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Une lente genèse
Fils d’un célèbre professeur de médecine, Marcel
Proust connaît une enfance bourgeoise à Paris.
Asthmatique, il devra très tôt composer avec la
maladie. Après des études de droit et de lettres,
il se tourne vers la littérature et mène une vie
mondaine. Il connaît des débuts prometteurs de
critique littéraire et artistique.
La mort de sa mère, en 1905, constitue une
rupture. Il décide alors de devenir écrivain, publie
Les Pastiches et Contre Sainte-Beuve en 1908 et se
lance dans l’écriture de son grand œuvre. De 1909
à 1922 – année de sa mort –, il vit reclus et malade
dans sa chambre capitonnée de Liège, écrivant la
nuit.
Une « cathédrale »
Selon ses termes, Proust a conçu son cycle roma-
nesque, près de 3000 pages, comme « une cathé-
drale », dont tous les éléments – personnages,
lieux, thèmes – se répondent. Le plan, évoluant au
fil de l’écriture, comprendra finalement 7 volumes.
Une somme romanesque.
Un roman d’apprentissage
L’œuvre trouve son unité dans la conscience d’un
narrateur-personnage, dont on ne connaît que
le prénom, Marcel, dont on ne sait presque rien
physiquement et dont on suit, à travers le récit
qu’il en fait, les grandes étapes de la vie : l’en-
fance heureuse à Combray, l’adolescence (« À
l’ombre des jeunes filles en fleurs »), l’accès à l’âge
d’homme et les premières expériences amoureuses
(« La prisonnière », « Albertine disparue »), et
enfin, la maturité (« Le temps retrouvé »).
L’œuvre proustienne s’inscrit dans la tradition du
roman d’apprentissage du XIXe siècle. Comme
l’indique le titre, le récit est une quête, jalonnée
d’obstacles et de souffrance – oublis, futilités
mondaines, jalousies, trahisons – qui détournent
le narrateur de son but. Les initiateurs sont des
figures d’artistes : l’écrivain Bergotte, le peintre
Elstir, le musicien Vinteuil permettent à celui-ci
de pénétrer les salons et d’accéder au monde de
l’art.
Une fresque sociale et politique
Comme La Comédie humaine de Balzac, La
Recherche est une vaste somme qui brosse le tableau
d’une époque. Proust met en scène d’innombrables
personnages qui constituent une galerie de types
humains observés à travers leurs défauts, leurs
tics, leurs ridicules, leur part d’ombre : Odette la
demi-mondaine, la duchesse de Guermantes l’aris-
tocrate, Charlus l’homosexuel honteux, Rachel l’an-
cienne prostituée devenue tragédienne ; Morel, le
musicien arriviste et corrompu…
Le romancier fait ainsi revivre, sous le regard
ironique du narrateur, toute une société avec ses
clans, ses hiérarchies sociales (le clan Verdurin,
le salon des Guermantes) et qui est traversée par
l’onde de choc de l’affaire Dreyfus (1894 – 1906).
Surtout, il se fait le témoin d’une époque essoufflée
et méchante où l’ennui, sous couvert de la meilleure
éducation et de la belle langue, creuse le berceau de
l’ensemble des haines raciales et sexuelles qui dévore-
ront le reste du XXe siècle.
Un narrateur omniprésent
La conscience du narrateur est le centre de cette
fresque, un « je » à partir duquel les événements
et les personnages sont perçus, à l’exception de
« Un amour de Swann » qui est écrit à la troisième
personne. Proust exploite toutes les ressources de
ce narrateur-personnage : le narrateur raconte en
effet après coup ce qu’il a vécu et vu ; il est en
même temps celui qui rapporte aux lecteurs ce qui
lui arrive, son apprentissage de la vie ; il est enfin le
« je » de l’écrivain en devenir tel qu’il se découvre
à la fin du « Temps retrouvé ».
Le roman du temps
Comme le suggère le titre, le temps est la matière
même de l’œuvre. Le récit s’étend de la fin du
XIXe siècle au lendemain de la première guerre
mondiale. Tout commence avec le goût d’une
madeleine trempée dans du thé, qui fait subite-
ment resurgir le passé et le paradis de l’enfance ;
tout s’achève avec « Le Temps retrouvé » et l’évo-
cation d’une réception mondaine chez le duc de
Guermantes. Le narrateur rassemble alors une
dernière fois ses personnages pour observer sur
eux les marques du vieillissement et l’approche de
la mort.
Mais au cours de cette même réception, à trois
reprises, le narrateur éprouve une sensation
ZOOM SUR À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU