é d i t o r i a l L’urodynamique de tous les dangers… Magnificence and vicissitude of urodynamic investigations… ■ G. Amarenco* examen complémentaire idéal se devrait d’être indolore, économique, simple à réaliser, peu coûteux et non invasif. Mais aussi sensible, spécifique, aisé à interpréter, non opérateur-dépendant, avec des normes bien établies, des résultats sans équivoque, des indications précises, des contre-indications claires, une procédure rigoureuse et sans effet iatrogène. Le bilan urodynamique répond-il à tous ces critères ? Loin s’en faut... L’ DR LA DOULEUR… * Service de rééducation neurologique et d’explorations périnéales, hôpital Rothschild (AP-HP), Paris. E-mail : [email protected] Une étude récente d’Ellerkmann et al. (cf. revue de presse) vient apporter quelques éléments de réponses pas forcément positives. La perception douloureuse imaginée avant le bilan urodynamique est bien supérieure à la douleur réelle induite par ce même bilan. Et alors ? Ce n’est pas pour cela que le patient ne souffre pas ! La douleur imaginée est bien évidemment très dépendante de la qualité de l’information qui est donnée et de l’idée que s’en fait le patient… Même bien informé, bien “éclairé”, le patient ne peut s’empêcher d’imaginer, d’extrapoler, de craindre, de supputer et, parfois…, d’anticiper ! Certes, cela n’est pas le propre de l’exploration urodynamique, puisque ces craintes souvent irraisonnées sont retrouvées pour tout examen complémentaire, et en réalité pour tout événement : l’inconnu fait peur, l’inconnu n’est pas apprivoisable, l’inconnu souvent dérange, sauf quelques aventuriers avides de sensations, de découvertes et d’expériences. Mais, même chez ces derniers, un examen médical peut être redouté ! Quoi de plus subjectif en effet que la douleur ressentie, qui est d’ailleurs fort variable suivant la population considérée : les personnes âgées (qui ont pour certaines une trop grande expérience Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. V - janvier/février/mars 2005 de la souffrance ou qui n’en ont déjà que trop subi) ; les enfants, chez qui il est encore moins tolérable de l’accepter ; les patients neurologiques, qui acquièrent malheureusement trop vite la notion de relativité ; les garçons, trop souvent suspectés (à tort, bien sur !) de pusillanimité. Et puis, quelle que soit l’intensité du vécu douloureux de l’urodynamique, la peur n’évite pas le danger ! NON INVASIF... Comment ne pas rêver, en ce début d’année 2005, d’une exploration urodynamique sans sondage, mini-invasive ? À quand les capteurs externes venant dépister, par une analyse combinée de l’électromyographie de surface détrusorienne et des flux Doppler vésicaux et urétraux, les dysfonctionnements du cycle continence-miction ? Modélisation mathématique à partir d’enregistrements débitmétriques non invasifs, acquisition de surface des signaux électriques ou vélocimétriques internes, microcapsules embarquées, télémétrie, manchette pénienne avec mesure externe des pressions remplaçant une étude pression-débit formelle : que de pistes, que de tentations, que d’espoirs ! Le vrai progrès de l’urodynamique sera celui-ci ou ne sera pas. Et tant pis si l’on n’appelle plus cela “urodynamique”, du moment que l’on comprend mieux, que l’on fait mieux et que l’on fait moins mal… SIMPLE À RÉALISER... Des sondes, des tubulures à foison, des aiguilles, encore des sondes. Des perfuseurs, des accélérateurs, des ralentisseurs, des économiseurs, des capteurs… Des câbles, des fils, des relais, des raccords, des accords, des supports, des ren- 3 DR é d i t o r i a l forts encore ; des prises, des crises, des entrées, des sorties, des connecteurs… Un écran, des claviers, des roulettes, des chariots, une souris… Ne manque plus que le raton laveur, et le Grand Jacques n’aurait pas renié cet inventaire ! À quand l’appareil simple, ergonomique, transportable ? À l’heure du tout petit, du microscopique, au royaume de la miniaturisation, du wifi, du Bluetooth, du sans fil, du portable, pourquoi supportons-nous encore ces affreuses machines vert-de-gris antédiluviennes, tentaculaires, véritables mille-pattes informatiques ? Et si, au moins, cela permettait d’être plus précis, plus performant, plus savant ! Que nenni ! Pas d’intelligence embarquée, pas de système expert, pas de dépistage automatique d’artefact, pas d’autocorrection des paramètres d’analyse. Un vulgaire ordinateur de tous les jours pour le prix d’une salle des machines ! Que nous apportent en réalité ces machines d’aujourd’hui par rapport à nos machines d’antan ? Rien… On ne mesure toujours que des pressions, et les unités et les calculs (simplissimes) sont toujours les mêmes. On peut certes archiver, exporter et générer un rapport, mais cela est bien un minimum ! Nous avons même perdu la compacité (et la robustesse) de certains dinosaures qui nous ont rendu les mêmes services. Alors, à l’heure où l’ergonomie est reine au travail, à la maison, en voiture, plaidons pour une vraie valeur ajoutée à nos matériels. ÉCONOMIQUE... L’exploration urodynamique n’est ni économique pour le patient, ni rentable pour le médecin. En attendant l’application tarifaire de la nouvelle nomenclature, il faut bien constater que le prix de revient d’un examen est extrêmement important depuis la généralisation du toutusage unique. De plus, certaines populations induisent une modification de la pratique, augmentant le temps et souvent la complexité de l’examen (neurologiques, personnes âgées, enfants). Le peu de rentabilité pousse nombre de praticiens à arrêter ce type d’activité et parfois, ce qui est pire, à la sous-traiter à un personnel paramédical pas toujours performant. Coût des consommables, prix des automates de mesure, temps mobilisé, codification peu “alléchante” sont autant de freins. Pourtant, les besoins sont créés, les recommandations médico-économiques (ANAES) et scientifiques existent… 4 NON INVASIF... Certainement pas ! Le risque d’infection urinaire n’est pas négligeable (cf. revue de presse dans ce même numéro), avec même la possibilité de pyélonéphrite, de septicémie et, chez l’homme, d’urétroprostatite. Les urétrorragies, les blessures urétrales existent, tout comme les blessures psychologiques. Une exploration urodynamique n’est jamais anodine, jamais neutre. La position, la nudité… La pénétration des sondes dans des orifices si personnels… Le corps soumis, consentant, parfois humilié… Ce corps toujours nu, cru. L’acceptation n’exclut pas la pudeur, l’abandon la crainte, le consentement, la honte. Il ne faut jamais banaliser cet examen. SENSIBLE ET SPÉCIFIQUE… L’exploration urodynamique ne permet pas de tout résoudre, de tout comprendre, de tout espérer. Elle ne permet pas toujours de mieux soigner. Mise en évidence du ou des facteurs physiopathologiques d’un trouble sphinctérien donné, recherche d’un élément étiopathogénique, dépistage des facteurs de risque, évaluation du pronostic, détermination du retentissement sont les buts avoués de cet examen. Mais quelle est sa réelle sensibilité ? Les réponses ne sont que parcellaires, et encore, dans certaines populations bien ciblées (incontinence urinaire à l’effort de la femme, hyperactivité vésicale du patient neurologique, syndrome obstructif de l’homme). Qui pourra à tous coups trancher devant une dysurie entre une cause vésicale ou sphinctérienne, entre le strié et le lisse, entre le neurologique et l’obstrué, entre le psychogène et l’organique, entre le iatrogène et le vieillissement détrusorien ? Qui pourra jurer de la nécessité des autosondages, d’une désactivation pharmacologique de la vessie, de l’opportunité d’une chirurgie ? L’urodynamique rend humble. L’urodynamique redonne noblesse et préséance à la clinique. L’urodynamique nous fait revivre, docteurs. Et c’est bien l’un de ses grands mérites. AISÉ À INTERPRÉTER, NON OPÉRATEUR-DÉPENDANT... D’artefacts en interprétations, d’équivoques en certitudes, d’analyses en découvertes, de doutes en certitudes, telle une rivière oubliée, les arcanes du diagnostic urodynamique se perdent en méandres confus… Quelques fils d’Ariane mal Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. V - janvier/février/mars 2005 tissés. Quelques principes si vite défaits au gré des congrès ou des humeurs. Quelques règles trop rapidement oubliées. Quelques vérités trop éphémères… L’analyse des courbes est parfois aride, souvent ardue, et leur interprétation toujours difficile. Point de génie, point d’intuition. Une succession de connaissances cliniques, radiologiques, physiologiques ; une sommation de compétences neurologiques, urologiques, psychologiques, gynécologiques. Une alchimie complexe, loin, parfois, de l’urodynamique. La pelvi-périnéologie est née. Des sociétés savantes s’y préparent, cette revue en témoigne… NORMES BIEN ÉTABLIES, RÉSULTATS SANS ÉQUIVOQUE… À chaque laboratoire ses normes, à chaque technicien sa procédure ! Que d’anarchie ! La faute à qui ? À la jeunesse de cette exploration ? À ses évolutions techniques et culturelles permanentes ? À la très grande variabilité inter- et intraindividuelle ? À l’individualisme forcené de nombre d’entre nous, particularisme bien connu de notre cher Hexagone ? Aux sociétés qui nous gouvernent ? Pourtant, celles-ci ont fait bien des efforts ces derniers temps pour homogénéiser, si ce n’est toutes les pratiques, du moins les définitions. La nouvelle nomenclature ICS est désormais traduite en français par un collectif d’experts représentant la Société internationale francophone d’urodynamique (SIFUD) et l’Association française d’urologie (AFU). Elle sera d’ailleurs publiée dans le prochain numéro de Correspondances en pelvi-périnéologie. Utilisons-la, accaparons-la. Tenons-nous en là. Le monde n’est pas toujours à redécouvrir. Le langage universel a bien des avantages, ne seraitce que pour mieux exister, et, paradoxalement, pour mieux se différencier. INDICATIONS PRÉCISES, CONTRE-INDICATIONS CLAIRES… Tout n’est pas si clair. Il est des indications peu discutées, même si elles peuvent être discutables. C’est le cas du bilan préopératoire de l’incontinence urinaire à l’effort féminine. L’urodynamique permet de dépister par la débitmétrie une dysurie ignorée et, partant, un risque potentiel de rétention postopératoire du fait de l’absence de plasticité de la bandelette sous-urétrale au moment des poussées abdominales permictionnelles. Mais, en réalité, devant une inconti- Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. V - janvier/février/mars 2005 nence urinaire à l’effort rebelle au traitement médical par rééducation périnéale et duloxétine, y a-t-il une autre alternative à la chirurgie pour tenter d’accéder à la demande d’amélioration, voire de guérison, de la patiente ? Cette dysurie va-t-elle contre-indiquer la chirurgie ? Certainement non. La patiente sera simplement informée du (possible) risque majoré (du moins, c’est ce que nous croyons) de dysurie-rétention postopératoire. C’est le même raisonnement pour une hyperactivité détrusorienne découverte en cystomanométrie sans syndrome clinique d’hyperactivité vésicale : la chirurgie ne sera pas récusée, ni même le type de geste chirurgical modifié. Le suivi des vessies neurologiques est un peu moins problématique, encore que… Qui peut affirmer ainsi la nécessité de “contrôles” récurrents (et à quelle fréquence ?) devant une neurovessie centrale hyperactive sous anticholinergiques, sans modifications cliniques, biologiques et échographiques ? On imagine, on suppute, on pense… Pour l’instant, des consensus d’experts (GENULF, Groupe européen de neuro-urologie de langue française) semblent plutôt favorables à cette attitude. Attendons, pour y voir peut-être plus clair, ou plutôt pour avoir divers éclairages, la prochaine table ronde, qui se tiendra lors du Congrès de la SIFUD de Nantes du 2 au 4 juin sous la présidence du Dr Jean-Jacques Labat. Et que dire, enfin, des explorations urodynamiques à visée diagnostique, notamment dans une pathologie si souvent fonctionnelle, où la quête forcenée d’une pathologie organique n’est pas toujours de mise ? On essaye trop souvent de “somatiser” ces patients, peut-être pour se rassurer, peut-être pour ne pas s’égarer dans des couloirs trop souvent inconnus pour nombre d’entre nous. Mais, ce faisant, on les égare et on s’égare. On se trompe et on les trompe. Alors, l’urodynamique, quel avenir ? Celui que nous lui donnerons. Brillant et pérenne si elle demeure aux côtés de l’interrogatoire et de l’examen clinique. Radieux et incontournable si nous restons humbles et critiques dans son interprétation. Maussade et déliquescent si nous l’érigeons en tour d’ivoire indiscutable et arrogante. Improbable et critiquable si nous ne l’enrichissons pas des autres techniques, si nous ne la nourrissons pas de nos doutes et de nos interrogations. Et puis, obligeons-nous à parler de manière consensuelle et rationnelle. Longue vie à l’urodynamique ! ■ 5