INTRODUCTION La population de la majorité des pays occidentaux (Amérique du nord et Europe) est loin d’être homogène. Les vagues successives d’immigration ont modifié les paysages humain, culturel, religieux et sociologique, amenant en même temps la création de communautés plus ou moins importantes et structurées. La société nord-américaine repose sur un modèle où les différentes communautés ethniques, raciales et religieuses se côtoient, transformant le « melting-pot » d’origine en un nombre successif de groupes et de sous-groupes représentatifs dotés de leur propres valeurs, leurs propres besoins, leurs propres spécificités sociales, culturelles et économiques. Les pays européens, selon leurs modèles de référence et leurs formes constitutionnelles, ont plus ou moins privilégié la mise en place de ces communautés relançant l’éternel débat entre assimilation, intégration et respect des cultures d’origine. Le but de cet ouvrage n’est pas d’épiloguer sur le bien-fondé ou non du phénomène communautaire mais d’essayer de comprendre en analysant les différents états multiculturels à travers leurs communautés dominantes (USA, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Allemagne et France) les raisons qui expliquent pareilles différences : aspects constitutionnel et économique, pouvoirs politique, social et culturel de ces minorités ethniques, et d’examiner les opportunités de produits et de marques spécifiques, en un mot, les possibilités de marketing ethnique ou ethno marketing. 12 Marketing ethnique Comment la société américaine du « melting-pot » créée à partir de vagues successives d’immigration a-t-elle pu se transformer en une mosaïque culturelle multiethnique ? Selon l’historienne Marilyn Halter1, la loi de 1965 sur l’immigration (Immigration reform bill), qui supprime les quotas d’immigration, est à l’origine, entre autres, de cette transformation du paysage social et culturel. En attirant vers les grands centres urbains de nouveaux immigrés en provenance d’Amérique latine et d’Asie, la législation a transformé une Amérique « blanche », prônée et défendue par les conservateurs (WASP) en une Amérique à plusieurs visages. Les grandes lois des années 1960 sur les droits civiques et les combats politiques des minorités sont venus renforcer le processus communautaire. La mise en place de quotas ethniques dans tous les secteurs de la vie économique, sociale et culturelle (travail, politique, médias, écoles, etc.) réservés à l’origine à la population noire, puis étendus progressivement aux autres minorités « désavantagées » a permis la création et le développement rapide de groupes ethniques2. De cette volonté politique, qui a généré des groupes de pression politique forts, à la constitution d’une contre-culture ethnique, dont l’ambition était de briser l’uniformité de la consommation de masse « blanche », il n’y eut qu’un pas vite franchi. Face à cette réalité nouvelle, la Commission Kerner, en 1968, en décidant d’améliorer la représentativité des minorités dans les médias, a ouvert la porte à une révolution médiatique : création de médias, de produits et services spécialisés ethniques. Face à cette montée en nombre, en pouvoirs de décision et en puissance économique, des principales minorités ethniques : 13 % de Latinos, 12 % de Blacks et 5 % d’Asiatiques, les méthodes d’analyse se sont affinées. De nouvelles segmentations ont vu le jour intégrant pour chacune d’entre elles, des caractéristiques générales et spécifiques telles que : la taille du marché et sa croissance, la répartition 1. HALTER M., Shopping for Identity : The Marketing of Ethnicity, New-York, Schocken Books, 2000. 2. Ethnic Heritage Program, 1972. Introduction 13 géographique, la représentativité démographique, la situation socioéconomique, le cadre et les catégories culturels, les pratiques d’implications marketing (choix de marques et de produits), etc. Dans l’Amérique multiculturelle, l’argent n’a pas de couleur et toute possibilité de développer et de fidéliser des marchés est encouragée. Les intérêts économiques renforcent le sentiment ethnique à travers le processus de production, de distribution et de communication. Un ethno consumérisme reposant sur une méthode socioculturelle qui cherche des comparaisons à partir d’un cadre unifié se met en place avec sa propre méthodologie interdisciplinaire. Face à la montée des sociétés multiculturelles, le communautarisme encouragé de manière institutionnelle par des décisions multiculturalistes, fait tâche d’huile. Apparu aux Etats-Unis, institutionnalisé au Canada, il gagne progressivement l’Europe occidentale. Face à cette poussée ethnique, les gouvernements locaux se mobilisent : recensement avec des références ethniques, campagnes de communication institutionnelle. Face à ce marché potentiel nouveau et croissant, les entreprises intègrent l’aspect ethnique dans leur processus de segmentation et affûtent leurs armes commerciales et marketing : médias spécialisés, publicités ethniques, produits spécifiques, réseaux de distribution spécialisés, etc. Cependant, la France, soucieuse de son universalité et de son désir d’intégration, fait bloc contre cette poussée et n’est pas prête à intégrer un multiculturalisme. Société multiculturelle certes mais dans un souci de maintien d’un « melting-pot ». Parler de marketing ethnique suppose de mentionner et d’analyser les ethnies et leurs spécificités culturelles, religieuses, sociales, économiques, etc. dans les principaux pays où elles se sont développées soit à partir de vagues d’immigration volontaires plus ou moins anciennes, soit pour des raisons historiques : les Etats-Unis, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la France. Analyser les spécificités de ces différentes minorités dans les Etats concernés suppose l’existence d’un minimum de données statistiques fiables, publiques, indépendantes, soucieuses d’éthique et indiscutablement non discriminatoires. Certains pays, ayant opté pour un choix de multiculturalisme fort, possèdent ce type de base de données avec des détails permettant des segmentations précises (Etats- 14 Marketing ethnique Unis) ; d’autres, malgré une législation permissive hésitent encore, sous la pression populaire ou par crainte de discriminations futures possibles, à collecter des données de ce type trop précises (GrandeBretagne, Allemagne, Pays-Bas) ; d’autres enfin le refusent pour des raisons légales et constitutionnelles (France). Comparer nécessite un minimum de données de même nature et c’est pour cette raison que nous avons décidé d’analyser en priorité les grandes variables disponibles dans tous les pays étudiés : origine nationale, classes d’âge, revenus, niveau scolaire, taux d’emploi, types d’activité, niveau de vie, etc., et d’occulter celles uniquement disponibles dans certains pays. Analyser les sources statistiques disponibles dans les pays suppose de retranscrire de manière exacte les termes utilisés dans les différents organismes nationaux. Certains concepts, en raison de leur connotation sémantique qui mettent l’accent sur les différences ethniques, peuvent sembler discriminants à un lecteur francophone. Nous tenons à préciser que la terminologie utilisée respecte les usages statistiques des pays et des auteurs auxquels elle fait référence. Cette terminologie n’est donc pas le fruit d’un choix personnel de l’auteur. Parler de marketing ethnique et de consommation ethnique suppose que l’on mentionne le terme d’ethnies et dans certains pays le terme de races. J’espère que cet ouvrage pourra permettre une meilleure compréhension du développement et des enjeux économiques de cet ethno marketing.