L’équilibre monétaire et le processus d’ajustement dans la théorie de Wicksell Alexander Tobon PHARE, Université de Paris X-Nanterre Dans le cadre de la théorie quantitative de la monnaie, la contribution de Wicksell consiste en une reformulation précise du mécanisme indirect qui relie la monnaie aux prix par l’intermédiaire du taux d’intérêt monétaire pour assurer une monnaie neutre. Il s’agit d’un modèle de « coordination » entre la théorie de la valeur et la théorie monétaire.1 Pour avancer dans notre but, il faudra rappeler la définition de l’équilibre monétaire et son mécanisme d’ajustement lors d’un déséquilibre. Pour Wicksell, l’équilibre monétaire est défini par l’égalité entre le taux d’intérêt monétaire et le taux d’intérêt naturel. Le taux d’intérêt monétaire est défini comme celui auquel les banques prêtent la monnaie aux entreprises et, le taux d’intérêt naturel est défini comme la productivité marginale physique des facteurs de production. Lors d’une perturbation de cet équilibre, un mécanisme d’ajustement –ou processus cumulatif des prix- est déclanché. Supposons que les banques baissent le taux monétaire, le taux naturel sera alors supérieur au taux monétaire. Les entrepreneurs envisagent un profit réel additionnel positif sur la base de la stabilité des prix courants, donc ils vont augmenter leur demande de crédit. Ainsi, l’investissement est supérieur à l’épargne, c’est-à-dire la demande agrégée des facteurs de production est supérieure à leur offre globale. Cela signifie qu’il y a un déséquilibre sur le marché des biens puisque les agents ne peuvent pas acheter la quantité des facteurs de production dont ils ont besoin. Maintenant deux situations sont possibles. D'une part, si les banques ne sont soumises à aucune contrainte, elles vont satisfaire toutes les demandes de monnaie (celle-ci est pure crédit2), donc le marché de la monnaie est toujours en équilibre. Dans une situation de plein emploi, lorsque la demande des facteurs de production est supérieure à l’offre, la loi de l’offre et de la demande assure que tous les prix vont augmenter. De cette façon, les entrepreneurs vont voir tous les prix des facteurs de production augmenter proportionnellement à la quantité de monnaie et, par conséquent, ils vont recevoir un profit nominal plus élevé mais un profit réel additionnel nul. A la période suivante, sur la base de la stabilité des prix courants, les entrepreneurs vont continuer à demander plus de crédit. Le déséquilibre sur le marché des biens persiste et les prix continuent à augmenter sans arrêt. Aucun changement ne se présentera, ni sur les prix relatifs (puisque tous les prix augmentent dans la même proportion), ni sur le salaire réel, ni sur le niveau d’emploi. Le niveau des prix reste instable ou indéterminé jusqu’au moment où les banques décident de fixer le taux monétaire au niveau d’équilibre. Ainsi, le niveau des prix est déterminé par les banques. D’autre part, si les banques sont soumises à une contrainte, elles ne peuvent pas satisfaire toutes les demandes de monnaie (celle-ci est une monnaie métallique). Donc, après un certain temps, le marché de la monnaie se trouve dans une situation de déséquilibre. Alors, les banques augmentent leur taux monétaire au niveau d’équilibre initial pour éviter le drainage de la monnaie métallique. Les entrepreneurs ne sont pas incités à demander des crédits supplémentaires. Dans cette situation la demande globale correspond à l’offre globale. Alors, 1 Patinkin (1956) présente la formulation précise du mécanisme direct par l’intermédiaire de l’effet d’encaisse réelle. 2 Voir l’importance d’une définition de monnaie dans le débat entre Banking School et Currency Principle, antérieur à Wicksell. 1 les prix des facteurs ne changent pas, c’est-à-dire que le niveau des prix est stable.3 Par conséquent, les entrepreneurs continuent à recevoir les profits normaux, aucun profit additionnel n’est obtenu. La théorie de Wicksell explique ainsi le rapport entre la monnaie (le crédit) et les prix en utilisant le taux d’intérêt. Cependant, cette théorie ne peut pas être amené à bien pour deux raisons : 1) L’existence d’un processus cumulatif suppose que les entrepreneurs continuent à demander du crédit malgré le fait qu’ils reçoivent un profit réel additionnel nul. 2) Même s’ils reçoivent un profit réel additionnel positif, celui-ci ne peut pas être réinvesti dans la production. Pour le premier cas, il est clair que le processus cumulatif opère dans le temps. Dans la première période, comme nous l’avons déjà dit, les entrepreneurs reçoivent un profit réel additionnel nul. Pour la période suivante, il n’existe aucune raison pour que les entrepreneurs demandent plus de crédit. A ce moment, le processus cumulatif s’arrête avant de commencer. Le niveau des prix se trouve déterminé avant même que les banques aient décidé d’augmenter le taux monétaire à son niveau d’équilibre. Pour le deuxième cas, si l’on suppose, en revanche, que les entrepreneurs peuvent recevoir un profit réel additionnel positif pour justifier la demande persistante de crédit, la neutralité de la monnaie n’est pas vérifiée. Dans la théorie de Wicksell, le profit est défini comme un surplus de marchandises qui n’est pas vendu, donc il ne passe pas par le marché et donc son utilisation est consacrée à la consommation improductive.4 Si l’on considère le réinvestissement du profit dans la production, les entrepreneurs vont utiliser leurs profits additionnels comme capital nouveau sous la forme de moyens de production. Dans ce cas, aucun crédit nouveau ne serait demandé et aucun création monétaire additionnelle n’aurait lieu. Etant donné que chaque entrepreneur réinvesti un profit différent, l’offre globale augmente et les prix monétaires vont diminuer de façon non proportionnelle, donc les prix relatifs vont se modifier et la monnaie ne sera plus neutre. Même si les entrepreneurs décident troquer les marchandises qu’ils ont obtenu comme profit, les prix relatifs vont bouger et donc la monnaie n’est plus neutre. En conclusion, la théorie de Wicksell se révèle faible dans le concept du profit, lequel est justement le moteur du processus cumulatif des prix. 3 Selon Patinkin (1956, 633) « Un accroissement de la quantité de monnaie métallique dans une économie monétaire va essentiellement augmenter les réserves bancaires et non pas les encaisses privées. Par conséquent, il n’existe aucun effet d’encaisse réel direct pour entraîner les prix vers la haut » . 4 Si le profit est défini en monnaie après la vente des produits sur le marché, l’offre globale serait supérieur à la demande globale, les prix monétaires baissent, le profit des entrepreneurs s’annulerait, donc le processus cumulatif s’arrêt. Selon Solis (1983, 109-113) le fait que Wicksell soit obligé de considérer le profit en nature pour empêcher que le processus cumulatif s’arrêt, permet d’établir une contradiction entre la détermination du taux naturel à travers un système réel et le calcul de l’entrepreneurs à travers du rendement physique. 2