... Oui ça devrait, mais dans
les faits, tu regardes les adaptations de pubs, y’a quasiment jamais de lesbiennes, c’est toujours
l’homo homme. Les lesbiennes sont pas prises en considération peut-être parce qu’il y a moins
de lesbiennes que de gays, mais c’est à développer.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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- Est-ce qu’on associerait plus l’homosexualité aux hommes qu’aux femmes et si oui
pourquoi ?
Tout dépend si tu prends le critère homo. Pour lui il n’y a pas de différence, ça ne le choque pas.
Par contre, pour un hétéro, dans les films pornos on voit souvent deux femmes avoir des
relations sans être cataloguées de lesbiennes, donc si tu veux, pour un hétéro, les relations
lesbiennes sont normales.
– Quels produits ont le plus une communication gay friendly ?
Beh là où les gays dépensent de l’argent. C’est-à-dire les loisirs, principalement, la beauté, les
voyages, les sorties. Tout ce qui a trait à l’apparence. Les voitures aussi, les mobiles.
– Peux tu me citer trois marques gay-friendly, ou du moins qui ont une communication gay
friendly ?
Déjà faudrait savoir ce que ça veut dire, gay-friendly… Ikea, même dans les catalogues y’avait
des couples homos…Vizir, mais bon, là c’est très très mauvais !...Et puis Sofibnco, celle de tout
à l’heure.
Alors ça c’est les pubs que je dirais « adaptées », mais t’as aussi celles qui sont gay-friendly
parce qu’elles sont juste dans les médias gays.
- Du genre ?
Ben Heineken par exemple, elle est pas du tout adaptée, c’est la même qu’il y’a dans le Figaro,
mais elle ça devient gay parce qu’elle est dans Têtu... Energy.
- C’est une marque gay à 100%, non ?
(me montre l’étiquette de son Jean : c’est un Energy). Beh….voilà.
Et enfin… Puma. Alors Puma fait pas de com’ adaptée aux gays mais pourtant elle est adoptée
par les gays. C’est comme Caterpillar : les gays l’ont adoptée alors que y’avait pas de
communication particulière. C’est plutôt un phénomène de mode, un produit tendance.
- Peux-tu me citer une pub réussie ?
(prend un magazine Tetu du mois de Juin)
Voilà, ben là, la pub Sofinco : tu vois l’homme et tu regardes c’est quoi comme marque.
Et en pub ratée, ben Vizir, c’est pour moi vraiment mauvais. Autant la première où il y a avait le
type avec sa mère était plutôt réussie, mais la deuxième est ratée complètement !
– Est-ce que dès qu’il y a une pub gay friendly dans les médias hétéros tu te sens interpellé
ou ce sont des pubs comme les autres ?
Beh oui !
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
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- Que penses-tu de l’image de l’homosexualité donnée dans la publicité ? Les marques te
semblent-elles bien communiquer envers les gays ?
Pas forcément très bonne parce qu’elle est conseillée par des agences qui ne connaissent rien à
l’homosexualité à la manière de communiquer vers la communauté. On tombe dans des clichés
perçus négativement par les homos.
– Pour toi, c’est quoi la caricature d’un gay et d’une lesbienne ?
Alors le gay, c’est soit la folle, le mec efféminé, ou alors c’est la drag queen. Et pour les
lesbiennes c’est la camioneuse.
– On dit que les gays sont précurseurs de tendances. Qu’en penses-tu ?
Oui c’est vrai.
- Pourquoi ?
Le fait est là, je peux pas te dire pourquoi, peut-être parce que les gays ont une sensibilité
différente…
– Visuellement, peux-tu me faire le portrait robot d’un gay ? Quel physique, quels habits,
quels décors, etc.
Pfffffffffffff. Un gay c’est pour moi quelqu’un qui fait attention à lui, donc qui fait attention à son
image. Donc il est toujours propre sur lui, à la pointe de la tendance. Beh voilà ! Il a les
dernières fringues, tout ce qui est à la mode…
– Selon toi, est-ce qu’on peut communiquer aux gays autrement que par l’argument sexuel
ou érotique ?
Oui, en partant du principe que le mode de vie des homos se résume pas uniquement au sexe.
Les situations émotionnelles parleront aux gays car ils les vivent tous les jours.
– La publicité te paraît-elle aider la reconnaissance des gays dans la société ?
De toute façon, tout ce qui donne de la visibilité aux gays sert à leur intégration.
Malheureusement, au départ, c’est le Sida qui a permis ça. Et puis sauf si c’est pour donner une
image caricaturée bien sûr.
– L’image que les gays donnent d’eux-mêmes dans les publicités te paraît-elle positive, apte
à construire une identité homosexuelle ?
Ben oui mais va savoir si elles sont vraiment faites par des gays ! Ou alors elles sont à caractère
pornographique…
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
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Entretien n°6 | Frédéric – Directeur Général – 35 ans
– Pour toi, est-ce qu’il y a une gay attitude, un mode de vie gay, et si oui, comment la
définirais-tu ?
Non, non. Y’a pas UN mode de vie gay. C’est ce qui fait la différence entre les gays et les
hétéros, y’a pas de standard, c’est n’importe quoi. Il faut faire dans la segmentation des modes
de vies pour être expert de la communauté, c’est tout.
- Il y a-t-il selon toi un engouement des marques pour les gays ?
Qui a dit ça ? Je pense qu’il n’y a pas d’engouement des marques pour les gays. Ca c’est une
caractéristique bien française ça ! C’est notre côté euh…philosophique, ouais philosophique,
notre côté « Descartes », on aime conceptualiser.
- C’est quoi alors, un effet de mode ?
Non, c’est même pas la mode parce que la mode on sait quand ça commence et quand ça finit.
C’est très français ! Pas s’intéresser…… C’est même pas lié au fric ou à l’éthique : c’est très
philosophique, du branlage intellectuel. Un Américain il sait où il va, le Français, lui, il fait les
choses pour l’Art... On sait pas à quoi ça sert mais on le fait.
– Est-ce que pour toi il y a une communauté gay ?
Oui, au sens américain du terme, c’est-à-dire LGBT. C’est encore bien français de dire que
l’homosexualité c’est les gays, les homos hommes.
– Est-ce que toutes les marques peuvent avoir une communication gay friendly, ou il y a des
produits plus ou moins aptes à « être gay friendly » ?
J’aurais été tenté de dire oui il y a quelques années. Mais un gay c’est un consommateur comme
un autre. Il achète tous types de produits donc il doit être convaincu que le produit est adapté
pour lui.
- Pour toi, il y a t-il un marché gay ou est-ce une utopie ?
C’est ni une réalité ni une utopie. C’est plus une utopie parce qu’on a fini de rêver. Et c’est pas
une réalité parce qu’on n’y est pas encore. On est à la charnière, c’est aujourd’hui que tout se
passe, c’est aujourd’hui que le marché se fait, et il deviendra ce qu’on en fera.
- Qui ça « on » ?
Ben les gays, les médias, les politique, beaucoup…
- On peut chiffrer le marché gay ?
Oui, y’a 700.000 homos à Paris, et pour le reste de la France c’est 7% de la population.
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
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- Qu’est-ce qui fait la spécificité de ce marché ? Les consommateurs gays ont-ils des
comportements d’achats différents des hétéros ?
Je pense pas qu’il ait un comportement d’achat différent d’un hétéro. Quand t’as envie
d’acheter, t’achètes !... alors qu’on voudrait le mettre dans un comportement d’achat ce qui est
une connerie monumentale. Le gay est pas plus friand de voyages, de cosmétiques ou de
fringues. Mais il a des modes de vie différents, c’est sûr.
– Puisque ce marché n’est pas homogène, peux tu me faire une typologie des
consommateurs gays, c’est-à-dire définir différents types de consommateurs gays ?
Non, c’est pas possible, je viens de te le dire ! C’est pas possible. Une constante réelle, c’est que
le gay est volatile, c’est un caméléon. Smart a toujours fait de la pub vers les gays, et ça lui a
permis à cette voiture, à la longue, d’être appréciée des gays.
– Et le marché lesbien ? Est-il inclus dans ce marché gay ?
Le marché lesbien, il est inexistant. Enfin…. Y’a des lesbiennes mais personnes s’est penché
dessus. Les lesbiennes servent surtout à vendre des produits aux hétéros... Tout converge vers la
femme : dès qu’un homme est gay, on le montre efféminé. Mais l’homosexualité, ça veut pas dire
féminisation ! C’est un endoctrinement purement masculin, et les gays, ben c’est la folle cassée,
hystérique, une trans. On montre que ça donc forcément… Alors que les lesbiennes, c’est un
fantasme d’hétéros.
– Peux tu me citer trois marques gay-friendly, ou du moins qui ont une communication gay
friendly ?
Non ! Non, j’vois pas. On peut pas dire que les marques qui font de la pub pour faire du fric sont
gays friendly. C’est pas parce que… Même pour Nickel, qui a fait des parfums clairement
homos…et Vizir…ils ont pas intégré le fait de faire une communication vers les gays. Les
marques n’ont pas encore fait leur coming out. Y’a qu’à voir pour les marques de fringues :
c’est pas parce que y’a un beau gosse que c’est gay-friendly ! C’est des pubs « good body
friendly » c’est tout ! Avant, la discrimination c’était une discrimination homme/femme.
Maintenant, c’est une discrimination au faciès C’est ça le problème aujourd’hui ! On va pas
foutre des gens moches dans des pubs ! C’est une constante, c’est vrai : le gay a toujours eu le
culte du corps mais moins avec la génération qui arrive plus « grungy », toujours mal rasée,
toujours habillée pareil, genre Jérémy Châtelain. Aujourd’hui on est « body addict », et comme
les pubs sont dans ce concept, elles plaisent aux gays.
– Pour toi, c’est quoi la caricature d’un gay ?
Par rapport à qui ? De gay à gay, ou d’un hétéro qui voit un gay ? C’est ça la vraie question !
Où s’arrête la caricature vue par un gay et la caricature vue par un hétéro ? Plus on devient
communs, plus on considère qu’on est caricaturé. Pour un hétéro, c’est une folle. Mais pour un
gay c’est quoi ? On est les premiers à refuser le reflet de notre propre image. J’ai des amis, y’en
a qui sont folles, et quand ils en voient une à la télé, ils sont là à dire « mais regarde-moi
l’image qu’ils donnent des homos » !
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
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– On dit que les gays sont précurseurs de tendances. Qu’en penses-tu ?
Mon cul ! Précurseurs de quoi ? Comment on dit déjà ?... Des « trend setters » ? On créé rien !
Les créatifs sont des créatifs, c’est tout ! Depuis 2000, les gays sont plus en plus des gens comme
tout le monde, avec une vie de famille, un travail, pas folle à danser tous les soirs. Mais plus on
devient commun, plus on a envie de se montrer par les fringues et tout ça, tout ce qui change de
l’ordinaire. Notre plus grande crainte, c’est de devenir commun. Pourquoi y’a de plus en plus de
monde à la gay-pride ? Ca devrait être le contraire !
On porte ce que les autres ne portent pas pour être différents, pour se différencier, mais après on
est copiés par la majorité. Et puis c’est accentué par le fait qu’on est une minorité….Même un
hétéro ne veut pas ressembler à son voisin !
Et puis des gays qui savent mettre une valeur artistique j’en connais pas tant que ça ! Je
connais plus d’hétéros créatifs que de gays créatifs. Tout le monde admire John Galliano, mais
c’est de la merde ce qu’il fait ! C’est im-met-table ! C’est pas ça être créatif pour moi !
Et puis y’a plus de gays dans les métiers de la mode, de l’information et de la communication
car c’était des métiers moins soumis aux discriminations…donc maintenant on se sert de ça pour
accentuer notre visibilité. Et en plus, les homos ont un culte du revival : on fait des trucs avec du
vieux…on crée rien. Faut arrêter de dire que les pédés sont créatifs !!!
– Visuellement, peux-tu me faire le portrait robot d’un gay ? Quel physique, quels habits,
quels décors, etc.
NON ! c’est toujours pas possible ! Y’a pas d’archétype homo. Idem pour les lesbiennes !
J’avais vu dans Vis Ma Vie un fermier gay et à côté de ça t’avais le gogo dancer, donc … non,
pas d’archétype gay.
– Est-ce qu’on peut communiquer aux gays autrement que par l’argument sexuel ou
érotique ?
J’espère ! Sur ses valeurs, mais ça dépend par rapport à quoi !
- C’est-à-dire ?
Ben tu prends une population qui à partir du Moyen Age, est considérée dans son mode de vie,
dans sa sexualité, comme une maladie, une tare qui se soigne. Tu prends ça avec des années de
répressions, la discrimination liée à la reconnaissance des droits, tu prends tout ça et tu peux
t’imaginer socio-culturellement parlant les prédispositions d’un gay, avec cet inconscient
collectif... C’est des valeurs générales de tolérance, des valeurs d’ouverture d’esprit mais c’est
aussi une forte intolérance pour compenser tout ça ! Ils peuvent pas vivre une vie sentimentale
comme les autres alors ils ont une sexualité exacerbée... Mais c’est un vrai travail. Encore fautil vouloir communiquer vers les gays. Mais les marques ne veulent pas ! Alors qu’elles
pourraient…. Souvent, les directeurs marketing ont une méconnaissance, une crainte de
l’inconnu, de quelque chose que les gens ne veulent pas comprendre. Combien de stagiaires ne
sont jamais venus parce qu’ils craignaient qu’on leur mette la main au cul ? Et cette crainte elle
se voit aujourd’hui pour les marques qui ont peur d’être assimilées à une marque
gay…Comment on peut dire que ça ce n’est pas un signe fort de discrimination ?
– La publicité te paraît-elle aider à la reconnaissance des gays dans la société ?
Toute visibilité de la communauté, positive, (Bddp disait : une mauvaise pub peut polluer la
France entière)..euh, toute communication positive qui met en valeur la communauté gay, avec
humour, dérision, etc… est forcément valorisante pour augmenter la reconnaissance des gays.
Mais est-ce que les gays ont envie de ça, de devenir comme tout le monde ?...
Jean-Philippe PAGES – Mémoire de Maîtrise IUP Communication Culture & Multimédia
Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse 2003/2004
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