Médecine du Maghreb 1996 n°57
RÉSUMÉ
L’exentération pelvienne, malgré la lourdeur de son
geste chirurgical, voit ses indications s’étendre de plus
en plus. Un bilan préthérapeutique doit viser à sélec-
tionner des patients dont le risque opératoire est faible.
L’exentération pelvienne doit avoir une prétention
curative, l’exentération palliative a des indications bien
codifiées.
Les progrès des techniques chirurgicales et des moyens
de réanimation ont contribué énormément à l’amélio-
ration des taux de mortalité et de survie à 5 ans.
Pour augmenter l’acceptation de ce type de chirurgie,
plusieurs techniques visent à conserver le schéma cor-
p o rel du patient c’est le cas des dérivations urinaire s
continentes, la colostomie périnéale continente et enfin
la reconstruction vaginale.
Mots clés : Cancer pelvien, exentération pelvienne,
dérivations urinaire et colique continentes, reconstruc-
tion vaginale.
II - BILAN PRÉTHÉRAPEUTIQUE
Le bilan d’extension
La sélection préopératoire des patients impose un bilan
complet, l’examen clinique est une étape fondamentale
pour apprécier l’extension locorégionale, il comprend
essentiellement un examen gynécologique au mieux sous
anesthésie générale assisté parfois par un médecin radio-
thérapeute. Une cystoscopie ou une rectoscopie peuvent
terminer cet examen clinique. Pour affiner le diagnostic des
examens paracliniques peuvent s’imposer : L’ u r o g r a p h i e
intraveineuse, l’échographie abdominale, voir une tomo-
densitométrie.
Le bilan d’extension à distance peut comporter : une écho-
graphie abdominale surtout hépatique, un scanner abdomi-
nal, une radiographie pulmonaire parfois une tomodensito-
métrie cérébrale.
Les contre-indications
* L’âge : au delà de 60 ans
* L’état généralement altéré
* Les tares : L’obésité, le diabète, une affection respira-
toire chronique, une pathologie cardio vasculaire
* Les contre-indications carcinologiques :
- Les douleurs sciatiques et obturatrices témoignent
d’une évolution majeure.
- L’oedème des membres inférieurs est le corollaire
d’un blocage lymphatique et veineux du pelvis (7).
- L’envahissement osseux.
- L’existence de métastases hépatiques et ganglion-
naires notamment lombo-aortiques.
LES EXENTERATIONS PELVIENNES
DANS LES CANCERS : MISE AU POINT
H. HACHI, A. BOUGTAB, M.A. BEN BOUZID, C. EL BAROUDI, F. TIJANI,
A. OTTMANY, A. JALIL, S. BENJELLOUN, F. AHYOUD, A. SOUADKA.
Service de chirurgie carcinologique
P r. A. SOUADKA - Institut national d’oncologie Sidi Mohammed Ben
Abdellah - Rabat - Maroc.
I - INTRODUCTION
L’exentération pelvienne est un acte chirurgical très lourd,
elle regroupe une série d’interventions de la sphère gyné-
cologique qui associent une exérèse élargie de l’appareil
génital à une ablation le plus souvent totale de la vessie
et/ou du recto sigmoïde.
Quatre types d’interventions sont ainsi définies :
- L’exentération antérieure : emporte la vessie
- L’exentération postérieure, emporte le rectum ou le
recto sigmoïde.
- L’exentération totale emporte la vessie et le rectum.
- L’exentération atypique ou partielle : emporte une partie
de la vessie ou du rectosigmoïde.
Médecine du Maghreb 1996 n°57
III - LA STRATÉGIE CHIRURGICALE
A - Le temps commun des exentérations pelviennes :
1- La position et la voie d’abord :
Le patient est installé dans une position de décubitus dorsal
parfois la position gynécologique en double équipe est
nécessaire.
La voie d’abord la plus empruntée est la médiane larg e -
ment prolongée au dessus de l’ombilic.
2- Le temps d’exploration :
Les métastases hépatiques sont recherchées par la pal-
pation du foie en totalité aidée par l’échographie per
opératoire.
L’exploration permet aussi de rechercher des métastases
péritonéales ou épiploïques et ganglionnaires intéressant
les chaînes iliaques externes et lomboaortiques.
Dans un second temps, l’extension locorégionale doit être
appréciée elle constitue un élément déterminant de la resé-
quabilité. En avant, les rapports avec le pelvis sont préci-
sés, en arrière : un décollement présacré impossible est
synonyme d’un envahissement du sacrum. Latéralement, il
faut préciser les rapports avec la paroi pelvienne en parti-
culier le plexus sacré.
3 - La lymphadenectomie :
Elle est systématique, peu d’auteurs la réalisent à l’étage
lomboaortique
B - Les différents types d’exentérations :
1- L’exentération antérieure :
Le premier temps est identique à celui de la colpohysterec-
tomie, il comprend successivement : l’ouverture du liga-
ment large, la ligature section du ligament lombo ovarien
après un repérage urétéral, la section du ligament rond et
en fin la ligature de l’artère utérine.
Dans un second temps les uretères sont sectionnés au
dessus du détroit supérieur. Le troisième temps consiste au
décollement antérieur et d’abord du col vésical.
Le temps suivant est le temps postérieur se résume à la sec-
tion des ligaments utero sacrés et au décollement recto
vaginal ; l’intervention est terminée par la section succes-
sive du vagin et la paroi vaginale postérieure.
2 - L’exentération postérieure :
Le premier temps rejoint celui de la colpohysterectomie, le
second temps consiste au décollement rétrorectal poursuivi
le plus bas possible jusqu’au plan des muscles releveurs ;
le troisième temps consiste à la section de la paroi vaginale
antérieure et de la paroi vaginale postérieure ; la pièce n’est
retenue que par le rectum et les ailerons latéraux dont la
section au ras de la paroi terminera le temps abdominal.
Dans le temps périnéal, la graisse ischiorectale est empor-
tée de toutes parts et après section très périphérique des
muscles releveurs la pièce est extériorisée par retourne-
ment.
3 - L’exentération totale :
Dans l’ensemble l’exentération totale est plus facile à réa-
liser que l’exentération antérieure car elle évite un temps
relativement difficile que représente la dissection de la
paroi antérieure du rectum. Les différents temps de cette
intervention rejoignent ceux des exentérations antérieures
et postérieures déjà détaillés.
4 - Les exentérations pelviennes atypiques ou partielles
(8, 9) :
Différents types d’exentération partielles sont décrits.
1 - La cystectomie partielle
2 - L’exentération urétérale unique :
Lorsque l’uretère est pris dans une gaine néoplasique.
3 - L’exentération limitée à la paroi antérieure du rectum :
C - Les gestes de dérivations urinaires et coliques :
1- Les dérivations urinaires :
a - Les dérivations incontinentes :
L’urétérostomie cutanée bilatérale est la plus souvent réa-
lisée, elle a l’avantage d’être de réalisation rapide, cepen-
dant expose à des complications représentées par des infec-
tions ascendantes à répétition compliquées à la longue
d’insuffisance rénale.
Le problème d’appareillage que pose cette dérivation fait
préférer l’urétero urétérostomie cutanée et l’urétérostomie
transiliale de Bricker.
H. HACHI, A. BOUGTAB, M.A. BEN BOUZID, C. EL BAROUDI, F. TIJANI,
A. OTTMANY, A. JALIL, S. BENJELLOUN, F. AHYOUD, A. SOUADKA.
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b - Les dérivations continentes :
Peuvent être :
* Externes : Ces dérivations consistent à la confection
d’une néovessie qui recueille les urines à laquelle est
annexée un système de valve qui assure la continence.
La vessie iléocoecale continente ou poche de
Benchekroun est la plus souvent utilisée dans notre
contexte.
*Internes : Consistent à la réimplantation directe des
uretères dans le sigmoïde.
c - Les dérivations coliques :
La colostomie iliaque gauche est la dérivation classique
néanmoins elle est plus souvent sujette à un rejet de la part
du patient aussi préconise-t-on de plus en plus la colosto-
mie périnéale continente; cette technique originale utilise
le principe d’une compression circulaire en amont d’un
anneau musculaire lisse prélevé sur le côlon dont on réalise
l’exérèse au cours de l’amputation abdomino-périnéale.
d - Le traitement de la perte de substance périnéale :
Une cavité pelvienne déshabituée expose à des fistules
grêliques et à des complications septiques, aussi le comble-
ment du pelvis est-il primordial. La peritonisation est la
méthode de choix, récemment des auteurs insistent sur
l’épiplooplastie comme moyen efficace car, outre l’hémos-
tase elle permet de drainer les suintements séro hématiques
post opératoires et isole le tube digestif du pelvis depérito-
nisé. Lorsque ces 2 méthodes ne sont pas réalisables la
mise en place d’un sac de Mickulicz peut résoudre ce pro-
blème au détriment d’un retard de cicatrisation périnéale.
Très récemment du matériel synthétique résorbable type
Vicryl a été utilisé avec succès.
2 - Les techniques de recouvrement :
a - Les lambeaux musculo cutanés et musculaires purs :
Le muscle droit interne est le plus souvent utilisé, section-
né à partir de son extrémité inférieure, sa dissection doit
conserver son pédicule supérieur. La transposition de ce
muscle va permettre le recouvrement de la perte de subs-
tance périnéale.
Dans certains cas le lambeau musculo-cutané du grand
droit est utilisé.
b - La reconstruction vaginale :
Lorsque l’exentération est réalisée chez des patientes
sexuellement active la reconstruction vaginale s’impose.
Le néovagin peut être confectionné à partir d’une anse sig-
moïdienne ou grâce à des lambeaux myocutanés utilisant le
muscle droit interne et le grand droit de l’abdomen parfois
la reconstruction vaginale fait appel à l’épiploon (3,13).
IV - LES INDICATIONS
1- Le cancer du col utérin
a - Le cancer du col évolué mais centropelvien
b - Les lésions urinaires associées
- Fistule vesico vaginale spontanée ou radique
- Bourgeon tumoral intra vésical.
Ces lésions urinaires sont justiciables d’une exentération
antérieure
c - Les récidives du cancer du col
d - Les lésions rectosigmoïdiennes associées:
2- Le cancer du rectum :
a - Le cancer à développement antérieur
Chez la femme la cloison recto vaginale protège longtemps
la vessie l’exentération postérieure est suffisante. Chez
l’homme l’envahissement de la vessie est une indication à
l’exentération totale.
b - La fistule rectovaginale
Est justiciable d’une exentération postérieure
3 - Le cancer de la vessie
Le cancer de la vessie a tendance à donner des métastases
extra pelviennes il est donc moins justiciable d’une exen-
tération pelvienne.
Les indications d’une exentération pelvienne sont limitées
à certaines formes particulières.
* Formes à développement postérieur :
. chez la femme l’envahissement de la face antérieure du
vagin et du col utérin est justiciable d’une exentération
pelvienne postérieure.
. chez l’homme l’envahissement du rectum impose une
exentération totale.
* Formes révélées par une fistule vesicovaginale i m p o -
sent une exentération antérieure (1).
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30 H. HACHI, A. BOUGTAB, M.A. BEN BOUZID, C. EL BAROUDI, F. TIJANI,
A. OTTMANY, A. JALIL, S. BENJELLOUN, F. AHYOUD, A. SOUADKA.
4 - Le cancer de la vulve
Dans les cancers de la vulve l’exentération pelvienne posté-
rieure est la plus souvent réalisée (2).
5 - Le cancer de l’ovaire
Le cancer de l’ovaire est considéré comme une maladie
péritonéale et de ce fait les indications des exentérations
pelviennes semblent être limitées. Lorsqu’il existe une car-
cinose péritonéale localisée dans le Douglas l’exérèse péri-
tonéale dans le cadre d’une exentération peut trouver son
indication (10).
6 - Le cancer du vagin
Les formes centro pelviennes à développement antérieur et
postérieur relèvent respectivement d’une exentération anté-
rieure et postérieure.
V - LES COMPLICATIONS POST OPÉRATOIRES
A - Les complications précoces (avant 30 jours)
En peropératoire, des complications immédiates peuvent
être observées : un choc hémorragique lorsqu’il n’est pas
corrigé peut mettre en jeu le pronostic vital ; un choc
secondaire à l’éviscération peut survenir, il peut être jugulé
par l’injection de tonicardiaques et d’analeptiques juste
avant le temps d’exérèse.
Dans la période post opératoire précoce l’occlusion post
opératoire reste fréquente : 6% à 25% selon les séries, elle
est surtout favorisée par la peritonisation.
Des suppurations pelviennes peuvent être notées, elles sont
évitées par une hémostase soigneuse au niveau du pelvis et
une péritonisation efficace.
Les complications urinaires et particulièrement la pyéloné-
phrite sont préoccupantes car sont responsables d’une mor-
talité pouvant atteindre 19% dans un tableau d’insuff i s a n c e
rénale (4,7) la pyélonéphrite est le plus souvent favorisée par
une uréterohydronéphrose préopératoire, le risque est surtout
fréquent en cas d’anastomose urétéroiléale (38%) (11).
Les fistules intestinales réputées redoutables par la morta-
lité et la morbidité qu’elles causent, peuvent être soient
pariétales soient périnéales, ce dernier groupe comporte les
fistules iléo vaginales et colovaginales.
Les fistules du grêle se voient surtout après un traitement
radiothérapique et sont l’apanage des anastomoses iléales
(8%).
B - Les complications post opératoires tardives (> 30
jours)
Parmi les complications urinaires, la pyélonéphrite persis-
tante représente le revers des urétérostomies cutanées, elle
se complique le plus souvent d’insuffisance rénale respon-
sable de 30% de décès (7) ; les fistules urinaires s’obser-
vent dans 10% des cas lorsque le grêle est utilisé comme
réservoir urinaire, le réservoir colique donne moins de
complications.
Des complications digestives peuvent être notées : Les
occlusions post opératoires tardives se voient avec des
fréquences variables : 7% à 21%.
Des fistules intestinales peuvent être notées avec une fré-
quence moindre.
Les autres complications sont moins fréquentes : L’ a b c è s
pelvien (10%), l’hémorragie gastro-intestinale (1,5%).
VI - LE PRONOSTIC
L’analyse de toutes les séries publiées nous rendent comp-
tent de la difficulté d’établir un pronostic global des
patients ayant bénéficié des exentérations pelviennes à
cause de l’inhomogéinité des séries, cependant certains
auteurs ont pu formuler des résultats : la survie à 5 ans
varie de 11% pour lacour à 53% pour Hatch, et la mortalité
post opératoire varie de 7% pour Ketcham à 34% pour
Dargent (5,6).
Les taux de survie à 5 ans sont influencés par plusieurs
facteurs :
-Le type de l’intervention réalisée : l’exentération pel-
vienne totale est la plus grave comme en témoigne les
taux de survies à 5 ans qui varient de 0% à 37% (7).
L’exentération postérieure est la moins grave car elle a
permis les survies les plus prolongées.
- L’envahissement ganglionnaire : En présence d’un enva-
hissement ganglionnaire la survie chute considérable-
ment elle varie de 0% pour Morley à 33% pour
Ketcham, des survies plus prolongées sont enregistrées
en l’absence d’envahissement ganglionnaire.
Médecine du Maghreb 1996 n°57
LES EXENTÉRATIONS PELVIENNES… 31
-Le caractère de l’intervention : les interventions à visée
palliative donnent lieu à des survies à 5 ans qui ne
dépassent pas 23% (12).
-Le type primaire ou secondaire de l’intervention : Dans
les exentérations primaires la survie à 5 ans avoisine
48%, alors que dans les exentérations de rattrapage la
survie à 5 ans chute à 28% (5).
CONCLUSION
L’exentération pelvienne est une intervention lourde elle
nécessite une équipe chirurgicale rompue à ce type de
chirurgie.
L’exentération pelvienne ne doit être acceptée que comme
une thérapeutique à visée curative.
L’opérabilité des patients doit être minutieusement appré-
ciée pour assurer une mortalité faible et une survie prolon-
gée.
L’avènement de nouvelles techniques chirurgicales minimi-
sant les modifications du schéma corporel a énormément
contribué à l’extension des indications des exentérations
pelviennes.
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