L’
examen complémentaire idéal se devrait
d’être indolore, économique, simple à
réaliser, peu coûteux et non invasif. Mais aussi
sensible, spécifique, aisé à interpréter, non
opérateur-dépendant, avec des normes bien éta-
blies, des résultats sans équivoque, des indica-
tions précises, des contre-indications claires, une
procédure rigoureuse et sans effet iatrogène.
Le bilan urodynamique répond-il à tous ces cri-
tères ? Loin s’en faut...
L
ADOULEUR
Une étude récente d’Ellerkmann et al. (cf. revue
de presse) vient apporter quelques éléments de
réponses pas forcément positives. La perception
douloureuse imaginée avant le bilan urodyna-
mique est bien supérieure à la douleur réelle
induite par ce même bilan. Et alors ? Ce n’est pas
pour cela que le patient ne souffre pas ! La dou-
leur imaginée est bien évidemment très dépen-
dante de la qualité de l’information qui est don-
née et de l’idée que s’en fait le patient… Même
bien informé, bien “éclairé”, le patient ne peut
s’empêcher d’imaginer, d’extrapoler, de craindre,
de supputer et, parfois…, d’anticiper ! Certes,
cela n’est pas le propre de l’exploration urody-
namique, puisque ces craintes souvent irraison-
nées sont retrouvées pour tout examen complé-
mentaire, et en réalité pour tout événement :
l’inconnu fait peur, l’inconnu n’est pas apprivoi-
sable, l’inconnu souvent dérange, sauf quelques
aventuriers avides de sensations, de décou-
vertes et d’expériences. Mais, même chez ces
derniers, un examen médical peut être redouté !
Quoi de plus subjectif en effet que la douleur res-
sentie, qui est d’ailleurs fort variable suivant la
population considérée : les personnes âgées (qui
ont pour certaines une trop grande expérience
de la souffrance ou qui n’en ont déjà que trop
subi) ; les enfants, chez qui il est encore moins
tolérable de l’accepter ; les patients neurolo-
giques, qui acquièrent malheureusement trop
vite la notion de relativité ; les garçons, trop sou-
vent suspectés (à tort, bien sur !) de pusillani-
mité. Et puis, quelle que soit l’intensité du vécu
douloureux de l’urodynamique, la peur n’évite
pas le danger !
N
ON INVASIF
...
Comment ne pas rêver, en ce début d’année
2005, d’une exploration urodynamique sans
sondage, mini-invasive ? À quand les capteurs
externes venant dépister, par une analyse com-
binée de l’électromyographie de surface détru-
sorienne et des flux Doppler vésicaux et urétraux,
les dysfonctionnements du cycle continence-mic-
tion ? Modélisation mathématique à partir d’en-
registrements débitmétriques non invasifs,
acquisition de surface des signaux électriques
ou vélocimétriques internes, microcapsules
embarquées, télémétrie, manchette pénienne
avec mesure externe des pressions remplaçant
une étude pression-débit formelle : que de pistes,
que de tentations, que d’espoirs ! Le vrai progrès
de l’urodynamique sera celui-ci ou ne sera pas.
Et tant pis si l’on n’appelle plus cela “urodyna-
mique”, du moment que l’on comprend mieux,
que l’on fait mieux et que l’on fait moins mal…
S
IMPLE À RÉALISER
...
Des sondes, des tubulures à foison, des aiguilles,
encore des sondes. Des perfuseurs, des accélé-
rateurs, des ralentisseurs, des économiseurs,
des capteurs… Des câbles, des fils, des relais,
des raccords, des accords, des supports, des ren-
3
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. V - janvier/février/mars 2005
L’urodynamique
de tous les dangers…
Magnificence and
vicissitude of urodynamic
investigations…
G. Amarenco*
éditorial
* Service de rééducation neurologique
et d’explorations périnéales,
hôpital Rothschild (AP-HP), Paris.
DR
4
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. V - janvier/février/mars 2005
forts encore ; des prises, des crises, des entrées,
des sorties, des connecteurs… Un écran, des cla-
viers, des roulettes, des chariots, une souris… Ne
manque plus que le raton laveur, et le Grand
Jacques n’aurait pas renié cet inventaire !
Àquand l’appareil simple, ergonomique, trans-
portable ? À l’heure du tout petit, du microsco-
pique, au royaume de la miniaturisation, du wifi,
du Bluetooth, du sans fil, du portable, pourquoi
supportons-nous encore ces affreuses machines
vert-de-gris antédiluviennes, tentaculaires, véri-
tables mille-pattes informatiques ? Et si, au
moins, cela permettait d’être plus précis, plus
performant, plus savant ! Que nenni ! Pas d’in-
telligence embarquée, pas de système expert,
pas de dépistage automatique d’artefact, pas
d’autocorrection des paramètres d’analyse. Un
vulgaire ordinateur de tous les jours pour le prix
d’une salle des machines ! Que nous apportent
en réalité ces machines d’aujourd’hui par rap-
port à nos machines d’antan ? Rien… On ne
mesure toujours que des pressions, et les unités
et les calculs (simplissimes) sont toujours les
mêmes. On peut certes archiver, exporter et
générer un rapport, mais cela est bien un mini-
mum ! Nous avons même perdu la compacité (et
la robustesse) de certains dinosaures qui nous
ont rendu les mêmes services. Alors, à l’heure où
l’ergonomie est reine au travail, à la maison, en
voiture, plaidons pour une vraie valeur ajoutée
à nos matériels.
É
CONOMIQUE
...
L’exploration urodynamique n’est ni écono-
mique pour le patient, ni rentable pour le méde-
cin. En attendant l’application tarifaire de la nou-
velle nomenclature, il faut bien constater que le
prix de revient d’un examen est extrêmement
important depuis la généralisation du tout-
usage unique. De plus, certaines populations
induisent une modification de la pratique, aug-
mentant le temps et souvent la complexité de
l’examen (neurologiques, personnes âgées,
enfants). Le peu de rentabilité pousse nombre
de praticiens à arrêter ce type d’activité et par-
fois, ce qui est pire, à la sous-traiter à un per-
sonnel paramédical pas toujours performant.
Coût des consommables, prix des automates de
mesure, temps mobilisé, codification peu “allé-
chante” sont autant de freins. Pourtant, les
besoins sont créés, les recommandations
médico-économiques (ANAES) et scientifiques
existent…
N
ON INVASIF
...
Certainement pas ! Le risque d’infection urinaire
n’est pas négligeable (cf. revue de presse dans
ce même numéro), avec même la possibilité de
pyélonéphrite, de septicémie et, chez l’homme,
d’urétroprostatite. Les urétrorragies, les bles-
sures urétrales existent, tout comme les bles-
sures psychologiques. Une exploration urody-
namique n’est jamais anodine, jamais neutre. La
position, la nudité… La pénétration des sondes
dans des orifices si personnels… Le corps sou-
mis, consentant, parfois humilié… Ce corps tou-
jours nu, cru. L’acceptation n’exclut pas la
pudeur, l’abandon la crainte, le consentement,
la honte. Il ne faut jamais banaliser cet examen.
S
ENSIBLE ET SPÉCIFIQUE
L’exploration urodynamique ne permet pas de
tout résoudre, de tout comprendre, de tout espé-
rer. Elle ne permet pas toujours de mieux soigner.
Mise en évidence du ou des facteurs physiopa-
thologiques d’un trouble sphinctérien donné,
recherche d’un élément étiopathogénique,
dépistage des facteurs de risque, évaluation du
pronostic, détermination du retentissement sont
les buts avoués de cet examen. Mais quelle est
sa réelle sensibilité ? Les réponses ne sont que
parcellaires, et encore, dans certaines popula-
tions bien ciblées (incontinence urinaire à l’ef-
fort de la femme, hyperactivité vésicale du
patient neurologique, syndrome obstructif de
l’homme). Qui pourra à tous coups trancher
devant une dysurie entre une cause vésicale ou
sphinctérienne, entre le strié et le lisse, entre le
neurologique et l’obstrué, entre le psychogène
et l’organique, entre le iatrogène et le vieillisse-
ment détrusorien ? Qui pourra jurer de la néces-
sité des autosondages, d’une désactivation phar-
macologique de la vessie, de l’opportunité d’une
chirurgie ? L’urodynamique rend humble. L’uro-
dynamique redonne noblesse et préséance à la
clinique. L’urodynamique nous fait revivre, doc-
teurs. Et c’est bien l’un de ses grands mérites.
A
ISÉÀINTERPRÉTER
,
NON OPÉRATEUR
-
DÉPENDANT
...
D’artefacts en interprétations, d’équivoques en
certitudes, d’analyses en découvertes, de doutes
en certitudes, telle une rivière oubliée, les
arcanes du diagnostic urodynamique se perdent
en méandres confus… Quelques fils d’Ariane mal
éditorial
DR
tissés. Quelques principes si vite défaits au gré
des congrès ou des humeurs. Quelques règles
trop rapidement oubliées. Quelques vérités trop
éphémères… L’analyse des courbes est parfois
aride, souvent ardue, et leur interprétation tou-
jours difficile. Point de génie, point d’intuition.
Une succession de connaissances cliniques,
radiologiques, physiologiques ; une sommation
de compétences neurologiques, urologiques,
psychologiques, gynécologiques. Une alchimie
complexe, loin, parfois, de l’urodynamique. La
pelvi-périnéologie est née. Des sociétés savantes
s’y préparent, cette revue en témoigne…
N
ORMES BIEN ÉTABLIES
,
RÉSULTATS SANS ÉQUIVOQUE
À chaque laboratoire ses normes, à chaque tech-
nicien sa procédure ! Que d’anarchie ! La faute à
qui ? À la jeunesse de cette exploration ? À ses
évolutions techniques et culturelles perma-
nentes ? À la très grande variabilité inter- et intra-
individuelle ? À l’individualisme forcené de
nombre d’entre nous, particularisme bien connu
de notre cher Hexagone ? Aux sociétés qui nous
gouvernent ? Pourtant, celles-ci ont fait bien des
efforts ces derniers temps pour homogénéiser,
si ce n’est toutes les pratiques, du moins les défi-
nitions. La nouvelle nomenclature ICS est désor-
mais traduite en français par un collectif d’ex-
perts représentant la Société internationale
francophone d’urodynamique (SIFUD) et l’Asso-
ciation française d’urologie (AFU). Elle sera
d’ailleurs publiée dans le prochain numéro de
Correspondances en pelvi-périnéologie. Utili-
sons-la, accaparons-la. Tenons-nous en là. Le
monde n’est pas toujours à redécouvrir. Le lan-
gage universel a bien des avantages, ne serait-
ce que pour mieux exister, et, paradoxalement,
pour mieux se différencier.
I
NDICATIONS PRÉCISES
,
CONTRE
-
INDICATIONS CLAIRES
Tout n’est pas si clair. Il est des indications peu
discutées, même si elles peuvent être discu-
tables. C’est le cas du bilan préopératoire de l’in-
continence urinaire à l’effort féminine. L’urody-
namique permet de dépister par la débitmétrie
une dysurie ignorée et, partant, un risque poten-
tiel de rétention postopératoire du fait de l’ab-
sence de plasticité de la bandelette sous-urétrale
au moment des poussées abdominales permic-
tionnelles. Mais, en réalité, devant une inconti-
nence urinaire à l’effort rebelle au traitement
médical par rééducation périnéale et duloxétine,
y a-t-il une autre alternative à la chirurgie pour
tenter d’accéder à la demande d’amélioration,
voire de guérison, de la patiente ? Cette dysurie
va-t-elle contre-indiquer la chirurgie ? Certaine-
ment non. La patiente sera simplement informée
du (possible) risque majoré (du moins, c’est ce
que nous croyons) de dysurie-rétention post-
opératoire. C’est le même raisonnement pour
une hyperactivité détrusorienne découverte en
cystomanométrie sans syndrome clinique d’hy-
peractivité vésicale : la chirurgie ne sera pas récu-
sée, ni même le type de geste chirurgical modi-
fié. Le suivi des vessies neurologiques est un peu
moins problématique, encore que… Qui peut
affirmer ainsi la nécessité de “contrôles” récur-
rents (et à quelle fréquence ?) devant une neu-
rovessie centrale hyperactive sous anti-
cholinergiques, sans modifications cliniques,
biologiques et échographiques ? On imagine, on
suppute, on pense… Pour l’instant, des consen-
sus d’experts (GENULF, Groupe européen de
neuro-urologie de langue française) semblent
plutôt favorables à cette attitude. Attendons,
pour y voir peut-être plus clair, ou plutôt pour
avoir divers éclairages, la prochaine table ronde,
qui se tiendra lors du Congrès de la SIFUD de
Nantes du 2 au 4 juin sous la présidence du
Dr Jean-Jacques Labat.
Et que dire, enfin, des explorations urodyna-
miques à visée diagnostique, notamment dans
une pathologie si souvent fonctionnelle, où la
quête forcenée d’une pathologie organique n’est
pas toujours de mise ? On essaye trop souvent
de “somatiser” ces patients, peut-être pour se
rassurer, peut-être pour ne pas s’égarer dans des
couloirs trop souvent inconnus pour nombre
d’entre nous. Mais, ce faisant, on les égare et on
s’égare. On se trompe et on les trompe.
Alors, l’urodynamique, quel avenir ? Celui que
nous lui donnerons. Brillant et pérenne si elle
demeure aux côtés de l’interrogatoire et de l’exa-
men clinique. Radieux et incontournable si nous
restons humbles et critiques dans son interpré-
tation. Maussade et déliquescent si nous l’éri-
geons en tour d’ivoire indiscutable et arrogante.
Improbable et critiquable si nous ne l’enrichis-
sons pas des autres techniques, si nous ne la
nourrissons pas de nos doutes et de nos inter-
rogations. Et puis, obligeons-nous à parler de
manière consensuelle et rationnelle. Longue vie
à l’urodynamique !
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Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. V - janvier/février/mars 2005
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