De l’économie d’endettement
à l’économie de marchés financiers
Université Paris X-Nanterre
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Working Paper
2008-15
Françoise Renversez
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Université Paris X Nanterre
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UMR 7166 CNRS
De l'économie d'endettement à l'économie de marchés financiers
Une version abrégée de cet article est parue dans le numéro 3.mars 2008 de la revue
Regards croisés sur l'économie : « Comprendre la finance contemporaine »
Françoise RENVERSEZ
Professeur émérite à l'Université Paris X-Nanterre
EconomiX-CNRS Paris X
Le système financier aujourd'hui en place en France est le fruit d'une politique de
transformation engagée dans les années quatre vingt pour préparer l'entrée dans l'Union
Economique et Monétaire. Le système financier français s'articulait alors très fortement autour
de l'activité des banques et plus généralement du crédit. Des taux de croissance élevés et le
rythme soutenu d'investissement qu'ils supposent suscitaient une demande forte de
financement des entreprises dont les fonds propres n'étaient pas à la hauteur des besoins de
financement de l'investissement, les marchés financiers ne répondant que partiellement à la
demande des plus importantes d'entre elles. C'était donc les banques qui satisfaisaient la
demande de financement des entreprises en assurant leur propre liquidité par un recours
constant au refinancement de la Banque de France. Ce système, désigné sous le terme
d'« économie d'endettement »dans les travaux de la Banque de France et de l'INSEE [Levy-
Garboua V., 1978 ; Maarek G., 1978], ne doit pas être confondu avec celui de "debt
economy", économie endettée, n'existent pas nécessairement l'endettement et le
refinancement permanent des banques auprès de la Banque Centrale qui sont la caractéristique
majeure de l'économie d'endettement.
Ce système de financement qui repose sur l'anticipation, alors vérifiée, de la croissance
pouvait être considéré comme largement administré à la fois en raison du mode de
transmission des taux d'intérêt et de l'existence de circuits spécialisés marqués par des taux
d'intérêt spécifiques. Dans ce cadre le marché monétaire était essentiellement un marché
interbancaire.
La demande de refinancement des banques comme la demande de financement des
entreprises était assez inélastique au taux d'intérêt et l'instrument de la régulation monétaire
était donc quantitatif: la progression du volume du crédit était contrôlée par la pratique dite de
"l'encadrement du crédit", pratique assouplie par la prise en compte de politiques spécifiques
de soutien en particulier de l'exportation ou du financement du logement.
L'objectif de la réforme, appuyée sur les travaux du Commissariat Général du Plan, a
été précisément de mettre en place un marché des capitaux décloisonné et d'une dimension qui
lui permette d'affronter les mouvements internationaux de capitaux. Les entreprises devaient
en retirer la possibilité d'accès à un marché élargi du capital le taux d'intérêt serait un vrai
prix. L'hypothèse était que la constitution de fonds propres par les entreprises en serait
facilitée ainsi que leur accès aux ressources à long terme [Commissariat Général du Plan,
1978]. La charge financière des entreprises n'était pas dans les années 70 une préoccupation
déterminante, car l'inflation allégeait sensiblement les taux d'intérêt: le taux d'intérêt réel a
parfois été négatif. Il s'agissait d'adapter l'économie française, et particulièrement les marchés
de capitaux à l'ouverture des économies : le contrôle des changes prend fin en France après
une longue transition en 1988.
Comme toute action de politique économique cette mutation a suscité des
comportements d'adaptation, ils ont été fort actifs en ce qui concerne les banques et les autres
intermédiaires financiers qui ont multiplié les innovations financières. Les entreprises ont,
elles, eu à faire face au double impact de la mutation du système financier modifiant à la fois
leur structure de financement et le prix de leur financement. D'autant que la quasi disparition
de l'inflation les a, dans les années 90, confrontées à des taux d'intérêt réels élevés.
L'investissement ne paraît pas avoir autant bénéficié de la modernisation et de la
diversification du système financier que ne l'espéraient les promoteurs de la réforme.
Cependant la gestion financière des entreprises en a été profondément modifiée et est devenue
source de rentabilité. On essaiera ici de présenter les éléments de la situation particulière de
l'économie française mais au sein de l'UEM l'Allemagne a elle aussi connu, avec un calendrier
et des modalités propres, une évolution de son système financier. Il faut observer que cette
transformation s'est accomplie dans un environnement profondément modifié quant à la
détermination des variables fondamentales de l'économie, taux d'intérêt, taux d'inflation, mais
aussi taux d'investissement, taux de croissance de l'économie.
La transformation du système financier organisée par les pouvoirs publics en France en
réponse aux contraintes de l'environnement économique (I) a abouti au passage à un système
de financement qui relève de l'économie de marchés financiers (market based) selon la
classification généralement admise [Allen et Gale 2000] (II).
I- Une transformation organisée en réponse aux contraintes de l'environnement
économique
La place tenue aujourd'hui par les marchés de capitaux, dans le financement des
entreprises en France est le résultat d'une évolution souhaitée et organisée par les pouvoirs
publics et amorcée dès le début des années 80 (I-1). Il s'agissait d'adapter l'économie française
aux contraintes de l'économie ouverte (I-2).
I.1- Un passage volontariste à l'économie de « fonds propres »
Si la transformation institutionnelle a été conduite dans les années 1984 et suivantes
sous la responsabilité de Pierre Bérégovoy alors ministre de l'économie et des finances, dès
1969 le rapport Marjolin-Sadrin-Wormser sur « le marché monétaire et les conditions de
crédit »souhaitait que soit mis un terme à la fragmentation du marché du capital. En mai 1978
le rapport Mayoux (Rapport sur le développement des institutions financières locales et
régionales) mettait en cause le cloisonnement des marchés et le caractère contre-productif des
mécanismes administrés de contingentement et de répartition du crédit. L'orientation vers la
montée des fonds propres se manifeste avec la loi sur « l'orientation de l'épargne et le
financement des entreprises » du 13 juillet 1978 dite loi Monory. Elle vise au renforcement
des fonds propres des entreprises en suscitant les placements en actions des ménages par des
avantages fiscaux étendus aux placements en SICAV comportant les actions d'au moins 60%
de sociétés françaises cotées .La loi prend appui sur ce qui est encore en France une
innovation financière : les SICAV autorisées par un décret de 1957 et un arrêté de 1963 ne
sont effectivement apparues en France qu'en 1964.
La transformation prévisible de l'environnement économique par la mise en place du
Marché Unique a donné de l'urgence à la remise en cause de l'organisation du financement
inscrit dans le cadre d'une économie certes exportatrice mais fermée en ce sens qu'elle
fonctionnait avec un contrôle des changes rigoureux .Celui-ci avait un double aspect :il
permettait le contrôle des mouvements de capitaux et donc de limiter la spéculation ,toujours
active contre le franc, mais il limitait aussi l'apport de capitaux extérieurs aux marchés
boursiers .
L'objet des réformes mises en œuvre par les gouvernements successifs est clairement
défini par le rapport du CGP de 1987 sur la «Réforme du financement de l'économie
française »dit rapport Lagayette : »l'objectif était de réaliser « un marché des capitaux unifié
allant du jour le jour au très long terme, accessible à tous les agents économiques, au
comptant et à terme avec la possibilité d'options ».
Il s'agissait donc à la fois d'ouvrir à l'ensemble des agents les marchés de capitaux
traditionnels, d'en autoriser le décloisonnement c'est à dire le passage d'un compartiment à
l'autre, et aussi de mettre en place les segments manquants en particulier en matière
d'opérations à terme et d'options. Cette démarche a été accompagnée par un processus
permanent d'innovation financière dont l'Etat a donné l'exemple par ses techniques d'emprunt.
Les avantages attendus se situaient à deux niveaux : celui du prix du marché du
capital, les analyses du CGP soulignent que le prix administré n'est pas un vrai prix et ne
permet donc pas une allocation rationnelle des ressources, celui de l'accroissement des
ressources de financement pour les entreprises, notamment par l'apport de capitaux étrangers.
L'objectif final est l'instauration d'une économie de fonds propres c'est à dire d'une
économie les entreprises ne sont plus dépendantes de leur endettement bancaire soutenu
éventuellement par les bonifications d'intérêt accordées par l'Etat mais investissent avec
l'apport en capital des épargnants actionnaires. Ceux-ci sont rémunérés par un dividende et par
la plus-value de leurs titres .Cet apport en capital n'alourdit pas l'endettement de l'entreprise
mais c'est alors le marché qui décide de la validité de l'investissement.
La réalisation de l'objectif de mise en place d'une économie de fonds propres passe par
le renforcement de la place financière de Paris avec pour modèle la City de Londres. Cette
solution s'inscrit dans la tradition de financement des entreprises françaises qui contrairement
aux entreprises allemandes étaient dans l'avant-guerre majoritairement financées par actions.
Un marché financier actif suppose que les opérations puissent être conduites pour
chaque catégorie d'échéance temporelle et que tous les opérateurs financiers puissent accéder
à chaque compartiment du marché, ce qui impliquait en France une réforme du marché
monétaire. A l'exemple des plus grandes places financières étrangères il fallait aussi que des
opérations à terme et optionnelles soient possibles. Le développement des marchés s'est
appuyé sur un processus rapide d'innovations financières dans lequel l'Etat a été d'autant plus
actif que les contraintes économiques s'accroissaient.
I.2- Les contraintes économiques en économie ouverte
La prise en compte de l'endettement des entreprises a donc été un élément déterminant
de la volonté de réforme du système financier. Celle-ci a été renforcée, dans le contexte
économique international consécutif au second choc pétrolier de 1979 par les contraintes
résultant de l'adhésion au Système Monétaire Européen (SME).
Dès 1979 le respect d'une parité stable de change entre les pays membres du SME et
l'obligation de maintenir le franc dans une marge de fluctuation de plus ou moins 2,25 %
constitue une contrainte forte pour la politique économique et monétaire française. Or, le
système financier de l'économie d'endettement les banques financent un Produit anticipé
aux prix courants est perçu, sinon comme une cause de l'inflation, à tout le moins comme un
facteur favorable à celle-ci. Les anticipations par les entreprises de leurs recettes futures aux
prix courants intègrent et reconduisent les taux d'inflation observés antérieurement observés
.Les modèles macroéconomiques de l'époque se fondent sur cette analyse et utilisent les
anticipations extrapolatives.
L'encadrement du crédit, instrument essentiel de la politique monétaire, assortit les
limitations quantitatives du crédit de taux de pénalisation croissants, que les entreprises dans
un contexte de demande soutenue et d'inflation intègrent à leurs prévisions de prix.
L'entrée dans le SME contribue à imposer à la politique monétaire uneférence
internationale. L'ouverture des marchés devrait pour ses promoteurs substituer aux pratiques
de l'économie d'endettement la référence aux taux internationaux. Il en est aussi attendu une
baisse du coût de l'intermédiation financière [CGP 1984].
La seconde moitié de la décennie est marquée par une forte régression de l'inflation. La
politique du « franc fort » commencée en 1983 atteint ses objectifs et la charge financière des
entreprises cesse d'être fortement érodée voire annulée par l'inflation sous deux aspects. D'une
part, le poids du remboursement en capital de la dette est alourdi, d'autre part, les taux
d'intérêt nominaux se rapprochent des taux d'intérêt réels. L'effet de levier de l'endettement se
transforme, selon une formule qui a cours à l'époque, en effet de massue. La période est
marquée par de nombreuses faillites d'entreprises.
Cette situation a une incidence macro-économique considérable dont les effets se
prolongent jusqu'à aujourd'hui sur l'économie française. Le partage de la valeur ajoutée entre
salaires et profits, en d'autres termes les parts relatives du capital et du travail dans le partage
du revenu produit évoluent défavorablement pour le facteur travail.
Le taux de marge des entreprises (en termes de comptabilité nationale le rapport
Excédent brut d'exploitation / Valeur ajoutée) s'élève progressivement. Ce qui signifie que les
entreprises disposent d'une marge de profit plus importante qu'elles vont pouvoir affecter au
financement de leurs investissements si leurs anticipations de la demande sont favorables.
Effectivement, le financement de l'investissement sur fonds propres, mesuré par le taux
d'autofinancement s'élève mais au cours des années le rapport devient d'autant plus favorable
que le dénominateur: l'investissement s'affaiblit.
Lorsqu'en 1988 cesse le contrôle des changes, macroéconomiquement, les ressources
des entreprises leur permettent d'assurer le financement de leur investissement. Dès lors
l'assise dans le secteur productif de l'économie d'endettement, c'est à dire l'endettement des
entreprises auprès des banques pour le financement de l'investissement donc du capital
productif, n'est plus présente en France.
L'impact de cette évolution du comportement du secteur réel sur le secteur financier va
conduire à une mutation du système financier.
II- Le passage à l'économie de marchés financiers
Une explosion des marchés de capitaux favorisée par l'innovation financière (II-1).est
accompagnée par une évolution importante des comportements financiers des entreprises ( II-
2) La rapidité de cette mutation témoigne de l' adaptation des banques et de l'ensemble des
intermédiaires financiers à la mise en place d'un nouveau système financier (II- 3).
II.1- L'essor des marchés
Provoqué en France par l'ouverture des économies et facilité par un processus intense
d'innovations financières initié par l'État emprunteur et repris par le secteur privé, l'essor du
financement de marché s'est opéré à la fois au travers du développement des marchés
traditionnels et de la création de nouveaux marchés.
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