LES EXENTERATIONS PELVIENNES DANS LES CANCERS : MISE AU POINT H. HACHI, A. BOUGTAB, M.A. BEN BOUZID, C. EL BAROUDI, F. TIJANI, A. OTTMANY, A. JALIL, S. BENJELLOUN, F. AHYOUD, A. SOUADKA. RÉSUMÉ L’exentération pelvienne, malgré la lourdeur de son geste chirurgical, voit ses indications s’étendre de plus en plus. Un bilan préthérapeutique doit viser à sélectionner des patients dont le risque opératoire est faible. L’exentération pelvienne doit avoir une prétention curative, l’exentération palliative a des indications bien codifiées. Les progrès des techniques chirurgicales et des moyens de réanimation ont contribué énormément à l’amélioration des taux de mortalité et de survie à 5 ans. Pour augmenter l’acceptation de ce type de chirurgie, plusieurs techniques visent à conserver le schéma corporel du patient c’est le cas des dérivations urinaires continentes, la colostomie périnéale continente et enfin la reconstruction vaginale. Mots clés : Cancer pelvien, exentération pelvienne, dérivations urinaire et colique continentes, reconstruction vaginale. I - INTRODUCTION L’exentération pelvienne est un acte chirurgical très lourd, elle regroupe une série d’interventions de la sphère gynécologique qui associent une exérèse élargie de l’appareil génital à une ablation le plus souvent totale de la vessie et/ou du recto sigmoïde. II - BILAN PRÉTHÉRAPEUTIQUE Le bilan d’extension La sélection préopératoire des patients impose un bilan complet, l’examen clinique est une étape fondamentale pour apprécier l’extension locorégionale, il comprend essentiellement un examen gynécologique au mieux sous anesthésie générale assisté parfois par un médecin radiothérapeute. Une cystoscopie ou une rectoscopie peuvent terminer cet examen clinique. Pour affiner le diagnostic des examens paracliniques peuvent s’imposer : L’urographie intraveineuse, l’échographie abdominale, voir une tomodensitométrie. Le bilan d’extension à distance peut comporter : une échographie abdominale surtout hépatique, un scanner abdominal, une radiographie pulmonaire parfois une tomodensitométrie cérébrale. Les contre-indications * L’âge : au delà de 60 ans * L’état généralement altéré * Les tares : L’obésité, le diabète, une affection respiratoire chronique, une pathologie cardio vasculaire * Les contre-indications carcinologiques : Quatre types d’interventions sont ainsi définies : - L’exentération antérieure : emporte la vessie - L’exentération postérieure, emporte le rectum ou le recto sigmoïde. - L’exentération totale emporte la vessie et le rectum. - L’exentération atypique ou partielle : emporte une partie de la vessie ou du rectosigmoïde. - Les douleurs sciatiques et obturatrices témoignent d’une évolution majeure. - L’oedème des membres inférieurs est le corollaire d’un blocage lymphatique et veineux du pelvis (7). - L’envahissement osseux. - L’existence de métastases hépatiques et ganglionnaires notamment lombo-aortiques. Service de chirurgie carcinologique Pr. A. SOUADKA - Institut national d’oncologie Sidi Mohammed Ben Abdellah - Rabat - Maroc. Médecine du Maghreb 1996 n°57 H. HACHI, A. BOUGTAB, M.A. BEN BOUZID, C. EL BAROUDI, F. TIJANI, A. OTTMANY, A. JALIL, S. BENJELLOUN, F. AHYOUD, A. SOUADKA. 28 III - LA STRATÉGIE CHIRURGICALE sive du vagin et la paroi vaginale postérieure. A - Le temps commun des exentérations pelviennes : 2 - L’exentération postérieure : 1- La position et la voie d’abord : Le patient est installé dans une position de décubitus dorsal parfois la position gynécologique en double équipe est nécessaire. La voie d’abord la plus empruntée est la médiane largement prolongée au dessus de l’ombilic. Le premier temps rejoint celui de la colpohysterectomie, le second temps consiste au décollement rétrorectal poursuivi le plus bas possible jusqu’au plan des muscles releveurs ; le troisième temps consiste à la section de la paroi vaginale antérieure et de la paroi vaginale postérieure ; la pièce n’est retenue que par le rectum et les ailerons latéraux dont la section au ras de la paroi terminera le temps abdominal. 2- Le temps d’exploration : Les métastases hépatiques sont recherchées par la palpation du foie en totalité aidée par l’échographie per opératoire. L’exploration permet aussi de rechercher des métastases péritonéales ou épiploïques et ganglionnaires intéressant les chaînes iliaques externes et lomboaortiques. Dans un second temps, l’extension locorégionale doit être appréciée elle constitue un élément déterminant de la reséquabilité. En avant, les rapports avec le pelvis sont précisés, en arrière : un décollement présacré impossible est synonyme d’un envahissement du sacrum. Latéralement, il faut préciser les rapports avec la paroi pelvienne en particulier le plexus sacré. 3 - La lymphadenectomie : Elle est systématique, peu d’auteurs la réalisent à l’étage lomboaortique Dans le temps périnéal, la graisse ischiorectale est emportée de toutes parts et après section très périphérique des muscles releveurs la pièce est extériorisée par retournement. 3 - L’exentération totale : Dans l’ensemble l’exentération totale est plus facile à réaliser que l’exentération antérieure car elle évite un temps relativement difficile que représente la dissection de la paroi antérieure du rectum. Les différents temps de cette intervention rejoignent ceux des exentérations antérieures et postérieures déjà détaillés. 4 - Les exentérations pelviennes atypiques ou partielles (8, 9) : Différents types d’exentération partielles sont décrits. 1 - La cystectomie partielle 2 - L’exentération urétérale unique : Lorsque l’uretère est pris dans une gaine néoplasique. 3 - L’exentération limitée à la paroi antérieure du rectum : B - Les différents types d’exentérations : C - Les gestes de dérivations urinaires et coliques : 1- L’exentération antérieure : Le premier temps est identique à celui de la colpohysterectomie, il comprend successivement : l’ouverture du ligament large, la ligature section du ligament lombo ovarien après un repérage urétéral, la section du ligament rond et en fin la ligature de l’artère utérine. Dans un second temps les uretères sont sectionnés au dessus du détroit supérieur. Le troisième temps consiste au décollement antérieur et d’abord du col vésical. Le temps suivant est le temps postérieur se résume à la section des ligaments utero sacrés et au décollement recto vaginal ; l’intervention est terminée par la section succes- Médecine du Maghreb 1996 n°57 1- Les dérivations urinaires : a - Les dérivations incontinentes : L’urétérostomie cutanée bilatérale est la plus souvent réalisée, elle a l’avantage d’être de réalisation rapide, cependant expose à des complications représentées par des infections ascendantes à répétition compliquées à la longue d’insuffisance rénale. Le problème d’appareillage que pose cette dérivation fait préférer l’urétero urétérostomie cutanée et l’urétérostomie transiliale de Bricker. LES EXENTÉRATIONS PELVIENNES… b - Les dérivations continentes : Peuvent être : * Externes : Ces dérivations consistent à la confection d’une néovessie qui recueille les urines à laquelle est annexée un système de valve qui assure la continence. La vessie iléocoecale continente ou poche de Benchekroun est la plus souvent utilisée dans notre contexte. * Internes : Consistent à la réimplantation directe des uretères dans le sigmoïde. c - Les dérivations coliques : La colostomie iliaque gauche est la dérivation classique néanmoins elle est plus souvent sujette à un rejet de la part du patient aussi préconise-t-on de plus en plus la colostomie périnéale continente; cette technique originale utilise le principe d’une compression circulaire en amont d’un anneau musculaire lisse prélevé sur le côlon dont on réalise l’exérèse au cours de l’amputation abdomino-périnéale. 29 sexuellement active la reconstruction vaginale s’impose. Le néovagin peut être confectionné à partir d’une anse sigmoïdienne ou grâce à des lambeaux myocutanés utilisant le muscle droit interne et le grand droit de l’abdomen parfois la reconstruction vaginale fait appel à l’épiploon (3,13). IV - LES INDICATIONS 1- Le cancer du col utérin a - Le cancer du col évolué mais centropelvien b - Les lésions urinaires associées - Fistule vesico vaginale spontanée ou radique - Bourgeon tumoral intra vésical. Ces lésions urinaires sont justiciables d’une exentération antérieure c - Les récidives du cancer du col d - Les lésions rectosigmoïdiennes associées: 2- Le cancer du rectum : d - Le traitement de la perte de substance périnéale : Une cavité pelvienne déshabituée expose à des fistules grêliques et à des complications septiques, aussi le comblement du pelvis est-il primordial. La peritonisation est la méthode de choix, récemment des auteurs insistent sur l’épiplooplastie comme moyen efficace car, outre l’hémostase elle permet de drainer les suintements séro hématiques post opératoires et isole le tube digestif du pelvis depéritonisé. Lorsque ces 2 méthodes ne sont pas réalisables la mise en place d’un sac de Mickulicz peut résoudre ce problème au détriment d’un retard de cicatrisation périnéale. Très récemment du matériel synthétique résorbable type Vicryl a été utilisé avec succès. 2 - Les techniques de recouvrement : a - Les lambeaux musculo cutanés et musculaires purs : Le muscle droit interne est le plus souvent utilisé, sectionné à partir de son extrémité inférieure, sa dissection doit conserver son pédicule supérieur. La transposition de ce muscle va permettre le recouvrement de la perte de substance périnéale. Dans certains cas le lambeau musculo-cutané du grand droit est utilisé. b - La reconstruction vaginale : Lorsque l’exentération est réalisée chez des patientes a - Le cancer à développement antérieur Chez la femme la cloison recto vaginale protège longtemps la vessie l’exentération postérieure est suffisante. Chez l’homme l’envahissement de la vessie est une indication à l’exentération totale. b - La fistule rectovaginale Est justiciable d’une exentération postérieure 3 - Le cancer de la vessie Le cancer de la vessie a tendance à donner des métastases extra pelviennes il est donc moins justiciable d’une exentération pelvienne. Les indications d’une exentération pelvienne sont limitées à certaines formes particulières. * Formes à développement postérieur : . chez la femme l’envahissement de la face antérieure du vagin et du col utérin est justiciable d’une exentération pelvienne postérieure. . chez l’homme l’envahissement du rectum impose une exentération totale. * Formes révélées par une fistule vesicovaginale imposent une exentération antérieure (1). Médecine du Maghreb 1996 n°57 30 4 - Le cancer de la vulve Dans les cancers de la vulve l’exentération pelvienne postérieure est la plus souvent réalisée (2). 5 - Le cancer de l’ovaire Le cancer de l’ovaire est considéré comme une maladie péritonéale et de ce fait les indications des exentérations pelviennes semblent être limitées. Lorsqu’il existe une carcinose péritonéale localisée dans le Douglas l’exérèse péritonéale dans le cadre d’une exentération peut trouver son indication (10). 6 - Le cancer du vagin Les formes centro pelviennes à développement antérieur et postérieur relèvent respectivement d’une exentération antérieure et postérieure. V - LES COMPLICATIONS POST OPÉRATOIRES A - Les complications précoces (avant 30 jours) En peropératoire, des complications immédiates peuvent être observées : un choc hémorragique lorsqu’il n’est pas corrigé peut mettre en jeu le pronostic vital ; un choc secondaire à l’éviscération peut survenir, il peut être jugulé par l’injection de tonicardiaques et d’analeptiques juste avant le temps d’exérèse. Dans la période post opératoire précoce l’occlusion post opératoire reste fréquente : 6% à 25% selon les séries, elle est surtout favorisée par la peritonisation. Des suppurations pelviennes peuvent être notées, elles sont évitées par une hémostase soigneuse au niveau du pelvis et une péritonisation efficace. Les complications urinaires et particulièrement la pyélonéphrite sont préoccupantes car sont responsables d’une mortalité pouvant atteindre 19% dans un tableau d’insuffisance rénale (4,7) la pyélonéphrite est le plus souvent favorisée par une uréterohydronéphrose préopératoire, le risque est surtout fréquent en cas d’anastomose urétéroiléale (38%) (11). Les fistules intestinales réputées redoutables par la mortalité et la morbidité qu’elles causent, peuvent être soient pariétales soient périnéales, ce dernier groupe comporte les Médecine du Maghreb 1996 n°57 H. HACHI, A. BOUGTAB, M.A. BEN BOUZID, C. EL BAROUDI, F. TIJANI, A. OTTMANY, A. JALIL, S. BENJELLOUN, F. AHYOUD, A. SOUADKA. fistules iléo vaginales et colovaginales. Les fistules du grêle se voient surtout après un traitement radiothérapique et sont l’apanage des anastomoses iléales (8%). B - Les complications post opératoires tardives (> 30 jours) Parmi les complications urinaires, la pyélonéphrite persistante représente le revers des urétérostomies cutanées, elle se complique le plus souvent d’insuffisance rénale responsable de 30% de décès (7) ; les fistules urinaires s’observent dans 10% des cas lorsque le grêle est utilisé comme réservoir urinaire, le réservoir colique donne moins de complications. Des complications digestives peuvent être notées : Les occlusions post opératoires tardives se voient avec des fréquences variables : 7% à 21%. Des fistules intestinales peuvent être notées avec une fréquence moindre. Les autres complications sont moins fréquentes : L’abcès pelvien (10%), l’hémorragie gastro-intestinale (1,5%). VI - LE PRONOSTIC L’analyse de toutes les séries publiées nous rendent comptent de la difficulté d’établir un pronostic global des patients ayant bénéficié des exentérations pelviennes à cause de l’inhomogéinité des séries, cependant certains auteurs ont pu formuler des résultats : la survie à 5 ans varie de 11% pour lacour à 53% pour Hatch, et la mortalité post opératoire varie de 7% pour Ketcham à 34% pour Dargent (5,6). Les taux de survie à 5 ans sont influencés par plusieurs facteurs : - Le type de l’intervention réalisée : l’exentération pelvienne totale est la plus grave comme en témoigne les taux de survies à 5 ans qui varient de 0% à 37% (7). L’exentération postérieure est la moins grave car elle a permis les survies les plus prolongées. - L’envahissement ganglionnaire : En présence d’un envahissement ganglionnaire la survie chute considérablement elle varie de 0% pour Morley à 33% pour Ketcham, des survies plus prolongées sont enregistrées en l’absence d’envahissement ganglionnaire. LES EXENTÉRATIONS PELVIENNES… 31 - Le caractère de l’intervention : les interventions à visée palliative donnent lieu à des survies à 5 ans qui ne dépassent pas 23% (12). - Le type primaire ou secondaire de l’intervention : Dans les exentérations primaires la survie à 5 ans avoisine 48%, alors que dans les exentérations de rattrapage la survie à 5 ans chute à 28% (5). CONCLUSION L’exentération pelvienne est une intervention lourde elle nécessite une équipe chirurgicale rompue à ce type de chirurgie. L’exentération pelvienne ne doit être acceptée que comme une thérapeutique à visée curative. L’opérabilité des patients doit être minutieusement appréciée pour assurer une mortalité faible et une survie prolongée. L’avènement de nouvelles techniques chirurgicales minimisant les modifications du schéma corporel a énormément contribué à l’extension des indications des exentérations pelviennes. BIBLIOGRAPHIE 1 - A. BRUNSCHWIG. Exentération pelvienne. Masson Paris (1964) 2 - D. CAVANAGH and J.H. SHEPHERD. The place of pelvic exenteration in the primary management of adwanced carcinoma of the vulva Gynecologic oncology, 13, 318-322 (1982). 3 - L.J. COPELAND and Al. Gracilis myocutaneous vaginal reconstruction concurrent with total pelvic exenteration. American journal of obsetric and gynecology. 1095-1101 (1989) 4 - W.E. GOODWING. Complications of ureterosigmoïdostomy. Philadelphia, W.B. SAUNDRES, 239-250 (1976). 5 - A.S. KETCHAM And Al. Pelvic exenteration for carcinoma of the uterus cervix a 15 years experience, cancer 1970, 26, 513-521. 6 - J. LACOUR et Col. 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