LES FRANÇAIS - Comédie de Clermont

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// D O S S I E R DE PRESSE \\
LES FRANÇAIS
KRZYSZTOF WARLIKOWSKI
INSPIRÉ DE MARCEL PROUST À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU
C R É A T I O N F R A N Ç A I S E À C L E R M O N T - F E R R AN D
Spectacle samedi 23 janvier à 18:00
et dimanche 24 janvier à 15:00
Maison de la culture salle Jean-Cocteau
Durée 4 heures 40 dont 2 entractes
COPRODUCTION LA COMÉDIE DE CLERMONT
EN TOURNÉE
VOTRE CONTACT
Émilie Fernandez 0473.170.183 06.11.34.34.83 - [email protected]
Baron de Charlus Jacek Poniedziałek
Narrateur Bartosz Gelner, Zygmunt Malanowicz
Gilberte Swann Ewa Dałkowska
Oriane de Guermantes Magdalena Cielecka
Sidonie de Guermantes Małgorzata Hajewska-Krzysztofik
Basin de Guermantes Marek Kalita
Odette de Crécy Maja Ostaszewska
Gilbert de Guermantes Wojciech Kalarus
Rachel/Phèdre Agata Buzek
Performance Claude Bardouil
LES FRANÇAIS
Inspiré de
À la recherche du temps perdu de Marcel Proust
Adaptation
Krzysztof Warlikowski et Piotr Gruszczyński
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Scénographie et costumes Małgorzata Szcze˛śniak
Musique Jan Duszyński et Carte d’album. Pièce pour
violoncelle et bande magnétique de Paweł Mykietyn, jouée
en direct par Michał Pepol
Lumières Felice Ross
Chorégraphie Claude Bardouil
Vidéo Denis Guéguin
Animations graphiques Kamil Polak
Dramaturgie Piotr Gruszczyński
Collaboration à la dramaturgie Adam Radecki
Collaboration à l’adaptation Szczepan Orłowski
Maquillages et coiffures Monika Kaleta, Joanna Chudyk
Direction technique Paweł Kamionka
Régisseur plateau et cadrage Łukasz Józków
Assistanat à la mise en scène Katarzyna Łuszczyk
Régie son Mirosław Burkot
Régie lumières Dariusz Adamski
Régisseur vidéo Maciej Zurczak
Maquilleuses Joanna Chudyk, Monika Kaleta
Accessoiriste Tomasz Laskowski
Habilleuses Elzbieta Fornalska, Ewa Sokołowska
Machinistes Kacper Maszkiewicz, Tomasz Laskowski
Avec
PREMIÈRE PARTIE
Oriane de Guermantes Magdalena Cielecka
Basin de Guermantes Marek Kalita
Marie de Guermantes Agata Buzek
Robert de Saint-Loup Maciej Stuhr
Baron de Charlus Jacek Poniedziałek
Charles Swann Mariusz Bonaszewski
Princesse de Parme Ewa Dałkowska
Dame de compagnie Małgorzata Hajewska-Krzysztofik
Alfred Dreyfus Zygmunt Malanowicz
Narrateur Bartosz Gelner
Rachel Agata Buzek
Odette de Crécy Maja Ostaszewska
Performance Claude Bardouil
Traduction en français Margot Carlier
Collaboration Agata Kozak
Préparation et réalisation de sous-titrage
Zofia Szymanowska
Chargée de production Joanna Nuckowska
Production Nowy Teatr, Varsovie
Coproduction Ruhrtriennale, Théâtre national
de Chaillot, Comédie de Genève,
la Comédie de Clermont-Ferrand – scène nationale,
La Filature – scène nationale de Mulhouse,
Le Parvis – scène nationale Tarbes-Pyrénées
Avec le soutien du ministère de la Culture
et du Patrimoine national (MKiDN)
et l’Institut Adam Mickiewicz (IAM)
DEUXIÈME PARTIE
Rachel Agata Buzek
Robert de Saint-Loup Maciej Stuhr
Narrateur Bartosz Gelner
Baron de Charlus Jacek Poniedziałek
Charles Morel Piotr Polak
Albertine Simonet Maria Łozińska
Charles Swann Mariusz Bonaszewski
Odette de Crécy Maja Ostaszewska
Oriane de Guermantes Magdalena Cielecka
Basin de Guermantes Marek Kalita
Marie de Guermantes Agata Buzek
Gustave Verdurin Wojciech Kalarus
Reine de Naples Ewa Dałkowska
Sidonie Verdurin Małgorzata Hajewska-Krzysztofik
Gilberte Swann Agata Buzek
Performance Claude Bardouil
Violoncelle Michał Pepol
Création le 21 août 2015, Festival Ruhrtriennale,
Gladsbeck, Allemagne
Création polonaise le 2 octobre 2015, Nowy Teatr,
Varsovie
Création française à la Comédie
de Clermont-Ferrand – scène nationale
Spectacle en polonais surtitré
Durée 4 heures 40 dont 2 entractes
Crédit du dossier Illustration de couverture réalisée
par Antoine+Manuel intégrant des photographies
de Jean-Louis Fernandez.
Photographies du dossier © Jean-Louis Fernandez,
photographe associé à la Comédie.
TROISIÈME PARTIE
Robert de Saint-Loup Maciej Stuhr
Charles Morel Piotr Polak
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WARLIKOWSKI INVOQUE PROUST POUR
APPRÉHENDER L’EUROPE D’AUJOURD’HUI.
MONUMENTAL, HYPNOTIQUE, TENU ET ADDICTIF.
PUR ET NOIR COMME UN DIAMANT.
Krzysztof Warlikowski, l’une des figures majeures
du théâtre européen, adapte À la recherche du
temps perdu de Marcel Proust, amenant ses
acteurs à pénétrer l’état d’esprit proustien pour
atteindre le cœur d’une œuvre monumentale.
Œuvre monumentale s’il en est, À la recherche
du temps perdu a donné lieu à quelques tentatives
d’adaptations cinématographiques ou théâtrales.
Luchino Visconti avait écrit un scénario qu’il n’a
jamais pu réaliser. Celui de Joseph Losey et Harold
Pinter a connu le même destin, à la différence
près que Harold Pinter utilisa ce travail en publiant une pièce de théâtre intitulée Le Scénario
Proust. À son tour Krzysztof Warlikowski, lecteur
assidu de Marcel Proust depuis ses années d’adolescence, a construit au fil du temps un projet qui
puisse rendre compte de son rapport personnel à
cette saga romanesque. Un projet qui ne consiste
pas simplement à présenter sur le plateau du
théâtre les scènes les plus célèbres du génial écrivain, ni à proposer une reconstitution historique
de la société aristocratique et bourgeoise des
débuts du XXe siècle. C’est pour les spectateurs
d’aujourd’hui que Krzysztof Warlikowski et ses
acteurs travaillent, pour faire surgir de l’œuvre
de Proust ce qui peut les questionner encore et
toujours : la peur de la vieillesse et de la mort, la
jalousie, le désir amoureux contrarié, ces thèmes
qui irriguent quelques-unes des plus belles pages
de la littérature française. À cela s’ajoute la
volonté de faire entendre ce qui est aussi présent
dans l’œuvre mais travesti, dissimulé, camouflé,
tout ce qui a traversé l’époque et la vie de Proust
mais qui ne pouvait être dit avec franchise : l’homophobie et l’antisémitisme par exemple, sujets
encore brûlants au XXIe siècle, véritables mécanismes de violence et d’exclusion qui continuent
à agir. En amenant ses acteurs à pénétrer l’état
d’esprit « proustien », Krzysztof Warlikowski
dépasse la présentation d’une « ménagerie » de
personnages excentriques qui dansent sur un
volcan qui gronde, pour atteindre le cœur d’une
œuvre, décrivant avec une force inégalée une
société en crise qui cherche à se sauver du désastre
qui menace..
Jean-François Perrier pour la Comédie de
Clermont-Ferrand, mai 2015.
Texte libre de droits
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PORTRAIT
Krzysztof Warlikowski est l’une des figures majeures
du théâtre européen et appartient aux rénovateurs du
langage théâtral. Avec une dizaine de mises en scène de
Shakespeare, il a créé un nouveau canon de réalisation
des œuvres du dramaturge de Stratford. Il explore
aussi intensément les possibilités contemporaines de la
tragédie antique. Sa lecture de Purifiés de Sarah Kane
a révolutionné la réflexion sur les limites du théâtre.
(A)pollonia est devenu un spectacle emblématique
du règlement de comptes avec l’histoire polonojuive de l’époque de la guerre et de l’après-guerre,
appelé le théâtre polonais de l’extermination. Dans
ses spectacles, Warlikowski ne cesse de renouveler son
alliance avec le spectateur, en entraînant le public dans
un processus commun de découverte de sens et de
significations. Ses spectacles constituent des débats
théâtraux dont le résultat n’est pas acquis d’avance.
Depuis quelques années, il travaille aussi pour l’opéra
où il transfère ses découvertes théâtrales pour œuvrer
en faveur de la re-théâtralisation de l’opéra.
Il est né en 1962 à Szczecin. Il a mené des études
de philosophie et d’histoire à l’université Jagellonne
de Cracovie avant de s’installer à Paris pendant quatre
ans où il étudie la philosophie, la littérature française,
les langues étrangères et l’histoire du théâtre à l’École
pratique des hautes études. Puis il revient en Pologne
pour commencer des études de mise en scène à l’École
supérieure de théâtre de Cracovie, où il présente
ses premiers spectacles – Nuits Blanches d’après
Dostoïevski et L’Aveuglement d’Elias Canetti – tout
en continuant de parcourir l’Europe à la rencontre des
maîtres incontestés de l’époque, Peter Brook, dont
il sera l’assistant sur Impressions de Pelléas (1992) et
Giorgio Strehler qui supervisera son travail sur Périclès
présenté au Piccolo Teatro de Milan en 1994.
Ces allers-retours, ces voyages, ces rencontres, lui
donnent un regard particulier sur son propre pays.
Dans cette société en reconstruction, il constate
une relative désaffection pour l’art dramatique et
s’interroge alors sur ce qu’il convient de faire pour
être plus en adéquation avec les réalités et les désirs
de ces jeunes générations, qui n’ont plus à contester
le nouveau régime « démocratique ». Il prend
conscience que le théâtre doit devenir celui des
questionnements plus intimes, en particulier sur les
tabous qui persistent dans cette Pologne libre, mais
profondément dominée par une église catholique
relativement conservatrice. Antisémitisme, liberté et
identité sexuelle, anti-féminisme, racisme, spiritualité,
tout ce qui peut être dérangeant devient le champ de
son intervention artistique.
Depuis 2008, il dirige le Nowy Teatr (Théâtre
Nouveau) à Varsovie qu’il a fondé avec un groupe de
collaborateurs permanents.
À partir de 2009, sans abandonner son travail sur les
grands textes dramatiques, il s’engage dans une voie
qui le conduit à proposer des spectacles constitués
de fragments littéraires juxtaposés, organisés, venus
d’auteurs aussi différents qu’Hanna Krall, Jonathan
Littell et surtout John Maxwell Coetzee qui deviendra
son auteur fétiche, une sorte de fil rouge qui traversera
successivement (A)pollonia (2009), La Fin (création
française à la Comédie de Clermont-Ferrand en
janvier 2011), les Contes africains d’après Shakespeare
(2011), Kabaret Warszawski (2013) et Phèdre(s), sa
prochaine création, en mars 2016.
Des spectacles de théâtre mais aussi des spectacles
d’opéra, puisqu’il a mis en scène dix-sept œuvres
lyriques sur les quinze dernières années, Verdi, Gluck,
Berg, Wagner, Stravinsky, Strauss, Tchaïkovski, Janàček,
Mozart qui permettent à Krzysztof Warlikowski de
poser, ailleurs, avec d’autres contraintes, les mêmes
questions existentielles.
Ce travail en profondeur, qui ne refuse pas la radicalité,
ne laisse jamais indifférent. Mais cette « perturbation »
volontaire des spectateurs n’est pas pure provocation.
Elle est nécessaire pour faire entendre des voix
discordantes au moment où la peur de l’avenir, la peur
des « autres », des étrangers en particulier, poussent à
rechercher une sorte de consensus mou, réconfortant
mais trompeur. Refusant un théâtre qui ne se
nourrirait que de la beauté factice des images, qui
n’aurait pour but que de conforter le public dans ses
habitudes, qui ne serait plus qu’un produit marchand
au milieu de tous les produits marchands, Krzysztof
Warlikowski privilégie un théâtre de la parole, de
l’échange exigeant, de la confrontation des désirs.
Jean-François Perrier pour la Comédie de
Clermont-Ferrand, mai 2015.
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LES FRANÇAIS. REPORTAGE SELON PROUST ?
Krzysztof Warlikowski dans l’interview de Piotr Gruszczyński
Que représente, pour toi, le roman
de Proust ?
C’est une description de reporteur du
monde qui contient le diagnostic de
sa fin. Marquer cette fin que l’histoire
a rendue bien concrète fait que cette
réalité a été immédiatement transformée en mythe, tout en restant ancrée
et cachée très profondément en nous.
C’est le caractère mythique de ce
monde qui le rend important.
Pourtant, il est certain qu’au temps
du communisme il était possible de se
réfugier dans le monde de Proust pour
fuir cette réalité.
C’était le monde d’une idylle, son
apparence était impénétrable.
Oui, ceci semblait être une idylle,
alors que Proust évoque tout le
temps la cruauté de cette réalité et
en parle du point de vue de la perspective de sa victime. On peut alors
constater qu’attaquer Proust au
théâtre est aujourd’hui une action de
mise en scène postmarxiste ou même
néo-marxiste.
À quoi pourrait nous servir cette
chronique ? Est-elle le mythe fondateur de notre temps ? Existe-t-il un
parallèle entre cette façon anxieuse
et décadente qu’a Proust de percevoir le monde et celui dans lequel nous vivons
aujourd’hui ?
Nous avons ici cette figure : le petit Proust enregistre le
grand monde, d’où émerge un petit monde écrit par le
grand Proust. Mais pour moi, la perspective du regard
du petit Proust est beaucoup plus intéressante ; le petit
Proust, c’est le Proust qui a peur, névrotique, mi-Juif,
homosexuel qui se cache derrière une mystification
littéraire.
Pour moi, pour ceux qui se souviennent du communisme, ce mythe fondateur proustien a un caractère
un peu diffèrent de celui des sociétés occidentales. De
façon surprenante cet auteur était adoré par les autorités communistes. On se servait alors de l’image du
monde parisien dégénéré d’avant la Première Guerre
mondiale, et on l’utilisait devant le monde polonais
d’avant la seconde guerre mondiale comme épouvantail. On traitait Proust comme un critique du système.
Bien évidemment on passait à côté du fait que ce match
proustien s’achevait toujours au stade d’un individu
qui est confronté au temps, à la fugacité, à la mort. Et
pourtant, ce qui pourrait sembler être au départ une
critique du reporteur est une enquête sur le monde qui
déjà, aux yeux de Proust, devenait un monde mythique
et non pas réel. Chaque génération a besoin de sa décadence, de son sentiment de déclin et de sa fin. Est-ce
ainsi qu’on se protège d’un violent sentiment de perte
que la mort apporte à chacun ?
Proust reste quand même un critique de la réalité
très perfide : d’un côté il en démontre toutes ses
lâchetés et ses cochonneries, de l’autre il ne cesse
d’admirer ce monde qu’il décrit avec lucidité. En ce
sens, cette critique est une critique inefficace car en
ruinant certaines visions elle les renforce en même
temps.
Visconti jouait avec la réalité de la même façon.
Communiste et aristocrate, il portait un regard critique
sur le monde dans lequel il vivait, tout en nous laissant
l’image du crépuscule des dieux. Nous continuons tout
de même à parler des dieux. Et c’est exactement le sens
du monologue de Charlus sur Pompéi, qu’il déplore et
accuse à la fois de dilettantisme. Ceci est une sorte de
cercle vicieux des contradictions, propre à l’Europe. Ce
monde tellement beau est aussi coupable de la catastrophe dans laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui.
Celle-ci est aussi notre projection dans l’avenir. Nous
sommes témoins d’un processus perpétuel et récurrent
de barbarisation.
Qu’est-ce qui constitue les fondements du mythe
fondateur proustien ?
C’est cette phrase prononcée dans le dernier tome par
le Narrateur : « J’y décrirais les hommes, cela dût-il les
faire ressembler à des êtres monstrueux » qui constitue
la clé pour comprendre cette critique, à première vue
très drôle, de Proust, qui est à vrai dire redoutable. Elle
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ne provoque pas le cataclysme d’une nation, même si
l’affaire Dreyfus – qui constitue un des axes du roman –
est bien une catastrophe qui a divisé le monde à jamais.
l’homme que nous allons porter vers les temps futurs,
par exemple celui de l’année 2100 ou 3000. Le cinéma
italien se préoccupait-il de cette façon de l’homme ?
Serons-nous les derniers Mohicans de la pensée, à avoir
cru que, finalement, seul l’art peut réparer le monde ?
C’est vrai, il n’y a pas de grandes culminations dans
ce roman, tout est tissé légèrement et en silence. Il
faut une grande perspicacité au lecteur pour s’apercevoir de l’ampleur du scandale et de la provocation
de l’auteur.
Proust poudré et maquillé est un auteur très dangereux.
Le xxe siècle devrait le tuer pour ce roman, car il était
apparemment Français, mais finalement, Juif, provenant
d’une famille qui s’est naturalisée, non croyant ; un Juif
qui a renié son Dieu, en a accepté un autre, ou pas.
Toujours est-il, qu’à différents moments du xxe siècle,
des communistes juifs venaient de ce genre de milieu.
Il existe aussi une mythologie négative de Proust –
celle d’un écrivain incompréhensible et hermétique.
André Gide a refusé son manuscrit. Et pour le
théâtre – Proust n’a-t-il pas sa mythologie négative ?
Notre spectacle est composé de dix séquences, organisées selon la clé provenant des titres des tomes,
parfois des chapitres. Mais notre jeu avec ces titres et la
recherche de nouveaux sens commence déjà là. Du côté
des Guermantes ne signifie pas un voyage sentimental à
Combray chez Geneviève de Brabant mais un voyage
dans le plus redoutable des mondes qui est aussi celui le
plus désiré par le Narrateur, un monde qui le rejette de
par sa judéité, un monde antisémite s’isolant des gens
sans nom et sans passé. Dans Du côté de chez Swann
il n’y a pas non plus de voyage vers le sentiment d’un
enfant envers une fille, mais un voyage chez Swann Juif
et dreyfusard. Ce n’est pas Swann qui est le héros de
cette scène mais l’esprit de Dreyfus appelé par l’aristocratie détraquée comme lors d’une séance de spiritisme
chez Fellini. Sodome et Gomorrhe est déplacée vers les
temps de guerre et englobe les contenus du dernier
tome où le bordel masculin rempli de soldats français
devient pour Proust le meilleur moyen de décrire la
première guerre mondiale.
Nous nous sommes servis du titre À l’ombre des jeunes
filles en fleurs pour désigner un monologue tiré de
Sodome et Gomorrhe concernant la qualification particulière des homosexuels, monologue dans lequel Proust
transfère la nomenclature des sciences naturelles sur le
terrain humain. Première façon de légaliser l’homosexualité, qui dans la nature fonctionne naturellement.
Montrer l’homme en tant que fleur fécondée ou bien
stérile, fanée ou en fleurs soumet l’homme à quelque
obligation, comme celle de la reproduction, ce qui ne
lui permet pas de faner en vain. Proust, libéré de religion, se permet de voir l’homme à travers Darwin et la
nature dans une grande liberté et propreté des espèces.
Cette perspective libère de toutes les peurs, tabous et
psychoses.
Pour Proust, la métaphore d’un monde étant en
train de se figer dans un mythe reste l’histoire de
Pompéi. Une civilisation arrêtée dans son geste,
un film dont la bande casse dans la ville dans
laquelle, sur les murs, a été trouvée cette inscription
« Sodome, Gomorrhe ». Avec quoi remplirais-tu ta
ville de Pompéi ?
Je la remplirais avec le cinéma italien – celui qui
commence avec Rossellini et qui va jusqu’à la mort
emblématique de Fellini. Ce cinéma accompagnait
l’homme d’après-guerre, en essayant de le créer à
nouveau. Ce cinéma a disparu brusquement laissant
derrière lui cette question : pourquoi a-t-il disparu,
pourquoi n’est-il plus là aujourd’hui ?
La Soumission de Houellebecq présente une société
française en tant que monde apparu après la chute
de Pompéi, monde dans lequel le travail sur soi n’a
pas été accompli, mais dans lequel, suite au cynisme,
à l’atrophie de la passion, au dilettantisme, à l’ignorance, au calcul et à la stérilisation totale de ce qu’on
pourrait appeler une arche de culture, nous avons
renoncé à la culture européenne, nous soumettant
à l’islam.
Cette antonymie Prout–Houellebecq est très forte. L’un
ouvrait le xxe siècle, l’autre le xxie, et chacun y décrit la
catastrophe de son temps.
Ce qui est encore pire que le vieillissement de l’Europe,
est le vieillissement de la culture européenne et de son
modèle. Nous nous préoccupons de l’économie et de la
politique qui traversent régulièrement des crises, alors
que la lutte devrait concerner l’homme ; comment sera
Mais Proust se tient toujours à distance, ironique
vis-à-vis de l’objet de sa recherche. Comme l’avait
pertinemment observé Walter Benjamin, Proust
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avait l’index très fortement développé et un
toucher très léger. Ceci étant, le reportage proustien ne peut pas être poignant, il en deviendrait
inélégant.
C’est une littérature très perverse, qui jette de la
poudre aux yeux du lecteur. C’est peut-être pour
cette raison que Proust n’a apparemment pas changé
le monde grâce à son roman, alors qu’il y est malgré
tout parvenu. C’est nous qui ne savons toujours pas
le concrétiser.
Les Français. Reportage selon Proust ?
« Reportage », c’est aussi un mot français.
Traduit par Anna Kiełczewska, Piotr Gruszczyński
POUR ALLER PLUS LOIN
Krzysztof Warlikowski. Théâtre écorché, ouvrage
conçu et réalisé par Piotr Gruszczyński, postface
de Georges Banu, traduit du polonais par MarieThérèse Vido-Rzewuska, éd. Actes Sud, 2007.
Proust ne permet pas de le rendre responsable de
ce qu’il a écrit. Il fuit dans la littérature.
Au théâtre il faut le coincer, faire en sorte que de ses
mots intangibles sortent un cri. Proust crié est une
contradiction, quelque chose d’impossible.
Proust cache et camoufle, par exemple dans le salon
de Guermantes, il parle de choses quotidiennes,
de botanique, d’affaires politiques, il y colporte les
derniers potins ; il emprisonne Orianne ainsi que
toutes les émotions des personnages de cette scène.
C’est un jeu pratiqué avec des gants, un jeu sur les
hommes – impalpable et déchirant à la fois. Puis c’est
La Prisonnière ou plutôt le prisonnier, prisonnières,
prisonniers. Femmes, hommes, hommes-femmes,
jalousie des femmes avec les femmes, jalousie des
femmes avec les hommes, des hommes avec des
femmes, des hommes avec des hommes. Et enfin la
mystification de l’homme homosexuel qui crée une
fiction de l’amour pour la femme homosexuelle.
Pourquoi Proust en inventant les histoires de l’amour
d’un homme pour une femme doit-il être jaloux de
la femme qui elle, a d’autres femmes ? Est-ce que cela
veut dire que Proust parle de sa jalousie plus intense
vis-à-vis des hommes – jalousie de ses femmes, ou
plutôt jalousie de ses hommes ?
Et tout cela s’appelle Les Français.
Il fallait bien trouver un dénominatif commun à tous
ces personnages, à leur caractère iconique et barbare.
Le caractère français c’est ce que l’on admire généralement. Mais nous pouvons y penser en songeant à
quelque chose de dégénéré. Il existe pourtant deux
incarnations de ce que le caractère français englobe
– le monument de la République et le siège d’aisances de Louis XIV que toute la France peut voir
à Versailles.
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ENTRETIEN AVEC PIOTR GRUSZCZYNSKI, DRAMATURGE
« Le texte dans le théâtre de Krzysztof Warlikowski
est toujours le point de départ. »
Le travail de dramaturge
Quelles difficultés avezn’est pas le même d’un
vous rencontrées dans le
pays à l’autre. Pouveztravail d’adaptation ?
vous expliquer en quoi
P.  G. : Une des plus grandes
consiste le vôtre, ainsi
difficultés
que
Proust
que votre partenariat avec
impose au théâtre est la
Krzysztof Warlikowski ?
convention apparente qui
Piotr Gruszczynski : Le
tire le théâtre dans l’impasse
travail du dramaturge est
de la comédie de salon.
strictement défini par le
Pendant les répétitions
metteur en scène avec lequel
surgissait
souvent
le
il travaille. Chaque fois, ces
problème du « quatrième
« liaisons » sont différentes.
mur » et de l’enfermement
Dans le cas de Krzysztof, le travail est divisé en des salons dans leur propre réalisme, ce qui n’est pas
deux étapes : la première est fondée sur l’écriture en du tout la nature du texte de Proust.
commun du scénario, basée sur une composition de
fragments de textes différents ; la deuxième, c’est le Comment se fait la rencontre du texte avec les
travail avec les acteurs
acteurs et le travail de
et la recherche de la Dans le cas de Proust, il était évident plateau ?
forme finale du texte depuis le début qu’il ne pouvait s’agir P.  G. :
Le
texte
qui devient partie d’une adaptation mais d’une création dans le théâtre de
intégrante de la vision personnelle de Warlikowski.
Krzysztof Warlikowski
du metteur en scène. Le
est toujours le point
processus dramaturgique est fondé sur l’extraction, de départ. Le travail ne commence pas par des
au moyen de textes préexistants, de ce qui est caché inspirations visuelles ou musicales mais par le texte,
dans la tête du metteur en scène. Parfois on cherche donc par le sujet, donc par le cas dont on parlera.
un texte sur un certain sujet, parfois on l’écrit, mais Dans un sens, le texte est aussi le point d’arrivée : il
en général le processus est fondé sur l’intuition et les devient un élément vivant du spectacle, il résonne,
pressentiments. Ce n’est pas l’écriture sur scène mais donne à penser et à discuter, il tient le cas et le
une sorte de maïeutique.
discours, il est responsable des significations du
spectacle.
Comment s’est élaboré le travail d’adaptation,
quels axes de lecture, quels thèmes avez-vous Certaines scènes, comme le Prologue, sont
retenus ?
librement inspirées de À la recherche du temps
P.  G. : Dans le cas de Proust, il était évident depuis le perdu, d’autres passages sont des extraits, comme
début qu’il ne pouvait s’agir d’une adaptation mais l’épisode des catleyas ou des chaussures rouges
d’une création personnelle de Warlikowski sur le cas d’Oriane. Comment ces choix de scènes se sontde Proust. Nous ne voulions créer ni narration ni fils ils faits ?
fictionnels. Nous avons suivi la piste des cas et des P.  G. : Le spectacle est fidèle à la matière proustienne,
scandales de ce roman, des sujets les plus importants : mais il n’a pas toujours été possible de trouver
l’affaire Dreyfus, l’antisémitisme, l’homosexualité, dans le texte de Proust les scènes ou les cas dont
la vieillesse, la mort, la mémoire comme source de on avait besoin pour créer le spectacle. La scène du
culpabilité.
Prologue, qui est l’invocation de l’Esprit, n’existe
pas dans l’œuvre de Proust même si le spiritisme
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cette scène mais, invoqué par une aristocratie idiote,
comme dans une séance de spiritisme de Fellini,
l’esprit de Dreyfus. Sodome et Gomorrhe se déplace
dans les époques de guerre et couvre le contenu du
dernier volume où le bordel masculin rempli par
les soldats français décrit le mieux, selon Proust,
L’adaptation théâtrale donne l’illusion de la première guerre mondiale. Nous avons nommé
suivre l’ordre chronologique des volumes d’après le titre À l’ombre des jeunes filles en fleurs un
de La Recherche, hormis « Combray » qui est monologue pris de Sodome et Gomorrhe concernant
juste suggéré par les champs de blé à la fin du une classification particulière de types d’homosexuels
spectacle. Pourtant, les passages de La Recherche dans lequel Proust a transposé la nomenclature de
que vous intégrez ne suivent pas toujours l’ordre la nature sur le terrain humain. C’est une première
des textes. Par exemple, vous faites précéder façon de légaliser l’homosexualité en montrant
la partie À l’ombre
qu’elle
fonctionne
des jeunes filles en [Le texte] devient un élément vivant du naturellement
dans
fleurs par le grand
la
nature.
Une
spectacle, il résonne, donne à penser et présentation
monologue,
essai
d’un
sur l’homosexualité, à discuter, il tient le cas et le discours, homme comme une
qui introduit Sodome il est responsable des significations du fleur
fécondée
ou
et Gomorrhe. Quelle spectacle. […] La majorité des textes stérile, flétrie ou en fleur
logique
avez-vous utilisés dans le spectacle provient du – cette floralité impose
suivie
lorsque
à l’homme plusieurs
roman. vous avez conçu le
obligations
comme
montage ?
la reproduction qui ne l’autorise pas à « flétrir »
P.  G. : La logique des titres qui apparaissent dans pour rien. Libéré de la religion, Proust se permet
le spectacle ne reflète pas souvent les liens entre le de voir l’homme à travers Darwin et la nature dans
contenu et les titres du roman. On a aussi changé une grande liberté et une pureté de l’espèce. Cela
leur ordre. C’est un premier piège pour le spectateur donne une libération de toutes les peurs, tabous et
qui a pour but de
psychoses.
stimuler sa vigilance Libéré de la religion, Proust se permet de
discursive envers le
voir l’homme à travers Darwin et la nature Vous préparez une
spectacle. C’est aussi
adaptation des sousune manifestation de dans une grande liberté et une pureté de titres pour le public
la vision de Proust l’espèce. Cela donne une libération de français début 2016.
par Warlikowski. Le toutes les peurs, tabous et psychoses.
Comment comptezmetteur en scène parle
vous
aborder
le
ainsi des titres dans une conversation que nous avons caractère très littéraire de la langue de Proust ?
eue avant la première : « Le spectacle est constitué P.  G. : La traduction polonaise faite par l’excellent
de dix séquences disposées sur la base des titres des Tadeusz Boy-Zelenski dans les années trente a
volumes, parfois des chapitres. Ici commence notre aussi un caractère très littéraire et suit fidèlement
jeu avec ces titres et la recherche de significations l’original. Le caractère littéraire de la langue de
nouvelles. Le Côté de Guermantes ne signifie pas de Proust ne masque même pas à un quelconque degré
voyage sentimental à Combray chez Geneviève de l’acuité de ses observations et de ses opinions ce qui
Brabant, mais un voyage dans le monde le plus terrible ne fait qu’aider l’intention de Warlikowski.
et en même temps le plus convoité par le Narrateur
– qui le rejette à cause de sa judéité – et qui est un Entretien réalisé par Amélie Rouher en août 2015,
monde antisémite. Dans Du côté de chez Swann, il à Gladsbeck, Allemagne, dans le cadre du festival
n’y a pas de voyage vers le sentiment d’un enfant Ruhrtriennale, pour la réalisation du dossier
envers une fillette mais un voyage chez Swann, Juif pédagogique du spectacle.
et dreyfusard. Ce n’est pas Swann qui est le héros de
y est mentionné plusieurs fois. À partir de ce stade
précoce, on savait qu’on voulait « entrer » dans
Proust par l’invocation de l’Esprit, on a donc dû
construire cette scène. Toutefois, la majorité des
textes utilisés dans le spectacle provient du roman.
13
ZOOM SUR À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU
est traversée par l’onde de choc de l’affaire Dreyfus (1894
– 1906). Surtout, il se fait le témoin d’une époque essoufflée et méchante où l’ennui, sous couvert de la meilleure
éducation et de la belle langue, creuse le berceau de l’ensemble des haines raciales et sexuelles qui dévoreront le
reste du XXe siècle.
UNE LENTE GENÈSE
Fils d’un célèbre professeur de médecine, Marcel Proust
connaît une enfance bourgeoise à Paris. Asthmatique, il
devra très tôt composer avec la maladie. Après des études
de droit et de lettres, il se tourne vers la littérature et
mène une vie mondaine. Il connaît des débuts prometteurs de critique littéraire et artistique.
La mort de sa mère, en 1905, constitue une rupture. Il
décide alors de devenir écrivain, publie Les Pastiches et
Contre Sainte-Beuve en 1908 et se lance dans l’écriture
de son grand œuvre. De 1909 à 1922 – année de sa mort
–, il vit reclus et malade dans sa chambre capitonnée de
Liège, écrivant la nuit.
UN NARRATEUR OMNIPRÉSENT
La conscience du narrateur est le centre de cette fresque,
un « je » à partir duquel les événements et les personnages
sont perçus, à l’exception de « Un amour de Swann » qui
est écrit à la troisième personne. Proust exploite toutes
les ressources de ce narrateur-personnage : le narrateur
raconte en effet après coup ce qu’il a vécu et vu ; il est
en même temps celui qui rapporte aux lecteurs ce qui lui
arrive, son apprentissage de la vie ; il est enfin le « je » de
l’écrivain en devenir tel qu’il se découvre à la fin du Temps
retrouvé.
UNE « CATHÉDRALE »
Selon ses termes, Proust a conçu son cycle romanesque,
près de 3000 pages, comme « une cathédrale », dont tous
les éléments – personnages, lieux, thèmes – se répondent.
Le plan, évoluant au fil de l’écriture, comprendra finalement sept volumes. Une somme romanesque.
LE ROMAN DU TEMPS
Comme le suggère le titre, le temps est la matière même de
l’œuvre. Le récit s’étend de la fin du xixe siècle au lendemain de la première guerre mondiale. Tout commence
avec le goût d’une madeleine trempée dans du thé, qui
fait subitement resurgir le passé et le paradis de l’enfance ;
tout s’achève avec Le Temps retrouvé et l’évocation d’une
réception mondaine chez le duc de Guermantes. Le
narrateur rassemble alors une dernière fois ses personnages pour observer sur eux les marques du vieillissement
et l’approche de la mort.
Mais au cours de cette même réception, à trois reprises,
le narrateur éprouve une sensation extraordinaire de
bonheur qu’il parvient à éclaircir à la fin du livre : le
passé survit en nous, ressuscité à l’occasion de sensations
privilégiées auxquelles nous ne prêtons pas attention d’ordinaire. Il y a donc une vraie part de nous-mêmes qui
peut survivre au pouvoir destructeur du temps grâce au
souvenir et à l’art.
UN ROMAN D’APPRENTISSAGE
L’œuvre trouve son unité dans la conscience d’un narrateur-personnage, dont on ne connaît que le prénom,
Marcel, dont on ne sait presque rien physiquement et
dont on suit, à travers le récit qu’il en fait, les grandes
étapes de la vie : l’enfance heureuse à Combray, l’adolescence (À l’ombre des jeunes filles en fleurs), l’accès à l’âge
d’homme et les premières expériences amoureuses (La
Prisonnière, Albertine disparue), et enfin, la maturité (Le
Temps retrouvé).
L’œuvre proustienne s’inscrit dans la tradition du roman
d’apprentissage du xixe siècle. Comme l’indique le titre, le
récit est une quête, jalonnée d’obstacles et de souffrance
– oublis, futilités mondaines, jalousies, trahisons – qui
détournent le narrateur de son but. Les initiateurs sont
des figures d’artistes : l’écrivain Bergotte, le peintre Elstir,
le musicien Vinteuil permettent à celui-ci de pénétrer les
salons et d’accéder au monde de l’art.
LE ROMAN DU LECTEUR
Cette immense comédie sociale, qui peut se lire
aujourd’hui sur le même modèle qu’une série, est aussi
une extraordinaire saga de l’âme : l’éveil, l’attente, la
jalousie, la perte, le deuil, le vieillissement. Quel que soit
l’âge où il se plonge dans la lecture, le lecteur est toujours
mis en position d’identification. Sans doute parce que
l’expérience singulière du narrateur est avant tout une
recherche de compréhension, à la fois philosophique et
poétique, de nos propres processus psychologiques. Ainsi,
À la recherche du temps perdu est aussi celle de notre
temporalité intérieure, et l’œuvre, un immense miroir
retourné où « chaque lecteur est quand il lit le propre
lecteur de soi-même. »
UNE FRESQUE SOCIALE ET POLITIQUE
Comme La Comédie humaine de Balzac, La Recherche
est une vaste somme qui brosse le tableau d’une époque.
Proust met en scène d’innombrables personnages qui
constituent une galerie de types humains observés à
travers leurs défauts, leurs tics, leurs ridicules, leur part
d’ombre : Odette la demi-mondaine, la duchesse de
Guermantes l’aristocrate, Charlus l’homosexuel honteux,
Rachel l’ancienne prostituée devenue tragédienne, Morel
le musicien arriviste et corrompu…
Le romancier fait ainsi revivre, sous le regard ironique du
narrateur, toute une société avec ses clans, ses hiérarchies
sociales (le clan Verdurin, le salon des Guermantes) et qui
14
L’AFFAIRE DREYFUS
L’affaire Dreyfus, et même l’esprit de Dreyfus, jouent un
rôle significatif dans la pièce Les Français, inspirée par le
chef-d’œuvre de Marcel Proust À la Recherche du temps
perdu. Jusqu’à ce jour, on peut même dire que cet esprit
hante [non seulement] la France [mais aussi l’Europe].
[…]
Reste certainement en mémoire le traumatisme de
l’époque, l’atmosphère de guerre civile, la confrontation
de deux France, de deux visions du monde, de deux
systèmes de valeurs contradictoires. […]
Dans l’affaire Dreyfus, on peut déjà percevoir le premier
signal de la montée de ressentiments, de peur et de nationalisme à laquelle cette époque de progrès et d’optimisme
de la fin du xixe siècle devra bientôt faire face. La haine
et l’obscurantisme n’étaient pas uniquement les résidus
d’anciens préjugés, mais un feu vif qui allait bientôt
consumer l’Europe. […]
En décembre 1894, un officier d’artillerie qui travaille à
l’état-major général – le juif Alfred Dreyfus – est accusé de
trahison au profit de l’Allemagne, sur la base de preuves
falsifiées. Condamné par le tribunal militaire pour coopération avec un service de renseignement étranger, Dreyfus
est condamné à la déportation à perpétuité et envoyé au
bagne de Guyane sur l’île du Diable. L’accusation repose
sur un mémorandum manuscrit trouvé dans la poubelle
d’un attaché militaire de l’Ambassade d’Allemagne. Les
preuves sont faibles, l’écriture différente de la sienne, mais
malgré cela, le document compromet Dreyfus. Pourtant,
les éléments à charge n’ont même pas été présentés
publiquement.
Peu de temps après, le commandant Georges Picquart,
chef des services de renseignements, a prouvé que ce
mémorandum émanait d’un officier issu d’une famille
aristocratique hongroise, Marie Charles Esterhazy.
Reconnaître cette faute et admettre l’innocence de Dreyfus
était pourtant inconcevable pour l’état-major général :
l’idée de hiérarchie et l’honneur de l’armée étaient en jeu.
Esterhazy a été disculpé et le brave Picquart emprisonné.
Pourtant, le dossier de l’accusation a été plus que fragilisé
par la révélation de la fabrication du document clé contre
Dreyfus par l’officier Joseph Henry (qui confessera sa
faute avant de se suicider).
C’est à partir de ce moment-là que le jugement contre
Dreyfus devient une cause, « l’affaire Dreyfus », et un
champ de bataille dans une France profondément divisée.
Les uns, à savoir les dreyfusards, demandent « justice et
vérité », la réouverture du procès et l’acquittement du
capitaine ; les autres, les antidreyfusards, défendent l’autorité et l’honneur de l’armée, en rejetant l’idée même
d’un nouveau procès. Devenu porte-parole des premiers,
en janvier 1898, après l’acquittement d’Esterhazy accusé
de trahison, Émile Zola a publié une lettre ouverte au
président, au titre fameux, « J’accuse ! », dans laquelle il
accusait l’état-major général de falsification délibérée
conduisant à la condamnation d’un innocent.
Des centaines d’intellectuels et artistes français se sont
joints à lui. Proust en faisait partie ; il se décrivait lui-même
comme « dreyfusard de la première heure ». […]
Existe-t-il dans l’histoire polonaise un équivalent à l’affaire Dreyfus ? On pense forcément à mars 1968. La
campagne antisémite eut alors pour but de protéger
l’ordre politique existant contre le mécontentement grandissant d’une grande partie de la société. Tout comme
dans l’affaire Dreyfus, de forts éléments de provocation
s’y ajoutaient. Dans la propagande de l’époque, les Juifs
étaient associés, tout comme en France au temps de l’Affaire, à des forces étrangères. Il est incontestable que cette
propagande a été accueillie favorablement par une partie
de l’opinion publique. Il y avait ceux qui avaient peur du
changement, ceux qui se laissaient séduire par les notes
de nationalisme et ceux, nombreux, qui acceptaient le
message anti-judaïque.
En 1968, en Pologne, nous avons observé ce qu’avait
révélé l’affaire Dreyfus, peut-être pour la première fois,
et ce qui a été brillamment analysé par Hannah Arendt :
l’antisémitisme comme plate-forme de coalition d’une
partie des élites avec la foule, dans le mépris des valeurs
libérales et démocratiques. Au sein de cette coalition,
Arendt voyait les prémices des mouvements totalitaires du
vingtième siècle. Le mars polonais avait bien évidemment
un caractère d’épigone, il était dépourvu de l’énergie et
du potentiel totalitaire et révolutionnaire. Il constituait
la dernière convulsion nostalgique d’un régime qui se
mourait. […] Ce que raconte exactement la lente décadence
de la famille Guermantes. [NDLC]
Extraits du texte d’Aleksander Smolar écrit pour le dossier
polonais des Français.
Ce n’était pas l’antisémitisme qui était à l’origine de
l’affaire Dreyfus, mais au contraire l’affaire Dreyfus qui a
contribué à sa « popularisation » et à sa radicalisation. […]
Pourquoi alors l’affaire Dreyfus est-elle toujours présente
dans l’esprit des Français, et pas seulement des Français ?
15
LES PERSONNAGES
Guermantes. Amoureuse de Charles
Swann. Une icône de beauté, de goût,
d’humour et d’élégance.
Marcel – Narrateur du roman, alter
ego de Marcel Proust. C’est lui qui
nous fait passer d’une situation à une
autre, en étant son témoin muet ou
déclencheur de conflits. Il transforme en
mythe ses sentiments envers des femmes
qui prennent la dimension d’icônes :
Oriane de Guermantes, Odette de Crécy,
Madame 
Verdurin, Rachel. C’est ce
genre de sensibilité qui produit la liaison
du Narrateur avec Albertine. En la
soupçonnant dès le début d’inclination
homosexuelle, il la suit, la guette et
pour finir l’emprisonne dans une sorte
de résidence forcée. Après la mort
tragique d’Albertine, la fiction littéraire
de relation avec une femme prend
l’importance d’un événement réel. Le
narrateur pose jusqu’à la fin la question
sur la véracité de cet amour, qui était, de
fait, une mystification littéraire à l’égard
de son homosexualité.
Charles Swann – Alter ego de Marcel.
Juif bien intégré, riche amateur d’art.
Favori d’Oriane de Guermantes, il
évolue dans la haute société. Snobé
à cause de son mariage avec Odette,
comédienne et prostituée (avec qui il a
une fille nommée Gilberte), et à cause
de ses sympathies dreyfusardes.
Odette de Crécy – Actrice de cabaret,
prostituée, femme entretenue. Après la
mort de Swann, elle hérite de sa fortune
et épouse un noble ruiné, devenant
Comtesse de Forcheville. Veuve à
nouveau, elle devient l’amante de Basin
de Guermantes.
LE CLAN GUERMANTES
Albertine Simonet – L’une des
jeunes filles rencontrées à Balbec, le
grand amour de Marcel, lesbienne.
N’a pas d’argent, vit chez sa tante.
Est l’amie de Mademoiselle Vinteuil,
extravagante lesbienne, fille du
célèbre compositeur. Peu après sa
rupture avec Marcel, elle meurt dans
un accident, peut-être un suicide.
Basin de Guermantes – Désigné dans
le livre sous le nom de Basin – 12e
Duc de Guermantes, membre de la
branche principale de la famille grâce
à son mariage avec sa cousine, Oriane.
Coureur de jupon invétéré. Sa femme
est la seule femme que Basin ne désire
pas, la considérant comme sa propriété,
un des plus rares oiseaux de sa collection
qui lui donne de l’importance.
Oriane, Duchesse de Guermantes –
De la branche principale de la famille
de Guermantes, mariée à Basin de
16
Baron de Charlus – Aussi connu sous
le nom de Palamède, membre de la
famille de Guermantes, veuf d’environ
cinquante ans, extrêmement intelligent,
à la conversation brillante, vedette de la
haute société, homosexuel, misogyne
et antisémite. Devient le protecteur du
violoniste Morel. Aristocrate hautain qui
méprise la bourgeoisie, sa réputation est
détruite par Madame Verdurin. Charlus
estime beaucoup Swann, qui est la seule
autorité qu’il reconnaisse.
artistes talentueux. Très riche. Déterminée
à monter dans la société, elle tente de
surpasser les salons aristocratiques. Elle se
considère la « maîtresse » du « petit clan »,
comme elle appelle ses hôtes. Mariée
à Gustave Verdurin. À sa mort, après
une seconde noce, elle finit par épouser
Gilbert de Guermantes et adopte le titre
de Princesse.
Charles Morel – Fils d’un valet,
violoniste. Diplômé du conservatoire,
premier prix. Déserteur. Fournit à
Albertine ses amantes à Balbec. Protégé
de Madame Verdurin. Vit aux dépens
de Charlus. Amant de Gilbert de
Guermantes.
Gustave Verdurin – Mari de Sidonie
Verdurin. Dévoué à sa femme et fasciné
par elle, il vit complètement dans son
ombre. Meurt pendant la guerre.
Reine de Naples – Personnage
historique, sœur de l’Impératrice
Élisabeth d’Autriche, mariée à François
II, Roi de Naples. Détrônée, elle partit
vivre dans la pauvreté, dans la banlieue
parisienne de Neuilly.
« LES FIDÈLES » ET LES AUTRES
Robert de Saint-Loup – Neveu préféré
d’Oriane, officier, ami de Marcel, amant
de l’actrice juive Rachel. Finit par
épouser la fille et héritière de Swann,
Gilberte. Marcel apprend que Robert
est homosexuel et qu’il a une liaison avec
Morel. Tué pendant la Grande Guerre
et enterré avec les honneurs militaires.
Gilbert, Prince de Guermantes – Mari
de Marie de Guermantes, bisexuel, aux
opinions conservatrices et antisémites.
Parangon de la vieille noblesse française.
A eu une liaison avec Morel. Sans
ressources après la mort de Marie, il
épouse l’ancienne Madame Verdurin,
devenue Duchesse de Duras.
Princesse de Parme – Aristocrate,
« habituée » du petit cercle des « fidèles »,
snob.
LES ARTISTES
Gilberte – Fille de Swann et d’Odette,
premier amour, non réciproque, de
Marcel. A épousé Robert de Saint-Loup,
qui lui est infidèle. Ils ont une fille. Une
des maîtresses d’Albertine.
Marie, Princesse de Guermantes –
Première femme du Prince Gilbert de
Guermantes, Duchesse de Bavière.
LE CLAN VERDURIN
Rachel – Prostituée, femme entretenue,
comédienne. Juive. Fiancée à Robert
de Saint-Loup, qui ignore son passé.
Abandonnée par Saint-Loup, elle
réapparaît, plus grande comédienne de
son temps.
Sidonie Verdurin – Tient un salon
bourgeois que les Guermantes considèrent
être le sommet de la prétention, mais qui
est néanmoins fréquenté par de jeunes
17
Alfred Dreyfus (Le fantôme de) –
Officier d’origine juive, accusé à tort
par deux fois et jugé coupable de haute
trahison. La question antisémite occupe
une grande partie des conversations
mondaines dans La Recherche où
l’action est censée se dérouler de la fin
du xixe siècle jusqu’à l’éclatement de la
Grande Guerre.
NOTES
18
NOTES
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LES RENDEZ-VOUS À VENIR
LECTURE
KRZYSZTOF WARLIKOWSKI
ET LA COMÉDIE
DE CLERMONT-FERRAND
PHÈDRE(S)
Krzysztof Warlikowski
Salle Gaillard
2, rue Saint-Pierre
jusqu‘au 30 janvier
Du 27 au 29 mai 2016
Exposition rétrospective des photographies de Jean-Louis Fernandez,
photographe associé à la Comédie
de Clermont-Ferrand, retraçant les
spectacles du metteur en scène polonais reçus par la Comédie : La Fin
(2011), Kabaret Warszawski (2014)
et Les Français (2016).
Avec Isabelle Huppert
distribution en cours
Dates uniques en tournée française,
après la création à l’Odéon –
Théâtre de l’Europe.
MARIE MADELEINE MARGUERITE
DE MONTALTE (M.M.M.M.)
Jean-Philippe Toussaint
et The Delano Orchestra
14 et 15 mars 2016
création
Né d’une rencontre forte entre
l’écrivain Jean-Philippe Toussaint
et le musicien Alexandre Delano,
M.M.M.M. est un projet unique et
protéiforme. L’auteur se met pour
la première fois en scène, en lecteuracteur, entouré du Delano Orchestra
et des vidéos qu’il a réalisées à partir
de séquences narratives issues de son
cycle romanesque autour de Marie :
Faire l’amour, Fuir, La Vérité sur
Marie et Nue. Hommage à la femme
aimée, ce spectacle musical est aussi
une ode à la littérature.
LES FRANÇAIS
en tournée
• 30 et 31 janvier 2016
Comédie de Reims
CRÉATION EN RÉSIDENCE
À CLERMONT-FERRAND
du 9 au 13 mars
PRODUCTION
LA COMÉDIE
DE CLERMONT-FERRAND
• Du 11 au 13 février 2016
Comédie de Genève
• 22 et 23 mars 2016
Tarbes, Le Parvis
• 18-19 et 22-25 novembre 2016
Paris, Théâtre de Chaillot
• 2 et 3 décembre 2016
Mulhouse La Filature
TOUTE L’ACTU,
DES PLACES À GAGNER
vidéos, photos, documents,
actus sont sur le site
www.lacomediedeclermont.com
TOURNÉE 2015-2016
• 22 mars 2016
CDN Orléans
• 4 avril 2016
Odéon - Théâtre de l’Europe
• 28 avril 2016
Théâtre de Liège
lojelis
Nº LICENCE DIFFUSEUR : 1063592 SIRET : 413 893 140 000 25 APE : 9001 Z
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