EN EST L’ASIE ?
Par
Professeur Moustapha KASSE
Doyen de la FASEG
**************
INTRODUCTION
La forte croissance économique de l’Asie de l’Est, surtout dans les années 80, avait dérouté
par sa rapidité et par son ampleur à telle enseigne qu’il a été alors évoqué, tour à tour et sans
références aux donnée des sociétés concernées, un « miracle » ou un « modèle » fondé sur des
« valeurs asiatiques ».
En l’intervalle d’une génération, de petit pays de culture non occidental et de peuplement non
blanc complètement dépourvus de matières premières ont construit des systèmes économiques
performants qui les ont fait accéder, en quelques années au rang de puissance mondiale. Ces
petites économies ont accumulé des résultats impressionnants par une croissance régulière,
harmonieuse et aux taux le plus élevés possible compte tenu des ressources mobilisées. Cela
fait dire à la Banque Mondiale que l’Asie est l’avenir du monde car la moitié du surcroît de la
production mondiale, viendra de cette gion. Cependant, tout au long de l’année 1997, ces
pays ont été traversés par un véritable cyclone monétaire et financier qui les a conduit à
accepter les plans de restructuration des institutions financières internationales ( notamment le
FMI) comme les économies sous-développées quelconques incapables de faire face à leurs
échéances extérieurs. On peut alors dire que cette crise a fini par révéler que les explications
fourre-tout en obscurci le débat. Du positif elles vire au négatifs en affirmant que : le
« miracle » n’était qu’un mirage. A l’utopisme paresseux succède un pessimisme qui ne l’est
pas moins
Sans nulle doute, le développement de la gion asiatique est sans précédent historique avec
un taux de croissance, en moyenne annuelle, de 9.2% de 1987 à 1996 selon la banque
mondiale. En trente ans (1965-1995) le revenu moyen par habitant a quadruplé en Thaïlande
et en Malaisie, presque décuplé à Singapour et plus triplé à Hong Kong.
Depuis 1960, ces pays très pauvres ont quasiment rattrapé le niveau de vie des pays riches
alors que l’Afrique continue toujours d’être confrontée à la dégradation des fondamentaux de
l’économie, à l’endettement, à la stagnation de la production, à l’enlisement dans la pauvreté.
Le sous-développement, la misère et la famine continuent d’y peser comme une fatalité. Pour
relancer les enjeux du développement africain, les décideurs ont privilégiés, depuis les années
80, les politiques de stabilisation et d’ajustement au détriment des politiques de
développement à log terme. La comparaison dans le domaine des politiques agricoles nous
conduit à observer : Afrique- Asie : greniers vides, greniers pleins. Depuis les années 70
l’Afrique a progressivement remplacé l’Asie et l’Amérique Latine dans le recours de
l’assistance alimentaire internationale. En prenant l’indicateur du revenu réel par habitant en
Asie, mesuré en parité de pouvoir d’achat (c’est-à-dire en tenant compte du niveau inférieur
des prix pour un panier de bien donné), il représentait en moyenne plus des 2/3 de celui des
pays riches en 1996, contre moins de 20% en 1965. En prenant le même indicateur, on
observe qu’à l’inverse l’Afrique s’enfonce : ce revenu moyen n’a point progressé, son niveau
moins représentait 7% de celui des pays développés en 1996 contre 13% trente ans plus tôt
Schéma 1 : sur les performances mesurées par les revenues.
Il est légitime de s’interroger avec les turbulences monétaires de 1997 et le
ralentissement, depuis le début des années des années 90, de la locomotive japonaise pour
savoir si la région pourrait poursuivre son dynamisme et son exemplarité pour les années à
venir. Les « tigres asiatiques », comme l’on dit, peuvent-ils encore rugir ? En d’autres termes
face à la crise monétaire et financière « le miracle » va-t-il se transformer en mirage avec les
plans d’austérité (FMI) et la montée de la grogne sociale ?
I- LES ACQUIS ET L’EXEMPLARITE ONT-ILS ETE RUINES PAR LA CRISE
MONETAIRE ET FINANCIERE ?
1°) Le modèle de développement et ses performances : Comment s’explique le rattrapage
alisé par les pays asiatiques ?
Schématiquement, toute croissance économique est la conjugaison organisée par l’Etat
de plusieurs facteurs dont : le travail, le capital, la technologie et les ressources naturelles. Du
dosage de ces composantes dépend la compétitivité. De nos jours, les variables de cette
équation se modifient. Le capital et les technologies circulent plus librement et les différences
vont se jouer principalement sur les avantages comparatifs des coûts de main-d’œuvre et la
qualité des infrastructures.
Ces composantes auxquelles s’ajoutent d’autres sont constitutives des modèles de
développement économique et social. Les succès économiques et financiers des pays d’Asie
et notamment le fait qu’ils sont su en une trentaine d’années :
- régler la question du sous-développement,
- rattraper leur retard technologique,
- construire des systèmes économiques et financiers performants,
demeure incompréhensible si l’on évoque pas en détail la rationalité économique de leur
stratégie.
Schéma 1 & 2 : Les performances des NPI : situation.
Certaines des variables sont bien connues, mais ce qui manque souvent c’est la
compréhension de leurs enchaînements, de leur mise en synergie, dans les politiques
économiques appropriées. Les enchaînements constitutifs du modèle de développement
s’effectuent à partir de 4 préalables :
1- Les préalables philosophiques et culturels sont essentiellement au nombre de 3 :
* Le mode d’organisation sociale inspirée de CONFUCIUS (où l’individu acquiert son
identité par son appartenance à la famille et, par extension à la société entière) à transposer le
respect de la hiérarchie dans l’activité productive de même que le développement de l’esprit
de solidarité et de groupe ;
* Les relations sociales ramenées à une relation hiérarchique : liens sociaux verticaux de
supérieur à inférieur, plutôt qu’horizontaux entre égaux
2- Les préalables économiques se réduisent à la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie de
développement fondée sur :
* des options macroéconomiques et macro financières qui ont tourné autour :
. des réformes agraires pertinentes faisant du secteur agricole le moteur
du développement. La révolution verte avec ses semences sélectionnées
à haut rendement, l’irrigation des deltas, l’utilisation intense des
facteurs modernes de production ont permis de haut niveau de
production et une croissance de la production alimentaire plus rapide
que celle de la population liquidant du coup des pénuries alimentaires,
. D’une population mieux nourrie et qui a disposé de revenus plus
Importants. Elle s’est alors fixé dans les zones rurales,
. D’une agriculture qui a relancé, en amont comme en aval,
L’industrialisation, ce qui donne une industrialisation
Amorcée à partir de l’agriculture pour s’étendre aux exportations,
. Politique financière, commerciale et fixale appropriée ;
*les règles appliquées dans la pratique
. Être différent,
. S’appuyer sur ses propres forces
. Concentrer ses ressources là où on a un avantage concurrentiel
. Choisir le domaine le plus étroit possible,
* les acteurs
. L’Etat est le principal architecte du développement et des transformations. C’est
Donc un Etat organisateur qui mobilise et oriente tous les investissements. Il
prend en charge les secteurs stratégiques de l’économie, des infrastructures de base
aux industries lourdes et l’éducation. L’industrialisation s’est déroulée à partir d’une
étroite articulation entre l’Etat soucieux du développement et un secteur privé
dynamique. Cette régulation économique par l’Etat a souvent permis de qualifier le
modèle de développement asiatique comme une variante du capitalisme d’Etat
fortement décrié par les institutions financières internationales et les tenants de la
nouvelle orthodoxie libérale,
. Les entrepreneurs : talents exceptionnels, souplesse et agilité
. Les élites intellectuelles et techniques et la valorisation des ressources humaines
permettant d’élever le niveau de qualification de la main-d’œuvre.
3 - Les préalables institutionnels permettent de réduire les coûts des transactions. Elles
sont de trois ordres :
* le gage de performance durable réside dans mise en place les arrangements
institutionnels compatibles avec les objectifs fixés
* un bon Etat géré par un bon gouvernement
* les investissements importants dans le capital humain : éducation et santé.
4- Les préalables sociales : un pacte social nouveau différent du taylorisation a été
pratiquée et s’inspire des traditions culturelles de travail, d’hiérarchie, de discipline et
d’obéissance. Ce dernier point est pour Paul KUGMAN du MIT, la clé du succès en Asie qui
selon lui « croit par transpiration, mais pas par innovation, c’est ainsi que la plupart des NPI
sont de véritables « sweat shop » c'est-à-dire des ateliers de sueur.
S’il n’existe pas de recette toute faite pour accéder au développement, il y a partout
quelques points de passage oblis que les NPI ont suivi. Dans notre analyse des stratégies
comparée de développement entre l’Afrique, l’Asie et l’Amérique Latine, les éléments
caractéristiques de la stratégie stratégique peuvent se ramener en définitive aux éléments
- une géostratégie mondiale favorable qui s’est traduite par une aide financière
américaine massive pour contenir le communisme asiatique particulièrement actif et
conquérant (Chine, Corée du Nord, Viêt-Nam, Cambodge, Laos, etc.) mais il faut
souligner que l’Afrique a aussi bénéficié d’importantes ressources mais celles-ci ont
été mal utilisées, dilapidées. D’ailleurs Paul KRUGMAN selon Amar Bhahacharya,
Peter, J. Montrel et Sunil Sharma, l’Afrique par le biais de modes d’organisation et de
développement inefficient a reçu la proposition la plus élevée de fonds publics. Bien
que l’Europe et l’Asie centrale aient reçu des montants en aide progression, l’Afrique
subsaharienne continue d’obtenir la plus forte part de l’aide public au développement
et cette proportion a même progressé de 1990 à 1995 elle a reçu 26 % du total de la
l’APD fournie à l’ensemble des pays en veloppement. Les prêts hautement
concessionnels ou les dons représentaient presque 95% de cette aide » (Finances et
Développement juin 1997). Deux deccennis auparavant G. AMOA dans « Echanges
internationaux et sous-développement » (Edit. Antropos, 1994) jasait la même
observation que l’Afrique a reçu des ressources aussi importantes que celle du Plan
Marshall mais celles-ci ont été au service de mauvaises orientations de
développement et n’ont pas en conséquence
impulsé ni révolution agraire ni industrialisation.
- un développement endogène et nationale avec une intervention forte de l’Etat (fut-il
un Etat de qualité) appuyé sur une planification à log terme avec un secteur public
souvent omnipotent. La stratégie de développement privilégie l’agriculture puis
l’industrie tournée résolument vers le secteur primaire et les exportations ;
- une politique cohérente ressources humaines avec un système éducatif et de
formation approprié et performant en liaison étroite avec les besoins de l’économie et
de la société ;
- une élite enracinée sur ces valeurs propres de cultures mais ouverte sur l’extérieur ;
- un coup social par moment excessif.
La Banque mondiale et le FMI ont tenté d’accréditer l’idée que les NPI se sont
développés grâce à l’application de leur recette. Qu’en est-il exactement ? tous les
analystes du modèle asiatique montre que celui est assez loin du modèle libéral pur
que certains zélateurs de ces institutions ont cru pouvoir décrire. Ainsi un auteur
comme Philippe CHALMIN l’assimile à un « colbertisme de marché » !
Evaluant les performances du développement en Asie l’auteur note que « depuis le
Japon, il y a un siècle, à la Chine aujourd’hui le modèle adapté a été peu ou prou le
même un développement tiré par les exportations dans un premier temps de produits à
fort contenu en main-d’œuvre (textiles, petites industries) montant en gamme peu à
peu vers des produits plus sophistiqués bifurquant à un moment, vers l’industrie
lourd ; un marché intérieur protégé souvent complètement opaque, un capitalisme
certes libérale et parfois sauvage mais souvent fortement organisé autour de
conglomérats bénéficiant de la protection et de la bénédiction des Etats, une main-
d’œuvre disponible faisant preuve d’un niveau d’épargne élevé ; enfin des régimes
politiques rarement démocratiques et très souvent corrompus sans que ce dernier
point ne nuise à l’efficacité économique contrairement au cas africain….Tout ceci ne
correspondait guère aux canaux économiques ni des marxistes, ni des libéraux «
( Bulletin de la SFAC N°1016, Décembre 1997)
Le modèle de la banque mondiale (1991) retient 4 pôles dont l’interaction explique le
développement. Des facteurs favorables se renforcent mutuellement et engendrent un
processus vertueux.
- une économie concurrentielle,
- un cadre macroéconomique stable,
- l’insertion dans le système économique mondial,
- l’investissement dans les ressources humaines.
Schéma 3 : Les enchaînement du modèle de la Banque Mondiale
En comparant les stratégies mises en place par les pays asiatiques et les politiques
préconisées par la Banque Mondiale, on observe de notables différences au niveau :
- de la conception des politiques économiques et leur mise en œuvre. Sous ce point il
faut souligner le rôle imparti à la planification ;
- du rôle imparti à l’Etat et au marché : le marché est un instrument d’allocation des
biens et services mais l’Etat reste l’agent principal de régulation qui anime
l’économie à partir d’un important secteur publique stratégique,
- du secteur bancaire commercial qui a grandement ouvert les vannes du crédit ce qui
va entraîner un accroissement de la liquidité apparaissant dans le niveau élevé du ratio
M2 /PIB qui était avant la crise 111% pour la Malaisie, 123% en Thaïlande, 80% en
philippines, 57% en Indonésie, 83% à Singapour. Il en résultera un taux d’inflation
élevé (environ 5,5% en moyenne pour les pays de la région )
Il est plus invraisemblable que la croissance rapide puisse être tirée exclusivement par
les seules exportations. Comme la Banque Mondiale l’a longtemps soutenu au mépris
de l’histoire économique, y compris celle des pays asiatique.
Ces expériences positives de fortes croissances qui ont de l’Asie un pôle émergent et
dynamique de l’économie mondiale vont être entraîné dans un cyclone monétaire et financière
en 1997 avec les banques qui font faillite, des bourse qui s’effondrent. Tout cela rappelle
étrangement la crise de 1929.
2- La crise financière et ses effets : la rançon du sur investissement
Commençons d’abord par établir le chronogramme de la crise pour ensuite chercher les
causes profondes. Cependant il importe de préciser « la montée en puissance de la fiance
spéculative » (Domiurque PLIHON, 1996) directement liées au processus de globalisation
financière qui donne un pouvoir exorbitant aux marchés et à la spéculation. Il s’agit selon
D.PLIHON d’une mise en place d’un marché unifié de l’argent au niveau planétaire les
entreprises multinationales industrielles ou financière peuvent emprunter ou placer de
l’argent sans limite elles le souhaitent, quand elles le souhaitent en utilisant tous les
instruments financiers existants.
La chronologie de la crise financière :
Sans établir un chronogramme complet de la crise, prenons quelques repères significatifs :
* tout est parti de la vague de spéculation contre le Baht thaïlandais ( mars 1997),
* la crise s’étend avec rapidité obligeant les Banques Asiatiques à se réunir à Shanghai
pour trouver une solution (25 juillet 1997). En vain,
* l’Indonésie (roupie), la Malaisie (ringgit), la Corée du Sud (Won) et Singapour
(Dollar) sont secouées et mettent en place avec le FMI des plans de sauvetage. Les trois
premières s’effondrent.
* Le cas coréens est le plus intéressant. Le pays reçoit une enveloppe totale (en
décembre 1997) de 55 milliard de dollars: 35 milliards du FMI, 10 des Etats-Unis, 5 du Japon
et 5 des autres pays.
* Le Japon, locomotive de la région finira par être affecté en janvier 1997 et va lancer
un méga plan de sauvetage des Banques.
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