// D OSSIE R D E P R E S S E \\ LES FRANÇAIS KRZYSZTOF WARLIKOWSKI INSPIRÉ DE MARCEL PROUST À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU CRÉATION FRANÇAISE À CLERMONT-FERRAND LES 23 ET 24 JANVIER 2016 Spectacle samedi 23 janvier à 18:00 et dimanche 24 janvier à 15:00 Maison de la culture salle Jean-Cocteau Durée 5 heures environ, 2 entractes COPRODUCTION LA COMÉDIE DE CLERMONT EN TOURNÉE lojelis VOTRE CONTACT Émilie Fernandez 0473.170.183 06.11.34.34.83 - [email protected] IMPRESSION NOUAILLAS – LICENCE DIFFUSEUR 1063592 – SIRET 41389314000025 – APE 9001Z Inspiré de À la recherche du temps perdu de Marcel Proust Maquillage Monika Kaleta, Joanna Chudyk Accessoires Tomasz Laskowski Habilleuses Elzbieta Fornalska, Ewa Sokołowska Machiniste Kacper Maszkiewicz Chargée de production Joanna Nuckowska Assistanat à la production Magdalena Czaputowicz Traduction en français Margot Carlier Chargée de la tournée et surtitres Zofia Szymanowska Mise en scène Krzysztof Warlikowski Adaptation Krzysztof Warlikowski, Piotr Gruszczyński Collaboration à l’adaptation Szczepan Orłowski Avec Agata Buzek, Magdalena Cielecka, Ewa Dałkowska, Małgorzata Hajewska-Krzysztofik, Maria Łozińska, Maja Ostaszewska, Claude Bardouil, Mariusz Bonaszewski, Bartosz Gelner, Wojciech Kalarus, Marek Kalita, Zygmunt Malanowicz, Piotr Polak, Jacek Poniedziałek, Maciej Stuhr Production Nowy Teatr, Varsovie Coproduction Ruhrtriennale, Théâtre national de Chaillot, Comédie de Genève, la Comédie de Clermont-Ferrand – scène nationale, La Filature – scène nationale Mulhouse, le Parvis – scène nationale Tarbes-Pyrénées Avec le soutien du ministère de la Culture et du Patrimoine National (MKiDN) et l’Institut Adam Mickiewicz (IAM) Violoncelle Michał Pepol Scénographie et costumes Małgorzata Szcze˛śniak Musique Jan Duszyński, avec « Une page de l’album. Pièce pour violoncelle et bande sonore » par Paweł Mykietyn Dramaturgie Piotr Gruszczyński Collaboration à la dramaturgie Adam Radecki Lumières Felice Ross Chorégraphie Claude Bardouil Vidéo Denis Guéguin Création le 21 août 2015, Ruhrtriennale, Allemagne Création française à la Comédie de ClermontFerrand, scène nationale Spectacle en polonais surtitré KRZYSZTOF WARLIKOWSKI Rétrospective des créations La Fin, Kabaret Warszawski, Les Français Exposition des photographies de Jean-Louis Fernandez, photographe associé à la Comédie de Clermont-Ferrand Animations graphiques Kamil Polak Assistanat à la mise en scène Katarzyna Łuszczyk Régie plateau Łukasz Józków Direction technique Paweł Kamionka Régie son Mirosław Burkot Régie lumière Dariusz Adamski Projections vidéo Maciej Zurczak Salle Gaillard 2, rue Saint-Pierre à partir du 8 janvier 2 WARLIKOWSKI INVOQUE PROUST POUR APPRÉHENDER L’EUROPE D’AUJOURD’HUI. MONUMENTAL, HYPNOTIQUE, TENU ET ADDICTIF. PUR ET NOIR COMME UN DIAMANT. Krzysztof Warlikowski, l’une des figures majeures du théâtre européen, adapte À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, amenant ses acteurs à pénétrer l’état d’esprit proustien pour atteindre le cœur d’une œuvre monumentale. Œuvre monumentale s’il en est, À la recherche du temps perdu a donné lieu à quelques tentatives d’adaptations cinématographiques ou théâtrales. Luchino Visconti avait écrit un scénario qu’il n’a jamais pu réaliser. Celui de Joseph Losey et Harold Pinter a connu le même destin, à la différence près que Harold Pinter utilisa ce travail en publiant une pièce de théâtre intitulée Le Scénario Proust. À son tour Krzysztof Warlikowski, lecteur assidu de Marcel Proust depuis ses années d’adolescence, a construit au fil du temps un projet qui puisse rendre compte de son rapport personnel à cette saga romanesque. Un projet qui ne consiste pas simplement à présenter sur le plateau du théâtre les scènes les plus célèbres du génial écrivain, ni à proposer une reconstitution historique de la société aristocratique et bourgeoise des débuts du XXe siècle. C’est pour les spectateurs d’aujourd’hui que Krzysztof Warlikowski et ses acteurs travaillent, pour faire surgir de l’œuvre de Proust ce qui peut les questionner encore et toujours : la peur de la vieillesse et de la mort, la jalousie, le désir amoureux contrarié, ces thèmes qui irriguent quelques-unes des plus belles pages de la littérature française. À cela s’ajoute la volonté de faire entendre ce qui est aussi présent dans l’œuvre mais travesti, dissimulé, camouflé, tout ce qui a traversé l’époque et la vie de Proust mais qui ne pouvait être dit avec franchise : l’homophobie et l’antisémitisme par exemple, sujets encore brûlants au XXIe siècle, véritables mécanismes de violence et d’exclusion qui continuent à agir. En amenant ses acteurs à pénétrer l’état d’esprit « proustien », Krzysztof Warlikowski dépasse la présentation d’une « ménagerie » de personnages excentriques qui dansent sur un volcan qui gronde, pour atteindre le cœur d’une œuvre, décrivant avec une force inégalée une société en crise qui cherche à se sauver du désastre qui menace. Jean-François Perrier pour la Comédie de Clermont-Ferrand, mai 2015. Texte libre de droits ZOOM SUR À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU Une lente genèse Fils d’un célèbre professeur de médecine, Marcel Proust connaît une enfance bourgeoise à Paris. Asthmatique, il devra très tôt composer avec la maladie. Après des études de droit et de lettres, il se tourne vers la littérature et mène une vie mondaine. Il connaît des débuts prometteurs de critique littéraire et artistique. La mort de sa mère, en 1905, constitue une rupture. Il décide alors de devenir écrivain, publie Les Pastiches et Contre Sainte-Beuve en 1908 et se lance dans l’écriture de son grand œuvre. De 1909 à 1922 – année de sa mort –, il vit reclus et malade dans sa chambre capitonnée de Liège, écrivant la nuit. Recherche est une vaste somme qui brosse le tableau d’une époque. Proust met en scène d’innombrables personnages qui constituent une galerie de types humains observés à travers leurs défauts, leurs tics, leurs ridicules, leur part d’ombre : Odette la demi-mondaine, la duchesse de Guermantes l’aristocrate, Charlus l’homosexuel honteux, Rachel l’ancienne prostituée devenue tragédienne ; Morel, le musicien arriviste et corrompu… Le romancier fait ainsi revivre, sous le regard ironique du narrateur, toute une société avec ses clans, ses hiérarchies sociales (le clan Verdurin, le salon des Guermantes) et qui est traversée par l’onde de choc de l’affaire Dreyfus (1894 – 1906). Surtout, il se fait le témoin d’une époque essoufflée et méchante où l’ennui, sous couvert de la meilleure éducation et de la belle langue, creuse le berceau de l’ensemble des haines raciales et sexuelles qui dévoreront le reste du XXe siècle. Une « cathédrale » Selon ses termes, Proust a conçu son cycle romanesque, près de 3000 pages, comme « une cathédrale », dont tous les éléments – personnages, lieux, thèmes – se répondent. Le plan, évoluant au fil de l’écriture, comprendra finalement 7 volumes. Une somme romanesque. Un narrateur omniprésent La conscience du narrateur est le centre de cette fresque, un « je » à partir duquel les événements et les personnages sont perçus, à l’exception de « Un amour de Swann » qui est écrit à la troisième personne. Proust exploite toutes les ressources de ce narrateur-personnage : le narrateur raconte en effet après coup ce qu’il a vécu et vu ; il est en même temps celui qui rapporte aux lecteurs ce qui lui arrive, son apprentissage de la vie ; il est enfin le « je » de l’écrivain en devenir tel qu’il se découvre à la fin du « Temps retrouvé ». Un roman d’apprentissage L’œuvre trouve son unité dans la conscience d’un narrateur-personnage, dont on ne connaît que le prénom, Marcel, dont on ne sait presque rien physiquement et dont on suit, à travers le récit qu’il en fait, les grandes étapes de la vie : l’enÀ fance heureuse à Combray, l’adolescence (« l’ombre des jeunes filles en fleurs »), l’accès à l’âge d’homme et les premières expériences amoureuses (« La prisonnière », « Albertine disparue »), et enfin, la maturité (« Le temps retrouvé »). L’œuvre proustienne s’inscrit dans la tradition du roman d’apprentissage du XIXe siècle. Comme l’indique le titre, le récit est une quête, jalonnée d’obstacles et de souffrance – oublis, futilités mondaines, jalousies, trahisons – qui détournent le narrateur de son but. Les initiateurs sont des figures d’artistes : l’écrivain Bergotte, le peintre Elstir, le musicien Vinteuil permettent à celui-ci de pénétrer les salons et d’accéder au monde de l’art. Le roman du temps Comme le suggère le titre, le temps est la matière même de l’œuvre. Le récit s’étend de la fin du XIXe siècle au lendemain de la première guerre mondiale. Tout commence avec le goût d’une madeleine trempée dans du thé, qui fait subitement resurgir le passé et le paradis de l’enfance ; tout s’achève avec « Le Temps retrouvé » et l’évocation d’une réception mondaine chez le duc de Guermantes. Le narrateur rassemble alors une dernière fois ses personnages pour observer sur eux les marques du vieillissement et l’approche de la mort. Mais au cours de cette même réception, à trois reprises, le narrateur éprouve une sensation Une fresque sociale et politique Comme La Comédie humaine de Balzac, La 4 extraordinaire de bonheur qu’il parvient à éclaircir à la fin du livre : le passé survit en nous, ressuscité à l’occasion de sensations privilégiées auxquelles nous ne prêtons pas attention d’ordinaire. Il y a donc une vraie part de nous-mêmes qui peut survivre au pouvoir destructeur du temps grâce au souvenir et à l’art. Le roman du lecteur Cette immense comédie sociale, qui peut se lire aujourd’hui sur le même modèle qu’une série, est aussi une extraordinaire saga de l’âme : l’éveil, l’attente, la jalousie, la perte, le deuil, le vieillissement. Quel que soit l’âge où il se plonge dans la lecture, le lecteur est toujours mis en position d’identification. Sans doute parce que l’expérience singulière du narrateur est avant tout une recherche de compréhension, à la fois philosophique et poétique, de nos propres processus psychologiques. Ainsi, La Recherche du temps perdu est aussi celle de notre temporalité intérieure, et l’œuvre, un immense miroir retourné où « chaque lecteur est quand il lit le propre lecteur de soi-même. » 5 6 7 8 9 Marcel – Narrateur du roman, alter ego de Marcel Proust. C’est lui qui nous fait passer d’une situation à une autre, en étant son témoin muet ou déclencheur de conflits. Il transforme en mythe ses sentiments envers des femmes qui prennent la dimension d’icônes : Oriane de Guermantes, Odette de Crécy, Mme Verdurin, Rachel. C’est ce genre de sensibilité qui produit la liaison du Narrateur avec Albertine. En la soupçonnant dès le début d’inclination homosexuelle, il la suit, la guette et pour finir l’emprisonne dans une sorte de résidence forcée. Après la mort tragique d’Albertine, la fiction littéraire de relation avec une femme prend l’importance d’un événement réel. Le narrateur pose jusqu’à la fin la question sur la véracité de cet amour, qui était, de fait, une mystification littéraire à l’égard de son homosexualité. Charles Swann – Alter ego de Marcel. Juif bien intégré, riche amateur d’art. Favori d’Oriane de Guermantes, il évolue dans la haute société. Snobé à cause de son mariage avec Odette, comédienne et prostituée Odette (avec qui il a une fille nommée Gilberte), et à cause de ses sympathies dreyfusardes. Odette de Crécy – Actrice de cabaret, prostituée, femme entretenue. Après la mort de Swann, elle hérite de sa fortune et épouse un noble ruiné, devenant Comtesse de Forcheville. Veuve à nouveau, elle devient l’amante de Blaise de Guermantes. LE CLAN GUERMANTES Albertine Simonet – L’une des jeunes filles rencontrées à Balbec, le grand amour de Marcel, lesbienne. N’a pas d’argent, vit chez sa tante. Est l’amie de Mlle Vinteuil, extravagante lesbienne, fille du célèbre compositeur. Peu après sa rupture avec Marcel, elle meurt dans un accident, peut-être un suicide. Blaise de Guermantes – Désigné dans le livre sous le nom de Basin – 12e Duc de Guermantes, membre de la branche principale de la famille grâce à son mariage avec sa cousine, Oriane. Coureur de jupon invétéré. Sa femme est la seule femme que Blaise ne désire pas, la considérant comme sa propriété, un des plus rares oiseaux de sa collection qui lui donne de l’importance. Baron de Charlus – Aussi connu sous le nom de Palamède, membre de la famille de Guermantes, veuf d’environ cinquante ans, extrêmement intelligent, à la conversation brillante, vedette de la haute société, homosexuel, misogyne et antisémite. Devient le protecteur du violoniste Morel. Aristocrate hautain qui méprise la bourgeoisie, sa réputation est détruite par Madame Verdurin. Charlus estime beaucoup Swann, qui est la seule autorité qu’il reconnaisse. Oriane, Duchesse de Guermantes – De la branche principale de la famille de Guermantes, mariée à Blaise de Guermantes. Amoureuse de Charles Swann. Une icône de beauté, de goût, d’humour et d’élégance. Robert de Saint-Loup – Neveu préféré d’Oriane, officier, ami de 10 « LES FIDÈLES » ET LES AUTRES Marcel, amant de l’actrice juive Rachel. Finit par épouser la fille et héritière de Swann, Gilberte. Marcel apprend que Robert est homosexuel et qu’il a une liaison avec Morel. Tué pendant la Grande Guerre et enterré avec les honneurs militaires. Gilbert, Prince de Guermantes – Mari de Marie de Guermantes, bisexuel, aux opinions conservatrices et antisémites. Parangon de la vieille noblesse française. A eu une liaison avec Morel. Sans ressources après la mort de Marie, il épouse l’ancienne Madame Verdurin, devenue Duchesse de Duras. Gustave Verdurin – Mari de Sidonie Verdurin. Dévoué à sa femme et fasciné par elle, il vit complètement dans son ombre. Meurt pendant la guerre. Princesse de Parme – Aristocrate, « habituée » du petit cercle des « fidèles », snob. Reine de Naples – Personnage historique, sœur de l’Impératrice Élisabeth d’Autriche, mariée à François II, Roi de Naples. Détrônée, elle partit vivre dans la pauvreté, dans la banlieue parisienne de Neuilly. Gilberte – Fille de Swann et d’Odette, premier amour, non réciproque, de Marcel. A épousé Robert de SaintLoup, qui lui est infidèle. Ils ont une fille. Une des maîtresses d’Albertine. LES ARTISTES Marie Princesse de Guermantes – Première femme du Prince Gilbert de Guermantes, Duchesse de Bavière. LE CLAN VERDURIN Sidonie Verdurin – Tient un salon bourgeois que les Guermantes considèrent être le sommet de la prétention, mais qui est néanmoins fréquenté par de jeunes artistes talentueux. Très riche. Déterminée à monter dans la société, elle tente de surpasser les salons aristocratiques. Elle se considère la « maîtresse » du « petit clan », comme elle appelle ses hôtes. Mariée à Gustave Verdurin. À sa mort, après une seconde noce, elle finit par épouser Gilbert de Guermantes et adopte le titre de Princesse. Rachel – Prostituée, femme entretenue, comédienne. Juive. Fiancée à Robert de Saint-Loup, qui ignore son passé. Abandonnée par Saint-Loup, elle réapparaît, plus grande comédienne de son temps. Charles Morel – Fils d’un valet, violoniste. Diplômé du Conservatoire, premier prix. Déserteur. Fournit à Albertine ses amantes à Balbec. Protégé de Madame. Verdurin. Vit aux dépens de Charlus. Amant de Gilbert de Guermantes. 11 Alfred Dreyfus (Le fantôme de) – Officier d’origine juive, accusé à tort par deux fois et jugé coupable de haute trahison. La question antisémite occupe une grande partie des conversations mondaines dans La Recherche où l’action est censée se dérouler de la fin du XIXe siècle jusqu’à l’éclatement la Grande Guerre. ENTRETIEN AVEC KRZYSZTOF WARLIKOWSKI « Monter La Recherche doit être un acte politique aujourd’hui. » nombre de personnages pour n’en garder que quelquesuns, comme les Guermantes, les Verdurin, les couples Swann/Odette ; Marcel/ Albertine : Comment se sont faits ces choix ? K. W. : On garde les personnages essentiels. Chaque personnage incarne un clan : Oriane, le clan Guermantes, Mme Verdurin incarne le clan Verdurin… Ensuite il y a des couples qui répètent d’autres couples : Swann et Odette, Marcel et Albertine. Amélie Rouher : Dans Les Français tu supprimes la première partie de la Recherche, « Combray ». Tu supprimes les épisodes de l’enfance ainsi que deux personnages centraux qui sont la mère et la grandmère. Pourquoi ? Krzysztof Warlikovski : Ça n’est pas possible de mettre en scène les mères au théâtre, c’est horrible ! Ou bien dans ce cas, on monte La Ménagerie de verre de Tennessee Williams qui est une pièce pour la figure de la mère. C’est un personnage sentimental… Commencer la mise en scène par le récit de l’enfance comme dans La Recherche, on ne pouvait pas faire plus ennuyeux ! On peut finir par cela, c’est ce que je fais. Le spectacle finit sur une représentation de champs de blé… Comme dans chacun de tes spectacles, tu travailles avec tous les arts (la danse, la vidéo, le chant ) etc. Dans cette mise en scène les tableaux apparaissent comme des représentations très suggestives, parfois très poétiques de La Recherche. Je pense par exemple aux métaphores florales, au bestiaire… Pour cette adaptation quels ont été tes angles K. W. : Je ne sais pas si « poétique » est le bon terme. Quand on pense à ce grand monologue qui ouvre d’approche ? K. W. : Pour moi il y a deux découvertes sur Proust qui « Sodome et Gomorrhe » les images métaphoriques sont sont essentielles : son homosexualité et le fait qu’il est à utilisées pour traduire l’homosexualité : l’homme est moitié juif. Proust n’est pas un écrivain du théâtre c’est une partie de la nature, il n’est ni inférieur ni supérieur à un animal. Dans un écrivain du fantasme ; métaphores de sans doute observe-t-il Proust n’est pas un écrivain du théâtre ces pollinisation, Proust se le monde autour de lui, c’est un écrivain du fantasme. donne aussi un alibi. Il mais quand il pense à un homme, dans la fiction il décrit une aventure avec une n’est pas que poète de ces images, cherche à expliquer fille comme si c’était la même chose… La tradition son homosexualité. ; il a besoin de ces images parce qu’il française de lire Proust ou même ce qui a pu être son se sent coupable. Ou simplement, c’est un homme qui objectif en écrivant ne m’intéresse pas. Monter la s’émerveille de la nature et qui se comprend à partir d’elle comme faisant partie d’elle… On sait tous que l’histoire Recherche doit être un acte politique aujourd’hui. du Narrateur et d’Albertine est une mystification. Mais Proust est une nature complexe parce qu’il peut Comment appréhendes-tu la question du snobisme être aussi ironique, méchant envers les homosexuels, dans la Recherche ? K. W. : L’univers de Proust me fait penser à un snobisme comme avec les juifs. Cela me fait penser à une phrase des icônes. Il ne s’agit pas de bourgeoisie ni d’aristocratie, qu’il écrit dans un journal avec de jeunes écrivains juifs c’est quelque chose de presque mythologique. Ce qui dreyfusistes : « Je ne voulais pas démentir que j’étais juif dans la vie peut relever du snobisme devient pour lui parce que j’aurais fait du tort à ma mère. » une aventure intellectuelle, l’aventure intellectuelle de Qu’est-ce qu’il est impossible de dire avec Proust ? la bêtise, de la manipulation, de la jalousie etc. Quelles sont les limites de l’adaptation ? Dans cette adaptation, tu supprimes un grand K. W. : Tout est impossible. Proust n’est absolument 12 pas montable au théâtre. J’essaie de faire une installation proustienne. Je parle de Proust mais je fais une installation proustienne. ce système d’éducation où on impose des énormes stars. En Pologne, nous avons Gombrovitch, c’est l’auteur obligatoire qu’il faut lire avant le bac, l’auteur essentiel pour un jeune intellectuel polonais. Gombrovitch est le contraire de l’institution : il se fiche totalement de la littérature romantique, il parle de sexe, d’excréments pour se laver de cette fausse image de grandeur que la littérature pense donner à la Pologne. Pour les autres personnages d’artistes comme Vinteuil ou Eltrir, tu les supprimes en remplaçant le musicien par la musique, en remplaçant le peintre par la vidéo… Pourtant, tu places au premier plan le personnage de Rachel, l’actrice. K. W. : Proust est obsédé par les œuvres d’art, pour lui Pourquoi appelles-tu ce spectacle Les Français si la vie se vit par les œuvres d’art. Moi aussi j’ai besoin tu veux défaire l’image que les Français se font de des œuvres d’art mais au théâtre je n’ai pas besoin de Proust ? décrire, de montrer par exemple que l’action se passe K. W. : Ça peut-être des Français imaginés, ça peut-être à l’opéra ou dans le salon des Guermantes. J’enlève des Polonais… des Européens… Adapter Proust est les éléments réalistes. Pour le personnage de Rachel, beaucoup plus vivant pour moi que pour les Français. c’est différent. Elle incarne le personnage de l’actrice C’est la même chose que monter Shakespeare pour des C’est très important qu’elle soit la maîtresse de Anglais qui restent esclaves de la parole. Jamais je n’aurais Robert de Saint Loup fait Phèdre en tant que parce qu’au départ c’est Quand je dis « Les Français » ça veut dire français, parce que ça ne une courtisane puis une autre chose que pour vous. Mais cela veut nous laisse aucune liberté. artiste, parce qu’enfin elle Visconti lui, pouvait est juive. Elle est révoltée dire que nos regards se contactent, qu’on imaginer, il pouvait avoir contre la vieille école, entre en rapport… Je vous invite à rentrer besoin d’arriver à Proust ; elle est excentrique, elle dans un univers ; je vous provoque… il était sur le point d’y appartient au monde de la arriver et finalement il ne provocation. C’est pour cela qu’elle est mon personnage l’a pas fait. Mais il n’y a pas un Français prédestiné à dans cette installation proustienne. Je lui donne une vie, monter Proust. Pour cela il faudrait créer une grande une importance qu’elle n’a pas dans La Recherche. impression de cinéma, mais avec quel cinéaste ? C’était encore possible dans les années 60 peut-être avec À quels univers esthétiques ou artistiques as-tu les derniers grands réalisateurs italiens. Pour moi, pensé en construisant ce projet ? l’adaptation ne peut pas être faite par un français ; il n’y K. W. : J’ai pensé à des centres d’art, tous ces lieux a pas assez de distance, il n’y a pas de regard extérieur. d’exposition qui deviennent capitaux dans les grandes Je n’ai rien à voir avec votre imagination, moi je suis villes, comme le Moma ou la biennale de Venise. J’essaie un étranger. Quand je dis « Les Français » ça veut dire autre chose que pour vous. Mais cela veut dire que nos de faire un spectacle qui sorte du théâtre. regards se contactent, qu’on entre en rapport… Je vous Tu termines la représentation des Français par un invite à rentrer dans un univers ; je vous provoque… monologue de Phèdre de Racine alors que tu montes par ailleurs un spectacle autour de Phèdre. Quel lien Qu’est-ce que tu attends du public français ? K. W. : D’être concerné. C’est intéressant de voir la fais-tu entre ces deux créations ? K. W. : C’est du hasard, c’est une coïncidence, qui fait confrontation du public français avec cette version de complètement sens, bien sûr. Proust vue par les Polonais. Mais ce n’est pas n’importe quel polonais qui adapte Proust ; j’ai une place À quel âge as-tu lu la Recherche pour la première particulière en tant que Polonais en France. C’est une fois. Quel extrait alors te bouleversait ? belle confrontation. Une belle invitation. K. W. : Je l’ai lu à 19 ans. Le passage ? C’est là, c’est ce spectacle… Est-ce que ce spectacle peut amener les gens, les jeunes à lire Proust. K. W. : Je préfère que Proust reste une lecture personnelle, secrète. Je n’aimerais pas que le monde entier connaisse Proust. Je partage le point de vue des jeunes français à ne pas lire Proust parce qu’on les y oblige ! Je déteste 13 ENTRETIEN AVEC PIOTR GRUSZCZYNSKI, DRAMATURGE « Le texte dans le théâtre de Krzysztof Warlikowski est toujours le point de départ. » Amélie Rouher : Sur le impose au théâtre est la métier de dramaturge et convention apparente qui tire le couple metteur en scène le théâtre dans l’impasse de la dramaturge. Le métier comédie de salon. Pendant les de dramaturge n’a pas répétitions surgissait souvent les mêmes fonctions d’un le problème du « quatrième pays à l’autre. Pouvez-vous mur » et de l’enfermement expliquer en quoi consiste des salons dans leur propre votre métier ainsi que réalisme, ce qui n’est pas du votre partenariat avec K. tout la nature du texte de Warlikowski ? Proust. Piotr Gruszczynski : Le travail du dramaturge est strictement Comment se fait la rencontre défini par le metteur en scène du texte avec les acteurs et le avec lequel il travaille. Chaque fois, ces « liaisons » sont travail de plateau ? différentes. Dans le cas de Krzysztof, le travail est divisé en deux étapes : la première est fondée sur l’écriture P. G. : Le texte dans le théâtre de Krzysztof Warlikowski en commun du scénario, basée sur une composition est toujours le point de départ. Le travail ne commence de fragments de textes différents ; la deuxième, c’est pas par des inspirations visuelles ou musicales mais le travail avec les acteurs par le texte, donc par et la recherche de la Dans le cas de Proust, il était évident le sujet, donc par le cas forme finale du texte qui on parlera. Dans un depuis le début qu’il ne pouvait s’agir dont devient partie intégrante sens, le texte est aussi le de la vision du metteur d’une adaptation mais d’une création point d’arrivée : il devient en scène. Le processus personnelle de Warlikowski. un élément vivant du dramaturgique est fondé spectacle, il résonne, sur l’extraction, au moyen de textes préexistants, de ce donne à penser et à discuter, il tient le cas et le discours, qui est caché dans la tête du metteur en scène. Parfois on il est responsable des significations du spectacle. cherche un texte sur un certain sujet, parfois on l’écrit, mais en général le processus est fondé sur l’intuition et Certaines scènes, comme le Prologue, sont librement les pressentiments. Ce n’est pas l’écriture sur scène mais inspirées de La Recherche du temps perdu, d’autres une sorte de maïeutique. passages sont des extraits comme l’épisode des Catleya ou des chaussures rouge d’Oriane. Comment Comment s’est élaboré le travail d’adaptation Quels ces choix de scène se sont-ils faits ? axes de lecture, quels thèmes avez-vous retenus ? P. G. : Le spectacle est fidèle à la matière proustienne, P. G. : Dans le cas de Proust, il était évident depuis le mais il n’a pas toujours été possible de trouver dans le début qu’il ne pouvait s’agir d’une adaptation mais d’une texte de Proust les scènes ou les cas dont on avait besoin création personnelle de Warlikowski sur le cas de Proust. pour créer le spectacle. La scène du Prologue, qui est Nous ne voulions créer ni narration ni fils fictionnels. l’invocation de l’esprit, n’existe pas dans l’œuvre de Nous avons suivi la piste des cas et des scandales de ce Proust même si le spiritisme y est mentionné plusieurs roman, des sujets les plus importants : l’affaire Dreyfus, fois. À partir de ce stade précoce, on savait qu’on voulait l’antisémitisme, l’homosexualité, la vieillesse, la mort, la « entrer » dans Proust par l’invocation de l’esprit, on a mémoire comme source de culpabilité. donc dû construire cette scène. Toutefois, la majorité des textes utilisés dans le spectacle provient du roman. Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans le travail d’adaptation ? L’adaptation théâtrale donne l’illusion de suivre P. G. : Une des plus grandes difficultés que Proust l’ordre chronologique des volumes de La Recherche, 14 hormis « Combray » qui est juste suggéré par les ou stérile, flétrie ou en fleur – cette floralité impose à champs de blé à la fin du spectacle. Pourtant, les l’homme plusieurs obligations comme la reproduction passages de la Recherche que vous intégrez ne suivent qui ne l’autorise pas à « flétrir » pour rien. Libéré de la pas toujours l’ordre des textes. Par exemple, vous religion, Proust se permet de voir l’homme à travers faites présider la partie Darwin et la nature dans À l’ombre des jeunes [Le texte] devient un élément vivant du une grande liberté et une filles en fleurs par le spectacle, il résonne, donne à penser et pureté de l’espèce. Cela grand monologue, essai donne une libération de sur l’homosexualité, à discuter, il tient le cas et le discours, toutes les peurs, tabous et qui introduit Sodome il est responsable des significations du psychoses. et Gomorrhe. Quelle spectacle. (…) logique avez-vous suivie Vous préparez une lorsque vous avez conçu La majorité des textes utilisés dans le adaptation des sousspectacle provient du roman. le montage ? titres pour le public en P. G. : La logique des français début 2016. titres qui apparaissent dans le spectacle ne reflète Comment comptez-vous aborder le caractère très pas souvent les liens entre le contenu et les titres du littéraire de la langue de Proust ? roman. On a aussi changé leur ordre. C’est un premier P. G. : La traduction polonaise faite par l’excellent piège pour le spectateur qui a pour but de stimuler sa Tadeusz Boy-Zelenski dans les années trente a aussi un vigilance discursive envers le spectacle. C’est aussi une caractère très littéraire et suit fidèlement l’original. Le manifestation de la vision de Proust par Warlikowski. caractère littéraire de la langue de Proust ne masque Le metteur en scène parle ainsi des titres dans une même pas à un quelconque degré l’acuité de ses conversation que nous avons eue avant la première : observations et de ses opinions ce qui ne fait qu’aider « Le spectacle est constitué de dix séquences disposées l’intention de Warlikowski. sur la base des titres des volumes, parfois des chapitres. Ici commence notre jeu avec ces titres et la recherche de significations nouvelles. « Du côté de Guermantes » ne signifie pas de voyage sentimental à Combray chez Geneviève de Brabant mais un voyage dans le monde le plus terrible et en même temps le plus convoité par le Narrateur - qui le rejette à cause de sa judéité – et qui est un monde antisémite. Dans « Du côté de chez Swann » il n’y a pas de voyage vers le sentiment d’un enfant envers une fillette mais un voyage chez Swann juif et dreyfusard. Ce n’est pas Swann qui est le héros de Libéré de la religion, Proust se permet de cette scène mais, invoqué voir l’homme à travers Darwin et la nature par une aristocratie idiote, comme dans une séance dans une grande liberté et une pureté de de spiritisme de Fellini, l’espèce. Cela donne une libération de l’esprit de Dreyfus. toutes les peurs, tabous et psychoses. « Sodome et Gomorrhe » se déplace dans les époques de guerre et couvre le contenu du dernier volume où le bordel masculin rempli par les soldats français décrit le mieux, selon Proust, la première guerre mondiale. Nous avons nommé d’après le titre « À l’ombre des jeunes filles en fleurs » un monologue pris de « Sodome et Gomorrhe » concernant une classification particulière de types d’homosexuels dans lequel Proust a transposé la nomenclature de la nature sur le terrain humain. C’est Une première façon de légaliser l’homosexualité en montrant qu’elle fonctionne naturellement dans la nature. Une présentation d’un homme comme une fleur fécondée 15 ENTRETIEN AVEC ENTRETIEN CLAUDE BARDOUIL « Je suis le partenaire idéal. » Amélie Rouher : Comment expliques-tu la place de ton travail au sein de l’équipe artistique et avec Krzysztof Warlikowski ? Claude Bardouil : Quand on commence les répétitions, on arrive avec le décor. Dans un sens, c’est une chose essentielle parce que c’est l’espace dans lequel on doit se glisser. La question est ensuite de trouver la tension intérieure de chaque scène. Krzysztof ne résout pas les problèmes au préalable, il arrive avec toutes les questions, toutes les possibilités et les résout avec les acteurs. Le premier partenaire de Krzysztof c’est le dramaturge, puis nous. Il faut comprendre que nous sommes tous responsables de la scène, et pas que de nous seuls. S’intégrer dans le processus de travail, c’est toujours se poser la question : « De quoi la scène a-t-elle besoin ? ». Ce n’est jamais : « Qu’est-ce que je vais faire ? » C’est un processus extraordinairement naturel. Je dis toujours qu’on ne peut pas être mauvais avec Krzysztof parce qu’il fait en sorte que le projet devienne le nôtre. Et c’est vrai pour chacun d’entre nous. les dramaturges pour écrire un scénario. Ce qui justifiait ma présence c’était les performances de Rachel, le personnage de l’actrice. Mais comme on ne voulait pas faire du théâtre dans le théâtre, on a pensé qu’elle pouvait chanter. Au début, on imaginait que Rachel devait avoir un partenaire, de la même manière qu’on avait imaginé qu’Oriane devait également avoir… « un noir ». Tu travailles donc plus sur la puissance d’évocation des images qu’à ce qu’elles désignent. Peux-tu parler de ton travail avec les masques ? C. B. : Par défi personnel, je voulais explorer le travail du masque. J’ai déjà travaillé avec des perruques dans des spectacles précédents. Ce qui m’intéresse c’est d’explorer un langage performatif et non pas théâtral ou chorégraphique. Le masque permet cette recherche parce que c’est le corps qui lui donne son expression. Surtout, le personnage sert de contrepoint à la scène des Guermantes ; il est le personnage qui place le spectateur à distance parce qu’il le regarde en semblant lui dire : « Vous entendez ? » Comment construis-tu une image chorégraphique, celle du noir par exemple ? Comment s’inscrit-elle dans l’ensemble de la création ? C. B. : C’est apparu au dernier moment. Au début de la création, mon rôle n’était pas défini ; nous avions bien l’idée d’un personnage de couleur noir mais en même temps nous pensions qu’il pouvait être trop réaliste. L’idée d’un serveur noir chez les Guermantes était aussi beaucoup trop illustrative. Puis j’ai eu l’idée du masque de personnage noir qui met une certaine distance avec le principe de réalisme. C’est là que nous avons introduit le personnage de Rachel qui chante sur des pointes. Tout cet ensemble devenait intrigant. Pourquoi un noir a-t-il des pointes pour servir chez les Guermantes ? Pourquoi vaporise-t-il une plante en plastique ? Les choses se sont construites de cette façon jusqu’à devenir un numéro de Rachel et de son performer. Est-ce qu’on peut parler d’écriture collective, de création collective ? C. B. : Krzysztof a un respect profond pour les gens avec qui il travaille. Il n’amenuise jamais les idées pour ramener tout au même endroit. Il laisse au contraire se développer ce que chaque artiste a à exprimer mais, en même temps, il est le centre absolu. Parce qu’il y a chez Krzysztof une puissance de pensée qui en termes d’énergies est tellement jaillissante, tellement puissante que ça t’emmène. C’est en ce sens qu’il est le centre absolu. Comme une force centrifuge… C. B. : C’est quelque chose qui avale les éléments. Et qui est capable d’absorber autant d’univers esthétiques différents et d’en faire une œuvre unique… C. B. : Absolument. Et c’est surtout la grande force de Krzysztof, il n’a pas envie d’être Dieu, il n’a aucun Quand est intervenu ton travail de créateur/performeur dans les étapes de la création des Français ? C. B. : J’ai été présent, aux aguets, dès le début c’està-dire quand Krzysztof a commencé à travailler avec 16 problème de rivalité avec les artistes, les acteurs, les vidéastes… C’est un être du présent, dans le présent de sa vie, dans le présent de la relation. Sa pensée se modifie sans cesse : une situation ou un événement le soir va faire changer le spectacle le lendemain. Ça peutêtre un élément de notre vie privée qui va entrer immédiatement sur le plateau mais toujours d’une manière non banale. Lui est dans son présent et si tu es là, il faut que tu sois là totalement, avec tout ce que tu es et toute ta créativité… et soi-même, il faut toujours viser plus grand. Et dans un sens, pour moi, le regard de Krzysztof est la chose plus grande dans laquelle je veux m’inscrire. Pourtant il n’est pas chorégraphe, mais c’est pour moi un très grand chorégraphe par l’acuité de son regard : je n’ai pas besoin qu’on me dirige, j’ai confiance en l’acuité de son regard. Quelle différence fais-tu entre le moment où tu étais chorégraphe indépendant, directeur de compagnie et cette période de collaboration active avec Krzysztof Warlikowski ? C. B. : Je pense que ma grande qualité – c’est un défaut et une faiblesse aussi –, c’est que je suis avec mes collègues un partenaire de scène idéal. Parce que je ne pense pas à moi, ce qui n’est pas du tout une attitude de saint, mais c’est ma nature. Par exemple, la figure du duo m’intéresse parce qu’elle implique la rencontre avec l’autre. C’est pour cette raison je crois que je n’ai jamais fait de solo… Je suis le partenaire idéal ! En dehors de Proust, quelles ont été tes références culturelles ? C. B. : Par exemple, le pas de deux dans le duo de « Sodome et Gomorrhe » est une référence à la danse de Merle Park et Noureev dans Casse-Noisette. C’est une idée de Krzysztof. Au début je n’étais pas convaincu par ce choix mais Krzysztof a insisté. Cette référence est une de ses mythologies. Après je me suis amusé avec le langage classique, j’ai travaillé sur le détournement puisqu’un garçon ne travaille pas sur des pointes. Il y a également le contexte des ballets russes qui sont contemporains de Proust. Nijinski s’est mis à danser sur des pointes parce qu’il voulait le premier rôle dans les ballets souvent tenus par les femmes. Ce sont donc à la fois des mythologies personnelles et des mythologies proustiennes. Quand tu vois tout ce réseau de concordances se tisser, tu sais que tu es au bon endroit de la création. Quel est ton rapport avec l’espace et la scénographie ? C. B. : Ce qui est incroyable chez Krzysztof, c’est que rien n’est décoratif, c’est-à-dire que tout fait sens. Pour cela, les espaces de Małgorzata Szcze˛śniak, la scénographe, sont des espaces rêvés. Tout y est extrêmement concret. Tu peux être au minimum de toi, cinématographique, tu n’as pas besoin de remplir l’espace, le plateau te rend extraordinairement fort. Tu n’es obligé de rien, tu es puissant. Tu es presque installatif. Par exemple, quand Oriane sort du wagon, elle marche, il y a une vitre derrière elle, elle traverse, elle s’assied, l’endroit est parfait… C’est une installation. Quand les personnages parlent c’est la même chose, on peut parler d’installations verbales au sens où la parole crée de l’image. Comment se fait le travail de direction entre toi et ? Comment intègres-tu le Krzysztof Warlikowski regard du public dans ton travail ? C. B. : Je ne danse pas pour, je danse devant Krzysztof. Parce que c’est un regard en demande. Je ne joue jamais pour le public, parce que le public on a vu ce que c’est, c’est immonde et magnifique à la fois, parce que c’est l’humanité. Mais c’est totalement faux de dire qu’on veut plaire à toute l’humanité. Entre le public 17 ENTRETIEN AVEC ENTRETIEN DENIS GUÉGUIN Amélie Rouher : Pour Comment as-tu été amené commencer peux-tu te à travailler avec Krzysztof présenter, situer ton Warlikowski ? parcours professionnel ? D. G. : J’ai rencontré Denis Guéguin : J’ai fait des Krzysztof il y a 30 ans, je finisétudes de cinéma et de théâtre sais mes études, réalisais mon à l’Université Paris III. C’était premier court-métrage et je ce mélange qui m’intéressait savais déjà que je ne voulais pas le plus, dans l’idée aussi que je faire de cinéma narratif. Lui ne savais pas vraiment ce qui n’avait pas encore commencé m’intéressait le plus. Vite, je ses études de théâtre. On s’est me suis acheté ma première perdus de vue pendant dix ans. caméra, puis la deuxième… Puis, j’ai travaillé avec Martial J’ai fait de la photo, des films Di Fonzo Bo pour le Théâtre expérimentaux, j’ai été un La vidéo live permet de jouer avec National de Bretagne. Je cherpetit peu acteur dans des j’expérimentais alors la fascination du comédien, de chais, choses improbables (rires). des dessins de en animation Finalement, avec le recul, tout percevoir tous ses détails, sa force qui devaient en quelque sorte se tenait, tout était logique : le dramatique. doubler le jeu des comédiens. J’en parlais beaucoup avec mélange des langages et des Krzysztof parce qu’alors, la vidéo au théâtre n’existait arts, du cinéma et du théâtre. C’est mon métier. pas. Il y avait une frilosité générale mais je l’incitais à s’en servir. On a fini par le faire ensemble en 2003 pour À partir de quand as-tu vu apparaître l’utilisation Le Songe d’une nuit d’été. de la vidéo au théâtre ? D. G. : J’ai eu deux chocs. Le premier, c’était I Was Sitting on My Patio de Bob Wilson, j’avais 14 ans. Y a-t-il une manière spécifique d’approcher la vidéo C’était du Super 8 projeté sur scène. Le second, c’était avec Krzysztof Warlikowski ? les concerts rock, notamment d’un groupe qui s’appelle D. G. : Oui et non. Il n’y a pas de règles. À chaque fois Tuxedomoon, qui faisait des shows avec des projec- c’est nouveau même si finalement il y a quand même tions Super 8. Ça me bouleversait complètement. D’un presque des systèmes que l’on travaille un peu réguliècôté, j’étais cinéphile, je voyais Binder, Pasolini, Duras, rement : le dédoublement des personnages, surtout le Syberberg, Oliveira et cætera. De l’autre, j’étais fasciné travail sur le temps, par exemple la narration de flashpar ce côté « film en scène ». C’était un langage expéri- back, la narration intérieure du personnage… mental, un langage non narratif, tout de suite énigmatique. C’est une espèce de surprise qui te fait travailler Vous jouez beaucoup avec des esthétiques cinématol’imaginaire. graphiques. Par exemple, Oriane est filmée comme une héroïne hitchcockienne… Quand as-tu commencé vraiment à réaliser des D. G. : Oui. La vidéo live permet de jouer avec la fascination du comédien, de percevoir tous ses détails (je dis vidéos pour le théâtre ? D. G. : La première fois vers 1997, c’était avec Clyde sublimes mais je suis un peu exalté), sa force dramatique. Chabot, une metteuse en scène française. On a adapté Ce jeu avec les gros plans est aussi un moyen de transL’Hypothèse de Robert Pinger. L’Hypothèse, c’est le crire l’isolement du personnage. Et en fait, c’est aussi monologue d’un homme en plein délire qui fait des ce qu’écrit Proust, le personnage est plus en situation hypothèses sur ce qu’il pourrait faire. En fait, c’est un d’écoute qu’en situation de parole. On produit presque homme qui se filme. D’ailleurs, Robert Pinget a pensé un décalage de réalités. son texte comme une image filmée. Ça me fait penser à Loulou d’Alban Berg. Il introduit une didascalie au Oui, et en même temps c’est un imaginaire du milieu du film, comme pour dire ce qu’il se passe entre spectacle. C’est-à-dire que tous ces gens-là sont en deux actes. De cette manière il nous raconte les ellipses. représentation… 18 D. G. : Absolument. convention documentaire à tenir. Est-ce qu’il fallait un documentaire à la TF1 avec une voix off qui tende … Surtout vis-à-vis d’eux-mêmes, l’Autre est celui vers une sorte d’objectivité ? On a fini par se dire que ce qui nous permet d’exister, d’où le fait aussi que le serait mieux de filmer de manière plus étrange… Peutnarrateur (Marcel) est en position d’observateur être les personnages du Temps retrouvé qui apparaîpermanent, et que le spectateur est lui-même voyeur. traient en espèce d’hologrammes… On verrait Oriane Comme si le spectateur était la caméra ou comme s’il dans une lumière étrange, fantomatique, d’un point de était dans l’œil de la caméra… vue subjectif, comme un revenant qui survient la nuit… D. G. : Voilà, et ça, c’est un Mais cela impliquait de superjeu à la fois assez subtil et Dans cette mise en scène, c’est poser plusieurs techniques important dans le système particulièrement impressionnant vidéo… Ce sont des choses à Warlikowski : la représentation prendre en compte puisque et l’autoreprésentation que l’on car il y a tous ces jeux de miroirs, c’est trop long à mettre en doit comprendre au sens de la de vitres, de caméra live qui œuvre. représentation sociale. Dans intensifient ce travail sur soi, sur cette mise en scène, c’est partialors en es-tu la représentation et sur l’intimité, Comment culièrement impressionnant car venu au triptyque qui appail y a tous ces jeux de miroirs, l’intimité volée, une intimité qui en raît pendant le monologue de vitres, de caméra live qui fait est complètement jouée. de Marcel ? fleurs, hippointensifient ce travail sur soi, sur campes et baisers. la représentation et sur l’intimité, l’intimité volée, une inti- D. G. : L’idée était de recréer l’univers métaphorique mité qui en fait est complètement jouée. C’est de la mise de Proust, c’est-à-dire d’évoquer un atlas botanique en scène de mise en scène. Par exemple, il n’y a pas une et entomologique de la pollinisation, les papillons, la seule seconde où Oriane de Guermantes ne maîtrise pas le vanille… Mais ça reste quand même documentaire ! Ce moindre détail de ses gestes. sont des images scientifiques. Il y a aussi des moments où la caméra est intrusive. On se croirait dans une série B, comme si la scène était volée et prise par une caméra amateur. D. G. : Oui, cela intensifie la violence, cela crée comme ça un cinéma direct, très direct même. Lorsqu’Oriane au début est en noir et blanc, ce procédé crée un décalage, une distance. Même si c’est une caméra live, c’est comme si elle n’était pas tout à fait présente. En anglais, on dit un delay, c’est comme un petit retard. Ainsi, on rentre dans l’intériorité du personnage. Tu as donc travaillé à transformer l’image scientifique en image poétique. Par exemple, on peut dire que les petites araignées sont des doubles métaphoriques d’Albertine… D. G. : Exactement, l’araignée, la toile d’araignée… Tout à coup cela devenait évident, c’était « La Prisonnière ». Quand j’ai vu ces images, c’est devenu une évidence. En plus, elles ajoutaient un jeu graphique avec la chanteuse-danseuse, Rachel, et le performeur Claude Bardouil. Est-ce que Krzysztof Warlikowski te donne des informations, est-ce qu’il te donne des intentions, des feuilles de route ? D. G. : Oui. On parle, on parle… Tout de suite il y a eu des idées, d’ailleurs des choses qui ne sont pas dans le spectacle. Par exemple, il fallait que je fasse un film sur l’hôtel particulier des Camondo à Paris, une famille Juive à l’origine, de grands collectionneurs que Proust connaissait. Ça devait être le final du spectacle. Après Le Temps retrouvé, et Phèdre, on y voyait comme un documentaire sur la famille Camondo. Il s’est agi de faire un parallèle avec Dreyfus. C’est qu’il y a une superposition de langages et de tonalités en tous genres, sans cesse mêlées. Cela crée toujours un écart, un effet d’étrangeté. Me vient alors cette question : Proust est l’auteur de la sensation, de la perception. Comment as-tu approché ces notions-là ? D. G. : Moi, je n’ai rien approché du tout ! À un moment donné, je me crée mon propre background, un univers à moi, sensitif. Il faut que je trouve les images, que je les fabrique, et il faut que je voie si ça marche ou pas. Ces documentaires sont des fragments extrêmement précis, extrêmement choisis. Les couleurs et le rythme sont retravaillés. Il y a certaines images qui se répètent en boucle et décrivent peut-être un univers qui vit tout seul, autonome, qui respire. Cela crée une espèce de rythmique, de pulsation qui accompagne le son ambiant. Alors comment, de cet hôtel « historique », en es-tu arrivé aux hippocampes, aux fleurs, aux documentaires scientifiques ? D. G. : Il y a plusieurs entrées. Je cherchais une 19 Quel travail mènes-tu avec le musicien ? D. G. : Le musicien est présent à chaque répétition, avec tout son matériel. Tout au long du travail, il propose un son, une musique, un mixage. Il n’y a pas un monologue, un texte, une scène, qui ne soit sans son. La vidéo, c’est beaucoup plus lourd, beaucoup plus compliqué. Je suis obligé de travailler hors du plateau. MARIA ŁOZINSKA « ALBERTINE » Comment est venue la vidéo des pissenlits pendant le « show » de Madame Verdurin ? D. G. : Pour l’apparition de Madame Verdurin, il fallait que la vidéo intègre la performance du personnage : une performeuse habillée et masquée qui est dans un environnement champêtre. J’ai d’abord filmé des vaches en Pologne, des champs, la nature pour ne garder que le champ de blé final. Finalement, je n’ai gardé que l’image de la croissance des plantes. Camille a choisi les pissenlits. Les orchidées pour Oriane, les pissenlits pour Madame Verdurin… Il y a quelque chose d’un peu trivial, comme ça. C’est aussi une sorte de citation de 2001 l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick à cause des singes au début du film sur la musique de Richard Strauss, Ainsi parlait Zarathoustra. « Au début, Krzysztof m’a proposé une période d’essai pour voir si je pouvais convenir parce que je suis la seule dans ce spectacle à ne pas avoir fait d’étude de théâtre. Il tenait à ce qu’Albertine soit juvénile, non-formée, différente des autres personnages présents sur la scèneś Et quel lien fais-tu entre 2001 l’Odyssée de l’espace et le show de Madame Verdurin ? D. G. : C’est la naissance du monde, c’est l’animal qui devient homme. D’où l’on vient, est-ce que l’homme a une qualité supérieure à la nature ? Peut-il ou non la dominer ? Et puis, il y a cette scène où elle se met à grommeler où l’on se dit « Mais c’est quoi ? Elle se transforme, c’est un singe qui va se transformer en quoi ? Est-ce qu’elle est en train de simuler un acte sexuel, la jouissance ? » C’est très animal, je le vois comme un rappel des origines. QUESTIONNAIRE DE PROUST Ton poète préféré ? William Blake. Ton héroïne préférée dans la vie réelle ? Ma mère. La qualité que tu préfères chez un homme ? La sensibilité. La vidéo vient pour moi comme une puissance évocatrice, poétique comme sont les tableaux d’Elstir dans la Recherche. D. G. : Bien sûr, la vidéo fait que la représentation scénique devient spectaculaire, c’est un art total. Plusieurs médias se complètent et travaillent ensemble. C’est une sorte d’indépendance aussi du média vidéo que des éléments cohabitent simultanément. Il y avait pour moi la piste de filmer un temps absolu, un temps hors du temps, un temps galactique. Chez une femme ? La fermeté. Ta caractéristique la plus marquée ? La fragilité. Ce que tu estimes le plus chez tes amis ? La gaîté. Ton rêve de bonheur parfait ? Au coin du feu, dans une cabane, dans la forêt, pendant qu’il neige. En fait la vidéo, c’est la quatrième dimension du théâtre, un cinquième mur ? D. G. : Pour moi, la vidéo, c’est un temps sur impressions. C’est un temps qui s’ajoute, c’est une épaisseur en plus, une profondeur en plus. C’est un temps dédoublé… Et par moments, par la caméra live, c’est un espace dédoublé : on voit l’acteur « en vrai » et on voit l’acteur filmé. Ta plus grande peur ? La solitude. Quel don de la nature aimerais-tu le plus avoir ? Un don pour les jeux de hasard. 20 NOTES 21 LES FRANÇAIS en tournée • Du 21 au 30 août 2015 Ruhrtriennale (création) PHÈDRE(S) KRZYSZTOF WARLIKOWSKI Avec Isabelle Huppert, Norah Krief (distribution en cours) Du 27 au 29 mai 2016 • Du 1 au 15 octobre 2015 Nowy Teatr, Varsovie (première polonaise) • 23 et 24 janvier 2016 Comédie de Clermont-Ferrand (première française) • 30 et 31 janvier 2016 Comédie de Reims Uniques dates en tournée en France après la création à l’Odéon - Théâtre de l’Europe. — MARIE MADELEINE MARGUERITE DE MONTALTE (MMMM) JEAN-PHILIPPE TOUSSAINT ET THE DELANO ORCHESTRA • Du 11 au 13 février 2016 Comédie de Genève • 22 et 23 mars 2016 Tarbes, Le Parvis 14 et 15 mars 2016, maison de la culture • 18-19 et 22-25 novembre 2016 Paris, Théâtre de Chaillot • 2 et 3 décembre 2016 Mulhouse La Filature Né d’une rencontre forte entre l’écrivain Jean-Philippe Toussaint et le musicien Alexandre Delano, MMMM est un projet unique et protéiforme. L’auteur se met pour la première fois en scène, en lecteur-acteur, entouré du Delano Orchestra et des vidéos qu’il a réalisées à partir de séquences narratives issues de son cycle romanesque autour de Marie : Faire l’amour, Fuir, La Vérité sur Marie et Nue. Hommage à la femme aimée, ce spectacle musical est aussi une ode à la littérature. CRÉATION EN RÉSIDENCE À CLERMONT du 9 au 13 mars PRODUCTION COMÉDIE DE CLERMONT EN TOURNÉE lojelis Nº LICENCE DIFFUSEUR : 1063592 SIRET : 413 893 140 000 25 APE : 9001 Z