SOUFFRANCE AU TRAVAIL
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LE CONCOURS MÉDICAL. Tome 130 - 4 du 19-02-2008
solitude, à sa souffrance et à l’incohérence du travail à
accomplir.
La souffrance au travail, c’est donc le vécu qui surgit
lorsque le sujet, après avoir épuisé ses ressources person-
nelles pour tenir au travail, se heurte à des obstacles
insurmontables.
Issues psychopathologiques à la crise identitaire
La non-reconnaissance de la validité que le sujet
entretient avec le réel est déstabilisante pour l’identité.
Elle peut mener à une crise identitaire majeure, avec
deux issues psychopathologiques possibles.
Formes mineures de dépression
Si le sujet ne parvient pas à faire comprendre les
impasses de l’organisation du travail à la hiérarchie, il
peut en venir à douter de ce qu’il tient pour vrai, perdre
confiance en lui. Cette dépression peut prendre des for-
mes mineures, comme l’anxiété larvée, la chronicisation
du sentiment d’ennui, de lassitude, de repli sur soi ou
d’insatisfaction, l’augmentation de la consommation de
psychotropes légaux, autant de signes avant-coureurs de
la décompensation à venir.
La fatigue est le symptôme le plus courant
Parce qu’elle se situe dans le territoire de l'infralimi-
naire, la fatigue n’est pas prise au sérieux et est souvent
disqualifiée. Il y a la bonne fatigue, évacuation en après-
coup de l’énergie mobilisée par la tâche à accomplir. Et
la fatigue-usure, du geste vidé de sens mais qu’il faut
accomplir quand même, en réprimant toute activité
spontanée des organes moteurs et sensoriels (Ch.
Dejours, 1993) pour coller à la tâche prescrite, sans écart
autorisé : une fatigue précurseur d’une dépression atone,
blanche, qui ne dit pas son nom.
La fatigue n’est donc pas toujours une réponse à une
charge physique excessive, à un surmenage ; elle peut
aussi trouver son origine dans l’inactivité ou l’activité
monotone et dans la répression de l’imagination. La
souffrance mentale, la fatigue sont irrecevables au travail.
Seule la maladie physique peut être entendue et béné-
ficie d’un statut de réalité. La prise en charge médicale
va achever de déplacer la souffrance mentale vers la dou-
leur physique.
Devant l’absence d’écoute de sa souffrance, des impas-
ses qu’il rencontre dans son travail, le salarié peut tenter
de maintenir son discours contre le système, se retrou -
vant ainsi dans une véritable situation d’aliénation
sociale. Il sera tôt ou tard dénoncé comme fou.
Démission ou absentéisme
Les solutions extrêmes de sortie de situation de souf-
france au travail sont la démission ou l’absentéisme. En
intermédiaire, les salariés déploient des moyens de se
défendre, stratégies défensives individuelles ou collecti-
ves qui permettent de conjurer la maladie.
La résolution des difficultés au travail ne peut jamais
faire l’économie de la mise en discussion, de la prise de
parole. Cette prise de parole n’est possible que si les
conditions éthiques existent.
LE GESTE DE TRAVAIL PARTICIPE À LA DYNAMIQUE
IDENTITAIRE
Quand le choix du métier est conforme aux besoins
psychiques du sujet et que ses modalités d’exercice per-
mettent le libre jeu du fonctionnement mental, le travail
occupe une place centrale dans l’équilibre psychique et
dans la dynamique de l’identité.
Le travail apporte d’abord un plaisir mental à travers le
contenu symbolique de la tâche, puis il apporte un plaisir
corporel à travers une gestuelle spécifique.
Agir sur le geste, c’est agir sur l’identité
« Le corps est le premier et le plus naturel instrument de
l’homme », écrit Marcel Mauss en 1936. La situation de tra-
vail agit sur l’économie des corps à plusieurs niveaux. Si la
tâche est porteuse d’un contenu symbolique, elle permet
au sujet d’exprimer son montage pulsionnel spécifique. Si
le travail autorise, en dépit des contraintes du réel et de
l’organisation, un exercice inventif des corps, il devient
source de plaisir et de sublimation. Psychisme et corps
agissent de concert pour une production valorisante.
Les gestes ne peuvent se réduire à des enchaînements
musculaires efficaces et opératoires. « Actes d’expression de
la posture psychique et sociale que le sujet adresse à autrui »
(Ch. Dejours, D. Dessors, P. Molinier, 1994), ils partici-
pent à la construction de l’identité :
– l’identité transgénérationnelle, car les gestes sont
transmis dans l’enfance, par l’imitation des adultes aimés
et admirés. L’enfant intériorise les gestes, les postures,
les tours de main des adultes par loyauté identificatoire,
en mobilisant des mécanismes de défense précoces et
solides qui vont ancrer le geste dans l’expression corpo-
relle. C’est dire si modifier une procédure de travail par
rationalité ergonomique peut devenir conflictuel avec
ces loyautés gestuelles ;
– l’identité sociale, puisque les gestes sont induits par la
société et la culture (port des charges lourdes sur les
membres supérieurs fléchis, avec fermeture de la cein-
ture scapulaire, en Occident ; sur la tête et le dos en
Afrique). Au travers des apprentissages, les gestes de
métier nouent des liens étroits entre l’activité du corps et
l’appartenance à une communauté professionnelle. Cer-
taines postures et attitudes corporelles acquièrent ainsi,
dans le travail, valeur de dramaturgie ;
– l’identité sexuelle, car si les gestes ont une histoire
familiale, sociale, ils ont aussi un sexe. L’identité sexuelle,
l’identité de genre se doivent d’être traduites par des atti-
tudes, des postures spécifiques. L’éducation inscrit dans
la musculature des postures sexuées spécifiques (injonc-
tions maternelles à la petite fille : tenir les genoux serrés,
ne pas trop bomber le torse…).
Le modelage du corps se fera ainsi au fil des ans, tra-
duisant l’identité sexuelle, les choix existentiels, l’af-
faissement musculaire des défaites et des échecs, la
mémoire tissulaire des événements forts, les emprein-
tes du travail.
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