KNUT WICKSELL :
La notion d’auxiliaire au service de la
compréhension des relations entre l’Economie et
l’Histoire.1
Nicolas BARBAROUX 2
CREUSET, Université Jean MONNET.
VIIème UNIVERSITÉ D’ETE EN HISTOIRE DE LA PENSÉE ET
MÉTHODOLOGIE ÉCONOMIQUES.
Septembre 2004 - Nice.
Organisée par LEM / CNRS / UNIVERSITE DE NICE-SOPHIA
ANTIPOLIS.
Avec le soutien de l’Association Charles Gide pour l’Étude de la Pensée
Économique.
1L’auteur remercie particulièrement BELLET Michel et TRAUTWEIN Hans-Michaël et BOIANOVSKY Mauro
pour leurs aides précieuses ainsi que leurs remarques dans l’élaboration de cet article. Néanmoins, l’auteur reste
le seul responsable des éventuelles erreurs et imprécisions.
2 Nicolas.Barbaroux@univ-st-etienne.fr ,
Université J. Monnet, CREUSET, 6 rue Basse des Rives 42023 ST ETIENNE.
1
Introduction
Woodford (1999) a coutume de résumer l’histoire de la discipline
comme une succession de controverses et une alternance de révolutions et
contre-révolutions. Parmi les controverses les plus marquantes pour la
science économique, et particulièrement en ce qui concerne l’histoire des
relations entre l’économie et les sciences sociales, l’épisode du
Methodenstreit (Querelle des Méthodes) constitue un point marquant et
décisif à ce sujet. Cette querelle s’est traduite par un antagonisme fort au
sujet de la méthodologie à adopter en économie entre les tenants de l’Ecole
Historique allemande, principalement Schmoller, et les théoriciens
autrichiens, tels que Menger. Si Schumpeter (1954, p 94) analyse, ce conflit
comme « une histoire d’énergies gaspillées, et dont on eût pu faire meilleur
usage », il convient de dire que ce jugement semble abrupt. En effet, cette
page de l’histoire de la discipline n’a pas été vaine puisque à l’issue de cet
affrontement, la science économique s’est trouvée enrichie. Ceci grâce à la
réflexion épistémologique qui s’est opérée traitant ainsi par la même
occasion des frontières de la discipline à l’égard d’autres sciences sociales et
humaines telle que principalement l’Histoire.
L’émergence de l’Ecole Historique allemande constitue ainsi toujours un
point de référence dans la réflexion sur les relations qu’entretient l’Economie
avec l’Histoire. Cependant, il ne faut pas s’y tromper et voir dans ce tournant
de la discipline un rapprochement nouveau du champ économique envers le
champ historique. La relation entre les deux disciplines a toujours existé, et,
pour Schumpeter lui-même, nul ne peut se soustraire à un recours envers
l’histoire économique comme source de vérité économique3. Néanmoins, là
où le changement a été radical, c’est dans la place respective accordée à
3 Schumpeter J.A, 1972, p 178 : « En tous temps et en tous pays, notre science a embrassé des éléments
historiques et théoriques » .
2
chacune des disciplines. L’Ecole Historique4 proposait ainsi une annexion de
l’Economie, avec ses méthodes, par l’Histoire, l’économiste se transformant
ainsi en historien de l’économie. Sa mission évolue dans le sens d’un travail
de collecte et d’analyse des données empiriques en vue d’en dégager des
conclusions et des modèles plus généraux. Face à de telles propositions, on
comprend la violence de la réaction autrichienne, C.Menger notamment,
pour qui la science économique a un tout autre statut et une toute autre
définition. On remarquera que cette opposition suscite toujours des
commentaires (Labrousse, 2002 ;.Nadeau, 2003) qui ne se bornent pas à
l’opposition traditionnelle stérile entre inductivisme et déductivisme5. Ces
apports s’inscrivent dans un débat plus général concernant les rapports
entre l’Economie et l’Histoire (Hodgson, 2001) et l’objet exact de la science
économique. Malgré la richesse de la littérature traitant de cette thématique,
il nous semble que certaines dimensions importantes du Methodenstreit
n’ont pas été suffisamment prises en compte. C’est le cas concernant la
position de Knut Wicksell. Cet auteur suédois va lui-aussi être marqué par le
contexte culturel de langue allemande, et la querelle des méthodes va jouer
un rôle essentiel dans le positionnement de toute l’école suédoise. Sa
position, cependant, reste souvent méconnue alors même que dans un
article de 1904, intitulé lors de sa traduction anglaise en 1958 Ends and
Means in Economics, Wicksell va être amené à soulever toute une série de
questionnements et répondre, par la même, au sujet qui nous intéresse. A
l’image de son œuvre, Wicksell se positionne de manière originale au sein de
ce débat, tant vis à vis de l’Ecole Historique que vis à vis de la tradition
autrichienne.
4 Il est communément admis de reconnaître 3 générations d’école historique : la vieille école historique qui
débute vers 1870 avec Hildebrand, Roscher et Knies ; la jeune école historique avec Schmoller, Kapp et Held ; et
la toute jeune école historique à la fin du 19ième siècle avec Spiethoff, Sombart et Weber.
5Labrousse A., 2002 : « La querelle des méthodes n’est donc en rien le théâtre d’un affrontement entre un
Menger, pur déductiviste, et un Schmoller sombrant dans un inductivisme naïf . Les deux auteurs s’accordent sur
l’idée d’une combinaison des deux modes de théorisation mais se séparent quant à la nature même de cette
combinaison ».
3
L’objet de ce présent article consiste alors à expliciter la réponse
wicksellienne sur les relations qu’entretiennent l’Economie et l’Histoire.
Ainsi, afin de pouvoir mesurer l’originalité du point de vue de Wicksell par
rapport à l’Ecole Historique, il convient de faire un bref rappel sur la position
de cette dernière. Nous nous limiterons ici à la Jeune Ecole Historique, selon
les termes de Schumpeter (1984), représentée par son leader G.Schmoller.
(Première Partie). Nous dévoilerons, ensuite, l’originalité et la richesse de la
pensée wicksellienne sur le sujet qui nous intéresse. La spécificité de
Wicksell a trait à la notion dauxiliaire qu’il fait intervenir réciproquement
pour l’Economie et l’Histoire. Le recours à cette notion particulière
conviendra d’être précisée (Deuxième Partie). Enfin, cette réflexion sera
également l’occasion de présenter l’analyse épistémologique qu’entreprend
Wicksell, notamment concernant le statut de la vérification empirique au
sein de la démarche théorique. (Troisième Partie). Preuve, si besoin en est, de
la richesse de la pensée wicksellienne, que nous tenterons de restituer.
I. La relation entre l’Economie et l’Histoire selon
l’Ecole Historique allemande.
Nous appréhenderons ici l’Ecole Historique à partir des travaux de Gustav
von Schmoller (1838-1917)6, et laisserons volontairement de côté les
précurseurs de ce courant à savoir W. Roscher, K. Knies et B. Hildebrand.
Ce choix se justifie à la fois du point de vue pratique et de la cohérence
même de cet article. En effet, en premier lieu, nous nous limitons aux
travaux de Schmoller car il est reconnu que c’est sous sa direction qu’est née
véritablement une école, (Veblen, 1901 ; Schumpeter, 1972 ) sans faire
préjudice pour autant à ses prédécesseurs. En second lieu, la focalisation
6 Pour une présentation plus détaillée des travaux de Schmoller : cf Gioia, 1990, Gustav Schmoller : la scienza
economica e la storia, ; Gioia, 2000, in Faccarello et Beraud, Nouvelle Histoire de la pensée économique,
tome 3 ; Labrousse, 2002, le Methodenstreit : enjeux contemporains d’un débat ancien.
4
sur Schmoller se justifie également par le fait que Wicksell fait
principalement référence à Schmoller dans son article de 19047.
Afin d’apprécier pleinement l’analyse wicksellienne, il convient de s’arrêter
quelques instants sur l’Ecole Historique. Comme rappelé en introduction, il
est inconvenu de considérer que la mise en œuvre de données historiques
est le trait spécifique de cette école car ceci n’est l’apanage d’aucun courant
de pensée. Si tel était le cas, alors on engloberait dans l’Ecole Historique
l‘ensemble de l’Economie Politique. La spécificité et le trait distinctif de la
jeune l’Ecole Historique allemande tiennent finalement dans la manière dont
elle envisage de composer avec la complexité du monde réel. En effet, comme
il l’a été parfaitement mis en avant par Larousse (2002)8, ce qui est au cœur
du Methodenstreit, et qui constitue l’essence même de l’Ecole Historique,
c’est la manière particulière de tenir compte de la complexité du réel.
Autrement dit, c’est la réponse à la question suivante qui la singularise :
comment faire de la science au sein d’un monde devenu complexe et
enchevêtré ? Il faut garder à l’esprit que dans la seconde moitié du 19ième
siècle l’Economie Politique se trouve dans une situation critique au point que
certains remettent en question sa scientificité. Face à ce débat fondamental
qui touche à l’objet de la science économique et son rapport au réel,
Schmoller se démarque des autrichiens, et de particulièrement Menger. Il
s’engage résolument en faveur d’une méthode holiste qui va conditionner à
la fois sa démarche scientifique et sa vision du statut et de la place de
l’Histoire dans l’Economie.
Sur ce point, Schmoller définit la science économique comme une science
des objets réels, et que » toute théorie doit se mesurer avec les dynamismes
du monde réel qu’elles essayent de reproduire dans leurs aspects les plus
significatifs » (Gioia, 2000, p 54). Il considère la science économique comme
un organisme, au sens de W. Roscher, c’est-à-dire un système ordonné par
des règles où la politique, le droit et les institutions, notamment l’Etat, se
mélangent. De ce fait, seule une description historique des phénomènes est
7 Wicksell vise de manière centrale Schmoller mais il cite aussi la première génération de l’Ecole Historique tels
que Hildebrand, Knies ; et parfois également certains auteurs indirectement rattachés à cette école tel que
Wagner.
8 Labrousse, ibid. 2002.
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