Hakim Ben Hammouda et Moustapha Kassé (éds) L'avenir de la zone franc Perspectives africaines Préface d/Abdoulie Janneh CODESRlA - KARTHALA 1 i 1. i L'AVENIR DE LA ZONE FRANC !/ ,J La Bibliothèque du CODESRIA Derrière la tenninologie de la crise et les métaphores de la désintégration sociale et de l'anarchie, une vie sociale et créative se poursuit en Afrique. Un tableau complexe de la vie culturelle et économique est en train d'émerger. Des fonnes reconnaissables de développement cœxistent avec des trajectoires originales de création et d'accumulation des richesses. Des conceptions identitaires disparaissent et d'autres naissent ou sont refonnulées. Arcboutée sur une immense réserve d'endurance et d'imagination et portée par une extraordinaire puissance de résistance contre la brutalité du destin, l'Afrique est au travail. Ni la prodigieuse singularité de l'expérience humaine en Afrique, ni les nouvelles fonnes d'engagement du continent avec les marchés internationaux, ni les géographies commerciales en cours de constitution ne peuvent être restituées à partir des catégories et discours traditionnels. Plus que jamais, il faut une nouvelle stratégie de description et d'interprétation, de nouvelles façons de percevoir ces réalités, de nouvelles catégories d'expression des potentialités, et surtout un nouveau discours pour décrire l'Afrique et pour dépeindre les expériences, les souvenirs, la vie et le travail de ceux et celles qui sont au centre de toutes ces transfonnations. C'est l'objectif de la collection « La Bibliothèque du CODESRIA». KARTHALA sur Internet: http://www.karthala.com © Éditions KARTHALA et CODESRIA, 2001 ISBN 2-84586-184-2 o1 FEV. jL1.D~/Oi 2002 Hakim Ben Hammouda Moustapha Kassé (éds) ...... " .- BEN ~24~3/~ " L' Avenir de la~<'zone franc Perspectives africaines Préface d'Abdoulie Janneh KARTHALA CODESRIA 22-24, boulevard Arago 75013 Paris BP3304 Dakar Préface Abdoulie J ANNEH L'Afrique subit depuis quelques années un nouveau contexte international. La globalisation et, partant, le déclin de la pertinence des frontières physiques de l'État-nation constituent les principales caractéristiques de ce nouvel environnement. La globalisation entraîne une compression sans précédent du temps et de l'espace. Ainsi, les mouvements de capitaux obéissent de moins en moins à une logique nationale et s'inscrivent dans la perspective de la libéralisation et de la compétitivité des marchés mondiaux. Par ailleurs, les échanges commerciaux se sont développés de manière très rapide et le commerce international est devenu un important facteur de croissance économique. Les nouvelles technologies ont participé de ce rétrécissement de l'espace et de cette plus grande interconnexion des réseaux. De plus, l'activité économique perd relativement de plus en plus sa matérialité physique et les nouvelles technologies nous mettent en rapport avec une réalité nouvelle plus virtuelle. Ainsi, un monde nouveau est en train de naître devant nous. Au moment où les potentialités sont immenses et l'espérance plus grande, l'Afrique connaît depuis le début des années 80 une crise profonde. En dépit des réformes et des programmes d'ajustement structurel appliqués depuis le début des années 80, l'Afrique n'arrive pas àformuler de nouveaux projets de développement capables de mobiliser des populations avides elles aussi, comme le reste du monde, de progrès et de bienêtre. Pourtant, les espérances étaient grandes aux lendemains des indépendances. En effet, les différents pouvoirs issus des luttes de libération nationales étaient porteurs de projets et de visions de l'avenir du continent. Ces projets cherchaient, pour l'essentiel, à moderniser les structures économiques et politiques des pays africains. Cette modernisation était perçue comme la voie d'accès à une transformation accélérée des économies africaines. A ce niveau, les États ont joué un rôle important tant au niveau politique qu'au niveau économique. Dans le domaine politique, les structures politiques modernes cherchaient à se substituer aux structures politiques traditionnelles et l'identification à la nation est venue remettre en 6 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC cause les appartenances infra-étatiques. Au niveau économique, les États ont cherché à travers les stratégies de développement industriel à diversifier leurs structures productives et à améliorer leur insertion dans l'économie internationale. Cette vision et ce projet de modernisation connaîtront leurs limites dès la fin des années 70 et le début des années 80. Du point de vue politique, le monopole de l'État est de plus en plus contesté par les mouvements de démocratisation et les organisations de la société civile. Par ailleurs, les tentatives de modernisation économique ont connu également leurs limites. En effet, les stratégies de développement n'ont pas été en mesure de diversifier les structures des économies africaines et d'accroître leur compétitivité et leur insertion dans l'économie internationale. Au contraire, on a assisté à un renforcement de la dépendance vis-à-vis des matières premières, au nombre très limité par ailleurs. Les entreprises publiques n'ont pas initié de nouvelles dynamiques de croissance et de développement. Dans ce contexte de crise des expériences de développement et des difficultés des ajustements externes et internes, les pays africains vont adopter, dès le début des années 80, des programmes d'ajustement structurel, sous l'inspiration et avec l'appui de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Ces programmes ont cherché à initier de profondes réformes pour répondre à la crise des économies africaines. D'abord, le désengagement de l'État et l'introduction des mécanismes de marché dans la régulation des économies étaient perçus comme des préalables à une allocation rationnelle des ressources. Par ailleurs, les institutions de Bretton Woods recommandaient une réorientation des stratégies de développement vers les exportations et une réduction du rôle du marché intérieur et de la demande locale dans le processus de croissance. Au niveau monétaire, les réformes avaient pour objectif, entre autres, de mobiliser l'épargne intérieure jusque-là réprimée par la faiblesse des taux d'intérêt. Par ailleurs, le développement des marchés financiers devait aider au financement des entreprises par la collecte de l'épargne directe. Ces réformes devaient relancer les dynamiques de croissance, réduire l'endettement et améliorer l'insertion internationale des économies africaines. Plus d'une décennie après, le bilan de ces réformes est relativement faible. Certes, on a enregistré un retour mesuré à la croissance et une réduction des déséquilibres internes des économies africaines. Mais ces économies n'ont pas pu négocier une insertion dynamique dans l'économie internationale. Les exportations africaines restent dominées par les produits de rente avec une très faible transformation au niveau local et donc une faible valeur ajoutée. Comme par le passé, les dynamiques de croissance sont tirées par les secteurs agricoles et miniers. En somme, si l'effort de stabilisation des économies africaines a permis une réduction sensible des déséquilibres internes et externes, les réformes de structure sont loin d'avoir initié un nouveau mode de croissance soutenue et porteuse de développement. PRÉFACE 7 L'Afrique se trouve non seulement confrontée à cette crise économique et à la nécessité de définir un nouvel agenda pour le développement, mais elle doit également faire face aux défis de la globalisation et à la libéralisation des échanges que cette dernière impose. Un nouveau contexte historique s'ouvre pour l'Afrique. Pour faire face à ces nouveaux enjeux, l'Afrique doit réinventer de nouveaux projets de développement prenant en considération les profondes mutations économiques locales et internationales. Cette réflexion stratégique devrait s'attaquer à toutes les questions relatives à l'avenir des économies africaines, y compris les questions monétaires, objet du symposium dont le présent ouvrage rend compte. L'appui du PNUD à la manifestation organisée par le CODESRIA sur l'avenir du franc CFA et des monnaies africaines dans un contexte de globalisation s'inscrit dans cette logique d'appui à la réflexion menée sur le continent afin de définir de nouveaux projets de développement. Cette réflexion, multiforme comme il se doit, permettra à l'Afrique de réinventer son avenir et donnera aux populations et aux décideurs les moyens de comprendre et de forger l'avenir. C'est dans ce contexte que le PNUD-Afrique, avec d'autres institutions comme la Commission économique pour l'Afrique et le SISERA, a apporté au CODESRIA son appui substantif et matériel dans la préparation, l'organisation et la conduite du symposium africain sur «L'avenir du franc CFA avec l'instauration de l'euro », qui s'est tenu à Dakar, Sénégal, du 4 au 6 novembre 1998 et dont la présente publication rend compte des délibérations et conclusions. L'intérêt pour le PNUD-Afrique de soutenir cette manifestation découle de sa détermination à renforcer la réflexion, le dialogue et l'interaction entre chercheurs et décideurs africains sur l'analyse des principaux problèmes de développement qu'affronte le continent, de façon à faciliter la formulation et la mise en œuvre de politiques mieux appropriées aux défis majeurs du moment. J'ai la conviction que le symposium sur l'avenir de la zone franc CFA, et sur les problèmes monétaires africains en général, aura permis d'initier cette synergie chercheurs/décideurs que nous tous appelons de nos vœux. Introduction Hakim BEN HAMMOUDA et Moustapha KASSE Dans son programme de recherche pour la période 1997-200 l, le CODESRIA a retenu comme thèmes prioritaires les problèmes monétaires et financiers et, plus précisément, l'avenir de la zone franc. Cet intérêt s'explique par la perspective de la construction de la monnaie unique et des questions qu'elle suscite quant à l'avenir de la zone franc. Ces questions ne sont pas seulement d'ordre monétaire et financier. En effet, les choix monétaires que les pays africains seront amenés à faire, auront d'importantes conséquences sur leurs stratégies de développement ainsi que sur leurs choix politiques et sociaux. Ainsi, au-delà des perspectives de la zone, c'est tout l'avenir politique, économique et social de la zone et de l'Afrique qui est en jeu. C'est pour répondre à ces questions que le CODESRIA a décidé d'organiser un important symposium panafricain sur l'avenir du franc CFA. L'objectif principal de ce symposium était de créer un cadre de débats entre les économistes africains et les autres chercheurs en sciences sociales sur la question de l'avenir de la zone franc. Ce cadre voulait également favoriser les échanges entre les économistes, les décideurs politiques ainsi que les bailleurs de fonds et les différents partenaires de l'Afrique sur cette question. Le symposium s'est déroulé du 4 au 6 novembre 1998 à Dakar. Il a rassemblé plus de 200 chercheurs et experts africains. Il a également été appuyé par près d'une quarantaine d'institutions africaines. Tout au long de ce colloque, et comme le montrent ces contributions, trois grandes préoccupations ont retenu l'attention des participants: le bilan de la zone franc, le rattachement de la zone franc à l'euro et l'avenir des monnaies africaines dans un contexte de globalisation. Bilan de la zone franc L'histoire de la zone franc a connu deux grandes périodes. La première correspond à la période coloniale où, au-delà des formes différentes que 10 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC prenaient les rapports monétaires entre la France et ses colonies, la monnaie a joué un rôle important dans le maintien et l'approfondissement des rapports de domination entre la métropole et ses colonies. Tout d'abord, ces unions monétaires facilitaient les activités des entreprises de la métropole coloniale qui pouvaient exporter librement les produits manufacturés français sur les marchés des colonies et importer les produits de rente sur le marché de la métropole. Par ailleurs, l'existence des ces zones monétaires facilitait l'exportation de capitaux de la métropole vers les colonies et la réexportation des profits des entreprises coloniales vers la métropole. La deuxième période dans l'histoire de la zone commence après les indépendances. En dehors de la Guinée de Sékou Touré qui avait voté « non» au maintien dans la communauté des États sous influence française, l'ensemble des anciennes colonies africaines ont décidé de rester au sein de la communauté française au niveau monétaire. Ces États continuaient à appartenir à l'espace monétaire rattaché au franc français. Cependant, la particularité de cette période est que la zone devait également avoir comme objectif le développement économique des pays en question et la diversification de leurs structures productives. De ce point de vue, l'arrimage du franc CFA au franc français devait apporter la stabilité nécessaire à la mise en place des stratégies de développement économique. Par ailleurs, l'appartenance de plusieurs pays à cet espace économique devait suppléer l'étroitesse des marchés nationaux. Quel bilan peut-on faire aujourd'hui de la zone franc? Cette zone a-t-elle apporté la stabilité que recherchaient les pays membres? L'existence de cet espace monétaire a-t-elle favorisé les échanges intrarégionaux et la coopération entre les différents pays de la zone? Cet espace a-t-il aidé à la diversification des structures économiques des pays de la région? En définitive, la zone a-t-elle été un moteur favorisant le développement et la croissance dans ces économies? La réponse à ces questions doit être nuancée. En effet, une étude comparative entre les pays de la zone et des pays hors zone, au niveau de leur performance en matière d'inflation de PIB et d'épargne, montre qu'il est possible de distinguer deux périodes: la première va des années 70 au milieu des années 80 où on enregistre de meilleures performances économiques dans les pays de la zone que par rapport aux pays non membres de la zone. La croissance économique est deux fois plus forte dans la zone et le taux d'inflation est de moitié plus faible. Ce contexte favorable va très rapidement changer à partir du milieu des années 80 où on assiste, suite à la crise de la dette et à la chute des cours de matières premières à l' éclatement de la crise dans l'ensemble des pays de la zone. Dans ce cadre, ces pays ont été amenés à pratiquer des programmes d'ajustement structurel et d'importantes réformes afin de relancer leur dynamique de croissance. Cependant, cet ajustement n'a touché que les aspects réels, et les organisations de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) n'ont jamais pu imposer une dévaluation du franc CFA. La France avait soutenu les pays de la INTRODUCTION Il zone franc qui avaient refusé d'envisager un changement de parité du franc CFA. Or, la position française va changer à partir de 1993 et les pays de la zone accepteront en janvier 1994 la dévaluation du franc CFA. Au niveau de l'intégration régionale, l'existence de cette zone monétaire commune n'a pas favorisé une intensification des échanges commerciaux. En effet les échanges intrarégionaux se situent en moyenne autour de 9% entre 1970 et 1993. A ce niveau, les performances de l'Afrique de l'Ouest (10,6 %) sont meilleures que celles de l'Afrique centrale (6,4 %). Par ailleurs, cette étude a montré qu'il y a une diminution de la place de la France dans la région au profit de l'Union européenne qui devient de plus en plus le principal partenaire économique et financier de la région. En dépit du nombre important d'études produites sur le bilan de la zone franc, plusieurs questions persistent. D'abord, la monnaie est un moyen important qui intervient directement dans la production. La question est de savoir si le franc CFA a joué un rôle central dans la production ou s'il n'a été qu'un moyen d'échanges qui a facilité la circulation des produits de la métropole vers la zone? Ceci implique une attention particulière au rôle et à la place des banques commerciales dans la zone: quelle a été leur part dans le financement des crédits à long terme destinés à l'investissement productif? Cette part a-t-elle été plus importante que celle allouée au financement des activités commerciales à court terme? La monnaie permet de normer les systèmes et les organisations productives. A ce niveau, le système de prix relatifs reflète les productivités sectorielles du travail dans chaque organisation productive. La zone franc a-telle favorisé la mise en place d'un système de prix relatifs qui correspond à l'état du développement des économies africaines? Ou a-t-elle tout simplement impliqué une extension du système de prix relatifs français à la zone CFA ce qui pose d'énormes problèmes en matière de structuration de nouveaux secteurs productifs, compétitifs dans ces économies? Pour un certain nombre d'économistes, la zone franc a permis aux économies africaines d'assurer la stabilité monétaire et une gestion saine des grands équilibres macroéconomiques. Mais cette stabilité a-t-elle été plus importante que dans d'autres pays africains qui n'appartiennent pas à la zone? Certes, un grand nombre de pays africains (Ghana, Nigeria, GuinéeBissau) n'ont pas réussi à gérer leur monnaie de manière rigoureuse entraînant ainsi de grandes tensions inflationnistes et une grande dévalorisation de leur signe monétaire. Mais d'autres pays africains (Tunisie, Maroc, Burundi, Botswana, Gambie) ne disposant pas d'importantes ressources ont pu gérer de manière efficace leur unité monétaire. De ce point de vue, il est important de connaître l'apport exact de la zone à la stabilité des monnaies. La politique monétaire constitue avec la politique budgétaire les fondements de la politique économique au sein d'une économie nationale. Le dosage entre ces deux politiques permet aux responsables de relancer les 12 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC dynamiques de croissance dans les périodes de récession et de les réduire lorsque les tensions inflationnistes apparaissent. Dans quelle mesure l'abandon de la politique monétaire a-t-il ôté aux pays africains les moyens d'action sur la conjoncture économique pour répondre à leurs besoins? Ou l'abandon de l'arme monétaire a-t-il été à l'origine d'une gestion plus rigoureuse de la politique économique dans l'ensemble de ces pays? La gestion de la monnaie et les taux de change constituent un outil important dans les stratégies de compétitivité de l'ensemble des pays. Certes, on ne peut pas réduire la compétitivité des économies aux manipulations des taux de change. En effet, les nouvelles théories des relations internationales défendent des conceptions de la compétitivité qui mettent l'accent sur les gains de productivité sectorielle, l'éducation et l'investissement dans le capital humain. A ce niveau, une question se pose: dans quelle mesure l'abandon de l'arme monétaire a-t-il défavorisé la compétitivité des économies de la zone? L'existence de monnaie commune devrait a priori faciliter les expériences d'intégration régionale. Or, l'intégration dans la zone est restée relativement faible et, au contraire, on a assisté à un approfondissement des relations verticales entre les pays de la zone et les économies européennes. Quels ont été les obstacles au développement de l'intégration régionale? La monnaie commune n'est-elle pas insuffisante pour développer une plus grande complémentarité entre les économies? L'intégration régionale n'exige-t-elle pas des stratégies d'investissements productifs communs qui seront à l'origine du développement des échanges? La zone franc et le rattachement à l'euro La question des conséquences du rattachement de la zone franc à l'euro est une question cruciale. Les contributions dans cet ouvrage considèrent que le rattachement à la zone euro présente une série d'avantages liés notamment à la garantie monétaire, à l'obligation de rigueur monétaire pour les autorités de la zone, à une plus grande crédibilité au niveau international et à l'ouverture d'un marché beaucoup plus important pour les pays de la région. Cependant, ce rattachement risque de reproduire les maux de la zone franc dont la domination et la perte d'autonomie des économies africaines ainsi que la fuite de capitaux du fait de leur libre transférabilité. De ce point de vue, le rattachement du franc CFA à la zone euro exige la définition de la mise en place d'un ensemble cohérent de mesures capables d'atténuer les contraintes liées à ce choix. Il s'agit d'un ensemble cohérent de mesures solidaires, destinées à affecter à la fois la demande et l'offre, afin de réduire le déficit extérieur, accroître la production, contenir l'inflation, résorber le chômage et, en définitive, restaurer la confiance. Ce rattachement devrait s'étendre à d'autres monnaies africaines qui viendraient rejoindre la zone euro. Ces choix monétaires doivent s'inscrire dans une stratégie plus large dont l'objectif est l'amélioration des avantages comparatifs des pays africains. INTRODUCTION 13 Mais ce rattachement laisse néanmoins apparaître une série de questions. Le rattachement du CFA à une monnaie forte ne risque-t-il pas de détériorer encore plus la compétitivité des économies africaines? Le déficit commercial des pays africains ne pourrait-il pas s'approfoQdir entraînant de nouvelles dévaluations du franc CFA? L'Europe ne sera-t-elle pas amenée à imposer à terme une dévaluation du franc CFA comme condition à la poursuite de son rattachement à l'euro? Cette dévaluation serait-elle uniforme pour tous les pays de la zone ou différenciée compte tenu des performances économiques des économies des pays africains? L'Europe exigera-t-elle des pays africains de respecter les critères de stabilité du traité de Maastricht et notamment la réduction des déficits publics à 3% du PIB? Mais, au-delà des questions monétaires, quel avenir au développement en Afrique suite à ce rattachement? Les économies de la zone sauront-elles profiter de l'ouverture d'un plus large marché? Ce rattachement permettrait-il aux pays africains de dépasser leur insertion rentière dans l' économie internationale? Quelles sont les conséquences de ce rattachement sur l'avenir des relations entre les pays européens et les pays ACP? Monnaies africaines et globalisation Il faut souligner que les monnaies africaines sont confrontées aux mêmes questions que le franc CFA. Ces monnaies se trouvent aujourd'hui à la croisée des chemins. En effet, dans un contexte de mondialisation et de globalisation financières, il est urgent de poser la question de l'avenir des monnaies africaines. Faut-il privilégier un ancrage à une monnaie forte, comme le franc CFA, afin d'assurer la stabilité et ouvrir un marché plus large aux entreprises nationales? Ou, au contraire, faut-il opter pour une gestion prudente et pragmatique avec un flottement contrôlé du taux de change des monnaies nationales? Ces politiques nationales pourront-elles résister à la mondialisation des économies? Ce choix ne nécessiterait-il pas la construction de zones monétaires régionales afin de répondre à la globalisation et aux mouvements spéculatifs de capitaux? Cette coopération pourrait-elle se limiter au domaine monétaire et n'exigerait-elle pas la définition de stratégies de développement communes? En définitive, l'approfondissement de l'intégration régionale n'est-il pas la réponse appropriée à la globalisation financière? En définitive, ces contributions pennettent de mettre de nouveau l'accent sur l'importance des questions monétaires et financières pour l'avenir du développement en Afrique. Elles invitent à la poursuite de cette réflexion et à l'approfondissement des questions théoriques et empiriques. Par ailleurs, en dépit de la diversité des arrangements institutionnels et des politiques monétaires, les monnaies africaines sont confrontées aux mêmes défis dans un contexte de globalisation. De ce point de vue, cette réflexion sur 14 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC l'avenir du franc CFA avec l'instauration de l'euro doit être élargie aux autres expériences monétaires africaines. Cette réflexion doit, enfin, pendre en considération le contexte intellectuel et théorique nouveau créé par la crise des programmes d'ajustement et s'inscrire dans les efforts et les tentatives de renouvellement des pratiques et des théories du développement de l'après-ajustement. PREMIÈRE PARTIE LA ZONE FRANC : ÉLÉMENTS POUR UN BILAN 1 La zone franc: essai de bilan économitlue et institutionnel Par Tchétché N'GUESSAN L'avènement de l'euro exige que les pays y participant et, indirectement, leurs partenaires se soumettent à de nouvelles règles de gestion monétaire et économique. C'est selon cette exigence que le franc, qui est une monnaie commune à tous les pays de la zone franc, va disparaître, et que la Banque de France va devenir un élément des onze agences nationales de la nouvelle Banque centrale européenne désormais responsable de la politique monétaire qui sera mise en œuvre en France. Certes, des assurances ont été données. Ainsi les francs CFA seront rattachés à l'euro et les comptes d'opérations demeureront au Trésor français. Mais l'ampleur des bouleversements à venir est telle qu'il ne faut pas exclure totalement que naisse demain le besoin de réformer ce qui restera de la zone franc, dans l'intérêt de tous les États qui en sont membres. Or, pour être efficace, une telle réforme doit s'appuyer sur les éléments fondamentaux de l'actif et du passif des performances économiques et institutionnelles des pays africains de la zone franc. La zone franc est composée aujourd'hui de la France et de quinze pays africains. A l'exception de la République islamique des Comores, les quatorze autres pays sont organisés en deux groupes distincts. Le premier groupe est constitué des membres de l'Union économique et monétaire de l'Ouest africain (UEMOA), c'est-à-dire le Bénin, le Burkina Faso, la Cote d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Le second groupe se compose, lui, des membres de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC): le Cameroun, la République centrafricaine, le Congo, le Gabon, la Guinée-Équatoriale et le Tchad 1• 1. Voir en annexe 1 les principaux indicateurs économiques des pays africains de la zone franc. 18 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC L'objectif de cette contribution est donc de fournir des éléments de bilan économique et institutionnel de la zone franc. L'atteinte de cet objectif privilégie la combinaison de deux approches. D'abord, nous comparons à partir de données secondaires les indicateurs économiques des pays africains de la zone franc (PAZF) à ceux des pays hors zone franc. Ensuite, nous analysons le comportement des pays membres vis-à-vis du respect effectif des engagements pris dans le cadre de la zone franc. Enfin, pour tirer l'essentiel des enseignements de cette expérience, nous avons retracé la genèse de cette zone monétaire. La nécessité de s'appuyer sur les circonstances de sa naissance pour élaborer le bilan critique de la zone franc s'explique par la mutation qu'elle a connue avec l'indépendance. Elle était un instrument de mise en œuvre du pacte colonial dont le but était d'assurer une organisation et une gestion de la domination rationnelle des colonies françaises. Aujourd'hui, elle est devenue l'instrument de conclusion et de réalisation du pacte postcolonial qui sous-tend le développement des États africains membres de la zone, avec l'appui de la France. Étant donné que deux objectifs opposés ne peuvent être atteints avec les mêmes instruments ou en les utilisant de la même manière, nous chercherons à savoir si, dans la pratique, la zone franc du pacte colonial est différente de la zone franc du pacte postcolonial. Les réponses à ces questions seront mises en rapport avec les performances macroéconomiques et institutionnelles des PAZF. Cette contribution est organisée autour de deux sections. La première porte sur la zone franc dans le pacte colonial et la seconde section traite le même phénomène dans la période postcoloniale mais cette analyse inclut, en plus, des éléments de bilan économique et institutionnel. La zone franc dans le pacte colonial La zone franc reste encore fortement marquée par les fondements des instruments utilisés durant la colonisation. Ces derniers aident à mieux comprendre le fonctionnement actuel de la zone franc et, en conséquence, à évaluer les performances des pays africains qui en sont membres. La genèse de la zone franc Le fondement originel de la zone franc reste le pacte colonial. Celui-ci a été souvent présenté comme un mécanisme exclusivement commercial. En fait, il comprenait également une dimension monétaire qui a sou'vent été perdue de vue. La dimension commerciale du pacte colonial reposait sur cinq principes: 1. les produits des colonies ne pouvaient être transportés que sur le marché métropolitain; LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN 19 2. la navigation, d'une part entre les colonies et la métropole et vice versa, et d'autre part de colonie à colonie, était réservée à la marine française; 3. le marché colonial était fermé aux produits étrangers. Seule la production métropolitaine pouvait alimenter le marché des colonies, sauf dans le cas de certaines exceptions prédéterminées; 4. les produits coloniaux avaient un privilège ou un traitement de faveur sur le marché métropolitain; des droits protecteurs garantissaient un débouché certain à la production des colonies; 5. les produits coloniaux ne pouvaient être manufacturés dans les colonies mais exclusivement sur le territoire métropolitain (Neurrisse, 1987: 50). La rationalité du pacte colonial résidait dans le fait que les colonies françaises étant pauvres en métaux précieux, le choix avait été fait d'encourager la création de produits manufacturés en métropole et d'interdire leur fabrication dans les colonies. Ces dernières devaient se contenter uniquement de fournir des matières premières. Le pacte colonial réunissait ainsi les conditions suffisantes pour assurer à la métropole un solde positif de son commerce extérieur. Et les moyens ainsi dégagés lui permettaient, en retour, d'acheter les métaux précieux que les colonies ne lui fournissaient pas. Quant à la dimension monétaire, elle reposait, au départ, sur le principe de la séparation: la monnaie française ne devait pas circuler dans les colonies, tout comme celles coloniales ne pouvaient pas être utilisées en France. Cette interdiction s'inspirait du bullionisme qui considérait l'exportation de monnaies métalliques dans les colonies comme un appauvrissement de la France. Le système des monnaies coloniales procédait du même état d'esprit que celui ayant instauré les mécanismes commerciaux du pacte colonial: « la colonie devait être un moyen d'enrichir la métropole, ainsi qu'un atout pour lui donner poids et prestige dans le concert des pays les plus forts» (Neurrisse, 1987: 49). Dans ses Principes d'économie politique, John Stuart Mill (1948) soutient que« la fondation d'une colonie est la meilleure affaire où l'on puisse engager les capitaux d'une nation vieille et riche ». Mais A. Neurrisse fait remarquer pertinemment que le système colonial ne pouvait être une « affaire », au sens où l'entendait J.S. Mill que s'il était organisé au profit de la puissance colonisatrice et au détriment du pays colonisé... » (JohnStuart Mill, 1948.) L'influence de cet état d'esprit sur l'évolution du système des monnaies coloniales et la création de la zone franc peut être historiquement retracée. Car selon les exigences du temps, le système des monnaies coloniales a pris diverses formes. Au XVIIIe siècle il demeurait toujours au service du développement économique de la métropole, qui privilégiait, le principe de la séparation monétaire qui servait le mieux ses intérêts. Le XIXe siècle sera marqué par le principe de l'unification monétaire. En 1803 la création du franc sera suivie de l'interdiction d'utiliser de l'argent colonial en 20 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC métropole; la loi du 8 août 1920 donnera cours forcé au franc dans toutes les colonies. Le principe de l'unification monétaire est renforcé à la suite de la crise de 1929. En 1934, l'idée de la création d'un bloc économique franco-colonial est exprimée avec insistance par le ministre français des Colonies, Albert Sarraut. Selon lui, la naissance d'un tel bloc était rendue nécessaire par les conséquences de la crise de 1929. Son argument, notamment, portait sur «la persistance de l'anarchie économique mondiale, l'échec de toute tentative faite pour conserver le libre-échange, l'échec de l'organisation de l'Union européenne... » (Marseille, 1989.) Pour faire face à l'épreuve de la crise, le ministre français soutenait que l'Angleterre avait réussi à créer une solidarité économique entre elle et ses dominions, et que la France devait en faire autant, puisque la situation économique de la métropole et celle des colonies étaient devenues désastreuses (Godeau, 1995). Ce plaidoyer convainquit et la zone franc fut finalement créée par les décrets du 28 août, du 1er et du 9 septembre 1939, établissant un espace économique à l'intérieur duquel les monnaies sont convertibles et bénéficient des règles de protection commune. A l'issue de la seconde guerre mondiale, le principe de l'unification s'avère inadapté aux intérêts de la métropole. En effet, durant l'occupation de la France, l'Afrique était ralliée à de Gaulle et au Comité national français. Cette alliance avait entraîné une réduction du flux du commerce entre les colonies africaines et la métropole. L'occupation elle-même avait amené les colonies africaines à diversifier leurs partenaires commerciaux. Enfin, les prix avaient évolué différemment selon les colonies et en métropole. Tous ces développements ont eu pour conséquence l'abandon du principe de l'unification au profit d'un système comportant plusieurs monnaies. R. Godeau (1995: 35) précise à ce sujet qu'« en 1939, avant que n'entre en vigueur le contrôle des changes instauré par le décret du 9 septembre, 64 % des importations de l'AOF provenaient de la France (et 45 % pour l' AEF) qui absorbait de son côté 85 % de ses exportations (74% pour l'AEF). Au lendemain de la guerre, en 1945, ces chiffres passent respectivement à 23 % (4 %) et 56 % (47 %) ». S'agissant des prix, en 1944, les territoires qui étaient ralliés à Londres avaient une hausse comprise entre 2,5 et 3 % par rapport à 1939 (Muzereau, 1948), alors que dans les autres territoires, la hausse était comprise entre 3,5 et 4,7%. C'est dans ce contexte et dans le cadre des accords de Bretton Woods qui visaient à en finir avec le désordre monétaire international que la France s'est vue contrainte de dévaluer sa monnaie unique qui était d'usage en métropole et dans les colonies. La métropole saisit cette opportunité pour se donner les moyens d'inverser les courants d'échange en sa faveur. Elle fit éclater, en 1945, la zone franc en trois sous-zones: le franc métropolitain, le franc du Pacifique et le franc des Colonies françaises d'Afrique (franc CFA). Ces trois sous-ensembles composent cependant «l'union française»; la zone franc reste par conséquent un système monétaire de LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN 21 l'empire français. Toutefois, cette organisation n'avait pas pris en compte l'aspiration à l'émancipation des peuples, suscitée par la victoire des alliés. La constitution adoptée lors du référendum du 28 septembre 1958 tente de corriger ce décalage. Tirant les enseignements de l'évolution des mentalités, la métropole substitue à l'Union française la communauté française. Au sein de celle-ci, il est proposé aux colonies de choisir entre trois statuts: devenir des départements, devenir autonome à l'intérieur de la communauté ou garder le statu quo. Mais cette réforme ne se reflétera jamais dans le domaine de la gestion de la monnaie. De fait, en dehors de la Guinée de Sékou Touré qui a rejeté le référendum, les colonies africaines, qui avaient fait le choix de demeurer des «républiques» au sein de la communauté, expérimentèrent le statu quo en matière monétaire. Sur ce dernier point, l'article 77 de la constitution de la Communauté est précis: la monnaie relève de compétence commune. Cela étant, la zone franc reste pratiquement la même dans le cadre de la Communauté française autant que dans celle de « l'union ». La métropole ne pouvait pas mieux montrer, par cette politique, à quel point elle tenait à la monnaie comme instrument de sa politique de développement. La lecture des acteurs de la zone franc durant la période coloniale et des moyens qu'ils utilisaient pour son fonctionnement est éloquente à ce sujet. Cependant, le fait d'avoir souligné qu'à l'origine la zone franc reposait sur le pacte colonial peut prêter à confusion quant à la participation des colonies aux décisions qui étaient prises en matière monétaire, depuis le début de la colonisation jusqu'aux indépendances politiques. A cet égard, il faut préciser qu'en réalité le pacte colonial n'était pas un pacte au sens strict de partenariat car seule la métropole décidait des différentes mesures monétaires. L'autre acteur qui peut être retenu à côté des autorités de la métropole, à partir de 1944, est le Fonds monétaire international. Comme le souligne A. Neurrisse (1987: 94) «bien qu'il n'en est pas fait mention, les décisions ont été prises en accord avec le Fonds monétaire inter-national; la loi portant approbation de l'adhésion à l'institution monétaire internationale a été publiée postérieurement à la dévaluation: il s'agit de la loi numéro 45-01 38 du 28 décembre 1945. Le Fonds a homologué ce même jour, 28 décembre, la dévaluation du franc, avec la création des francs CFP et CFA ». La politique de change constitue un des moyens qui ont joué un rôle fondamental dans l'adaptation de la zone franc aux préoccupations de la métropole dans le temps, elle se positionne au premier plan. D'abord, lorsqu'il s'est agi de se protéger des conséquences de la crise de 1929, la France a institué le contrôle de change pour aboutir, à la création de la zone franc. Ensuite, quand, au sortir de la deuxième guerre mondiale, elle a voulu reconquérir sa position commerciale d'avant-guerre dans les colonies, elle a eu recours à une dévaluation différenciée du franc le 26 décembre 1945. C'est par ce moyen que la zone franc a été éclatée en trois souszones ci-avant évoquées. 22 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC S'agissant des colonies africaines, le franc qui y circulait et qui a été défini comme le franc des colonies françaises d'Afrique (CFA) a subi une dévaluation inférieure à celle du franc utilisé en métropole. En effet, par rapport au dollar, la dévaluation du franc des colonies n'était que de 40,1 %, alors que celle du franc métropolitain était de 138 %. Ce choix de la part de la métropole « a provoqué un resserrement des relations économiques entre les membres de la zone franc, notamment au niveau des échanges, avec la constitution d'une zone commerciale préférentielle. La centralisation en vigueur dans la zone franc a permis, en quelques années, de renforcer l'emprise de la métropole sur ces colonies, principalement par la reconstitution des marchés protégés et le rétablissement des surprix » (Sandretto et al. 1994: 35). D'autres auteurs ajoutent que « la restauration d'un contrôle métropolitain sur les activités commerciales et productives outre-mer s'est traduite par des rapports de domination ayant des incidences sur le mode de développement des territoires» (Moussa, 1957: 106). Le compte d'opérations a été un autre moyen fondamental que la France a utilisé pour le fonctionnement de la zone franc durant la période coloniale. Selon M. Leduc (1961), ce compte était utilisé avant la création de la zone franc pour assurer la convertibilité en franc métropolitain des francs des banques coloniales privilégiées. Le système a été généralisé après 1945 pour assurer la pérennité, la convertibilité des monnaies membres de cette zone qui constitue la principale caractéristique de la zone franc. Dès lors, une question surgit: pourquoi la métropole a-t-elle accordé le privilège de l'émission monétaire aux colonies? La genèse des instituts d'émission des PAZF Les conséquences de l'abolition de l'esclavage sont à l'origine de la création des instituts d'émission de la zone franc. En effet, lorsqu'en 1848, le salariat s'est substitué au servage, les colons devaient désormais rémunérer la main-d'œuvre. Celle-ci se faisait rare. Dans le même temps, la demande de produits exotiques en métropole devenait forte avec l' industrialisation et ses effets induits sur les colonies. Avec tous ces facteurs les colons devaient obtenir davantage de moyens financiers pour la poursuite de leurs activités à la suite de l'abolition de l'esclavage. C'est essentiellement pour résoudre ce problème que la métropole a accordé le privilège d'émission dans les colonies à certaines banques privées françaises. Au nombre de celles-ci, figure la Banque du Sénégal, créée par la loi du 21 décembre 1853. Son directeur est élu par son conseil d'administration, il est révocable et peut être suspendu par le gouvernement. Le conseil d'administration comprend 3 actionnaires élus par l'assemblée générale des actionnaires, le trésorier général de la colonie et deux censeurs: un élu par l'assemblée générale, l'autre nommé par le ministre. Comme toutes les autres banques d'émission. la Banque du Sénégal assurait le double rôle d'institut d'émission et de crédit. Le rôle de cette LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN 23 banque était cependant limité. Elle n'octroyait pas de prêts sur les récoltes pendantes. Elle subissait la concurrence des banques métropolitaines. L'action de son conseil d'administration était biaisée par les groupes d'intérêt qui le dominaient. Au total, la Banque du Sénégal était dotée d'un statut privé, mais l'État français y avait des prérogatives: il nommait le directeur, désigné par le conseil d'administration, et un censeur au plan local pour le contrôle des opérations et la gestion. Malgré toutes ces prérogatives, l'influence de l'État était indirecte. La métropole a donc entrepris une série de réformes avec comme objectif de contrôler entièrement l'émission dans les colonies. C'est ainsi que lorsque les limites de la banque du Sénégal se sont accentuées avec l'extension du domaine colonial, la métropole l'a transformée et a créé la Banque de l'Afrique de l'Ouest (BAO) par décret du 29 juin 1901. A la différence de la Banque du Sénégal qui avait son siège au Sénégal, la Banque de l'Afrique de l'Ouest a vu son siège transféré à Paris, plus près des centres de décision politiques. La BAO est mieux préparée à accorder des crédits commerciaux pour des produits locaux que la Banque du Sénégal et, à partir de 1904, elle prend des participations dans la constitution des sociétés. Le champ d'opérations de la BAO, qui a débuté au Sénégal, couvrait toute la côte occidentale et l'intérieur de l'Afrique. En dépit de ces nouvelles prérogatives, les efforts de la BAO en faveur du développement ont été insuffisants. Elle se contentait surtout de faire de l'escompte et des opérations de change. A. Neurisse (1987: 77) souligne que c'était plus un bureau de change qu'un établissement financier. Tout comme la Banque du Sénégal, la BAO était au départ, elle aussi, une structure privée. Mais elle a été transformée par la suite en société mixte. Il apparaît donc ici aussi que le contrôle de l'émission par l'État n'était que partiel. La BAO, tout comme la Banque du Sénégal, était gérée surtout sous l'influence d'intérêts privés, laquelle ne permettait pas toujours à ces banques de remplir le rôle d'institut d'émission avec toute l'efficacité attendue (Bloch-Laine et al. 1956: 58). La politique d'émission va donc changer avec le mouvement de libération de la France. En effet, au moment où les Allemands mettaient en place leur système financier en métropole, le Comité français de la libération nationale créa la Caisse centrale de la France libre (CCFL) le 2 décembre 1941. La CCFL était chargée essentiellement de gérer les offices coloniaux placés sous l'autorité du gouverneur. Elle deviendra la Caisse centrale de la France d'outre-mer (CCFOM), qui était plus un organisme de trésorerie et de contrôle de change qu'un institut d'émission. Cependant, la BAO, qui de fait a tenu le rôle d'institut d'émission jusqu'au 30 septembre 1955, ne pouvait pas refuser la monnaie locale à la CCFOM ayant ainsi un droit d'émission indirect. En dépit de cette innovation, l'État n'avait pas la maîtrise de l'émission monétaire. Il y avait une disproportion entre les moyens dont disposaient les succursales et les filiales des banques métropolitaines installées sur les ter- 24 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC ritoires d'outre-mer et ceux de la BAO, car les premières étaient alimentées par leurs maisons mères. Cette concurrence, ajoutée au fait que la politique de la BAO était biaisée par des intérêts privés, a conduit les pouvoirs publics à retirer le privilège d'émission à la BAO pour le confier à deux instituts d'émission qui étaient cette fois des établissements publics, que sont: l'institut d'émission de l'AOF-Togo et l'institut d'émission de l'AEF du Cameroun. En 1959, les instituts seront respectivement rebaptisés en 1959 Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) et Banque centrale de l'Afrique équatoriale et du Cameroun (BCEAEC). Celle-ci prendra le nom de Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC). Cependant, les deux instituts d'émission avaient des caractéristiques communes: les statuts, les attributions, la convertibilité des francs CFA (Gerardin 1989: 75). Les statuts indiquent, pour l'essentiel, que les instituts sont des établissements publics, qui avaient leurs sièges à Paris. Un tiers des membres du conseil d'administration de chaque institut d'émission étaient des représentants des territoires sur lesquels s'exerçait le privilège d'émission. Les billets émis par chaque institut n'avaient cours légal que dans sa zone d'émission. En plus de l'émission, les deux principales activités de ces instituts consistaient, d'une part, à réescompter des effets à court terme et à consentir des crédits aux banques pour une période inférieure à six mois et, d'autre part, elles effectuaient des transferts entre la métropole et les territoires d'outre-mer. La convertibilité des francs CFA était assurée ici encore à partir de deux comptes d'opérations ouverts auprès du trésor français. « En effet, aux termes des conventions portant création d'un compte d'opérations entre le trésor et un institut d'émission d'outre-mer, un compte courant est ouvert au nom de l'institut à l'agence comptable centrale du trésor. Ce compte est crédité de tous les paiements et débité de tous les recouvrements effectués dans le territoire par l'institut pour le compte du trésor... »(Bloch-Laine et al. 1956: 365.) Les auteurs ajoutent que «l'objet d'une convention de compte d'opérations est d'assurer au Trésor et à la banque d'émission l'avance permanente, illimitée et réciproque de leurs besoins de change, d'obliger la banque à reverser au trésor ses excédents de change métropolitains, de l'inciter, par le jeu d'un intérêt progressif à sa charge, en cas de position débitrice du compte, à prendre toutes les mesures susceptibles de limiter le déséquilibre de la balance des comptes du territoire» (BlochLaine et al. 1956). Au total, les moyens utilisés pour le fonctionnement de la zone franc durant la période coloniale ont été affinés dans le cadre de la Communauté française. Les règles de fonctionnement sont précisées dans les décisions du président de la Communauté en date du 12 juin 1959. Rappelons les décisions relatives aux questions monétaires: 1. une parité fixe entre le franc qui est considéré comme une monnaie commune et les monnaies des États membres de la communauté dont les francs CFA; LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN 25 2. une liberté illimitée de transfert des capitaux entre les États membres; 3. une mise en commun de toutes les ressources en devises, gérées par le ministre chargé de la monnaie et de la politique économique et financière commune; 4. les réglementations douanières et les changes doivent être communs aux États de la communauté (Neurrisse, 1987: 115). La mise en commun des devises a pris également une fonne nouvelle avec la« Communauté française ». Dans le cadre de l'Union française, le système qui prévalait exigeait que toutes les devises étrangères de la métropole et des territoires d'outre-mer détenues par des agents économiques privés et publics fussent mises en pool, mais leur mode d'utilisation reposait sur le principe des besoins et non sur celui de l'apport. Autrement dit, les tirages ne se faisaient pas en fonction des apports de la métropole et de celui de chaque territoire d'outre-mer, mais selon leurs besoins (Neurrisse, 1987). Un tel mécanisme n'était pas incitatif pour les territoires d'outre-mer. Les réfonnes réalisées en vue de la Communauté ont tenu compte du caractère non incitatif du mécanisme de mise en commun des devises de l'Union française. Elles ont démontré que l'utilisation des devises dans la Communauté française se faisait plutôt en fonction de l'apport des membres. Au niveau des instituts d'émission la métropole était parvenue à s'imposer sur le secteur privé car elle en nommait les directeurs et les censeurs. Le pacte postcolonial et la zone franc Nous désignons par pacte postcolonial les accords monétaires francoafricains signés au début des années 60 et révisés au début des années 70 (voir annexes 5 et 6). Les objectifs et les moyens de fonctionnement de ce nouveau pacte ont également évolué par rapport à ceux coloniaux. Ils incitent à analyser aussi les perfonnances économiques et institutionnelles que les pays africains de la zone franc ont enregistrées dans le nouveau cadre de coopération arrêté après les indépendances politiques. Les objectifs et les moyens de fonctionnement actuels de la zone franc Si à l'origine, la zone franc était régie selon les principes du pacte colonial qui visait uniquement le développement de la France au détriment des colonies, il est annoncé que la zone franc postcoloniale a, elle, pour objet d'assurer conjointement le développement de la France et celui des pays africains membres. Cet objectif était déjà exprimé par la France et consigné dans la recommandation finale de la conférence de Brazzaville en 1944: « Le but de notre politique économique coloniale doit être le développement du potentiel de production et l'enrichissement des territoires 26 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC d'outre-mer, en vue d'assurer aux Africains une vie meilleure par l'augmentation de leur pouvoir d'achat et l'élévation de leur standard de vie» notent J. G Merigot et P. Coulbois (1950: 294). Avec l'indépendance, la zone franc entend renoncer au pacte colonial pour lui substituer un pacte postcolonial. Dans cette perspective, il serait intéressant d'analyser en quoi les acteurs et les moyens utilisés dans le cadre de la zone franc aujourd'hui sont différents de ceux de la période coloniale. Contrairement à la période coloniale, les États africains comptent désormais au nombre des acteurs à côté de la France et des institutions comme le FMI. Ceci étant, la zone franc postcoloniale commence avec de nouvelles institutions entre 1960 et 1963: la signature d'accords bilatéraux, la constitution de l'Union monétaire ouest-africaine (UMOA) et la signature d'un accord de coopération de cette institution avec la France donnent de nouvelles bases à la zone franc (annexes 5 et 6). En dépit de cette nouvelle donne, les moyens institutionnels qui sont utilisés dans le cadre de la zone franc aujourd'hui sont les mêmes que ceux utilisés durant la période coloniale à quelques réserves près: la fixité des parités, les comptes d'opérations, la mise en commun des réserves extérieures, le libre transfert des capitaux, les garanties des francs CFA, la limitation des avances aux trésors nationaux, la règle sur les avoirs extérieurs, l'harmonisation des réglementations des changes, les instituts d'émission postcoloniaux. Sur le mode d'organisation de ces instituts d'émission, la principale question concerne les relations que ces deux banques centrales entretiennent entre elles. La BCEAO et la BEAC sont dépendantes de droit, des hommes politiques. La dépendance de la BCEAO s'exprime par le mode de désignation de son gouverneur, qui est nommé par le Conseil des ministres pour une période de six ans. Cette dépendance est accentuée par le fait que depuis 1982 le mandat du gouverneur est renouvelable. Ce dernier est assisté d'un conseil d'administration dont les membres sont nommés par les gouvernements des États qui participent à la gestion de la banque. A l'exception de la France qui désigne un seul administrateur depuis la réforme de 1973, les États africains en désignent deux chacun. Toutefois, les statuts de la BCEAO ne disent rien sur la révocabilité du gouverneur. Par contre, la dépendance de la BEAC apparaît également à travers le mode de désignation de son gouverneur qui est nommé par le conseil d'administration à l'unanimité sur proposition du gouvernement gabonais tandis que les membres du conseil d'administration sont désignés par les États africains et par la France pour une durée de trois ans renouvelable. Tous les États participant au conseil d'administration ont un droit de veto dans la désignation du gouverneur dont le mandat est de cinq ans renouvelable. Les statuts de la BEAC sont explicites sur le fait que le gouverneur est révocable. Cette disposition est de nature à rendre le gouverneur fragile vis-à-vis des hommes politiques (N'Guessan, 1996). A la différence de la LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN 27 BCEAü, la BEAC possède des censeurs, désignés par le Cameroun, le Gabon et la France. Les deux instituts d'émission sont certes dépendants de droit, mais de fait ils jouissent d'une relative autonomie à cause de leur caractère multinational et du renoncement des États à certaines de leurs prérogatives. De plus, les gouverneurs et leurs collaborateurs sont mieux informés sur leurs activités que leurs tutelles (N'Guessan, 1979-;1991). Ce mode d'organisation des banques centrales a déteint sur la nature de leurs politiques monétaires. Les politiques monétaires originelles de la BCEAü et de la BEAC ont été marquées par l'inertie sur une longue période. Par exemple de 1962 à 1973, le taux de réescompte a été fixé à 3,5 % et le taux de change du franc français par rapport au franc CFA est resté le même de 1948 à 1994. Cette politique monétaire originelle des prix montre que les dirigeants de ces deux instituts d'émission s'appuient davantage sur des instruments d'action directe pour agir sur la masse monétaire. Ils recourent notamment à la politique des plafonds de réescompte et à la politique des concours globaux, à la politique d'orientation sectorielle du financement. Les politiques monétaires de ces deux instituts d'émission ont été l'objet de plusieurs réformes. La réforme significative de la BCEAü est la plus récente, elle porte sur la politique des prix, la politique d'intervention directe et la politique de contrôle qualitatif du crédit. La reforme de la politique des prix a consisté à supprimer le taux de réescompte préférentiel parce que les crédits octroyés à ce taux pour des secteurs prioritaires étaient détournés au bénéfice d'autres secteurs. Le marché monétaire qui a connu un début de fonctionnement en 1975 a été innové. Désormais, le taux d'intérêt du marché joue un rôle central dans la régulation du marché. Depuis octobre 1993, la BCEAü a également libéralisé les conditions des banques secondaires. La politique d'intervention directe a aussi connu des réformes. Celle des concours globaux -a été affinée. Désormais, dans la détermination de ces concours globaux, le niveau prévu pour les concours des campagnes agricoles n'est plus indicatif mais absolu. En 1993 la politique des réserves obligatoires a été instituée, tandis que la réforme de la politique du contrôle qualitatif du crédit a consisté à substituer aux autorisations préalables conduisant à une lourdeur administrative, l'accord de classement qui est une procédure de contrôle a posteriori du crédit. Quant aux réformes de la BEAC, le taux de réescompte de faveur a été supprimé en 1990. Elle a utilisé pendant longtemps l'instrument des plafonds de réescompte en politique d'intervention directe, qu'elle a remplacé par la méthode de programmation monétaire. Depuis 1994, la BEAC a institué un marché monétaire et le montant de refinancement maximum n'est plus absolu mais indicatif. De ce qui précède, il ressort que les règles de fonctionnement de la zone franc originelles qui étaient inspirées par les principes du pacte colonial ont fortement marqué le mode de fonctionnement actuel de la zone franc. 28 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Cependant, dans le cadre de la zone franc postcoloniale, les États africains sont devenus des acteurs au même titre que la France. Ils sont donc responsables des performances et des contre-performances des politiques monétaires conduites depuis les indépendances politiques. Les performances des pays africains de la zone franc Dans l'analyse des performances il est souvent difficile d'isoler l'impact d'un facteur sur un indicateur économique lorsque celui-ci est le résultat de l'influence de plusieurs facteurs. Mais l'organisation monétaire étant un des traits distinctifs des pays africains de la zone franc, la comparaison des performances économiques avec celles des pays qui n'appartiennent pas à une zone monétaire est possible. Ainsi, l'analyse commence par discuter des éléments de performances économiques, ensuite, elle traitera des éléments de performances institutionnelles. • Les performances économiques L'analyse comparée des performances économiques des PAZF et hors zone franc 2 porte sur trois indicateurs: l'inflation, le PIB en terme réel, l'épargne nationale en pourcentage du PIB: ces éléments sont représentés sur les graphiques suivants. Les graphiques révèlent que sur la période 1970-1995, les PAZF enregistrent de meilleures performances par rapport aux autres pays africains dont les monnaies ne sont pas rattachées à une monnaie centre. Cependant, ces performances sont nuancées selon la période d'analyse considérée. Pour la période 1975-1985, on remarque que les termes de l'échange se sont améliorés pour les pays de la zone franc alors qu'ils se sont détériorés pour les pays hors zone franc. Dans ce contexte, les PAZF ont enregistré une croissance économique deux fois plus forte que celle des pays hors zone franc et le taux d'inflation est de moitié plus faible dans les PAZF par rapport aux pays hors zone franc. Le taux de l'épargne représente en moyenne 15 % du PIB dans les PAZF alors qu'il ne représente que 10% du PIB dans le second groupe. De 1985 à 1993, les performances économiques des PAZF sont moins bonnes à cause de la surévaluation du franc CFA due en partie à la baisse du dollar par rapport au franc français. Il s'y ajoute les termes de l'échange qui deviennent défavorables pour les PAZF. A partir de 1985, on observe une stagnation du produit intérieur brut. Il baisse en 1992 et 1993 avant de 2. Les éléments de perfonnance de la zone franc qui vont suivre sont empruntés à une étude de A. Hoffmaister et al. (1998). Celle-ci est menée à partir d'un échantillon de 23 pays décomposés en deux groupes. Le premier groupe est celui des pays africains de la zone franc, notamment le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo, la Côte d'Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Le deuxième groupe de pays se caractérise par le fait que leur monnaie n'est pas rattachée à celle d'un pays centre. Ce sont le Botswana, le Burundi, l'Éthiopie, la Gambie, le Ghana, le Lesotho, le Liberia, Madagascar, la Mauritanie, le Mozambique, le Rwanda, la Sierra Leone, le Swaziland, la Tanzanie et l'Ouganda. 29 LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN croître à partir de 1994 à la suite de la dévaluation. Les pays hors zone franc ont connu un taux de croissance de leur PIB estimé à 2,30%. Ils connaissent également des contre-performances en matière de taux d'épargne qui chute également à partir de 1985 à cause des déséquilibres internes liés à l'accroissement des dépenses publiques et à l'effet d'éviction. --' 200r-_~ l'Iil Récl (1 'Jl.'> UN}) 70 Pri~ ;i la ('(HISŒlIIllahun . "'.rlll/wn (Itlntld/(' ('n ~.) 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Ce niveau d'endettement s'explique en partie par la règle de la limitation des avances aux Trésors nationaux. A partir de 1994, les indicateurs économiques des PAZF redeviennent meilleurs que ceux des pays hors zone franc. Le principal enseignement à tirer à ce stade est que le régime de change adopté par les PAZF joue un rôle déterminant pour leurs performances économiques (Shantayanan, 1996). D. Stasavage (1996) a aussi mené une analyse comparée de même nature que celle de Hoffmaister et al. (1998), mais elle concerne la stabilisation budgétaire. L'auteur s'est intéressé à la période 1980-1993. Il en ressort que la moyenne des déficits budgétaires des pays hors zone franc a diminué de 2,8% du PIB entre deux périodes 1980-1985 et 1986-1992. Entre ces mêmes périodes, la moyenne du déficit budgétaire a augmenté de 1,4% du PIB dans les PAZF. La conclusion est qu'il faut se garder de surestimer la capacité des règles des institutions de la zone franc à renforcer l'équilibre budgétaire des États membres. Même si les bonnes performances enregistrées en matière de maîtrise de l'inflation sont en partie liées à ces règles. Ces règles favorisent mais ne garantissent pas la discipline budgétaire, rappelle J. M. Boughton (1993). Toutefois, peut-on conclure que ces règles ont permis d'assurer l'intégration économique des pays membres des unions monétaires de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale. Par contre, des relations commerciales et financières entre les PAZF et la France méritent aussi d'être analysées. L'annexe 2 montre que les règles de la zone franc et celles des unions monétaires africaines n'ont pas permis l'intégration des économies africaines. En moyenne, le commerce intrazone des PAZF est de 8,9% entre 1970-1993. Celui des pays de l'Afrique de l'Ouest est de 10,6% et de 6,4% en Afrique centrale. Les annexes 3 et 4 révèlent que les relations commerciales entre les PAZF et la France sont devenues faibles avec le temps, au bénéfice de l'Union européenne. • Les performances institutionnelles Les pays africains de la zone franc ont des politiques monétaires plus crédibles parce qu'elles sont soumises à une discipline collective. Une monnaie unique à plusieurs pays opérant à partir de règles multinationales est généralement plus crédible (Giavazzi et Pagano, 1988; Agenor, 1991). Les arrangements monétaires avec la France permettent aux PAZF d'avoir une monnaie convertible qui encourage les investisseurs étrangers à s' installer chez eux d'une part, et, d'autre part, ils sont de nature à favoriser le commerce entre les Européens et les Africains. Cependant, la faiblesse de ces arrangements monétaires franco-africains réside dans le fait que les pays africains y perdent la possibilité d'utiliser le LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN 31 taux de change comme instrument de politique économique. Cette faiblesse explique pourquoi les PAZF ont mis plus de dix ans pour retrouver la croissance économique lors de la crise des années quatre-vingt. Plus que la perte de la politique de change comme instrument de politique économique, le principal handicap résida dans le fait que les PAZF ont perdu leur autonomie monétaire, en raison du triangle d'incompatibilité de Mundell. Celui-ci montre que le régime de change fixe, le libre transfert des capitaux et l'autonomie de la politique monétaire, sont uniquement compatibles deux à deux. Or, les accords franco-africains reposent sur le régime de change fixe et le libre transfert des capitaux (Semedo et Villieu, 1997; Tchatchouang et Mougal, 1996). Le mérite d'une organisation ne s'apprécie pas uniquement par ses résultats, mais également par sa capacité à faire en sorte que ses membres respectent les règles auxquelles ils ont adhéré. Pour analyser la manière dont la France et les PAZF respectent les accords de coopéautonomie de la politique monétaire ration qu'ils ont signés trois règles fondamentales de la zone franc doivent être examinées: la garantie par le compte d' opérations, la limitation des avances aux trésors nationaux et la règle des avoirs extérieurs. La garantie de la convertibilité par le compte d'opérations signifie que les créanciers des banques centrales africaines sont certains de pouvoir être payés par le franc français qui est une monnaie convertible et ceci de manière illimitée. La France s'est donc engagée à fournir aux instituts d'émission leurs besoins de financement intérieur et extérieur (Semedo et Villieu, 1997), mais elle n'a pas toujours respecté cet engagement. En effet, au début des années quatre-vingt-dix, lorsque la crise dont souffraient les pays africains de la zone franc s'est exacerbée et que le compte d'opérations était négatif, le FMI a subordonné son appui à une dévaluation des francs CFA. La France et les pays africains ne partageaient pas cette position. En 1993, la France qui ne pouvait plus assurer le financement des économies africaines de la zone franc de manière illimitée a pris l'initiative de demander au PAZF de recourir au FMI pour leurs financements. Cette proposition revenait à accepter la dévaluation des francs CFA qui est intervenue le 1er janvier 1994. De leur côté, les États africains ont pris l'engagement de respecter la règle établissant que la Banque centrale ne peut financer un État que pour un montant qui correspond à 20% de ses recettes fiscales antérieures. 32 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC D. Stasavage (1996: 166) soutient que l'esprit de cette règle a été détourné. « Le principal détournement consistait en des pressions exercées par les gouvernements sur les banques commerciales et de développement pour consentir des prêts pour des raisons politiques. Fréquemment, ces prêts ont joué le même rôle qu'un transfert budgétaire, mais ils ne comptaient pas comme des emprunts du gouvernement au regard de la règle de 20%. Ils comprenaient par exemple des prêts pour récupérer des opposants politiques, pour soutenir des entreprises publiques en faillite et pour subventionner les prix des biens de consommation. Les banques commerciales et de développement ont par la suite très fréquemment peu financé ces prêts avec les deux Banques centrales aux taux concessionnaires. » La règle n'a pas été violée seulement de manière indirecte, mais elle a aussi été détournée de manière directe. C'est ainsi que pendant les années précédant la dévaluation, la violation a été plus prononcée en Côte d'Ivoire. Le Mali et le Bénin ont bénéficié des mêmes facilités lors des troubles politiques que ces deux pays ont connus (Stavasage, 1996). La conclusion est que les règles de fonctionnement de la zone franc ne sont pas toujours respectées à cause des motivations bureaucratiques par les PAZE Conclusion La dimension monétaire du pacte colonial a fortement marqué le fonctionnement actuel de la zone franc. Ainsi, des mécanismes, comme le compte d'opérations, datent de la période coloniale. La politique de taux de change a joué durant la période coloniale un rôle majeur pour la domination des colonies. Le régime de change fixe reste également aujourd'hui un facteur essentiel des performances économiques de la zone franc. Les PAZF enregistrent de bonnes performances en matière de maîtrise des prix. En ce qui concerne la croissance économique, les PAZF ont eu de meilleures performances durant certaines périodes que les pays hors zone; les termes de l'échange leur étaient favorables. Ils ont aussi enregistré de mauvaises performances en matière d'épargne et de niveau d'endettement en raison de la répression financière. Au plan institutionnel, les PAZF ont gagné en crédibilité et les unions monétaires se sont consolidées. En revanche, il est apparu que les pays membres de la zone franc n'ont pas toujours respecté les règles de cette institution pour des raisons bureaucratiques et politiques, contraignant la France à ne pas respecter son engagement. Ainsi, les PAZF ont perdu l'autonomie en matière de politique monétaire. Des éléments de bilan décryptés, ressort un enseignement majeur: les pays africains de la zone franc doivent se donner les moyens pour utiliser le réalignement monétaire comme un instrument de réforme économique chaque fois que le recours à ce mécanisme s'avère nécessaire. A cet effet, LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN 33 il faudra réformer la BCEAO et la BEAC de sorte que ces deux instituts d'émission soient dirigés par des collèges de politique monétaire, qui doivent décider de la politique de change des PAZF (N'Guessan, 1996). Références Agenor P. R. (1991), « Credibility and exchange rate management in developing countries », International Monetary Fund, Working Paper n° 87, September. Bloch-Laine F. et al. (1956), La Zone franc, Presses universitaires de France, Paris. Boughton 1. M. (1993), The Economies of the CFA franc zone, in Masson Paul and Mark Taylor ed., Policy Issues in the Operation of Currency Unions, Cambridge University Press. Devarajan S. 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(1996), «La zone franc et l'équilibre budgétaire », Revue d'économie du développement, 4. 35 LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN ANNEXE 1: ZONE FRANC CFA- PRINCIPAUX INDICATEURS ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS 1986-19963 Moyenne Moyenne 1986-1993 1994-1996 1994 1995 1996 (variation en pourcentage annuel) 0,4 3,8 1,8 4,6 5,1 PIB réel par habitant -2,6 0,8 - 1,2 1,6 2,1 Déflateur du PIB -0,3 14,8 29,0 12,0 4,1 PIB réel Prix à la consommation 0,9 15,6 26,9 15,1 5,7 Taux de change effectif nominal 6,9 -16,4 -45,3 6,1 0,8 Taux de change effectif réel -1,5 -9,9 - 35,2 12,7 0,2 Termes de l'échange -5,6 0,9 -0,3 5,6 -2,4 84,1 85,5 83,7 83,1 (En pourcentage du PIB) Consommation totale 86,7 Investissement brut 15,1 17,1 15,3 16,2 20,0 Épargne nationale brute 8,6 11,5 10,4 11,4 12,6 Solde des transactions courantes -6,5 -5,7 -4,9 -4,9 -7,4 Exportations de biens 19,8 25,6 25,4 25,9 26,0 Importations de biens 17,3 21,7 20,8 21,2 23,1 Recettes publiques 19,8 18,6 17,8 18,8 19,3 Dépenses publiques 26,3 22,1 23,7 21,8 20,9 Solde budgétaire global -6,5 - 3,5 -5,9 -3,1 -1,6 Solde budgétaire primaire" -5,6 - 1,7 -4,5 -0,9 0,2 Dette publique extérieure 66,8 115,1 128,9 111,3 105,1 21,1 18,0 20,8 16,3 16,9 Service de la dette publique extérieure (Variation en pourcentage annuel) Monnaie au sens large Avoirs intérieurs nets -1,9 18,5 36,4 12,2 8,7 1,8 4,8 5,9 6,6 2,1 2,0 1,0 1,9 3,0 (En pourcentage du PIB) Avoirs extérieurs nets de la banque centrale -4,7 (En pourcentage) Taux d'intérêt à court terme 10,2 8,5 9,3 7,7 8,0 Taux d'intérêt à court terme réel 9,6 -9,7 -13,3 -6,2 2,3 a. Solde budgétaire global, à l'exclusion des paiements d'intérêts de la dette intérieure et étrangère. Source: données communiquées par les autorités et estimation des services du FMI. 3. Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Mali, Niger, Sénégal, Togo, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée-Équatoriale, République centrafricaine et Tchad. 36 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC ANNEXE 2: ZONE FRANC CFA- COMMERCE INTRAZONE, (EN POURCENTAGE DU COMMERCE EXTÉRIEUR TOTAL) 1970-1993 Part du commerce intrazone franc CFA Pays de la zone franc CFA 5,1 Bénin 22,0 Burkina Faso 6,1 Cameroun 3,5 République centrafricaine 14,5 Tchad 0,0 Comores 1,5 République du Congo 7,5 Côte d'Ivoire 16,6 Guinée-Équatoriale 2,6 Gabon 23,3 Mali 6,3 Niger 9,0 Sénégal 6,6 Moyenne des pays de la zone franc CFA 8,9 Pays de l'Afrique de l'Ouest membres de la zone franc CFA Bénin 4,9 Burkina Faso 21,9 Côte d'Ivoire 6,5 Mali 23,2 Niger 6,2 Sénégal 6,0 Togo Moyenne des pays de l'Afrique de l'Ouest membres de la zone franc CFA 5,8 10,6 Pays de l'Afrique centrale membres de la zone franc CFA Cameroun République centrafricaine 4,3 Tchad 13,3 3,2 République du Congo 0,7 Guinée-Équatoriale 16,2 Gabon 0,8 Moyenne des pays de l'Afrique de l'Ouest membres de la zone franc CFA 6,4 Sources: FMI, Direction of Trade Statistics, tiré de Tanin Bazoumi et Jonathan Ostry « Macroeconomie shocks and trade flows within Subsaharan Africa: Implications for Optimum currency Arrangements, document de travail du FMI n° 95/142. ANNEXE 3: ZONE FRANC CFA- RELATIONS ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES AVEC LA FRANCE, 1981-1995 (POURCENTAGE) 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 Ratio PIB (zone franc CFAIFrance) Ratio de l'offre de monnaie (zone franc CFAlFrance) 1,7 1,8 Moyenne de la période 5,6 5,8 6,0 5,6 5,0 4,7 4,5 4,3 4,1 4,0 3,9 2,5 2,8 4,5 1,7 5,8 2,0 1,9 1,7 1,6 1,6 1,5 1,6 1,5 1,3 0,9 0,9 1,5 ç Commerce Part des exportations de la zone CFA dans le total des exportations françaises 2,5 3,2 3,0 1,9 2,5 2,4 2,1 1,7 1,6 1,4 1,3 1,5 1,3 1,3 1,3 1,8 Part des exportations de la zone CFA dans le total des exportations françaises 1,3 1,4 1,5 2,5 1,7 1,4 1,2 1,2 1,0 1,0 1,1 0,8 0,8 0,7 0,7 1,2 Dont la zone franc CFA en pourcentage du total des investissements étrangers de la France trl 0,5 0,4 0,6 0,4 1,8 1,0 1,0 0,8 r.n r.n 2:: otrl Aide publique au développement fournie par la France à la zone franc CFA En pourcentage du PIB de la zone franc CFA ~ ;1> ~ Investissements directs étrangers français En pourcentage du PIB de la France ~ ~ t:D 0,1 1,9 0,1 2,4 0,1 0,1 1,9 1,9 0,1 0,1 0,1 0,1 0,1 0,1 0,2 0,2 0,1 0,1 ~ Z 2,2 2,4 2,8 3,4 3,2 3,4 4,0 6,6 4,0 3,1 Source: FMI, Direction of Trade Statistics .. Statistiques financières intemationales .. Banque de France; Rapport de la zone franc. 1993.. et ministère des Finances de la France. W -...l L'AVENIR DE LA ZONE FRANC 38 ANNEXE 4: ZONE FRANC CFA- RELATIONS COMMERCIALES AVEC LA FRANCE ET L'UNION EUROPÉENNE (UE), 1990-1996 (POURCENTAGE) Importations (1) Exportations (1) France UE France UE 1,7 30,5 23,5 51,2 Burkina Faso 11,8 26,9 22,5 34,4 Côte d'Ivoire 14,5 54,2 28,9 52,0 Bénin Mali 3,9 37,2 18,9 35,0 Niger 68,2 77,6 22,0 39,6 Sénégal 24,6 40,9 33,1 57,4 Togo 5,5 26,6 16,5 34,1 UMOA 16,2 49,3 25,6 46,3 Cameroun 26,0 73,4 37,6 69,7 République centrafricaine 7,2 53,1 42,4 56,2 Tchad 8,5 67,5 43,1 60,2 République du Congo 10,0 48,9 44,7 68,1 Guinée-Équatoriale 5,7 49,8 13,6 54,5 Gabon 20,7 31,6 44,2 64,7 Sous-zone BEAC 19,0 50,2 40,7 66,3 Totale de la zone franc CFA 18,0 49,8 30,6 53,4 (1) Parts de la France et de l'ensemble des pays de l'Union européenne dans les exportations et les importations des pays de la zone franc CFA. Source: FMI, Direction of Trade Statistics. ANNEXES Accord de coopération entre la République française et·les Républiques membres de l'union monétaire ouest africaine Le Gouvernement de la République de Côte d'Ivoire, Le Gouvernement de la République du Dahomey Le Gouvernement de la République de Haute-Volta, Le Gouvernement de la République du Niger, Le Gouvernement de la République du Sénégal, Le Gouvernement de la République Togolaise, Le Gouvernement de la République Française, - déterminés à poursuivre leurs relations dans un esprit de compréhension mutuelle, de confiance réciproque et de coopération, notamment dans les domaines économique, monétaire et financier, LA ZONE FRANC : ESSAI DE BILAN 39 - considérant la résolution des États de l'Afrique de l'Ouest, parties au présent Accord, à demeurer en union monétaire ayant un institut d'émission commun, - soucieux que ces institutions monétaires communes, appuyées par l'assistance de la République française, apportent la plus grande contribution au financement du développement des États de l'Union monétaire ouest-africaine, sont convenus des dispositions ci-après: Article 1er • La République française apporte son concours à l'Union monétaire ouest-africaine pour lui permettre d'assurer la libre convertibilité de sa monnaie. Les modalités de ce concours seront définies par une Convention de compte d'opérations conclue entre le ministre de l'Économie et des Finances de la République française et le président du Conseil des ministres de l'Union agissant pour le compte de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest. Article 2 - Les transactions entre le franc français et la monnaie de l'Union s'effectueront à un cours fixe, sur la base de la parité en vigueur. Les transactions entre la monnaie de l'Union et les devises autres que le franc français s'exécuteront au taux du marché des changes selon les dispositions convenues conformément à l'article 6 ci-après. Article 3 • Les États membres de l'Union conviennent de centraliser, dans les conditions précisées par la Convention visée à l'article 1eT, leurs avoirs en devises et autres moyens de paiements internationaux. Article 4 - Le solde créditeur du compte visé à l'article 3 de la présente Convention est garanti par référence à une unité de compte agréée d'accord parties. Article 5 . Les États signataires se consulteront, dans toute la mesure du possible, au sujet des modifications qu'ils se proposeront d'apporter à la définition de leur monnaie et aux conditions de négociation de celle-ci sur les marchés des changes. La République française tiendra informé le Conseil des ministres de l'Union de l'évolution de la situation du franc français sur les marchés des changes et de toute question monétaire d'intérêt particulier pour l'Union. Article 6 - La réglementation uniforme des relations financières extérieures des États de l'Union établie conformément aux dispositions de l'article 22 du Traité du 14 novembre 1973 constituant l'Union monétaire ouest-africaine, sera maintenue en harmonie avec celle de la République française. Cette harmonisation, concertée au sein du conseil d'administration de la Banque centrale, assurera, en particulier, la liberté des relations financières entre la France et les États de l'Union. 40 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC Si les besoins ou les circonstances faisaient apparaître à l'un des gouvernements signataires du présent Accord la nécessité de déroger à l'harmonisation convenue aux alinéas ci-dessus, il en aviserait, avant toute mesure d'application, les autres gouvernements signataires en vue d'une décision concertée, selon les dispositions de l'article 13 du présent Accord. Article 7 • Les autorités de la République française et celles des États membres de l'Union collaboreront à la recherche et à la répression des infractions à la réglementation des changes selon les modalités qui seront précisées par un protocole particulier. Article 8 - Dans les conditions qu'elles conviendront, la Banque de France et la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest échangeront les données statistiques qu'elles rassemblent sur les règlements et mouvements des créances et dettes entre la France et les États de l'Union monétaire ouest-africaine. Article 9 • La République française apportera son assistance à la constitution et au financement des institutions financières communes de développement dont le Conseil des ministres de l'Union déciderait de la création en application de l'article 23 du Traité du 14 novembre 1973 constituant l'Union monétaire ouest-africaine. Ces institutions communes de financement seront autorisées à placer des emprunts sur le marché financier français et auprès des banques et établissements de crédit français. La garantie de la République française pourra être consentie à ces emprunts. Les modalités de l'assistance apportée par la République française pour l'application du présent article feront l'objet de conventions appropriées entre le ministre de l'Économie et des Finances de la République française, au nom de celle-ci, et le président du Conseil des ministres de l'Union au nom des institutions communes de celle-ci. Article 10 - Deux administrateurs désignés par le gouvernement français participent au conseil d'administration de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest, dans les mêmes conditions et avec les mêmes attributions que les Administrateurs désignés par les États membres de l'Union. Article 11 - La République française reconnaît à la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest, pour ses établissements et opérations sur son territoire, les immunités, privilèges et exemptions fiscales qui lui sont reconnus par les États membres de l'Union monétaire et précisés par les articles 4 et 62 des statuts de la Banque centrale. Article 12 - Dans le cas où l'un ou l'autre des États membres de l'Union monétaire se dégagerait unilatéralement des engagements stipulés au présent Accord et au Traité du 14 novembre 1973 constituant l'Union monétaire ouest-africaine, l'application de la Convention visée à l'article 1er cidessus serait suspendue de plein droit en ce qui concerne cet État. Il en serait de même au cas d'exclusion de l'Union monétaire de l'un de ses membres, par application de l'article 4 du Traité du 14 novembre 1973 constituant l'Union monétaire ouest-africaine. LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN 41 Article 13 . A la demande de tout État signataire du présent Accord qui estimerait que l'évolution du régime défini par cet Accord compromet ou risque de compromettre substantiellement ses intérêts, les États signataires se concerteraient sans délai afin de décider des mesures appropriées. Si aucune décision ne pouvait être arrêtée en commun, le présent Accord pourrait être dénoncé par tout signataire. En cas de dénonciation par un État membre de l'Union, le présent Accord demeure en vigueur entre les autres États signataires. En cas de dénonciation du présent Accord, les États signataires se concertent sans délai afin de décider des nouvelles bases de leur coopération en matière monétaire et, éventuellement, des modalités d'un régime transitoire. Article 14 . Les dispositions du présent Accord se substituent à toutes dispositions contraires des accords et conventions ci-après énumérés: - Accord de coopération entre la République française et les Républiques membres de l'Union monétaire ouest-africaine, conclu le 12 mai 1962 et complété par la Convention du 27 novembre 1963 entre les mêmes parties; - Accord de coopération en matière économique, monétaire et financière entre la République française et la République de Côte d'Ivoire, signé le 24 avril 1961; - Accord de coopération en matière économique, monétaire et financière entre la République française et la République du Dahomey, signé le 24 avril 1961 ; - Accord de coopération en matière économique, monétaire et financière entre la République française et la République de Haute-Volta, signé le 24 avril 1961 ; - Accord de coopération en matière économique, monétaire et financière entre la République française et la République du Niger, signé le 24 avril 1961 ; - Accord de coopération conclu entre la République française et la Fédération du Mali, le 22 juin 1960, et dont la République du Sénégal a convenu de reprendre des droits et obligations par échange de lettres des 16 et 19 septembre 1961; - Accord de coopération en matière économique, monétaire et financière entre la République française et la République togolaise, conclu le 10 juillet 1963. Article 15 - Sous réserve des ratifications nécessaires, le présent Accord entrera en application à la date d'entrée en vigueur du Traité constituant l'Union monétaire ouest-africaine, conclu le 14 novembre 1973 entre les États membres de cette Union. Fait à Dakar, le 4 décembre 1973 42 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Pour le Gouvernement de la République de Côte d'Ivoire Pour le Gouvernement de la République du Dahomey KonanBEDIE Janvier ASSOGBA Pour le Gouvernement de la République de Haute-Volta Pour le Gouvernement de la République du Niger Tiémoko Marc GARANGO Mouddour ZAKARA Pour le Gouvernement de la République du Sénégal Pour le Gouvernement de la République togolaise BabacarBA Édouard KODJO Pour le Gouvernement de la République Française Valéry GISCARD D'ESTAING ANNEXE 6 CONVENTION DE COMPTE D'OPÉRATIONS Entre les soussignés, M. Valéry Giscard d'Estaing, ministre de l'Économie et des Finances, agissant au nom de la République française, d'une part, M. Édouard Kodjo, le Président du Conseil des ministres de l'Union monétaire ouest-africaine, agissant au nom de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest et mandaté à cette fin par délibération du Conseil des ministres de l'Union monétaire ouest-africaine en date du 4 décembre 1973, d'autre part, Il a été convenu ce qui suit pour l'application des dispositions de l'article 1er de l'Accord de coopération entre la République française et les Républiques membres de l'Union monétaire ouest-africaine conclu le 14 novembre 1973: Article 1er - Il est ouvert, dans les écritures du Trésor français, au nom de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest - ci-après dénommée « Banque centrale» - un compte courant dénommé « compte d'opérations ». LA ZONE FRANC : ESSAI DE BILAN 43 Article 2 - La Banque centrale versera au compte d'opérations les disponibilités qu'elle pourra se constituer en dehors de la zone d'émission, exception faite: 10 - des sommes nécessaires pour sa trésorerie courante; 2 0 - des sommes nécessaires à l'exécution des obligations contractées par les États de l'Union monétaire à l'égard du Fonds monétaire international et qu'elle aurait pris en char~e d'assurer dans les conditions fixées par conventions conclues avec ces Etats et approuvées par le Conseil des ministres de l'Union; 3 0 - des sommes que le conseil d'administration de la Banque centrale déciderait de déposer en comptes courants libellés en devises auprès de la Banque des règlements internationaux ou des instituts d'émission étrangers, ou d'employer à la souscription de bons négociables, à deux ans au plus d'échéance, libellés en monnaies convertibles, émis par les institutions financières internationales, dont la vocation dépasse le cadre géographique de l'Union monétaire ouest-africaine et auxquelles participent les États membres de cette dernière: le montant cumulé des sommes ainsi déposées en devises ou employées à la souscription de bons libellés en devises autres que le franc français ne pourra excéder 35 % des avoirs extérieurs nets de la Banque centrale, à l'exclusion de la position tranche or du Fonds monétaire international des États membres de l'Union monétaire et des droits de tirage spéciaux détenus par eux qu'elle serait autorisée à compter parmi ses avoirs extérieurs en application des conventions prévues au paragraphe 2 du présent article. Article 3 • La Banque centrale tiendra le compte courant ordinaire du Trésor français sur les places où elle dispose d'installations propres. Le Compte d'opérations sera débité ou crédité, suivant le cas, du montant des transferts provoqués par le nivellement ou l'approvisionnement de ce compte. Article 4 - En cas de modification de la parité du franc français par rapport à l'unité de compte visée à l'article 4 de l'Accord de coopération, la garantie sera déterminée par prise en considération: - d'une part, du rapport existant au jour de la signature de la présente Convention entre la valeur officielle du franc français et celle de l'unité de compte et, - d'autre part, du rapport entre ces deux valeurs résultant de la modification de la parité du franc français. Si le second rapport est inférieur au premier, il sera appliqué au solde créditeur du compte d'opérations le coefficient de majoration obtenu en divisant le rapport existant au jour de la signature de la présente Convention par ce second rapport. Article 5 - Lorsque les disponibilités de la Banque centrale en compte d'opérations présenteront une évolution qui laissera prévoir leur insuffisance pour faire face aux règlements à exécuter par son débit, la Banque centrale: 44 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC - l'alimentera par prélèvement sur les disponibilités qu'elle aurait pu se constituer en devises étrangères; - invitera les États membres de l'Union à user de leurs droits de tirage auprès du Fonds monétaire international ou à échanger contre devises les droits de tirage spéciaux détenus par eux; - fera usage des droits qui lui sont reconnus par les deux derniers alinéas de l'article 20 du Traité du 14 novembre 1973 constituant l'Union monétaire ouest-africaine. Article 6 . Si les mesures prises en application de l'article 5 ci-dessus ne permettent pas à la Banque centrale de s'assurer les disponibilités pour la couverture des transferts hors de l'Union monétaire ouest-africaine qu'elle devrait exécuter, ces moyens de paiement lui seront consentis par découvert de son compte d'opérations. Article 7 - Lorsque le solde du compte d'opérations sera débiteur, la Banque centrale réglera sur ce solde des intérêts dont le taux sera fixé de la manière suivante: - sur la tranche de 0 à 5 millions de francs: 1 % , - sur la tranche de 5 à 10 millions de francs: 2 %, - au-dessus de 10 millions de francs: taux égal à celui fixé à l'alinéa ciaprès. Lorsque le solde sera créditeur, le montant moyen des fonds en dépôt au cours de chaque trimestre sera assorti d'un taux d'intérêt égal à la moyenne arithmétique des taux d'intervention de la Banque de France sur les effets publics au plus court terme pendant le trimestre considéré. Article 8 - Un Commissaire désigné par le gouvernement de la République française et le commissaire contrôleur institué par l'article 64 des Statuts de la Banque centrale contrôleront l'application des dispositions de la présente Convention. Sur demande adressée à la Banque centrale, ils obtiendront communication de tous registres, relevés ou pièces justificatives leur permettant d'exercer leur mission. Article 9 - L'application de la présente Convention sera suspendue de plein droit dans les conditions prévues à l'article 12 de l'Accord de coopération entre la République française et les États membres de l'Union monétaire ouest-africaine, conclu le 4 décembre 1973. Il en sera de même en cas de dénonciation dudit Accord dans les conditions prévues à son article 13. Article 10 - A l'expiration ou dénonciation de la présente Convention: - le solde débiteur du compte d'opérations ne sera exigible par la République française que sur le territoire des États où la Banque centrale exerce le privilège de l'émission et sera réglé en francs CFA; - le solde créditeur n'en sera exigible par la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest qu'à Paris, en francs français qui seront librement convertibles. LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN 45 Article 11- Est abrogée, pour compter de la date d'entrée en vigueur de l'Accord de coopération entre la République française et les Républiques membres de l'Union monétaire ouest-africaine conclu le 4 décembre 1973, la Convention de compte d'opérations du 20 mars 1963 entre la République française et la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest, telle que modifiée par avenants du 2 juin 1967 et du 4 décembre 1969. Fait à Dakar, le 4 décembre 1973 Le Ministre de l'Économie et des Finances de la République française Le Président du Conseil des Ministres de l'Union monétaire ouest-africaine Valéry GISCARD D'ESTAING Édouard KODJO 2 Héritage de la zone franc et perspectives de coopération monétaire Par Barthélémy BIAO En 1994, s'intéressant aux perspectives ouvertes par l'avènement de la monnaie unique européenne, Sandretto et les autres concluent que « l'Union économique et monétaire européenne et plus précisément la perspective de la monnaie unique constituent aussi une échéance monétaire pour les pays d'Afrique» et ils esquissent « le cap à suivre pour la nécessaire et périlleuse réforme de la zone franc» (p. 265-270). Cette réforme qui selon Adda (1992, p. 301) «d'ici aux échéances de la monnaie unique européenne préparerait de façon constructive l'élargissement de ce mécanisme aux autres pays africains candidats à la coopération monétaire eurafricain ». A la lumière de ces observations, l'expérience des pays africains et l'héritage de la zone franc sont incontestablement une source de leçons pour de nouvelles perspectives de coopération monétaire intra-africaine. On sait que la question de l'opportunité et de l'efficacité de l'unification monétaire régionale a été développée dans le cadre de la théorie des zones monétaires optimales. La paternité de cette théorie est habituellement attribuée à Mundell (1961) mais les travaux pionniers remontent à Meade (1957) et Scitovsky (1958). La théorie des zones monétaires optimales a été très populaire dans les années 1960 et 1970 et Ishiyama (1975) en a fait au milieu des années 1970 une synthèse considérée comme une référence dans la littérature. Au courant des années 1980 et 1990, la théorie des zones monétaires optimales redevient d'actualité à la faveur des accélérations de l'unification monétaire européenne (CEE 1989; 1990; Wyplosz 1990, De Grauwe 1992, etc.). 48 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Les approches traditionnelles comme les développements récents proposent des éclairages normatifs pour une unification monétaire efficace. Ces fondements peuvent être ainsi résumés: il existe des conditions économiques indispensables et préalables à une coopération monétaire renforcée sous la forme d'une Union monétaire intégrale avec des caractéristiques telles que l'existence d'une monnaie commune et l'adoption d'une politique monétaire commune. Les pays africains de la zone franc ont connu une évolution atypique et les facteurs historiques et politiques ont dès le départ joué le rôle prépondérant. Mais l'avènement de la monnaie européenne conduira à terme à la disparition de la zone franc. Il est toutefois nécessaire et utile d'en tirer les leçons nécessaires pour le développement et l'approfondissement de la coopération monétaire entre pays africains. A cet égard, cette communication s'efforce de répondre à deux questions essentielles: - au regard des exigences du développement et de l'intégration économique en Afrique, l'expérience passée des PAZF laisse-t-elle des acquis pour fonder l'approfondissement et l'élargissement de la coopération monétaire intra-africaine? - à la lumière des évolutions en cours en Europe, quelles sont les options stratégiques pour les pays africains de la zone franc dans leurs relations monétaires internationales? Utilisant l'éclairage de la théorie des zones monétaires optimales et plus généralement de la théorie monétaire internationale, l'intérêt de cette problématique peut être situé à deux niveaux au moins. En premier lieu, au-delà des analyses en termes d'avantages/inconvénients de la zone franc, elle permet d'éclairer le rôle du FCFA dans la réalisation des options stratégiques d'intégration et de développement du continent africain. En second lieu, elle est utile pour cerner les contours d'une explication logique et cohérente quant aux choix futurs inévitables à faire par les PAZF face à l'avènement de l'euro, monnaie unique européenne. Ces choix comportent autant des mutations nécessaires que la pérennisation des acquis. En conséquence, en réponse à notre problématique nous montrerons: - en premier lieu, que la théorie des zones monétaires optimales fournit les fondements nécessaires pour comprendre l'option de pérennisation des acquis et de renforcement de la coopération monétaire intra-africaine; - en second lieu, que cette option de renforcement de la coopération monétaire intra-africaine implique des mutations des relations monétaires internationales des pays africains de la zone franc. HÉRITAGE DE LA ZONE FRANC ET PERSPECTIVES DE COOPÉRATION 49 Zone franc et coopération monétaire intra-africaine : la nécessaire pérennisation des acquis Comme signalé dans l'introduction de ce texte, la spécificité de la situation des pays africains de la zone franc est d'avoir hérité de leur passé colonial, d'une monnaie commune qui a précédé tous les efforts endogènes d'intégration économique. Une telle situation a dans le passé, abondamment alimenté la littérature sur la portée du CFA dans le développement des pays africains (Samir Amin, 1973 ; Tchundjang, 1980) notamment. Sans perdre de vue l'incidence négative pour les pays africains de la logique coloniale des zones monétaires (Rudolff, 1970), nous utiliserons l'éclairage de la théorie des zones monétaires optimales pour soutenir qu'au-delà des insuffisances certaines de la zone franc au regard de la coopération monétaire intra-africaine (A), des raisons suffisantes existent pour rechercher la pérennisation des acquis dont recèle l'héritage (B). Des insuffisances certaines Dans l'abondante littérature sur les avantages et inconvénients de la zone franc, ou sur les comparaisons avec les pays hors de la zone franc, deux principaux arguments peuvent être retenus. - En premier lieu, on considère les Unions monétaires d'Afrique centrale ou occidentale comme des «catalyseurs» de l'intégration, car « la première impulsion vers l'intégration monétaire est de mieux intégrer les économies réelles» (Cobham et Robson, 1996, p. 288). - En second lieu, au-delà des problèmes méthodologiques que soulèvent les comparaisons des stratégies de développement 1, l'argument traditionnellement développé est que l'appartenance à la zone franc a été un facteur de meilleures performances appréciées notamment en termes de stabilité macroéconomique se manifestant par des taux de croissance élevés et des taux d'inflation faibles 2. Sur ces deux points, l'appartenance à la zone franc et aux Unions monétaires révèle des insuffisances certaines parce que, d'une part, lorsqu'on considère les critères traditionnels d'appréciation, ces Unions sont des zones monétaires non optimales et, d'autre part, parce que l'argument de stabilité macroéconomique est plutôt contrasté. A) DES ZONES MONÉTAIRES NON OPTIMALES Qu'il soit considéré comme un bloc unique ou qu' HIe soit à travers chaque Union monétaire, l'espace monétaire des PAZF est une zone non optimale. 1. Commentaire de Baneth J. in Guillaumont P. et S. (1988, p. 687-696). 2. Les autres arguments sont ceux de moindre surévaluation du FCFA et d'accès plus facile aux financements extérieurs du fait de la convertibilité du FCFA et de la liberté des transferts. Voir notamment Guillaumont P. et S., 1984, 1988 ; L'Heriteau M. E, 1987, Devarajan S, et de Melo J., 1991. 50 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC Les critères traditionnels de la zone monétaire optimale, qui sont de nature « réelle », sont principalement ceux de la mobilité des facteurs de production (Mundell, 1961), de 1'« ouverture» des économies (Mc Kinnon, 1963) et de diversification de l'activité économique (Kenen, 1969). En effet, selon Mundell, lorsque les pays renoncent au taux de change comme instrument de politique économique en adhérant à une Union monétaire, la mobilité des facteurs de production apparaît comme un substitut nécessaire pour un ajustement automatique des déséquilibres régionaux. A cet égard, bien qu'il y ait une différence de degré entre l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale, il convient de reconnaître à la suite de Pougoue (1989) que « les problèmes de l'emploi aggravés par la crise économique actuelle compliquent à l'infini le problème de la mobilité de la main-d' œuvre» (p. 1) et « les législations nationales apportent des limitations importantes à la liberté de contracter en matière de travail» (p. 7). Quant aux mouvements de capitaux, la liberté des transferts connaît des limites statutaires (Gerardin 1989, p. 127-128) qui sont mises en œuvre à des degrés divers, les principales restrictions s'observant dans la zone BEAC (Vizy 1989, p. 30). Ainsi, la Bourse des valeurs d'Abidjan créée dans les années 1970 n'est devenue Bourse régionale des valeurs qu'en 1996, alors que la zone BEAC n'en est encore qu'à l'étape des réflexions pour la mise en place d'une bourse régionale des valeurs. Mc Kinnon (1963) pour sa part, dans son effort pour approfondir le concept de zone monétaire optimale, s'interroge sur l'influence de l'ouverture de l'économie dans la compatibilité entre l'équilibre interne et externe. On peut dégager de ses analyses que l' « ouverture réciproque» des économies (c'est-à-dire l'intensité de leurs relations commerciales réciproques) constitue le critère de la zone monétaire optimale. De ce point de vue, les échanges commerciaux intra-africains sont faibles et dans certains cas décroissants (Banque mondiale, 1989, p. 179). Enfin, pour Kenen (1969), le critère d'appréciation de la zone monétaire optimale est la diversification et la flexibilité de l'activité économique, ce qui permet de limiter l'impact des chocs externes sur l'équilibre interne et sur l'emploi. Dans l'optique de Kenen, comme dans les contributions précédentes, le critère de la zone monétaire optimale est en même temps un élément d'arbitrage entre changes fixes et changes flexibles. Dans l'appréciation de la diversification de l'économie, une contribution opérationnelle intéressante a été celle de Presley et Denis (1976, p. 60-61) qui ont considéré le pourcentage de contribution au PIB de chacune des onze branches industrielles délimitées par eux. Dans une optique moins désagrégée que celle de ces auteurs, si nous considérons l'industrie manufacturière qui est « la branche la plus dynamique du secteur industriel» (Banque mondiale, 1996, p. 243), les pourcentages de contribution au PIB sont faibles, généralement moins de 20% (Banque mondiale, 1996), la production restant concentrée dans des secteurs plus traditionnels: agriculture, secteur industriel non manufacturier, services. HÉRITAGE DE LA ZONE FRANC ET PERSPECTIVES DE COOPÉRATION 51 Ainsi au regard des critères traditionnels, les Unions monétaires africaines de la zone franc ne sont pas des zones monétaires optimales. De plus la stabilité macroéconomique des PAZF apparaît plutôt contrastée. B) UNE STABILITÉ MACROÉCONOMIQUE CONTRASTÉE L'argument d'une plus grande stabilité macroéconomique des PAZF a en effet été démenti dans les années 1980 du fait de la dégradation des performances des PAZF devenues plus médiocres que celles des autres pays d'Afrique au sud du Sahara (PASS). Ainsi sur la base des données contenues dans l'étude de Devarajan et de Melo (1991, p. 26 et 28) et en considérant les trois sous-périodes 1973-1980, 1980-1985, 1986-1989, les graphiques ci-dessous illustrent les évolutions différenciées des pays du CFA et des autres PASS. Les évolutions ainsi mises en exergue montrent bien que les arguments traditionnels d'ouverture des économies, de stabilité macroéconomique, qui ont constitué la force des pays du CFA jusqu'à la fin des années 1970, ont conduit à une excessive rigidité dans les années 1980 et au début des années 1990. En effet, face à un environnement international défavorable et à la dégradation de leurs situations extérieures (balance des paiements, taux de change réel), alors que d'autres monnaies de la sous-région faisaient l'objet de dévaluations compétitives ou réparatrices (cas du Naira en 1986), les pays du CFA ont renoncé au taux de change comme instrument d'ajustement, s'appuyant plutôt sur des politiques monétaires internes déflationnistes. Ces tendances défavorables apparaissent au regard des évolutions différenciées des taux de change effectifs réels au Nigeria et dans la zone franc. La dévaluation du FCFA intervenue en 1994 est destinée à renverser ces tendances défavorables. Mais elle a paradoxalement coïncidé avec une certaine érosion de la zone franc dans son ensemble et de l'espace CFA en particulier: suppression de la libre intercirculation des billets de banque du fait du non-rachat par les Banques centrales des billets CFA provenant de l'extérieur de leurs zones respectives d'émission, ce qui impose de nouveaux coûts de transaction à la convertibilité des francs CFA. Malgré ces vents contraires, de solides raisons permettent de soutenir les efforts pour la pérennisation des acquis du CFA. Des raisons de pérennisation des acquis du CFA Un complément de l'argument de stabilité macroéconomique a été celui d'une intégration différentielle des pays du CFA, plus forte que celle de l'ensemble des pays de la zone Afrique au sud du Sahara (Guillaumont, 1984). Le FCFA est ainsi un instrument utile pour l'intégration africaine. Cet argument ne manque pas d'intérêt puisque le sens des flux commerciaux possède - toutes choses égalent par ailleurs - des justifications 52 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC monétaires. Mais il ne prend pas en compte l'intense commerce transfrontalier non enregistré entre pays ayant des monnaies différentes. C'est pourquoi, plus fondamentalement, les raisons pour la pérennisation des acquis du FCFA doivent être recherchées en direction des approfondissements et renouvellements de la théorie des zones monétaires optimales en relation avec les options nouvelles prises par les Unions monétaires d'Afrique. Comme l'ont montré Krugman et Obtsfeld (1995), l'analyse en termes de coûts/avantages est au centre des approches traditionnelles de la zone monétaire optimale. Elle a été au centre des travaux qui ont accompagné le rapport Delors (CEE, 1989, 1990) et des synthèses plus récentes de la théorie de l'intégration monétaire (De Grauwe, 1992). Les coûts de l'unification monétaire (perte de stabilité macroéconomique) comme ses avantages (gains d'efficience monétaire) dépendent du degré d'intégration des économies. Les premiers sont d'autant plus faibles que les économies sont intégrées, subissent des chocs similaires et peuvent de ce fait avoir des objectifs compatibles. De même, les seconds sont d'autant plus élevés que l'intégration réelle est forte. En conséquence, un seuil minimal d'intégration « réelle» est nécessaire pour une unification monétaire optimale. Outre les incertitudes d'une analyse coût-avantage de l'unification monétaire notamment pour les pays africains (Guillaumont, 1984, p. 287), les arguments les plus récents en faveur de l'intégration monétaire relativisent la portée de la renonciation par chaque pays de l'union monétaire à utiliser la politique monétaire et le taux de change comme instruments de stabilisation macroéconomique. Sont au contraire mis en exergue, l'impératif de cohérence intertemporelIe et de crédibilité des politiques économiques tel qu'argumenté notamment par Kindland et Prescott (1977), Barro et Gordon (1983), ainsi que l'argument de « discipline collective» d'où résulterait une limitation des pressions inflationnistes (Tavlas, 1993). C'est pourquoi les arguments fondant l'opportunité de l'intégration monétaire sont de plus en plus tournés vers la convergence macroéconomique et la similitude « des préférences en matière d'évolution des déterminants essentiels d'une économie» (Bourguinat, 1992, p. 538 et ss). Cette évolution théorique permet de comprendre les inflexions récentes dans les deux espaces du FCFA (CEMAC et UEMOA) où, malgré la faiblesse de l'intégration réelle entre partenaires, le renforcement des unions monétaires est considéré comme une condition nécessaire (bien que non suffisante) de l'intégration économique et du développement des pays concernés. Convergence macroéconomique et surveillance multilatérale sont au centre des nouveaux dispositifs de la coopération monétaire régionale. Malgré la pertinence de ces nouvelles options dans une perspective de coopération monétaire intra-africaine, des mutations profondes restent indispensables. HÉRITAGE DE LA ZONE FRANC ET PERSPECTIVES DE COOPÉRATION 53 Zone franc et coopération monétaire intra·africaine: des mutations indispensables Dans un effort d'évaluation des options pour les pays africains de la zone franc après la dévaluation du FCFA, P. et S. Guillaumont (1995) concluent que ces pays ont préféré la fixité du taux de change à la flexibilité, la convertibilité au contrôle des changes et l'Union aux options nationales. Cette préférence explique les perspectives gradualistes et de changement dans la continuité qui se dessinent dans les options des PAZF au lendemain de l'avènement de l'euro. Les déclarations des officiels français et africains rassurent quant à l'avènement d'une zone euro pour les pays anciennement de la zone franc. Bien que les contours d'une zone euro méritent encore précision, en particulier au-delà de l'échéance de l'an 2002, la question essentielle est de savoir si une zone euro qui conserve les mécanismes de la coopération monétaire franco-africaine (compte d'opérations, garantie du Trésor français pour la convertibilité) constitue une perspective dynamique de coopération monétaire intra-africaine. Il importe donc de bien apprécier les coûts et avantages d'un tel changement dans la continuité, préalable à l'examen des scénarios alternatifs pour les mutations de la coopération monétaire intra-africaine. Coûts/avantages de la zone euro: les incertitudes d'un changement dans la continuité Les arguments en faveur de la zone euro sont les mêmes que ceux traditionnellement reconnus à la zone franc. En premier lieu, l'Europe étant le principal partenaire commercial des pays africains concernés (plus de 50% en moyenne du commerce extérieur de ces pays), une zone euro maintiendrait la facilité d'accès au marché européen, supprimerait l'incertitude et les coûts de transaction. En second lieu, une zone euro serait pour les pays africains un facteur d'attrait des capitaux étrangers du fait de la convertibilité de la monnaie et de la stabilité du change. Certes, l'appartenance à la zone franc a, dans le passé, conditionné l'orientation de l'Aide publique française. Mais l'intensité des relations commerciales et financières (investissements privés directs) entre la France et d'autres PASS (notamment Nigeria) vient profondément atténuer la portée de ces avantages traditionnels attachés à la zone franc. Quant aux coûts d'une zone euro, ils sont également imputés à la zone franc. On peut notamment citer: - le caractère déflationniste de la politique monétaire; - la possibilité d'une évolution de l'euro défavorable à l'ajustement des pays africains, comme ce fut le cas avec la dévaluation du FF en 1969; 54 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC - le manque d'autonomie des autorités monétaires du fait du droit de regard de la France dans la gestion de la politique monétaire. Au-delà de cette présentation des coûts et avantages dont la balance n'est pas évidente, il importe de percevoir les incertitudes d'une option présentée comme la meilleure pour les pays africains. Elles se situent à deux niveaux au moins. D'abord celui des ambiguïtés de l'article 109 du traité de Maastricht qui est diversement interprété par les uns et les autres. Selon l'alinéa 3 de l'article 109, « au cas où des accords sur les questions se rapportant au régime monétaire ou de change doivent faire l'objet de négociations entre la Communauté et un ou plusieurs États ou organisations internationales, le Conseil statuant à la majorité qualifiée sur recommandation de la Commission et après consultation de la Banque centrale européenne, décide des arrangements relatifs aux négociations et à la conclusion de ces accords. Ces arrangements doivent assurer que la Communauté exprime une position unique ... ». L'alinéa 5 du même article dispose que « sans préjudice des compétences et des accords communautaires dans le domaine de l'Union économique et monétaire, les États membres peuvent négocier dans les instances internationales et conclure des accords internationaux ». Au regard de ces dispositions et malgré les assurances actuelles, on peut s'interroger dans une perspective de moyen et long terme (après l'an 2(02), sur les marges de manœuvre du Trésor français au regard des critères de Maastricht (article 109 du traité) et de la prééminence de la Banque centrale européenne sur tous les aspects de relations monétaires internationales des pays européens. Ensuite le second niveau d'ombre est relatif à la marge de manœuvre des pays africains face à une évolution de l'euro inappropriée et défavorable à l'ajustement de ces pays. Qu'on se souvienne de l'impossibilité pour les PAZF d'apprécier souverainement dans les années 1980 et 1990 et de décider quant à l'opportunité de la dévaluation. En somme, les perspectives gradualistes qui s'esquissent apparaissent comme une nouvelle renonciation par les Africains à leur souveraineté monétaire, ce qui risque d'entretenir de nouveau des rigidités et de conduire à terme à de douloureuses révisions. Il importe donc pour les pays africains de la zone franc de ne pas renvoyer aux calendes grecques les mutations indispensables pour lesquelles quelques scénarios peuvent être esquissés Options nouvelles pour des mutations indispensables Les évolutions nécessaires peuvent être examinées au plan des relations monétaires entre pays africains d'une part et quant aux relations monétaires de ces pays avec l'extérieur d'autre part. HÉRITAGE DE LA ZONE FRANC ET PERSPECTIVES DE COOPÉRATION 55 Sur le plan des relations monétaires intra-africaines, une option souvent évoquée depuis le début des années 1980 pour «une réforme en profondeur» (de Boissieu, 1983; Sandretto, 1994; Nzemen, 1997) est celle d'un « système de changes fixes mais ajustables à deux niveaux ». Pour cette option, les conditions préalables d'une monnaie régionale ou sous-régionale n'étant pas remplies,« le bon sens monétaire» commanderait la dislocation des unions monétaires actuelles de la zone franc (BEAC et BCEAO), la création de monnaies nationales (<< reculer pour mieux sauter ») rattachées à une unité de compte régionale (UCA = unité de compte africaine) qui à son tour serait rattachée à l'euro pour les règlements internationaux. Chaque pays disposerait de sa monnaie nationale rattachée par une parité fixe (mais ajustable) à l'UCA qui serait l'instrument de règlement entre pays africains. Un Fonds monétaire africain centraliserait partiellement les réserves extérieures en contrepartie desquelles il émettrait des UCA, le FMA effectuerait une compensation multilatérale des paiements intra-africains et accorderait des crédits conditionnels aux pays débiteurs nets. Enfin, la Communauté européenne accorderait au FMA la garantie de convertibilité de l'UCA à travers les comptes d'opérations individualisés par pays. Alors commencerait pour les pays africains, leur longue marche vers la monnaie africaine devant conduire à la disparition progressive des monnaies nationales au profit de l'UCA. Telle est, en substance, l'option qui selon Adda (1992, p. 301), «d'ici aux échéances de la monnaie unique européenne préparerait de façon constructive l'élargissement de ce mécanisme aux autres pays africains candidats à la coopération monétaire eurafricaine ». Elle présenterait en outre l'avantage de développer l'esprit de responsabilité dans un système monétaire tenant compte de l'hétérogénéité des économies africaines (Sandretto, 1994). A ce schéma du « reculer pour mieux sauter», les pays africains de la zone franc ont, dès le début des années 1990, préféré l'option d'un renforcement des Unions monétaires à travers la stratégie dite « d'intégration par les règles». Cette nouvelle stratégie, qui a conduit à la création de l'UEMOA et de la CEMAC, passe par l'harmonisation de l'environnement juridique, la mise en cohérence des politiques budgétaires nationales avec la gestion de la monnaie commune et la convergence des politiques économiques. Du point de vue des relations monétaires intra-africaines, cette option de renforcement des Unions monétaires existantes reste la base d'une coopération monétaire graduelle en Afrique centrale et occidentale. Elle permet de comprendre l'élargissement de ces Unions (Guinée-Équatoriale, Guinée-Bissau) ou les propositions faites en ce sens (BIAO 1990, CEA/MULPOC 1993). 56 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Il subsisterait néanmoins le problème de relations monétaires avec l'extérieur qui, par le passé, a souvent été examiné à travers les possibilités et limites de la garantie monétaire de la France. A cet effet, Coquet et Daniel (1992) soulignent que« le processus d'unification monétaire européenne [... ] introduit une problématique de réforme plus fondamentale, concernant la nature et l'intensité de la coopération entre pays européens et pays africains ». A ce sujet, Lelart (1993), cité par Monga et Tchatchouang (1996, p. 121), s'interroge: «Est-il normal que la monnaie du Niger ou du Tchad soit aussi forte que l'ECU qui circulera dans la communauté? » Cette question interroge la parité fixe et quasi immuable entre les monnaies africaines et la future monnaie européenne. L'expérience récente de la zone franc montre que les rigidités qu'elle implique peuvent conduire à de douloureuses révisions (ajustements nécessaires mais retardés). En conséquence, l'avènement de la monnaie européenne offre l'occasion d'introduire dans les relations euroafricaines plus de flexibilité au niveau du soutien à la convertibilité extérieure et du développement, et plus de responsabilité chez les gestionnaires de la politique monétaire en Afrique. Conclusion L'avènement de la monnaie unique conduira à terme à la disparition de la zone franc. Cette évolution offre aux PAZF une occasion historique de mutations profondes de leurs relations monétaires internationales et de leur coopération monétaire régionale en Afrique. Cette communication permet de soutenir que le renforcement de la coopération monétaire possède des fondements théoriques bien constitués et que les leçons de l'expérience appellent une redéfinition des relations monétaires afin que les monnaies africaines soient davantage que par le passé, les instruments de l'intégration régionale et d'une meilleure insertion dans l'ordre international. Bibliographie ACCT (1995), Relations internationales et développement. Notes et documents, Synthèses de session n° 32. Adda J. (1992),« Quelques remarques sur la parité du FCFA et l'avenir de la zone franc après Maastricht », Observations et diagnostics économiques, n° 41 ,juillet, p. 293-301. HÉRITAGE DE LA ZONE FRANC ET PERSPECTIVES DE COOPÉRATION 57 Aghevli B.B., Khan MS. et Montiel P. S (1991), « La politique de taux de change dans les pays en développement: questions analytiques », Étude spéciale du FMI. Bailey W. 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Ces deux organisations se réalisent à l'image de l'UE du traité de Maastricht. Selon ce traité, la participation à l'Union économique et monétaire (UEM) et à la monnaie unique passe par le respect d'un certain nombre de conditions à remplir, dites critères de convergence et qui sont, exclusivement, d'ordre monétaire, budgétaire et financier 2• Ils visent à rapprocher les comportements des pays membres en matière d'inflation, de taux d'intérêt, de déficit budgétaire et de taux de change. Ainsi, pour l'essentiel, il s'agit d'assurer une convergence nominale des économies des pays 1. Le traité de l'UEMOA, outre la monnaie commune qu'est le franc CFA, repose sur cinq piliers, à savoir: (i) la réalisation d'une union douanière; (ii) la création d'un marché commun; (iii) l'harmonisation des politiques sectorielles; (iv) la création d'un système institutionnel supranational; et (v) la mise en place d'un dispositif de surveillance multilatérale pour assurer la convergence des politiques macroéconomiques. 2. Les pays membres de l'UEMOA ont adopté des critères similaires dans le traité de l'UEMOA. 62 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC membres, c'est-à-dire, une convergence des variables nominales et non des variables réelles ou des structures économiques. L'hypothèse sous-jacente au traité de Maastricht est que la stabilité des taux de change et des prix favorisera la croissance et l'intégration économiques. De la sorte, les pays qui cherchent à atteindre des cibles nominales communes verront également converger leurs structures économiques et leurs degrés de développement, ce qui rendra possible, à terme, la mise en place de l'UEM. Dans cette hypothèse, la convergence nominale des membres potentiels favorisera leur convergence réelle (Loufir et Reichlin, 1994). On ne peut, a priori, exclure l'hypothèse inverse: poursuivre une démarche de convergence nominale peut se révéler très coûteux pour les pays les plus pauvres et qui sont souvent les plus éloignés des objectifs nominaux adoptés. Il pourrait en résulter un processus de divergence réelle. Ainsi, Loufir et Reichlin (1994) montrent clairement que la convergence des taux de change nominaux n'est pas nécessairement favorable à la croissance du PIB par habitant et donc à l'amélioration du niveau de vie pour les « pays vertueux» du Système monétaire européen (SME). En revanche, les pays de l'Alliance européenne de libre-échange (AELE) et le Royaume-Uni qui divergeaient au niveau des variables nominales, ont convergé au niveau des variables réelles et ont pu réaliser de meilleures performances réelles. C'est pourquoi le traité de Maastricht a suscité un grand débat autour des coûts et bénéfices à attendre d'une union monétaire. Même en supposant qu'une UEM soit souhaitable à moyen terme pour un espace économique intégré, on peut s'interroger sur la façon de l'atteindre: la voie tracée par le traité de Maastricht est-elle la meilleure? Autrement dit, n'est-il pas préférable de choisir une démarche alternative pour atteindre l'UEM, en fixant les priorités en termes de croissance et/ou d'exportation par exemple? Ces préoccupations sont particulièrement importantes pour les pays de l'UEMOA qui, depuis plus de 37 ans, utilisent une monnaie unique et veulent aujourd'hui adjoindre l'intégration économique à leur intégration monétaire. Les pays de l'UEMOA ne pourraient-ils pas opter pour un plan mettant la convergence réelle comme principale étape vers l'UEM qu'ils visent, au lieu de reprendre à leur compte le schéma du traité de Maastricht? En effet, comme l'affirment De Grauwe P. et Verfaille G. (1986), « le régime de changes a peu d'influence sur les variables réelles telles que la croissance du commerce extérieur et de la production; cellesci sont davantage influencées par les politiques commerciales, fiscales ou budgétaires, comme l'environnement de l'offre ». Pour discuter de ces questions, cette étude analyse l'évolution de quelques grandeurs nominales (les taux d'intérêt, les taux d'inflation et les taux de liquidité) et la compare à celle d'autres indicateur& réels clefs: le taux de croissance réelle par habitant, le déficit budgétaire, la part de maind'œuvre employée dans l'industrie, les poids des secteurs industriel et manufacturier relativement au PIB, les taux d'exportation, les taux 1 y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 63 d'ouverture des économies et enfin les poids des services de la dette extérieure relativement aux exportations. Dans chacun de ces deux sous-groupes de variables, on note deux types d'indicateurs: des variables qu'on peut qualifier de conjoncturelles (ou de politique économique) d'une part, et des variables structurelles d'autre part. Pour les premières, on peut retenir le taux d'intérêt et le taux d'inflation comme variables nominales et le taux de croissance réelle par tête, le déficit budgétaire et le service de la dette comme variables réelles. Dans le second groupe, on retiendra le taux de liquidité de l'économie comme variable nominale structurelle et comme variables réelles structurelles, les poids de la main-d'œuvre industrielle, du secteur industriel et du sous-secteur manufacturier, le taux d'exportation et le taux d'ouverture. L'exercice consiste à déceler, dans le passé, une éventuelle convergence de ces différents indicateurs au sein de l'ensemble des pays de UEMOA et d'en analyser le processus. En particulier, l'étude s'intéresse à la vitesse de convergence dans les années 1980-1990, au cours desquelles les programmes d'ajustement structurel ont été mis en œuvre, avec toute la rigueur en matière de politique économique, dans chacun des pays de l'ex-UEMOA. Plus spécifiquement, il s'agit, d'abord, de vérifier si les pays de l'UEMOA sont engagés dans un processus de convergence consciente ou non, après plus de 37 ans d'appartenance commune à une union monétaire et, ensuite, d'analyser la nature (réelle et/ou nominale), puis la vitesse de cette convergence. Une telle analyse est susceptible de fournir des indications sur l'ampleur des coûts éventuels d'alignement des taux d'intérêt, des taux d'inflation, des niveaux de développement et des déficits publics 3. Dans notre analyse empirique, nous utilisons la méthode de coefficients variables basés sur le filtre de Kalman, qui permet d'étudier les changements de la vitesse de convergence vers le pays leader de la zone, choisi comme référence. La deuxième section qui suit rappelle brièvement les différents points de vue ayant animé le débat économique sur la convergence, particulièrement dans le cadre de l'UE. La définition mathématique et les tests statistiques usuels de la convergence, la méthodologie choisie, ainsi que la description des données font l'objet de la section 3. Les résultats et leur interprétation sont présentés dans la section 4. Enfin, la section 5 permet de tirer, en guise de conclusion, les implications de politique économique. 3. On rappelle qu'en ce qui concerne la mise en cohérence des politiques budgétaires nationales entre elles, d'une part, et avec la politique monétaire commune, d'autre part, le traité de l'UEMOA a prévu une convergence des politiques budgétaires articulée autour de cinq indicateurs chiffrés: (i) le ratio masse salariale / recettes fiscales < 50%; (ii) le ratio des investissements publics ~ 20%; (iii) le ratio solde primaire de base / recettes fiscales ~ 15 %; (iv) la variation nette des arriérés intérieurs doit être nulle à défaut de leur résorption assortie d'une interdiction d'accumulation de nouveaux arriérés; (v) enfin, la variation nette des arriérés extérieurs doit être au moins nulle, à défaut de leur résorption assortie d'une interdiction d'accumulation de nouveaux arriérés. 64 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC Les enjeux de la convergence économique: le cas de l'UE Une union monétaire implique une politique monétaire commune. Pour qu'une telle politique n'engendre pas d'asymétrie, il faut, en principe, que les pays aient des structures économiques similaires, et donc que les chocs exogènes aient le même effet dynamique sur leurs économies. Ainsi, par exemple, les économies européennes ont été diversement affectées par les deux chocs pétroliers, selon notamment leur degré de dépendance énergétique. Dans une telle situation, les politiques économiques nationales doivent pouvoir répondre de manière appropriée, et souvent différenciée, à ces chocs; or, la contrainte de la monnaie unique, en obligeant les pays membres à une réponse macroéconomique commune et uniforme, peut entraÎner une détérioration de la position relative des pays les plus vulnérables. Quelle diversité et quel degré d'hétérogénéité sont compatibles avec l'adoption d'une monnaie commune? Après tout, les pays existants sont des entités non homogènes et les régions coexistent, malgré leurs différentes structures économiques dans un espace de monnaie unique. La littérature relative aux zones monétaires optimales (Optimal currency areas) date des années 1960 (Mundell, 1961). Mais les controverses qu'elle a suscitées sont loin d'être éteintes; au contraire, celles-ci retrouvent aujourd'hui toute leur actualité avec l'avènement de l'euro. Il est généralement admis qu'une union monétaire implique la convergence nominale entre les pays qui sont membres. Comme dans un système de changes parfaitement fixes, si l'un d'entre eux est atteint par un choc (négatif) spécifique de demande, il ne pourra y répondre en abaissant ses taux d'intérêt ou en ajustant son taux de change nominal. Si les prix et les salaires sont peu flexibles, l'ajustement se fera principalement par la baisse de la production et de l'emploi. De même, un choc (négatif) réel spécifique nécessiterait un ajustement du salaire réel qui, en présence de la rigidité des salaires nominaux, pourrait être résorbé par un taux d'inflation plus élevé. Mais, dans une union monétaire, de tels différentiels d'inflation entre pays membres ne sont possibles qu'à court terme. De plus, avec une seule monnaie, il y aura un seul taux d'intérêt, et par conséquent, ce dernier ne peut pas être utilisé de manière différenciée selon les pays, ce qui, en cas de choc réel spécifique, engendrera des divergences réelles. Le traité de Maastricht, par exemple, impose aux pays de la communauté un certain nombre de critères de convergence qu'ils doivent atteindre à la fin des années 1990 pour pouvoir participer à l'UEM. Vraisemblablement, ces critères ont été conçus de manière à permettre aux membres potentiels d'aborder l' Union monétaire avec des structures suffisamment comparables et, par la suite, une discipline commune en matière de politique économique. Mais, parce qu'ils sont exclusivement fixés en termes nominaux, il faut, pour cela, supposer que la convergence nominalf1 favorisera la convergence des structures économiques et que la stabilité de la politique monétaire sera bénéfique pour les pays pauvres du groupe des participants potentiels à l'UEM. y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 65 Implicitement, le traité repose sur l'idée que la stabilité des prix et des changes favorise les échanges commerciaux entre les pays membres et que ces échanges, à leur tour, rendent ces pays plus proches dans leurs structures et leurs niveaux de développement. Cependant, la théorie économique et les évolutions observées tendent à invalider la première partie de ce raisonnement, en suggérant que, dans la plupart des cas, les échanges commerciaux favorisent la spécialisation et rendent ainsi les pays plus dissemblables dans leurs structures et dans leur réaction à des chocs communs (Feldstein, 1992). Quant à la seconde, on peut lui objecter que, même si les échanges commerciaux sont propices à la croissance et au développement à long terme, les pays qui partent de conditions initiales moins favorables et ne sont plus en mesure d'utiliser la politique monétaire pour contrer d'éventuels chocs défavorables spécifiques, risquent d'être contraints à emprunter des sentiers de faible croissance et de chômage élevé. En conséquence, l'Union monétaire aurait alors pour résultat d'amplifier, au lieu de réduire, les écarts qui séparent les pays les plus développés du groupe des moins développés. Les dispositions de politique macroéconomique contenues dans le traité de Maastricht reposent sur l'idée que la croissance est davantage favorisée par la stabilité des politiques économiques que par leur caractère plus ou moins expansionniste. Selon cette option, les pays pauvres d'Europe ne profiteraient pas de la préservation d'un plus grand degré de liberté pour leurs politiques monétaires et ne peuvent donc que gagner à l'alignement de leur taux d'inflation et de leurs taux d'intérêt nominaux sur les niveaux dictés, dans le SME, par la Banque centrale allemande et, dans l'UEM, par la Banque centrale européenne. Dans la mesure où l'on peut considérer l'UEMOA, système de change fixe, comme un mécanisme d'alignement des politiques monétaires nationales sur des orientations communes largement dictées par la BCEAO, on peut, pour estimer les effets probables des dispositions contenues dans le traité de l'UEMOA, examiner les évolutions passées: l'UEMOA d'hier et l'UEMOA d'aujourd'hui ont-elles favorisé la convergence des performances macroéconomiques des pays membres? Dans quelle mesure la discipline imposée par la BCEAO a-t-elle éliminé les différences entre les variables nominales dans ces pays? D'autre part, les pays ayant convergé vers les variables nominales du pays leader qu'est la France, pour le taux d'intérêt, et la Côte d'Ivoire pour le taux d'inflation, se sont-ils rapprochés du taux de croissance du PIB par habitant de la Côte d'Ivoire 4 et/ou du déficit budgétaire du Burkina Faso, retenus comme les références à ces niveaux? Ou bien au contraire, les performances des pays membres de l'UEMOA ont-elles eu tendance à diverger? Il est vrai que l'analyse des seules données agrégées ne permet pas de répondre à toutes les questions concernant la convergence des structures économiques elles-mêmes. 4. Qui a longtemps été leur leader en la matière. 66 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC Cependant, elle apporte des éléments de réponse à la question de la convergence réelle, en termes de croissance et de performances macroéconomiques globales. L'enjeu d'une telle discussion pour les pays de l'UEMOA tient au fait que le triangle de Mundell, repris par P. Padoa-Schioppa (1985), à savoir l'incompatibilité entre autonomie des politiques monétaires, fixité des changes et mobilité des capitaux, est applicable à tout ensemble économique et par conséquent aux pays africains de la zone franc (PAZF). Plus précisément, la zone aurait un caractère déflationniste pour les pays suiveurs, tout en bénéficiant au pays leader, si l'on raisonne dans une optique d'équilibre coopératif à la Nash (Eboué, 1992). Cette déflation serait caractérisée par le transfert de l'ajustement sur le revenu de la majorité des populations, en situation de surévaluation du franc CFA. De même, la zone n'assurerait pas, par ailleurs, le développement de l'investissement privé, toujours en retrait par rapport aux flux de sortie des capitaux et des profits nets de la zone. Cela pose la question de l'opportunité de la convergence nominale au détriment d'une convergence réelle et des performances économiques dans un contexte de mondialisation de plus en plus poussée. La convergence: définition et tests statistiques On présente ici la définition et les tests empiriques de la convergence, la méthodologie basée sur le filtre de Kalman et les données statistiques utilisées. Définition et tests empiriques5 Soit X une variable macroéconomique quelconque, i etj deux pays donnés. Nous dirons que les i etj convergent aléatoirement dans le temps par rapport à X, si, pour toute constante arbitrairement très petite E, il existe une date t* à partir de laquelle l'espérance mathématique de l'écart entre les variables XiI et Xjl devient inférieure ou égale à cette constante. Plus formellement, "te"" 0, 3t* "tt ~ t* ,alors E(X il - X jf) ~ e où E désigne l'espérance mathématique. Les travaux empiriques sur la convergence peuvent, pour l'essentiel, être regroupés en deux catégories. Dans la première, les analyses se fondent sur des régressions sur les pays de la moyenne des taux de croissance du PIB réel par tête sur des niveaux initiaux de la même variable. Le raisonnement est que s'il y a convergence des niveaux, les pays dont le niveau initial était faible devraient croître plus rapidement: le coefficient de régression devrait être, en l'occurrence, négatif (Barro, 1990; Baumol, 1986; Barro et 5. Nous reprenons ici le modèle développé et utilisé par R. Loufir et L. Reichlin (1994) dans le cadre de leur étude sur la convergence parmi les pays de la CE et de l'AELE. y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 67 Sala-i-Martin, 1990; De Long, 1988). Dans la plupart des études, les résultats de ce test, mené sur un grand nombre de pays, tendent à conforter l'idée d'une convergence réelle. Mais cette procédure empirique est susceptible de faire l'objet de plusieurs critiques (Loufiat et Reuchlin, 1994). Tout d'abord, si les variables X' T ne sont pas stationnaires, les conditions initiales ne sont pas bien définies. Ensuite, comme l'a souligné Ca (1990), la corrélation simple entre les conditions initiales et la moyenne des taux de croissance n'apporte pas d'information concernant la convergence, alors qu'avec des séries suffisamment longues, par la loi des grands nombres, la moyenne des taux de croissance des différentes économies converge en probabilité vers le même chiffre, les conditions initiales étant indépendantes de la taille de l'échantillon. Si les différences premières du PIB sont stationnaires, la moyenne (sur l'échantillon des taux de croissance des différentes économies analysées) converge vers une grandeur qui est indépendante des conditions initiales. Par conséquent, tout estimateur de corrélation entre la moyenne des taux de croissance et les conditions initiales tend vers zéro, que le pays converge ou diverge 6 . En revanche, les non-stationnarités des niveaux des variables étudiées sont prises en compte par le deuxième groupe de travaux empiriques. La notion de convergence s'associe alors à celle de co-intégration, cadre adéquat pour effectuer des tests statistiques. Quand les variables X' T ont un ordre d'intégration égal à un, la notion de convergence utilisée par cette littérature correspond aux conditions suivantes: (i) Exit et T sont co-intéressés; (ii) le vecteur de co-intégration est (l, - 1); (iii) la différence entre X it et Xjt est une variable (stationnaire) de moyenne nulle. Ainsi, dans ces analyses, si les variables X. t de deux pays ont convergé, alors la co-intégration est une condition nécessaire mais pas suffisante: les contraintes (ii) et (iii) doivent également être satisfaites. Cette démarche a été utilisée pour des études des PIB en niveau et par tête par Campbell et Mankiw (1989), Reichlin (1989), Bernard et Durlauf (1991), Cogley (1990), entre autres. Les tests avec les contraintes (ii) et (iii) ont été appliqués à des modèles bivariés pour étudier la convergence par paires de pays et à des modèles multivariés. Dans ce dernier cas, s'il existe n - 1 vecteurs co-intégrants dans un système à n variables et si les conditions (ii) et (iii) sont vérifiées, on parle alors de convergence globale. Ces tests recourant à la co-intégration ont été largement appliqués aux taux de change, aux taux d'intérêt nominaux et aux taux d'inflation pour étudier la convergence nominale (Baillie et Bollerslev, 1989; Hakkio et Rush, 1989). Dans la plupart des cas, les résultats de cette démarche rejettent l'hypothèse de convergence des variables réelles mais sont plus mitigés quant aux variables nominales.' . 6. Voir aussi Cohen (1992), pour une critique différente de cette littérature. 68 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC Toutefois, la conception de la convergence sous-jacente aux dispositions du traité de l'UEMûA, héritées en partie du traité de Maastricht, est moins contraignante que celle de la co-intégration. Implicitement, la condition requise dans le traité est, en effet, que les pays soient en voie de converger, et non pas qu'ils aient déjà convergé. En revanche, la co-intégration implique que: E(X it - X it ) = 0 et Var (X it - X it ) < 00, ce qui suppose que la convergence a déjà eu lieu. Dès lors, le critère de convergence découlant des tests de co-intégration avec les contraintes (ii) et (iii) ne correspond pas vraiment à la question de la convergence que nous soulevons ici: il ne s'agit pas tant de savoir si les pays ont déjà convergé, mais s'ils se sont engagés dans un processus de convergence dans le passé récent, en particulier depuis le début des années 1980. Un test de co-intégration sur tout l'échantillon portant sur les trois dernières décennies a donc de fortes chances de rejeter la co-intégration, mais ce rejet n'apporterait aucune information sur l'engagement des économies en question dans le processus de convergence à partir d'un certain point de l'échantillon. Autrement dit, nous cherchons un test permettant de prendre en considération le changement des relations de long terme parmi les indicateurs des différents pays. Pour ce faire, il convient de recourir à une méthodologie de paramètres variables, susceptible aussi bien de détecter les changements de direction que de mesurer la vitesse de convergence. La méthode que nous avons retenue, à la suite de Loufir et Reichlin (1994), est une variante du test proposé par Haldane et Hall (1991), et appliquée, un peu différemment, à un certain nombre d'indicateurs nominaux de la Communauté européenne, par Hall, Robertson et Wickens (1992). Méthodologie basée sur le filtre de Kalman Considérons la variable macroéconomique X. t pour le pays 1 et pour deux pays - référence A et B. Nous voulons savoir si le pays 1 tend vers le pays A ou vers le pays B et à quelle vitesse. Dans ce but, nous effectuons la régression suivante: X At - X It = aIt + ~It (X At - X Bt ) + UIt (l), où UIt est un bruit blanc. L'évolution temporelle des paramètres a t et ~t donne quelques éléments d'information sur la convergence. Nous dirons que le pays 1 converge, c'est-à-dire a entamé un processus de convergence, vers le pays A si: E lim (~It) = 0 et E lim (aIt) =O. Inversement, si le pays 1 converge vers le pays B, nous aurons alors: E lim (~It) = 1 et E lim (aIt) = O. Il faut noter que cette définition est plus faible que celle de la co-intégration avec les contraintes (ii) et (iii). Dans cet exercice, nous ne cherchons pas à déterminer si les pays ont convergé, mais s'ils ont entamé le processus de convergence. D'un autre côté, un test de convergence - de co-intégration avec les contraintes (ii) et (iii) - de 1 vers A est équivalent à un test y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 69 basé sur notre régression (1) où les valeurs des paramètres ne sont pas statistiquement différentes de: ~It = 0; E(aIt) = C et Var (aIï) = (J2 aIt < 00. Le modèle (1) peut être estimé grâce au filtre de Kalman. Les événements possibles, quand aIt tend vers zéro, sont les suivants: (a) E lim (~It) = 0, auquel cas XIt = X At (b) E Hm (~It) = 1, auquel cas XIt = X Bt · Ensuite, quand X At < X Bt , trois cas de figure peuvent se présenter: (c) 0 < E lim (~It)<l, auquel cas X At < X It < X Bt (d) E lim (~It) > 1, auquel cas X At < X Bt < X It (e) E lim (~It) < 0, auquel cas XIt < X At < X Bt Enfin, quand X At > X Bt , trois cas de figure peuvent aussi se présenter: (c') 0 < E lim (~It) < 1, auquel cas X Bt < XIt < X At (d') E lim (~It) > 1, auquel cas XIt < X Bt < X At (e') E lim (~It) < 0, auquel cas X Bt <X At < XIt La représentation graphique des ~It estimés indique vers quelle situation le pays 1 converge et à quelle vitesse. En effet, pour aIt"" 0, lorsque les coefficients ~It tendent vers 0 (ou respectivement 1), on dira que le processus de convergence vers la référence A (ou respectivement B) est entamée. La vitesse de convergence est mesurée par le rythme auquel les coefficients ~It tendent vers 0 (ou 1). L'ambiguïté de cette méthode réside dans le choix du pays-référence. Dans nos cas de régression, nous avons considéré la France comme la référence A et la moyenne des pays de l'UEMOA comme la référence B, pour la première variable nominale, les taux d'intérêt. Le choix de la France nous paraît tout naturel à ce niveau, étant donné les règles de fonctionnement de la zone franc?, dont tous les pays de l'UEMOA sont membres. On peut donc considérer que c'est la France qui définit les orientations générales de la politique monétaire dans la zone franc. De plus, pour la variable nominale considérée (les taux d'intérêt du marché monétaire ou le taux de réescompte), on peut admettre que les niveaux français influencent de façon notable ceux des pays de l'UEMOA. Pour huit variables, dont deux nominales (le taux d'inflation et le taux de liquidité), et six réelles (le taux de croissance réel par tête, l'emploi industriel, le poids du secteur industriel, celui du secteur manufacturier, le taux d'exportation et le taux d'ouverture), nous avons choisi la Côte d'Ivoire comme la référence A et la moyenne des pays de l'UEMOA comme la 7. La zone franc est un système de change fixe où le pays leader (la France et indirectement l'Union européenne) conditionne le taux de change nominal et influence les taux d'intérêt et les taux d'inflation, et donc le taux de change effectif bilatéral (Hugon, 1997). Six règles de fonctionnement garantissent la crédibilité de la zone: (i) la libre transférabilité des fonds; (ii) une parité fixe vis-à-vis du franc français; (iii) l'harmonisation des réglementations des changes; (iv) un pool commun de devises; (v) la participation du Trésor public français à la gestion des instituts d'émission; et enfin, (vi) la limitation des avances de la Banque centrale à 20% des recettes budgétaires propres de l'État demandeur. 70 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC référence B. Le choix de la Côte d'Ivoire se justifie par le fait que ce pays était cité comme la locomotive de la sous-région pour ses performances économiques jusqu'à la fin des années 1970, position qu'elle a retrouvée après la dévaluation du franc CFA de janvier 1994 (cf. tableau 3 infra). Pour les deux autres variables réelles, le déficit public et le service de la dette, nous avons retenu le Burkina Faso comme la référence A et la moyenne des pays de l'UEMOA comme la référence B. Le choix du Burkina se justifie par le fait que, par le passé, ce pays a adopté des politiques macroéconomiques de bonne qualité. C'est ainsi qu'en février 1994, la Banque mondiale lui attribuait la meilleure note en matière de gestion macroéconomique, comparativement aux autres pays membres de l'UEMOA (Watteyne et Ouedraogo, 1994). L'analyse empirique, développée dans la section suivante, explore ainsi, systématiquement, le degré de convergence pour chaque pays de l'UEMOA, vers les niveaux ci-dessus précisés des variables retenues. Les données Les données statistiques de l'étude proviennent des publications de la BCEAO pour ce qui concerne les taux d'intérêt, des Statistiques financières internationales (SFI) du FMI pour les taux de croissance réelle des PIEI tête et les déficits budgétaires, et enfin de la Division des statistiques de la BAD8 pour les autres variables. Un examen rapide de ces variables donne quelques indications préliminaires illustrées par les graphiques 1 à Il et qui seront discutées dans la section 4 (infra). Graphique 1. Évolution des taux d'intérêt des marchés monétaires et des taux de réescompte 20 15 10 . 1 .- 5, o1 _TMUEMOA -TMF TRUEMOA TRF ,. :r~, ·.,.r,.r . . --.. 1 i ....... ~..._.~. • • _ 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 l 19 19 19 19 19 19 19 ~ ~ ~ ~ M n M 19 ffl 19 , 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 19 19 19 19 19 19 19 M 00 ~ M ~ ~ 00 ~ Le graphique l, montre que les taux d'intérêt du marché monétaire de la France s'écartent progressivement de ceux de l'UEMOA, de 1975 à 1985. En 1986, le taux du marché monétaire français chute brutalement de 11,9% à 7,74% tandis que celui de l'UEMOA baisse plus faiblement, passant de 10,6% à 8,58%. Dès lors, les taux français passent en dessous de ceux de l'UEMOAjusqu'en 1993. 8. BAD (1998). y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 71 En ce qui concerne les taux de réescompte, de 1962 à 1981, les taux de l'UEMOA sont plus faibles que ceux de la France. Le graphique 2, qui représente les évolutions des taux d'inflation, laisse apparaître le Sénégal et la Côte d'Ivoire comme les pays les plus inflationnistes de la zone pour la période 1981-1996. Le Burkina et le Mali occupent une position intermédiaire, tandis que le Togo et surtout le Niger sont les pays les plus vertueux en matière d'inflation. Le choc de la dévaluation de 1994 a été fortement ressenti par tous les pays, mais dès 1995, tous se sont engagés dans un processus déflationniste. Globalement, on se rend compte que de 1981 à 1985, puis de 1991 à 1995, la Côte d'Ivoire (retenue comme référence), a été moins inflationniste que la moyenne des pays de l'UEMOA. Il en va autrement de 1986 à 1990. Graphique 2. Évolution des taux d'inflation 70 60 50 40 30 20 10 _l~:;'~~~fi:i~~It;~~"'~~~E~::;-;::;;;-t;~ ·20 Les taux de croissance réels par tête sont très différents de 1980 à 1996 (graphique 3). On distingue, néanmoins, deux grandes catégories de pays: ceux dont les PIB/tête sont orientés à la baisse (Côte d'Ivoire, Niger et Togo) et ceux qui, au contraire, ont vu croître leur PIB/tête (Bénin, Burkina, Mali et Sénégal). La chute du PIB par tête est particulièrement forte pour le Niger et la Côte d ' Ivoire, avec des taux de croissance annuel moyen (tcam) de - 3,1 % et - 2,5 % respectivement. A l'inverse, le Burkina réalise la meilleure performance sur l'ensemble de la période (+ 2,3 % de tcam). On note, avec satisfaction, qu'après la dévaluation, tous les PIB par tête croissent positivement, la Côte d'Ivoire et le Togo réalisant les meilleures performances. Graphique 3. Évolution des taux de croissance réelle par habitant 0.4 --+-- 0.2 • • 0~~~~4~~~M~!:5t~~~ _0.2~1 -0.4 -0.6 -0.8 1983 1985 1995 BENIN B.F. CI. MALI -x-NIGER _._ SENEGAl _ TOGO 72 L'A VENIR DE LA ZONE FRANC Le graphique 4, qui est relatif aux déficits budgétaires, montre de fortes divergences entre les pays. Le Burkina réalise les meilleures performances sur l'ensemble de la période, le Sénégal ne jouant le rôle de leader que dans les années 1990. Le Togo, de son côté, réalise les plus mauvaises performances sur l'ensemble de la période, suivi du Mali. Graphique 4. Évolution des déficits budgétaires 160.00% 140.00% 120.00% 10000% 8000% 60.00% 40.00% 20.00% 0.00% -2000"/01 ____ BENIN !\ ! / j 1 l -.• -- B,F. \ \\ \ '. CI. MALI ',-- X - NIGER / l' -.- - SENEGAL 1 • 1982 :"':-, 1984 • TOGO 19B6 1992 1994 1996 Le graphique 5, qui concerne le poids de l'emploi industriel, laisse apparaître, a priori, une nette divergence entre les pays. Cependant, on remarque que les parts d'emploi du secteur industriel sont très proches entre le Mali et le Niger, d'une part, et que le Sénégal se situe à la fois dans une position moyenne et médiane. Au-dessus, on trouve la Côte d'Ivoire, le Togo et le Bénin qui sont les pays relativement les plus industrialisés, si on raisonne en termes d'emplois industriels relativement aux autres secteurs. Le Burkina, le Niger et le Mali sont les moins industrialisés de ce point de vue. Cependant, les graphiques 6 et 7 ne confirment pas les conclusions précédentes. En effet, selon la part de l'industrie dans le PIB (graphique 6), la situation moyenne est celle de la Côte d'Ivoire. Le Togo et le Niger sont alors les pays où le poids de l'industrie dans le PIB est le plus élevé, alors qu'en dessous de la moyenne, on trouve le Burkina, le Sénégal et le Mali. Ces trois derniers pays semblent converger vers la Côte d'Ivoire et/ou la situation moyenne. Le Bénin serait alors le pays le moins industrialisé, avec une position relativement stable, bien qu'ayant un emploi industriel relativement au-dessus de la moyenne. Graphique 5. Proportion de la main-d'œuvre dans l'industrie 16 14 1 . 12 10 BL 6 4 2 o r- .. - - -. .---...:--~ _,>, ___ 1 1975 .' -. - Bénin • • --a --.• • • • -----a -)0; li~ I-~ 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 Mali Niger .--- Sénég'al -- UEMOA 1 19BO BF RCI Togo y A-T-ll. CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 73 Graphique 6. Parts de l'industrie dans le PIB en % Bénin ...... BF RCI .... -=1~==-----.:-_··------·--4-- L 0.1 Mali r o, 1975 1 1980 1985 1990 -.. 1 1991 1992 1993 1994 1995 Niger -->( • . Sénégal Togo 1996 _ . UEMOA Graphique 7. Part de l'industrie manufacturière dans le PIB 0.25 0.2 1 .. 0.15 01 ----.,.... 0.05 oj 1975 -. • ---'- .--- ...... "- - e..- - - e ·n "<---. -- ~-- ..... .• _ ~ • • 1985 1990 1991 1992 1993 1994 Bénin • 1 BF RCI Mali 1 :.: • )( 1995 1996 • ! 1 1 1980 - 1-' .~ ... Niger t;J - - - UEMOA Si l'on ne s'intéresse qu'à l'industrie manufacturière (graphique 7), le Togo représente la situation moyenne. On trouve alors au-dessus de cette moyenne, le Burkina, la Côte d'Ivoire et le Sénégal. Alors que le poids de la valeur ajoutée manufacturière du Burkina et celle de la Côte d'Ivoire semblent converger durant les années 1980 et le début des années 1990, ce sont plutôt le Sénégal et la Côte d'Ivoire qui tendent à se rapprocher, à première vue, pendant les années post-dévaluation. Les pays en dessous de la moyenne (Mali, Bénin et Niger) ont les parts de leur valeur ajoutée manufacturière qui restent relativement stables sur toute la période. Graphique 8. Taux d'exportation (= exportationIPIB) 06 0.5 04 T _ _ Bénin t _--- r • RCI ~----- 0.3l::::::;:Z::~::::=~~~~~~A--_;"=="; 0.2 0.1 • . - BF .. Mali Niger li: 0+----1------1--;---+---+--+---+--1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 - •.-- Sénégal Togo _ UEMOA Le graphique 8, relatif aux taux d'exportation, indique que le Bénin constitue la situation moyenne. Au-dessus de celle-ci, on retrouve la Côte d'Ivoire, le Togo et le Sénégal (surtout après la dévaluation pour ce dernier 74 L'A VENIR DE LA ZONE FRANC pays). En dessous, il yale Mali, le Niger et le Burkina. Il n'apparaît aucune tendance convergente entre les taux d'exportation. Les positions sont relativement figées. Graphique 9. Taux d'ouverture des économies (= importations + exportationsIPIB) . a· BF 1.5 Rel Mali -;-.;--- Niger Q.l--_-+-_-+1975 1980 1985 -+-_ 1990 1991 1992 __+--+----+---' 1993 1994 1995 1996 1 ,+~""'I ' - Togo 1 - UEMOA En revanche, le graphique 9 qui concerne les taux d'ouverture montre un resserrement des degrés d'ouverture des économies, hormis le Togo qui se distingue nettement comme étant le pays le plus ouvert. Le Burkina et le Mali, à un degré moindre, se distinguent aussi, mais comme les pays les moins ouverts. Les trois autres pays ont des degrés d'ouverture très proches. Le graphique 10 illustre les poids des services de la dette, relativement aux exportations. Les situations des pays sont, à ce niveau, très différentes. Cependant, en 1992, on note une brutale convergence des pays les plus endettés (au-dessus de la moyenne, sauf la Côte d'Ivoire dont le poids du service de la dette est le plus lourd). Il s'agit du Niger et du Sénégal. Les situations des pays médians convergent apparemment, et ce, très rapidement durant les années 1990 (Niger, Mali, Sénégal, Burkina et Togo). Le Bénin et le Togo sont les pays dont les poids du service de la dette sont les plus faibles, relativement à leurs exportations. Enfin, le graphique Il qui porte sur les degrés de «développement monétaire 9 », révèle, à première vue, des différences des niveaux atteints. Les positions des pays sont très variables dans le temps, sauf celle du Niger où les taux de liquidité sont aussi les plus faibles. La situation du Sénégal est très caractéristique de la variabilité, tandis que le Bénin apparaît comme le pays ayant le développement monétaire le plus élevé. Au total, ces graphiques ne laissent pas apparaître une tendance nette à la convergence en matière de structures économiques. Pour ce qui est des performances des politiques économiques en revanche, il y aurait une tendance convergente. La tendance divergente semble plus nette pour les 9. Suivant en cela le concept de développement financier de R. W. Goldsmith (1966 et 1969) qui se mesure à partir du ratio d'interrelation financière (RIF), c'est-à-dire le rapport des avoirs monétaires et financiers sur les avoirs réels du pays. Goldsmith soutient que le développement financier d'un pays peut précéder son développement économique. y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 75 Graphique 10. Service de la dette en % des exportations 40 35 30 25 20 15 10 - !-+-Bénin Î ' . - ::, 1 Mali 5 o -I----t------t---+----t-----+--;---It----+----;I 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 --x--- Niger 1 - - - Sénégal '1 - ' Togo 1996 --UEMOA,, Graphique 11. Taux de liquidité des économies (= M2/PIB) _ - Bénin • - BF 015 f o 1 !X~ '-_.- ~~, ~ RC! Mali • OOSo * --+-,-------;--+1- - - , i r - - - - - I - I- - f - - - I- - - . - , - - + - 1-.----t ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ __ Niger - Togo Sénégal - ' UEMOA ~ variables réelles que pour les variables nominales, d'une part, et pour les variables structurelles que pour les variables conjoncturelles ou de politique économique, d'autre part. Mais avant d'en tirer des conclusions, il convient d'analyser les résultats de l'application empirique du modèle 1, que nous avons exposé ci-dessus. Résultats empiriques Les résultats des estimations sont illustrés sur les graphiques 12 à 21, qui pennettent de visualiser l'évolution temporelle des coefficients ~It estimés par l'équation pour les différents pays de l'UEMOA et les indicateurs retenus 10. La convergence nominale L'évolution des taux de réescompte et d'intérêt du marché monétaire de l'UEMOA et de la France, d'une part, et des taux d'inflation dans les pays de l'UEMOA, d'autre part, permet de discuter de la convergence nominale. 10. Pour les taux de réescompte, le modèle estimé est le suivant: X AI = Qil + bit X it . 76 L'A VENIR DE LA ZONE FRANC Il s'agit de voir quels événements (cf. ci-dessus) sont réalisés. A) TAUX D'INTÉRÊT Le graphique 12a montre qu'en ce qui concerne le taux d'intérêt du marché monétaire, enregistré de 1975 à 1979, il n'y a pas de tendance convergente entre l'UEMOA et la France. Le taux français s'écarte, à la hausse, du taux de l'UEMOA (événement c'). En 1980, il y a un brusque rattrapage (événement e'). Dès lors, de 1981 à 1993, le taux d'intérêt du marché monétaire de l'UEMOA converge rapidement vers celui du marché français (événement b). Graphique 12 a). « Convergence» des taux d'intérêt du marché monétaire (France-UEMOA) (1975-93) 60 A 40 20 o --- 1 -20 -40 -60 -BO -100 2 3 4 . ~. 6 ,1 . ., . , .,"r· . . . .·-m . . . . . ·",- .. 'zr·= 8 • , ~ •,, 9 10 1\ 12 13 14 IS 16 17 18 19 --coefficient a • - - - _. coefficient b .., . ' . 1 • ,1 B) TAUX DE RÉESCOMPTE Trois phases nettes se dégagent à ce niveau. De 1962 à 1974, le taux de réescompte de la BCEAO est resté constant à 3,5 % tandis que le taux français s'en écartait rapidement pour atteindre 13% en 1974. A la suite des réformes de la zone franc de 1973-1974, on assiste à une convergence rapide (événement b) de 1975 à 1979. Enfin, la troisième phase qui couvre la période 1980 à 1993 se caractérise par une constance du taux de réescompte français à 9,5 %. Le taux de l'UEMOA fluctue alors autour du taux français pendant cette période (événement c), avec une tendance divergente. La politique monétaire, en général, et celle des taux d'intérêt, en particulier, de la BCEAO ont connu trois grandes étapes depuis 1962: - (i) de 1962 à 1972, les taux d'intérêt sont maintenus particulièrement bas. Deux ordres de considérations relatives à l'investissement et à l'épargne ont effectivement guidé cette politique en se fondant sur la théorie keynésienne (cf. J. Bourdin, 1980). Selon ces considérations, l'investissement est fonction du taux d'intérêt, tandis que l'épargne dépend du revenu national. Étant donné que dans les pays en voie de développement les revenus sont faibles, la propension à épargner - fort marginale - est supérieure à 1 y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 77 de sorte que des taux d'intérêt élevés n'entraînent pas une épargne élevée, mais, au contraire, une diminution de l'investissement. En conséquence, il faut des taux d'intérêt bas pour stimuler l'investissement, et partant, promouvoir la croissance, de sorte à abaisser la propension marginale à consommer donc accroître l'épargne Il ; - (ii) de 1973 à 1992, la BCEAü procède à des ajustements et même à une réorientation radicale de sa politique. Dès 1973, on assiste à une hausse des taux d'intérêt et à l'adoption du taux de réescompte comme nouvel instrument. L'explication de ce changement serait, selon Bourdin (1980), que la BCEAü a tiré les leçons de son long apprentissage. En conséquence, elle se détache progressivement de son keynésianisme originel en inversant les propositions initiales: il est alors plus ou moins implicitement admis que l'investissement est sensible au taux d'intérêt qui, en revanche, est essentiel pour l'épargne. Ainsi, le taux d'intérêt, conçu à l'origine comme un moyen d'incitation à l'investissement, est désormais considéré comme un facteur de mobilisation de l'épargne et fixé en conséquence. Cependant, la BCEAü et les pays membres ne se départissent pas totalement de leur ancienne conception, de sorte qu'on assiste à une multiplicité de taux d'intérêt (bonifiés, préférentiels, etc.) qui ont fini par entraîner de nombreuses distorsions dans les prix financiers; - (iii) depuis 1992, la tendance lourde de la politique de la BCEAü est à la libéralisation. Dès 1989, on assiste aux premières mesures de libéralisation, avec l'harmonisation des taux d'intérêt. A partir de 1992, la BCEAü met en place des mesures de libéralisation poussée du secteur financier. Graphique 12 b). Taux d'ouverture des économies (= importations + exportations/PIB) 40 2: ---~~ ...A--= ~ ..,, .. ·.' ·, .' ·.1: 1 -20 -40 3 5 7 9 11 13 i ' , , -60 1 15 17 19 21 23 25 27 29 31 --coefficient a - - - - - - coefficient l' ' -80 -100 "• -120 Il. Une autre justification de cette politique de taux d'intérêt bas que l'on rencontre porte sur le fait que l'État étant le principal emprunteur, des taux d'intérêt élevés entraîneraient de lourdes dépenses budgétaires. Aussi, les taux d'intérêt ont-ils été maintenus bas (cf. Diagne, 1988). 78 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC A la lumière de ces évolutions de la politique monétaire de la BCEAO, on comprend mieux pourquoi, globalement, les marchés monétaires et financiers de l'UEMOA et de la France n'ont pas convergé sur l'ensemble de la période 1962-1993. Cependant, de 1975 à 1979, au niveau du taux de réescompte, un processus de convergence a été enclenché, mais ce cap n'a pu se maintenir au-delà de cette brève période. En revanche, au niveau des taux d'intérêt des marchés monétaires, de 1981 à 1993, celui de l'UEMOA a rapidement convergé vers celui de la France. Cette période correspond à celle de l'entrée en vigueur des programmes d'ajustement structurel (PAS) dans l'ensemble des pays de l'UEMOA. On sait que ces politiques ont exigé beaucoup plus de rigueur dans les politiques économiques en général, et monétaires en particulier, ainsi qu'une plus grande libéralisation des marchés monétaires et financiers. Ces politiques pourraient expliquer ce résultat. C) TAUX D'INFLATION Avec la période 1980-1996, on note que l'inflation du Niger et du Togo (événement b) converge vers la Côte d'Ivoire, tandis que celle du Burkina Faso (événement a) converge vers la moyenne de l'UEMOA. Ces trois pays constituent, en fait, « les pays vertueux» en matière d'inflation. Plus spécifiquement, on remarque (graphique 6) qu'à partir de 1984, l'inflation enregistrée avec l'exemple togolais converge rapidement vers la moyenne (événement b). Le Niger est dans la même situation (événement b) de 1980 à 1988, puis tend à diverger, mais faiblement jusqu'en 1996. La tendance à la divergence s'est amplifiée avec la dévaluation. Concernant le Burkina Faso, après une période de rattrapage rapide de 1980 à 1987 où son inflation converge vers celle de la Côte d'Ivoire (événement a), ce pays converge par la suite vers la moyenne. Le Sénégal qui est aussi proinflationniste que la Côte d'Ivoire ne converge ni vers ce dernier, ni vers la moyenne (événement e). Cependant, on peut dire qu'il a entamé le processus, mais à un rythme encore très faible (pente des coefficients 13). Les marchés monétaires et financiers de l'UEMOA et de la France ont convergé durant les années 1980 et 1990. Cependant, cette situation n'a pas conduit à une convergence des taux d'inflation dans les pays de l'UEMOA. A ce niveau, il apparaît deux groupes de pays, « les vertueux» (Burkina Faso, Niger et Togo) et les «non-vertueux» (Côte d'Ivoire et Sénégal), cela laisse penser qu'ils recourent plus au financement monétaire de leurs déficits budgétaires. De même, il apparaît que la convergence des marchés monétaires n'entraîne pas automatiquement une convergence nominale globale des économies, comme s'il existait des comportements de resquilleurs. Certains pays (Côte d'Ivoire et Sénégal) semblent ne pas participer aux coûts de réalisation de la faible inflation de la zone par des politiques économiques et monétaires dites vertueuses. L'examen de la convergence réelle permettra certainement de confirmer ou d'infirmer cette thèse. y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 79 Graphique 13. « Convergence» des taux d'inflation 10 5 .Q ë <Il ,::; i: 0 ·5 ·10 o HF -15 • NIGER ·20 D SENEGAL <Il 0 Ü ·25 ~/'/'7Cr-z.~~"2T-;.,L..,~~~.' TOGO .JO ~ • TOGO . SENEGAL NIGER HF Ol Amées 0) TAUX DE LIQUIDITÉ DES ÉCONOMIES Comme on peut le voir sur le graphique 14, la tendance générale est à la divergence des taux de liquidité. Cela signifie que les pays de l'UEMOA, malgré plus de 35 années de monnaie et de politique monétaire communes, n'ont pas encore atteint le même degré de développement monétaire. On note (cf. annexe 2) que les coefficients a. tendent vers zéro et X A (= RCI) < X B (= UEMOA). Cependant, les coefficients ~ indiquent clairement une tendance divergente des pays. Néanmoins, le Mali a convergé au début des années 1990 vers la moyenne de l'UEMOA, puis très rapidement, a repris une tendance divergente. En revanche, le Togo converge vers la moyenne de l'UEMOA à un rythme soutenu. Graphique 14. « Convergence» du taux de liquidité de l'économie 20 o • Bénin -20 DMaii D Niger • BF -4 0 Sénégal Mali Bénin (J) (J) (J) (J) • Sénégal .T~ (J) Au total, les pays de l'UEMOA convergent globalement en ce qui concerne les variables de politique monétaire, mais divergent en ce qui con- L'AVENIR DE LA ZONE FRANC 80 cerne la variable structurelle (le taux de liquidité de l'économie). Cependant, cette variable structurelle n'est pas stable dans la mesure où les taux de liquidité des pays sont très erratiques. Ainsi, la longue pratique d'une politique monétaire commune en un même rythme de développement monétaire, et partant de développement économique. Cela se ressent nettement au niveau des variables réelles. La convergence réelle La question qui se pose maintenant est celle de savoir si le processus de convergence engagé au niveau des marchés monétaires, et à un degré moindre, à celui de l'inflation, résulte ou se traduit par une convergence réelle, c'est-à-dire des structures des économies des pays de l'UEMOA. Les graphiques 15 à 21 illustrent ce processus de convergence réelle. A) TAUX DE CROISSANCE RÉELLE DU PIB/TÊTE Les pays de l'UEMOA ont abordé les années 1980 avec des divergences dans les performances en matière de croissance du PIB par tête. Cependant, dès 1984, tous semblent engagés dans un processus de convergence. En particulier, le Sénégal converge rapidement vers la moyenne (événement b) de 1984 à 1996 avec une nette accélération du processus dans les années post-dévaluation. Il est suivi, dans une moindre mesure, du Togo et du Mali (événement c). Le Bénin et le Burkina Faso, partis d'un niveau de divergence beaucoup plus élevé, convergent beaucoup plus lentement (événement d). Le Niger a une tendance totalement opposée aux autres pays. Il diverge de plus en plus rapidement jusqu'en 1993, puis renverse la tendance dans les années post-dévaluation. De façon générale, il semble clair que la convergence réelle, appréhendée en termes de taux de croissance des PIB par tête, a été à peine entamée (après la dévaluation). Qu'en est-il des politiques budgétaires? Graphique 15. « Convergence» des taux de croissance du Pm/tête (1981-1996) .0 -BENIN ë ID • BUR<INA Ti ;:: ID oMAU Ü IJNIGER o .SENEGAl • TOGO Anr'ées y A-T-TL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 81 B) DÉFICIT BUDGÉTAIRE La situation du déficit budgétaire est relativement claire. Les différents pays convergent assez rapidement sauf le Togo. Cependant, on peut les diviser en trois groupes: les « pays vertueux» qui seraient constitués du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire; ensuite des pays intermédiaires composés du Bénin, du Niger et du Sénégal; le Mali et le Togo qui apparaissent comme des pays « peu vertueux ». La Côte d'ivoire converge rapidement vers la moyenne (événement b) jusqu'en 1986 et vers le Burkina en 1987 et 1988. De 1989 à 1996, l'évolution du déficit budgétaire est caractérisée par une tendance incertaine (événement c). Dans le deuxième groupe de pays, le Bénin part d'un niveau de divergence élevé (événement jusqu'en 1983 puis événement d jusqu'en 1996). A partir de 1984, il converge assez rapidement vers la moyenne (événement b), mais tend à diverger depuis la dévaluation. Le Niger et le Sénégal partent de niveaux de divergence comparables (événement e'). Cependant, le Niger converge régulièrement vers la moyenne alors que le Sénégal, après avoir convergé vers la moyenne jusqu'en 1986, tend à diverger tendanciellement jusqu'en 1996. Concernant les pays peu « vertueux », ils commencent aussi par converger vers la moyenne, jusqu'en 1989 pour le Mali, et en 1985 pour le Togo. De 1990 à 1996, le Mali a plutôt une tendance divergente. Le Togo, après un choc en 1986, reprend une tendance convergente vers la moyenne jusqu'en 1992, puis converge brutalement avec le Burkina de 1993 à 1996. Graphique 16. « Convergence» des déficits budgétaires (1980-1996) 140-·120 100 80- • BENIN 60· 40 .RCI .MAU 20 o NIGffi 0-20 TOGO SENEGAL NIGER MAU RCI -40 -60 1----r-f'--f-.--L_7----,.<-c 1 .SENEGAL • TOGO BENIN 13 Arrées 15 17 C) EMPLOI D'INDUSTRIEL Pour la proportion de la main-d'œuvre employée dans l'industrie, les coefficients a sont encore éloignés de zéro bien que tendant vers cette 82 L'A VENIR DE LA ZONE FRANC valeur. Le processus de convergence y est à peine entamé. Les niveaux d'industrialisation entre les pays, qui sont très différents, affichent une tendance, certes lente, à la convergence. Mais, alors que tous les autres pays convergent très lentement vers la Côte d'Ivoire (référence A), le Bénin, lui, converge aussi lentement vers la moyenne de l'UEMOA. Ce deITÙer pays aurait-il un retard d'industrialisation aussi marqué? Graphique 16. « Convergence» des parts de la main-d'œuvre dans l'industrie 4 2 • Bénin 0 • BF o Mali -2 -4 o Niger • Sénégal • Togo D) TAUX D'OUVERTURE DES ÉCONOMIES Si l'on raisonne en termes de degré d'ouverture des économies, il ressort une très forte divergence entre les pays de l'UEMOA. Seul le Bénin semble converger, et ce très lentement, vers la moyenne de l'UEMOA. Tous les autres divergent nettement et le processus E) SERVICE DE LA DEITE Mesurée par le service de la dette (en % des exportations), la convergence entre les pays de l'UEMOA, de façon générale, n'existe pas. Cependant, on note que le Mali converge très rapidement vers le Burkina (référence A) et le Bénin lentement certes, mais plutôt sûrement. Les autres pays divergent et même rapidement. On peut donc dire qu'en matière d'endettement, le Burkina, le Mali et le Bénin semblent être les plus sages. Les autres pays ont une plus grande propension à s'endetter. Les pays de l'UEMOA sont engagés depuis les années 1980 dans un certain processus de convergence réelle, notamment au niveau des taux de croissance réelle par tête et surtout des déficits budgétaires. Il s'agit essentiellement d'une convergence des variables de politique économique que l'on peut aisément attribuer aux règles de fonctionnement de la zone franc et des conditionnalités des PAS que les pays ont adoptées dès le début des années 1980. Au niveau des variables structurelles, hormis le taux d'expor- y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 83 tation pour lequel le processus de convergence est à peine entamé, il y a une nette tendance divergente qui se manifeste. Conclusion Les pays de l'UEMOA ont entamé un processus de convergence, généralement vers la moyenne. Cette tendance fort perceptible au niveau des variables de politique économique notamment les taux d'intérêt et le taux d'inflation et le taux de croissance réelle du PIB/tête, l'est beaucoup moins au niveau des variables structurelles. Toutefois, on peut distinguer trois groupes de pays: (i) ceux qui ont entamé un processus de convergence vers la Côte d'Ivoire (le Bénin et le Burkina Faso); (ii) ceux qui tendent à converger vers la situation moyenne de l'UEMOA (le Sénégal et le Mali); (iii) et ceux qui soit divergent ou, quand ils convergent, le font tantôt vers la moyenne, tantôt vers la Côte d'Ivoire (Niger et Togo). La tendance du Bénin fait qu'on ne peut imputer ces comportements à la proximité géographique. Ceux-ci ne semblent pas résulter non plus du niveau de développement économique. Une seconde conclusion générale qui peut être tirée concerne le clivage variables structurelles/variables conjoncturelles ou de politique économique: pour les premières, on note clairement que le processus de convergence est encore loin d'être entamé. Cela signifie que paradoxalement les structures économiques des pays de l'UEMOA ne tendent pas à se rapprocher. Ce résultat ne surprend pas si l'on sait que l'UMOA n'a pu devenir une union douanière, même avec la mise en fonctionnement de la CEAO qui aurait pu rapprocher les structures économiques. Par contre, les variables de politique économique ont soit convergé ou tout au moins entamé le processus. Ce résultat peut se mettre au crédit de l'UMOA (aujourd'hui UEMOA). Aussi, il faut espérer que la dimension union économique de l'UEMOA prenne de plus en plus d'ampleur pour tirer les pays vers le haut puisque la plupart du temps la convergence s'est faite vers la référence A, correspondant au pays le plus performant. Enfin, le troisième résultat net qui se dégage est que le clivage variables nominales/variables réelles est peu pertinent pour les pays de l'UEMOA au regard de la convergence. L'opposition entre les variables structurelles et les variables conjoncturelles ou de politique économique est la plus pertinente. En d'autres termes, les pays de l'UEMOA ne doivent pas s'attendre en matière de convergence à ce que la convergence nominale (ou des politiques monétaires) entraîne une convergence des variables réelles de politique économique et/ou des structures économiques. Au contraire, il faut faire en sorte que la convergence des politiques économiques, rendue possible par les règles de fonctionnement de la zone franc et les PAS, se traduise aussi par une convergence des structures économiques. 84 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Au demeurant, l'idée selon laquelle la zone franc serait un espace déflationniste en raison de la très forte contrainte extérieure pesant sur les pays - ce qui limite la croissance économique -, se trouve ici confirmée. L'argument théorique fondant cette thèse se trouve déjà inscrit dans le modèle Mundell-Fleming en changes fixes. Dans ce cas, pour un petit pays, la politique monétaire est inefficace à relancer l'activité économique, car elle se traduirait en situation de mobilité parfaite de capitaux par une baisse de taux d'intérêt et une fuite des capitaux. Le déséquilibre consécutif de la balance des paiements serait alors source d'effets pervers sur l'équilibre interne, à savoir la production, l'investissement et l'emploi. S'il est vrai que la politique monétaire peut perdre toute autonomie, la politique budgétaire est susceptible de la retrouver. Mais alors, il faudra éviter tout financement monétaire excessif du déficit budgétaire, l'action de l'État n'étant efficace qu'en l'absence de toute éviction des entreprises sur les marchés des actifs. Cette analyse explique pourquoi les PAZF se sont rabattus sur la politique budgétaire, après la perte de leur souveraineté monétaire. Cependant, l'analyse théorique récente des effets réels des régimes des changes en situation de théorie des jeux, à la suite de K. Hamada (1976), M. Canzoneri et J. A. Gray (1983) puis F. Giavazzi et A. Giovannini (1984), a permis de montrer que dans certains cas, la fixité du taux de change ou la convergence nominale des politiques économiques ne sont pas toujours optimales par rapport à la situation de cavalier solitaire. En effet, des asymétries d'objectifs (certains pays accordant un poids plus grand que d'autres à l'inflation dans leur fonction de réaction) et des asymétries institutionnelles (à savoir les différences de structures économiques) peuvent justifier de telles réactions stratégiques. Au-delà du problème des différences de structures, la convergence des politiques économiques (dans le sens restrictif de la politique monétaire et budgétaire) a comme conséquence d'aligner tous les objectifs nationaux sur la norme inflationniste la plus faible. Cet argument, qui a été utilisé pour expliquer l'apparition d'une zone mark à l'intérieur du SME, est aussi illustratif de la situation des pays de l'UEMOA et sans doute des PAZF dans leur ensemble. En d'autres termes, la croissance différentielle de l'économie des pays de l'UEMOA est due davantage à l'environnement favorable de l'offre de leurs produits de base, qu'aux mécanismes de la zone. Bibliographie Baillie R. T. et Mankiw G. N. (1987), «Are output fluctuations transitory? », Quarterly Journal of Economies, CIl, p. 857-880. y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 85 Bamba N. L. (1997), « L'enjeu des évolutions possibles de la zone franc à l'avènement de l'euro », Afrika Spectrum, 32e année, n° 97/3, p. 329-349. Barro R. (1990), «Economie growth in a cross-section of countries », Quarterly Journal of Economies, 106, p. 407-443. Barro R. et Sala-i-Martin X. (1990), « Economie growth and convergence across the United States », Document de travail du NBER, n° 3419. 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'.04 1981 1912 1983 ltI4 1" 10.6 106 14.41 l2.3t \1 10.6 UI 11.1' ..,.3 14.17 1987 1.3'7 ~ lt'II ..n 1_ 1990 10-07 10.98 10-94 Il.44 9.35 ml 1992 1993 1 7 3..5 U 3.5 5..5 ,..5 1 1 1 9.fll 7.n 6 1..5 I.tri 1.68 6.14 4.95 1.91 12.91 7.92 1.56 1973 1974 3..5 4 4 3" 3" 4 3..5 3.3 3..5 3..5 4..14 lm TRF TRUEMOA TMF TMUEMOA IllQ U 7.5 Il 1] 1 10..5 '" a 9..5 9.5 1 IlU 1 11.S3 11.74 Il.'' 7.74 ..., 7.98 7.$1 9.1TT u, 103' 1.75 9..5 9..5 12..5 U 10..5 tU 10..5 1..5 U 9..5 Il 11 Il 12..5 10..5 ..,." 9.5 9..5 U 9.5 ,..5 9.S 9.S U 9..5 Source: BCEAO, Notes d'information, divers numéros. Tableau 2. Taux d'inflation (en %) B.F. 19110 -9.3 -2.3 -3.5 -4.4 2.0 -1.8 -4.2 0.5 -4.4 -0.9 t991 2.5 1992 1993 1994 1.7 1.7 63.3 -6.9 -3.4 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1995 1996 -.,- 1.91 CJ. -14.1 ·U -3-' ·M •• 21.1 Mail NÎller -2.4 -8.3 -0.1 2.S 3.S ·1.7 -16.0 2.8 4.7 -LS -12.9 -LI ~ -3.3 -5.6 -5.7 -9.2 -S.1 -7.2 ·3.1 14.3 3.2 2.4 50.3 -9.8 -3.2 3.... 1.98 0.62 ... Il.1 -5.l 1.J 3.3 -0 1 ~ -13 -2. -4. 3.1 5.9 2.2 61. -11.1 Source: BCEAO, Notes d'information, divers numéros. Sénéllal -10.9 3.0 0.6 2.3 9.2 8.7 -5.2 -6.0 -4.5 1. 6. -O. Toao -1.0 -4.t -0.4 -10.5 -4.3 7.8 -0.7 -6.2 -6.7 2.9 S.3 -1.7 UEMOA ·S. -3. -3. -2. O• 4. -4. ·2. -5. -O. 6. O. 3.5 2. 54.1 ·1. 50.2 -13.6 57. -0.6 3.44 0.6 -1. 1.31 2.0 3. -la. 88 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Tableau 3. Taux de croissancde réelle par tête BENIN 1981 1982 198J 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 S.MI 3.6, -4.9' -1.0' HI -J.3'-' 6.J'I 0.5" -1.31 --0.2' 1.81 0.9' 0.2'1 1.6' 1.7'1 B.F. 1.91 4.11 -lSi -O." 11.91 28.11 -2.6' 3.2~ -1.71 -3.91 6.4" -0.31 -3.7" -1.61 1.3' 2.71 C.L '.1,. MALI NIGER 2.J~ 0.1'1 -10ft •.5.3,. UI ·MI -HI ~ -O.~I 4.K -2.7" 14.6" -7.S1 -3.0' 8.11 -2.41 -3.4" 4.91 -5.21 .0.6' 3.21 0.91 ...ft ·15oft -Z.5,. ... ~ -4.,76 ·3..... -3~ -3~ "oK 4.1,. -4.6'1 133.6' .{j).61 -3.4'1 -J.J'I -1.2'1 .{j.41 2.o, --0.61 -9.5' ·1.81 0.6' --0.41 0.41 SENEGAl -J.JI 11.815 -0.1 " -7.01 0.91 3.o" 22.M -26.81 36.9'1 1.4" -3.6" 0.0' -4.61 -0.61 2.2" 2.3' 0,. .1..4,. 1.2,. 1.3,. 8.4" 2.6" Source: Statistiques financières internationales, FMI, divers numéros. _yeue 2.81 1.1,. TOGO UEMOA .{j.JI .{j.5' -9.0'1 -2.51 16.1.. o.o~ -6.5,. 0.1' 12.1 '1 5.5'l 1.ft .).6111 5.2.. -1.5'l 4.S'I 1.0'1 -J.OI -3.7" .{j.71 -20.51 8.81 3.91 3.21 -1.5,. 0.1" I.3,. -4.,,.. "oK ·2.ft ·5.6.. 1." 2.3.. 1.4.. 0.7" Tableau 4. Déficit budgétaire en % du PIB BENIN 1 1980 ~2.31' 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1981 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 J.20' 36.'JU' 33.641 ~ 17.17" 35.10" 16.121 15.421 ~.I2I .{j.78' 6.05' 24.08" 19.61" 14.001 5.14' 13.97" 16.22' 1.361 B.F. ·2035" lUI" 11",.. ".71" 9.!6'i ·10.31.. -6.Cl3'i 4."" 25.15,. ·12.57" U.Jft lUS" 11~ 11.17" 12.411" 6.73.. 1.77.. 6.27.. e.I. 9.99'1 10.671 11.5711 9.361 2.76" 2.96' 9.401 18.831; 17.041 15.791 11.551 12.21 , 11.171 11.391 5.961 2.651 1.991 ,..,.,. MALI 28.24" 22.89' 42.90" 4&.36" 43.01" 55.621 39.S81 29.52" 23.981 21.91" 12.271 17.82' 16.S01 17.iI' 17.801 11.951 3.071 li.,. NIGER ·3.5'1 13.241 240451 23.691 J1.04" 19.111 13.83' 13.431 21.751 25.64" 29.421 14.ill 20.611 16....1 27.881 14.12' 0.781 ....... SENEGAL 15.82" 36.571 20.61 , 20.361 21.28" 16.181 9.821 8.701 2.281 2.131 4.421 5.86' 3.341 5.821 3.54' 0.38' 0.311 1f.4'7'i Source: Statistiques financières internationales, FMI, divers numéros. TOGO 17.61" 51.911 16.97'1 19.98" 26.81' 18.25" 45.54' 34.431 24.761 14.421 20.94' 47.271 31.ill 1.... 181 100.001 49.ill 43.261 41.64.. UEMOA .,.17" 21.3"i 23.74" 12.1" U-"V6 16.14.. u.u.. 16.31.. 15.55,. 10.57" .7.43.. 18.16.. 15.54.. 31.36" 25.95" ".55" 7.!ft 18.51,. y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 89 Tableau 5. Part de MO dans l'industrie en % de la population active (réf A =RCI, réf B =Moyenne UEMOA) Bénin 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 ~ BF 5.92 6.67 7 8.43 8.63 8.83 3.9lI 4.28 4.62 06 9.18 9.36 9.54 5.03 '.1 5.17 5.23 '.3 5.36 1..2Sfi ..983 9 RCl ,. ,~ 11 U u.7. 13.13 13 U. u: li:? Mali 1.78 2.01 2.28 2.58 2.65 2.72 2.78 2.84 2.9 2.96 1.55 Niger 1.4 1.63 LM 2.12 2.18 2.24 2.3 2.36 2.41 2.47 1.895 Sénégal 5.96 6:26 6.61 6.93 6.99 7.06 7.11 7.17 7.23 i.i9 6.161 Togo 9.4 9.92 11 10.98 lU lUI 11.31 HAl 11 11.62 1• • UEMOA .... 5.154.1 5S1G 6.1357 6.9114 7.UM 7.%5'71 7.19 7.4514 7.651161 6.151 Source: Banque africaine de développement (1998), Statistiques choisies sur les pays africains, vol. XVIII. Tableau 6. Part de l'industrie dans le PIB en % (réf A =RCI, réf B =UEMOA) Bénin 1975 1980 19lI5 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 ~M.mœe 0.1464 0.11911 0.174 0.1323 0.1298 0.135 0.1367 0.1345 0.1362 0.1).i BF O.~ 0.2443 0.2232 0.2238 O.~ 0.2091 o:1lm 0.2101 0.2145 0.2~ •.tm O.%25Z Source: Banque africaine de africains, vol. XVIII. RCI Mali Niger Sénégal Togo UEMOA 0.166 0.26~ 0.343 0.1545 1.%14 0.242 0.132 0.2945 0.1732 0. . ••IM o.i52 0.183 0.3875 0.1645 0.3165 UC31 0.1587 0.3525 0.1814 0.3375 0.%311 1.%31 0.180S 0.3361 0.3878 O.lm 8.130 • .Di 0.1738 0.1812 0.3539 0.3838 U399 O.u 0.1849 0.381 o.um 0.4.584 1.156ll 8.2Ao 0.182 0.1852 0.354 8.ul 0.4039 •.Z44li e.uu 8.D33T 0.1845 0.3979 0.1918 0.3J8 0.193 0.4017 0.1941 0.3S9 i:ZAe7f •.2&1 o.%%5al &.174 U734 U7111 0.336Z • .235ll développement (1998), Statistiques choisies sur les pays 0.1315 Tableau 7. Part de l'industrie manufacturière dans le PIB en % (réf A =RCI, réf B =UEMOA) Bénin 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 0.0907 0.0606 BF RCI Mali UIOI '.1111 '.1J7l •• 0.087 0.0616 0.1816 0.005 0.09œ 0.0874 0.0941 0.0942 0.0943 0.0962 OM71 Niger Sénégal Togo UEMOA 0.119 0.0967 0.0349 8.1055 0.()3(}(; 0.101 O.œ22 8M3l1 0.0689 o.am ••1887 0.0623 0.1151 0.0784 0.lI6S9 O.l2S9 0.0993 8.1.1 '.1435 0.0763 0.0614 0.1221 0.1052 t.lID '.1863 0.œ18 O.lm 0.1125 0.14Z3 0.064 8.111! o.œll 0.064S 0.1261 0.00' '.1" """1 o.OlIlIii 0.141 0.062S 0.126 0.0942 ..1. 0.079l! 0.1074 0.0634 0.1304 U G.l895 0.œ1 0.12911 0.0642 0.1092 l.1IJ3 ~ lm ••W'l 0.1 0.0574 o.l21t '.1. Source: Banque africaine de développement (1998), Statistiques choisies sur les pays africains, vol. XVIII. 0.2003 0.2022 0.1656 0.1583 0.1472 0.148 0.146S 0.1.56!l 0.159 O.lm ..., 90 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Tableau 8. Taux d'exportation (exportationsIPIB) en % (réf A =RCI, réf B =UEMOA) Bénin 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 0.2112 0.2299 0.3438 0.2178 0.2418 0.2384 0.2251 0.2693 BF RCI 0.1129 0.101 0.1084 0.1273 0.121 0.1011 O.11SS 0.131 0.1338 O.HE UIJ" U4I1 MoySource: Banque africaine de africains, vol. XVIII. 0.1559 0.248 0.36'73 'Jll tM77 Ut Niger Mali 0.1024 0.1561 0.1784 0.1675 0.1827 0.1925 0.2439 0.2097 0.1695 0.1 0.1342 Sénégal 0.36Sfl 0.2828 0.297 0.2651 0.2472 0.2303 Togo UEMOA t.: t.: 0.4341 0.5106 0.4841 0.3347 0.3344 0 t.: Oml 0.., 0.27 ", 0.1591 0.1341 0.2148 0.2476 0.2178 0.1644 0.329 0.323 •.2664 0.2181 0.1683 0.3163 O.344z 8.4111 0.zt4 0.2079 0.1578 o.m 0.3095 O.5C 1.38lIi U745 ....744 UI5ll •.3.9l • .1465 développement (1998), Statistiques choisies sur les pays U U U 0.1546 .... ..., Tableau 9. Taux d'ouverture des économies (exportations + importationsIPlB) en % (A =RCI et B =UEMOA) Bénin BF RCI Niger MaIl Sénégal Togo UEMOA .. 0.4128 0.5024 0.783 0.6S62 0.4011 • .514 '.7331 0.4941 0.6287 o.m 0.8193 0.6m 0.4309 8.76U O.SIlI 1.0544 0.6464 0.106: 1.'7135 0.4463 0.7917 0.SS91 O• • 0.5923 0.3831 0.4973 0.5227 0.6741 O.S63lI 1.5214 0.5294 0.3565 0.3875 0.5688 •.!1J9 0.5341 0.7303 0.4839 0.3126 1.510!1 0.3432 0.S1l9 UIIZ 0.5125 0.9631 0.4725 0.315 0.3794 O.SSOS U '.5361 0.4156 0.9838 0.7223 0.394/ 0.6256 U43 0.5988 0.3974 0.6855 0.9765 0.5988 8.63'5 0.6087 0.4199 t. 0.897 0.6765 0.3143 UI'N 0.5632 0.5788 0.4049 UU4 0.1347 8.5324 0.64M O.-z 0 U03 MoJt0'" Source: Banque africaine de développement (1998), Statistiques choisies sur les pays africains, vol. XVIII. 0.5985 0.6625 0.1686 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 ... . ,. • Tableau 10. Service de la dette en % des exportations (A = RCI et B = UEMOA) Bénin RCI IF Mali Niaer Top> UIMOA SéD6aaI 4.6 5.8 9.2 6.1333 5.1 21.1 28. 5. 9 18.113 14.8 17.3 33.7 20.8 27.3 1 :1.671 7.fI) 12.8 25.59 14.54 7. 20.1 17.!N S.fI) 8.65 30.57 21.8 9.46 10 17.903 4.5 11.18 7. 15.73 13.1 1.06 UM6 5.45 14.55 29.lM 8./ 1.SS 1 15.3U 7.(17 8,68 17.6 24.06 15.92 13. 17.87 8.12 13.4 li IS.S5 6.22 ~ 13.716 6.81 17.51 17.52 15.78 Il.78 15.343 7.7175 U 1UJ1 15.739 3WZl u.. 11351 16.611 Source: Banque africaine de développement (1998), Statistiques choisies sur les pays africains, vol. XVIII. 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 -- 3. 1. 9.5 38./ 34.8 35.4 38. 30.87 33.23 36.54 23.46 27.12 4 y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 91 Tableau 11. Taux de liquidité des économies (M2/PIB) en % (A =Rel et B =UEMOA) BF BaIin 0.1&S2 O.ISOS 1980 1911S 0.1854 0.2081 1990 0.2177 1991 11992 0.2246 O.ISS 1993 0.2197 1994 0.1S61 1995 0.16&S 1996 ....1 MoJreBœ 1975 Mali llCI 0.1261 0.11 0.10 0.13 0.1 0.13 0.1.5 O.165S 0.1838 0.1762 0••_ o.tl56/ um um 1.1191 '.1 ••• ••• '.Il 8•• r~aaJ f(lIef" 0.1903 0.1671 0.2052 0.146 0.1514 0.1437 0.1S6 O.lmJ 0.161 0.1767 UIJ5 UNI o.œ96I 0.1205 0.1246 0.I1S3 0.1217 0.lIS3 0.1265 0.1058 0.1068 0.œ92 '.Ill! TOlO 0.18S 0.2165 0.1671 O.I31S 0.1376 0.2047 0.17f4 0.1417 0.130 0.130 ...,. 0.163 O.nos 0.2416 0.1698 0.1736 0.1278 0.1354 0.1847 0.2032 0.1666 o.t'79li tlEMDA '.1611 U711 U ....... ..1 t.l t.taI '.1671/ ' ••6151 '.16%91 Source: Banque africaine de développement (1998), Statistiques choisies sur les pays africains, vol. XVIII. "'445 Annexe 2 : évolution des coefficients a et b Al. « Convergence » des taux d'intérêt du marché monétaire (TM) et du taux de réescompte (TR) TM Al8e 1962 1%3 1964 19M 1966 1967 1965 1969 1970 CœIlDeIaa CœIlDeIab 0.~1~7 I~I lm 1973 1~4 l~' mil lm 1978 1979 19«0 19l11 19l12 19l13 19l14 19l1' 19l16 19117 1. 1. 19l1O 1991 19!11 199'3 ft CoefticieIIla 0.2347041 0.2410\187 0.2432A4 0.:t.192416 O.23liM67 0.2356286 0.371122') 0.J802838 0.»23882 0.3541271 0.396634 3Uzm .1.I9E-œ 3,28H-W 4.3'E-02 4.38S62 HIJl-a2 O.I~ O.UJ07lI 0.1542944 0.1546104 0.13747~ -90.lllMl 1.1..,209 1.038319 l.008m 1.0œa74 1.008'œ 1.93ll.œ Ul4I263 3.82l;.QJ 1.062n4 1.0IlWll 1.0IlIT.lll 1.115637'7 1.ll321Q 1.0ln611 1.013321 -I.S~ .1.79I!-a2 -1.0IS02 -3.9311-03 4.!NSOJ .1.7IEOI 0.2713249 0.2122196 0.2lI8923ll 0.2CMl!l62 19.780U -1.Z37ZJ9 -9.34E-04 4.1Il!-42 7.14Eœ 8.71H-W 9.611;.02 0.140!N94 0.1416051 0.18651166 0.1938661 0.1991196 0.2lœM8 O.:msJU 0.202071' 0.2mII\219 0.20'74741 0.2113'lU2 0.214SiOl1 0.2%l717<4 0.22Jm CœIlDeIab -o.22U29I -o.2I1323l -o.3J7llll -0.2142171 -0.2181101 -o.21516Sl -o.I9471Ol -o.16:1071l -o.I436'7:l -o.I349lWil -o.I~ -IOO.38'l'J 7.8844 l.s~ 1.34'29l 1.1926! 1.11334 1(1)6472 0.87œ14 0.86689 O.~IO!I'J 0.~23041 0.QJ8221 0.611IAl! 0.61'~ 0.61'1364l1 o.6l.,llllI 0."..,1 O-'l114llll O.-m O.DMGI O.slS4ll9.l 92 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC A3. « Convergence» des taux de croissance du PIB/tête CoefficieDt a AaMes 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 III:NIN BVUJNA ~.S0ti0S43 MAU -2.045-03 3.S092S 1.7l'7062 .o.I04251S -5.39E-OJ .o.I26932E ~.16S2158 ~.51198Si ~.1186633 .o.1738S89 -0.1335193 -O.4896OOlI -O.421816E ~.140419 ~.3769302 .o.1522~ -0.3967918 .().3749371 .0.3379471 .o.30S6814 .o.2684S1 .o.24316S8 -9.99&m -0.133<1623 .o.12463S<i -O.I()48Ç .o.1411752 .o.1201J298 -O.lœsll8 -9.92E-02 ·7.91fAJl ~.1861562 2.578168 1.232834 .0.2071487 9.86&02 .o.S281178 ~.~I994<l ~.I6S4606 .o.I44798i .o.Z7628S -9.76E-02 ~.159m3 ~.171m3 .().166ll414 -0.1444222 .0.1303119 NIGER O.lI6S~ 0.8318971 0.7376831 7.01942E 7.53S01Ç 11.85493 -S.8739E 4.811377 -2.6J904(i ·1.963197 -1.536436 -1.237489 -1.252551 -1.040717 -1.0159l11 -1.002311 SENEGAL 0.5818334 0.167S6S5 2.36E-03 .o. 139lJ6S2 -8.37E.02 -8.76E-02 -0.2442794 1.S3E.02 .0.2012972 .o.2OImZ6 ~.163976S ~.I60œ97 .o.ISOOI23 -0.1306103 -0.1194265 -0.1104903 TOGO 0.5511091 0.3991324 0.33014~ 0.310523 0.2566754 0.232562 0.123561 2.83~ 4.03~ 3.84E 4.7OE 6.82E 0.15961 0.107398 9.23E-u. 8.38W Cœfficieot b A8MeI 1981 1982 1983 1984 1\185 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN IIUllKINA -1.366094 .o.79D05 ~.748761 38.01748 24.Sll3 ~.8S4621 0.281417l 0.2026822 0.2S<i1476 0.1147334 0.2012312 0.2321834 0.4564653 0.2205288 0.450S987 0.2354945 0.223014 0.4438687 0.4420991 0.2338S61 0.4377545 0.2268494 0.4337483 0.2382443 0.421ti004 0.Z7S619 0.4233647 0.2868338 0.323S731 0.445632 0.4599191 0.J44J0192 MAU -0.99883 49.02689 31.03462 0.301489'l 0.4264851 0.4419768 0.4541218 0.4603234 0.4625872 0.469lI287 0.4504667 0.471042 0.4755Z7 0.4847~ 0.S04S216 NIGER 0.7314737 0.610422 0.417581 ·7.776185 -7.371491 ·16.79413 14.51781 13.73483 10.56731 9.7977T1 9.364362 9.129274 9.126487 8.9œ097 8.911264 8.91364 SDilGAL 0.16S8S87 .1.90068S -2'.189435 0.2255205 0.2982969 0.3003425 0.7S6S203 0.9116967 0.9762522 0.9764348 0.9857485 0.987~19 0.9912223 umm 1.01Z7l 1.021329 TOGO O.IOS7682 ·1.03755 -1.(18930S 0.519114 0.3743J91j 0.3840 0.731396 0.668806 0.666369 0.6659481 0.6688601 0.679607Ç 0.nt3626 0.7540U5 0.7392484 0.7306871 y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 93 A4. «Convergence» des déficits budgétaires (en % du PIB) (A = BE; B = Moyenne UEMOA) Coefficient a Années 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 19'.Xl 1991 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN -4.47E-ill -5.20E-02 -5.16E-ill .{).1786962 1.301038 5.15E'{)2 3.63E-02 l14E.{)2 I.IIE-02 I.09E-{}2 6.37E.{)3 5.56E'{)3 5. 14E-03 6.26E.{)3 6.69E'{)3 6.26E-03 6.25E-03 RCI -1. 94E-02 0.1160631 6.60E-{}2 UIE-{}2 9.25E-03 7.89E'{)3 8.47E'{)3 2.97E-03 I.88E.{)3 I.93E-03 2.4lE-03 2.57E-03 2.49E-03 102E-03 3.46E-03 172E-03 3.59E.{)3 MAU -3.02E-ill ·1 17E-{}2 -119E-{}2 .{).106702J .{).534775 8. 79E-{}2 6.69E-ill 4.02E-02 -4.72E-04 -6.29E-04 9.()(iE-05 6.74E-04 8.99E.{)4 I.99E.{)3 2.71E-03 112E.{)3 3.48E-03 NIGER SENEGAL -1.l2E'{)2 ·2.28E-ill -l09E-{}2 -2.46E.{)2 -2.65E-ill -2.89E-ill 2.33E-{}2 2.02E-ill 2. 18E.{)2 8. 16E-03 1.59E-{}2 2. 15E.{)3 -3.57E.{)4 1.43E-02 1.11 E-{}2 2.87E'{)3 9.34E.{)4 4.81E-03 I.00E.{)3 4.77E-03 5.46E'{)3 -1.I9E.{)3 6.00E.{)3 -6.07E-04 -9.83E-04 6.33E-03 -1 35E.{)4 7.I7E-03 -4. 18E-04 7.76E-03 -3.79E-04 8.02E-03 7.2lE-05 7.76E-03 TOGO -2.3IE-02 -9.52E-02 1.41E-02 1.31E-02 1.29E-{}2 1.26E-02 -2.65E.{)3 -1.94E-01 5.18E.{)3 5.18E.{)3 6.5OE'{)3 6.36E.{)3 7.25E-03 -3.48E'{) -l98E-O: -l69E-O -3.54E-O NIGER SENEGAL -1.057487 -1.081151 -3.564124 -1.376023 -2.965408 -2.329585 2.739341 l630557 2.940485 1.89342 2.291869 1.255551 2.090222 0.9590435 1.853429 1.200598 0.9806221 1.368589 1.093072 1.313311 0.9238508 1.367081 0.96ll757 1.402173 0.9369064 1.423739 0.9351411 1.421384 0.9357623 1.416869 0.9377692 1.430473 0.9665918 1.413865 TOGO Coefficient b Années 1 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 19'.Xl 1991 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN -1.125706 -4.466574 -4.693289 -17.40572 130.033 6.108662 4.504652 4.12OOS(] 2.33867 2.219169 1.861637 1.80061 1.78061 1.777246 1.773716 1.75034 1.749507 RCI -1.074107 13.86997 8.49933 1.954994 1.196418 1.043735 1.119207 0.7218814 0.6290402 0.7388308 0.7759199 0.78581 0.7806901 0.7792817 0.7760346 0.7893279 0.7811743 MAU -l.096189 -2.252071 -2.188967 -9.469016 -50.87842 9.948799 7.797967 5.673615 2. HXXl66 1.991711 2.049107 2.087205 2.102219 2.098874 2.0'J2956 2.114'X)l) 2.13912 ·1.08301~ -4.653873 1.90139l1 1.887~ 1.816565 1.770031 0.54386O!l 0.512283(i 0.8862774 0.8865049 0.955565 0.843405 0.8606994 I.25E-02 -4.3I E-Ol -4.9I E-Q:l -5. 14E-Ol L'AVENIR DE LA ZONE FRANC 94 A5. «Convergence» des parts de la main-d'œuvre dans l'industrie: RCI (A) et UEMOA (B) ADœes 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN Amlées 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN -0.3180 -0.7063 2.6828 1.0459 0.9130 0.8639 0.8400 0.8261 0.8122 0.8084 O.l~ 0.2976 .{I.5683 .{I.1260 .{I.0887 .{I.0742 .{I.0667 -0.0621 -0.0572 -0.0559 BF 0.3274 0.3963 1.0096 .{I.4046 .{I.1836 .{I.ll65 .{I.œ20 -0.0595 . -0.0379 -0.0263 BF -0.0689 -0.1705 -2.0657 2.6033 1.8879 1.6784 1.5751 1.5107 1.4521 1.4217 Coefficienl a MALI 0.4939 0.5526 1.0011 .{I.l858 0.0437 0.1104 0.1440 0.1660 0.1873 0.1987 NIGER 0.5229 0.5779 0.9841 .{I.l959 0.0624 0.1343 0.1704 0.1942 0.2167 O.22W Coefficient b MALI 0.1956 0.1l49 -1.2399 2.6351 1.8991 1.6926 1.5926 1.5298 1.4725 1.4427 SENEGAL NIGER .{I.3055 0.2417 .{I.4197 0.1696 -2.5131 -1.0392 2.9156 2.7845 2.0304 1.9614 1.7746 1.7401 1.6519 1.6332 t.5750 1.5657 1.5075 1.5053 1.4708 1.4731 ~'ENEGAL 0.1785 0.2m 0.9396 '.:0.7101 .{I.4359 .{I.3537 .{I.3127 -0.2858 -0.2608 -0.2468 TOGO .{I.~ o.om 1.159\ .{I.879 .{I.713 .{I.656: .{I.625 -o.6IJ5( -0.603 -0.586 TOGO -0.723 -0.891 -4.6402 2.27 1.72' 1.54 1.4523 1.391 1.387 1.343 A6. « Convergence» des parts de l'industrie dans le PIB : RCI (A) - UEMOA (B) Années 1975 1980 1985 1990 199\ 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN -8.84E.{)J 9.42E-03 7.S9E.{)J 8.52E-03 9.03E.{)J 9.3IE-03 9.76E-03 9.95E-03 1.0IE-02 I.02E.{I2 BF -2.43E-02 2.17E-03 9.78E.{)4 8.6IE..Q4 1.45E-03 I.69E-03 2.49E.{I3 2.71E-03 2.93E.{)J 3.\4E.{)J CoeffICient a MALI -1.09E-02 7.78E-03 6.60E.{I3 6.80E.{I3 6.52E-03 6.52E.{I) . 6.67E.{I3 6.62E.{)J 6.56E-03 6.47E-03 NIGER SENEGAL -2.88E.{)2 -9.67E.{)J 3.20E.{)3 -S.33E-03 -1.l8E.{)2 5.74E-03 -1.I9E.{)2 5.5GE-03 -1.27E-Q2 5.59E'{)3 -1.3OE.{)2 5.64E·{)3 -1.29E-02 5.SŒ-03 5.90E.{I3 -1.34E-02 -1.36E.{)2 5.8iE-03 -1.38E-Q2 5.78E.{)J TOGO -2.08E.{)2 -2.02E-03 ·5.15E-O -6.92E.{)J -7.67E-03 -8.4IE-03 -1.01 E'{) -1.03E.{I -1.02E-O -1.03E.{) 1 y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 95 ADDies 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN -1.0415 l.4m 1.2420 1.3214 1.3802 1.4181 1.4144 1.4353 1.4380 1.4465 BF -1.0727 3.1415 2.9333 2.9165 2.9942 3.0320 3.02j~ 3.05\1 3.0574 3.0693 CAJefflCienl b MAU -1.0457 1.4802 1.3032 1.3276 1.2953 1.2962 1.2951 1.2903 1.2889 1.2849 NIGER SENEGAL -1.0819 -1.0432 1.6838 0.6833 1.0650 1.1603 1.1467 1.0352 1.0599 1.0456 1.0528 1.0138 1.0\32 1.0S08 0.9687 1.0516 0.9630 1.0496 0.9544 1.0478 TOGO -1.0656 1.623 1.127 0.896 0.807 0.7lJ2 0.716 0.701 0.7ot 0.696 A 7. « Convergence» des parts de l'industrie manufacturière dans le PIB : RCI (A) - UEMOA (B) Années 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 Ann&s 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN 2.400E·{)3 ·7.783E-04 6.~E-04 8.582E-04 9.I13E-04 9.415E-04 I.105E-03 1.100E·Œ 1.312E-03 1.428E-03 BENIN BF -0.9938 3.1964 1.9039 1.7462 1.6927 1.6484 1.5484 1.5399 1.4934 1.4668 BF -8.548E·{)3 ·3.76IE-03 -1.93OE-G2 -1.807E-G2 -1.805E-G2 -1.816E-G2 -l.nOE-G2 -1.769E-G2 -1.610E-02 ·1.468E-G2 CoeffICient a MALI 2.764~3 5.788E-04 1.741~3 1.823E-03 1.926E-03 1.932E.{I3 2.IIOE-03 2.IOSE-03 1.96IE-03 1.787E-03 NIGER SENEGAL 7.969E-03 -4.333E-04 7.Il5E-03 -2.1I9E-03 7.765E-03 -1.46IE-03 7.803E-03 -J.333E-03 7.796E-03 -1.306E-03 7.799E-03 -1.300E.{I3 7.793E-03 -1.206E.{I3 7.793E-03 -1.207E-03 7.496E-03 -1.407E-03 7.23OE.{I3 -1.546E-03 TOGO I.800E -1.lJ22E -4.I36E ·5,477E 1.651E-O 2.65IE 8.580E 8.53OE ·1.224E"( -3.349E.Qt Coefficient b MALI NIGER SENEGAL TOGO .{I.995() -1.0157 -0.9931 -0.9827 -0.9995 -3.4182 2.3516 0.7068 1.74n 2.4\11 5.7560 1.2846 0.0704 1.1335 1.890 5.0106 1.2033 0.0307 1.0044 1.56 5.0042 1.0931 0.0384 0.9754 1.349 5.0753 1.0835 0.0316 0.9645 1.2111 4.8505 0.9725 0.0357 0.9052 1.3194 4.8454 0.9467 0.0351 0.8939 1.328ll 4.4504 0.9793 0.1004 0.9385 1.375 1.018Q 4.0893 0.16lJ2 0.9699 1.42~ 96 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC AB. « Convergence» des taux d'exportation: RCI (A) - UEMOA (B) 1 AIIIIfts 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN 2.628E-02 ADMet 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN -0.9142 -15.5992 0.1783 0.3571 0.6749 0.6388 0.7157 0.8202 1.689E~1 1.116E-m 8.409E-03 4.019E-03 3.819E-03 2.551E-œ I.60SE-03 1.l26E..OJ 2.186E-04 IF 3.883E-œ 5.111E..Q2 1.412E.04 -2.67SE..OJ -9.Z22E-04 -1.1396-03 -2.626&03 2.313E-03 1304OlUl3 5.921E-œ IF ~.308E-04 -2.S61E-03 -2.82JE-03 -4.1SOE..OJ 1.S72E-œ 2.992E..OJ 5.545E-03 Coefficient b MAU NIGEIl SENEGAL 2.812E..Q2 1.I17E-m 4.8S5E-œ -4.228E-m .1.921E..Q2 -1.488E.œ -1.l39E..()2 -1.l3SE.œ -5.37SE-03 -5.340E-03 -4.478E..OJ -7.19lE-03 -7.128E-œ -3. 47OE-03 -3.417E..OJ .1.69SE-03 -3.706E-03 -3.270E-03 ·2.1OOE-03 N1GE1l ~.223E-03 SENEGAL TOGO 4.5300 l.02lE ..s.132E-4.03913-2.22613-2.219E·1.673E ·2.0801Hi -2.14OE-tl -2.1131Hi TOGO ~.889S ~.8933 ~.9106 ~.9439 ~.95~ -2.4562 2.4130 2.6042 2.47:r1 2.41 n -4.9827 \.7407 2.02œ 2.1627 2.1046 2.1888 l.SS91 -3.4687 4.6003 1.8637 1.6365 1.332C 1.3434 1.2885 I.OIOS 0.9567 0.9002 -2.1661 S.959 2.%41 1.545 1.691 1.319 1.748 1.816 1.848« 2.son 1.9'n4 1.8491 0.8793 0.9693 Coefficicut a MAU 3.691W2 7.2496-02 3.577E-03 1.S9S8 1.3863 1.1347 10288 2.4974 2.0532 2.<1622 2.0079 1.8983 1.8919 1.7228 A9. « Convergence» des taux d'ouverture des économies: RCI (A) - UEMOA (B) Coefficient a AJuM 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN 2.700E..Q2 13œE..Q2 2.797E-01 ~.894E..()2 -1.874E..Q2 -l.930E.02 ..s.713E-03 -9.662E.03 .1.007E..Q2 -8.2'70E.()3 IF 4.6ISE-œ 4.864E-02 8.36SE-02 -S.275E..Q2 -2.029E-03 ·2.()I6E..OJ 1,S72Fr03 6.994&03 7.577E-03 1.223&02 MAU 4.S06E-02 4.976E..Q2 I.446E-01 -3.925E~1 -4.275E..Q2 4.315E..Q2 ·1.379E-02 -1.l49E..Q2 -8.740&03 -1.2G5E-03 NlGEll SENEGAL 8,975E..OJ 3.6356-02 4.309E..Q2 -1.8136-02 4.S67E-02 3.7336-02 -4.296E..Q2 1.599E-m I.723E..Q2 5.SOOE-œ 6.84SE-03 I.994E-02 2.3516-02 6.573E-03 6.261E-03 2.l32E-œ 1.837E-02 4.848E--03 1.406E-02 -1.01S&04 TOGO 2.1SO}3.i 2.00'ffi.J 3.763E 4.288E 8.726E.o\ 1.195E+ -9.072E -U2JE-·S.892E -3.538EJ y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 97 Aoa&a 1 1975 1980 1985 19lX> 1991 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN .{l.9037 ·1.6096 -22.9878 7.093(i 2.6112 2.6394 1.6273 1.8139 1.8761 1.6645 If .{l.8662 .1.l6S4 -4.241~ 7.6522 1100ti 10lJ9lJ 2.1801 2.2921 2.2023 1.653(J Coeffeciellt b MAU .{l.8684 -1.5306 -10.1871 38.0436 6.2192 6.24O(i 3.3992 2.9664 2.5492 1.6637 NIGER SENEGAL .{l.W4 -o.93~ -1.8727 1.3235 -3. ·1.3425 -1. 5.9188 0.4227 -O. .{l.4644 0.2738 .{l.om .{l.4391 .{l.3710 0.3374 .{l.l39S 0.7835 1.2898 0.4531 TOGO .{l.914~ -1.431 -1867 -4.5Il ·~.m -126.00 9.111-4 6.(141 4.69 2.034 AIO. « Convergence» du service de la dette (en % des exportations: RF (A) - UEMOA (R) An&s 1985 19lX) 1991 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN 0.8618 1.1749 1.S644 1.0787 0.9945 0.7638 0.7645 ICI .{l.848S -0.8486 -1.2478 -1.3799 -1.3865 -l.5107 -1.2483 -1.\594 BENIN 1.0600 1.2510 1.5568 1.1344 RCI 1.8830 1.8830 1.6767 1.5823 l.am Coefficieot a MAU 0.6999 0.5884 1.24'n 0.3909 0.1652 -0.0242 -0.0335 .{l.l421 SENEGAL NIGER .{l.684S 0.3867 .{l.2407 0.1668 .{l.5386 -0.1517 .{l.l191 -0.0369 .{l.mo 0.2803 -0.3150 0.2946 .{l.2633 0.1»48 o.om -0.1579 TOGO .{l.lO! 0.53 1.21 1.1( 1.265 1.319: 1.l65, 1.0751 CoefrlCientb AaoieI 1985 19CXl 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1.1338 !'sm 1.0536 0.80S1 0.80S7 1.74œ 1.8010 l.4m MAU 1.1433 1.0769 1.59SS 0.8497 0.6818 0.4994 0.4895 0.4020 NlGEK 1.8046 1.8416 1.6767 1.9860 1.8676 1.8868 1.9399 2.0\33 SENEGAL 1.2929 1.2536 1.0551 1.1484 1.3369 1.3497 1.1416 1.1288 TOGO 1 1 l.S302I 1.6393 2.0494 1.9975 2.0683 2.171)4 1.94 1.88: L'AVENIR DE LA ZONE FRANC 98 Il. « Convergence» des taux de liquidité des économies: CI (A) - UEMOA (B) A.-. 1975 1980 , 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN 7.94E-03 7.42E-Q3 0.2018131 -3.99&02 ·1.43E-02 -1.035-02 -8.62E-43 -8.88E-03 -8.89E-03 -8.68E-43 IF 1.38E4Z 1.63&02 -2.56&02 -1.11&02 -2.47E-03 -1.56E-04 -6.861W4 -1.13E-œ -t.lE-œ -1.65E-œ Coefficialt • MAU 7.43&03 4.97&03 -2.48&03 -5.78E-OS 4.73&04 1.25&03 UO&œ 1.09E-03 l.11E-43 8.86E~ NIGIll 1.14&02 0.2261882 -5.06E-03 -3.~ 2.36E-OS 2.(JlJE.{J3 1.95&03 2.24&03 2.2E-03 2.4E-03 SENEGAL 7.96E-03 2.245-02 -1.l6E-02 -5.8E-œ 2.68&03 -1.63&03 -1.70&03 -1.07E-03 -1.04&03 -7.3E-64 TOOO l.01E-02 4.47E-02 -4.055-02 -2.11&02 -8.21&03 -1.59E-03 -1.561 -2.321 -2.631 -2.055-< Coefficieat b Aa&s 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 BENIN -0.9692 -0.7801 -56.8489 12.9526 5.2455 3.9703 3.4831 3.5180 3.6381 3.6225 IF -0.9576 -1.7926 9.8743 5.8501 3.3054 2.S8S2 2.7355 2.79OIJ 2.m 2.5366 MAU -0.9702 ·~U512 1.2352 0.7024 0.5620 0.3389 0.3782 0.3784 0.«137 0.4165 NIGER -0.9504 -52.2198 4.1483 3.7399 2.8110 2.1994 2.2380 2.2054 2.2003 2.1882 SlNEGAL -0.9692 -5.2079 3.7188 0.7689l -0.0188 1.2971 1.3160 1.2414 1.3981 l.m6 1000 -O.96~ -IO.491XJ 11.43104 6.SO,,, 2.8454 0.8431 0.453 0.462 0.357 0.353 4 Relations économiques internationales et profil de la monnaie dans les pays de la zone franc Par Jean-Pierre FOUDA OWOUNDI Lancé en 1568, le débat sur le rôle de la monnaie dans l'économie refait surface, après avoir opposé la currency school et la banking school (Samuelson, 1991) puis les classiques (J. B. Say) à Keynes (Keynes, 1936); et après avoir été enrichi par le mécanisme de l'effet d'encaisses réelles (Patinkin, 1965 1). De nombreux travaux récents de l'analyse économique s'inscrivent dans cette perspective. Ils portent dans l'ensemble sur les taux de change (Plihon, 1996; Cartapanis, 1996; Martin, 1998; Aglietta et al. 1998), les questions nouvelles de politique monétaire (Lavigne et Villieu, 1996; Browne, 1998; Jaillet, 1998), le statut de la banque centrale (Rogoff, 1985, Cukierman, 1992), la place de l'euro dans le système monétaire et financier international (Artus, 1998; Bourguinat, 1998). Ce renouvellement s'explique par le fait que le substrat sur lequel la monnaie agit n'est plus le même: les économies nationales sont confrontées au phénomène de la « mondialisation ». Phénomène unique en son genre, la mondialisation bouleverse et transforme profondément la réalité économique internationale, dont un des aspects majeurs est l'avènement d'une monnaie unique en Europe (l'euro) dès le 1er janvier 1999. Mais tous les travaux cités plus haut ne s'intéressent pas au nouveau statut de la monnaie dans l'économie internationale. Or, cette question est essentielle, d'une part, pour l'analyse économique sur le plan conceptuel et, d'autre part, pour les pays qui sont à la recherche d'une nouvelle définition de la monnaie face aux mutations économiques internationales. Sous 1. Voir Money, Interest and Priees (cité par Pascallon, 1985). 100 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC ce dernier angle, il faut dire que le cas des pays africains de la zone franc est le plus significatif, dans la mesure où l'avènement de l'euro suscite des interrogations quant à l'avenir de leurs monnaies, les francs CFA. L'objet des travaux soumis à discussion au cours du présent symposium est donc d'analyser le statut de la monnaie dans l'économie internationale d'aujourd'hui et de proposer une réflexion sur son profil dans les pays africains de la zone franc. Nous montrerons d'abord que l'économie internationale s'achemine vers l'hégémonie des firmes multinationales et des blocs. Nous analyserons ensuite le statut de la monnaie, à partir de sa nature et de son rôle dans le contexte de la mondialisation. En guise de conclusion, nous proposerons une réflexion sur le profil de la monnaie dans les pays africains de la zone franc. L'évolution des relations économiques internationales Depuis la fin de la division du monde en deux blocs, l'économie internationale connaît de profondes mutations liées à l'élargissement et à l'intensification des relations commerciales et financières internationales. Ce phénomène dit de la mondialisation est impulsé par les stratégies des firmes multinationales et des États. Ainsi, après l'impérialisme des Étatsnations, l'économie internationale de la fin du siècle s'achemine vers l'hégémonie 2 des multinationales et des blocs économiques. L'histoire montre que la monnaie est appelée à jouer un grand rôle dans ce mouvement. L'impérialisme des États-nations et la monnaie Jusqu'à la guerre de 1914, la Grande-Bretagne était la première puissance économique du monde. Cette place s'explique, entre autres, par la doctrine du laisser-faire, le bouleversement des relations commerciales engendré par la révolution industrielle, ainsi que par la mise en œuvre d'une politique impérialiste3 conséquente. Mais, c'est surtout grâce à la maîtrise de la variable monétaire que la Grande-Bretagne parvint à se hisser au rang de plus grande puissance économique. En effet, le XVIIe siècle vit l'apogée des marchands; et si le com. 2. Dans les théories de la régulation, l'hégémonie est perçue comme « la capacité d'une classe ou d'une alliance de classes à représenter ses intérêts comme l'intérêt du peuple tout entier» (cité par Basle et al., 1993). C'est le cas lorsqu'un groupe de pays se trouve contraint d'appliquer des politiques économiques (comme le libéralisme) présentées par d'autres pays comme le salut de tous. 3. L'Inde est ainsi victime de cette philosophie. Ses richesses en métaux précieux sont pillées, son système productif réorganisé pour satisfaire les besoins de la révolution industrielle et la prospérité de la Grande-Bretagne. RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 101 merce connut un essor, ce fut en grande partie grâce au développement du crédit (Buhour, 1996), notamment en Angleterre, en Hollande et en Italie. Dans ces pays, les plus gros monopoles furent accordés par l'État aux sociétés par actions, comme les Compagnies des Indes hollandaise, anglaise et française. La théorie de la finance chez Keynes 4 trouve ici toute son application; et on peut voir le rôle du crédit, souligné avec force par Schumpeter (cité par Baslé et al., 1993). Ce dernier montre que sans le banquier, l'entrepreneur ne peut tout seul impulser l'évolution; car c'est à lui qu'il revient d'autoriser la mise en œuvre effective de la production. On l'a bien vu avec les révolutions industrielles successives opérées par l'Angleterre. Les innovations dans les procédés de production et la création de nouvelles usines appelées manufactures résultèrent de la mise en œuvre des capitaux accumulés par les marchands mais surtout du crédit. Ce fut donc la révolution financière (le couple crédit-création monétaire) qui conditionna la révolution industrielle du XVIIe siècle (J. G. Thomas, 1985), tout comme l'expansion du capitalisme. En d'autres termes, les banques le firent en finançant le commerce international, la mise en exploitation des terres nouvellement conquises aux Indes et, ensuite, l'expansion de l'industrie. Par ailleurs, la Grande-Bretagne accorda à la maîtrise de la stabilité monétaire une importance toute particulière pour développer son expansionnisme. Elle définit ainsi dès 1816 son unité monétaire par un poids d'or, ce qui permit de garantir la stabilité des prix, de manière à assurer un développement harmonieux des échanges commerciaux. Elle s'attela, par la suite, à faire établir au niveau international le système de l'étalon or (J.G. Thomas, 1985). La maîtrise de la variable monétaire et l'expansion économique et financière firent de la livre sterling une monnaie à caractère international. On comprend donc pourquoi la période de l'entre-deux-guerres fut marquée par une compétition entre le dollar et la livre. Cette compétition déboucha en juillet 1944 sur ce qui apparaissait comme une victoire des États-Unis (E.U.): l'instauration à Bretton Woods d'un système dans lequel les monnaies des États membres étaient définies par rapport au dollar, lui-même défini par référence à l'or; système dont les failles permirent par la suite aux E.U. de contrôler la variable monétaire au niveau international. Si la conférence de Gênes reconnut le leadership économique, celle de Bretton Woods vint donc proclamer la victoire et l'impérialisme économique des E.U. A la fin des hostilités, leur économie tourna à plein régime. L'équation des débouchés les conduisit, d'une part, à faire signer à plus de 23 pays l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GAIT), pour parvenir à une libéralisation généralisée du commerce international, et, d'autre part, à se lancer dans la conquête économique et politique du monde. Tout comme le Royaume-Uni, la grande puissance économique du XIX e siècle, les E.U. se serviront de la variable monétaire pour régler le déficit de la balance courante résultant de leur expansionnisme. Les créan4. On trouvera un excellent exposé dans l'ouvrage de Goux (1995). 102 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC ces en dollars des banques centrales du monde (balances dollar) furent utilisées pour assurer le règlement de ce déficit. La dette des E.U. servant désormais à régler leurs propres dettes, ces derniers inondèrent dès 1958 le monde de dollars; puis le 15 août 1971, le président Nixon fut obligé de déclarer l'inconvertibilité du dollar en or. Entre-temps, l'Europe, le Japon et la Chine réalisèrent des progrès économiques considérables. Si les E.U. demeurèrent la première puissance économique de la planète, leur suprématie tendait à être remise en cause et à se réduire. Cela marqua la fin pour le capitalisme industriel des cycles d'hégémonie caractérisés par la prééminence des États-nations (Fereydoun, 1995). Le glissement vers l'hégémonie des firmes multinationales et des blocs économiques On assiste dès lors à une nouvelle structuration de l'économie internationale, laquelle tend, derrière le phénomène de la mondialisation, à l'établissement d'un autre type d'hégémonie, celle des firmes multinationales et des blocs économiques. A) LA GENÈSE DE LA MONDIALISATION L'idée de la mondialisation est déjà présente dès la fin de la deuxième guerre mondiale. En effet, le président Roosevelt faisait déjà comprendre au Premier ministre britannique Churchill que la liberté des échanges, la disparition des accords commerciaux particuliers et un climat favorable aux investissements américains à l'étranger seraient les conditions essentielles pour la paix dans le monde (S. George et F. Sabelli,1994). Il n'est donc pas étonnant que le vent de l'intégration économique global ait pris naissance aux États-Unis, dès la fin des années 1970. S'agissant de l'intégration financière, tout commence par l'abolition de certaines réglementations (comme la réglementation Q) devenues obsolètes à la suite de l'apparition d'innovations financières. Puis, la déréglementation bancaire et financière américaine s'est répandue sur toutes les places importantes du globe. C'est alors qu'on assiste à la montée en puissance de la finance globalisée et libéralisée, laquelle sera favorisée à partir du début des années 1980 par l'augmentation des déficits publics dans les pays industrialisés (Plihon, 1994). En effet, pour pouvoir faire appel aux ressources des investisseurs internationaux, les autorités publiques libéralisent et modernisent leurs systèmes financiers en prenant des mesures financières appropriées (libéralisation des taux d'intérêt, abolition des contrôles quantitatifs, libération des conditions de la concurrence). Avec l'effet conjugué de la crise de la dette, de la réorientation NordNord des flux financiers et de la montée des déficits budgétaires et extérieurs américains, le système financier international bascule d'une logique d'endettement bancaire international vers une logique de finance directe planétaire. On assiste ainsi à une mise en communication de plus en plus RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 103 poussée des marchés nationaux de capitaux, conduisant à un marché financier mondial lui-même en voie d'unification croissante. Ce processus s'accompagne d'une mobilité des capitaux et d'une substituabilité des actifs permettant un élargissement de l'espace de choix des investisseurs (Bourguinat, 1995). La nouvelle organisation planétaire de la finance se développe d'autant plus vite que l'ordre libéral a réalisé d'énormes progrès. Depuis 1947, les négociations successives du GATT ont permis de réduire les droits de douane de 40% à 6,3%. Plus généralement, les négociations de l'Uruguay Round de décembre 1993 ouvrent définitivement la voie à la globalisation: ils englobent 115 pays et étendent les domaines de libéralisation aux services. Fait très remarquable, l'Organisation mondiale du commerce (OMC), à laquelle elles ont donné naissance en 1994, envisage pour les pays en développement (PED) le retour à la clause de la nation la plus favorisée 5. B) LES ACTEURS ET LES LOGIQUES Cette évolution de l'économie internationale est impulsée par les firmes multinationales et les blocs économiques; lesquels cherchent à organiser les échanges commerciaux internationaux à leur avantage. Le nombre de firmes multinationales est passé de 7 000 à 37 000 entre 1970 et 19926 . Plus de 50% d'entre elles ont pour berceau les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et la France. Cette ascension fulgurante constitue le vecteur de la mondialisation et le noyau dur du nouveau système productif planétaire. Les multinationales exercent leurs activités dans plusieurs pays par l'intermédiaire de succursales ou de filiales. Elles internationalisent alors l'organisation et la structure de la production, gèrent sur une base mondiale la distribution de leurs produits et de leurs services. Pour cela, elles réalisent les investissements directs à l'étranger (IDE). Elles se trouvent ainsi à la base de la globalisation du commerce et en assurent le contrôle. Elles réalisent par exemple 90 % du commerce mondial du blé, du café, du bois, du tabac, 85 % du commerce de cuivre et de bauxite, 75 % pour les bananes, le caoutchouc naturel et le pétrole brut. Pour plusieurs pays de l'OCDE, une part importante de la vente de produits à l'étranger se fait au sein d'une entreprise multinationale. Pour la France, de tels échanges représentent 34 % de ses exportations. Mais les multinationales développent les IDE en fonction de leurs profits, et non en fonction des intérêts des pays d'accueil, ni même parfois en fonction de ceux des pays d'où elles sont originaires. Elles ont des chiffres d'affaires considérables, quelquefois plus importants que les budgets des États d'implantation; ce qui fait qu'elles ont un pouvoir énorme qui leur 5. À laquelle le défunt GATT les a soustraits à l'instigation de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), créée en 1964 avec l'appui de l'URSS, pour s'opposer à l'égalitarisme, compte tenu des différences de niveau de développement. 6. Selon les Nations unies, citées par Buhour (1996). 104 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC permet d'influer sur les politiques économiques des pays où elles s'implantent. Par ailleurs, à travers le rôle que joue l'IDE dans la compétition internationale, la plupart des PED, hormis les nouveaux pays industriels (NPI), sont marginalisés dans la nouvelle division internationale du travail (Lafay, 1996). L'orientation de l'IDE, tout comme d'ailleurs celle des échanges et des délocalisations, dépend grandement de la variable monétaire, les taux de change jouant un rôle crucial pour assurer la connexion des systèmes de prix nationaux et définir les conditions de la concurrence internationale. Ces taux déterminent donc la compétitivité des produits ainsi que le degré d'attractivité d'un territoire, lesquels dépendent du niveau général des prix par rapport à l'étranger. Ceci fait que la manière dont se détermine le taux de change d'une monnaie est extrêmement importante, notamment pour les PED qui sont amenés à prendre des mesures appropriées pour attirer les IDE. Or, le taux de change est grandement influencé par la politique monétaire. A cet égard, l'État en tant qu'émanation de la nation se voit obligé d'agir pour défendre ses intérêts vis-à-vis de l'extérieur. La défense des intérêts économiques et commerciaux se fait de plus en plus à travers la construction de blocs nécessaires à l'industrialisation et capables de s'imposer politiquement et économiquement vis-à-vis d'autres pays. L'adhésion à une zone d'intégration régionale permet à l'État d'assurer l'expansion des échanges au sein de la zone mais également de les détourner. Ainsi, la position des nations regroupées s'améliore dans l'économie mondiale; l'élargissement des marchés nationaux favorisant l'exploitation des économies d'échelle et la spécialisation, et soumettant en même temps les entreprises à une concurrence grâce à laquelle elles peuvent réduire leurs coûts, améliorer leur productivité et être compétitives sur les marchés des pays tiers. C'est pourquoi au cours des années 19921993, l'économie internationale a vu naître vingt-huit blocs commerciaux, ce qui a porté le nombre des accords commerciaux dans le monde à quatre vingt-cinq (Fereydoun, 1995). C) L'INCIDENCE SUR LES RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES Dès l'instant où aucune économie nationale ne peut plus prétendre à une domination économique mondiale, les desseins hégémoniques prennent appui sur le socle qu'est la zone d'influence. En conséquence, on aura une nouvelle structuration de l'économie internationale, qui se caractérise aujourd'hui par l'existence de trois grands blocs économiques régionaux. Il s'agit d'abord de l'Union européenne (UE), qui engage la souveraineté de quinze États dans une entreprise économique et politique commune, sous la forme d'une union économique et monétaire. Le second bloc économique est le bloc nord-américain, qui regroupe les E.U., le Canada et le Mexique. Le troisième regroupement enfin est le bloc de l'Asie. Il se compose du Japon, de la Chine, des nouveaux pays industrialisés (NP!) de la première génération (Hong-kong, Corée du Sud, Taiwan, Singapour), et RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 105 des NPI de la deuxième génération (Brunei, Malaisie, Indonésie, Philippines, Finlande). Ces trois blocs reposent leur puissance sur le niveau et le taux de croissance du PIB, le rayonnement technique et la puissance financière (Nême, 1996). Ils réalisent depuis une vingtaine d'années l'essentiel du commerce mondial, à la fois de manière intra-zone et inter-zone. Leur déferlement n'est rien d'autre que l'expression de la volonté de puissance économique, qui pousse chacun d'entre eux à chercher à se protéger contre les pays ou blocs tiers par des mesures protectionnistes; ce qui n'est pas loin de transformer l'espace économique mondial en un champ de confrontation entre blocs commerciaux. La fragmentation de l'économie internationale en blocs plus ou moins rivaux et l'internationalisation croissante des stratégies des entreprises s'accompagnent d'une modification du statut de la monnaie. En effet, celle-ci doit, avec les investissements directs, contribuer par le pouvoir de marchandage à l'établissement de nouveaux rapports hégémoniques. Le statut de la monnaie Dans l'histoire de l'impérialisme des États-nations, le crédit joue un rôle clé. Avec la démonétisation de l'or et la mondialisation de l'économie, la monnaie devient un simple actif financier, un actif diffus et très instable. Si elle reste un instrument de stratégie dans la compétition économique, c'est le taux de change qui devient la variable centrale du rapport hégémonique. Il apparaît ainsi des stratégies monétaires plus ou moins régionales. Un symbole de valeur-pouvoir d'achat, un actiffinancier diffus et très instable Denizet (1967) et d'autres auteurs pensent que la monnaie n'est pas d'abord le bien d'échange, elle est le bien auquel on exprime le prix de tous les autres. La dissociation entre l'unité de compte et la monnaie de paiement que l'on observe pendant tout le Moyen Âge (Thomas, 1985) amène à reconnaître que le nom d'une monnaie permet de spécifier sa vocation en tant qu'instrument de compte. Puisque compter veut dire estimer, on se trouve dans un domaine purement abstrait. Il s'agit de penser la valeur des marchandises. A) UN SYMBOLE DE VALEUR Pour simplifier les choses, on pourrait dire que la monnaie est à la valeur ce que l'heure est au temps. Il est donc clair qu'elle n'est pas elle-même la valeur, question qui oppose plusieurs courants de pensée. a) La valeur exprime chez les classiques (A. Smith, D. Ricardo) tantôt l'utilité d'un objet quelconque (valeur d'usage), tantôt la faculté que possède cet objet de transmettre à celui qui le détient le pouvoir d'acheter 106 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC d'autres marchandises (valeur d'échange). Pour Ricardo, lorsque des marchandises sont produites dans des conditions techniques identiques, leur valeur d'échange est proportionnelle à la quantité de travail incorporé. Le travail constitue donc le fondement de la valeur. C'est pourquoi selon K. Marx 1978, une quantité d'or déterminée doit être fixée comme unité de mesure. Mais cette manière de définir l'unité monétaire conduit à une confusion de la valeur avec la monnaie et à une vision métalliste de sa nature. Or rien n'est monnaie par définition (Servet, 1981); la monnaie est de nature essentiellement symbolique, dira S. Diatkine (1996). b) L'analyse marginaliste s'attache par contre à intégrer la théorie de la valeur à la théorie marginale fondée sur l'utilité. La monnaie est conçue comme un bien économique, un objet caractérisé par la rareté et apte à satisfaire un besoin individuel (utilité). Sa valeur est d'abord et avant tout une valeur d'usage subjective; son utilité provenant de sa valeur d'échange sur un marché, c'est-à-dire de la quantité de biens qu'elle permet d'obtenir. Mais lorsqu'on considère l'analyse keynésienne de la préférence pour la liquidité, en intégrant la fonction de réserve de valeur, la monnaie apparaît comme un bien liquide entrant dans la logique des choix individuels. Elle a donc une utilité directe, sa valeur subjective reposant sur son pouvoir de choix général dans le temps. c) Selon les monétaristes, ce pouvoir de choix fait de la monnaie une forme de richesse, un actif détenu parce qu'il produit un rendement. A cet égard, l'agent économique procède à une redistribution de sa richesse entre biens et monnaie, de manière à en retirer la plus grande utilité possible. Milton Friedman dira que le détenteur de monnaie est un agent individuel rationnel, qui opère des choix et cherche à équilibrer son bilan dans la gestion de son patrimoine (cité par Pascallon, 1985). B) UN ACTIF FINANCIER DIFFUS ET UN POUVOIR D'ACHAT TRÈS INSTABLE Que ce soit dans la théorie subjective de la valeur, que ce soit dans l'approche en termes de richesse ou d'actif financier, le problème du pouvoir d'achat de la monnaie reste posé. a) En effet, l'effondrement en 1971 du système de Bretton Woods entérine la monnaie de crédit dans le système des paiements internationaux. Née au XIIIe siècle, développée au XVIIe siècle par les innovations financières des goldsmith, la monnaie de crédit connaît un sacre au niveau international avec la suspension de la convertibilité du dollar en or et la démonétisation de l'or qui a suivi en 1976. Depuis lors, l'économie repose sur de gigantesques pyramides de dettes (selon les termes de M. Allais, 1993). b) Il existe depuis cette date une crise référentielle. Les monnaies se disent leur pouvoir d'achat les unes les autres sur le marché des changes et, compte tenu de leur nature de dettes, elles se trouvent ainsi soumises à de très fortes fluctuations de taux de change. Ces fluctuations sont amplifiées aujourd'hui par les comportements très spéculatifs (Artus, 1996) des opérateurs sur les marchés. Ces comportements qui conduisent à un raccourcissement de RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 107 l'horizon temporel de l'ensemble des fondamentalistes et des chartistes, renforcent en même temps leur préférence pour la liquidité (A. Cartapanis, 1996). c) Il en résulte que la valeur de la monnaie sera vécue en termes d'actif financier ou de patrimoine. Par ailleurs, l'efficacité de l'action des autorités monétaires se trouve grandement affaiblie en période de crise. D'une part, les réserves des banques centrales au sens large deviennent insuffisantes pour faire face aux attaques spéculatives. D'autre part, la hausse des taux d'intérêt dans le but de maintenir le taux de change éloigne les autorités monétaires de l'objectif interne de croissance de l'activité. Le conflit d'objectifs sera d'autant plus accentué que dans le même temps, l'intégration financière internationale a rendu très incertain la régulation par le canal de la masse monétaire. Sous l'effet de la déréglementation et des innovations financières, la frontière entre monnaie et titres est devenue en effet beaucoup plus floue et elle se déplace sans cesse. De plus, la possibilité de se financer par endettement en devises à l'étranger ou sur le territoire national a accru l'instabilité des agrégats monétaires internes, au point où ceuxci ont perdu leur signification en tant que reflet de la création de monnaie en contrepartie de l'endettement des agents (Diatkine, 1996). L'ensemble de ces conséquences (triangle d'incompatibilités) va délimiter le cadre dans lequel les puissances hégémoniques élaborent leurs stratégies. Une variable stratégique dans la compétition des blocs On assiste à la mise en place de stratégies monétaires plus ou moins régionales. Mais celles-ci sont loin de conduire à la formation d'un système monétaire international tripolaire. Tout au moins peut-on dire que ces stratégies conduisent les nations à un meilleur positionnement concurrentiel. A) LE DOLLAR, UNE MONNAIE DEITE AMÉRICAINE TOUJOURS DOMINANTE La stratégie monétaire américaine est celle d'une monnaie nationale dominante au plan international. Elle a pris une forme irréversible depuis les accords de Bretton Woods, qui ont conféré au dollar le statut de monnaie véhiculaire. Le dollar peut ainsi circuler largement au niveau international, ce qui fait des États-Unis le banquier central de l'économie mondiale. A ce titre, la politique de la monnaie forte doit permettre au pouvoir d'achat de leur monnaie de ne subir qu'une faible érosion au fil des ans et d'être plus élevé à l'étranger qu'aux E.U. mêmes. Si par son cours légal et sa liquidité le dollar s'impose dans l'espace économique américain, il bénéficie en même temps de l'avantage de pouvoir être accepté rapidement sans coût particulier partout dans le monde. Il est aussi devenu un instrument d'unification de l'espace économique mondial, à travers sa fonction d'instrument de compte. Compte tenu de ses usages au niveau international (Meyer, 1996 et Bourguinat, 1998), les E. U. bénéficient gratuitement d'un crédit, d'un véritable droit de seigneuriage sur l'économie mondiale (selon David, 1985), ainsi 108 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC que d'un pouvoir de marchandage exorbitant. Ainsi, ils peuvent influer sur les relations économiques internationales (cas des accords du Plaza du 22 septembre 1985). Leur alliance avec les pays membres de l'ALENA doit simplement leur permettre de préserver ces acquis, en ripostant à la construction européenne et à l'intégration du Japon avec les autres économies asiatiques (Fereydoun, 1995). B) LE YEN, UNE MONNAIE FORTE SANS STRATÉGIE D'HÉGÉMONIE Cette intégration ne correspond pas à une stratégie monétaire visant à faire jouer au yen un rôle aussi important que celui du dollar. Le yen est pourtant une monnaie forte, disposant de nombreux atouts. Malgré cela, son internationalisation reste faible (Meyer, 1996), d'autant plus que les économies d'Asie restent dans la zone dollar. En l'absence d'une zone yen, on ne peut pas parler d'un système monétaire international reposant sur trois devises pivots, servant à la stratégie de chaque composante de la triade. Tout au moins peut-on s'attendre à ce que le Japon entreprenne une certaine politique de coordination monétaire régionale. Cette perspective est envisageable, au regard des accords intervenus en 1996 pour des interventions coordonnées sur le marché des changes et le prêt de devises de la Banque du Japon à ses homologues de certains pays d'Asie. Mais l'objectif visé reste limité à la gestion des variations de taux de change entre le dollar et le yen. Ces variations introduisent de fortes tensions dans la zone dollar avec l'influence croissante du yen dans la région. Il ne s'agit donc pas d'une stratégie avérée comme celle de l'Europe. C) VERS L'EURO, UNE MONNAIE UNIQUE EUROPÉENNE À L'IMAGE DU DOLLAR La stratégie monétaire européenne est celle de la mise en place d'une monnaie unique forte, répondant au double besoin de parachever le grand marché intérieur (de La Genière, 1989) entré en vigueur en 1993, et de permettre à l'Europe de faire face à l'hégémonie du dollar. Elle devrait pouvoir, pourquoi pas, se substituer au dollar, pour renforcer le poids de l'Europe et son aptitude à influer sur les relations économiques internationales (Rapport Cecchini, 1988). a) Vers la monnaie unique - L'origine de cette ambition est à situer à la création en 1950 de l'Union européenne des paiements. Tant il est vrai que même dans le traité de Rome de 1957, l'idée d'intégration monétaire n'est pas clairement exprimée. n faut attendre le Plan Barre et le Rapport Werner, en 1969-1970, pour voir le projet d'union monétaire démarrer dès 1972 par l'expérience du Se rpent monétaire. Mais c'est surtout avec le remplacement du serpent en mars 1979 par le Système monétaire européen (SME) que le projet gagne en consistance. Le SME introduit un mécanisme de coopération monétaire permettant de créer en Europe une zone de stabilité monétaire relative, en instaurant des taux de change fixes. RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 109 Le mécanisme a fonctionné avec plus ou moins de bonheur jusqu'à l'effondrement du communisme, la réunification allemande et l'accélération de la construction européenne, avec l'abandon en 1987 de changes fixes ajustables au profit de changes fixes rigides, puis avec la signature en décembre 1991 du traité de Maastricht. Le traité établit un programme, fixe les moyens et les critères de convergence à remplir scrupuleusement par les pays pour entrer dans la monnaie unique à l'échéance du 1er janvier 1999. Autant de faits nouveaux qui ont conduit le SME en 1992-1993 vers une implosion, dominée par l'effet d'asymétrie des préférences favorables à la politique monétaire allemande. En effet, la réunification allemande s'est traduite par un choc asymétrique de demande inflationniste. b) Le taux de change d'équilibre de l'euro - La dilution des préférences qu'engendre l'union monétaire soulève donc une question majeure, celle du système de change qui peut résoudre au mieux l'arbitrage entre objectif interne (biais inflationniste pour stimuler l'activité) et objectif externe (biais déflationniste pour accroître la compétitivité). Il s'agit d'une question fondamentale pour la fixation du taux de change réel optimal de l'euro par rapport au reste du monde (Lavigne et Villieu, 1996), mais aussi pour la politique monétaire des pays dont la monnaie sera ancrée sur l'euro, comme c'est le cas précisément des pays de la zone franc. Aussi, convientil de regarder l'euro dans l'avenir. Rappelons pour cela que le Système européen de Banques centrales (SEBC), composé de la Banque centrale européenne (BCE) et des banques centrales nationales, a pour objectif principal le maintien de la stabilité des prix. A cet égard, il fonctionnera selon le principe d'indépendance, par rapport aux gouvernements nationaux et aux organes de la Communauté. Il lui est interdit d'accorder toute forme de crédit aux pouvoirs publics. Son Conseil, composé des gouverneurs des banques centrales nationales, définira et conduira librement la politique monétaire et de change unique de l'euro 7 , lequel remplacera l'écu. Les banques centrales nationales ne seront plus que des structures chargées de mener à bien au niveau national les politiques définies par le Conseil. Il est clair que cette construction fait reposer la stratégie européenne de monnaie forte sur la séparation des pouvoirs monétaire et budgétaire. Nous savons que les travaux sur le thème de l'indépendance de la banque centrale sont dominés par une analyse axée sur la notion de crédibilité. La référence porte très souvent sur la Bundesbank, dont on sait qu'elle pratique une politique monétaire autonome très restrictive, permettant aux autres pays membres du SME de renforcer la discipline de leur politique monétaire et de bénéficier ainsi de sa réputation. On pense que si la BCE fonctionne sur ce modèle, cela garantira la crédibilité. Pour assurer un meilleur arbitrage entre stabilité monétaire et récession, on peut imaginer 7. La répartition des tâches entre le Conseil des ministres, chargé de négocier les accords de change, et la BCE responsable de leur mise en œuvre reste fort peu nette. 110 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC que le Conseil des ministres définira un taux de change de référence de l'euro par rapport au dollar susceptible de guider la coordination des politiques économiques. La définition d'un taux de change d'équilibrefondamental (TECF) au sens de Williamson semble la plus probable, c'est-à-dire un taux de change réel capable d'assurer l'équilibre macroéconomique interne et externe de l'ensemble des économies. c) L'euro: force, stabilité et degré d'hégémonie - L'euro devrait être une monnaie forte par rapport au dollar, et au moins aussi forte que le Mark. Cette affirmation repose sur diverses raisons: l'amélioration de la position extérieure nette de l'UE, les rapports de prix relatifs (Aglietta, Baulant et Coudert, 1998), le fait qu'il remplacera le Mark, la politique monétaire de rigueur qui sera adoptée par la BCE pour établir sa crédibilité, l'attrait qu'exerceront la taille et la profondeur du nouveau marché financier européen (Bourguinat, 1998), etc. S'agissant par contre de la stabilité de la parité de l'euro contre le dollar (voire le yen), il existe une forte divergence dans les opinions. Certains auteurs (Martin, 1998) pensent que les manipulations du taux de change seront moins probables, en raison du renforcement de l'interdépendance des économies européennes (thèse de l'indifférence aux fluctuations de taux de change et donc de la tendance à la négligence bienveillante). Mais l'hypothèse d'une instabilité est la plus vraisemblable. En effet, le rapport de parité euro-dollar (et même euro-yen) sera le point de focalisation des anticipations, appelé à devenir l'un des principaux baromètres du marché des changes. Compte tenu des échanges Europe-États-Unis et de son incidence sur la compétitivité des tous les NPI, ce rapport monétaire sera très sensible à la formation des bulles spéculatives. Autrement dit, l'euro étant une monnaie de réserve, mais pas à égalité avec le dollarS, les investisseurs auront le choix entre deux monnaies de réserve, ce qui fait que tout écart de rendement entraînera des déplacements de capitaux d'une devise à l'autre et se traduira par de fortes fluctuations de leur parité. En outre, on ne doit pas exclure l' hypothèse simple d'une guerre commerciale qui prendrait la forme de manipulations agressives de cette parité par les parties. Il reste incontestable toutefois que l'euro, bénéficiant d'un effet de dimension, sera une monnaie plus stable que les monnaies nationales préexistantes. Enfin, en ce qui concerne la substitution de l'euro à l'hégémonie du dollar, on admet que la base de départ de l'euro est remarquable. On pense notamment: à son utilisation au sein de l'Union; à sa substitution aux monnaies nationales dans les transactions avec les pays tiers, lesquels pourraient en faire davantage un usage commercial; à son usage comme point d'ancrage, ce qui est déjà envisagé par les pays africains de la zone franc (Bourguinat, 1998), d'autres cas sont possibles. On pense également à l'attractivité qu'exercera le marché financier européen, ainsi qu'à la demande potentielle émanant des banques centrales, dont on sait que le 8. Comme le précise Artus (1998). RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES III total des réserves officielles à fin 1995 était libellé à plus de 20% en monnaies européennes. Enfin, on estime que le contrôle de 38,5 % du PNB des pays de l'OCDE et de 20,9% du commerce mondial en 1996, contre respectivement 37,5% et 19,6% pour les E.U., prédispose l'euro à être suffisamment diffusé au niveau international; d'autant plus qu'il remplacera dans le libellé du portefeuille mondial d'actifs transfrontaliers les monnaies européennes, soit 35 % en 1993. Mais ceci ne signifie nullement une symétrie dans le système monétaire international, conduisant à une substitution de l'euro au dollar, par exemple dans la facturation des exportations et des importations. On doit aussi noter que l'émergence de l'euro comme seconde monnaie de réserve est potentiellement porteuse de crises spéculatives déséquilibrantes (Bourguinat, 1998), car c'est par des ajustements fréquents des taux de change dollareuro que les grands blocs régionaux chercheront à jouer pour établir le rapport hégémonique. De plus, nous savons que les taux de change sont déterminés également par les anticipations auto-réalisatrices (plihon, 1996). Pour éviter une instabilité aggravée dans le système monétaire international, il n'est pas exclu qu'on s'achemine alors vers une coopération organisée entre grandes monnaies: dollar, euro, yen. Les grands blocs régionaux renforceraient en conséquence leur position hégémonique dans l'économie mondiale. Aussi, faut-il s'interroger, compte tenu du rôle clé que joue la variable monétaire, sur le profil qu'il faudrait donner à la monnaie dans les pays de la zone franc. Nous savons en effet que, outre les conséquences de la nouvelle structuration de l'économie internationale sur leurs économies, leur monnaie est appelée à perdre son référent et à être rattachée à l'euro. III) Le profil de la monnaie dans la zone franc Les quatorze pays africains de la zone franc sont regroupés en deux unions économiques et monétaires distinctes: la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) et l'Union économique et monétaire de l'Afrique de l'Ouest (UEMOA). Une monnaie unique (le franc CFA) est émise dans chaque union par une banque centrale -la Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC) et la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) - ayant le statut d'établissement multinationa1 9 . Elle est définie suivant une parité fixe 10 par rapport au franc français (FF). La gestion des banques centrales est assurée par les représentants des États membres, en association avec les représentants de 9. La BEAC et la BCEAO seraient restées « dans la main des gouvernements en raison de la tradition de subordination de la Banque de France au ministère des Finances. (Guillaumont, 1993). 10. Cette parité est passée après la dévaluation de janvier 1994 de 50 FCFA à 100 FCFA pour 1 FE 112 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC la France qui siègent dans les conseils d'administration. La participation de la France à la gestion est justifiée par le fait qu'elle garantit la convertibilité des francs CFA en FF, ceci grâce aux comptes d'opérations ouverts par le Trésor français à la BEAC et à la BCEAO. Les statuts des banques centrales indiquent à cet effet les instruments de la politique monétaire et les règles de leur application. Mais on ne comprend pas qu'après plus de trente ans de coopération monétaire l'intégration ait échoué (Berg 1993). C'est ainsi que le commerce officiel entre les pays de ces unions ne représente qu'une faible part du total de leurs échanges (Guillaumont, 1993) et là où l'investissement a augmenté à la suite de l'intégration, on a enregistré une forte chute de la croissance (De Melo, Montenegro et Panagariya, 1993). Cet échec, face à la structuration récente de l'économie internationale, risque de contribuer à une plus grande marginalisation de l'Afrique. On sait déjà que la plus grande partie de la production mondiale et des échanges commerciaux provient des pays de la triade. Entre 1960 et 1993, la part de l'Afrique (sauf l'Afrique du Sud) dans le total de la production mondiale a enregistré une chute de 2,4 % à 1,8 %; alors que sa part dans le total des échanges courants passait de 2,2% à 1,1 % entre 1967 et 1993. Or, l'Afrique est l'une des régions les plus peuplées du monde et où le taux de croissance démographique est des plus élevé; sa part dans la population mondiale est passée de 6,8 % en 1960 à 9 % en 1993 11 • Elle est aussi la région où les populations bénéficient des revenus les plus faibles. En 1993, l'espace Afrique Moyen-Orient n'a perçu que 4 % du revenu mondial, contre 26,1 % pour les B.U., 28,7% pour rUE et 17,6% pour le Japon. n est donc urgent de réformer le dispositif monétaire et financier de la zone franc, mettre en œuvre une stratégie d'intégration régionale viable, permettant aux petits États africains d'accroître les échanges intra-zone et d'acquérir une dimension économique suffisante pour pénétrer les marchés extérieurs. Mais, comme nous allons le voir, les réformes engagées dans les pays africains de la zone franc ne sont pas de nature à conduire à cet objectif. C'est pourquoi nous tenterons de jeter les bases d'une réflexion pour un profil approprié de la monnaie. Les réformes de la zone franc 1) Dès 1989, les instruments de la politique monétaire ont été modifiés, notamment en substituant aux mécanismes de refinancement préférentiel la programmation monétaire, qui fait reposer la création de monnaie sur l'évolution des données macroéconomiques. Un marché monétaire, à l'image de celui de l'Afrique de l'Ouest, a été également mis en place en Afrique centrale, en juillet 1994. Il doit permettre de faire jouer au taux d'intérêt un rôle central dans le contrôle de la création de la monnaie, à traIl. La synthèse statistique est de Lafay (1996). RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 113 vers des adjudications par appel d'offres. De plus, le contrôle prudentiel a été renforcé par l'harmonisation et le contrôle commun des réglementations bancaire, monétaire et financière. C'est ainsi que deux commissions bancaires régionales ayant un pouvoir supranational ont été créées en 1989-1990. 2) Par ailleurs, une nouvelle coopération institutionnelle tendant à transformer l'union monétaire en une union économique a vu le jour, de manière à renforcer l'efficacité de la politique monétaire par une discipline rigoureuse dans le domaine des finances publiques. L'UEMOA et la CEMAC ont été ainsi mises en place en 1994, avec un dispositif de surveillance multilatérale de la convergence des politiques économiques. Dans le cas de la CEMAC, la BEAC se voit assigner le même objectif que la BCE: garantir la stabilité de la monnaie. Cette mission est remplie par le canal de son conseil d'administration, dont le gouverneur est désormais le président. Nommé par la Conférence des chefs d'État, celui-ci doit prêter serment selon l'esprit des textes pour exercer sa fonction en toute indépendance. Rien d'étonnant à cette marche vers l'indépendance de la Banque centrale, le partenaire français ayant déjà fait ce choix au niveau européen. Il s'agit là, peut-être, d'une stratégie visant à introduire dans des conditions acceptables la zone franc dans la zone euro, les autorités françaises 12 ayant déjà confirmé à maintes reprises que les relations monétaires existant dans le cadre de la zone franc subsisteront malgré la mise en place de l'euro. 3) En outre, l'assainissement des systèmes financiers a été étendu aux compagnies d'assurances et aux organismes publics de prévoyance sociale. Les ministres des Finances de la zone franc ont ainsi signé en juillet 1992 un traité instituant une organisation intégrée de l'industrie des assurances dans les États africains (Conférence interafricaine des marchés d'assurance - CIMA). Il s'agit de faire des compagnies d'assurances de véritables intermédiaires financiers appelés àjouer un rôle significatif dans le processus de développement économique et social. C'est la raison pour laquelle le traité envisage l'élargissement du rôle d'investisseur institutionnel et la création de nouveaux instruments financiers, permettant la mobilisation de l'épargne longue sur des marchés financiers régionaux ouverts 13. 4) Le droit des affaires a également fait l'objet d'un traité visant son harmonisation et sa modernisation (en abrégé [OHADAD, de manière à assurer aux investisseurs la sécurité juridique et judiciaire nécessaire. Le traité 12. La question, dit-on, « a été définitivement tranchée par la lettre du président Chirac du 14 décembre 1996 à ses pairs africains. Celui-ci écrit en effet: Lorsque le franc français sera remplacé par l'euro, aucune modification de parité des francs CFA et comorien ne sera nécessaire. Le taux de change des francs CFA et comorien en euro se déduira mécaniquement du taux de change des francs CFA et comorien en franc français, qui sera inchangé, et du taux de change du franc français en euro ». 13. Le projet expérimental de régionalisation de la Bourse d'Abidjan a démarré en septembre 1998 avec un retard significatif de près de dix mois. 114 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC envisage la création au niveau de chaque union d'une cour de justice communautaire appelée à statuer en dernier recours. On peut dire que l'intégration régionale ainsi menée cherche à mettre en place des marchés financiers régionaux ouverts, afin de créer une surface économique suffisante. Elle cherche également à opérer une mutation qualitative des économies, en les faisant passer du statut d'économie d'endettement à celui d'économie de marché de capitaux. Elle est supposée conduire à une meilleure insertion dans l'économie mondiale, les économies se trouvant mises en diapason du système financier international. En outre, la coopération régionale est supposée réduire le poids des « lobbies », des groupes politiquement importants dans chaque État et libérer ainsi les décisions de politique économique de la pression des intérêts privés: c'est l'effet de dilution des préférences (the preference-dilution effect 14 ). Pour P. et S. Guillaumont (1993), la délégation volontaire de souveraineté à une institution supranationale met le pouvoir monétaire à l'abri des pressions gouvernementales et sociales. Elle préserve l'autonomie visà-vis de l'exécutif et garantit ainsi une monnaie stable. La participation de la France aux institutions de la zone est donc un facteur de crédibilité. Elle apporte la garantie de pouvoir maintenir le taux de change stable et d'assurer la convertibilité des francs CFA vis-à-vis de toutes les grandes monnaies du monde, ce qui est de nature à susciter la confiance des investisseurs étrangers. Les limites des réformes engagées Ces réformes ont sans doute beaucoup d'intérêt au regard des conséquences de la structuration actuelle de l'économie internationale. Mais, elles ne tirent pas toutes les leçons de l'analyse de cette structuration de manière à faire jouer à la monnaie un rôle stratégique. A) VIABILITÉ DE L'INTÉGRATION ET COOPÉRATION MONÉTAIRE On peut d'abord relever que la coopération institutionnelle ne garantit pas la viabilité de l'intégration régionale. On sait que le regain actuel de cette dernière est une initiative de la France, qui a décidé de transformer la coopération monétaire en une véritable communauté économique avec des règles et règlements communs. Cette approche a fait l'objet de vives critiques. Citons E. Berg (1993), qui voit dans l'intégration verticale lancée par la France un instrument de division, une nouvelle forme de néocolonialisme de nature à stopper la puissance nigériane. Mentionnons dans le même sens la critique de B. Bekolo Ebe (1994) qui, lui, voit dans cette initiative une manœuvre visant à mieux répartir entre les pays africains les charges d'ajustement liées à l'ampleur des déséquilibres des balances des paiements. Pour certains spécialistes (Guillaumont, 1993) le rôle de la 14. Selon J. de Melo (Guillaumont, 1993), cet effet agit contre les politiques non optimales engendrées par la discrétion des États. RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 115 France relève d'un arbitrage à faire entre coopération institutionnelle et conditionnalité des organismes de Bretton Woods. Dans le premier cas, les pays africains reçoivent une garantie en échange de l'acceptation de certaines règles de gestion; l'abandon de souveraineté qui en découle étant le prix à payer pour améliorer l'efficacité et la crédibilité du système. En revanche, dans le cas de la conditionnalité, ils reçoivent des prêts en échange de l'application obligatoire de mesures particulières de politique économique, sans avoir la moindre certitude d'être appuyés en cas de difficultés. Autrement dit, les pays africains doivent éviter de passer sous les fourches caudines des programmes d'ajustement structurel, en renforçant par des institutions communes leur coopération avec la France. Tout se passe alors comme si les fondements de cette coopération étaient étrangers auxdits programmes. Or, ceux-ci, tout comme d'ailleurs la dévaluation, sont grandement liés à l'échec de la coopération monétaire. En effet, la dévaluation a fait suite à l'ampleur des déséquilibres des balances des paiements des pays africains. L'inflation dans ces pays ayant été plus rapide qu'en France, les taux de change réels des francs CFA se sont appréciés. C'est ainsi qu'en 1992, le taux de change du dollar et du FCFA a baissé jusqu'à 265,2 contre 319 FCFA pour un dollar en 1989. Mais si l'inflation s'est développée du fait de l'expansion monétaire (Guillaumont, 1993), cette expansion ne s'est pas faite de manière viable. Elle s'est d'abord traduite par une forte croissance des crédits à l'économie, destinés essentiellement au financement de la commercialisation des matières premières (café, cacao, coton, etc.). Entre 1974 et 1995, les crédits à court terme dans la zone de la BEAC qui correspondent ainsi à une moyenne de 72,6% du total des crédits à l'économie, bénéficient des 62,84 % de ses refinancements et sont constitués essentiellement de crédits de campagne. Par ailleurs, le boom des revenus lié à la promotion de ces produits a favorisé non seulement les prélèvements de l'État auprès des organismes chargés de la commercialisation mais également l'accès des gouvernements aux financements internationaux. Il a eu comme conséquence un gonflement des dépenses publiques. Ensuite, lorsque les cours ont chuté et que les pays ont été évincés des marchés financiers internationaux, l'expansion monétaire a trouvé un relais dans le financement monétaire des déficits budgétaires et les crédits aux entreprises publiques auprès de qui l'État a accumulé d'importants arriérés. Au total, l'extrême spécialisation historique des pays dans la production des matières premières et l'appui que la coopération a eu à apporter dans ce sens au fil des ans les ont conduits à une asphyxie financière. C'est la raison pour laquelle la libéralisation économique est intervenue avec les programmes d'ajustement structurel. Si en même temps la France a lancé un programme de réformes, il peut s'agir d'un moyen de reprendre en mains un espace économique menacé de dislocation et d'ouverture. 116 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Dans ce cas, les pays africains ne se sont pas donné les moyens de réaliser une intégration viable. Parmi les nombreux facteurs qui constituent des obstacles à leur intégration (Berg, 1993), l'extrême spécialisation des systèmes productifs nationaux dans les matières premières semble très importante, tout comme l'inexistence des infrastructures de communication et des équipements de base. Pour que l'intégration régionale africaine soit viable, il est essentiel de transformer les systèmes productifs, de les orienter et de mettre en place les infrastructures appropriées, de manière à créer un espace économique relativement autonome. Pour cela, il faut une planification des activités, à laquelle on doit pouvoir adjoindre l'appui du système financier. On se souvient que la haute croissance japonaise n'a pu être obtenue que grâce à une telle programmation du système financier (Meyer, 1996). Or, cette programmation n'a pas été possible, parce que la coopération monétaire a continué à reproduire la dépendance des économies vis-àvis des produits primaires, alors même que ceux-ci sont aujourd'hui en perte de vitesse sur les marchés internationaux. Même l'appui de la finance directe en cours de promotion ne peut être que très limité. B) FINANCEMENT DES ÉCONOMIES ET ASYMÉTRIE DES PRÉFÉRENCES EUROPÉENNES Dans le cadre des règles du SME, la politique monétaire française se trouve assujettie à la Bundesbank, qui détermine et mène en toute liberté une politique monétaire réputée la plus anti-inflationniste. Aussi, au sein du SME, la Bundesbank joue-t-elle le rôle de banquier central conservateur. Son action oblige les autres partenaires à mener une politique également très restrictive, d'autant plus que les mécanismes de changes fixes du SME les empêchent de se livrer à des politiques d'appréciation ou de dépréciation compétitives. Au bout du compte, ils bénéficient d'un transfert de crédibilité. Toute la politique monétaire et de change de la France s'attache ainsi à éliminer le différentiel d'inflation avec l'Allemagne 15 et à réduire la prime de risque sur le taux d'intérêt; elle ne fait pas du niveau général des prix par rapport au reste du monde une préoccupation. On voit qu'avec le rattachement des francs CFA à l'euro, les pays africains occuperont par rapport à la BCE une place similaire à celle qu'occupe la France dans le SME. Puisque la garantie de la France continuera à jouer, elle s'attellera donc à la mise en application au niveau africain d'une politique aussi restrictive. Elle le fera en fonction de ses préférences commerciales en matière de taux de change ou de ses propres contraintes d'expansion monétaire. Son action s'appuiera sur l'évolution des avoirs extérieurs en compte d'opérations, et les pays africains seront réduits à l'application d'une politique de désinflation, visant à rendre aussi faible que possible le différentiel d'inflation avec l'UE. 15. Cette politique de désinflation a récemment laissé l'économie française avec un taux de chômage de plus de 13 % de la population active (Lavigne et P. Villieu, 1996). RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 117 La déflation qui s'ensuivra pourra être renforcée par la nouvelle configuration des systèmes financiers. En effet, la finance directe globalisée ne pourra pas effectivement jouer le rôle de premier plan qu'on voudrait lui donner, en raison de l'existence en Afrique subsaharienne d'une multitude d'entreprises à la forme juridique mal connue, et très souvent structurées sur la base de relations de type familial. Quelques entreprises seulement, d'ailleurs de grande taille, présentent des structures juridiques et comptables propres à cette finance. On pense que 45 sociétés seulement pourraient être cotées à la future Bourse d'Afrique centrale, soit une moyenne de 7 sociétés par pays16. Pour les Bourses existantes, on observe déjà que leur activité est limitée; le nombre de valeurs cotées restant très faible (Whorer, 1993). La déflation liée au durcissement de la politique monétaire peut donc être aggravée, rien ne garantissant le financement d'une croissance durable. On peut même redouter que l'ouverture financière ne crée des canaux favorables à la fuite des capitaux, à travers notamment la possibilité de diversification des placements qu'elle donne aux épargnants nationaux, et les politiques systématiques d'attraction des investissements directs étrangers l ? Lorsque les pouvoirs publics ne maîtrisent pas la politique de change comme cela risque d'être le cas, la fuite des capitaux peut prendre des proportions importantes (cas de la dévaluation du franc CFA). D'autres effets négatifs peuvent aussi s'ajouter, en raison du rôle crucial que joue la monnaie, par le canal des taux de change, dans la connexion des espaces monétaires et la délocalisation des productions des firmes multinationales. Or, les réformes engagées sont telles que les économies seront soumises, contrairement à ce que l'on pense, à une grande instabilité monétaire, du fait de la perte d'autonomie de cette politique. C) PERTE D'AUTONOMIE DE LA POLITIQUE DE CHANGE ET INSTABILITÉ MONÉTAIRE La stabilité monétaire relative, dont bénéficie le franc CFA dans le cadre du SME, sera accrue avec le remplacement des monnaies européennes par l'euro et son rattachement rigide à ce dernier. Mais cet avantage est à mettre en balance avec la grande instabilité qui caractérisera les relations des francs CFA avec les autres monnaies (dollar, autres monnaies de la zone 16. Selon une étude réalisée par la BEAC, présentée par R. R. Andely (1997), vice-gouverneur de la BEAC. 17. Lesquels constituent au bout du compte des voies de sortie des capitaux. Le dilemme dans lequel se trouvent les pays en développement ici est qu'ils doivent mettre en place des codes d'investissement attractifs, parce qu'il semble que les firmes multinationales influencent fortement le niveau d'activité des économies nationales et par conséquent les revenus qui y sont distribués. Elles agissent sur leur compétitivité et sur celles des firmes locales, etc. Mais inversement, si l'implantation d'une multinationale se traduit par une entrée de capitaux dans le pays, plus tard les IDE entraînent des sorties importantes de capitaux du pays hôte, notamment sous forme de profits, de redevances ou honoraires rapatriés en pays d'origine ou dans les paradis fiscaux. 118 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC dollar, yen), en vertu de la forte instabilité qui prévaudra entre le dollar et l'euro. D'autre part, cet avantage s'accompagnera du renforcement de la perte de contrôle par les pouvoirs publics de la possibilité d'employer à bon escient le taux de change comme variable stratégique pour les relations économiques et commerciales internationales. Ainsi, seront-ils surpris de passer d'un taux de change à un autre, persuadés qu'ils restent que la coopération institutionnelle leur garantira la stabilité. Pour preuve, seuls les problèmes d'ajustement technique du cours de conversion du franc CFA en euro les ont préoccupés jusqu'au moment où ils ont été rassurés de l'absence de dévaluation future du franc CFA. Il Ya également le maintien sans différenciation, lors du passage à l'euro, de l'égalité des parités des francs CFA. Ces préoccupations montrent à quel point les États africains n'ont pas suffisamment tiré les leçons de la dévaluation de 1994. Or, celle-ci sonne le glas des rigidités nominales, c'est-à-dire la fin de l'ère de l'évolution divergente des taux de change réels. Le maintien d'une parité unique des francs CFA avec l'euro n'est durablement possible qu'à condition qu'il y ait convergence des performances macroéconomiques dans les deux unions économiques. Mais ces performances ont été d'une divergence significative l8 , si bien qu'on peut se demander si ceci conduira à une implosion de l'union monétaire africaine. C'est là l'une des interpellations qui doivent déboucher sur une réflexion urgente sur le profil de la monnaie en Afrique. Conclusion: quelle monnaie pour les pays de la zone franc? Les économies africaines de la zone franc ne peuvent valablement s' inscrire dans l'économie internationale de demain que pour autant qu'elles disposeront des capacités économiques nécessaires. Pour avoir une dimension économique suffisante, il leur faut faire jouer à la monnaie un rôle stratégique, qui ne peut être effectif qu'à condition que celle-ci soit crédible. A) UNE MONNAIE INSTRUMENT DE STRATÉGIE La place que l'Afrique subsaharienne occupe dans l'économie internationale d'aujourd'hui trouve fondamentalement son explication dans l'histoire coloniale qui l'a affaiblie en la balkanisant et en la confinant dans la production de matières premières. C'est d'ailleurs à cet héritage colonial qu'il faut aussi se référer pour comprendre la grave crise économique qui la frappe. Seule une restructuration de son système productif est donc à même d'élargir la base productive à d'autres secteurs porteurs de croissance et de développement. Mais la taille des États ne saurait leur assurer une viabilité économique, il faut procéder à l'intégration des économies pour renforcer leur capacité économique et favoriser ainsi leur insertion 18. Sur la base des performances comparées des zones BEAC et BCEAO telles que présentées par la BEAC dans un document de travail du Comité ministériel de la zone franc, du 28 juillet 1997. RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 119 dans l'économie internationale. Il s'agit là d'une stratégie à inscrire dans la durée; tant l'héritage de l'histoire est lourd et les intérêts en présence très contradictoires. Mais cette stratégie ne peut être laissée à la merci des mécanismes de marché. Ceux-ci n'ont jamais élaboré, nulle part au monde, une planification définissant clairement les objectifs poursuivis et les moyens de les atteindre. D'ailleurs, comme nous l'avons montré, ils ne trouvent pas encore les conditions de l'allocation optimale des ressources à laquelle ils sont censés conduire. Autrement dit, les pouvoirs publics doivent être en mesure de programmer le système financier conformément au double impératif de réorientation de l'appareil productif et d'intégration économique. En effet, si le marché peut assurer le financement des investissements dont la rentabilité financière est établie, il ne saurait en être de même des investissements économiques à caractère stratégique dont la rentabilité est de l'ordre du long terme. C'est pourquoi les pouvoirs publics doivent avoir ici une certaine emprise sur la politique monétaire et de change de manière à pouvoir effectivement composer avec celle-ci dans le cadre des politiques économiques. Ils ne peuvent véritablement agir dans le sens souhaité que s'ils ont une marge de manœuvre suffisante sur la politique monétaire. C'est peut-être par effet de mode que l'on tend aujourd'hui à analyser les problèmes de déficits publics en Afrique subsaharienne de la même manière que ceux-là que l'on rencontre dans les pays riches et qui sont parfois liés aux cycles politiques. On oublie alors que dans les États jeunes, les bases productives de l'économie sont encore fragiles et que pour cette raison les interventions de l'État, bien que parfois irrationnelles en raison du facteur humain, restent capitales. Tout le problème est de bien gérer la monnaie, de manière à garantir à la fois la stabilité des prix et une certaine stabilité des taux de change, sans que ceci conduise à la déflation. Le défi est de taille, puisque pour les raisons déjà évoquées, le financement par crédit restera pour longtemps encore le principal mode d'allocation de ressources à l'économie. Par ailleurs, à cette transposition des contextes d'analyse s'ajoute l'incidence de la mondialisation financière, qui laisse croire que la monnaie est un bien parmi d'autres biens, produit pour lui-même et faisant l'objet d'une demande pour la gestion de portefeuille. L'ampleur prise par le rôle d'actif financier de la monnaie tend à en faire ainsi un simple instrument de spéculation. Ceci explique d'ailleurs le fait que l'on assiste à une croissance d'actifs financiers qui soit sans rapport avec l'économie réelle. Or l'analyse nous a révélé, malgré cette nature de la monnaie, toute sa dimension stratégique dans les relations économiques internationales. Il convient donc dans cette optique de lui donner deux caractéristiques. La première caractéristique est qu'elle soit émise selon des mécanismes propres à favoriser la restructuration des appareils productifs et à promouvoir véritablement l'intégration économique régionale. En d'autres termes, 120 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC la politique monétaire doit être une composante à part entière de la politique économique. La seconde caractéristique voudrait que les pouvoirs publics aient une autonomie en matière de politique de taux de change, c'est-à-dire qu'ils puissent se servir en toute indépendance du taux de change comme instrument stratégique de politique économique. A ce niveau se pose le problème du mode de rattachement des francs CFA. Pendant longtemps, ce problème a été traité avec l'argument du transfert de crédibilité, comme si cette crédibilité, compte tenu de son importance, ne pouvait être obtenue autrement. B) UNE MONNAIE CRÉDIBLE Les pays africains doivent chercher à se mettre à l'abri d'une marginalisation dans les échanges internationaux en élargissant leur espace économique. Pour cela il leur faut une monnaie crédible, c'est-à-dire susceptible de susciter, en raison du pouvoir d'achat qu'elle garantit, la confiance et des résidants et des non-résidants. Deux conditions sont nécessaires à cela. a) Sur le plan interne, le rythme de hausse des prix doit être réduit, afin que le pouvoir d'achat de la monnaie ne subisse qu'une faible érosion au fil des années. Pour éviter l'érosion monétaire, il faut pratiquer une politique monétaire rigoureuse. Aujourd'hui, l'on pense de plus en plus qu'une telle politique est impossible lorsque la banque centrale n'est pas indépendante du gouvernement. La raison avancée à cela est que le financement monétaire des déficits publics constitue une source importante de déséquilibres inflationnistes. C'est la raison pour laquelle dans le cas de l'UE par exemple, outre les raisons liées à l'histoire monétaire allemande et aux difficultés de la construction monétaire, l'indépendance de la Banque centrale européenne doit être une réalité. Or, nous savons aussi que du point de vue de la communauté, l'indépendance occasionne un coût à travers la pondération plus faible de la stabilisation de l'activité et de l'emploi (Lavigne et Villieu, 1996). D'ailleurs, en ce qui concerne les pays africains, la concentration du pouvoir monétaire entre les mains du gouverneur de la banque centrale, principal agent des États dans les relations monétaires et financières internationales, n'apparaît même pas effectivement garante de la mise en œuvre d'une politique monétaire indépendante, sauf peut-être vis-à-vis des gouvernements africains. Elle semble plutôt ouvrir la voie à des pressions de toutes sortes, susceptibles de mieux assurer les préférences de la France dans l'UE. S'ajoute à ceci le fait que dans le régime de changes fixes qui est envisagé, la résolution des conflits entre politique monétaire indépendante et politique de change dépendant du pouvoir politique est subordonnée à des éléments exogènes (Fernandez de Lis, 1995). Compte tenu de tout cela, l'indépendance au sens de Rogoff, auteur qui pense que la banque centrale fixe les objectifs et contrôle les instruments de la politique monétaire, ne semble pas judicieuse. En revanche, l'indépendance instrumentale donne aux pou- RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 121 voirs publics la possibilité de programmer le système financier. Suivant l'approche par les contrats optimaux, le banquier central est ainsi rendu comptable des résultats de la politique monétaire et peut être congédié s'il ne parvient pas aux objectifs assignés. La rigueur monétaire résultant de ce type d'indépendance doit être renforcée par une diversification des structures bancaires et financières. Il est clair que les pays africains de la zone franc ont besoin non seulement des banques commerciales et des coopératives d'épargne et de crédit, mais également des marchés financiers, des investisseurs institutionnels et des institutions financières spécialisées. Cette diversification présente l' avantage de créer une synergie et une complémentarité dans les différentes modalités d'allocation des ressources. Elle favorise donc le dynamisme du système financier et surtout la stabilité monétaire. Lorsque l'ensemble de ces structures fait l'objet d'une bonne supervision visant à garantir la sécurité du système de paiements, la monnaie bénéficie ainsi d'une confiance d'autant plus grande que les institutions qui sont chargées de sa création et de sa gestion sont solides. b) La deuxième condition de crédibilité renvoie, sur le plan externe, à la fois à la convertibilité de la monnaie et au mode de rattachement qui procure la protection la moins mauvaise. On sait que l'environnement financier des changes flottants caractérisé par une instabilité grandissante du change constitue une entrave grave aux échanges et à l'investissement. La définition des francs CFA par rapport à l'euro apparaît comme une solution à ce problème, en raison notamment du poids que l'on s'accorde à reconnaître à l'UE dans les échanges extérieurs de la zone franc (Semedo et Villieu, 1997; Claassen, 1998). Mais, compte tenu justement de ce contexte financier, c'est vers un taux de change flexible ou un taux de change fixe avec parités ajustables qu'il conviendrait de s'orienter. On définirait alors un taux de change d'équilibre fondamental du franc CFA par rapport à l'euro, en prévoyant une bande de fluctuations acceptable. Un tel taux pourrait être fixé par un commun accord entre les pays africains et les ministres des Finances de l'UE. Si un accord bilatéral de cette nature n'est pas possible, les pays africains ont la possibilité de fixer unilatéralement la parité fixe du franc CFA par rapport à l'euro. Cela permettrait, d'une part, d'arriver à un arbitrage optimal entre la stabilité du change et la flexibilité de la politique monétaire, étant donné que les autorités publiques doivent à la fois parvenir à la souveraineté monétaire et être soucieuses de la stabilité du change. A cet avantage s'ajoute, d'autre part, le fait qu'un tel mode de rattachement permettrait de dédramatiser les modifications de parités. En effet, la banque centrale pratiquerait une politique monétaire plus souple sachant qu'en cas de nécessité, le taux de change peut être réajusté à l'intérieur de la bande de fluctuations. Pour éviter les effets de l'instabilité induite par les fluctuations des grandes monnaies comme le dollar, la base référentielle de définition des francs CFA pourrait être élargie par l'adoption d'un panier de monnaies 122 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC d'ancrage. Mais là n'est pas le nœud gordien, car l'entremise du partenaire français conduit à des politiques monétaires et de change extraverties. Elle paraît superflue, puisque la BCEAO et la BEAC ont la possibilité de décider de la mise en commun de leurs réserves de change à un endroit autre que le Trésor français. La centralisation des réserves de change présente l'avantage de faire jouer la solidarité. Un pays en difficulté peut effectivement bénéficier de la situation créditrice des autres; le cas d'un assèchement total des réserves pour l'ensemble des quatorze pays africains étant exceptionnel. Mais bien au-delà, elle servirait par l'effet de volume qu'elle crée à assurer la convertibilité du franc CFA, ou sa conversion en devises. En effet, c'est l'importance des réserves qui fait la convertibilité, moyennant certes quelques arrangements avec d'autres banques centrales du monde, et dans le cas d'espèce avec la Banque centrale européenne. L'importance des avoirs extérieurs détermine en même temps la force de la monnaie. Les réserves variant en fonction du degré de compétitivité des économies nationales sur le plan international, cela renvoie à des questions bien complexes telles que la quantité et la qualité des produits et des services exportés, la maîtrise des technologies de pointe, etc. Autrement dit, derrière la monnaie, se profile le poids économique. Et on comprend alors pourquoi le paradoxe des regroupements, plus spécialement autour d'une monnaie, dans un contexte de mondialisation, l'union faisant la force. C'est dire que la monnaie constitue un facteur important du poids économique, qui détermine à son tour la force de la monnaie. Il s'agit donc d'un cercle vicieux, l'obtention d'un profil approprié pour la monnaie: une œuvre de longue haleine. Bibliographie Aglietta M., Baulan C., Coudert V. (1998), « Pourquoi l'euro sera fort. Une approche par les taux de change d'équilibre », Revue économique, vol. 49, n° 3, mai, p. 721-731. Allais M. (1993), «L'intégration monétaire de la Communauté économique européenne », Revue d'économie du développement, n° 2, p. 135152. Andely R. R. (1997), Financement des investissements en Afrique centrale: blocages actuels et stratégie de relance. [communication au Séminaire sur la mobilisation de l'épargne longue et le financement des investissements en Afrique centrale, organisé par la Banque des États de l'Afrique centrale, Libreville, du 24 au 26 mars]. Artus P. (1996),« La spéculation », Revue économique, vol. 47, n° 3, mai, p.409-424. RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 123 Artus P. 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L'inéluctabilité de ce changement de parité a été abondamment soulignée par les partisans de la dévaluation, au premier rang desquels on retrouvait le FMI et la Banque mondiale qui en soulignaient la nécessité pour compléter le dispositif d'ajustement dans lequel s'était engagé l'ensemble des pays de la zone franc, à l'instar d'ailleurs de tous les autres pays du continent. On a souligné la forte surévaluation du franc CFA qui a accentué la détérioration des termes de l'échange estimés entre 1985 et 1992 à 45 %. Cette détérioration induisait elle-même un approfondissement de la crise, dont les manifestations s'exprimaient à travers la croissance négative du PIB estimée à - 0,6 % l'an en volume (- 3,6 % par habitant) pour la période 19861993, contre une croissance de 4,6 % l'an pour la période 1975-1985 1• Elle se manifestait aussi par l'ampleur des déficits budgétaires passés pour l'ensemble de la zone de 5 % du PIB en moyenne dans la période 1973-1985 à 7,6 % entre 1986 et 1993 et par l'accroissement des déséquilibres de balance des paiements. Pour l'ensemble de la zone, le déficit de la balance des paiements courants passe en effet de 6,5 % du PIB entre 1975 et 1985 à 7,4 % pour la période 1986~ 1993. La détérioration de l'équilibre extérieur. 1. FMI, World Economie Outlook, 1994. Banque de France, « La zone franc, rapport annuel », 1994. 130 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC se traduit d'ailleurs par une forte accumulation d'arriérés significative de la grave crise d'endettement qui affecte l'ensemble de ces pays. Si l'ensemble de ces pays s'engage dans un processus d'ajustement, celuici est considéré comme incomplet dans la mesure où l'ajustement interne ne s'accompagne pas d'un ajustement extérieur, dont le changement de parité constitue la manifestation la plus tangible. Les premiers accords de confirmation sont en effet signés à la fin des années 1970. La Côte d'Ivoire, par exemple, a signé son premier accord stand by en 1979, suivi d'un autre le 24 février 1981. Rapidement, ce qui n'apparaissait alors qu'une exception se généralise à l'ensemble des pays africains qui s'engage ainsi dans un processus dont le Zaïre avait ouvert la voie en 1975. Mais alors que dans les autres pays africains l'ajustement est interne et externe, combinant à l'intérieur des mesures touchant aux finances publiques et à la politique monétaire, et à l'extérieur, une modification de la parité, conduisant en fait et systématiquement à la dévaluation, il n'en va pas de même pour la zone franc où l'ajustement est essentiellement et uniquement interne. Un débat oppose certes en France partisans d'un ajustement de parité, amenés par la Banque de France, et partisans du statu quo, amenés par le Trésor français plus sensibles aux préoccupations des entreprises françaises installées en Afrique. Mais le débat est rapidement clos par ce qui apparaît alors comme un refus définitif de toucher à la parité FCFAIFF. Il faudra attendre la fin des années 1980 et le début des années 1990 pour voir s'opérer un renversement de positions des autorités françaises qui peu à peu se rangent aux arguments du FMI et de la Banque mondiale sur la nécessité d'une dévaluation. Le gouvernement Balladur fait ainsi sienne cette position et engage les pays de la zone à conclure des accords avec le FMI, en préalable à toute aide française à l'ajustement. La dévaluation de 1994 se présente ainsi comme l'aboutissement du processus d'ajustement engagé par les pays de la zone franc et qui doit leur permettre de renverser la tendance, en restaurant la compétitivité, en facilitant la résorption des déficits publics, et en créant les conditions d'un retour à la croissance. Quatre années après la dévaluation, il peut paraître aujourd'hui nécessaire, de jeter un regard rétrospectif sur l'évolution suivie par les économies membres et d'en dresser un bilan objectif. Pour ce faire, nous nous intéresserons d'abord à l'évolution quantitative des agrégats, puis nous analyserons les conséquences structurelles et qualitatives de ce changement de parité en nous intéressant aux effets sur les économies, dans une perspective de développement. L'évolution quantitative des agrégats et indicateurs Le bilan de la dévaluation peut se faire en prenant appui sur l'évolution des agrégats et en s'intéressant aux changements qui les ont affectés. BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 131 Depuis la décision de changement de parité, la plupart, voire la totalité des évaluations des effets de la dévaluation s'en tiennent souvent à ces agrégats pour en relever l'évolution positive depuis le changement de parité intervenu en 1994. On établit alors une relation causale entre cette embellie et la dévaluation du franc CFA. Si l'analyse de l'évolution des agrégats est effectivement nécessaire, elle ne peut suffire à elle seule pour apprécier l'impact de la dévaluation sur les économies de la zone. Il faut en effet aller plus loin en décomposant les divers indicateurs et en s'intéressant aux moteurs de la croissance de manière à mieux cerner les changements structurels intervenus et la capacité acquise ou non des pays à assurer la pérennité de cette croissance. Si l'analyse des agrégats révèle en effet un renversement positif de tendance par rapport à la situation prévalant avant la dévaluation (A), un examen plus fin des moteurs de la croissance donne une vue plus contrastée et conduit à nuancer fortement l'appréciation positive que l'on peut en avoir, à la suite de l'analyse des agrégats (B). Évolution positive des agrégats macroéconomiques L'analyse des agrégats macroéconomiques conduit à la conclusion que le changement de parité a eu des effets positifs, ce qui ad' ailleurs été souligné par les premières études consacrées, dès la première année, à l'analyse des performances économiques des pays membres 2• Si l'on considère ainsi le PIB, celui-ci connaît une évolution positive régulière tout au long de la période, marquant ainsi un renversement net de tendance, par rapport à la période 1985-1993 précédant la dévaluation, dont on a vu qu'elle est marquée par des taux de croissance négatifs. Pour l'ensemble de la zone, le taux de croissance passe de 1,8 % en 1994 à 5 % en 1995, 4,7 % en 1996, 4,3 % en 1997. Cette évolution n'est cependant pas uniforme pour les deux unions monétaires, en l'occurrence l'UEMOA et la CEMAC. En UEMOA,le rythme de croissance semble plus soutenu et plus vigoureux, passant de 2,9 % à 5,6 %,5,3 % en 1996 et4,8 % en 1997. L'impulsion est donnée en particulier par l'économie ivoirienne qui passe d'un taux de 1,8 % en 1994 à 7 % en 1995, sa décélération à 6,1 % en 1996 et 4,8 % en 1987, entraînant de ce fait celle de l'ensemble de la sous-région. Le « Rapport annuel» de la zone estime la croissance pour 1997 à 6 % (p. 54). Dans la CEMAC, la croissance connaît un redémarrage lent, de 0,6 % en 1994, soit le tiers du taux de l'UEMOA, puis le rythme s'accélère, avec un taux de 4,3 % en 1995, et 3,7 %. Là aussi le rythme global est déterminé d'abord par l'économie camerounaise dont le taux négatif s'élève à - 4,3 % en 1994, puis redevient positif en 1995,2,8 % et s'accélère en 1996 et 1997 avec respectivement 2. On se reportera ainsi à la Banque de France, « La zone franc, rapport annuel », 1994. Louis M. Goreux, « La dévaluation du franc CFA, un premier bilan en décembre 1995 », Banque mondiale, 1995. 132 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC 5 % et 5,1 %. Mais le rythme de croissance subit aussi les contrecoups des graves crises sociopolitiques qui affectent deux pays de la sous-région, en l'occurrence le Congo et la RCA, alors que la Guinée-Équatoriale connaît une croissance atypique de 80 % qui ne contribue d'ailleurs qu'à hauteur de 2,5 % au PŒ global de la CEMAC. Le taux de croissance pour 1997 est estimé à 5 % par le Rapport annuel de la zone (p. 66). Si la croissance est positive tout au long de la période, elle tend cependant vers une décélération de son rythme qui amène à se demander si les effets de la dévaluation ne sont pas en train de s'épuiser. L'évolution positive de la croissance s'accompagne, tout au long de la période, d'une décélération de l'inflation. Certes celle-ci s'accroît les deùx premières années qui suivent la dévaluation. La fourchette de croissance de l'indice des prix varie entre 44 % et 55 % pour les 13 pays de la zone, mais une nette décélération s'opère à partir de la fin 1995 et se poursuit en 1997. Pour l'ensemble de la zone, on passe d'un taux d'inflation de 30,6 % en 1994 à 4,8 % en 1996 et 4,1 % en 1997. L'évolution est cependant contrastée entre les deux sous-régions. En UEMOA, on passe d'une hausse de l'indice des prix à la consommation de 28,9 % en 1994 à 4,1 % en 1996 et 3,4 % en 1997, alors que dans la CEMAC, le taux passe de 33,1 % en 1994 à 5,7 % en 1996 et 5 % en 1997. En cumul pour l'ensemble de la période, le taux d'inflation est de 60 % pour toute la zone, 56 % pour l'UEMOA et 66 % pour la CEMAC. La croissance de l'économie s'accompagne aussi d'un redressement des comptes extérieurs qui traduit un desserrement de la contrainte extérieure. On observe, en effet, au cours de la période l'apparition puis le maintien d'un excédent commercial qui permet la réduction du déficit de la balance courante. En UEMOA, le solde commercial passe de - 82 milliards CFA en 1993 à 377 milliards CFA en 1995, 525 milliards en 1996 et 702 milliards en 1997, soit par rapport au PŒ de - 1,1 % en 1993 à 4,8 % en 1997. Le déficit des paiements courants passe, quant à lui, de - 820 milliards CFA en 1993 à - 973 milliards CFA en 1995, et - 645 milliards en 1997. Il semble s'être produit ici entre 1993 et 1995, une sorte d'effet courbe en j, caractéristique habituelle d'une dévaluation. En CEMAC, la balance commerciale passe de 784 milliards en 1993 à 1 452 milliards en 1995 et 2 153 milliards en 1997, soit par rapport au PŒ, 12,9 % en 1993, 15,5 % en 1995, 13,3 % en 1996, 18,5 % en 1997. Le déficit des paiements courants passe de ce fait de - 7,1 % du PŒ en 1993, à - 7,3 % en 1995 et - 2,2 % en 1997. L'amélioration différenciée des comptes extérieurs entre les deux sous-régions reflète les différences de comportements des exportations et des importations, tant dans leur variation que dans leur structure. Dans la CEMAC, on observe une nette progression des exportations en valeur liée à l'accroissement des exportations de pétrole qui, notamment en 1997, bénéficie des effets de la hausse du dollar et d'une relative bonne tenue des cours, alors qu'en UEMOA, l'excédent BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 133 trouve son origine dans le ralentissement du rythme de croissance des importations qui passe de 21,9 % en 1995 à 7,9 % en 1996 et 10 % en 1997, alors que les exportations tendent aussi à se ralentir passant d'un taux de 19,4 % en 1995 à Il,1 % en 1996 et 13,4 % en 1997. L'évolution positive s'observe aussi au niveau des finances publiques, où l'on note un redressement net caractérisé par une forte réduction des déficits. Ainsi en UEMOA, le solde primaire de base passe de - 2,9 % en 1993 à -0,7 % en 1995, 1,7 % en 1996 et 0,9 % en 1997. Le solde budgétaire base engagement qui s'élevait à - 9,5 % du PIE en 1993 passe à - 6,1 % en 1995 et - 4,5 % en 1997. Quant au solde budgétaire base versement, il passe de - 4,7 % en 1993 à - 8,2 % en 1995 et - 6,1 % en 1997. Le redressement semble cependant marquer ici le pas, comme si se dessinait un plafonnement du déficit. En CEMAC, l'amélioration a connu un rythme plus rapide, en raison notamment du poids de la fiscalité pétrolière. Le solde budgétaire base engagement est passé de - 9,3 % en 1993 à - 3,2 % en 1995, - 0,9 % en 1997, tandis que le solde budgétaire base versement passait quant à lui de + 0,2 % en 1993 à - 4 % en 1995 et - 4,1 % en 1997. Si les agrégats macroéconomiques permettent de conclure à un bilan globalement positif, une analyse plus fine de divers autres indicateurs significatifs conduit à une conclusion plus nuancée et à s'interroger sur la relation causale entre la dévaluation et l'évolution positive observée, d'autant que les moteurs de la croissance révèlent la persistance de la fragilité des économies et leur vulnérabilité en cas de nouveau retournement de tendance sur les marchés des matières premières. Des moteurs de la croissance révélateurs de la fragilité persistante des économies L'analyse des performances économiques des pays membres de la zone franc depuis la dévaluation ne peut se limiter à l'observation de l'évolution apparente des agrégats macroéconomiques. Cette analyse doit être complétée par une autre axée sur les indicateurs pouvant permettre de cerner les changements apparus dans ces économies et sur les variables ayant pesé de manière significative dans l'évolution positive observée. Il faut à cet effet prendre en compte, d'une part, le contexte économique mondial dans lequel s'est déroulée la dévaluation et, d'autre part, les moteurs de la croissance pour cerner le degré d'autonomie acquis par les économies de la zone et l'ampleur des marges de manœuvre acquises à la suite de la dévaluation. Lorsqu'on fait un rapprochement entre la dévaluation et le contexte qui a prévalu tout au long de la période, on observe que ce changement de parité intervient dans un contexte de reprise générale de l'économie mondiale et de hausse des cours des principaux produits d'exportation des pays membres, qu'il s'agisse du pétrole, du cacao, du café ou du coton. Les pays producteurs bénéficient par ailleurs pour la plupart de conditions climatiques favorables. La bonne tenue de la demande mondiale, alliée à des cours 134 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC internationaux élevés, favorise ainsi une croissance vive des productions de rente et des produits forestiers. Le coton, dont la production augmente considérablement dans tous les pays membres producteurs de la zone, peut à ce niveau être considéré comme le produit symbole de cette conjonction favorable entre la reprise de l'économie mondiale et la remontée spectaculaire des cours, qui a pour facteur amplificateur la dévaluation survenue dans les pays de la zone. Il est donc difficile d'imputer aussi bien la croissance globale que le redressement des comptes extérieurs à la dévaluation seule, même si l'on ne peut nier qu'elle ait amplifié les effets bénéfiques de l'évolution positive des cours et de l'accroissement des volumes. On peut d'autant moins le soutenir que les hausses des prix aux producteurs n'ont souvent été que des répercussions mécaniques des effets de la dévaluation, sans amélioration significative du pouvoir d'achat des producteurs de nature à stimuler significativement la production. La décomposition de la croissance conduit tout autant à la nuance. Celleci permet en effet de mettre en évidence les principaux moteurs de la croissance. Ceux-ci peuvent être saisis à partir de l'équilibre ressource-emploi et l'on observe alors que la croissance sera affectée négativement par le rééquilibrage qui s'opère dans la structure des revenus et qui conduit à une détérioration nette des revenus urbains, sans que la hausse observée des revenus des producteurs ruraux compense totalement cette baisse. Mais on peut aussi saisir les moteurs de la croissance en s'intéressant à la contribution des différents secteurs d'activités à la croissance et à la manière dont certaines améliorations, telles celles relatives aux finances publiques, sont obtenues. On constate alors que le secteur primaire en général, les produits de rente en particulier, constitue la principale source de la croissance, alors que le secteur industriel ne modifie pas significativement sa contribution, ce que révèle d'ailleurs l'évolution du taux d' investissement ou la structure des exportations fortement concentrée sur les produits de rente. Considérons d'abord l'équilibre ressource-emplois. Les modifications intervenues dans la structure des revenus, avec un rééquilibrage en faveur des zones rurales, affectent la contribution de la demande intérieure à la croissance. La part de la consommation notamment privée tend à se réduire du fait de la baisse drastique des revenus urbains non compensés par un accroissement plus important de la consommation des ménages ruraux. Ainsi en UEMOA, et pour ne prendre que l'année 1997, c'est la consommation des ménages qui tire la croissance dont on voit cependant le rythme se ralentir, mais c'est précisément l'année où, dans la sous-région, la croissance du revenu urbain redevient supérieure à celle du revenu rural, du fait que les augmentations des prix aux producteurs liées à la croissance n'interviennent qu'avec retard, au début de la campagne suivante. La contribution de l'investissement reste faible. Pour l'UEMOA, l'investissement passe de 3 % sur un taux de croissance de la demande intérieure BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 135 de 8,4 % en 1995, à 0,7 % en 1996 pour un taux de 4,3 %, et 1,6 % en 1996, pour un taux de 4,8 %. En CEMAC, l'investissement représente - 0,7 % pour 3,7 % de croissance de la demande intérieure, 4,3 % en 1996 pour 7,3 % et - 1,1 % pour 0,7 % de demande intérieure. Les exportations jouent un rôle décisif dans la croissance en CEMAC, en particulier les exportations primaires pétrolières. La croissance reste en outre tributaire des variations climatiques qui affectent la production intérieure. Il en est particulièrement ainsi en UEMOA, où la production vivrière se trouve affectée, en particulier en Côte d'Ivoire et au Sénégal. Dans le premier pays, la croissance tirée par les exportations, notamment de cacao en 1995 et 1996, est ralentie en 1997 par la baisse de la production vivrière de l'ordre de - 20 à-30 % et qui affecte en particulier le riz. Dans le second pays, la baisse de la production vivrière, qui est particulièrement ressentie en 1996 et 1997, se conjugue avec le ralentissement de la croissance des exportations des produits de la pêche et la baisse de celle du phosphate et de l'arachide. Cependant, les pays de la zone bénéficient de gains substantiels de compétitivité, grâce à une évolution favorable du taux de change effectif réel. Une appréciation s'observe certes en 1995, du fait de la persistance de tensions inflationnistes et de la faiblesse du dollar qui se déprécie en nominal de 10 % par rapport au franc français, mais la décélération des prix et la stabilité du dollar en 1996, ou son appréciation en 1997, permettent de maintenir les gains de compétitivité. Ceux-ci sont évalués depuis 1994 à 29 % pour l'UEMOA et 22 % pour la CEMAC. L'ampleur des gains de compétitivité est tout à fait significative du rôle déterminant joué par le secteur primaire dans le renversement de tendance observé dans l'évolution de la conjoncture économique dans tous les pays membres. Cette évolution contraste avec la relative atonie des activités industrielles, malgré la nette reprise des activités du secteur des hydrocarbures et de la branche textile dans l'ensemble de la zone, et particulièrement en Côte d'Ivoire, au Cameroun, au Niger. Les gains de compétitivité expliquent donc le rôle moteur joué par le secteur primaire dans le dynamisme de l'activité et la reprise de la croissance, la dévaluation amplifiant l'évolution favorable des cours. Les cultures d'exportations telles que le coton dont la production connaît un véritable boom et, dans une moindre mesure, le cacao et le café, jouent ainsi un rôle déterminant, d'autant que des réformes sont entreprises pour rationaliser les circuits de commercialisation et assurer une rentabilité soutenue des diverses filières. Ceci est particulièrement remarquable en UEMOA, mais la CEMAC n'est pas en reste, elle qui bénéficie par ailleurs de l'essor des exportations pétrolières, qu'affecte positivement la tendance à l'appréciation du dollar. Celle-ci compense ainsi, depuis la fin 1997, la baisse des cours. Pendant cette période, toutes les sphères agricoles sont redevenues très rentables. Si le secteur primaire constitue le principal moteur de la croissance, il n'en va pas de même de l'industrie qui, malgré la reprise, n'exerce pas un l36 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC attrait suffisant pour les investissements dont nous avons par ailleurs déjà souligné la faiblesse, exception faite des divers investissements réalisés dans le secteur des hydrocarbures. Certes, certains pays de la zone, à l'instar de la Côte d'Ivoire, connaissent une reprise relativement forte de l'activité industrielle, mais l'impact global de cette activité sur la croissance reste limité, alors qu'on aurait pu s'attendre à un effet de substitution stimulant la production manufacturière locale, du fait du renchérissement des produits concurrents extérieurs. On aurait aussi pu s'attendre à une capitalisation des gains de compétitivité à l'égard de certains pays voisins tels que le Nigeria. Mais on observe que ni ces gains de compétitivité, ni la pression de la demande intérieure n'ont suffi à susciter une réelle diversification de la production manufacturière, ni une extension notable des activités existantes de transformation. De ce fait, malgré la relative progression de la formation brute de capital fixe et du taux d'investissement, celle-ci reste insuffisante pour pouvoir impulser un véritable décollage de la zone. S'agissant de la contrainte extérieure, l'analyse des facteurs de desserrement conduit là aussi à tempérer l'optimisme. L'amélioration est certes en partie liée à la bonne tenue des exportations déjà relevée, mais elle tient aussi aux divers apports en termes d'aide dont bénéficient les pays de la zone de la part des bailleurs de fonds, alors qu'on s'attendait à une augmentation plus forte des flux de capitaux au titre des investissements directs ou de portefeuille. On peut, de ce point de vue, donner raison à Jean Coussy qui affirme que « pour les pays africains, la dévaluation n'a pas pour but immédiat, de réduire les déséquilibres extérieurs (ce qui ne semble ni atteignable, ni souhaitable), mais d'obtenir le financement extérieur de ces déséquilibres 3 ». Les flux d'assistance exceptionnelle en provenance des bailleurs de fonds passent en effet de 3,4 milliards de dollars en 1993, à Il,1 milliards de dollars en 1994 4 • A ces flux, il faut ajouter les allégements de dettes intervenus tout au long de la période. Ces allégements constituaient une composante du train des mesures d'accompagnement de la dévaluation. Mais en dépit de ces allégements, la dette extérieure s'est régulièrement accrue tout au long de la période pour l'ensemble des pays membres. La dévaluation a d'ailleurs eu pour effet mécanique d'alourdir aussi bien le stock de dettes que le service de la dette. Les estimations faites à la suite de la dévaluation montraient que sans rééchelonnement, le service de la dette dépasserait 80 % des revenus du gouvernement dans six pays de la zone pour atteindre dans certains cas, tels que le Congo ou le Niger, plus de 100 %. La dette extérieure constitue ainsi un facteur déterminant de la contrainte extérieure, expliquant en partie l'incapacité des États à dégager un volume de ressources suffisant pour financer ou soutenir l'investissement d'équipements, d'infrastructures ou productif. L'encours de la dette est passé de 3. J. Coussy, « Dévaluation, des objectifs évolutifs ", Politique africaine, nO 54, 1994. 4. Louis M. Goreux, op. cit., p. 11. BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 137 12,7 milliards de dollars en 1994 à 22 milliards de dollars en CEMAC, 25,9 milliards en 1996 et 25,1 milliards en 1997. En UEMOA, l'encours est passé de 29,6 milliards de dollars en 1993 à 31,9 milliards en 1994, 33,4 milliards en 1997. Cette évolution de l'encours et le service de la dette qui en découle expliquent ainsi la progression constante du déficit des services aussi bien en UEMOA qu'en CEMAC, du fait notamment de l'augmentation des paiements d'intérêts. S'agissant enfin des finances publiques, l'analyse de la structure des budgets des États montre qu'au-delà de l'amélioration globale observée significative d'un effort certain de maîtrise de la dépense publique, l'équilibre des finances publiques de la plupart des pays tant en UEMOA qu'en CEMAC repose encore sur des financements extérieurs sous forme de dons, de prêts bonifiés ou de financements exceptionnels, en particulier sous forme d'allégements de dettes. Ceux-ci expliquent, pour une large part, la réduction du déficit budgétaire global base engagement en CEMAC en 1996 par rapport à 1995 où il passe de - 3,1 % du PIB en 1995 à - 1,5 % du PIB en 19965, du fait d'une stabilisation des intérêts sur dette extérieure. Les arriérés de paiement ont d'ailleurs considérablement diminué passant de - 369 milliards en 1993 à - 689 milliards en 1994, - 182 milliards en 1996et- 239 milliards en 1997 pourl'UEMOA, et de 582 milliards en 1993 à - 1 780 milliards en 1994, - 939 milliards en 1996 et - 375 milliards en 19976 . La prise en compte de tous ces indicateurs conduit à la conclusion, d'une part, que l'amélioration observée ne peut être imputable à la seule dévaluation dont il faut cependant reconnaître une part d'impact positif et, d'autre part, à mettre en lumière les éléments de fragilité qui accompagnent cette évolution. On est alors amené à s'interroger sur l'incidence de la dévaluation aussi bien sur l'amélioration des conditions économiques et sociales que sur le développement général de ces économies. La dévaluation et la capacité des économies à relever les défis du développement La dévaluation, on l'a vu, a été présentée comme un complément indispensable du processus d'ajustement interne des économies de la zone, dont l'objectif était de les rendre à nouveau compétitives, et de les restituer rapidement sur le sentier de croissance. De ce fait, le rétablissement de l'équilibre extérieur devait s'accompagner d'effets restructurants tant dans la 5. Banque de France, «La zone franc, Rapport annuel » 1996, p. 61. 6. Ministère français de l'Économie et des Finances, « Évolution à deux ans des pays de la zone franc dans le nouvel environnement mondial né de la crise asiatique », mars 1998. 138 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC répartition du surplus économique que dans l'allocation des facteurs et le rôle respectif des acteurs de l'économie, notamment l'État et les agents privés en général, les entreprises en particulier. Ces effets restructurants devaient permettre aux économies d'acquérir une capacité forte à soutenir une croissance durable et d'amorcer un véritable processus de développement. Peut-on dire que ces résultats aient été atteints? La réponse à cette question dépend de la prise en compte d'un ensemble d'éléments dont deux nous paraissent particulièrement importants: les changements dans les conditions de vie et l'absorption interne, et la nature des mutations structurelles imprimées aux économies. Une tendance forte à la détérioration des conditions de vie La dévaluation devait opérer un ajustement sur l'absorption interne par une modification de la répartition et donc de la structure des revenus. Il s'agissait, d'abord, d'induire une substitution entre la production intérieure et la production extérieure, au détriment de cette dernière. Il s'agissait, ensuite, d'opérer une modification de la structure de répartition des revenus au bénéfice des producteurs et au détriment des couches de populations les plus favorisées, assimilées ici à la population urbaine. Cette modification de la répartition devait d'ailleurs accélérer l'ajustement de l'absorption intérieure et amplifier l'effet de substitution souhaitée. L'analyse de l'évolution de la distribution des revenus montre qu'effectivement une modification s'est opérée, se traduisant par une réduction drastique des revenus des populations des zones urbaines. Cette modification se traduit notamment par les fortes réductions de salaires nominaux ou/et la perte nette de pouvoir d'achat des revenus salariaux des agents de l'État. Dans tous les Etats, la masse salariale a fortement diminué dans la dépense publique totale. Elle passe ainsi de 43 % en 1993 dans l'UEMOA à 32 % en 1997, et de 50 % en 1993 en CEMAC à 37 % en 1997. Cette réduction de la part des salaires s'accompagne d'une forte réduction de pouvoir d'achat sous l'effet conjugué et des réductions nominales de l'inflation et de la dévaluation. La perte de pouvoir d'achat est en moyenne de 35 % mais dans certains cas elle atteint 60 %, le Cameroun étant ici l'exemple type. Cette recomposition de la masse salariale publique a par ailleurs pesé lourd dans la politique salariale des autres secteurs, contribuant de ce fait à réduire le coût de la main-d' œuvre en devises. Les revenus des producteurs ont quant à eux suivi une évolution positive, mais à l'analyse, celle-ci s'est traduite dans la plupart des cas par des hausses mécaniques des prix en valeur nominale. Cet effet mécanique n'a pas été suffisant pour compenser la baisse du pouvoir d'achat des populations rurales du fait de l'inflation. Celle-ci a certes souvent compensé la perte de pouvoir d'achat par de l'autoconsommation, mais cette substitution traduit une tendance à l'appauvrissement de la même nature que l'effet Veblen où le pauvre consacre une BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 139 part plus importante de son revenu aux biens inférieurs. D'une manière générale, la dévaluation a provoqué ou amplifié la détérioration des conditions de vie de l'ensemble de la population, qu'elle soit urbaine ou rurale. Nombre d'analyses, notamment du côté des bailleurs de fonds, se sont souvent réjouies de la réduction des revenus de la population urbaine, comme si celle-ci impliquait nécessairement un transfert vers les populations rurales. Or, il n'en est rien, la réduction des revenus urbains et la perte de pouvoir d'achat se traduisent en fait par un appauvrissement plus étendu, avec des conditions de vie plus difficiles, qui ne peut être aisément traduit au niveau des comptes nationaux et des agrégats économiques. Cette détérioration des conditions de vie peut se mesurer aux difficultés de plus en plus fortes pour la majeure partie de la population à accéder à l'éducation et aux services de santé. On peut à cet effet s'étonner que dans son bilan de la dévaluation, Goreux affirme que la dévaluation a réduit les coûts de l'enseignement primaire et des soins de santé? Ceci est d'autant plus étonnant que s'agissant de l'éducation et de la santé, les prix des deux composantes essentielles que sont le livre et le médicament ont connu une forte hausse que n'ont pu compenser les mesures de soutien prises par la France dans le cas du livre et la politique d'utilisation du générique dont les résultats sont jusqu'à présent insignifiants. L'OMS a évalué la hausse des prix de médicaments à 70-80 %. L'informalisation croissante traduit d'ailleurs en partie cette accélération de la détérioration des conditions de vie. La difficulté d'accès à l'éducation et aux soins de santé est d'autant plus grande que les capacités d'accueil des structures sont restées limitées, les budgets des États ne permettant ni le financement des investissements qui y sont liés, ni la maintenance des infrastructures et équipements existants. La qualité des services s'est d'ailleurs considérablement détériorée du fait de la faible incitation des enseignants frappés de plein fouet par la perte de pouvoir d'achat et la dégradation de leurs conditions de travail symbolisée en particulier par les effectifs pléthoriques et la pénurie des maîtres observée dans la plupart des pays. D'ailleurs, dans pratiquement tous les pays, on observe des phénomènes de déscolarisation qui traduisent les difficultés des conditions de vie auxquelles les populations sont confrontées. La reprise observée ne semble pas jusqu'à présent avoir des répercussions significatives sur les conditions de vie. Les bénéfices de la croissance sont dans la plupart des cas absorbés par le service de la dette, qui constitue la préoccupation majeure des bailleurs de fonds et des gouvernements. On observe en même temps des substitutions dans la structure de consommation, avec une tendance forte à la consommation de produits intérieurs, en particulier dans l'alimentation, mais la production vivrière qui a augmenté un peu partout se heurte à de difficiles problèmes de transport et 7. Louis M. Goreux, op. cit., pp. 94 et suiv. 140 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC d'organisation des circuits de distribution, en même temps qu'elle reste soumise aux aléas climatiques. La réduction du pouvoir d'achat a d'ailleurs été telle dans certains pays que l'insuffisance de la demande intérieure constitue aujourd'hui un des problèmes majeurs auxquels sont confrontées les entreprises et qui freine la reprise de l'investissement. Des mutations structurelles renforçant le statu quo L'analyse des mutations structurelles amène à s'interroger sur la capacité des économies de la zone à amorcer un véritable processus de développement et à relever les défis d'une mondialisation où la hiérarchie des économies est déterminée par l'aptitude à maîtriser l'invention et la technologie. Lorsqu'on considère par exemple la croissance, on constate que le principal moteur en est le secteur primaire fait de cultures de rente (cacao, coton, café) ou de produits miniers non transformés (pétrole, or, phosphate). C'est l'évolution favorable des cours, amplifiée par la dévaluation et les bonnes conditions climatiques qui a tiré la croissance. C'est sur ces filières qu'ont porté les réformes et leur rentabilité a exercé un effet d' entraînement positif sur l'ensemble de l'économie. En d'autres termes, grâce à la dévaluation, les pays membres de la zone renforcent leur ancrage dans des produits dont la part dans le commerce international devient chaque jour marginale, et dont la dépendance a été précisément un facteur déclenchant essentiel de la criseS. Une telle évolution est d'autant moins réjouissante à moyen et long terme que la dévaluation n'a pas induit une diversification significative de l'économie, ni en faveur de la transformation de ces produits pour en accroître la valeur ajoutée, ni en faveur de la production manufacturée dont la part ne s'est pas accrue ni dans les exportations, ni dans la consommation intérieure. En d'autres termes, il suffirait que se produise un nouveau retournement de tendance dans l'évolution des cours pour que les pays soient à nouveau confrontés à des problèmes graves et que la contrainte extérieure se renforce. Ce risque de ralentissement est déjà perceptible depuis 1997, où les pays semblent avoir épuisé les effets positifs de la dévaluation. Mais il l'est encore plus depuis que la crise des pays asiatiques fait planer la menace d'une réduction du rythme de la croissance mondiale, avec les conséquences qui pourraient en découler pour la demande des produits de rente agricoles ou miniers. La crise asiatique fait peser une menace supplémentaire du fait que la dépréciation continue des monnaies de ces pays risque d'annuler les gains de compétitivité dus à la dévaluation. Par ailleurs, les pays producteurs de pétrole de la zone risquent de pâtir de la conjonction 8. B. Bekolo-Ebe, « L'Afrique va-t-elle vers la perte de ses avantages compa-ratifs ? » (A paraftre dans Africa Development.] BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 141 des effets de la baisse du dollar et de la baisse des cours que le ralentissement de la croissance accélérera. Les enquêtes tendent à montrer que certaines branches industrielles ont bénéficié de la dévaluation. Tel est le cas, en particulier, des industries de transformation des produits agricoles exportés (huileries, usines d'égrenage de coton ou de décorticage d'arachide, etc.). Mais ceci n'a pas eu d'incidence significative se traduisant par exemple par une augmentation des investissements de capacité. Dans certains cas, la dévaluation a constitué une protection par rapport à la concurrence extérieure. Cela a concerné en général des entreprises orientées vers l'approvisionnement du marché intérieur. Mais leur potentiel de développement ne s'en est pas trouvé modifié. Bien au contraire, il a même été souvent contraint par la réduction et la perte de pouvoir d'achat de consommateurs intérieurs. Certes, les évolutions sont contrastées suivant les pays. La Côte d'Ivoire, par exemple, a connu une sorte d'euphorie au cours de la période, du fait notamment de la reprise d'activités dans les branches de l'électricité, du textile et de l'agroalimentaire, mais il s'agit d'une exception qui contraste par exemple avec la stagnation observée de l'activité au Cameroun. La faiblesse du secteur industriel doit d'autant être relevée que la contribution au desserrement de la contrainte extérieure est faible d'un double point de vue. D'une part, ce secteur contribue peu à la modification qualitative de la structure des exportations, alors la compétitivité des économies dans le processus actuel de mondialisation est à ce prix. D'autre part, il contribue a contrario négativement à la rigidité de la structure des importations du fait de l'importance des importations de consommations intermédiaires et des équipements. Le faible développement du secteur manufacturé rend d'ailleurs difficile la résolution du problème de l'emploi, qui constitue ici une caractéristique majeure des économies. Mais, quel que soit le secteur ou la branche, on ne peut que s'inquiéter de la fragilité caractéristique de ces économies en considérant la faiblesse de l'investissement tant l'investissement d'infrastructures et d'équipements, que l'investissement productif. Nulle part, le taux d'investissement ne dépasse 18 %, alors que dans certains pays (Côte d'Ivoire, Cameroun) il avait atteint 30 % en moyenne au cours de la période de croissance contra cyclique9 . Selon les estimations du Comité monétaire de la zone, le taux d'investissement en UEMOA est passé de 15,4 % en 1994 à 17,1 % en 1995,16,8 % en 1996 et 18 % en 1997. En CEMAC, il est passé de 22,9 % en 1994 à 19,7 % en 1997,23,3 % en 1996 et 20,1 % en 1997. Les chiffres apparemment plus favorables en CEMAC sont essentiellement liés à des investissements pétroliers exceptionnels au Congo et en Guinée-Équatoriale 1o . Le faible niveau de l'investissement productif comme d'ailleurs de 9. B. Bekolo-Ebe, « Retrospective d'une décennie de croissance de l'économie camerounaise 1975-1986 », Revue camerounaise de management, n° 3-4, avril-juin 1987. 10. «Zone franc, Rapport annuel », p. 54 et 66. 142 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC l'investissement d'infrastructure et d'équipement rend compte du fait que non seulement l'État a vu ses moyens se restreindre drastiquement en conséquence des politiques d'assainissement des finances publiques, mais encore et surtout que cette évolution à la baisse n'a pu être compensée ni par une reprise des investissements privés intérieurs ni surtout par un afflux de capitaux extérieurs dont on attendait pourtant l'arrivée massive, à la suite du changement de parité. Alors que l'investissement reste faible, que la diversification ne s'est pas significativement amorcée et que la production industrielle plafonne, les économies voient leurs contraintes se renforcer, avec notamment le poids de la dette extérieure et de son service que les allégements successifs ne desserrent pas. La contrainte d'endettement relativise ainsi les performances en matière de finances publiques, surtout lorsqu'on considère le poids des contributions extérieures dans le rétablissement de l'équilibre. La maîtrise de la dépense publique n'est d'ailleurs pas sans poser des problèmes graves à l'État quant à sa capacité à tenir ses obligations et à intervenir de manière efficiente. La dévaluation s'est accompagnée, dans la plupart de ces pays, d'une perte d'efficacité de l'État, d'une augmentation de l'inefficacité - X, liée à une démobilisation de son personnel chez qui les réductions de salaires et les pertes de pouvoir d'achat ont développé des comportements opportunistes de type passager clandestin, et dont rendent compte l'amplification des phénomènes de corruption et le développement des prélèvements de type privé. De ce point de vue, l' informalisation accrue de l'économie, accentuée depuis la dévaluation, ne peut qu'inquiéter, en tant qu'il révèle la fragilisation d'un État dont le rôle et les activités doivent certainement être redéfinis et redéployés au moment où il est précisément le plus faible, et où l'on attend que son pouvoir de coordination rende possible et crédible l'anticipation de l'avenir. Par ailleurs, cette informalisation pose le problème de la place que devraient occuper les acteurs privés en général, les entreprises privées en particulier, dont le développement a besoin de règles claires, alors même que l'informalisation rampante en constitue la négation, et que la faiblesse de l'État ne permet pas d'y mettre fin ou de lui marquer des limites. Il faut enfin évoquer le problème de l'intégration, dont on attendait qu'elle fût stimulée à la suite de la dévaluation. Si l'on s'en tient aux échanges, on observe effectivement un certain développement des échanges internes à la zone, en particulier en UEMüA. Mais ces flux, pour croissants qu'ils soient, n'en restent pas moins marginaux, dans l'ensemble du commerce extérieur sous réserve de la part d'échanges informels non répertoriés au niveau de la comptabilité nationale. Si les structures se sont mises en place en termes d'institutions dans chaque sous-région, la réalité de l'intégration reste cependant encore bien en deçà des attentes. Les pays de la zone restent encore polarisés par la France, alors même que celle-ci s'est totalement déployée en direction de l'Europe. Le maintien de la convertibilité des billets entre les deux sous-régions illus- BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 143 tre d'ailleurs à souhait l'absence d'intégration réelle, au-delà des discours et déclarations d'intention en la matière. Il faut cependant relever l'effort significatif fait dans la zone UEMOA et les avancées qu'y a réalisées l'intégration. L'essentiel des institutions a été mis en marche pour donner corps au processus d'intégration. Il en est ainsi de l'union monétaire avec la réforme de la politique monétaire, la mise en place effective des mécanismes de surveillance des politiques macroéconomiques, le fonctionnement de la Cour de justice de l' Union. Il en est de même de l'intégration financière dont le fonctionnement effectif de la Bourse régionale d'Abidjan est le symbole. De même, doit-on souligner l'avancée en matière de libre circulation des biens et des personnes. La situation est plus mitigée en CEMAC où les institutions sont encore pour l'essentiel à leur phase de démarrage. Même des institutions plus anciennes telles que la COBAC ont encore du mal à imposer leur autorité, alors que celle-ci est une condition d'approfondissement de la crédibilité de la CEMAC en général du système bancaire en particulier. De même, la libre circulation des biens et surtout des personnes reste-t-elle ici encore du domaine du discours. L'ensemble de la zone ne nous paraît pas encore avoir suffisamment capitalisé la solidarité de destin de nos économies, dont la dévaluation à taux unique a été la manifestation contraignante, voire douloureuse. Cette absence d'intégration explique d'ailleurs l'absence d'initiative propre aux membres de la zone pour poser et discuter la question des liens futurs entre le franc CFA et l'euro, les uns et les autres s'en remettant alors à la sagesse de la France. Cette situation illustre bien les ambiguïtés des objectifs de la dévaluation dont on peut se demander s'ils étaient commerciaux ou s'ils tendaient essentiellement à assurer une transition vers une économie d'auto-ajustement sans remise en cause de l'influence de la France, qui créait ainsi les conditions d'un partage de la gestion de la zone avec ses partenaires européens. Conclusion Que la zone ait retrouvé la croissance après l'électrochoc de la dévaluation est une évolution dont il faut se féliciter, et qui peut être, au moins partiellement mis à l'actif de la dévaluation de 1994, ne fût-ce que parce qu'elle a positivement amplifié la remontée des cours et hâter le retournement de tendance observé. Mais cet effet positif a son revers, lorsqu'on analyse les moteurs de la croissance. Celle-ci révèle toute la fragilité des économies de la zone franc, étroitement tributaires des cultures de rente dont nous avons vu qu'elle explique, grâce à la remontée des cours, plus de la moitié de la croissance retrouvée. La prépondérance de ces produits est telle que ces économies ne sont pas à l'abri d'une nouvelle crise, aussi grave et profonde que celle dont elles sortent. Et de ce point de vue, la dévaluation a plutôt conforté cette dépendance. La mutation structurelle attendue, en 144 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC faveur notamment de la production industrielle locale, ne s'est pas produite. En d'autres tennes, les gains de compétitivité n'ont pas atteint le secteur industriel, ni modifié conséquemment la structure du commerce extérieur. Or une telle modification aurait permis de compenser en quelque sorte la détérioration des conditions de vie de la population. Et cette détérioration a amplifié la perception globale négative que les agents économiques ont de la dévaluation et les appréhensions actuelles quant à l'occurrence d'une dévaluation qui suivrait l'arrimage à l'euro. Les craintes actuelles d'une nouvelle dévaluation tiennent pour une large part à la dureté des conséquences subies aussi bien par les ménages que les entreprises. Ceux-ci redoutent qu'une nouvelle dévaluation ne soit le signal d'une détérioration encore plus forte de leurs conditions de vie ou de leur profitabilité. L'inquiétude est d'autant plus grande que les désordres monétaires des pays asiatiques et la baisse observée du dollar sur les marchés de change pourraient éroder les gains de compétitivité engrangés et rendre objectivement plausible un nouveau changement de parité. Les révisions que le FMI vient de faire des perspectives de croissance mondiale pour l'année 1999 ne sont pas faites pour calmer ces inquiétudes d'autant que le ralentissement de la croissance mondiale risque d'affecter négativement la demande de certains produits exportés par la zone franc, et partant la résorption des déséquilibres budgétaires ou des balances des paiements. Mais ces inquiétudes sont un indicateur de la conscience que les responsables et agents économiques de la zone ont de la fragilité de l'embellie observée parce que justement, malgré les bénéfices qu'elles ont pu tirer de la dévaluation, leur nature n'a pas fondamentalement changé. Et là est la question existentielle, celle de savoir comment faire pour fonder un développement durable des économies de la zone franc. A cette question, la dévaluation n'a manifestement pas apporté de réponse décisive et convaincante. Bibliographie Bekolo-Ebe B., «Cameroun, rétrospective d'une décennie de croissance », Revue camerounaise de management, n° 3-4, 1997. Bekolo-Ebe B., «Défis, enjeux et perspectives pour l'Afrique à l'aube du Ille millénaire» [Leçon inaugurale prononcée à l'occasion de la rentrée solennelle des Universités du Cameroun, Yaoundé, 12 novembre 1993] [texte publié aux éd. SAMAR, 1994]. Camilleri J-L., « L'impact de la dévaluation sur la petite entreprise au Burkina Faso », Notes de recherche, n° 97-62, 1997 [Réseau Entrepreneuriat, AUPELF-UREFl Comité monétaire de la zone franc, «Rapports annuels, 1994, 1995, 1996, 1997». BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 145 Coquet B. et Daniel lM., « Une dévaluation inutile », Techniques financières et développement, n° 35, 1994. Goreux, L.M. « La dévaluation du franc CFA, un premier bilan en décembre 1995 », Banque mondiale, décembre 1995. Mathis 1. et Maidagi A., « Les effets de la dévaluation du franc CFA sur la rentabilité du secteur manufacturier moderne au Niger », Notes de recherche, n° 96-53, 1996 [Réseau Entrepreneuriat, AUPELF-UREFl Ministère de la Coopération, « Évolution à deux ans des pays de la zone franc dans le nouvel environnement mondial né de la crise asiatique », mars 1998. Politique africaine, « La dévaluation », n° 54, 1994. Semedo G. et Villieu P., La Zone franc, mécanismes et perspectives macroéconomiques, Ellipses, 1997. 6 La dévaluation du franc CFA et la performance économique des filières café, cacao et riz en Côte d'Ivoire Kalilou SYLLA Le modèle de développement ivoirien axé sur l'agriculture a permis d' obtenir une croissance économique remarquable de 7 % en moyenne pendant les deux premières décennies après l'indépendance (Banque mondiale, 1994). A partir des années 1980, le pays sera confronté à la baisse des cours mondiaux de café et de cacao qui lui fournissent l'essentiel de ses revenus, à une forte importation encouragée par l'urbanisation et un taux de croissance démographique élevé et la surévaluation du franc CFA. L'effet conjugué de ces événements est l'absence de croissance économique dans le pays entre 1980-1993 (Diomandé, 1994). La surévaluation est très souvent citée comme étant la cause majeure de cette absence de croissance. Cette surévaluation provenait de la politique industrielle protectionniste, dans les années 1970, qui utilisait comme source de financement les taxes provenant du secteur agricole (Krueger et al., 1988). De ce fait, les coûts de production du café, cacao et du riz étaient relativement plus élevés que ceux des pays concurrents compromettant l'avantage comparatif de la Côte d'Ivoire (Fradet, 1995). Pour palier cette situation, la Côte d'Ivoire a entrepris les programmes d'ajustement structurel (PAS) depuis 1981. L'objectif principal de ces programmes étant la réduction de l'inflation par la compression de la demande globale. Ceci devait permettre l'augmentation des prix relatifs des biens échangeables. Cependant, les PAS sans dévaluation n'ont pas donné des résultats encourageants en ce sens qu'ils n'ont pas pu relever les prix relatifs des biens échangeables pour relancer la production agricole et entraîner la croissance économique par la suite (Devarajan et al., 1993). 148 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Devant les résultats mitigés des PAS et des politiques de vulgarisation (rendements bas par rapport aux pays concurrents), il était impérieux de trouver un autre instrument de politique économique pouvant relever les prix relatifs des biens échangeables pour relancer la production agricole et par conséquent l'économie tout entière. Cependant, Khan et al. (1987) préviennent que la dévaluation seule ne suffit pas, il faut la mise en place des politiques économiques cohérentes avec le taux de change. Tout le problème se trouve à ce niveau. C'est pour cela qu'il faut s'interroger sur l'aptitude de la dévaluation et des mesures d'accompagnement à rétablir la performance économique des filières quand on sait le manque de compétitivité de la filière rizicole avant le réajustement monétaire (Coulibaly, 1996) et l'endettement d'environ 167 milliards de la structure chargée des filières café et cacao (CAISTAB) à cette même période (Ancey, 1994). En outre, compte tenu de l'importance de ces filières, il est nécessaire de dégager les actions prioritaires à mener afin d'améliorer la performance des différentes filières et surtout de déterminer les politiques compatibles avec le nouveau contexte. Dans cette perspective, nous avons retenu le centre-ouest qui est la première région productrice de café et de cacao en Côte d'Ivoire. En plus, elle fait partie des régions importantes en terme de production rizicole. Le choix de ces trois cultures se justifie par l'attention toute particulière dont elles bénéficient de la part des pouvoirs publics ivoiriens. La première section de cette contribution présentera les filières. La deuxième section se focalisera sur le modèle d'analyse et les données. Les résultats feront l'objet de la troisième section. La conclusion et les recommandations seront traitées dans la quatrième section. Les politiques agricoles Les paysans exercent sur de petites superficies de 5 hectares en moyenne pour le café et de 3,5 pour le cacao. Les boutures leur sont livrées presque gratuitement par l'Agence nationale pour le développement rural (ANADER). Les intrants chimiques sont quasiment absents des exploitations, seuls les pesticides (essentiellement la polytrine) sont utilisés par environ 20 % des exploitants de café contre 29 % pour le cacao. Les intrants échangeables agricoles ont fait l'objet d'une réduction de la taxe. Avant la dévaluation, le taux de taxation sur ces intrants était entre 6 % et 26 %. Avec la dévaluation, il est entre 6 % et 15 %. Le crédit rural est pratiquement absent et la dévaluation n'y a rien changé. Par contre, le riz irrigué est pratiqué sur les superficies de moins d'un hectare contre environ un hectare pour le riz pluvial. Seul le riz irrigué fait l'objet d'encadrement et de subvention contrairement au riz pluvial. LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 149 La collecte de café et de cacao est assurée par les traitants qui assurent environ 80 % de la collecte contre 20 % pour les Organisations professionnelles agricoles (OPA). Ces collecteurs ont recours soit à leur fonds propre, soit aux exportateurs pour financer la campagne. La fonction de précollecte est effectuée par les pisteurs qui sont en général préfinancés par les traitants. Le transport des zones de production au port est subventionné pour permettre au prix d'être le même sur toute l'étendue du territoire. Cette subvention était de 24,5 F CFAlkg (avant la dévaluation) contre 9 F CFAlkg (après la dévaluation). Par contre, deux types de collecteurs cohabitent dans la filière rizicole. La collecte officielle subventionnée avant la dévaluation pour permettre un prix à la consommation unique de 160 F CFAlkg conformément à l'arrêté n° 2 du 9 janvier 1984 fixait le prix le long de la filière. Et, la collecte informelle qui bénéficie d'aucune subvention. La subvention a disparu avec la dévaluation. On constate la disparition de la transformation industrielle subventionnée au profit de la transformation traditionnelle et semi-moderne. La structure chargée de la filière riz était CGPP qui a été dissoute pour permettre la libéralisation des importations du riz. Cette structure qui avait un excédent d'environ 39 000 F CFNtonne est sortie largement déficitaire de la dévaluation (37 000 F CFNtonne). Cette situation était expliquée par la subvention apportée au riz importé suite à la dévaluation (Fradet, 1995). Quant aux exportateurs de café et de cacao, ils sont regroupés au sein du GEPEX. Il existe trois types d'exportateurs: l'exportateur usinier, l'exportateur transitaire et l'exportateur pur. Ces exportateurs supportent le droit unique de sortie (DUS) qui était respectivement de 160 et 110 F CFAlkg pour le cacao et le café durant la campagne 1995-1996. Alors qu'il n'existait pas avant la dévaluation (1993-1994). La CAISTAB s'occupe de l'exportation et de la qualité des produits. Ses frais de fonctionnement (appelés le delta) sont passés de 30000 FCFN tonne (avant dévaluation) à 60 000 après la dévaluation (CIRAD, 1996). Avec la libéralisation progressive des filières café et cacao, la CAISTAB est en train de se désengager des ventes des droits de déblocage (quotas à l'exportation) et de réduire ses ventes au comptant. Méthode d'analyse Pour atteindre l'objectif de cette étude, les modèles CHAC (Hazell, 1986), SAM (Sadoulet, 1995) et le modèle multi-marchés (Lalonde, 1993) pouvaient être utilisés. Mais compte tenu du fait que ces modèles sont exigeants en données et qu'ils ne permettent pas d'élaborer autant d'indicateurs de politiques agricoles que la MAP, ce dernier a été choisi. 150 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Aussi, la MAP (Matrice d'analyse de politique) sera le principal instrument d'analyse de la politique agricole en Côte d'Ivoire dans le cadre d'un projet Banque mondiale dénommé PNASA (Projet national d'appui aux services agricoles). La MAP (tableau n°1) permet d'analyser l'impact des politiques économiques sur la compétitivité, le revenu des opérateurs de la filière, d'évaluer l'impact des politiques d'investissement sur l'efficacité économique (Monke et al., 1989). Tableau 1. Une MAP simplifiée COllts Recette (F CFA/tonne) Bénéfice (F CFA/tonne) Intrants Facteurs échangeables domestiques (F CFA/tonne) (F CFA/tonne) Prix de marché A B C D Prix de référence E F G H Divergence 1 J K L Source: Monke et al. (op. cit.). Les variables A, B, C, E, F et G sont fondamentales dans la MAP. Elles permettent de calculer tous les indicateurs de la MAP. La MAP d'une filière est un ensemble de budgets de quatre types opérateurs (paysans [I], collecteurs [2], transformateurs [3], et commerçants [4]) intervenants dans la filière. Les variables fondamentales sont obtenues de la façon suivante : - le bénéfice brut financier A 4 ou A dans la MAP filière. C'est le bénéfice brut financier des commerçants (quatrième [4] opérateur de la filière). C'est ce bénéfice brut qui sert à financer toutes les autres opérations (achat produit au niveau des transformateurs, achat produit au niveau de la collecte et achat du produit aux paysans). Ce bénéfice brut constitue donc celui de la filière. Le bénéfice brut financier de la filière est : A4 _XC pCF 4 4 ou X~ = quantité de riz, café ou cacao vendue par le commerçant et p~F prix financier de vente de café, cacao ou riz par le commerçant. Les coûts financiers des intrants échangeables (B) dans la filière sont: = 4 Bj = a 3 L L XI] PljF- L Xi PiF j=li=1 j=1 xI] = quantité d'intrants échangeables i nécessaire pour l'activité j PI]F = prix financier d'achat de l'intrant échangeable concerné i = 1 ... a éléments échangeables de la filière ou LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 151 j = 1. .. 3 activités de la filière (paysans [1], collecteurs [2] et décortiqueurs [3]) Xi = quantité achetée de café, cacao ou riz pendant l'activitéj PiF = prix financier de café, cacao ou riz acheté pendant l'activité j. Cette soustraction est effectuée pour éviter les doubles emplois dans la filière. Les coûts financiers domestiques (C) de la filière sont: C. = 4 b ~ ~ ~ ) xP ppF ~ 1) 1) j=li=1 XB = quantité d'intrants domestiques i nécessaire pour l'activité j PBF = prix financier d'achat de l'intrant domestique concerné. ou Le bénéfice brut économique de la filière E ou E4 : pEE E4 -- XC 4 4 = prix économique de vente de café, cacao ou riz du commerçant. PrE Les coûts économiques des intrants échangeables de la filières (F): a 4 3 Fj = L L Xv PVE - L Xi PrE j=li=1 j=1 avec PVE = prix économique de vente de l'intrant échangeable concerné PrE = prix économique de vente du café, cacao ou riz pendant l'activité j. Les coûts domestiques économiques ou (G) sont : 4 G. ) = PBE b ~ ~ ~ ~ j=li=1 xP. pPE 1) 1) = prix économique d'achat de l'intrant domestique concerné par les opérateurs de la filière. A part les variables A et E, les autres variables fondamentales sont des sommations des coûts au niveau de chaque étape de la filière. Les prix financiers sont les prix observés sur les marchés. Par contre, les prix sociaux sont des prix sans distorsions. Ces prix ne tiennent pas compte des taxes et subventions (Gittinger, 1984). Connaissant les variables fondamentales, une dizaine d'indicateurs peuvent être calculés, à partir de la MAP (Monke et al., op. cit.). Cependant, compte tenu de l'objectif de l'étude, ils ne seront pas tous utilisés. Pour les cultures différentes, le ratio coût bénéfice financier (CBF) est utilisé pour comparer les profits financiers et le coût en ressource intérieure (CRI) et le ratio coût bénéfice économique (CBE) sont utilisés pour l'avantage comparatif. Cette distinction est faite dans la mesure où l'intensité capitalistique est différente d'une filière à l'autre. En outre, Masters et al. 152 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC (1995) montrent que le CBE est le meilleur indicateur que le CRI pour la mesure de l'avantage comparatif en ce sens que le CBE est compatible avec la maximisation du profit et n'a pas une tendance à sous-estimer les activités peu intensives en intrants échangeables comme le CRI. Cette étude utilisera le CRI pour mesurer l'avantage comparatif, toutefois lorsqu'il y aura une ambiguïté entre le CBE et le CRI dans la prise de décision, le CBE sera privilégié. Nous avons construit une MAP avant dévaluation et une MAP après dévaluation pour chaque culture. Il s'agit de MAP confectionnées avant la dévaluation (1993) et de MAP confectionnées après la dévaluation (1995). La MAP après dévaluation a servi à faire des simulations afin de dégager les actions prioritaires post-dévaluation du gouvernement. Les données ont été collectées de septembre 1995 à septembre 1996. Pendant cette période, les données relatives à la MAP après dévaluation ont été collectées. Les données concernant 1993 ont été fournies par les structures d'encadrement ANADER, CIDT et les données primaires complémentaires ont été recueillies pendant la période d'enquête susmentionnée. Pour mener cette étude, la région du centre-ouest, qui produit l'essentiel du café et du cacao avec respectivement 35 % et 36 % de la production national, a été retenue (CIRAD, 1996). Les données primaires concernent les quantités d'intrants (main-d'œuvre, pesticides, engrais, dabas machettes et limes) ainsi que leur prix pour les différents opérateurs de la filière. Les données secondaires ont été collectées pour les taxes, les cours mondiaux et les subventions. Les sites d'enquêtes ont été choisis en fonction de leur importance agricole. Les résultats Avant la dévaluation, les opérateurs économiques des différentes filières étaient plus protégés (les coefficients de protection effective [CPE] avant dévaluation sont supérieurs à ceux après dévaluation, voir tableau n° 1). En outre, ils avaient une piètre performance économique (sauf le cacao) et financière avec les coûts en ressource intérieure (CRI), le ratio coût bénéfice économique (CBE) et le ratio coût bénéfice financier (CBF) avant dévaluation supérieurs à ceux après dévaluation. Avec la dévaluation, on assiste à une situation contraire où ces opérateurs sont moins protégés avec une plus grande rentabilité économique et financière. Par rapport aux incitations, l'introduction du DUS et la taxe parafiscale ont contribué à réduire la protection dans les filières café et cacao. Par contre, la suppression de la péréquation transport et l'augmentation des coûts de transport suite à la dévaluation sont responsables de la réduction de la protection post-dévaluation des filières rizicoles. Les incitations avant 153 LA DÉVALUATION DU FRANC CFA dévaluation ont conduit à un profit financier médiocre et une inefficacité économique dans l'ensemble des filières par rapport à la situation postdévaluation. Tableau 2. Indicateurs MAP avant et après la dévaluation INDICATEURS AVANT LA DÉVALUATION Cultures CRI CBE CBF CPE TSP Cacao 0,72 0,77 0,68 0,85 -0,01 Café 1,51 1,26 1,09 0,99 0,2 Riz pluvial 1,27 1,23 0,64 2,1 0,86 Riz irrigué 2,2 1,6 0,6 3,05 1,21 INDICATEURS APRÈS LA DÉVALUATION Cultures CRI CBE CBF CPE TSP Cacao 0,27 0,33 0,47 0,55 -0,4 Café 0,27 0,36 0,5 0,36 -0,38 Riz pluvial 0,57 0,6 0,6 0,97 -0,04 Riz irrigué 1,49 1,25 0,51 1,5 0,63 Source: calculs de l'auteur. En effet, en prenant le ratio coût bénéfice financier (CBF, voir tableau n° 2) comme indicateur de profit, on se rend compte que la dévaluation a changé l'ordre de rentabilité. Par ordre décroissant de profit on avait, avant dévaluation, riz irrigué, riz pluvial, cacao et café. Après la dévaluation, cet ordre est cacao, café, riz irrigué et riz pluvial. La dévaluation conjuguée à la hausse des cours mondiaux a bouleversé cet ordre car les opérateurs, bien que moins protégés, bénéficient de prix plus intéressants que la période avant dévaluation. Par rapport à l'efficacité économique (CRI et CBE), le classement, avant dévaluation, par ordre de compétitivité décroissant est le suivant : cacao, riz pluvial, café et riz irrigué. Après la dévaluation, l'ordre de compétitivité décroissant est: cacao, café, riz pluvial et riz irrigué. Avant la dévaluation, la mauvaise performance des filières s'explique par le bas niveau des cours des produits concernés et la surévaluation du franc CFA. Les subventions ont afflué pour soutenir financièrement les filières qui affichaient une mauvaise rentabilité. Après la dévaluation au contraire, la suppression de la surévaluation et la mise en place de politique macroéconomique judicieuse dont le relèvement du taux directeur de la BCEAO, le blocage des prix intérieurs ont contribué à freiner l'inflation et donc à accroître la compétitivité. La compétitivité plus élevée des filières pérennes (café et cacao) s'explique par un accroissement plus conséquent des prix le long de la filière contrairement aux filières rizicoles. L'accroissement de la compétitivité des filières suite à la dévaluation a contribué à la réduction des subventions dans le secteur riz et à accroître la 154 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC taxe sur les cultures pérennes. Ces résultats sont confirmés par les taux de subvention aux producteurs (TSP). Pour dégager les actions prioritaires, une analyse de sensibilité, dont les résultats sont consignés dans les tableaux ci-dessous, a été réalisée. Cette analyse fait ressortir que les variables telles que le rendement, le prix international, le coût de la main-d'œuvre, le rendement des décortiqueuses, le taux de change réel, le taux directeur de la BCEAü, les frais de structure et le fret maritime sont à entreprendre dans l'ordre susmentionné. Cet ordre est obtenu par les élasticités du CRI par rapport aux variables susmentionnées, plus l'élasticité est grande plus la variable est importante. En effet, la grandeur des élasticités CRI indique leur propension à améliorer ou à détériorer la compétitivité des filières concernées. Tableau 3. Élasticité CRI du rendement et du prix international Augmentation Élasticité CRI du rendement cacao 1 café pluvial irrigué Élasticité CRI du prix international cacao café pluvial irrigué 10% -0,741 -l,III -0,877 - 1,141 -0,370 -1,111 - 1,333 - 1,342 20% - 1,481 - 1,481 - 1,579 -0,906 -l,Ill -l,Ill -0,917 -1,174 30% - 1,852 -2,222 - 2,456 - 1,051 - 0,988 - 0,988 - 0,833 - 1,051 40 % 50% - 2,222 - 2,593 - 2,982 - 1,040 - 0,833 -0833 -0,750 -0,956 Réduction - 2,593 - 2,963 - 3,509 - 1,020 -0,815 -0,815 -0,667 -0,872 Élasticité CRI du rendement cacao café Élasticité CRI du prix international pluvial irrigué cacao café pluvial 1,481 1,481 0,877 1,879 1,667 1,667 1,053 2,282 10% 0,889 1,00 1,053 2,819 20% 2,222 2,222 2,281 3,725 irrigué 30% 3,704 4,074 4,035 5,593 2,099 1,975 1,170 2,953 40% 5,556 6,296 6,140 10,940 2,685 2,593 1,316 4,178 50% 8,519 10,000 9,474 17,718 3,704 3,481 1,544 7,195 Source: calculs de l'auteur. Le tableau ci-dessus montre qu'un accroissement des cours mondiaux ou des rendements induit une augmentation de l'avantage comparatif. C'est le contraire avec une réduction des cours ou des rendements. 155 LA DÉVALUATION DU FRANC CFA Tableau 4. Élasticité CRI du coût de la main-d'œuvre et du rendement décortiqueuse Augmentation Élasticité CRI du rendement décortiqueuse Élasticité CRI du coût du travail cacao café pluvial irrigué café pluvial irrigué 10% 0,741 0,667 0,877 0,336 -0,890 -0,880 - 1,540 20% 0,741 0,685 0,877 0,336 -0,800 -0,790 -1,310 30% 0,753 0,679 0,877 0,313 -0,720 -0,700 - 1,160 40% 0,759 0,685 0,833 0,319 -0,670 -0,660 - 1,040 -0,630 -0,940 50% Réduction 10% 0,763 0,689 0,842 0,322 -0,610 Élasticité CRI du coût du travail Élasticité CRI du rendement décortiqueuse cacao café pluvial irrigué café pluvial irrigué -0,815 - 0,741 -0,962 -0,268 1,000 1,050 2,280 1,230 2,950 20% -0,796 -0,704 -0,902 -0,302 1,170 30% -0,778 -0,704 -0,962 -0,313 1,360 1,400 4,250 40% -0,778 -0,704 -0,913 -0,319 1,610 1,670 7,480 50% -0,778 -0,704 -0,923 -0,309 1,970 2,040 15,560 Source: calculs de l'auteur. L'augmentation des coûts de la main-d'œuvre décroît l'avantage comparatif contrairement à une augmentation du rendement des décortiqueuses café et riz. Tableau 5. Élasticité du CRI par rapport au taux de change et taux d'intérêt Augmentation Élasticité du taux de change cacao café Élasticité CRI du taux d'intérêt pluvial irrigué cacao café pluvial irrigué 10% 1,296 1,111 0,030 0,003 0,074 0,000 0,000 0,805 20% 0,926 0,926 0,070 0,007 0,074 0,0119 0;088 0,973 30% 0,864 0,864 0,123 0,013 0,086 0,037 0,058 1,029 40% 0,796 0,843 0,158 0,020 0,083 0,046 0,044 1,074 50% 0,756 0,815 0,193 0,040 4,074 0,052 0,070 1,114 Réduction 10% Élasticité du taux de change Élasticité CRI du taux d'intérêt cacao café - 0,815 0,333 -0,526 - 1,812 -0,148 - 0,111 20% - 0,463 0,037 30% -0,284 0,012 pluvial irrigué cacao café pluvial irrigué 0,000 -1,342 40% - 0,194 0,000 - 0,386 - 1,376 -1,111 -0,074 -0,088 - 1,141 -0,269 - 1,123 -1,111 -0,074 -0,058 - 1,074 - 0,215 - 0,973 -0,102 -0,065 -0,044 - 1,040 50% -0,037 0,096 -0,084 - 0,819 -0,096 -0,067 -0,070 -0,993 Source : calculs de l'auteur. 156 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Une hausse des variables monétaires (taux de change réel et taux d'intérêt directeur de la BCEAO) induit une hausse des coûts de production et détériore la compétitivité. La dévaluation détériore uniquement la compétitivité de la filière café compte tenu des coûts importants liés au stockage dans cette filière. Tableau 6. Élasticité du CRI par rapport aux frais de structure et aux coûts du fret Augmentation Élasticité CRI des frais de structure cacao café irrigué cacao café 10% 0,037 0,037 - 0,018 -0,054 0,037 0,000 - 0,070 -0,174 20% 0,056 0,074 - 0,018 -0,050 0,056 0,019 - 0,088 - 0,181 30% 0,062 0,086 - 0,018 -0,047 0,062 0,025 - 0,088 -0,172 40% 0,065 0,093 -0,022 -0,047 0,065 0,037 -0,092 - 1,181 0,067 0,096 - 0,021 -0,040 0,067 0,037 - 0,091 -0,176 50% Réduction Élasticité CRI des frais de structure cacao 10% pluvial Élasticité CRI du fret maritime pluvial irrigué - 0, III - 0,111 café 0,035 0,Q20 pluvial irrigué Élasticité CRI du fret maritime cacao café - 0,111 - 0,074 pluvial irrigué 0,088 0,134 20% -0,093 - 0,111 0,026 0,034 -0,093 -0,056 0,088 0,134 30% -0,086 - 0,111 0,023 0,036 -0,086 -0,049 0,088 0,145 40% -0,083 -0,102 0,026 0,037 - 0,083 - 0,046 0,088 0,151 50% - 0,081 -0,096 0,025 0,038 - 0,081 - 0,044 0,084 0,144 Source : calculs de l'auteur. Enfin, une hausse du fret et des coûts de structure (delta CAISTAB) peut être à l'origine de la baisse de compétitivité dans les filières café et cacao contrairement aux filières rizicoles où cette hausse accroît le coût d'importation du riz importé et elle est donc profitable au riz local. Cependant, il ne faut pas perdre de vue les consommateurs qui vont payer plus cher. A cet effet, il faudra penser à une taxe optimale. Conclusion La dévaluation a accru la rentabilité économique et financière des différentes filières, par contre elle a réduit la protection des filières. D'importants transferts sont effectués notamment des filières café et cacao vers le reste de l'économie. Les taxes collectées au sein des filières doivent profiter aussi à celles-ci, notamment par la mise en œuvre d'actions prioritaires. Ces actions permettront d'accroître la performance économique des différentes filières. En LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 157 s'appuyant sur les résultats des tableaux ci-dessus, l'étude recommande la recherche et la vulgarisation des variétés à haut rendement dans la mesure où le rendement est la variable qui a le plus d'influence sur la compétitivité. Ensuite, la transformation industrielle doit être la priorité des décideurs afin de permettre une hausse des cours mondiaux par la réduction des exportations brutes de café et de cacao. Le coût de la main-d'œuvre notamment agricole doit être maîtrisé par une politique de maîtrise de l'inflation. Aussi, le rendement des décortiqueuses pour le café et le riz doit faire l'objet de recherche dans le sens de l'accroissement de ces rendements. Le taux de change réel doit être maîtrisé car la surévaluation peut réduire la compétitivité des différentes filières par l'accroissement des coûts intérieurs. Ces actions prioritaires doivent être effectuées par ordre d'importance dans le cacao, le café, le riz pluvial et le riz irrigué. Cet ordre est dicté par l'avantage comparatif des différentes filières (tableau n° 1). Enfin, une libéralisation plus poussée des filières café et cacao devrait permettre de réduire le delta et le taux du crédit et donc d'améliorer l'avantage comparatif des différentes filières (Sylla, 1998). Mais une attention doit être portée sur certaines conditions touchant l'organisation paysanne et surtout la qualité du café et du cacao. C'est le contraire au niveau de la riziculture où la libéralisation permet de réduire les coûts supportés par le riz importé et donc de le rendre plus compétitif par rapport au riz local. Cette étude doit être poursuivie en analysant la performance économique de chacun des opérateurs (paysans, collecteur, transformateur et commerçant). Ensuite, des questions très importantes concernant la prochaine libéralisation des filières café, cacao et la libéralisation de la filière riz sont en suspens. Une étude doit se pencher sur ces différents problèmes. Bibliographie Ancey G., (1994), Les Filières café/cacao en Côte d'Ivoire. Situations 199211993 et 199311994 prévisionnelle, Caisse française de développement. Banque mondiale (1994), Revue du secteur agricole, Abidjan, Mission régionale. CIRAD (1996), Suivi de la campagne café et cacao 1995 et 1996 en Côte d'Ivoire, Rapport provisoire, Ministère de la Coopération, République française. Coulibaly Massita (1996), L'Autosuffisance alimentaire et la politique rizicole en Côte d'Ivoire, Thèse de doctorat nouveau régime, Faculté des sciences économiques et de gestion, Université d'Auvergne, ClermontFerrand I. 158 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Diomande Kanvaly (1994), «Ajustement réel et ajustement monétaire en Côte d'Ivoire », Séminaire international du CIRES et du CEDRES, Abidjan, 19-22 décembre 1994. Fradet Patrice (1995), Compétitivité du riz ivoirien: impact de la dévaluation dufranc CFA, DEA d'économie internationale, Faculté de sciences économiques, Université Pierre Mendès France/Grenoble 2. Gittinger Price (1985), Analyse économique des projets agricoles, Economica. Khan Mahsin S. et J. Lizondo SAUL (1987), «Devaluation, fiscal deficits and the reel exchange rate », The World Bank Economie Review, vol. l, n° 2. Krueger Anne O. (1988), «Agricultural incentives in developing countries: measuring the effect of sectoral and economy wide policies », The World Bank Economy Review, vol. 2, n° 3, pp. 255-271. Lalonde Louis-Gilles (1993), L'Impact des politiques d'ajustement structurel sur la sécurité alimentaire au Sahel: simulation à l'aide d'un modèle multi-marchés appliqué au Niger, Mémoire de maîtrise, Centre Sahel, Université Laval. Masters A. William and Alex Winter-Nelson (1995), «Measuring comparative advantage of agricultural activities: domestique ressource cost benefit ratio », American Journal ofAgricultural Economies, n° 77. Monke A. Eric and Scott R. Pearson (1989), The Poliey Matrix for Agrieultural Development, Cornell University Press. Sadoulet Elisabeth et de Janvry Alain (1995), Quantitative Development Policy Analysis, The Johns Hopkins university press. Sylla Kalilou (1998), «Libéralisation et avantage comparatif des filières café et cacao en Côte d'Ivoire », Séminaire mensuel du CIRES, avril 1998. 7 L'impact de la dévaluation du franc CFA sur les importations et les exportations du Cameroun Par Arsène Honoré Gidéon NKAMA Depuis le début des années 1980, les pays africains de la zone franc (PAZF) ont connu une profonde dégradation de leurs conditions économiques, ce qui a eu pour conséquence la détérioration de leurs balances extérieures de façon cumulative. Cette situation a conduit ces pays à la mise en œuvre des programmes d'ajustement structurel (PAS) avec l'aide du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. L'objectif du PAS est d'adapter les structures de l'économie, telles qu'elles existent, à des structures considérées comme optimales afin de réaliser une croissance harmonieuse (sans inflation ni chômage), régulière et équilibrée. L'on pensait alors résoudre le problème des déséquilibres extérieurs à l'aide de la seule anne des politiques budgétaires et monétaires restrictives (penser aux conditionnalités du FMI et de la Banque mondiale). Cependant, face à la persistance et à l'aggravation des déséquilibres économiques et financiers, la question de la dévaluation du franc CFA a commencé à alimenter les débats entre partisans et opposants de la dévaluation. Ces débats prendront fin lorsque, réuni à Dakar, un sommet extraordinaire des chefs d'État des PAZF décide, le 12 janvier 1994, de dévaluer de 50 % le franc CFA, qui passe ainsi de la parité de 1 F CFA = 0,02 FF à 1 F CFA = 0,01 FF. La dévaluation avait pour principal objectif d'améliorer la compétitivité internationale et la situation de la balance des paiements des PAZE Nous nous proposons de faire une analyse de l'impact de la dévaluation du franc CFA sur la balance commerciale du Cameroun. L'objectif principal est de faire ressortir l'effet de la variation du taux de change sur les importations et les exportations du pays. Pour parvenir à cet objectif, nous pré- 160 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC senterons d'abord l'approche théorique de la dévaluation et ensuite l'analyse de la réaction des importations et des exportations à la dévaluation. L'ajustement international par les prix: la dévaluation L'exemple historique de David Hume qui présente le cas où la GrandeBretagne (GB) perd les 4/5 de sa monnaie au cours d'une nuit est la première illustration de l'ajustement par les prix. En effet, l'auteur montre que, si au cours d'une nuit, la GB parvenait à perdre les 4/5 de son stock de monnaie, ceci entraînerait un déficit de la balance des paiements. L'application de la théorie quantitative de la monnaie aura pour effet une baisse des prix anglais dans les mêmes proportions, ce qui va entraîner une hausse des exportations et provoquer une rentrée des devises permettant de retrouver l'équilibre initialement rompu. Il y a un processus de retour au rééquilibre sans intervention gouvernementale. Mais de nos jours, l'intervention des autorités est nécessaire compte tenu des déséquilibres chroniques enregistrés de part et d'autre; c'est ce qui a sans doute pesé lourd sur la décision des chefs d'État des PAZF à dévaluer leur monnaie de 50 %. En cas de déficits durables de la balance des paiements ou de la balance commerciale, les autorités peuvent envisager une dévaluation. Une monnaie est appelée à être dévaluée si elle est surévaluée. Plusieurs facteurs ont favorisé la surévaluation du franc CFA, ce qui a poussé les PAZF à se prononcer pour la dévaluation dont l'objectif principal est le rééquilibrage de leurs économies comme l'affirme la théorie économique. Les raisons de la surévaluation dufrane CFA Jusqu'en 1980, la croissance dans les PAZF est supérieure à celle des autres pays du continent. Cette croissance est tirée par le Cameroun et la Côte d'Ivoire. Entre 1980 et 1987, les conditions économiques commencent à se détériorer. Le Cameroun, à cause de ses revenus pétroliers qui couvrent encore les problèmes d'ordre structurel du pays, ne présente les premiers signes de difficultés qu'en 1986. La croissance agricole qui atteint 4,5 % entre 1965 et 1973 n'est que de 1,5 % entre 1981 et 1987. A cela il faut ajouter la chute sur le marché mondial des cours du cacao, du café et du coton pour ne citer que ces produits. Cette situation, largement vécue par l'ensemble des PAZF, a entraîné des déficits budgétaires, des déficits extérieurs et la détérioration des termes de l'échange. La politique d'un franc français fort poursuivie en France affectera aussi négativement la compétitivité de ces pays au niveau de leurs exportations. L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 161 A. LES DÉFICITS BUDGÉTAIRES Pendant une longue période (entre les années 1960 et 1980), les PAZF ont connu un taux de croissance moyen d'environ 4,2 % contre 3,7 % pour les pays africains hors zone franc (PAHZF). Les années 1980 à 1986 ont été marquées par une baisse de la croissance du PIB. Cependant, ce taux demeure supérieur pour les PAZE Dès 1986, il Yaura renversement des tendances. On a observé des déficits budgétaires chroniques pour le Cameroun. Cette nouvelle évolution de la situation économique du pays a imposé à l'État camerounais le recours à l'endettement extérieur. D'après les données publiées par la Banque mondiale, l'endettement rapporté au PIB est passé de 36,8 % en 1980 à 38,5 % en 1985 et 56,8 % en 1990. Cet endettement ne fut pas sans conséquence sur la situation du solde du compte d'opérations à cause des charges d'intérêts. Cependant comparé à celui de la Côte d'Ivoire ou encore à celui du Congo, l'endettement du Cameroun demeure insignifiant, le Congo et la Côte d'Ivoire étant classés parmi les pays les plus endettés dans la décennie 1980 et au début des années 1990. Le tableau suivant présente l'évolution de la dette extérieure et du service de la dette du Cameroun entre 1980 et 1995. Tableau 1. Évolution de la dette extérieure et du service de la dette du Cameroun en millions de dollars US 1980 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 2588 4157 4678 4778 5440 6679 6898 7349 7452 8254 9350 252 636 588 606 349 479 394 362 441 361 385 .. Source; NatIOns umes, ConurusslOn écononuque pour l'Afnque, 1998. Dette Sce.d B. LES DÉFICITS EXTÉRIEURS Les déficits extérieurs, notamment ceux de la balance courante ont pour principale conséquence de rendre la monnaie étrangère plus chère. Dans le cadre des PAZF, la chute accentuée des cours des matières premières, beaucoup plus ressentie par le Cameroun, la Côte d'Ivoire et le Congo, a entraîné des déficits chroniques des balances commerciales. Cette situation est aussi entretenue par le fait que les pays importent une importante quantité de produits alimentaires. La balance des transactions courantes du Cameroun a toujours été négative au cours de la décennie 1985-1995 (BEAC, 1996). Cette situation s'explique par le fait que la balance des services et des transferts unilatéraux est toujours négative pour le pays. Le solde positif de la balance commerciale est insignifiant pour pouvoir compenser ce déséquilibre. Le tableau suivant présente l'évolution du solde de la balance courante du Cameroun entre 1985 et 1995. C. LA DÉTÉRIORATION DES TERMES DE L'ÉCHANGE Au cours de la période 1985-1993, les termes d'échange des PAZF baissent d'environ 50 %. La principale cause est la chute des prix mondiaux des 162 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Tableau 2. Évolution de la balance des transactions courantes du Cameroun entre 1985 et 1995 Sources: BEAC et Le Cameroun en chiffres. janvier 1997 * =prévisions principaux produits d'exportation (cacao, café, coton ... ). La détérioration signifie qu'on achète plus cher et qu'on vend moins cher, ce qui augmente les coûts intérieurs et affecte négativement la compétitivité extérieure. Il y a dégradation des parts de marché de l'Afrique en général et des PAZF en particulier sur les cultures d'exportation au profit des concurrents de l'Asie du Sud-Est pour les produits tels que le cacao, le café, l'huile de palme. Le coton en est épargné, le continent ayant augmenté sa part des exportations dans les exportations mondiales de 9 à 13,4 % entre 1980-1982 et 19881991 (Requier-Desjardins, 1992). D. LA SITUATION DU FRANC FRANÇAIS La politique du franc français fort, longtemps poursuivie en France, a entraîné une appréciation du franc français (FF) par rapport au dollar pour la période 1985-1992. Le dollar sert de monnaie de facturation pour de nombreux partenaires commerciaux des PAZE Dans ce contexte, cela affecte négativement la compétitivité de ces pays au niveau de leurs exportations qui coûteront plus cher en devises pour l'étranger. Parallèlement, leurs importations coûteront moins cher. Ceci incitera à importer davantage. En fin de compte, la balance commerciale sera négativement affectée. Le système de change de la zone franc est à l'origine de la perpétuation du déséquilibre dans les pays périphériques. Le franc CFA, en suivant fidèlement les évolutions du cours du franc français par rapport au dollar, fait dépendre les termes de l'échange des PAZF de la parité franc français/dollar. Une variation du cours du dollar par rapport au franc affecte l'équilibre de leur balance commerciale toutes choses égales par ailleurs. Cette situation a poussé les PAZF à tenter la remise en ordre de leurs finances publiques, de réintégrer efficacement leurs économies dans la scène mondiale et de redresser leurs balances extérieures. Ce sont là quelques objectifs qui justifient la dévaluation de 1994. Le cadre théorique de la dévaluation Le problème de l'ajustement international fait appel à l'équilibre de la balance des paiements. Cet équilibre est le plus souvent réduit à celui de la balance des opérations courantes qui peut être facilement contrôlable. La littérature retient trois modes de rééquilibrage: l'approche financière de la balance des paiements, l'approche monétaire et l'approche par les élasticités. L'approche financière se base sur l'absorption en posant que la dépense interne est égale à la consommation plus l'investissement, ce qui permet L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 163 d'écrire le solde de la balance des paiements comme: B = C + 1 + (X - M) = A + (X - M) où X et M désignent respectivement la valeur des exportations et celle des importations. Selon l'approche monétaire, le solde extérieur n'est rien d'autre qu'une variation des encaisses (m) puisque la variation du solde extérieur entraîne une variation de la quantité de monnaie détenue dans le pays d'où B = l'J.m. L'approche par les élasticités, en isolant les effets liés aux revenus, aux encaisses et aux élasticités croisées, suppose que la demande des biens importés n'est fonction que des prix, d'où l'appellation d'ajustement par les prix. L'objectif de notre étude nous permet de mettre en relief cette dernière approche. A. L'APPROCHE PAR LES ÉLASTICITÉS La demande d'importations et d'exportations dépend d'une multitude de facteurs: revenus, comportement des agents, élasticités... Cependant, en posant que le solde de la balance commerciale (B = X - M) est fonction des prix, il est intéressant de mesurer la sensibilité des prix sur le courant des échanges internationaux. Ce problème se pose en termes d'élasticités. Il s'agit de savoir quelle réponse la demande internationale donne à une modification des prix suite à une dévaluation. En fait que signifie dévaluer une monnaie? Dévaluer une monnaie relève des autorités monétaires du pays. La dévaluation est une décision des autorités monétaires, dans un système de change fixe, de modifier à la baisse la parité de la monnaie vis-à-vis d'un étalon donné. La dévaluation se distingue de la dépréciation qui est la baisse de la valeur d'une monnaie sur le marché de change. L'objectif visé par la dévaluation est de vendre plus à l'étranger et d'acheter moins, ce qui permet d'améliorer la balance commerciale. La dévaluation entraîne trois effets. B. LES EFFETS LIÉS À LA DÉVALUATION Trois effets sont généralement liés à la dévaluation: un effet sur la détérioration des termes de l'échange (effet valeur), un effet volume et un effet rentrée des devises. L'effet sur la détérioration des termes de l'échange est dû au fait que la dévaluation modifie les prix relatifs des exportations par rapport aux importations. Soient Px le prix des exportations et PM celui des importations, si le pays vend en sa monnaie, après la dévaluation, Px reste constant et PM libellé en monnaie nationale augmente, entraînant une P détérioration des termes de l'échange (TE) avec TE = ~ PM L'effet volume est le résultat de la détérioration des TE qui se caractérise par une baisse des quantités importées et un accroissement des quantités exportées. L'accroissement des quantités exportées et la diminution des quantités importées doivent être suffisamment importants de telle sorte que 164 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC l'effet détérioration des TE soit compensé. Le niveau de ces deux effets détermine l'effet rentrée des capitaux. En général, les capitaux sortent en cas de menace de dévaluation. Après la dévaluation, ces derniers reviennent. Cela n'est cependant \;alable que sous certaines conditions liées à la sécurité, à la rentabilité ... de ces capitaux. La combinaison de ces trois effets aboutit au mécanisme d'ajustement par une courbe communément appelée courbe en J. C. LA COURBE EN J Un redressement du solde commercial est toujours escompté d'une dévaluation. L'analyse en termes d'élasticités fait reposer le rééquilibrage de la balance commerciale sur les réactions des quantités échangées aux modifications des prix. Cette réaction ne peut se vérifier qu'après un certain délai. Une dévaluation réalisée en t o , l'équilibre de la balance commerciale ne sera restauré qu'en t n lorsque les effets favorables (effets de substitution) l'emporteront sur les effets pervers (effet valorisation). La raison est que, à court terme, le volume des importations et des exportations est rigide, compte tenu de la structure de l'appareil productif et des habitudes de consommation. 11 est aussi possible que les importations et les exportations correspondent à des contrats signés avant la variation du taux de change. Dans ce cas, la détérioration des TE fait seule sentir ses effets et le déficit de la balance commerciale s'accroît dans un premier temps. Ce temps peut durer quelques mois avant que les quantités ne se modifient. Le mécanisme d'ajustement par une courbe en J repose sur deux phénomènes: l'effet de la valorisation (effet-prix) et l'effet de substitution (effet-quantité). C'est l'effet de la valorisation des prix à l'importation qui détériore la balance commerciale. L'effet de substitution signifie qu'à terme, il faut que le pays qui dévalue réussisse à accroître ses exportations importations (I:i.: > 0) et à réduire les (I:i.: < 0). Il y a substitution des importations par les pro- duits nationaux. Dans le cas contraire, c'est l'existence des effets pervers pouvant engendrer des dévaluations en cascade sans succès. La courbe en J retrace l'évolution de la valeur du solde commercial en fonction du temps. Elle décrit le temps nécessaire pour qu'une dévaluation (ou une dépréciation) améliore la balance courante. L'existence d'une éventualité des effets pervers avec le phénomène des dépréciations cumulatives pouvant engendrer des dévaluations en cascade sans succès autorise à s'interroger sur les conditions de réussite d'une dévaluation. L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 165 Figure 1. La courbe en J solde commercial B =X-M --7 courbe en J X>M 1<-------------.,"'-----:;;temps effet de substitution X<M effet valorisation "- "- """" phénomène de déprédations "'" cumulatives avec dévaluations ~ncascade '- -- D. LES CONDITIONS DE RÉUSSITE D'UNE DÉVALUATION Une dévaluation améliore la balance courante. Ceci n'est valable que si les importations et les exportations réagissent favorablement à la modification du taux de change. La balance courante mesurée en monnaie locale est égale à la différence entre les exportations (X) et les importations (M). Soit: B = X-M (1) Si l'on maintient constant le revenu à l'étranger, la demande des exportations peut s'écrire comme une fonction du seul taux de change réel où (~*) * désigne l'étranger. Soit X= X(~*) (2) Les importations sont fonction du taux de change et du revenu disponible(yd) . M= M(~*, yd) Appelons cle taux de change réel (c = ~*) et X* les importations du (3) pays mesurées en monnaie étrangère. Cela signifie que les importations 166 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC d'un pays, exprimées en monnaie étrangère, sont égales aux exportations étrangères vers ce pays. Si l'on suppose aussi que le taux de change C mesure le prix des produits étrangers en monnaie nationale (parité des pouvoirs d'achat), alors X* et M sont liés par la relation M = cX*. La balance courante s'exprime comme suit: = B(c, yd) = X(c) _ cX*(c, yd) B (4) L'effet d'une augmentation du taux de change (au certain) sur la demande d'exportations (Xc) s'écrit: X c = ~X (5) ~c De même, l'effet d'une modification de c sur X* est: X* c = ~X* (6) ~c Une dévaluation rend les produits locaux meilleur marché et stimule l'exportation. Cela signifie que Xc > O. Par contre, une augmentation du taux de change renchérit les importations, ce qui réduit leur demande. De ce fait, X; < O. La variation de la balance courante entre la période 1 et la période 2 se mesure par: ~B = B 2 -B l = (X 2 - c 2X;) - (Xl - Cl X~) = X2-XI-C2X;+CIX~ = X 2 - Xl - c 2(X; - X~) - c2X~ + clX~ = X 2 - Xl - c2(X; - X~) - (c2 - cl)X~ = ~X - (7) c2~X* - ~cX~ En divisant par ~c puis en utilisant (5) et (6) nous obtenons la réaction de la balance courante à un changement de c, soit: ~B = ~c X c -c2X*-X~ c (8) Xc - c 2X; représente l'effet volume et -X~ l'effet valeur. L'effet valeur est précédé d'un signe «-» puisque l'augmentation de c détériore la balance courante dans la mesure où il y a augmentation en monnaie nationale du volume initial des importations. L'effet volume est toujours positif car X; < O. Le problème qui reste est de déterminer quand est-ce que le membre droit de (8) est positif. C'est la condition qui permet d'améliorer la balance courante. Notons d'abord que l'élasticité de la demande d'exportation par rapport à c s'écrit: 11 = ~Xc cl ~c X = Xl Xc (9) L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 167 Celle de la demande sera: (10) C En multipliant le membre droit de (8) par Xl , on l'exprime en termes 1 d'élasticité. Supposons par la suite que la balance courante est nulle à la première période, c'est-à-dire que XI = cIX;. L'on peut écrire en exprimant l'élasticité en termes de valeur absolue que: C z * -1 >0 C ~n--X '1 X* 1 CI ~n_-X '1 ~ Tl X (lI) * -1>0 C 1 + Tl* > 1 (X; < 0) C'est la condition Marshall-Lemer qui s'énonce comme suit: en situation d'équilibre commercial, la condition pour qu'une faible dévaluation soit favorable au solde commercial est que la somme des élasticités-prix de la demande d'exportation et d'importation soit supérieure à l'unité. En cas de déséquilibre initial, cette condition devient Tc Tl + Tl * > 1 avec Tc représentant le taux de couverture en valeur. Tc = valeur des exportations/valeur des importations. Les pays en développement sont plus exposés au risque de connaître des effets pervers. Cette situation est due à une demande d'importation non compressible (produits alimentaires notamment). De même, leurs exportations composées essentiellement des produits de base demeurent faiblement élastiques aux prix. Une analyse de l'évolution de la balance commerciale du Cameroun nous permettra d'apprécier les effets de la dévaluation sur le commerce extérieur du pays. Dévaluation et balance commerciale du Cameroun Après la dévaluation du franc CFA, le solde extérieur, notamment le solde commercial, a globalement suivi une évolution positive. Cependant, une analyse détaillée permet de découvrir que certains secteurs ont beaucoup plus bénéficié de la dévaluation que d'autres. L'AVENIR DE LA ZONE FRANC 168 Dévaluation et solde commercial camerounais: l'effet valeur et l'effet volume. Dans ce paragraphe, nous nous contentons d'évaluer l'impact de la dévaluation sur le solde commercial, lequel est facilement contrôlable. Au cours des six premiers mois qui ont suivi la dévaluation, le commerce extérieur du Cameroun a été marqué par une augmentation bien sensible du solde commercial. Ce dernier passe de 127,405 milliards en 1992-1993 à 275,206 milliards en 1993-1994; soit une augmentation de 116 %. Ces résultats prennent en compte les effets de 6 mois de dévaluation puisque l'année budgétaire commence le 1er juillet et se termine le 30 juin de l'année suivante. C'est cette amélioration principalement attribuée à l'augmentation sensible des exportations (près de 4 % en quantité et 40 % en valeur), qui a entraîné une amélioration des termes de l'échange par rapport à 1992-1993 (+ 4 points). Les exportations augmentent de 3,8 % en quantité par rapport à 1992-1993. Ce faible taux était prévisible, le pays exportant beaucoup plus les produits de base dont l'une des particularités est leur faible élasticité par rapport au prix. La variation de 40 % en valeur s'explique par l' augmentation automatique, du fait de la dévaluation, des cours libellés en monnaie nationale des principaux produits agricoles d'exportation. S'agissant des importations, la baisse des quantités enregistrée depuis 1991-1992 s'est poursuivie en 1993-1994 de sorte qu'elles ne représentent que 64 % de leur niveau de 1990-1991. Le tableau 1 de l'annexe présente l'évolution de la balance commerciale. Si nous observons le solde de 1992-1993 et 1993-1994, nous pouvons, en utilisant l'équation (8) estimer la réaction de la balance commerciale à la modification du taux de change qui passe de 50 francs CFA à 100 francs CFA pour un franc français. Rappelons que cette équation s'écrit: ~~ C = Xc-czX:-X~ Dans le cas d'espèce, XI = 418698; X z = 587 161; z = 100; LlX = 168463; Llc = 50; Xc = ~~ = 16~~63 CI = 50; = 3369,26; = cX* ~X* = M M c MI = 291 293; M z = 311 955; X~ = 5825,86; X; = 3 119,55 X* = LlX* = -2706,31 = -541262 c Llc 50 ' LlB = 3369,26 -100(-54,1262) - 5825,86= 2956,02 Llc Il resssort de ces calculs que l'effet volume est de Xc - czX; = 3 369,29 - 1OO( -54,1262) = 8 781,88 . Cela signifie que la dévaluation a entraîné 169 L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA une amélioration du solde commercial de 8 781,88 millions de francs en rendant les exportations du pays peu onéreuses. En même temps, l'on estime l'effet valeur à -X~ = -5825,86 millions de francs. L'augmentation du taux de change qui passe de 50 à 100 francs CFA pour 1 pp a détérioré la balance commerciale de 5 825,86 millions dans la mesure où il y a eu augmentation en monnaie nationale du volume initial des importations. L'effet total de la dévaluation sur le solde commercial, six mois après, est de 2 956,02 millions de francs. C'est cette donnée qui mesure la réaction de la balance commerciale à l'augmentation du taux de change. A première vue, cet effet est plausible car il est positif. Une analyse des deux effets nous permet de constater l'importance de l'effet valeur par rapport à l'effet volume. L'effet valeur absorbe environ 66 % de l'effet volume. Le pays dépend largement des importations de certains produits. Ces importations incompressibles se composent généralement de produits alimentaires, du matériel de transport et traction et de l'équipement industriel. L'importance de l'effet valeur explique pourquoi le solde commercial, après une envolée entre janvier et février 1994, a très vite amorcé une évolution décroissante, sans pour autant atteindre le niveau d'avant la dévaluation. Le graphique suivant retrace l'évolution du solde commercial du Cameroun entre novembre 1993 et janvier 1995. Figure 2. Évolution du solde commercial du Cameroun entre novembre 1993 et janvier 1995 45000 40000 35000 30000 25000 20000 15000 10000 5000 o +----.--_.___~-_.___~-_.___~-_.___~-_.___~-,.____~ nov. 93 janv. 94 mars mai juil. sept. nov. janv. 95 Source: MINEFIlDSCN. Une note d'espoir est cependant à souligner étant donné le niveau appréciable du solde commercial entre 1992-1993 et 1996-1997 (tableau 1 et annexes). Pourvu que la tendance se maintienne de façon durable. Une étude détaillée de ce solde nous permettra d'anticiper les tendances à venir. 170 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC L'impact de la dévaluation sur le commerce extérieur Nous distinguons l'effet sur les exportations de l'effet sur les importations. A. LES EXPORTATIONS Si l'effet de la dévaluation sur les produits agricoles est positif grâce à l'enregistrement des progrès nets, la réaction du secteur industriel reste beaucoup plus mitigée, étant donné le niveau assez bas des exportations industrielles. Le pétrole occupe toujours la première place dans le total des recettes d'exportation. Le secteur agricole Le secteur agricole a enregistré des progrès nets. Il y a relance des exportations par la mise en œuvre de politiques appropriées et dont l'objectif est la libéralisation des marchés, d'une part, et la réduction de l'intervention de l'État, d'autre part. Les bonnes performances du secteur agricole sont attribuables au secteur forestier, à la montée du fait de la dévaluation des cours du cacao, du café, du caoutchouc naturel. La « guerre» du marché de la banane n'aura pas bloqué la progression des bananes fraîches. L'huile de palme, les fruits et légumes enregistrent un regain de vitalité à l'exportation malgré des volumes de production encore faibles. a) Le secteur forestier Il connaît une période de prospérité en 1993-1994 avec une reprise exceptionnelle des exportations, qui passent de 521 304 tonnes pour une valeur de 36,656 milliards de francs CFA à 794 891 tonnes pour une valeur de 80,368 milliards, soit une augmentation de près de 50 % en volume et 119 % en valeur par rapport à l'année 1992-1993. La dévaluation a permis d' enregistrer une hausse substantielle de la valeur unitaire des exportations d'environ 50 %. Cette évolution se poursuivra surtout en ce qui concerne les quantités, soit 1 062978 tonnes en 1995-1996 et 1 556555 tonnes 1996-1997. Les prix ont connu un ralentissement en 1994-1995, ce qui a permis aux quantités de croître plus vite que ces derniers. Les exportations camerounaises de bois brut représentent 10,5 % du total des exportations. C'est la filière la plus importante après le pétrole et le café. L'exploitation du bois a pris la place qu'occupait jusque-là le cacao. b) Le cacao brut Les quantités du produit ont connu une baisse depuis 1991-1992. Cette mauvaise performance a aussitôt cédé place à une reprise dès 1994-1995, correspondant à la première campagne cacaoyère après la dévaluation. La flambée des cours qui a suivi a redonné confiance aux planteurs, d'où l' augmentation des quantités exportées en 1995-1996. En 1996-1997, la baisse de 13 % par rapport au volume exporté de 1995-1996 serait due aux problèmes climatiques, une sécheresse ayant décimé des plantations entières dans certaines régions proches de la savane. L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 171 c) Le café L'évolution du produit est semblable à celle du cacao. Le volume exporté a régulièrement baissé entre 1991-1992 et 1993-1994. La reprise en 19951996 s'expliquerait par la hausse des cours mondiaux observés au lendemain de la dévaluation. La situation des cours a redonné confiance aux planteurs. Ces derniers ont mieux entretenu leurs plantations. II a fallu attendre 1995-1996 pour que cela ait un effet sur les quantités produites et exportées. Les exportations de café représentent 13,92 % du total des exportations. d) Le caoutchouc brut Pendant que le cacao et le café présentent des signes de ralentissement en 1996-1997, le caoutchouc naturel continue sa course, aidé en cela par les cours mondiaux. Sous l'impulsion de la nouvelle parité du franc CFA le produit maintient la croissance entamée depuis 1994-1995 de la valeur de ses exportations. e) Le coton brut II fait partie des produits qui ont enregistré une augmentation de leur valeur unitaire soutenue par la hausse des cours. Cette hausse est maintenue au cours de l'année 1996-1997. On estime à près de 80 % l'augmentation en quantité et en valeur des exportations du produit par rapport à l'année précédente qui a connu elle-même une évolution nette par rapport à l'exercice 1994-1995. Malgré la guerre entre la banane CFA et la banane dollar, les bananes fraîches camerounaises se sont mieux comportées sur le marché international. ft Les bananes fraîches La répartition du marché européen de la banane a donné lieu à ce que certains n'ont pas tardé d'appeler« guerre de la banane CFA contre la banane dollar ». Cependant, l'augmentation de la qualité et du rendement a joué pour le Cameroun. Un autre exemple est celui de la Côte d'Ivoire. D'ailleurs, c'est un même groupe qui contrôle les structures de production dans les deux pays. Dans les bananeraies du littoral, souligne l' International Trade, le rendement annuel est passé de 25 tonneslhectare avant avril 1994 à près de 40-45 tonneslhectare aujourd'hui. Le produit se maintient sur le marché international grâce à sa qualité dite extra qui l'emporte sur celle des pays de la zone dollar et notamment des Antilles. Les quantités exportées augmentent sans cesse malgré le recul de 15 % en 1996-1997. Tableau 3. Évolution des exportations des fruits et légumes camerounais par avion et bateau Années 1994/95 1995/96 1996/97 Exportations en tonnes 796 9584 10 676,9 Sources: Jeune Afrique économie, n° 254, déc. 1997. 172 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC g) Les fruits et légumes Les ananas et les oléagineux sont aussi des filières qui enregistrent un regain d'intérêt à l'exportation malgré des volumes de production encore faibles. Il en est de même du haricot vert, du haricot sec, des oignons et d'autres produits vivriers. Le tableau suivant présente l'évolution des exportations des fruits et légumes camerounais par avion et bateau en tonnes, entre 1994-1995 et 1996-1997. h) La pomme de terre: une fausse note dans le concert Dans la région de Dschang, souligne La Sentinelle, la production de la pomme de terre nécessitait environ 500 000 francslhectare. L'achat des semences représentait 70 % du coût total de production, compte non tenu de la main-d' œuvre. Après la dévaluation, le coût de production a augmenté pour se situer à 700 000 francslhectare. Ceci a eu pour conséquence la réduction de la marge bénéficiaire de 260 000 francs environ à près de 100000 francslhectare. La pomme de terre fut ainsi l'une des cultures les plus affectées par la dévaluation à cause des exigences en intrants importés (engrais et pesticides). Cette augmentation des coûts de production a entraîné la substitution de la culture de la pomme de terre à celle de maïs, du haricot ou encore de l'arachide. La baisse de la production qui s'en est suivie a provoqué une chute des exportations du produit dans la sousrégion, notamment vers le Gabon, qui est l'un des principaux clients des produits vivriers camerounais. Les produits bruts hors pétrole ont connu une progression. Cette progression s'explique surtout par la hausse soutenue des cours mondiaux qui a eu pour effet l'augmentation des prix aux producteurs. Le graphique suivant retrace l'évolution des cours moyens internationaux des principaux produits de base. Figure 3. Évolution des cours moyens internationaux exprimés en FCFAlkg des principaux produits exportés 2000 1800 1600 1400 ___ cacao 1200 ___ café arabica 1000 - - coton 800 600 400 200 -/' "..- o l~~------'. . . . . . . . ----r--·'----------'---~-.---,~--------.-----~-----.------r-""'-_·Î Source: Le Cameroun en chiffres, janvier 1997. L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 173 La tendance à long tenne donne une courbe en « M » pour tous les produits. Après une légère stabilité entre 1972 et 1975, la première envolée date des années 1976-1977. La chute qui suivra correspond à la crise de la tin des années 1970. La reprise des cours amorcée après cette crise s'explique par la hausse des cours du dollar par rapport au franc français, les exportations du pays étant libellées en dollars. Les effets de la crise actuelle ressentis au Cameroun dès 1986 expliquent la nouvelle chute des cours. La baisse se poursuivra jusqu'en 1993. Il faudra attendre la dévaluation du franc CFA pour observer la présente flambée des cours pour des raisons évoquées plus haut. Les prix des principaux produits exportés suivent les variations du taux de change. Ils ont plus que doublé entre 1993 et 1994 pour tous les produits. Le principal effet est l'augmentation de la part des produits agricoles dans les recettes d'exportation. Cette part passe de 30,9 % en 1992-1993 à 38,5 % en 1993-1994, six mois après la dévaluation. Elle représente 37,2 % en 1995-1996 et 37,4 % en 1996-1997. Si les produits agricoles ont fait un bon en avant soutenu tantôt par les cours, comme l'illustre le graphique, et tantôt par l'augmentation des quantités, tel n'a pas été le cas des produits industriels. Dévaluation et compétitivité à l'exportation des produits industriels « made in Cameroun» La part des recettes d'exportation des produits industriels est demeurée stable (16-17 % du total des exportations). La moyenne pour les dix dernières années est de 15,6 %. La dévaluation a provoqué une légère hausse par rapport à 1992-1993. Cependant, en 1996-1997, la part des exportations industrielles atteint le niveau le plus bas depuis 1989-1990, soit 10,5 %. Si l'industrie marque le pas sur place quand elle ne recule pas comme l' illustrent ses perfonnances de 1996-1997, l'on se pose la question de savoir si l'augmentation de la production agricole pourrait à elle seule apporter à tenne une solution au problème de l'emploi. Les tinnes camerounaises ont été créées dans l'optique d'imports substitution. Il fallait produire des biens destinés pour la consommation locale. Les distorsions du taux de change du franc CFA (monnaie restée surévaluée) ont longtemps pénalisé l'industrie du pays. Vu la situation, les experts de la Banque mondiale se sont prononcés pour la dévaluation qui devait rendre les tinnes locales compétitives tant sur le marché local qu'international. Cependant, après la correction du taux de change, tout n'est cependant pas au mieux dans l'industrie camerounaise. La mauvaise perfonnance des produits industriels « made in Cameroun» peut être observée à travers le comportement de leurs exportations. La baisse tant en quantité qu'en valeur de ces produits est observée depuis plus d'une décennie. Cette baisse se continne après la dévaluation. La dévaluation n'a entraîné qu'une progression limitée des exportations; soit 8 % en 1993-1994. La progression n'aura été qu'éphémère. Déjà en 1996-1997,les exportations industrielles représentent environ 214 711 tonnes. C'est le niveau le plus bas jamais atteint depuis 1989-1990. La situation préoccu- 174 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC pante de l'industrie locale a poussé les autorités locales à créer dès le 31 décembre 1997 un comité de compétitivité chargé d'identifier les obstacles à la compétitivité de l'industrie locale et de proposer des mesures pour abaisser les coûts de transaction. La composition de ce comité (le secteur privé y est largement représenté) fait croire que l'État voudrait compter sur le secteur privé pour la relance de l'économie. Le graphique suivant montre l'évolution des exportations industrielles de 1989-1990 à 1996-1997. Figure 4. Évolution des exportations industrielles entre 1989/90 et 1996/97 600000 500000 ___ valeur en millions de F.CFA 400000 ____ quantitée en tonnes 300000 89/90 90/91 91/92 92/93 93194 94/95 95/96 96/97 Source: MINEFIIDSCN. La baisse continue des quantités exportées illustre la mauvaise performance du secteur industriel sur le marché international. Dans l'hypothèse où l'ensemble des exportations est réalisé en devise, la légère hausse en valeur s'explique par le fait que la dévaluation a entraîné une augmentation du prix à l'exportation exprimé en monnaie nationale. Le mauvais comportement du secteur industriel nous amène à nous poser la question de savoir si le franc CFA sert effectivement, du moins dans le cadre du Cameroun, à développer l'industrie locale qui demeure peu compétitive sur le marché international. La question est de savoir pourquoi cette contre-performance sur le marché international? En effet, la théorie du commerce international repose, entre autres, sur les avantages comparatifs et les distorsions qui affectent la compétitivité industrielle. L'avantage comparatif répond à la question de savoir si une économie gagne à produire un bien exporté. En d'autres termes, il faut vérifier si une activité locale de production utilise plus efficacement les ressources que ne le fait le reste du monde. Si tel est le cas, le pays gagne plus à produire un bien qu'à l'importer. Le CCRI!, qui compare la valeur ajoutée internationale à la valeur au prix de référence (sans distorsions) des ressources locales entrant dans la production, permet de répondre à cette question. 1. Coefficient de Coût en ressources intérieures. L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 175 CCRI < 1 signifie que la valeur du produit au prix mondial dépasse celle des ressources consacrées à sa production. Le pays utilise alors plus efficacement ces ressources que le reste du monde. Lorsque la valeur ajoutée internationale (VAl) est négative, le calcul du CCRI pose problème. Nous pouvons aussi définir le coût unitaire (CU) comme étant égal au rapport du coût total (CT) sur la valeur du produit (PQ). Le coût total au prix de référence (CUPR) sera le même coût exprimé sans distorsions. Ce coût permet d'expliquer pourquoi une entreprise qui al' avantage comparatif n'exporte pas. En effet, lorsque CCRI < 1 et que l'entreprise n'exporte pas, cela signifie que les distorsions lui sont défavorables. Nous nous proposons de donner une explication à la contre-performance du secteur industriel en nous basant sur le CCRI (ou le cas échéant sur le CUPR). Pour ce faire, nous utilisons les résultats d'une enquête menée auprès de quelques entreprises produisant les principaux produits exportés. Les données sont relatives aux années 1991-1992 et 1994-1995. Nous distinguons les monopoles des firmes en situation de concurrence. 1) Les produits des monopoles Le Cameroun détient le monopole de certains produits en UDEAC. Il s'agit des planches en aluminium, des piles électriques et des allumettes. a) Les planches Le pays exporte les planches vers la République centrafricaine, le Congo, le Gabon et hors UDEAC. Ces planches servent à la fabrication des tôles. Les exportations des planches ont normalement augmenté, passant de 3,612 milliards en 1991-1992 à 8,782 milliards en 1994-1995. Malgré cette évolution, le monopole est coûteux pour l'économie du pays. Ses intrants échangeables proviennent à 95 % de la multinationale européenne. Pour un franc de production, l'entreprise dépense 0,77 franc uniquement en intrants échangeables 2• MSA (1988) souligne que le monopole consomme 53 % de l'électricité vendue au Cameroun à un tarif parmi les plus bas du monde. La valeur ajoutée au prix international est négative pour les deux périodes. b) Les allumettes Le monopole des allumettes n'a pas assez augmenté ses exportations. Le produit est exposé à la concurrence internationale ainsi qu'à la contre bande. c) Les piles électriques Ce produit bénéficie de la dévaluation de 1994. Les exportations qui perdent leur valeur entre 1991-1992 et 1992-1993 reprennent légèrement en 1993-1994. La reprise durera jusqu'en 1995-1996 avant que le recul ne s'observe en 1996-1997. Le monopole des piles exporte en UDEAC plus de 30 % de sa production. Les exportations hors UDEAC augmentent entre 1991-1992 et 1994-1995 (225 millions contre 2,4 milliards. La 2. Le coût unitaire en intrants échangeables est égal au rapport du coût total des intrants échangeables sur la valeur de la production. 176 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC firme n'étant pas efficace dans l'allocation de ces ressources, ces exportations ne pouvaient que tomber très vite pour atteindre 1,7 milliards en 1996-1997. La dévaluation a permis à l'entreprise de réduire son inefficacité. Sa valeur ajoutée internationale qui était négative en 1991-1992 est largement positive en 1994-1995. Cependant, la firme n'a toujours pas d'avantage comparatif. Certains indicateurs des monopoles sont résumés dans le tableau suivant. Les résultats sont obtenus à l'aide du logiciel JAVINAC de Cockburn Tableau 4. Quelques indicateurs de performance des monopoles Piles électriques Allumettes Planches 1991/ 92 1994/ 95 1991/ 92 1994/ 95 1991/ 92 1994/ 95 CU CU en intrants échangeables CUPR distorsions totales CCRI (Balassa) exportations en milliards de francs 1,07 0,63 1,38 -0.31 1,15 0,72 1,11 0,04 1,85 4,538 0,98 0,40 1,45 -0,47 1,16 0,52 1,07 0,09 1,27 1,605 1,1 0,77 1,33 -0,22 1,03 0,78 1,18 -0,14 Source: nos calculs * = valeur ajoutée internationale négative * 3,007 * 1,246 * 3,612 * 8,782 Les coûts unitaires sont supérieurs à 1. Les firmes restent cependant en activité, car elles couvrent les coûts en travail et en intrants. La dévaluation fait augmenter les coûts en intrants échangeables pour toutes les entreprises. Les distorsions englobent la protection du produit, la protection des intrants, les distorsions du taux d'intérêt et les distorsions du taux de change. Elles diminuent en valeur absolue du fait de la disparition de la surévaluation (distorsion du taux de change) et de la nouvelle réforme fiscalo-douanière. Aucun monopole n'a l'avantage comparatif. Leur activité fait perdre des devises à l'économie. Le cas des planches l'illustre fort bien. Les entreprises sont plus inefficaces en 1991-1992 (valeur ajoutée internationale négative) qu'en 1994-1995 (valeur ajoutée internationale positive). La dévaluation a réduit l'inefficacité des monopoles sans les rendre compétitifs. La réaction des firmes en concurrence ne sera pas uniforme. 2) Les produits des firmes en situation de concurrence A titre d'illustration, nous n'avons retenu que quelques produits: les tôles, le plastique, les savons et détergents, les cigarettes et les peintures. a) Les tôles en aluminium Pour les cinq entreprises sélectionnées, le produit consomme moins d'intrants étrangers dans sa production (8,5 % en 1991-1992 contre 3,5 % en 1994-1995). L'explication est que le Cameroun a une usine de traitement d'aluminium. C'est un monopole en UDEAC. Parmi ces entreprises, deux concernaient les exportations en 1991-1992, une seule en 1994-1995. Une L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 177 entreprise fait faillite. La valeur des exportations totales régresse. Elle passe de près de 4 milliards en 1991-1992 à 2,26 milliards en 1994-1995. Le résultat reflète la performance des entreprises qui n'ont pas d'avantage comparatif avant et après la dévaluation. b) Les plastiques Il s'agit des plastiques ménagers, des plastiques industriels et des chaussures en plastique. Quatre entreprises n'ont pas exporté en 1991-1992. Parmi ces entreprises, une a exporté 53 % de sa production en 1994-1995. Les ventes de cette entreprise connaissent une évolution nette: 1 milliard en 1991-1992 contre 1,5 milliards de francs en 1994-1995. Deux entreprises exportent en 1991-1992. Leurs exportations représentent 2 % du total des ventes pour la plus grande et 13 % pour la seconde. Les valeurs à l'exportation de ces entreprises augmentent de 55 millions à 1,2 milliard. Cette progression est attribuable à la plus grande firme. Les six entreprises retenues dans le secteur des plastiques ont exporté 59 % de leur production en 1994-1995 contre 6 % seulement en 19911992. Il faudra ajouter une explication autre que la dévaluation à cette évolution favorable. La dévaluation a rendu la plus grande entreprise compétitive. La firme al' avantage comparatif en 1994-1995. Les autres entreprises réduisent leur inefficacité. c) Les savons et détergents Ces produits enregistrent une baisse considérable. La plus grande firme exporte 70 % de sa production en 1991-1992. Ce taux est de 52 % en 19941995. La libéralisation et la dévaluation entraînent une perte des parts de marché des entreprises. Une des explications est que les entreprises augmentent leur coût de production. La régression du produit sur le marché international se confirme en 1996-1997, soit une baisse de 92 % en quantité et 96 % en valeur par rapport à 1995-1996 pour l'ensemble des savonneries. d) Les cigarettes Les cigarettes enregistrent une avancée nette. Leurs exportations ont augmenté de 847 millions en 1992-1993 à 2,8 milliards en 1994-1995. Les deux entreprises du pays ont l'avantage comparatif pour les deux périodes. C'est ce qui explique leur compétitivité sur le marché international après la dévaluation et la nouvelle réforme fiscalo-douanière. e) Les peintures et vernis Les deux fabricants de peintures n'ont pas d'avantage comparatif en 1991-1992. Leur valeur ajoutée au prix international est d'ailleurs négative. Les distorsions leur sont favorables pour la même année. Ils exportent ainsi pour 694 millions de francs. Après la dévaluation, une seule firme continue à exporter. C'est la plus importante. Celle-ci, qui améliore ainsi sa performance, a l'avantage comparatif. Les distorsions favorables baissent en valeur absolue en 1994-1995 du fait de la dévaluation et de la réforme fiscalo-douanière. Les exportations ne sont plus que de 203 millions de francs. 178 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Le tableau suivant présente l'évolution de quelques indicateurs des entreprises retenues. Tous les produits retenus enregistrent une baisse de la proportion d'intrant consommée sauf les bières. Trois produits améliorent leurs exportations. Il s'agit des cigarettes, des plastiques et des bières. Les tôles, les savons et détergents et les peintures reculent. Aucun fabricant de tôles n'a l'avantage comparatif pour les deux périodes. Le plus important a une valeur ajoutée internationale négative pour les deux années. Le fabricant des savons a l'avantage comparatif. Cependant, les distorsions lui sont défavorables. Ces distorsions augmentent ses coûts de production au-dessus de 1 (voir annexes). La firme souffre aussi de la contrebande. Tableau 5. Quelques indicateurs relatifs aux produits exportés Produits (nombre d'entreprises retenues) Exportations (en milliards de francs CFA) 1991192 Consommation intrants importés (en %) 1994/95 1991192 1994/95 3,731 2,26 8.5 3.2 1,78 6,92 58 54 22,672 24 60 76 6,13 5,9 35 29 Peintures et vernis (2) 0,69 0,203 85 84 Cigarettes (2) 0,847 2,831 97 76 Tôles et bandes en aluminium (5) Plastiques (6) Bières (4) Savons et détergents (1) Source: nos calculs. Les exportations des produits industriels n'ont pas augmenté comme on l'aurait souhaité. Cela est-il dû au fait que la réforme était insuffisante pour apporter un changement convaincant dans la structure des incitations ou alors à l'augmentation des prix à l'importation des produits intermédiaires? La seconde hypothèse est vérifiée dans le cadre de l'industrie manufacturière du Cameroun où on a constaté une nette augmentation des coûts en intrants échangeables après la dévaluation (voir en annexe). La réaction du secteur industriel est différente suivant le type de produit et de marché. Malgré leur inefficacité, les monopoles augmentent leurs ventes à l'étranger. Plusieurs firmes soumises à la concurrence reculent. L'importance du secteur pétrolier masque cette attitude de l'industrie manufacturière. Le pétrole brut Les quantités vendues du pétrole brut n'ont pratiquement pas varié entre 1992-1993 et 1993-1994 (0,2 %). Cependant, les valeurs ont progressé de 25,6 %. La contribution du produit aux recettes d'exportation est de 43,2 % en 1993-1994; 34,8 % en 1995-1996 et 41,5 % en 1996-1997 contre 50 % en 1992-1993. Ce léger recul s'explique plutôt par la bonne tenue des produits agricoles. Ces derniers ont augmenté leur contribution dans les recettes d'exportation au cours de la même période. Le pétrole demeure la principale source des recettes d'exportation du pays. L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 179 Une analyse des importations permettra de mieux comprendre l'évolution du solde commercial du pays. B. LES IMPORTATIONS Par rapport à l'exercice 1992-1993, il y a eu une réduction des quantités importées. Cette réduction concerne essentiellement les produits d' équipement industriels qui perdent environ 40 % de leur volume, le matériel de transport qui enregistre une baisse de 32 %, les produits intermédiaires et les consommations des ménages (produits agroalimentaires et autres). La raison de cette baisse est que la dévaluation a entraîné une inflation en moyenne de 35 %. Cette inflation accompagnée par le bas niveau des salaires au Cameroun a provoqué une paupérisation des populations des zones urbaines consommatrices des produits importés. Les importations étant devenues onéreuses, il a fallu se retourner vers les produits locaux tels que le maïs, le sucre, l'huile de palme ... Il y a substitution des produits importés faute de pouvoir d'achat. Cette substitution a été limitée. En 1994-1995 les importations ont connu une croissance positive tant en quantité qu'en valeur. L'on note une croissance moyenne de 81,5 % en quantité et 52 % en valeur entre 1994-1995 et 1996-1997. La croissance ainsi observée est attribuable à l'équipement industriel, au matériel de transport et traction, aux produits agroalimentaires et aux produits miniers bruts. La reprise de certaines de ces importations (équipement industriel et matériel de transport) constitue un indicateur de relance pour le secteur des investissements, car l'importation des biens de production a pour objectif le renforcement des capacités de production nationale, ce qui à terme devrait relancer les exportations des produits finis au cas où l'industrie serait compétitive. La dévaluation a aussi provoqué un regain d'intérêt pour le commerce entre le Cameroun et les pays ouest-africains de la zone franc. A titre d'illustration, les importations du pays en provenance de la Côte d'Ivoire qui ont difficilement atteint une valeur de 6 milliards sont évaluées à 21,174 milliards de francs CFA en 1996-1997. Celles en provenance du Sénégal doublent entre 1995-1996 et 1996-1997 et atteignent 8,136 milliards. Conclusion L'impact de la dévaluation sur le solde commercial du Cameroun est positif. On note une amélioration par rapport au niveau d'avant la dévaluation. Malgré un effet valeur important, l'effet volume est appréciable six mois après la dévaluation. Parallèlement, on observe aussi un renversement des tendances dans l'évolution du taux de croissance réel, qui passe de 3,2 % en 1993, - 2,6 % en 1994 pour atteindre 3,3 % en 1995 et 5 % en 1996. Ce résultat globalement positif ne nous permet pas d'apprécier la situation de l'industrie locale dont les performances laissent à désirer. Ce 180 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC qui signifie que le pays compte encore beaucoup sur les produits agricoles d'exportation qui totalisent en 1996-1997 37,4 % du total des recettes d'exportation, contre 30,9 % en 1992-1993. C'est la filière la plus importante après le pétrole. Cependant, il y a une note d'inquiétude si l'on s'en tient, d'une part, à l'évolution des cours de ces produits dont la courbe en «M )) est synonyme d'instabilité et, d'autre part, à la concurrence des pays de l'Asie du Sud-Est qui est tellement forte qu'on se demande ce que deviendra le secteur dans le long terme étant donné la perte des parts de marché par le continent africain au profit de l'Asie. L'instabilité des cours a plusieurs sources. La principale est le taux de change dollar/franc. Cette situation permet de se poser la question de savoir de quoi sera fait l'avenir face à la toute prochaine disparition du franc français. Est-ce la parité euro/dollar qui gouvernera les cours des produits de base d'ici quelques mois (cas où le franc CFA est rattaché à l'euro), la parité dollar/« monnaie commune entre les pays africains )) (cas où les PAZF décident de créer une zone monétaire autonome) ou alors la parité dollar/ «monnaie camerounaise))? Ce dernier cas signifierait renonciation à l'intégration des économies africaines. Qu'à cela ne tienne, la dévaluation a beaucoup plus apporté au secteur agricole qu'elle ne l'a fait aux activités industrielles. La part des exportations industrielles est restée stable avant et après la dévaluation. La dévaluation a diminué l'inefficacité de la firme camerounaise sans la rendre efficace. Le secteur pétrolier demeure très important dans les recettes d'exportation du Cameroun. Bibliographie Atangana C. (1996), «La culture de la pomme de terre affectée par la dévaluation )) La Sentinelle, n° 88 juin. Banque mondiale (1996), Rapport sur le développement dans le monde, Washington Oc. Coquet B., Daniel J. M (1992),« Quel avenir pour la zone franc? )), Observations et diagnostiques économiques, Revue de l' OFCE, n° 41, juillet : 241-291. Fondation Friedrich Ebert (1994), Après la dévaluation, conditions de compétitivité du secteur manufacturier et industriel du Cameroun, Cible, Yaoundé, Cameroun. Hugon P. (1994), « La dévaluation du franc CFA: analyses et perspectives )) Informations et commentaire, n° 88, juil.-sept. : 5-9. Jalladeau J. (1993), Introduction à la macroéconomie, Bruxelles, Prémisses, 413 p. Krugman P. et Obstfeld M. (1995), Économie internationale, Bruxelles, Prémisses, 873 p. L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA 181 Mali L. et Kouala S. (1996), « Banane CFA contre banane dollar, la guerre de la qualité? » International Trade, n° l, janvier. MlNEFIIDSCN (1994), Notes rapides sur les résultats du commerce extérieur en 93/94, Yaoundé. 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Valeurs en millions de francs CFA 1989/90 1990/91 v V Q Q Exportations 825993 553610 806927 545106 dont industrielles 5 103688 2 86675 18,9 408284 15,9 258092 299833 673523 676538 2 9 159151 425810 161563 381150 1 3 127800 156956 598561 (%) dont pétrole Importations 1991192 v Q 835531 518184 2 78812 331036 15,2 262131 696900 3 139489 311091 2 207093 Balance Source: Direction de la statistique et de la comptabilité nationale 1992/93 1993/94 v Q Q 744216 418698 772668 7 62698 5 293824 14,9 317562 195585 563542 615337 4 1 156348 291293 145132 7 1 128456 1994/95 1995196 1996/97 v v v Q Q 587161 731044 704385 689410 821608 7 93111 116550 8 139988 15,8 344115 16,6 370667 17,1 253392 268728 286064 553894 492452 8 1 311955 176186 442286 207240 572617 3 5 221290 262099 248991 V Q 763108 982805 102858 3 214711 10,5 408039 529810 9 253435 708169 6 274636 * =estimation 1994/95 1995196 Q v ND ND ND ND ND ND ND ND ND ND ND ND v Q 168055 32957 1062978 76303 113703 72676 75510 69351 51298 33808 42968 35808 ~ () 1996/97 Q 147121 155655 100607 82461 78053 78053 ~ m Z Tableau 7. Évolution des exportations des principaux produits de base entre 1992-1993 et 1996-1997. Quantités en tonnes; valeur en millions de francs CFA 1991192 1992/93 1993/94 Produits V v v Q Q Q 119814 bananes fraîches 111691 13224 14611 152514 19150 37514 bois brut 568707 521304 36656 794891 80368 cacao brut 88411 31743 83256 25907 77745 30550 31487 cafés 117553 85743 20598 81308 47052 caoutchouc brut 45578 10708 49625 11218 20583 7953 coton brut 44379 17439 49495 28290 48982 29432 Source: Direction de la statistique et de la comptabilité nationale. ND = non disponible ~ v 27938 103295 63222 68405 65421 65421 183 L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA Tableau 8. Cours moyens des principaux produits exportés Années 1972 1973 1974 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 cacao FCFAJkg café arabica FCFAJkg banane FCFAJkg coton FCFAJkg bois brut FCFAlM3 161 173 473 318 555 1039 382 381 300 336 720 700 301 324 397 349 771 1456 532 521 431 473 1890 1 710 59 67 81 101 142 248 260 297 227 226 ND ND 188 264 319 219 380 572 470 476 317 350 850 990 14915 28424 28168 28873 55555 69833 100 347 99722 99167 99340 ND ND Source: Le Cameroun en chiffres. Tableau 9. Évolution de l'avantage comparatif (du coût en intrants échangeables) de quelques entreprises camerounaises Produits Tôles et bandes en aluminium - entreprise 1 - entreprise 2 - entreprise 3 - entreprise 4 - entreprise 5 Plastiques - entreprise 1 - entreprise 2 - entreprise 3 - entreprise 4 - entreprise 5 - entreprise 6 1991/92 1994/95 * (0,69) 5.01 (0,54) * (0,83) * (0,72) 1,78 (0,55) * (0,88) faillite 5,78 * * 3,76 (0,54) * (0,50) * (0,55) * (0,59) ND ND 0,78 (0,61) 2,41 (0,55) * (0,78) 1,16 (0,57) * (0,61) * (0,66) 0,38 (0,49) 2,74 (0,48) Savons; une entreprise 0.31 (0,51) 0.55 (0,60) Cigarettes - entreprise 1 - entreprise 2 0,48 (0,69) 0,49 (0,44) 0,54 (0,53) 0,54 (0,45) Peintures et vernis - entreprise 1 - entreprise 2 Source: nos calculs * 2,16 * =valeur ajoutée internationale négative; ND =données non disponibles 8 Performances macroéconomiques au Cameroun et dévaluation du franc CFA Par Bondoma Yokono DIEUDONNÉ La dévaluation fait partie des instruments de politique économique dans un régime de parité fixe. En particulier, un pays peut être amené à dévaluer sa monnaie en cas de déséquilibre externe. Théoriquement, la dévaluation provoque deux types d'effets dans l'économie: un effet prix et un effet de substitution. L'effet prix a trait à la modification des prix relatifs des biens (hausse du prix des importations exprimé en monnaie nationale et baisse du prix des exportations exprimé en devise). Quant à l'effet de substitution, il résulte de l'effet prix, ce dernier devant susciter une réorientation de la demande interne vers les produits nationaux. Une telle réorientation de la demande exerce alors un effet positifsur la production nationale. Par ailleurs, étant donné la baisse du prix des exportations, exprimé en devise, ce qui traduit un gain de compétitivité au plan international, les quantités exportées s'accroissent, renforçant ainsi l'impact attendu sur la production nationale. Mais présentée de cette façon, c'est prétendre que la dévaluation entraîne partout et toujours les mêmes effets. Or, dans les analyses traditionnelles, la réussite d'une dévaluation est subordonnée à certaines conditions. Généralement, celles-ci ne sont pas toujours favorables dans les pays africains de la zone franc. Pourtant, le Cameroun enregistre, depuis la modification de parité de janvier 1994, des résultats macroéconomiques satisfaisants. La présente communication se propose de donner quelques éléments de réponse à la question de savoir quelles sont les variables qui ont ainsi permis au Cameroun d'enregistrer de telles performances, sans décalage temporel. L'intérêt d'un tel travail peut être relevé à deux niveaux: • l'on a souvent eu beaucoup d'appréhensions par rapport aux effets d'une dévaluation, eu égard à la nature des économies d'Afrique subsaha- 186 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC rienne, au sein desquelles la plus grande partie des recettes d'exportation provient des produits dont l'offre n'est pas variable à court terme; • les schémas théoriques présentent généralement un décalage temporel entre le moment où la dévaluation est réalisée et le moment où elle commence à générer des effets positifs, notamment au niveau du solde commercial. Cette étude procède alors par la présentation, dans un premier temps, des arguments qui fondent les appréhensions des petits pays à procéder à la modification de leur taux de change et, dans un deuxième temps, des facteurs explicatifs des bonnes performances enregistrées au Cameroun après la dévaluation de janvier 1994. Les appréhensions en matière de dévaluation Les pays africains appartenant à la zone franc n'ont pas souvent manifesté un enthousiasme pour cet instrument de politique monétaire qu'est la dévaluation. C'est qu'ici, on avance un certain nombre d'arguments qui, s'appuyant essentiellement sur la structure de ces économies, présentent la dévaluation comme susceptible d'engendrer plutôt des effets pervers. Ces arguments ont principalement trait à la « condition de Marshall-LernerRobinson «(condition fondamentale), aux délais d'ajustement, à d'autres éléments dont la prise en compte n'est pas moins importante, pour la réussite d'une opération de dévaluation. La condition fondamentale En se limitant à l'équilibre extérieur, l'effet positif d'une dévaluation sur la balance commerciale est subordonnée à la réalisation d'une condition fondamentale, connue sous le nom de «condition de Marshall-LernerRobinson» ou théorème des élasticités critiques. Ce théorème est libellé par Guillonchon (1993: 205) en ces termes: «Si les élasticités prix d'offre d'exportations et d'importations sont infinies et si la balance courante, évaluée en monnaie nationale, est initialement équilibrée, la dévaluation (dépréciation) du change national améliore le solde courant, à condition que la somme des élasticités soit supérieure à l'unité. » Ceci signifie que si un pays est en situation de déficit courant avant la modification du change, le succès de la dévaluation ne peut être assuré (même lorsque la condition relative aux élasticités prix des demandes d'exportations et d'importations est remplie) que si ce déficit est limité en termes relatifs (Guillonchon, 1993). S'agissant des pays en développement exportateurs de produits primaires, on estime généralement que la réalisation de la « condition de Marshall-Lerner-Robinson» n'est pas évidente (Raffinot, 1991: 177). Le volume des exportations n'est pas très sensible aux variations des prix. Les quantités des produits exportés (de par la nature de ceux-ci) sont en général PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES AU CAMEROUN 187 fixes à court terme, soit que les récoltes aient déjà été effectuées, soit que l'augmentation de la production suppose d'importants investissements supplémentaires, ou un délai nécessaire à la maturation des plantes. Par ailleurs, le volume des importations est souvent peu sensible aux prix. En effet, les importations sont, pour une grande partie, constituées de biens alimentaires de première nécessité, de produits pétroliers, de biens d'équipement, ou encore de consommations intermédiaires dont les pays en développement peuvent difficilement réduire la demande sans compromettre le bien-être des populations. Ainsi, la part des produits importés pour lesquels le mouvement des prix relatifs est susceptible de jouer est assez faible. Ces réserves étant formulées sur les élasticités, il faut également tenir compte des délais d'ajustement. Les délais d'ajustement Une modification du taux de change ne se répercute pas initialement sur le solde commercial. Une dévaluation ou une dépréciation est généralement suivie d'une dégradation du solde commercial, puis, après un certain délai variable, d'un redressement de ce solde. On parle ici de la courbe en J pour illustrer ce profit d'évolution du solde commercial. Ce phénomène a pu être observé dès la fin des années 1960. L'évolution en deux temps, et dans une tendance inverse, du solde commercial peut être expliquée de la manière suivante: • la manifestation des effets prix (la détérioration des termes de l'échange) : elle est due à la rigidité à court terme des volumes exportés. En effet, d'une part, les prix à l'exportation en monnaie nationale réagissent très peu, et même pas du tout, à la modification du taux de change. Ces prix sont quelques fois fonction de coûts qui sont eux-mêmes rigides. Parfois, ils sont fixés par contrats, avant la dévaluation, contrats dont les clauses restent valables dans les mois qui suivent le changement de parité; par ailleurs, les prix à l'importation en monnaie nationale augmentent du fait du renchérissement de la monnaie étrangère; • la manifestation des effets quantité (l'amélioration de la balance commerciale). Elle est due à l'augmentation en volume des exportations et à la diminution en volume des importations. Cette nouvelle tendance, qui apparaît généralement plusieurs mois (parfois même plus d'un an) après la dévaluation, est consécutive à une adaptation des flux commerciaux aux nouveaux prix. Ainsi, la demande étrangère de produits nationaux s'accroît, en raison de la diminution en monnaie étrangère des prix à l'exportation, et la demande nationale de produits étrangers diminue, en raison de l'augmentation en monnaie nationale des prix à l'importation. Dans le cas des États-Unis, une étude par P.D. Koch et J.A. Rosenweig (1988) à partir de données mensuelles, pour la période 1973-1986, montre que la baisse du cours du dollar: 188 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC • engendre une hausse du prix des importations exprimé en cette monnaie, mais avec un décalage élevé (I2 à 18 mois) ; • ne provoque pas de réaction du volume des importations américaines avant un délai très long (19 à 42 mois) ; • ne provoque pas de réaction du prix à l'exportation; • possède un effet positif, mais faible, sur le volume exporté. On voit donc, même dans le cas des États-Unis, que tous les effets attendus d'une modification à la baisse de la parité de la monnaie n'ont pas lieu, compte tenu principalement de l'insensibilité, pendant une longue période, des importations au taux de change. D'autres éléments existent, dont la prise en compte est nécessaire pour la réussite d'une dévaluation. Il s'agit: • de la possibilité pour les entreprises, d'avoir des comportements de marge, qui réduisent les effets positifs de la dévaluation sur le solde commercial. En effet, si les importateurs réduisent leurs marges, les prix des produits importés augmenteront moins que prévu et la diminution en volume des importations sera moindre. Quant aux exportateurs, s'ils augmentent leurs marges, on assistera à une moindre hausse en volume des exportations; • de l'existence de capacités de production inutilisées au sein de l'économie nationale; • de la nécessité de mettre en œuvre un plan de lutte contre l'inflation importée, celle-ci étant susceptible d'annuler les gains de compétitivité prix des produits nationaux. Les facteurs explicatifs des performances du Cameroun Al' observation des faits et des chiffres, l'on se rend compte que les résultats macroéconomiques du Cameroun se sont améliorés au lendemain de la dévaluation de janvier 1994. Le taux de croissance du PIB en termes réels a atteint 3,3 % en 1994-1995, contre - 3,8 % l'année précédente. Il faut d'ailleurs relever que ce taux de croissance positif est intervenu après pratiquement huit années de récession ininterrompue. Depuis lors, le taux de croissance du PIB en termes réels s'est situé à une moyenne d'environ 5 %. L'inflation, après avoir atteint la pointe d'environ 48 % en 1994-1995, a pu aujourd'hui être maîtrisée. Le commerce extérieur a connu un regain de vitalité, avec un excédent de la balance commerciale de 291,6 milliards de francs CFA en 1994-1995 (<< La zone franc », 1997: 150). C'est donc au double plan du secteur réel et du secteur extérieur, que nous essaierons de dégager les facteurs explicatifs de ces bonnes performances du Cameroun après la dévaluation de janvier 1994. PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES AU CAMEROUN 189 Au niveau du secteur réel Du côté de l'offre, l'activité a été soutenue dans presque tous les secteurs d'activité. Dans l'agriculture d'exportation, à l'exception du cacao dont la production, après avoir culminé à 134000 tonnes en 1994-1995, a ensuite chuté pour se situer à 125 800 tonnes en 1996-1997, les autres principales productions d'exportation ont connu une forte augmentation en volume au lendemain de la dévaluation du franc CFA. C'est le cas notamment du café, du coton et du bois. Pour ce dernier produit, l'augmentation de la production a été régulière depuis la dévaluation du franc CFA. De 2 430 000 m 3 produits en 1993-1994, l'on est passé à 3 500 000 m 3 en 1996-1997. Il est de même du café, dont la production a presque doublé. De 270 000 tonnes en 19931994, la production est passée à 520 000 tonnes en 1996-1997. Quant au coton graine, sa production a également connu une augmentation régulière et très sensible, depuis la dévaluation de janvier 1994. En 1996-1997, la production de coton graine a été de 219 000 tonnes, contre 126 000 tonnes en 1993-1994. Le secteur des industries manufacturières, après un déclin en 1994-1995 de l'ordre de - 1,35 %, a enregistré une croissance de 8 % au cours des deux années suivantes (FMI, 1997: 8). Du côté de la demande globale, celle-ci est passée de 2 915,6 milliards en 1994-1995 à 3 092,1 milliards en 1995-1996, puis à 3 288 milliards en 1996-1997, en francs constants de 1989-1990, ce qui correspond à une augmentation de plus de 6 % entre les deux périodes. Celle-ci est tirée principalement par l'investissement, dont le taux s'est situé à 16 % en 1995-1996 et 17 % en 1996-1997. Au niveau du secteur extérieur Face au déséquilibre persistant du compte des transactions courantes du Cameroun, le réajustement monétaire de janvier 1994 avait pour principal objectif de rétablir l'équilibre dudit compte, notamment en améliorant le solde de la balance commerciale. La dévaluation devait alors combiner ses effets à la libéralisation, pour engendrer une forte expansion tant en volume qu'en valeur des exportations, une réduction en volume des importations, celles-ci étant remplacées par les produits locaux. L'examen de la balance des paiements du Cameroun permet de voir que le solde de la balance commerciale est passé de 181,2 milliards de francs CFA en 1993-1994 à 291,6 milliards l'année suivante. Malgré une diminution de l'ordre de 15,5 % en 1995-1996, ce solde est remonté à 374,8 milliards en 1996-1997 (<< La zone franc », 1997). Quant au solde des transactions courantes, il est redevenu positif au lendemain de la dévaluation, passant de - 94,2 milliards en 1993-1994 à 69,6 milliards en 1994-1995. L'on relève que les exportations de produits industriels sont celles qui ont le plus contribué à l'amélioration de ces soldes (commercial et transactions 190 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC courantes). En effet, ces exportations ont progressé de 45,8 % en volume et de 93,1 % en valeur, entre 1993-1994 et 1994-1995 (Marchés tropicaux, 1997: 2(05). La filière bois en particulier a parfaitement réagi à la dévaluation, avec une hausse des exportations de bois transformé de 139,3 % en volume et 251,7 % en valeur (ibid.). La plupart des autres exportations industrielles ont elles aussi connu une forte augmentation, y compris les produits tels que les tissus textiles, les piles électriques, les savons et autres produits cosmétiques, qui ont trouvé dans la zone de la CEMAC un marché privilégié après la dévaluation, se substituant à des biens autrefois importés d'Europe. Ainsi, la dévaluation, aidée par une conjoncture mondiale favorable (hausse des cours des principaux produits exportés) a donné un élan particulier au secteur industriel au Cameroun. Les performances enregistrées au niveau des secteurs réel et extérieur ont contribué à alimenter les finances publiques et les comptes monétaires. Ainsi, le solde primaire par exemple, qui était seulement de 27,8 milliards de francs CFA en 1993-1994, est passé à 157,8 milliards l'année suivante. En 1996-1997, il s'est situé à 287,1 milliards (FMI, 1997: 20). Donc, en dépit des réserves théoriques et des appréhensions d'avant la dévaluation, l'on se rend compte que l'économie camerounaise a positivement réagi à la mesure de changement de parité monétaire. Cependant, les bons résultats macroéconomiques enregistrés par le Cameroun ne se sont jusqu'ici pas fait ressentir au niveau du bien-être des populations. Il apparaît même que la pauvreté s'est quelque peu accentuée. C'est du moins ce qui ressort de l'étude de la Banque mondiale sur l'évaluation de la pauvreté au Cameroun (1995), de l'enquête camerounaise auprès des ménages (1996) et du Rapport sur le développement social (1997). Ces différentes études ont permis de noter que la pauvreté est un phénomène multidimensionnel, qui se manifeste à travers l'aggravation du chômage (surtout celui des jeunes), les difficultés d'accès aux services sociaux de base (santé, éducation, eau potable) pour les populations à faibles revenus, la dégradation des infrastructures économiques et sociales, et la déstabilisation de l'équilibre écologique. Du point de vue alimentaire, près de la moitié de la population totale en 1996 consommait moins de 2 400 calories par jour prescrites par la FAO comme étant le seuil minimum. La proportion de la population concernée par cette insuffisance alimentaire est en moyenne de 55 % en milieu rural, et 22 % en milieu urbain (Cameroun, 1998: 5). Il est alors fort à craindre que les impératifs liés au remboursement de la dette extérieure ne contribuent pour longtemps encore, à absorber en grande partie les bons résultats macroéconomiques du Cameroun, au détriment de l'amélioration du bien-être des populations. PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES AU CAMEROUN 191 Bibliographie Banque de France (1997), « La zone franc, rapport annuel ». Calipel S. et Guillaumont Jeanneney S. (1996), « Dévaluation, chocs externes et politique économique en Côte d'Ivoire. Analyse de leurs effets à partir d'un modèle d'équilibre général calculable », Revue d'économie du développement, n° 4. Cameroun (1998), « Déclaration de stratégie de lutte contre la pauvreté », juillet. Clément J.A.P., Mueller J., Cosse S., et Le Dem J. (1996), « Aftermath of the CFA franc devaluation », Occasional Paper, n° 138, IMF, Washington DC. Devarajan S. et Hinkle L.E. 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Le présent document se propose d'examiner l'impact de la dévaluation du franc CFA sur les importations, alimentaires et autres. Il tente d'expliquer la performance différenciée des pays de la zone franc en focalisant l'analyse sur l'évolution des importations. Dans le débat scientifique sur les effets positifs de la dévaluation, l'accent est mis sur la dynamique des exportations. Des liens de cause à effet sont d'ailleurs établis avec facilité entre la croissance des exportations (minières et agricoles) et celle du produit intérieur brut réel (PIB). On s'empresse maintenant d'établir des parallèles entre la croissance démographique et la croissance du PIB. Un taux de croissance du PIB plus élevé que celui de la population sert désormais d'indicateur de la bonne performance économique dans la période postdévaluation du franc CFA. Cette approche analytique soulève plusieurs critiques évoquées dans la contribution. La principale parmi elles relève simplement du fait que le PIB réel est un indicateur d'équilibre général dont l'une des composantes est le volume des importations. La bonne performance économique d'un pays ne pourrait donc pas se réduire à la croissance de ses exportations ou de celle de son PIB. D'un point de vue de l'analyse de l'impact de la dévaluation du franc CFA, le volume des impor- 194 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC tations semble donc être un détenninant crucial des retombées de celle-ci. D'un point de vue de politique économique, les importations sont soumises à des facteurs structurels qui relèvent parfois des tendances lourdes du développement (démographie galopante, urbanisation rapide et concentrée, militarisation excessive, etc.). Ces tendances constituent des contraintes qui ne rendent pas aisée toute modification profonde de la structure des importations sur le court ou moyen tenne comme le suggèrent les mesures de stabilisation macroéconomiques des programmes d'ajustement structurel (PAS). Une évolution en hausse est notée des importations parallèlement à celle des exportations. D'où l'intérêt d'examiner les comportements des pays par rapport à leurs importations. En plus des questions mentionnées tout au début de cette introduction, le document tente aussi d'apporter des réponses aux questions suivantes: quel est le profil des pays par rapport aux importations après la dévaluation du franc CFA? A quel degré cette dévaluation a-t-elle affecté la structure des importations? Quels sont les facteurs structurels qui en limitent les modifications profondes? De quelle manière la croissance du PIE observée après la dévaluation du franc est-elle tributaire de la dynamique des importations? L'étude cherche à décrire et à expliquer le comportement des pays francophones de la zone CFA par rapport à leurs importations. Elle prend comme référence temporelle les deux périodes pré et post-dévaluation du franc CFA. Les variables descriptives et explicatives sont tirées des données structurelles nationales portant sur l'urbanisation, les exportations, la composition des importations, la dette publique externe, le service de cette dette, les dépenses militaires, les dépenses de l'administration centrale, l'assistance internationale au développement. Le modèle statistique utilisé s'appuie sur une série de régressions multiples, qui pennettront d'identifier la contribution de ces variables explicatives structurelles sur la variation des importations. Les données couvrent la période 1980-1996 et se rapportent aux statistiques produites par plusieurs organisations internationales. La première section propose un cadre théorique et méthodologique qui pennet de construire une hypothèse globale de travail à tester et une approche analytique à suivre. Les sources des données y sont aussi présentées. Dans la seconde section, un examen de la structure des importations est faite pour en dégager les tendances lourdes qui pèsent sur elles. La troisième section prolonge cet examen en considérant un aspect fondamental de ces contraintes, à savoir l'environnement financier international qui définit les limites des ressources financières pouvant infléchir la marge de manœuvre des pays. La quatrième section est une analyse quantitative qui comporte deux volets. Le premier est l'identification de la force et du type de relation qui existent entre les variables susceptibles d'influer les importations. Le second volet, s'appuyant sur des modèles de régression multiple, cherche à mesurer leurs effets partiels sur les évolutions annuelles observées. Une discussion des résultats fournis par les modèles est menée dans cette section afin de renforcer l'interprétation statistique. Dans la der- DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 195 nière section, on dégage quelques implications de ces résultats sur la définition d'une politique économique pour la période post-dévaluation. Les relations entre dévaluation du franc CFA et importations: un cadre théorique Lorsque au Il janvier 1994, les quatorze l États africains qui forment la zone franc CFA ont recouru à la dévaluation, tous étaient, à divers degrés, impliqués dans la mise en œuvre d'un programme d'ajustement structurel (PAS). Jusqu'à cette date, les pays concernés préféraient recourir à la politique monétaire et budgétaire pour juguler l'inflation et conduire leur PAS, plutôt qu'à une dévaluation pour ajuster leurs structures économiques (Jacquemot et Raffinot, 1993 : 254). Cette dévaluation a mis fin à une parité du franc CFA avec le franc français, qui est restée fixe depuis 1948. Envisagée dans une perspective théorique privilégiant le raisonnement en termes d'équilibre courant des échanges par le biais de l'élasticité prix, une telle dévaluation doit faire croître mécaniquement les exportations et réduire les importations, améliorant ainsi la balance commerciale. Le renouement avec une compétitivité économique en perte de vitesse est activement recherché à travers cette opération monétaire. C'est d'ailleurs sous cet aspect fondamental que sont appréciés les effets de cette dévaluation monétaire en Afrique dans le contexte des programmes d'ajustement structurel (PAS) de type orthodoxe (Banque mondiale, 1996). L'un des principaux objectifs visés à travers la dévaluation du franc CFA est de rendre plus compétitifs les produits vendus par les pays de la zone sur le marché international; donc de relancer les économies de ces pays sur le plan international. En dévaluant, le résultat escompté est que les produits d' exportation des pays respectifs, devenus moins chers, se· vendront mieux à l'étranger, tandis que la demande des produits importés diminuera selon toute vraisemblance du fait de leur renchérissement. Cependant, cette réduction mécanique des déséquilibres est largement discutée par de nombreux économistes ayant examiné cette question de dévaluation du FCFA. La discussion porte essentiellement sur la capacité des pays à réduire leurs importations et si cela se réalise sur les conséquences négatives que cela pourrait avoir sur l'activité économique dans son ensemble. D'un autre côté aussi, on se demande si ayant dévalué leur monnaie, les pays de la zone FCFA pourraient soutenir des volumes d'importation comparables à ceux d'avant la dévaluation et contrôler l'inflation qui en résulte. Cette dernière 1. Ces pays sont: le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la République centrafricaine, le Tchad, les Comores, le Congo, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Équatoriale, le Gabon, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. La Guinée-Bissau, qui en est devenue membre en janvier 1997, est exclue de toute l'analyse qui suit. 196 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC préoccupation soulève sans nul doute le problème de l'aide nécessaire pour soutenir de telles actions. Dans les deux sous-sections qui suivent, ces deux préoccupations sont examinées dans le but de guider la confrontation de ces points de vue théoriques avec la réalité empirique observée avant et après la dévaluation. Une compression des importations est-elle envisageable dans le contexte de la zone franc CFA après la dévaluation? De façon générale, il est reconnu qu'en Afrique, la demande nationale en biens importés (équipements et autres) est soumise à de fortes rigidités. La zone franc CFA ne fait pas exception à cette contrainte. Presque partout dans la zone, il est difficile à un pays de compresser une grande variété de ses importations. Cette difficulté se trouve d'ailleurs confirmée par différentes observations portant sur la structure des importations au niveau de chaque pays. Le besoin en intrants, en biens d'équipement comme en biens finaux est maintenu important du fait de la faiblesse technologique qui caractérise ces pays. A quelques exceptions près, les pays africains importent tout. La liste des importations couvre pratiquement une gamme variée de produits qu'il serait difficile de rendre compte de façon exhaustive ici. Comme on le sait aussi, les politiques nationales visant à créer des industries de substitution pour ce qui est de certains produits importés, ont abouti à des échecs. Cette stratégie industrielle stagne à la phase primaire. Contrairement à ce qui s'est passé dans de nombreux pays asiatiques et d'Amérique latine, la progression vers la seconde phase ne s'est pas encore déclenchée (Snider, 1995 : 149-185). Ces industries de substitution sont partout en délabrement et fonctionnent en deçà de leur capacité. Certaines ont arrêté de fonctionner depuis longtemps faute de pièces de rechange; elles-mêmes doivent être importées. D'autres ont cessé toute activité sous la pression des mesures du PAS. Caricaturant dans un ouvrage le spectacle triste que ces industries (que certains n'ont pas hésité à nommer éléphants blancs) offrent en Afrique, un observateur de l'espace francophone dira que « l'Afrique est en panne». La dévaluation vient trouver les structures industrielles qui ne permettent plus d'approvisionner les marchés nationaux en produits locaux. Dans ces conditions marquées par une problématique de substitution des produits importés par les produits locaux, on peut se demander si la dévaluation pourrait être suivie d'une baisse durable des importations. A cette question, la CEA dans son rapport CARPAS (NU-CEA, 1989 : 20) adopte une position très critique. Dans ce rapport, il est souligné que la dépendance excessive des économies africaines à l'égard de l'extérieur compromet profondément, du fait de la sous-utilisation de la capacité industrielle, les bénéfices tirés d'une croissance des exportations des produits de base. Selon les termes du rapport CARPAS: « Les conditions relatives à l'offre et à la demande intérieures des produits locaux ainsi qu'à la demande extérieure des produits locaux devant DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 197 être nonnalement remplies pour que la dévaluation soit couronnée de succès ne le sont pas souvent, à cause de la limitation des moyens technologiques qui ne pennettent pas de substituer facilement des produits locaux [souvent non concurrentiels 2] aux produits importés, tandis que la dévaluation ne joue pas de façon appréciable sur l'élasticité de la demande extérieure» (CEA, 1989 : 20). Mbock (1994: 107) a aussi émis des réserves quant à la possibilité d'un impact positif de la dévaluation du franc CFA sur les importations dans les pays de la zone. Selon lui, si une diminution des achats à l'étranger, du fait de l'augmentation du coût des importations, se réalise effectivement « cela ne saurait être en soi un objectif de politique économique et un élément de satisfaction ». Aucun pays de la zone du franc CFA ne possède une capacité productive pour offrir des biens pouvant se substituer à ceux importés. M'Bock reconnaît aussi les contraintes qu'impose la dépendance technologique sur l'incompressibilité à un niveau considérable les importations habituelles. D'après ses termes: « ••• même dans le cas de figure optimiste d'une substitution aux importations, la période d'adaptation nécessaire est trop longue pour ne pas rendre le pari perdu d'avance» (Mbock, 1994 :107). En relation avec ces deux opinions, Hawken (cité par Goffaux, 1986: 121) souligne que la baisse des importations du fait de la dévaluation serait une arme à double tranchant lorsque le pays dépend de l'étranger pour un grand nombre d'approvisionnements essentiels, comme les biens d'équipement, la technologie, l'énergie pétrolière, etc. Comme on le voit, des doutes sont donc généralement exprimés non seulement sur la capacité d'une dévaluation à stimuler de façon durable les exportations grâce à des prix davantage compétitifs et à juguler une demande intérieure de produits importés. Cette dernière porte surtout sur des biens dont la demande est peu élastique comme les céréales, les produits manufacturés et d'équipement que le pays ne produit pas 3 . C'est la situation qui prévaut dans les pays de l'Afrique subsaharienne comme le souligne Martinussen (1995 : 108-111). On peut prédire que toute baisse d'importations qui se serait produite à la suite de cette dévaluation du Il janvier 1994, ne pourrait être que de courte durée. Dans cette perspective, il reste à mesurer l'ampleur et la durée de cette baisse. Aussi, il faut s'interroger sur les mécanismes sous-jacents qui vont intervenir dans la reprise de ces importations lorsqu'on sait que les recettes d'exportations sont à elles seules insuffisantes pour soutenir une telle reprise (en plus il y a la dette à payer et d'autres dépenses internes à assurer). 2. Les mots entre crochets sont de l'auteur. 3. Les regroupements régionaux n'offrent pas d'alternative pour importer un grand nombre de ces produits à partir d'un pays africain. 198 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Un maintien des importations à leur niveau d'avant la dévaluation dufranc CFA est-il possible sans aide financière extérieure? Lorsqu'on confronte certaines considérations portées à l'égard des importations dans le cadre des PAS actuels et celles à l'égard de la dévaluation, l'on est quelque peu forcé de relever des contradictions liées aux objectifs et aux conséquences. D'un côté, pour ce qui est des PAS, il est préconisé de libéraliser les échanges avec l'extérieur. Une telle libéralisation n'a de chance de produire des effets positifs que dans une situation où le pays est capable d'exporter des produits moins tributaires des chocs extérieurs. Ce qui n'est pas le cas des pays de la zone du franc CFA dont les exportations subissent fortement ces chocs. D'un autre côté, à travers la dévaluation, c'est un renchérissement des importations que l'on obtiendrait si ce n'est une baisse des importations. Examinant ce point, Jacquemot et Raffinot (1993 : 266) ont souligné que la forte inflation qui résulte d'une dévaluation sur les produits importés peut provoquer une modification dans la répartition des revenus au seul profit des commerçants et des entrepreneurs locaux. La consommation est également affectée du fait de la réduction des revenus réels des autres catégories sociales, ainsi qu'une augmentation de l'épargne. Inéluctablement, une consommation en baisse ne peut rester sans effet sur l'activité économique. Le résultat final de toutes ces interactions serait une réduction des importations dont la cause majeure n'est pas dans la substitution des produits locaux aux produits importés, mais dans la récession. Les PAS actuels cherchent à éliminer les comportements de recherche de rente (rent-seeking) que créent certaines de ces importations considérées comme «mauvaises 4 ». Cette recherche de rente est, dit-on, une caractéristique des groupes urbains en Afrique subsaharienne. En effet, l'urbanisation est généralement présentée comme l'un des facteurs liés aux biens concurrents des importations. Elle s'accompagne de nouvelles habitudes de consommation qui génèrent une demande importante à satisfaire par des volumes croissants de biens et services que le pays ne produit pas. Ainsi, l'industrie qui s'est fortement implantée dans les villes est une industrie qui utilise très peu de matières locales; ce qui exige par conséquent d'autres importations très onéreuses. Dans son rapport relativement célèbre, la Banque mondiale (1989) attribue l'accélération du rythme d'urbanisation dans les pays africains aux politiques tendant à favoriser les villes. Comme cela apparaît dans cette publication, la position de la Banque mondiale est extrêmement critique vis-à-vis des modèles de gestion du phénomène urbain en Afrique. Selon cette institution, de nombreux gouvernements africains ont mené des politiques macroéconomiques favorisant nettement le secteur urbain (Banque mondiale, 1989: 51). L'implantation de grandes industries à forte intensité de capital s'est développée dans les 4. Ce tenne sera discuté dans la section qui examine la structure des importations. DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 199 grandes villes, encouragée pour cela par des politiques commerciales et de crédits « biaisées» en faveur des citadins. Le secteur agricole a été délaissé et appauvri au seul profit des consommateurs urbains. Cette position de la Banque est fortement liée à celles qui ont préconisé la stabilisation et les réformes sectorielles menées dans le cadre des politiques d'ajustement structurel et du changement de parité du franc CFA. Les objectifs visés ont été de réduire le biais urbain et d'accroître les revenus des paysans par la relance des exportations rendues plus compétitives. Sur un autre plan, l'assistance financière internationale extérieure a connu aussi l'émergence d'une position ferme sur sa disponibilité et son utilisation de la part des bailleurs de fonds. La raison étant que cette aide est détournée au profit de ces importations mauvaises qui encouragent le biais urbain (Lipton, 1977; Bates, 1981). Cependant, l'aide internationale apparaît également comme un facteur important de la réussite de la dévaluation (Conté, 1994 : 40). Le retour à l'équilibre externe est obtenu grâce à l'effet combiné de l'accroissement des exportations et de la réduction des importations. Il est aussi présagé qu'étant donné l'ampleur de la modification de la parité, les importations chuteront (et notamment celles des produits de luxe). Cette prédication est très problématique étant donné la structure des importations de la zone du franc CFA. Il reste à savoir si la dévaluation aurait amélioré la balance commerciale des pays de la zone par l'effet simple des exportations (sans aide). Au plan théorique, cette amélioration n'obéit pas à une relation causale. Lindert et Kindelberger (1983 : 347) soulignent que ce résultat n'est pas évident. En effet, s'il est vrai qu'à la suite d'une dévaluation, une évolution dans le sens d'une baisse des prix et des quantités peut être observée, il n'en reste pas moins que des exportations en baisse ou en stagnation ne sont pas susceptibles d'affecter positivement la balance commerciale nette. Cette question devient plus complexe dans les pays de la zone CFA pour lesquels il y a peu (sinon pas) d'informations sur les élasticités sous-jacentes de la demande et de l'offre à la fois sur le marché des exportations et sur le marché des importations. Il est aussi admis par beaucoup d'économistes que la dévaluation du franc CFA ne reposait sur aucune analyse sérieuse et objective de la réalité économique prévalant dans ces pays. Cela est souligné avec force par de nombreux auteurs dans un volume de la revue Politique africaine (1994) consacré à la dévaluation du franc CFAs. La flambée des prix (et dans certains cas le doublement mécanique) observée dès le début de la période post-dévaluation (tableau 1) rend compte de cette faiblesse structurelle au niveau des systèmes nationaux de production. Cela est un indicateur que certains économistes bien avertis ont d'ailleurs bien prédit (Krugmann et Taylor cité par Jacquemot et Raffinot, 1993 : 227). La raison dominante de cette mesure, au demeurant impopulaire, résidait dans la très problématique 5. Il convient de souligner ici que certaines des spéculations émises dans ce volume sont indirectement prises en compte dans l'hypothèse de travail testée dans la présente analyse. 200 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC retombée financière engendrée par un financement extérieur d'origine publique ou caritative (Coussy, 1994). La dévaluation était la condition posée par les bailleurs de fonds pour espérer recevoir l'assistance financière de l'extérieur. A ce propos, Coussy souligne que: « En refusant explicitement de consentir des avances aux pays qui ne dévalueraient pas, le but de la dévaluation devient explicitement, pour les pays de la zone franc, d'obtenir le retour des aides multilatérales, puis après l'alignement français, d'obtenir le maintien de l'aide bilatérale. Les pays de la zone ont procédé à la dévaluation quelles que soient leurs anticipations sur l'impact commercial de la dévaluation. Il est probable que, tôt ou tard, on leur reprochera, une fois de plus, de ne pas avoir "intériorisé" ce discours» (Coussy, 1991 : 22). Ce qu'il convient de souligner au sujet de cette conditionnalité relative au maintien du financement extérieur, c'est la génération d'une demande supplémentaire des aides dans le cadre des mesures d'accompagnement de la dévaluation. Ces mesures avaient été jugées nécessaires du fait que toute dévaluation crée des tensions inflationnistes dont les répercussions sont visibles sur la hausse des prix des produits importés. Des contradictions très pertinentes ont été relevées pour ce qui est de l'évolution future des relations entre l'aide, la dévaluation du F CFA et l'ajustement structurel proprement dit. Pour Coussy par exemple (1994), la dévaluation du F CFA est génératrice d'une demande supplémentaire d'aide financière de l'extérieur. Du fait des effets inflationnistes qui peuvent en découler, cette demande, comme tout financement extérieur, peut freiner l'ajustement préconisé par un effet de glissement vers le haut des dépenses publiques, une perpétuation du déséquilibre commercial. Comme on le sait, la réduction des dépenses publiques est l'un des objectifs premiers de l'ajustement. La crainte de voir ces effets pervers de la dévaluation se matérialiser dans les faits devait susciter un intense débat entre les institutions financières (auxquelles s'était jointe ouvertement la France) et les gouvernements des pays de la zone F CFA sur ce que devraient contenir ces mesures d'accompagnement de la dévaluation. L'on se rappellera d'ailleurs que bien après cette dévaluation, tout au long de l'année 1994, ce débat a perduré car les « fameuses» aides promises se faisaient toujours attendre pour beaucoup de pays de la zone. Ceux qui avaient commencé à les percevoir, comme la Côte d'Ivoire et le Sénégal (pour des raisons obscures), elles leur étaient versées au « comptegouttes ». Le processus d'octroi était (et il l'est toujours jusqu'ici) sélectif pour des raisons qui ne sont pas toujours purement économiques. Pour Coussy, « la dévaluation a été non seulement une conditionnalité de l'aide mais aussi une occasion de renforcer, sous le terme de mesure d'accompagnement, les autres conditionnalités ». DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 201 Tableau 1 - Niveau de l'inflation dans quelques pays après la dévaluation Pays Bénin Burkina Faso Cameroun Centrafrique Tchad Comores Congo Côte d'Ivoire Guinée Équatoriale Gabon Mali Niger Sénégal Togo 1994 54 nd 48 45 nd nd 61 32 nd 35 35 36 nd nd Source: CIA (1996) Une hypothèse de travail Au regard de tout ce qui précède et tenant compte des questions posées dans la section introductive, on peut à présent prédire que toute baisse des importations ne peut être que temporaire compte tenu des besoins importants que le système économique national ne peut satisfaire à partir des ressources locales. Dans cette reprise, l'aide internationale a certainement joué un grand rôle. L'hypothèse globale pour ce qui est du comportement des pays de la zone vis-à-vis des importations peut être formulée dans les termes suivants: suite à la dévaluation, les importations ont connu une baisse dans tous les pays de la zone en 1994. En réponse à cette baisse, un ajustement vers la hausse s'est opéré par la suite, du fait de l'incompressibilité des besoins internes. Cet ajustement a été variable selon le positionnement du pays par rapport aux marchés extérieurs pour les produits primaires exportés et à l'assistance financière internationale. Pour tester cette hypothèse, des données structurelles de nature macroéconomique sont utilisées. Elles sont passées en revue dans la section qui suit, avec quelques informations sur leurs sources et leur utilisation dans le modèle d'analyse. Sources statistiques et méthodes d'analyse des informations Les sources statistiques Compte tenu de la complexité que comporte l'interprétation des résultats à venir, il semble indiqué de fournir quelques détails sur la démarche qui a prévalu tout au long de la sélection des statistiques. Il convient tout d'abord 202 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC de souligner certaines exigences techniques liées à la constitution d'une base de données à la fois cohérente et pertinente pour un travail statistique comme celui qui est effectué dans ce document. La première exigence est celle d'utiliser des données produites sur la base des mêmes méthodes de mesure. Cela permet d'établir des comparaisons à la fois dans le temps et dans l'espace. C'est pour cette raison que l'auteur du présent travail a jugé indispensable le recours à des sources statistiques internationales. La deuxième exigence renvoie à l'établissement de séries chronologiques assez fournies et robustes pour pouvoir cerner les tendances instructives sur les faits observés. Pour cette seconde exigence, force est de reconnaître la grande difficulté de (re)construire de telles séries pour toutes les variables retenues dans ce document. Les données ne sont pas disponibles pour cela. Pour certaines variables, les raisons à cela tiennent tout simplement à la nature des opérations de collecte au cours desquelles les informations sont obtenues. Un indicateur d'urbanisation comme par exemple la proportion de citadins à l'échelle nationale est généralement dérivé d'un recensement de population effectué tous les dix ans dans le cas des pays africains. Une série détaillée par année pour un tel indicateur est difficile à obtenir, à moins d'utiliser les estimations établies par les Nations unies qui sous-estiment quantitativement l'urbanisation de manière considérable. Pour les autres variables surtout économiques, bien que des séries soient reconstituables, l'information est relativement plus fournie avant la dévaluation qu'après celle-ci. D'une manière générale, les sources statistiques internationales consultées se rapportent aux rapports annuels publiés à la fin de 1997. Par conséquent, une série lorsqu'elle est fournie de façon maximale ne peut couvrir que jusqu'à l'année 1996. (Dans la plupart des cas, seule l'année 1995 y figure.) Encore faut-il souligner que pour de nombreuses statistiques publiées, les chiffres disponibles sur l'année 1996 ne sont que provisoires. De même l'information sur l'année 1997 ne sera disponible que dans les rapports annuels qui seront publiés à la fin de 1998. Cette contrainte a nécessité que l'analyse soit beaucoup plus concentrée dans la période 1993-1996. Cela bien entendu n'exclut pas qu'on tienne compte des tendances observables durant les années antérieures d'ajustement structurel. La troisième exigence est celle de manipuler des données issues d'une même source internationale ou des sources assez voisines. Cette exigence est relativement facile à satisfaire pour ce qui est des variables macroéconomiques relevant du commerce extérieur et des transferts financiers internationaux. Ces quelques exigences évoquées, le tableau 2 ci-après indique les différents types de données qui ont été examinées et leurs sources d'obtention. Les références complètes figurent en bibliographie. Au total, la base de données constituée comporte 39 variables. Ces dernières ont été utilisées dans l'analyse lorsque leur pertinence s'est avérée nécessaire pour soutenir l'argumentation. DÉVALUATIaN DU FRANC CFA ET IMPORTATIaNS 203 Méthodes d'analyse des données Comme cela a été indiqué dans l'introduction, l'approche analytique se propose dans un premier temps de décrire les tendances sur les importations pour en dégager les différentiels selon certaines variables et, en fin de compte, de les expliquer. Tout au long de cette analyse, la variable dépendante sera donc le montant exprimé en millions de dollars (US) des importations. Les détails sur les procédures statistiques sont exposés ultérieurement. Il convient de souligner ici que l'analyse quantitative n'examine pas l'effet qu'exerce l'appartenance des pays à l'une des deux sous-zones monétaires que sont l'UMOA (l'Union monétaire ouest-africaine) et la CMCAC (Communauté monétaire et économique de l'Afrique centrale) sur l'ampleur des importations. Cette omission est valablement justifiée pour deux motifs. En premier lieu, les importations proviennent des pays situés hors du continent. Sur ce plan, les échanges entre pays d'une même organisation régionale sont relativement marginaux. En second lieu, L'influence de l'appartenance à l'une de ces deux zones sur les importations doit être appréhendée à travers un modèle statistique s'appuyant sur la régression logistique (dans un tel modèle, les variables zone et importation sont dichotomiques 6), différente de la régression multilinéaire retenue dans le présent document. Les importations dans la zone F CFA après la dévaluation Comme cela a été indiqué dans le tableau précédent, l'observation porte sur deux aspects des importations à savoir leur valeur en millions de dollars (américains) et leur structure exprimée en pourcentage de biens importés. Les services n'y sont pas inclus par nécessité de bien traiter cette variable. Les tableaux 3 et 4 font ressortir, respectivement, les fluctuations annuelles par pays dans les ratios exportation sur importation et dans les volumes des importations. Un premier constat fait ressortir que pour l'ensemble de la zone, le ratio exportation importation est demeuré supérieur à 1 sur la période observée. 6. Il est envisagé d'appliquer cette méthode statistique dans une étude ultérieure qui prolongera celle-ci. 204 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC Tableau 2 - Variable selon la source internationale fournissant l'information Variable Indicateurs Dernière année couverte Source Urbanisation Degré d'urbanisation 1995 CEPED (1993) et Banque mondiale (1997) Exportations -Montant en millions de $ des marchandises (f.à.b) -Taux de croissance -Structure (%) 1996 Banque mondiale (1997) CEA (1996) Importations -Montant en millions de $ des marchandises (f.à.b) -Taux de croissance -Structure(%) 1996 Banque mondiale (1997) CEA (1996) Assistance financière internationale Montant en millions ($) 1996 OCDE (1997) Dette totale extérieure -Montant en millions ($) -Ration sur exportations 1996 Banque mondiale (1997) Service de la dette -Montant en millions de $ des dépenses militaires CIA (1997) 1996 (selon le pays) Dépenses de l'administration centrale -Proportion du PIB Produit intérieur brut Taux de croissance 1996 Inflation Taux d'inflation 1994 (selon pays) Banque mondiale(1997) CIA (1997) Cela reflète probablement le poids des pays producteurs de pétrole. Ce ratio est cependant variable d'un pays à un autre. Pour de nombreux pays, il s'est sensiblement rapproché de l'unité après 1994; signe de l'effet de hausse enregistré au niveau des exportations 7 . Les volumes d'importations par pays connaissent aussi ces fluctuations annuelles. Ces variations annuelles sont liées aux besoins et aux moyens financiers dont dispose chaque pays. Toutefois, au-delà de ce constat quelque peu trivial, des tendances frappantes apparaissent. En premier lieu, lorsqu'on se positionne un an avant la dévaluation, l'on peut observer que 1993 et 1994 sont visiblement des années qui marquent une rupture nette. Pour 1994, à l'exclusion de trois pays (le Niger, le Tchad et le Congo), tous les autres pays de la zone F CFA ont enregistré une baisse très nette de leurs importations. Pour certains de ces pays, la baisse confirme une tendance qui s'est amorcée depuis les années 1980; d'où une certaine difficulté pour attribuer la baisse observée à la seule dévaluation. 7. Le tableau sur l'évolution des exportations figure en annexe (tableau 20). DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 205 Tableau 3 - Ratio exportations (f.à.b) sur importations (f.à.b) Pays 1987 1990 1992 1993 1994 1995 1996" Bénin Burkina Cameroun Centraf. Tchad Comores Congo Côte d'Iv. GuinéeEquatoriale Gabon Mali Niger Sénégal Togo 0,790 0,406 0,933 0,671 0,522 1,311 0,661 0,461 1,892 0,634 0,486 1,617 0,826 0,539 1,404 0,727 0,501 1,547 0,774 0,588 1,434 0,652 0,482 0,300 2,088 1,669 0,624 0,749 0,367 2,579 1,761 0,614 0,749 0,362 2,686 1,484 0,835 0,745 0,440 2,238 1,412 1,086 0,637 0,244 1,564 1,784 0,920 0,899 0,204 1,805 1,560 1,154 0,860 0,122 1,112 1,516 0,709 0,731 0,839 1,000 1,912 1,131 1,792 1,757 0,764 2,986 0,702 0,908 3,093 0,747 0,926 0,767 0,773 2,545 0,707 1,113 0,695 0,799 2,753 0,735 0,969 0,650 0,857 3,044 0,761 0,878 0,286 1,067 2,943 0,824 1,026 0,796 1,014 3,210 1,321 1,029 0,771 0,932 1,908 1,367 1,329 1,300 1,346 1,370 1,337 Total a. Les chiffres de 1996 sont considérés comme provisoires à la date de la publication. Source: calcul à partir du tableau 4 et du tableau 20 (annexe). Tableau 4 - Importations totales (f.à.b) en millions de dollars américains Pays 1987 1990 1992 1993 1994 1995 1996" Bénin Burkina Cameroun Centraf. Tchad Comores Congo Côte d'Iv. GuinéeEquatoriale Gabon Mali Niger Sénégal Togo 463 475 1853 428 542 1454 561 516 1024 539 541 1021 373 349 1016 557 485 1074 548 519 1200 198 226 40 420 1852 55 242 259 49 515 1705 52 189 243 58 439 1984 62 158 205 50 500 1784 52 139 212 45 613 1608 34 188 278 54 650 2420 76 117 301 49 1364 2847 96 732 335 138 956 444 805 442 338 1165 511 887 512 266 1192 409 845 475 256 1087 251 777 440 263 1027 212 898 557 274 1218 350 969 358 272 1325 370 8187 8507 8342 7764 7108 9179 10535 Total a. Les chiffres de 1996 sont considérés comme provisoires à la date de la publication. Source: extrait du tableau 5.2 (Banque mondiale 1997 : 74). Exprimée en tennes d'écart dans la valeur des importations entre deux années consécutives, la baisse devient plus significative pour ces deux années comme le montre le tableau suivant. En confonnité avec la logique de toute dévaluation, cette baisse considérable des importations peut être attribuée à la dévaluation du F CFA. Cette 206 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC Tableau 5 - Écarts annuels dans le volume des importations (f.à.b) de 1992 à 1996 Pays 1992-93 1993-94 1994-95 1995-96" Bénin -22 - 166 +184 -9 Burkina -192 +25 +136 + 34 Cameroun -5 -3 + 58 +126 Centraf -19 - 31 -71 + 49 Tchad - 38 +7 + 66 + 23 Comores -5 -8 -5 + 9 Congo +61 +113 + 37 +714 Côte d'Ivoire -200 -176 +427 +812 -18 Guinée-Equatoriale -10 + 42 +20 -42 Gabon - 68 +121 + 71 - 37 Mali - 35 +117 + 99 Niger -2 -10 +7 +11 Sénégal - 105 -60 +191 +107 - 158 Togo -39 +138 +20 Total -578 -659 +2071 +1356 , a. Les chIffres de 1996 sont consIdérés comme provIsOIres a la date de la publIcatIOn. Source: calculs à partir du tableau 4. dernière, comme cela a déjà été souligné, provoque une réduction des importations suite à leur renchérissement en monnaie locale. Cependant, le fait que l'année 1993 soit considérablement marquée par le même phénomène de baisse générale soulève quelques ambiguïtés quant à l'interprétation de cette baisse. Le tableau 6 indique que le nombre de pays touchés par la baisse est plus élevé d'un point par rapport à 1994. Il est fort possible que la dévaluation ait renforcé une situation de dégradation qui prévalait dans la balance commerciale de nombreux pays. De ce fait, les importations étaient déjà soumises à de nombreuses contraintes liées à la mise en œuvre des PAS. Ce sont ces contraintes qu'il faudra cerner dans la suite de cette analyse. Tableau 6 - Nombre de pays ayant connu une baisse de leurs importations selon l'année 1990 ---::1-;;"99;:;-;2:---1 1993 3 6 12 Source: calculé à partir du tableau 2. 1--l;-;:9:-;;:94-;---,-I---::1-;;"99;:;-;5=------r-""7 ;:;-;9::-:;6,---19 11 0 4 -------'----- En prolongeant l'observation au-delà de 1994, on peut se rendre compte que l'année 1995 marque aussi une rupture nette avec le déclin des deux années précédentes. Aucun pays n'a subi une baisse de ses importations. Tout au contraire, la hausse est générale. Certains dépassent même le niveau qu'ils avaient deux ans avant la dévaluation du F CFA. La reprise nette des importations dans tous les pays a été interprétée par certains analystes comme une réponse à la croissance économique retrouvée après le changement de parité (Bollé, 1997 : 405; Goreux, 1997 8). Cette interpréta8. Le premier auteur rapporte à partir des conclusions d'une réunion de travail de l'OIT tenue à Yaoundé en avri11997. Le second auteur, quant à lui, souligne cette relation dans un rapport préparé pour la Banque mondiale. DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 207 tion est tentante lorsqu'on met « mentalement» en parallèle l'évolution des importations et celle de la croissance de l'économie exprimée en taux annuel de croissance du PIB réel. Il est vrai, comme le montre le tableau 7, que les années 1994 et 1995 sont marquées par une amélioration du taux de croissance réel du PIB. L'amélioration se confirme pour l'année 1996. Évidemment, peu de pays exhibent un taux dépassant 5 % comme cela est constamment vanté par les partisans de l'économie exclusivement basée sur l'exportation des produits primaires «bon marché ». L'argument qui est avancé par Bollé (op. cir.) pour conforter sa thèse selon laquelle la croissance positive a relancé les importations, est que dans un premier temps, comme les importations (essentiellement les biens de consommation) étaient plus chères en termes de monnaie locale, une baisse de leur demande devait s'en suivre après la dévaluation. Cette baisse a entraîné du coup une réduction des volumes des importations. Avec la forte reprise, le besoin d'importer des biens servant de capital pour la production est devenu plus pressant. Ces deux auteurs considèrent ces importations comme étant « bonnes» en opposition aux importations de biens de consommation. La justification étant que les« bonnes» contribuent à la croissance et au renforcement de la situation améliorée. Cependant, une étude (à paraître) de Conté indiquerait qu'il y a des signes que les importations considérées comme « mauvaises» ont repris d'intensité dans certains pays comme le Sénégal et la Côte d'Ivoire par exemple. Cette interprétation soulève cependant de nombreuses réserves tant du point de vue de sa logique sous-jacente que de sa justification empirique. S'il est vrai que les taux annuels de croissance du PIB réel se sont nettement améliorés depuis la dévaluation (tableau 7), il n'en reste pas moins qu'il est difficile d'établir un lien de cause à effet entre cette amélioration et la hausse des importations observée en 1995. L'absence d'une forte corrélation positive renforce cette difficulté (le coefficient de corrélation de Pearsan atteint à peine + 206). Par conséquent, lier la hausse des importations, qu'elles soient «bonnes» ou « mauvaises », à un effet exclusivement induit par la dévaluation (et par ricochet à la croissance des exportations), semble être un raisonnement superficiel de la réalité. En outre, ce raisonnement n'est pas appuyé par un support statistique du fait que l'information sur la composition des importations en 1995 et 1996 fait défaut dans la plupart des rapports disponibles. L'on se demande alors sur la base de quelles données ce raisonnement, qui distingue les bonnes et les mauvaises, est fondé. Il s'agit probablement là d'une appréciation à caractère spéculatif s'appuyant sur des projections. Le coefficient de corrélation de Pearsan9 indique aussi l'absence de corrélation forte, qu'elle soit positive ou négative, entre les importations et le taux annuel de croissance du PIB réel pour les années 1993, 1994, 1995 et 9. Tous les coefficients de corrélation sont indiqués dans la section sur l'identification des facteurs ayant influencé les importations avant la dévaluation. 208 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC 1996. Cette information pourrait indiquer l'existence des rigidités dans la structure interne de ces importations ou peut être aussi l'opération d'autres forces économiques dictant leur dynamique. Par rapport à la rigidité, on peut la confirmer (ou l'infirmer) en examinant la composition des importations et son évolution dans le temps. Cet examen est fait dans la section qui suit. Pour ce qui est de l'opération d'autres forces économiques, la discussion théorique menée antérieurement permet de concevoir l'aide financière comme un déterminant majeur des importations. Un examen de l'évolution de l'aide pourrait révéler des orientations pour expliquer la hausse de ces importations après la dévaluation. La contribution de l'aide comme facteur explicatif sera mesurée grâce à l'analyse multivariée qui est prévue. Tableau 7 - Taux annuel de croissance du PIB réel depuis la dévaluation Pays Bénin Burkina Cameroun Centrafrique Tchad Comores Congo Côte d'Ivoire Gabon Guinée-Équatoriale Mali Niger Sénégal Togo 1993 1994 1995 1996 - 3.2 0.9 - 3.1 - 2.3 -15.8 3.8 -1.0 -0.2 2.2 7.3 2.4 1.4 -2.1 -18.2 4.6 1.3 -2.4 7.8 9.8 -2.3 -5.5 2.0 3.0 6.8 2.3 3.9 4.8 12.8 4.6 4.2 3.5 2.4 4.0 -2.3 2.2 7.0 3.7 11.2 6.4 3.2 5.1 7.1 5.6 5.5 5.0 -2.1 2.8 1.0 4.8 6.8 3.2 n.d 4.0 3.7 2.3 6.2 n.d: non disponible Source: extrait du Tableau 2.18 GDP Growth. World bank (1997 :34). Les rigidités dans la structure des importations Contrairement à un point de vue dominant qui établit une dichotomie entre les « bonnes» et les« mauvaises» importations, cette section privilégie une approche beaucoup plus fonctionnelle de ces importations. Une telle approche se justifie par le fait que la frontière entre les deux types d'importations n'est pas toujours aisée à établir. Un jugement à la fois partial et partiel est dans cet ordre de choses très tentant lorsqu'on ne prend pas en compte les potentielles finalités de ces importations. Pour cerner des changements dans la structure des importations, une classification en cinq types de biens importés a été faite en tenant compte des classifications en vigueur. Le tableau 23 en annexe rend compte de la situation qui a prévalu dans chaque pays jusqu'en 1994. Les données pour 1995 (sauf pour le Mali et le Niger) ne sont pas disponibles dans tous les rapports consultés. DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 209 Il ressort de ce tableau que pour chaque type de biens importés, l'évolution ne suit pas une tendance bien définie (hausse ou baisse régulière) au cours des trois années pour lesquelles on dispose des données. Cependant, la part consacrée aux importations des biens manufacturés autres que les machines et le matériel de transport conserve visiblement le niveau le plus élevé. Il faudrait cependant se garder de penser qu'il s'agit là exclusivement de produits de luxe destinés aux populations urbaines. Une structure détaillée des importations de quelques pays de la zone présentée dans le rapport EUROPA (1998) révèle que ce type de produits comprend en grande partie des produits pharmaceutiques, des produits chimiques nécessaires aux unités industrielles de production. Une usine locale de textile, par exemple, a besoin de volumes importants d'éléments chimiques, voire de tissu synthétique pour réaliser ses objectifs de production. Comme on peut l'imaginer, tous ces intrants chimiques dont l'usine a besoin doivent être importés, compte tenu de la faiblesse technologique dont souffrent les pays. Lorsqu'on met de côté la catégorie « Autres» du tableau 23, les combustibles semblent occuper la portion la plus faible des importations. Cependant, pour 1990 et 1994, on peut observer que seuls 5 pays ont connu une légère hausse de leurs importations en combustibles. Ceux qui ont connu une baisse sont au nombre de 7. Trois pays importent très peu de combustibles: Cameroun, Gabon et Congo. Les raisons à cela résident dans leur forte capacité de production pétrolière pour une partie raffinée sur place. Cela dit, ce type de produits est de toute évidence celui pour lequel une baisse importante est notée pour certains pays. La dévaluation y seraitelle pour quelque chose? Sûrement oui car leur offre présente une plus grande flexibilité dans la source d'approvisionnement que les autres produits importés n'ont pas. Au niveau des transports urbains par exemple, gros demandeurs de ces produits, les opérateurs peuvent recourir à des substituts fournis sur des marchés des pays voisins à bas prix. Les pays considérés comme gros producteurs de pétrole eux aussi n'échappent pas à ce recours aux substituts. Pour le Cameroun, par exemple, on rapporte qu'un marché parallèle de carburant (populairement connu sous le nom de Zoua-Zoua) en provenance du Nigeria a maintenu, contre toute attente, son intensité après la dévaluation. Le prix du litre d'essence d'origine nigériane vendue au Cameroun dans la zone frontalière s'est maintenu après la dévaluation. D'après Herrera (1994 : 58-65), une récupération totale des gains générés par la dépréciation du taux de change s'est opérée par suite d'une augmentation des marges brutes dans la période même où la variation du taux de change a eu lieu. Le comportement du prix de l'essence nigériane, selon Herrera, refléterait un mécanisme d'adaptation des marges afin de maximiser le rendement des exportations d'essence en termes de quantité de devises que celles-ci rapportent. Un autre exemple de substitution dans le domaine des carburants est offert par le Congo. Une situation analogue s'est développée à Brazzaville 210 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC et Pointe-Noire, les deux principales villes du pays, par suite des problèmes de ravitaillement en carburant. Un commerce informel d'essence en provenance du Congo démocratique (ex- Zaïre) prit de l'ampleur dans la ville de Brazzaville à cause des pénuries fréquentes de carburant qu'elle connaissait. La défectuosité du trafic ferroviaire (elle-même liée à l'incapacité à importer du matériel pour le maintien des équipements) y était en grande partie responsable. Pour ce qui est de la ville de Pointe-Noire, les difficultés financières de l'unique raffinerie du pays eurent pour effet une interminable rupture des stocks. La pénurie qui s'ensuivit déclencha une prolifération des points de vente de l'essence (localement dénommée Khafafi) et du kérosène en provenance de l'enclave du Cabinda voisin. Des informations parcellaires font état d'une situation analogue qui a failli se développer au Gabon, un autre pays grand producteur de pétrole. De nombreux autres pays de la zone du franc CFA comme le Bénin, le Togo, le Tchad et le Niger, connaissent eux aussi ce commerce informel d'essence, principalement en provenance du Nigeria. Cependant, ce commerce, aussi informel soit-il, est relativement toléré et ne fait pas souvent l'objet d'intenses pressions de la part des autorités gouvernementales. Tout laisse croire que les pouvoirs publics considèrent, dans une certaine mesure, ce trafic frontalier comme un mal nécessaire à l'économie de l'approvisionnement en carburant. Cette tolérance est renforcée dans les situations de pénurie; ce d'autant plus qu'il permet non seulement de combler un déficit dans la distribution des carburants, mais aussi de faire des économies au niveau des dépenses publiques. Il reste que la faiblesse des importations en combustibles rend compte, dans une large mesure, des besoins très limités des industries nationales en ce domaine. Un autre type de produits retient aussi l'attention dans cet examen de la structure des importations. Il s'agit des importations classées dans la catégorie « Machines et matériel de transport ». En importance, cette catégorie occupe la seconde place pour la moitié des pays de la zone. Il s'agit là souvent d'équipements lourds et sophistiqués d'un point de vue technologique. Les industries nationales ont grand besoin de ces équipements pour maintenir leur fonctionnement. De même, les programmes nationaux de développement des infrastructures produisant des services d'utilité publique (transports publics, distribution d'eau et d'électricité, télécommunication) génèrent des importations du même type. Dans leur état actuel, il est difficile (voire impossible) à un pays de les contourner du fait des contraintes technologiques qui pèsent sur le fonctionnement des infrastructures existantes. L'option qui consisterait à changer les sources d'approvisionnement pour développer l'infrastructure peut s'avérer très coûteuse tant d'un point de vue financier que de celui de la maîtrise technologique. La plupart des importations de machines rentrent dans le cadre de la maintenance des équipements préalablement acquis. En dépit des problèmes chroniques de faible productivité, ces pays importent des équipements lourds pour maintenir en fonctionnement leur infrastructure de production, évitant ainsi un DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 211 arrêt définitif des activités. Ils importent aussi souvent du matériel technologiquement avancé pour se mettre en phase avec le reste du monde et éviter d'autres formes de marginalisation. Le fait que le gouvernement soit le plus souvent le principal propriétaire de l'infrastructure de production (par le biais des entreprises d'État) à haute intensité de capital renforce, par ailleurs, leur effet financier sur les dépenses publiques. Une autre catégorie d'importations permet de prolonger le débat quelque peu controversé sur leur bien-fondé. Il s'agit de l'importation des produits alimentaires qui pendant longtemps a suscité une intense discussion sur les relations entre l'urbanisation (considérée comme pathologique) et l' approvisionnement alimentaire en Afrique subsaharienne. Le point de vue, en ligne avec la thèse du biais urbain évoquée dans une section précédente, dominant de cette polémique est que les volumes croissants des importations alimentaires seraient une dimension des politiques favorisant les citadins au détriment des ruraux. Une tendance assez radicale dans ce courant d'idées soutient que ces importations font partie de ces biens qu'on qualifie de luxe. De ce fait, elles rentrent dans la classe des « mauvaises importations ». Des études menées au niveau global ont mis en défaut cette relation présumée entre l'urbanisation et les importations alimentaires en Afrique subsaharienne. On peut citer à ce propos l'étude réalisée par Hugon et al. (1991) qui a montré la difficulté d'établir une relation (mécaniciste) de cause à effet entre l'urbanisation et les importations alimentaires. Cette relation n'est pas confirmée pour l'ensemble des pays. Et même pour les sousgroupes de pays où cette relation semble se confirmer, plusieurs autres variables (par exemple l'effet de rente pétrolière) semblent intervenir dans la chaîne causale. Cette réserve émise, il convient de cerner autant que possible l'importance de ces importations alimentaires dans le cheminement des pays vers un rééquilibrage de leur commerce extérieur après la dévaluation du F CFA. D'un point de vue structurel, les importations alimentaires sont relativement plus importantes que celles des combustibles. Pour plusieurs pays, elles sont aussi importantes, voire plus, que celles des machines et des véhicules de transport. Cela peut paraître surprenant pour des pays qui restent jusqu'ici, à l'exclusion du Congo et du Gabon, majoritairement ruraux. De plus, le degré d'urbanisation reste globalement modéré par rapport à celui, par exemple, des pays d'Amérique latine. La question est de comprendre les raisons pour lesquelles ces pays importent tant de denrées alimentaires. Une réponse à cette question est difficile à formuler vu l'état actuel des informations statistiques dont on dispose. Toutefois, une esquisse de réponse peut être élaborée en examinant ce que ces pays importent comme produits alimentaires. Cela exige donc qu'on utilise une information beaucoup plus détaillée sur les agrégats alimentaires. Le rapport publié par EUROPA (1998) révèle les détails sur les importations alimentaires des pays de la zone F CFA. Des problèmes d'espace recommandent qu'on ne cite que quelques cas de figure dans le présent document. 212 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Les importations alimentaires à deux comportements obéissent à deux schémas bien distincts. Tout d'abord, il y a un comportement qui tend à combler un déficit présent dans la production locale. Le cas des importations de poissons par exemple pour certains pays disposant de larges côtes maritimes et supposés avoir quelques entreprises de pêche est très parlant à ce sujet. Par ailleurs, il y a un comportement qui tend à accompagner l'évolution des choix alimentaires de type urbain (riz, farine de blé et conserverie). Cela ne témoigne pas pour autant de l'existence d'une relation de cause à effet entre la croissance urbaine et ces choix alimentaires. Dans quelle mesure peut-on dire que ces importations alimentaires sont « mauvaises» et mériteraient d'être réduites? Cette question demeure fondamentale et y répondre nécessiterait la prise en compte à deux niveaux (mésoéconomique et macroéconomique) de plusieurs paramètres sociaux, économiques et culturels. Cela dépasse, bien entendu, le cadre de cette étude. Cette « autopsie» des importations ne saurait être complète sans l' examen de certaines importations pour lesquelles l'étiquette de « luxe» ou celle de « mauvaise» est généralement vite attribuée par de nombreux analystes. Il s'agit des importations de tabac, d'alcool et d'armement militaire qui occupent une grande place dans le volume des biens en provenance de l'extérieur. Pour les premières (tabac et alcool), leur importance (tableaux 8 et 9) avant la dévaluation, variable selon le pays, n'en laisse pas moins dévoiler leur poids dans le volume des importations nationales. La situation de cette catégorie d'importations dans les années post-dévaluation n'est pas quantifiable par manque de statistiques. Tout laisse cependant présager que leur importance s'est maintenue au regard de la tendance observée dans les années antérieures. Par rapport à cette tendance, on observe que la consommation d'alcool et de tabac s'est amplifiée de façon considérable. Cette évolution à la hausse est certainement liée à la forte demande qui y est associée. Les positions officielles vis-à-vis de ces produits dont l'usage est de plus en plus contrôlé dans de nombreux pays sont par contre beaucoup plus favorables à l'expansion de ce marché. Les partisans de la réduction des importations rangent le plus souvent cette catégorie dans les importations de « luxe ». On pense que l'on peut faire des économies en réduisant les dépenses publiques associées au tabac et à l'alcool. En réalité, il s'est avéré difficile de réduire de manière directe les quantités de paquets de cigarettes et de bouteilles d'alcool du fait de la compétitivité des prix pratiquée par les grandes firmes étrangères par rapport aux fabrications locales. L'alternative qui s'est offerte à de nombreux pays de la zone est d'opter pour une fabrication sous-licence de certaines marques; encore faut-il importer de la matière première brute de bonne qualité. Des tentatives de produire localement certaines matières premières en tenant compte des normes techniques pour préserver les droits de marque sont menées dans différents pays. Au Cameroun par exemple, suite à la dévaluation, une société locale de fabri- DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 213 cation de cigarettes a lancé une initiative : cultiver localement, à grande échelle, du tabac de très bonne qualité au lieu de l'importer. L'objectif final pour la société est de produire de la cigarette pouvant rivaliser (aux dires du président de l'entreprise) avec certaines grandes marques internationales. Cette initiative a cependant engendré des comportements très hostiles de la part de quelques représentants des firmes étrangères installées au Cameroun. Tableau 8 - Importations de tabac et produits dérivés et d'alcool au Bénin (millions de F CFA) Année Boissons alcooliques Boisson et tabac 1988 1989 1990 4643 4688 5268 50.1 50.0 50.2 1863 1199 2241 20.1 12.8 21.4 Produits dérivés du tabac Total 2760 3482 2983 9266 9369 10492 29.8 37.2 28.4 Source: EUROPA (1998) Tableau 9 - Importations de tabac et d'alcool dans trois autres pays africains Année 1988 1989 1990 1991 Burkina Faso * Cameroun ** Centrafrique * 2775 2911 3251 - - . . (*) en nullions de F CFA Source: EUROPA (1998) 5706 21.0 31.8 27.5 .. (**) en mIllions de dollars US. Pour terminer, considérons les importations liées à l'armement militaire. Ce domaine demeure largement tabou en Afrique, sans parler de nombreuses controverses dont il fait l'objet. En termes relatifs, les dépenses liées à l'acquisition de l'armement militaire ne semblent pas être déterminées par la capacité réelle du pays à importer ou à exporter. L'absence de corrélation significative (mesurée mais non reportée ici) entre le volume des importations militaires et les exportations tend à confirmer ce manque de schéma pré-établi qui lie la capacité militaire à la capacité économique. Il n'en reste pas moins que ce qui ressort des tableaux 10 et Il ci-après est une image de pays pour lesquels les importations liées à la défense sont importantes. Il est difficile de commenter les chiffres absolus de ce tableau 10. Cependant, si on dérive un ratio de ces dépenses militaires en le rapportant aux importations, on en arrive à un résultat très éloquent qui témoigne de la priorité accordée à l'armée dans de nombreux pays de la zone F CFA. Pour aucun des 12 pays pour lesquels l'information est disponible, cette proportion ne se situe en dessous de 7 %. La valeur extrême pour cette catégorie de dépenses est 10. Ces chiffres absolus sont fournis par la Centrale Inteligence Agency et disponibles sur Internet. Le site est http//www.africances.fr/afrint/data.htm. 214 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC observée pour le Tchad suivie du Togo. Pour le premier pays, l'histoire récente du pays au plan politique pourrait offrir une explication à sa position. Un autre ratio particulièrement intéressant entre les dépenses militaires et le volume des exportations laisse aussi apparaître une autre forme de tension dans toute tentative de rééquilibrage des dépenses publiques. Si l'on suppose que le financement des dépenses militaires s'effectue sur la base des revenus générés par les exportations, le degré de cette tension, tel qu'il apparaît à travers le ratio, est sans exagération élevé pour la majorité des pays de la zone F CFA. Seule la Côte d'Ivoire montre une proportion inférieure à 5 %. Pour trois pays, cette proportion avoisine 40 %. L'importance des dépenses militaires par rapport aux exportations reflète un aspect fondamental des pesanteurs qui s'exercent sur le processus de développement des pays de la zone. La défense, pour des raisons couvertes par le terme « stratégique» et restant en grande partie injustifiées, est un secteur qui se voit continuellement octroyé une grande partie des ressources nationales. De par ce fait, c'est l'une des rigidités susceptibles de contrarier toute politique de réajustement des dépenses publiques dans le sens d'une priorité à donner aux biens considérés comme capital de production (capital goods). Visiblement, pour certains pays, lorsqu'on compare le poids des dépenses militaires à celui du volume des importations ou à celui des exportations, la situation semble similaire à celle générée par le « fardeau de la dette» sur un point: la création de ce qu'on peut appeler un cercle vicieux de l'armement. La difficulté pour y mettre fin est grande du fait de l'effet sécuritaire que procure cet armement vis-à-vis de la pression politique interne. Nonobstant la problématique question de sécurité nationale contre les attaques armées venues de l'extérieur, les importations de matériel militaire sont un domaine où des réallocations de ressources en faveur d'autres secteurs plus économiquement productifs peuvent être opérées. La situation qu'on vient de décrire montre à quel point ces importations créent des distorsions et des rigidités tant du point de vue de la composition et du coût des importations que de l'utilisation des recettes générées par les exportations. A la question de savoir comment ces dépenses ont évolué après 1994, il est difficile d'y répondre par manque de données sur cette période. Il faut cependant espérer qu'avec l'ouverture démocratique, ces importations de matériel militaire ont été revues à la baisse du fait de la rupture avec la hantise des coups d'État. Toutefois, la fragilité des régimes démocratiquement élus, la menace (qui se confirme) d'un retour des dictateurs militaires au pouvoir et, dans beaucoup de pays, l'absence de changement véritable d'équipe dirigeante, n'encouragent pas à trop d'optimisme dans le sens d'une réduction de ces dépenses. L'examen de l'importance des dépenses militaires, comme celle des autres biens, a permis de soulever une question fondamentale qui est celle de savoir comment des pays apparemment contrariés par la dévaluation du F CFA sont-ils parvenus à relancer et à soutenir de manière significative leurs importations? Il s'agit là d'une question qui renvoie à l'explication de DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 215 Tableau 10 - Dépenses pour le matériel militaire importé Pays Année Dépenses % du PIB % des importations % des exportations Bénin Burkina Faso Cameroun Centrafrique Tchad Comores Congo Côte d'Ivoire Guinée Equatoriale Gabon Mali Niger Sénégal Togo 1994 1994 1995 1994 1994 nd 1994 1994 nd 1993 1994 1993 1996 1993 33 104 102 30 74 nd 110 140 nd 154 66 32 82 48 3,2 6,4 9,4 2,3 7,4 nd 3,8 1,4 nd 2,4 2,2 1,3 2,1 2,9 7,7 15,4 12,6 13,9 28,4 nd 18,3 8,8 nd 19,3 7,8 13,7 7,5 22,6 10,4 38,1 8,5 38,1 38,9 nd 11,0 4,8 nd 7,3 15,9 13,8 8,7 29,6 Source: CIA (1996) pour les dépenses et le pourcentage du PIB. Les pourcentages des deux dernières colonnes ont été calculés par l'auteur. Tableau 11- Indice d'évolution des dépenses gouvernementales pour la défense dans 7 pays de la zone (indice 1980 = 100) Pays 1990 1994 Moyenne annuelle (1985-1989) Burkina Faso Centrafrique Cameroun Gabon Niger Sénégal Togo 162,8 133,9 292,5 249,4 102,9 151,2 187,4 102,2 95,9 109,2 190,5 162,1 83,2 93,6 124,1 - 116,8 235,6 109,8 156,1 - Source: Extratt du Tableau 7-9, Banque mondiale (1997: 207) la remontée des importations observée après le changement de parité. Avant d'aborder cet aspect très complexe, il faut d'abord cerner quelques relations entre ces importations et d'autres variables macroéconomiques susceptibles de les affecter. Venvironnement financier international de l'évolution des importations après la dévaluation du franc CFA L'objectif principal de cette section est d'identifier quelques variables macroéconomiques qui sont supposées avoir eu un impact sur l'évolution des importations dans le sens observé. Dans la section précédente, il est ressorti que les importations, bien qu'ayant baissé de façon significative en 216 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC 1994, se sont redressées en 1995 et 1996. La baisse prédite par la théorie conventionnelle de la dévaluation monétaire n'a pas duré longtemps. Selon certains observateurs, cette reprise des importations serait à mettre au compte de la croissance retrouvée à travers la relance des exportations. En toute vraisemblance, cette explication, dans la mesure où elle a une validité, ne peut être que partielle. L'absence de corrélation forte et positive entre, d'une part, importations et exportations et, d'autre part, entre importations et taux de croissance annuel du PIE réel après la dévaluation rend compte de la difficulté de prendre cela comme explication totale. Il faut donc rechercher d'autres éléments de réponse au sujet des facteurs qui sous-tendent cette évolution en hausse des importations. Dans l'exercice d'identification de ces relations, l'accent est mis sur les variables présentées dans le cadre théorique, tout au début de ce document (tableau 1). En guise de rappel, ces variables sont relatives à l'urbanisation, aux exportations, à l'assistance financière, à la dette extérieure et aux dépenses de l'administration centrale. Les indicateurs retenus pour chacune de ces variables figurent également dans le tableau 1. Avant d'établir les corrélations entre les importations et ces différentes variables, il convient de retracer en quelques lignes l'évolution suivie par l'aide financière internationale et le service de la dette dans la période 19921996. Ce retraçage facilite l'interprétation et la compréhension des résultats de l'analyse statistique. Ces deux variables constituent la trame du débat sur le rééquilibrage des dépenses publiques dans le contexte de la dévaluation. Le rééquilibrage par la croissance des exportations, permettant un solde commercial positif, est souvent présenté comme le mécanisme pouvant conduire les pays à mieux assurer le service de la dette extérieure. Dans cette vision des choses, la réalité qui est souvent ignorée est que le déficit (ou déséquilibre) dans la balance des paiements des pays de la zone F CFA est beaucoup plus le résultat de l'endettement que celui du déficit commercial. Pour ce qui est de l'assistance financière, l'on sait qu'elle a beaucoup pesé dans l'acceptation des pays de la zone de cette dévaluation. Sur ce plan, les attentes étaient nombreuses et portaient principalement sur le rééchelonnement de la dette, sur la reprise des aides multilatérales et sur la relance des transferts publics et privés. La continuité de l'assistance financière est aussi apparue, lors des discussions sur le bien-fondé de la dévaluation, comme un instrument de persuasion. D'où l'intérêt de voir si l'évolution de l'assistance financière a bien répondu aux attentes des gouvernements des pays de la zone. Dans la section consacrée à l'analyse multivariée, il sera question de tester l'hypothèse fondamentale selon laquelle l'aide aurait permis de relancer les importations. DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 217 Des concessions dans le service de la dette très sélectives et quelque peu préférentielles Les difficultés que rencontrent les pays africains et particulièrement ceux de la zone F CFA pour assurer le service de leur dette sont bien connues et suffisamment rapportées dans la littérature sur l'économie de ces pays. Ces difficultés débouchent, à l'issue des renégociations intenses avec les bailleurs de fonds, sur des concessions de la part de ces derniers sous forme de rééchelonnement du service de la dette et, dans les cas des plus heureux, de suppression partielle ou totale de certaines dettes. Lors du débat sur la dévaluation du F CFA, ces concessions ont été plus que jamais à l'ordre du jour. Dans le langage des bailleurs de fonds, l'approche « du cas par cas» a prévalu, évitant ainsi de régler le problème de la dette de manière globale. Suivant cette approche, deux catégories de pays ont été distinguées. Une catégorie formée par les pays fortement endettés - d'où un service important de la dette - mais qui sont en même temps relativement riches du fait de leur grande capacité à exporter de produits primaires (agricoles, minerais et pétrole). Les pays formant cette catégorie sont le Cameroun, le Congo, la Côte d'Ivoire, le Gabon et le Sénégal. L'autre catégorie est formée par le reste des pays dans le tableau 22 (en annexe). Ces pays se caractérisent non seulement par un service de la dette nettement moins élevé, mais aussi par une relative faiblesse dans leur capacité à exporter des produits primaires fortement prisés sur le marché international. On remarquera, pour ce qui est de cette seconde catégorie, qu'elle est formée par des pays généralement considérés comme faisant partie des « moins avancés ». Cependant, l'appartenance à l'un de ces deux groupes ne semble pas avoir servi de seule base pour appliquer une forme quelconque de concessions sur la dette. S'il en avait été ainsi, on aurait pu déceler une tendance nette selon les deux groupes. Il est fort possible que d'autres critères, parfois de nature beaucoup plus subjective et discrétionnaire Il, aient prévalu dans l'approche du «cas par cas». Il est difficile d'en connaître les contours exacts. Cependant, on peut ici faire allusion à cette relation de fait établie par les bailleurs de fonds entre la renégociation de la dette et le degré des efforts accomplis par le pays dans la consolidation des mesures du PAS. Cette conditionnalité (supplémentaire !), en fonction de la nature du donateur, était parfois accompagnée d'une autre sur le développement et/ou le renforcement des institutions démocratiques. Par conséquent, aussi bien dans le groupe des pays « moins avancés et faiblement endettés» que dans celui des pays « relativement riches et fortement endettés », les bailleurs de fonds ont appliqué une politique d'allègement du poids de la dette ouvertement sélective, privilégiant plus certains pays que d'autres. 11. Il est fait allusion ici au degré de considération dont le pays jouit dans ses relations internationales et dans les efforts que le gouvernement du pays accomplit pour sauvegarder les intérêts économiques et politiques d'un donateur particulier. 218 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Tableau 12 - Évolution du service de la dette (en millions de dollars US) Pays 1985 1990 1992 1993 1994 1995 Bénin Burkina Faso Cameroun Centrafrique Tchad Comores Congo Côte d'Ivoire Guinée-Equatoriale Gabon Mali Niger Sénégal Togo 38 32 661 30 15 2 404 918 373 56 124 175 78 48 36 572 36 15 3 558 1087 7 298 80 136 392 124 35 39 586 22 12 6 211 1269 4 334 60 82 274 66 38 42 546 Il 15 3 178 3018 2 204 49 106 162 40 31 47 517 24 15 3 425 1260 2 277 117 69 227 28 42 61 471 17 17 1 210 859 3 333 83 61 268 34 Total Zone 2918 3528 3000 4414 3042 2460 12 Source: OCDE (1998) - Statistiques de la dette extérieure 1985-1996. Supplément. Dans le groupe des pays « relativement riches », la Côte d'Ivoire se présente comme le pays ayant le plus bénéficié d'annulation ou de rééchelonnement de dettes après la dévaluation. Le tableau 12 fait ressortir que c'est le seul pays qui a connu une baisse (de plus de 50 %!) du service de sa dette. Cette baisse reflète en grande partie l'effet combiné des opérations d'annulation et de rééchelonnement de dette; ce qui lui a permis d'améliorer les déséquilibres de sa balance de paiement (déséquilibres causés eux-mêmes par les dettes antérieurement contractées). Du coup, la balance de paiement améliorée et les exportations redynamisées par la dévaluation, ce pays a été en position de relancer ces importations en 1995 et 1996 comme cela ressort dans le tableau 4. Le Sénégal, dans une certaine mesure, a eu aussi à bénéficier de ce traitement de faveur pour le problème de sa dette. Une conclusion essentielle qui dérive du tableau 12 est qu'il n'est pas assez aisé d'établir que le service de la dette a été suffisamment allégé pour de nombreux pays. La tendance dominante semble avoir été une stabilité de ce service. Cette stabilité est d'ailleurs renforcée par la reconnaissance que de 1994 à 1996, les pays de la zone ont tous bénéficié, à des degrés divers tout au moins, d'une annulation et/ou d'un rééchelonnement d'une partie de leurs dettes. Individuellement, ces pays ont aussi bénéficié de l'assistance financière internationale qui leur a permis de soutenir leur service de la dette. Un aspect qui va être à présent examiné. L'assistance financière internationale: un autre champ du traitement préférentiel Au moment de la dévaluation, de nombreux observateurs s'accordaient à dire que l'aide extérieure, tout au moins sous sa forme d'assistance finan- DÉVALVATIaN DV FRANC CFA ET IMPORTATIONS 219 cière, devait être un facteur important pour réussir la dévaluation. Ce point de vue n'était pas sans fondement compte tenu de la nature même des déséquilibres financiers au niveau de la balance de paiements des pays de la zone F CFA. Cette importance accordée à l'aide dans la réussite de la dévaluation devient aisée à comprendre lorsqu'on se réfère à l'évolution du débat entre les bailleurs de fonds et les gouvernements sur le changement de parité. Bien que quelques aspects de ce débat aient été évoqués dans la section théorique du présent document, il semble utile d'y revenir brièvement pour guider les commentaires du tableau 13. Dans les négociations qui avaient impliqué les différents acteurs de la « bataille )) sur la dévaluation du F CFA, la continuité de l'assistance financière (sous quelque forme que ce soit) avait progressivement pris le devant de la scène par rapport aux conventionnels arguments sur la dévaluation (Coussy, 1994). Le maintien de l'aide extérieure devint au contraire l'objet des négociations (utilisé d'ailleurs de manière persuasive par les bailleurs de fonds). Il fallait dévaluer le F CFA ou ne plus espérer recevoir l'assistance financière nécessaire aux actions de développement. La réalité est que les pays de la zone ont besoin de cette aide pour financer leurs dépenses courantes. Un aspect qui n'a pas suffisamment retenu l'attention jusqu'ici dans l'analyse macroéconomique des pays africains est l'existence d'une relation étroite entre l'assistance financière et les importations au niveau des pays. La question« avec quel financement (fonds propres générés par le pays ou fonds provenant de l'aide extérieure) les pays assurent-ils leurs importations? )), n'a pas fait l'objet de profondes investigations. La balance commerciale des pays de la zone F CFA, comme c'est le cas de la plupart des pays africains, ne génère pas assez de surplus pour assurer le financement total des importations. La difficulté dans ce domaine devient d'autant plus grande que ces pays doivent en même temps assurer le service de la dette examiné dans la section précédente. Un service de la dette qui est aussi présenté comme un « fardeau lourd 12 )) à porter pour des pays chroniquement déficitaires. On peut alors penser que, comme cela s'est fait pour certaines dépenses liées aux revenus de transfert et à l'investissement, que les importations sont financées en grande partie par l'assistance financière internationale. Cette pensée est pertinente lorsqu'on considère la position adoptée par les bailleurs de fonds (particulièrement la France) pour orienter une partie de l'aide vers le service de la dette. Une telle orientation, obéissant, pour une fois, à une logique qui sous-tend la dette et le déséquilibre extérieur, a fait assortir toute assistance internationale de certaines conditionnalités. Globalement, pour les bailleurs de fonds, la crainte était de voir l'aide financière détournée par des dépenses estimées nuisibles à l'allocation des 12. Ce terme fait référence aux deux aspects, réel et virtuel, que plusieurs lui attribuent (Jacquemot et Raffinot, 1993). 220 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC ressources, à la hiérarchie optimale des revenus ou à l'équilibre des finances publiques. Sur la base de cette prudence financière sur l'affectation de l'aide, l'on s'attend alors à observer sur la période post-dévaluation des tendances quelque peu similaires à celles sur les concessions sur les dettes. Au niveau national, cette prudence ne pourrait pas complètement mettre fin au financement des importations, bonnes ou mauvaises, par l'aide financière venue de l'extérieur. Comme l'analyse explicative tentera de le montrer, l'assistance financière, pourrait s'avérer comme l'un des facteurs cruciaux de l'évolution des importations après la dévaluation (comme cela a d'ailleurs été le cas avant le changement de parité). Il est à présent utile d'observer, aux niveaux global et national, le parcours suivi par cette assistance depuis la dévaluation. Le tableau 22 en annexe rend compte de la fluctuation dans le volume de l'assistance financière entre 1992 et 1996 13 fournie dans le cadre de l'Assistance officielle au développement (Official Development assistance, ODA). Contrairement à l'évolution des importations (tableau 5), la hausse n'a pas été générale après la dévaluation intervenue en janvier 1994. Au-delà de l'incertitude statistique sur les chiffres de 1996, on peut constater une certaine baisse de cette aide financière et cela après une progression lente à partir de 1994 (+ 2 points en 1994 et + 1 point en 1995). Cette évolution quelque peu stagnante du volume de l'assistance financière rend compte des comportements de prudence, précédemment évoqués, de la part des bailleurs de fonds 14. Tableau 13 - Nombre de pays ayant vu augmenter leur assistance financière internationale 1992-1993 1993-1994 1994-1995 1995-1996 6 8 9 4 Source: calculé à partir des chiffres du tableau 22 (en annexe) Au niveau de chaque pays, ces fluctuations ressortent avec beaucoup de visibilité à travers le calcul d'écarts sur la période 1992-1996 (le tableau des chiffres absolus figure en annexe). Lorsqu'on considère la destination de l'aide, trois pays ont été largement bénéficiaires des flux financiers. Il s'agit de la Côte d'1voire, du Cameroun et du Sénégal. Les deux premiers cités ont cependant connu une baisse de cette aide en 1995. Durant les deux premières années de la période post-dévaluation, des pays comme le Mali et le Burkina Faso semblent aussi avoir bénéficié d'un traitement de faveur. Comme cela a déjà été dit, la baisse généralisée de l'aide en 1996 est à con- 13. Pour 1996, l'OCDE (1998) indique que les chiffres reportés en annexe (du présent document) doivent être considérés comme provisoires. 14. L'on devra se référer à ce sentiment de déception exprimé dans les milieux ministériels des pays de la zone F CFA. Ce sentiment, rapporté par de nombreux médias, s'exprimait à travers des propos du genre « l'aide promise tarde à se mettre en place ». DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 221 sidérer avec beaucoup de réserves compte tenu du caractère provisoire des chiffres. Nonobstant ces réserves, on peut observer qu'au cours de l'année 1996, le Congo, le Mali et la Côte d'Ivoire semblent avoir été traités avec faveur en ce qui concerne les flux financiers nets fournis dans le cadre de l'assistance au développement. Tableau 14 - Écarts dans l'évolution de l'assistance financière internationale totale par pays 1992-1993 1993-1994 1994-1995 1995-1996 Bénin Burkina Faso Cameroun Centrafrique Tchad Comores Congo Côte d'Ivoire Guinée-Equatoriale Gabon Mali Niger Sénégal Togo +20 + 356 - 170 -4 - 13 +1 +11 +7 -9 + 33 - 68 -23 - 171 - 125 -32 -34 + 186 -7 - 13 -10 +239 + 829 -23 + 80 +77 + 30 + 141 + 20 + 25 + 51 - 287 +2 +24 +3 - 237 - 382 +4 - 37 + 102 -107 +24 -7 + Il -69 - 31 - l +66 -3 + 305 -244 -3 - 18 -40 -20 -87 Total Zone - 155 + 1491 -748 - 152 Pays -27 Source: calculs à partir du tableau 22 (annexe) L'évolution du volume de l'assistance financière telle qu'elle ressort du tableau précédent reflète dans une large mesure le caractère à la fois sélectif et prudent qui gouverne l'octroi de l'aide. Cet aspect devient plus frappant lorsqu'on voit la distribution de l'aide au niveau de l'ensemble des pays en développement qui y bénéficient. Une distinction entre l'aide fournie dans le cadre du CAO (Comité d'aide au développement) et celle fournie par l'Union européenne permet de se rendre compte du petit nombre de pays de la zone F CFA figurant sur la liste des 15 premiers pays bénéficiaires de chaque type d'aide. Pour ce qui est de l'aide du CAO, les statistiques de l'OCDE (1998) montrent que sur la période 1994-1995, seule la Côte d'Ivoire y figure 15. Pour ce qui est de l'assistance financière en provenance de l'Union européenne on retrouve trois autres pays de la zone F CFA à côté de la Côte d'Ivoire. Il s'agit du Cameroun, du Sénégal et du Mali l6 . Les mêmes statistiques révèlent qu'au cours de la période 1995-1996, la Côte d'Ivoire est l'unique pays figurant sur la liste des pays classés parmi les 15 premiers bénéficiaires de l'aide (à côté des mêmes pays africains qu'en 1994). Pour ce qui est de l'assistance financière fournie par l'Union européenne, ce pays (une fois de plus) et le Mali sont les deux seuls membres de 15. Trois autres pays africains (hors zone F CFA) y figurent aussi: l'Égypte, le Mozambique et la Tanzanie. l6. Les autres pays africains (hors zone CFA) sont: le Maroc, l'Éthiopie, l'Égypte, le Mozambique, le Zimbabwe, l'Uganda et la Tanzanie. 222 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC la zone F CFA à figurer sur cette liste des 15 premiers États bénéficiaires de l'aide à côté de 6 autres pays (hors zone) comme le Maroc, l'Égypte, la Tunisie, l'Angola et le Mozambique. Quels enseignements peut-on tirer de cette distribution de l'assistance internationale? Tout d'abord, au-delà de la sélectivité, il y a comme une option préférentielle de la part des bailleurs de fonds. La Côte d'Ivoire semble bien s'en tirer dans cette compétition pour bénéficier de l'assistance financière internationale. Cette position de pays relativement privilégiés, lorsqu'elle est combinée à d'autres traitements de faveur comme le rééchelonnement ou l'annulation de certaines dettes, peut dans une certaine mesure expliquer le niveau élevé de son taux de croissance annuel du PIB réel. Quelques autres pays jouissent aussi, à des degrés divers, de considérations similaires. L'importance de l'aide reçue après la dévaluation est un facteur qu'il faut prendre en compte avec d'autres pour comprendre les différents paramètres internationaux qui ont influencé les performances accomplies par chaque pays après le changement de parité intervenu en janvier 1994. Il est question à présent d'aborder de manière quantitative l'influence de ces facteurs en suivant l'approche suggérée au tout début de cette section. La première étape est celle de la mesure de la force des relations entre ces facteurs et les importations. Les facteurs qui ont influencé l'évolution des importations Cette section commence par identifier le type et la force des relations (sur la base des coefficients de corrélation et du test de linéarité) entre les variables considérées comme indépendantes et les importations (variable dépendante). A partir de cette identification, une sélection des variables indépendantes les plus pertinentes est faite et ce sont ces variables qui vont entrer dans le modèle explicatif. Mesure des corrélations entre importations et les variables dépendantes Le tableau 15 rend compte de la direction et de la force des relations entre les importations et les variables considérées comme indépendantes dans la présente étude. Pour mesurer ces relations, le choix a porté sur le coefficient de corrélation de Pearsan du fait que la condition de normalité est confirmée par ces variables (toutes scalaires). C'est l'une des trois méthodes quantitatives les plus connues (à côté du coefficient de Spearrnan et celui de Kendall tau-b) pour mesurer la force de la relation entre deux variables scalaires. Le lecteur intéressé à cette technique pourrait consulter n'importe lequel des nombreux ouvrages statistiques existant dans la littérature. Les DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 223 valeurs du coefficient de corrélation de Pearson examinées ici sont produites par le logiciel SPSS (Statistical Package for Social Sciences). La région critique pour rejeter l'hypothèse nulle (absence de linéarité) est prise à p =0,05 pour tous les couples de variables. On teste ici l'existence d'une relation linéaire entre les importations et les variables dépendantes 17. L'année 1993 est incluse du fait qu'elle sert de référence. La distribution des coefficients de corrélation de Pearsan montre bien l'existence d'une très forte liaison (la valeur du coefficient est proche de 1) entre les importations et, respectivement, l'assistance financière internationale, les exportations, la dette et le service de la dette. Leur direction de variation va dans le même sens que celui du vecteur importation. Le test de linéarité est statistiquement significatif; ce qui commande de retenir ces variables dans le modèle de régression multiple de type linéaire qui sera appliqué ultérieurement. Cette forte liaison n'apparaît pas pour le taux de croissance. Par contre pour l'urbanisation, seule l'année 1996 affiche une faible liaison linéaire avec les importations. L'absence de corrélation forte (confirmée aussi par le coefficient de Spearman et de Kendall) entre le taux de croissance annuelle du PIB réel et les importations ne signifie pas pour autant qu'il n'existe pas de relation quelconque entre les deux variables 18. Il en est de même de l'urbanisation et cela mérite qu'on s'y attarde un peu, surtout pour l'année 1993. Dans la littérature traitant du développement des pays africains, l'urbanisation fait jusqu'ici l'objet d'un débat controversé dans ces effets sur les importations. L'absence d'une forte corrélation et la présomption de l'existence d'une relation non linéaire entre l'urbanisation et les importations tendent à renforcer les réserves sur la thèse selon laquelle l'urbanisation « rapide» et « parasitaire» aurait généré des importations destinées à satisfaire les besoins de citadins. Toujours pour ce qui est de l'urbanisation, deux autres liaisons non reportées dans le tableau ci-dessous montrent elles aussi l'absence de toute corrélation forte entre, d'une part, les importations et le pourcentage de la population vivant dans la ville la plus importante 19 et, d'autre part, entre cette dernière variable et les importations alimentaires. Pour les deux premières variables, le coefficient de corrélation de Pearsan est égal à - 0,073 et le test n'est pas significatif (P = 0,09). Pour les deux dernières variables, le coefficient est égal à - 0,440 et le test n'a aussi aucun aspect significatif (P = 0,012). Lorsqu'on considère la liaison entre les importations non ali17. Pour le lecteur non habitué à cette méthode statistique, le signe indique la direction de la liaison (opposée ou même sens). La force de la liaison est donnée par la valeur absolue du coefficient (par rapport à 1), i.e plus cette valeur est proche de 1, plus la liaison est forte. Une valeur de p < 0,05 indique que l'hypothèse nulle est rejetée (i.e.Ie test de linéarité est significatif). 18. Dans tous les cas, si une relation existe, elle doit être beaucoup plus complexe (par exemple curviligne) pour ne pas être représentée dans un modèle de type linéaire. 19. Pour treize pays, cette ville correspond à la capitale politique. Le Cameroun y fait exception du fait que la ville la plus importante, en termes de population, est Douala. 224 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC mentaires et l'urbanisation, on trouve un coefficient égal à 0,295 avec un test qui n'est pas significatif (P = 0,307); indiquant une fois de plus l'absence de liaison forte entre l'urbanisation et ces importations. Ce résultat qui se rapporte une année avant 1994 contribue à dire que la détermination de la nature exacte des relations entre l'urbanisation et les importations (qu'elles soient alimentaires ou non) est un champ plein d'incertitudes et qui mériterait de plus amples investigations. Les relations, si elles existent, ne sont pas aussi directes, mécaniques et simplistes que les positions de certains cercles de réflexion tentent de les présenter2o . Tableau 15 - Coefficient de corrélation de Pearson et test significatif de linéarité entre les importations et les variables dépendantes Couple de variables Importation * exportation 1993 1994 1995 1996 + 0,844 + 0,880 + 0,905 + 0,891 P =0,000 signif. P =0,000 signif. P = 0,000 signif. P = 0,000 signif. Importation* assistance + 0,813 P = 0,000 signif. + 0,897 P = 0,000 signif. + 0,881 P =0,000 signif. Importation * dette exté. + 0,893 P = 0,000 Signif. + 0,916 P = 0,000 signif + 0,939 P = 0,000 signif. nd Importation * service de la dette + 0,808 P = 0,000 signif. + 0,903 P =0,000 signif. + 0,961 P = 0,000 signif. nd Importation * taux de croissance du PIB réel + 0,090 P =0,759 non signif. -0,342 P =0,232 non signif. + 0,206 P = 0,480 non signif. + 0,470 P =0,105 non signif. Importation * urbanisation + 0,274 P =0,343 non signif. + 0,485 P =0,790 non signif. + 0,419 P =0,137 non signif. + 0,693 P = 0,001 signif. + 0,863 P = 0,000 signif. De toutes ces corrélations mesurées, il ressort que quatre variables suggèrent l'existence d'une forte relation linéaire entre elles et les importations sur la période 1993-1996. Ces variables sont représentées par le volume des exportations, le volume de l'assistance internationale, la dette extérieure et le service de cette dette. Ces variables vont entrer dans les différents modèles de régression dont il est fait ici une présentation de leur construction générale. 20. Ce constat d'incertitude rejoint dans une large mesure celui qui ressort du travail réalisé par Hugon et al. (1991) évoqué dans la section théorique du présent document. DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 225 Présentation du modèle De ce qui précède, il ressort que le volume des importations (lmpo) peut être présenté comme une fonction du volume des exportations (Exportation), de l'assistance financière internationale (Assistance), de la dette extérieure (Dette) et du service de la dette (Service). Le modèle de base s'exprime donc sous la forme: Importation = f (Exportation, Assistance, Dette, Service). L'existence des relations linéaires suggère que le modèle mathématique peut s'écrire explicitement: Import =I.B(i)X(i) + C où les B(i) sont les coefficients de régression non standardisés; les X(i) les variables dépendantes et C la constante de l'équation de régression. Cependant, statistiquement parlant, du fait que le nombre de pays est relativement faible (quatorze !), l'application de la régression exige quelques précautions préliminaires. Le problème de nature technique qui se pose dans le cas présent se pose au niveau du choix du nombre de variables indépendantes à introduire dans l'équation du modèle. Dans la pratique, il est fortement recommandé que le nombre (N) de cas observés (dans la situation présente, il y a 14 cas observés représentant les pays de la zone) et celui (n) des variables introduites dans le modèle obéissent à la contrainte suivante: N ~ 5n (Tabacnick et Fidel, 1989; Crauser et al., 1989 : 80). En d'autres termes, la méthode gagne en efficacité et en validité lorsque les cas (pays ici) sont en nombre nettement plus élevé que les variables 21 • L'application de cette contrainte impose donc que le nombre de variables dépendantes ne doit pas dépasser deux. Cela revient à dire qu'il faudrait envisager d'alterner les variables indépendantes dans l'équation de régression multiple et cela pour chacune des années 1993, 1994, 1995 et 1996. Ce qui conduit à une série de 16 régressions multiples à réaliser 22 . Les variables non introduites dans le modèle serviront de variables de contrôle. L'analyse se fait par année, ce qui conduit à une régression de type transversale. Cela permet de cerner les ruptures ou les continuités annuelles dans la contribution des variables au pouvoir explicatif du modèle. Rappelons que l'objectif visé à travers le modèle de régression multiple comporte deux volets. Le premier est de déterminer avec quel degré les variables retenues contribuent à la prédiction de la variable dépendante, à savoir le volume des importations. Le second, comme cela a été déjà dit, est de déterminer la contribution de chacune de ces variables dans l'explication de l'évolution des importations dans les années post-dévaluation. 21. Lorsque cette contrainte n'est pas respectée, le modèle produit une solution parfaite mais qui a très peu de validité. 22. Les variables « dette extérieure » et « service de la dette » ne seront pas introduites simultanément dans]' une des régressions du fait de leur très forte corrélation. 226 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Résultats des différentes applications du modèle et discussion Ces résultats seront présentés selon les années 1993, 1994, 1995 et 1996. L'année 1993 est prise comme année de référence pour déceler toute rupture, toute continuité ou toute combinaison de ces deux possibilités. 1993: le point culminant de la persuasion pour dévaluer Tous les résultats relatifs à cette année sont présentés dans le tableau 16. L'analyse commence par examiner l'effet de l'assistance financière internationale et celui des exportations sur les importations (modèle 1). Les résultats de la régression attestent que les deux variables indépendantes ont, de manière très significative, positivement influencé les importations (le test T est statistiquement significatif pour chacune des variables de même que le test F). Ces variables expliquent la variance totale à près de 92 % (mesurée par le carré du R ajusté). La mesure des effets partiels 23 indique que la variable « exportation» a beaucoup plus contribué dans l'explication de la variance totale que la variable « assistance internationale ». Un constat qui semble logique compte tenu de nombreuses contraintes auxquelles se trouvait fortement soumise cette assistance durant cette année ayant précédé la dévaluation. Dans le modèle 2 (même tableau), on confronte les exportations à la dette totale extérieure. Il ressort que seule pour cette dernière variable, l'influence est statistiquement significative sur les importations. Elle explique à près de 83 % la variance totale. Lorsqu'elle est confrontée à l'assistance financière internationale, la dette apparaît également (modèle 3) comme la seule variable qui a une influence statistiquement significative sur les importations. Que le service de la dette ait eu de l'influence sur les importations en 1993, cela n'a rien d'étonnant lorsqu'on prend en compte le fait qu'une partie des importations n'est pas financée sur fonds propres (provenant de l'épargne interne); l'autre partie étant financée sur les recettes issues des exportations. La combinaison des résultats des modèles 2 et 3 tendant à soutenir la croyance selon laquelle le niveau d'endettement a une influence significative sur la balance commerciale des pays en développement. Évidemment, ceux de la zone F CFA ne font pas exception à cette croyance. Toutefois, il ne faut pas s'empresser de conclure que cette influence est à tous les coups négative car, historiquement, les efforts de développement ont été financés par l'endettement (Bekolo-Ebe, 1986; Jacquemot et Raffinot, 1993). La question est de bien gérer cette dette par rapport aux objectifs de développement et aux capacités réelles du pays à la rembourser. Par conséquent, audelà de la complexité dans l'interprétation des résultats des modèles 2 et 3, il faudrait peut-être considérer cet effet de la dette sur les importations soit 23. Pour mesurer les effets partiels des variables, on élève au carré leur corrélation partielle (non indiquée dans le tableau). DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 227 comme un effet de prudence ou un effet de limitation si le pays doit emprunter pour financer ces importations. Cette considération est acceptable dans la mesure où pour l'année 1993 de nombreux pays avaient connu une baisse sensible de leurs importations (tableau 5). Il faut aussi ajouter que cet effet de la dette peut avoir été renforcé par le fait que les pays fortement endettés (et aussi relativement plus riches) sont aussi ceux qui ont tendance à beaucoup importer. Dans la relation dette-importation, il y a comme un effetrichesse (pour ne pas dire effet rente-produits primaires). C'est probablement pour cette raison que le coefficient de corrélation de Pearsan reste constamment fort et positif aux différentes années. Dans tous les cas, l'effet de la dette demeure avant tout potentiel (à retardement) car cette dette n'est pas payée du coup. C'est pour cette raison que l'analyse de son effet a été prolongée en considérant une variable plus dynamique dans le court terme, à savoir le service de la dette dans le modèle 4. Ce dernier examine les effets de cette variable en combinaison avec les exportations sur les importations. Les résultats montrent que les deux variables indépendantes ont une influence statistiquement significative. Cependant, la variable « service de la dette» l'a de justesse. Au total, ces deux variables expliquent la variance totale à près de 77 %. La contribution partielle à l'explication de cette variance est d'environ 15 % pour la variable « exportations» alors qu'elle est de près de 10 % pour la seconde. Le modèle 5 termine cette première série de régressions pour l'année 1993. Il confronte la variable « service de la dette» à la variable « assistance internationale ». Les tests sont à peine statistiquement significatifs bien que celui de la seconde variable soit relativement plus élevé. L'ordre de grandeur de la valeur de t (dans le tableau) est d'ailleurs le même pour chacune des deux variables. Cela ressort aussi de leur contribution partielle à l'explication de la variance totale; cette dernière étant expliquée globalement à 74 %. Les résultats du modèle 5 confirment ceux du modèle 4 confrontant le service de la dette aux exportations. Ce qu'il convient de souligner concernant cette influence quasi identique de ces deux variables, c'est que les résultats du modèle 5 doivent être interprétés en ayant à l'esprit le caractère fortement sélectif qui oriente l'évolution de ces deux variables. On reviendra sur cet aspect tout au long des prochains modèles. Pour résumer ces résultats qui servent en quelque sorte de référence par rapport à la période post-dévaluation, il semble important de mentionner que deux variables ont une influence statistiquement très significative sur les importations. Il s'agit des exportations (quoique soumises à une monnaie considérée comme surévaluée) et de l'assistance financière internationale. Ces deux variables expliquent parfaitement l'ampleur des importations observée en 1993. La combinaison de l'une de ces deux variables avec la variable « dette» annule quelque peu cette influence du fait que l'endettement se positionne comme un facteur potentiel de la capacité à importer. Par contre, leur combinaison avec la variable« service de la dette », montre, elle aussi, une influence statistiquement significative (moins élevée que dans le L'AVENIR DE LA ZONE FRANC 228 premier cas). Le service de la dette apparaît comme une variable qui a relativement peu d'influence (mais elle existe quand même!) sur les importations. Il en est ainsi pour des raisons déjà évoquées. Tableau 16 - Estimations des paramètres de la régression multiple (année 1993) Variables indépendantes Exportations Assistance internationale (Constante) Modèle 1 Coefficient de régression Coef. Beta T-ratio SigT 1,21 0,33 (- 45,10) 0,54 0,59 6,36 7,05 (- 0,74) 0,001 0,000 (- 0,477) SigF =0,000 (p < 0,05) R2 (ajusté) = 0,92 F = 83,94 Variables indépendantes Exportations Dette extérieure (Constante) Modèle 2 Coefficient de régression Coef. Beta T-ratio SigT 0,19 0,06 (199,89) 0,34 0,61 l,6O 2,87 (2,62) 0,137 0,015 (0,024) R2 (ajusté) = 0,81 F= 27,94 Variables indépendantes Dette extérieure Assistance internationale (Constante) SigF= 0,000 Coefficient de régression Coef. Beta T-ratio SigT 0,06 0,79 (99,03) 0,64 0,35 3,89 2,14 (1,05) 0,002 0,055 (0,318) R2 (ajusté) = 0,83 F = 32,92 SigF= 0,000 Coefficient de régression Coef. Beta T-ratio SigT 0,26 0,31 (248,02) 0,42 0,54 2,22 2,87 (2,89) 0,048 0,015 (0,015) R2 (ajusté) = 0,76 F = 22,16 SigF = 0,000 (p < 0,05) Modèle 5 Variables indépendantes Service de la dette Assistance internationale (constante) (p < 0,05) Modèle 4 Variables indépendantes Service de la dette Exportations (Constante) (p < 0,05) Modèle 3 Coefficient de régression Coef. Beta T-ratio SigT 0,29 1,09 (140,59) 0,47 0,49 2,42 2,50 (1,12) 0,034 0,299 (0,286) F = 19,35 SigF = 0,0002 R2 (ajusté) = 0,74 (p < 0,05) DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 229 1994 : le début de la période de repositionnement après la dévaluation Globalement les résultats de cette première année, marquée également par une baisse presque générale des importations, de la période post-dévaluation semblent indiquer une relative démarcation par rapport à l'année antérieure. Tout d'abord, la confrontation dans le modèle 6 des variables indépendantes «exportation» et «assistance internationale» comme facteurs ayant pu influencer les importations indique des résultats très statistiquement significatifs. Cependant, le niveau de cette influence semble se situer en dessous de celle observée en 1993. La variance totale est expliquée à 90 % par ces deux variables. La contribution partielle de chacune de ces variables à la variance totale expliquée montre que l'assistance internationale contribue plus au pouvoir prédictif du modèle par rapport aux exportations (l'écart est de - 0,03 au détriment des exportations). Les coefficients de régression sont tous deux inférieurs à l'unité, ce qui présage d'une variation faible des importations lorsque l'une des deux variables indépendantes est maintenue constante. Ces résultats reflètent certainement une situation de repositionnement des pays vis-à-vis d'une part des marchés internationaux demandeurs des produits primaires et d'autre part de l'assistance financière. Ce repositionnement semble logique du fait que les prix compétitifs créés par la dévaluation sur les produits primaires devraient prendre un certain temps avant de susciter des réponses de la part des demandeurs. L'assistance, quant à elle, atteint durant l'année 1994 sa valeur maximale sur la période 1992-1996 (tableau 22 en annexe). Le modèle 7 indique clairement que lorsque la dette extérieure est confrontée aux exportations, seule la première variable montre un test (T) statistiquement significatif dans l'explication des importations. La dette contribue à 36 % dans le pouvoir du modèle à prédire les importations. Ce résultat est similaire à celui observé en 1993 pour ce qui est de l'influence de la dette. Ici, cependant, l'influence est peu significative et le modèle ne retient qu'une seule variable (la dette). Certainement, le processus de repositionnement vis-à-vis des bailleurs de fonds y est pour quelque chose. Le repositionnement doit être considéré dans ce contexte en rapport avec les diverses renégociations sur la dette évoquées précédemment. En 1994, cette dette donnant lieu à d'intenses négociations, la capacité des pays à importer repose potentiellement sur elle. L'effet de la dévaluation sur les exportations pèse peu par rapport à celui de la dette. La place que la dette occupe progressivement dans le repositionnement après la dévaluation est aussi examinée à travers le modèle 8. Ce dernier confrontant l'assistance internationale à la dette extérieure donne des résultats non statistiquement significatifs pour ces deux variables. Il est fort possible que la situation de baisse générale des importations durant l'année 1994 y ait quelque peu contribué. L'on sait aussi que l'assistance internationale, quoique maximale, était soumise à une distribution sélective et pré- 230 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC férentielle. En dépit du test de non-linéarité (F = 0,000) très significatif, le modèle 8 ne peut pas être retenu pour prédire les importations tout comme l'est le modèle 7. Les effets produits par les variables «exportations» et « assistance» sont difficiles à cerner dans un modèle associant l'une des deux avec la dette extérieure. Des résultats analogues à ceux du modèle 8 sont reproduits par le modèle 9 confrontant le service de la dette à l'assistance financière internationale. Les tests (T) ne sont pas statistiquement significatifs pour les deux variables en dépit de l'acceptation que le modèle est bien linéaire (F =0,000). Les raisons pour lesquelles, ces deux variables n'influencent pas les importations résident probablement dans l'attitude prudente affichée en 1994 par les bailleurs de fonds durant l'année 1994 en matière d'assistance. La prudence s'est beaucoup plus manifestée pour les aspects liés à l'utilisation de cette assistance. Les bailleurs de fonds attribuaient la priorité au paiement du service de la dette (arriérés). Des détails ont été fournis sur le caractère sélectif et préférentiel observé à travers cette attitude dans les sections consacrées à l'évolution de la dette et à celle de l'assistance. De manière similaire, les résultats du modèle 10 confirment ceux produits par le modèle 7 confrontant les exportations à la dette extérieure. Seul le service de la dette influence de manière significative (mais modérée) les importations. Dans un tel modèle, les exportations ne contribuent pas à son pouvoir prédictif. Ce résultat n'étonne pas lorsqu'on imagine l'existence d'une relation entre la dette extérieure et son service. En guise de conclusion partielle pour ces résultats de l'année 1994, on retiendra que seul le modèle 6 convient parfaitement pour prédire l'évolution des importations observée durant cette année. Les deux variables indépendantes (exportation et assistance) du modèle ont eu une influence statistiquement significative sur les importations. En d'autres termes, la baisse généralisée des importations observée en 1994 peut être expliquée par une assistance internationale prudente surl'utilisation de celle-ci et une demande des produits primaires qui reste encore modérée malgré la dévaluation du F CFA. On retiendra que ce modèle rejoint quelque peu le modèle 1 de l'année 1993. Tableau 17 - Estimations des paramètres de la régression multiple (année 1994) Modèle 6 Variables indépendantes Exportations Assistance internationale (Constante) Coefficient de régression Coef. Geta T-ratio SigT 0,24 0,62 (82,84) 0,49 0,55 4,08 4,56 (l,56) 0,002 0,001 (0,1476) R2 (ajusté) == 0,90 F== 65,04 SigF== 0,000 (p < 0,05) DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 231 Tableau 17 - Estimations des paramètres de la régression multiple (année 1994) Modèle 7 Variables indépendantes Exportations Dette extérieure (Constante) Coefficient de régression Coef. Beta T-ratio SigT 0,18 0,06 (165,87) 0,36 0,61 1,67 2,79 (2,64) 0,123 0,018 (0,023) R2 (ajusté) = 0,84 F = 36,19 Variables indépendantes Dette extérieure Assistance internationale (Constante) Modèle 8 Coef. Beta T-ratio SigT 0,06 0,39 (143,87) 0,59 0,35 1,85 1,08 (1,87) 0,092 0,302 (0,088) F = 31,32 Variables indépendantes SigF = 0,000 (p < 0,05) Modèle 9 Coefficient de régression Coef. Beta T-ratio SigT 0,75 0,19 (204,35) 0,56 0,39 2,40 1,65 (3,09) 0,035 0,126 (0,010) R2 (ajusté) = 0,83 F = 31,71 SigF= 0,000 (p < 0,05) Modèle 10 Variables indépendantes Service de la dette Assistance internationale (constante) (p < 0,05) Coefficient de régression R2 (ajusté) = 0,82 Service de la dette Exportations (Constante) SigF= 0,000 Coefficient de régression Coef. Beta T-ratio SigT 0,67 0,48 (165,81 ) 0,51 0,43 1,73 1,48 (1,99) 0,111 0,166 (0,071) R2 (ajusté) = 0,82 F = 30,27 SigF = 0,000 (p < 0,05) Pour ce qui est de la dette extérieure et du service de la dette, leur combinaison avec l'une des deux variables précédentes n'aboutit pas à un modèle parfait avec deux variables. Les tests (T) pour les exportations et l'assistance internationale ne sont pas statistiquement significatifs comme celui de la dette extérieure ou du service de celle-ci (quoique l'influence soit modérée). On est enclin à dire que dans un tel modèle, les importations en 1994 sont restées tributaires du poids de la dette ou du service de celle-ci. Comme cela a été maintes fois souligné, l'interprétation des résultats dans ce type de modèle considérant la dette comme une variable indépendante doit prendre en compte l'approche «du cas par cas» évoquée précédemment. Tout comme elle doit prendre en compte le repositionnement de chaque pays par rapport aux marchés internationaux de matières premières et l'utilisation de l'assistance distribuée exclusivement pour le service de la dette. 232 L'A VENIR DE LA ZONE FRANC 1995: le renouement avec la hausse des importations Deux années après la dévaluation, la démarcation avec 1993 devient plus prononcée comme cela ressort en premier lieu dans les résultats produits par modèle Il. Ce dernier, confrontant les exportations à l'assistance financière internationale, confirme une fois de plus les résultats des modèles 1 et 6. Pour les variables, les tests (T) sont statistiquement très significatifs indiquant un pouvoir prédictif relativement fort pour ce modèle. La variance totale expliquée est de 96 %. C'est au niveau des contributions partielles de chacune des deux variables dans le pouvoir explicatif du modèle qu'un changement important est noté. Contrairement à 1994, la contribution des exportations est plus élevée que celle de l'assistance financière. L'écart est de + 0,043 au profit cette fois-ci des exportations. En d'autres termes, on peut dire que l'influence des exportations a relativement été plus significative que celle de l'assistance. Est-ce là le signe d'une capacité accrue des pays à importer du fait de la dévaluation? La réponse à cette question peut être dans une certaine mesure affirmative. Cependant, il faut prendre en compte deux faits pour bien appréhender ce changement. Le premier est que l'année 1994 a été une année de repositionnement en attendant que les marchés répondent aux prix « compétitifs» produits par le changement de parité du F CFA. Cette réponse intervient avec beaucoup de force en 1995 car les effets d'une dévaluation se manifestent toujours sur le court terme. Les effets monétaires produits par les exportations en forte hausse durant cette année (tableau 20 en annexe) se répercutent également sur les importations dont les pays ne peuvent pas se passer (même s'ils l'ont fait pendant 1994). Le deuxième fait est que l'assistance internationale promise, après une année d'utilisation prudente (pour ne pas dire de surveillance), est progressivement utilisée à la fois pour renouveler les stocks des biens (éviter les pénuries afin de juguler l'inflation galopante) et soutenir le service de la dette. Toutefois, malgré les craintes des bailleurs de fonds à ce sujet, une . partie de cette assistance a certainement été utilisée pour financer les importations. Ces dernières ne pouvaient pas être financées seulement avec les recettes provenant des exportations. Tous ces faits sont corroborés par l'absence de baisse des importations observée dans tous les pays de la zone (tableau 5). Pour se faire une idée de l'influence de la dette extérieure sur les importations au cours de 1995, le modèle 12 confrontant cette variable aux exportations a été utilisé. Le résultat est radicalement différent ici. La dette n'est plus une variable dont l'effet est statistiquement significatif comme dans tous les modèles précédents qui l'ont confrontée avec la variable « exportations ». C'est au contraire cette dernière qui influence de manière très significative les importations. Il en est de même du modèle 13 qui confronte la dette extérieure à l'assistance finançière internationale. L'absence d'effet statistiquement significatif pour la dette doit être interprétée en se référant aux détails fournis dans la section qui a discuté des attitudes ayant DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 233 prévalu sur cette variable. En effet, l' année 1995 peut être considérée comme celle durant laquelle tous les pays de la zone F CFA ont eu à bénéficier, et cela à des degrés divers, soit d'un rééchelonnement, soit d'une annulation (partielle ou totale) de leurs dettes. Sur un plan général, le rééchelonnement semble avoir été l'approche la plus adoptée par les bailleurs de fonds dans le traitement de la question de la dette. Un accord de ce type pouvait être considéré comme une « prime» à la dévaluation de la part des bailleurs de fonds. Ce rééchelonnement une fois obtenu apporte une « bouffée d'oxygène» à des pays qui étaient jusque-là quelque peu « asphyxiés» par le poids de la dette; gagnant ainsi un peu de champ libre pour financer leurs importations. Cela ne signifie pas, pour autant, que le service de la dette n'est plus assuré pour ces pays. Compte tenu des conditionnalités sur l'utilisation de l'aide financière, ce service est assuré, en partie, par l'assistance financière promise lors des négociations sur la dévaluation. La mise en place de cette assistance, variable selon le pays, se maintient en 1995 quoique son intensité ait été plus faible que celle de l'année précédente. Du modèle 14 qui confronte le service de la dette aux exportations, il ressort que seule la première variable exerce un effet statistiquement significatif sur les importations. Cet effet doit être mis en relation avec le fait que l'année 1995 connaît une baisse substantielle de ce service dans la plupart des pays. C'est donc une baisse qui permet aux pays d'importer plus. Cependant, le modèle, en dépit de son pouvoir explicatif élevé, ne peut pas être retenu ici car il n'y a qu'une seule variable qui contribue à l'explication. L'influence du service de la dette et de celui de l'assistance est cernée à travers le modèle 15. Les deux variables exercent une influence statistiquement significative sur les importations. La variance totale est expliquée à 95 % et le test de linéarité pour le modèle est confirmé significatif lui aussi. La contribution partielle du service de la dette est visiblement beaucoup plus élevée que celle de l'assistance financière (18 % contre 4 %). Le coefficient de régression pour la première variable est supérieur à l, un autre signe de son pouvoir de prédiction fort (lorsque l'assistance reste constante) dans le modèle. Si on considère que l'année 1995 se caractérise également par une baisse relativement importante du service de la dette par rapport à 1993 (près de - 56 % de chute), on peut faire un rapprochement entre cette baisse et l'augmentation généralisée de la hausse des importations. En d'autres termes, un service de la dette allégé (quel qu'en soit le mécanisme) aurait permis aux pays de la zone F CFA de relancer leurs importations. Indiscutablement, cette relance devait être facilitée par un 234 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC environnement économique favorisant les exportations du fait des prix compétitifs sur les produits primaires. Tableau 18 - Estimations des paramètres de la régression multiple (année 1995) Variables indépendantes Exportations Assistance internationale (Constante) Modèle Il Coefficient de régression Coef. Geta T-ratio SigT 0,32 1,01 (13,69) 0,57 0,51 8,32 7,35 (0,284) 0,000 0,000 (0,782) R2 (ajusté) = 0,96 F = 173,44 SigF = 0,000 (p < 0,05) Variables indépendantes Exportations Dette extérieure (Constante) Modèle 12 Coefficient de régression Coef. Geta T-ratio SigT 0,08 0,17 (181,69) 0,66 0,30 2,92 1,32 (2,41) 0,014 0,211 (0,034) R2 (ajusté) = 0,88 F = 48,190 SigF = 0,000 (p < 0,05) Modèle 13 Variables indépendantes Dette extérieure Assistance internationale (Constante) Coefficient de régression Coef. Geta T-ratio SigT 0,08 0,73 (86,14) 0,64 0,37 5,06 2,90 (1,20) 0,0004 0,0144 (0,2550) R2 (ajusté) = 0,175 F = 76,21 SigF =0,000 (p < 0,05) Modèle 14 Variables indépendantes Exportations Service de la dette (Constante) Coefficient de régression Coef. Geta T-ratio SigT -0,01 2,50 (199,59) -0,19 0,98 -0,08 3,88 (3,07) 0,940 0,003 (0,015) R2 (ajusté) = 0,91 F = 66,18 SigF = 0,000 (p < 0,05) Variables indépendantes Service de la dette Assistance internationale (constante) Modèle 15 Coefficient de régression Coef. Geta T-ratio SigT 1,82 0,62 (100,19) 0,71 0,31 7,03 3,11 (1,79) 0,000 0,010 (0,106) R2 (ajusté) = 0,74 F= 129,064 SigF = 0,000 (p < 0,05) Comme conclusion partielle à ces résultats portant sur l'année 1995, l'on retiendra que dans la hausse généralisée des importations au niveau de l'ensemble des pays, rompant ainsi avec une baisse qui s'est maintenue sur une longue période, trois variables ont, dans une large mesure, contribué à ce redressement. Il s'agit des exportations, de l'assistance financière internationale et du service de la dette. Les effets de la première ont été produits DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 235 par une demande accrue des matières premières devenues plus compétitives. L'effet de la seconde variable a été généré par une offre ayant conservé son ampleur de 1994 et bénéficiant à tous les pays. Quant à la dernière, c'est beaucoup plus, à travers les renégociations dont elle a fait l'objet dans les conditions du changement de parité, que son effet doit être compris. En d'autres termes, un service de la dette «relativement supportable », une assistance financière elle aussi « relativement consistante» et une demande forte de produits primaires exportés ont permis aux différents pays de redresser les importations qui restent indispensables à leur bon fonctionnement. C'est là trois déterminants cruciaux de l'évolution des importations. On reviendra sur ce point dans la section consacrée aux implications. L'un des changements significatifs notés dans l'explication de l'évolution des importations est que, contrairement à 1994, les exportations expliquent plus cette évolution à la hausse. 1996 : la réapparition des incertitudes Une seule régression sera faite ici du fait que les informations sur la dette ne sont pas disponibles dans toutes les sources de données consultées 24 . Le modèle 16 confronte les exportations à l'assistance financière internationale. Une fois de plus, les résultats sont conformes aux observations précédentes. L'influence de ces deux variables sur les importations reste statistiquement significative et la linéarité du modèle est aussi confirmée (F =0,(00). Le pouvoir prédictif est donc réalisé par ces deux variables comme en témoigne aussi la variance totale qu'elles expliquent à près de 95 %. Comme en 1995, la contribution partielle des exportations est plus élevée que celle de l'assistance financière internationale (21 % contre 16 % respectivement). Il apparaît donc que l'écart se resserre dans les contributions partielles à l'explication des importations. Au-delà du caractère provisoire des chiffres de 1996, ce resserrement doit être rapproché de deux évolutions parallèles. En premier lieu, celle des importations pour laquelle on constate de nouveau l'apparition d'une baisse au niveau de quatre pays (tableau 5). En second lieu, la baisse de l'assistance financière internationale qui, au niveau de l'ensemble des pays, passe de 4 856 en 1995 à 4 704 en 1996; soit une chute de - 152 points. Au niveau de l'ensemble du continent, cette chute est de - 1 717. Répartie de manière uniforme à travers les quatorze pays, cette chute serait à peu près de Il millions de dollars (US), chiffre qui est énorme. Par conséquent, le resserrement de l'écart entre les contributions de ces deux variables à l'explication de la variance totale reflète la difficulté qu'ont les pays de la zone F CFA à soutenir une hausse des importations lorsque l'assistance internationale baisse considérablement. L'aide financière est indispensable aux efforts de financement des importations. C'est là un point de discussion 24. Les statistiques sur ces variables ont été recueillies dans le rapport annuel de l'OCDE (1998). La dernière année couverte, en dépit du fait que ce rapport est très récent, est 1995. 236 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC qui renvoie à la dure réalité ayant prévalu du côté des pays de la zone; l'espoir que l'assistance serait distribuée une fois le franc CFA dévalué. Cet espoir s'est forgé malgré les incertitudes sur les potentiels gains qu'apporterait ce changement de parité sur la balance de paiements. Cette réflexion conduit tout droit à l'examen des implications des diverses évolutions pour l'avenir de ces pays. Tableau 19 - Estimations des paramètres de la régression multiple (année 1996) variable dépendante: importations Variables indépendantes Exportations Assistance internationale (Constante) Modèle Coefficient Coef. Beta de régression 1,52 0,51 0,34 0,58 (- 84,56) R2 (ajusté) = 0,95 F = 115,81 16 T-ratio SigT 6,26 0,0001 7,13 0,0000 (- 1,06) (0.3092) SigF= 0,000 (p < 0,05) Quelques implications pour le développement futur des pays de la zone du franc CFA Avant de dégager ces implications, il convient de souligner que tous les résultats fournis par la description de l'évolution et de la structure des importations et par l'analyse explicative mesurant les effets des variables dépendantes retenues confirment bien l' hypothèse de travail formulée au départ. En effet, il a été constaté que la baisse considérable des importations en 1994 a été suivie en 1995 par un redressement significatif tant au niveau global que de celui de chaque pays. L'année 1994 a constitué un repositionnement pour les exportations en attendant que la demande réagisse favorablement aux prix compétitifs provoqués par la dévaluation. La continuité de l'assistance financière internationale tant recherchée s'est bien réalisée en 1994. Après l'évolution en baisse observée de 1992 à 1993, on peut dire que le volume de l'assistance a connu lui aussi un redressement. Toutefois, la baisse des importations constatée en 1994 ne peut être attribuée totalement à la dévaluation car une tendance analogue a été observée à partir de 1990. Un autre déterminant de cette baisse serait la chute des recettes d'exportation qui, pour l'ensemble, a été plus forte durant l'année 1994 par rapport aux quatre années précédentes. L'assistance internationale, assez consistante durant la même année, a probablement atténué l'effet de la faiblesse des exportations. La reprise des exportations en 1995 et 1996, du fait des prix compétitifs, combinée à la disponibilité de l'aide financière internationale a permis de relancer les importations. On peut ainsi penser que sans cette assistance, les pays de la zone F CFA auraient éprouvé quelques difficultés pour réaliser les importations observées en 1995 uniquement sur la base d'une relance de leurs exportations devenues plus compétitives. Cette pensée est appuyée par les différents modèles de régression multiple confrontant les exportations à l'assistance financière. DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 237 Par ailleurs, les effets de ces deux variables restent conditionnés, en filigrane, par la place qu'occupent progressivement la dette extérieure et le service de celle-ci dans le processus de repositionnement déclenché par la dévaluation. Les modèles (à trois variables), combinant les deux dernières variables aux deux premières, produisent des résultats quelque peu ambigus quant au rôle que jouerait la dette ou son service sur l'évolution des importations. Pour la dernière variable, les diverses renégociations ou les mesures d'accompagnement dont elle a fait l'objet dans le contexte de la dévaluation ont probablement accru de manière relative la marge de manœuvre dont disposent les pays pour importer. La baisse escomptée des importations sous l'effet de la dévaluation n'a été que de courte durée. La relance des exportations des produits primaires et l'assistance financière internationale (accordée dans le cadre de l'assistance officielle au développement) ont été les facteurs qui ont, de manière significative, influencé l'évolution en hausse des importations observée après 1994. L'influence des exportations sur cette hausse est légèrement supérieure à celle de l'assistance financière à partir de 1995. Par rapport à la situation d'avant janvier 1994, la dévaluation n'a pas tellement changé (sauf pour les prix!) l'ordre des choses compte tenu des demandes structurelles internes auxquelles sont soumises ces importations dans chaque pays. Les résultats de la présente étude confirment indirectement un argument avancé par plusieurs observateurs selon lequel pour les pays de la zone F CFA, le maintien et la continuité de l'assistance étaient avant tout les raisons pour lesquelles cette dévaluation avait été acceptée et non pour les effets potentiels sur la balance de paiements. On en arrive ainsi à l'examen de ce que ces résultats peuvent impliquer pour le futur de cette zone en termes de développement économique. La mise en lumière de la nature spécifique des structures des importations dans les pays de la zone F CFA permet de comprendre pourquoi, contrairement à ce que prédit la théorie conventionnelle, la dévaluation ne peut pas produire de façon durable les baisses attendues sur les importations. Les modalités et les contextes nationaux dans lesquels s'est opérée cette dévaluation ont contribué à la reproduction des niveaux antérieurs des importations dès 1995 par la dépendance, le déséquilibre et l'asymétrie. L'assistance financière, les recettes d'exportations et, selon les concessions faites, la dette extérieure et le service de celle-ci, contribuent à la reproduction de ce rapport baisse-hausse des importations qui fait que l'économie des pays de cette zone est amenée constamment à s'ajuster aux pressions externes et aux besoins internes. Un ajustement aussi s'opère par rapport aux préférences des bailleurs de fonds. Le développement dans ces pays, comme partout d'ailleurs en Afrique subsaharienne, est perçu d'abord comme un processus imitatif du fait d'une vision économique fortement alignée sur le taux de croissance économique (pour lequel on veut qu'il soit supérieur au taux de croissance démographique). Il s'agit là d'une vison économique de type linéaire. Pour un tel développement, l'achèvement d'une adaptation des 238 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC modèles de consommation plus sophistiqués est demandé sans pour autant que le processus correspondant d'accumulation du capital et des progrès dans les méthodes de production soit mis en place. Cette recherche d'adaptation se manifeste, entre autres, par une importation massive de technologie et d'autres biens qui engendre justement cette dépendance technologique caractéristique de la plupart des pays en développement. Ce cheminement vers l'adaptation fait aussi que la dynamique d'accumulation dans ces pays est fondée sur un ajustement structurel des économies aux mutations des économies développées exportatrices des capacités de production. Comme les importations coûtent cher, les pays sont amenés à emprunter massivement, selon les mécanismes de l'assistance financière, ajoutant ainsi une nouvelle chaîne de dépendance financière à la dépendance technologique et à celle relative à d'autres types de biens. L'infrastructure industrielle existante et le besoin en équipement pour la maintenir en fonctionnement reposent sur une importation massive d'équipements des pays industrialisés. En grande partie, ces importations ont été favorisées par la mise à disposition de ces pays des moyens financiers nécessaires pour pallier l'insuffisance de l'épargne interne. Importations de technologie, d'équipements et transferts financiers sont ainsi allées de pair, les organismes internationaux et les pays de la zone F CFA eux-mêmes s'employant à éliminer les obstacles au transfert financier. La réalité est qu'aujourd'hui toutes ces importations et ces flux financiers en provenance de l'extérieur n'ont pas donné à ces pays une capacité autonome d'évolution vers ce modèle auquel ils aspirent tous. Bien au contraire, c'est la dépendance des économies des pays de la zone qui s'est accrue, renforçant d'autres formes de dépendance et d'inégalités dans les échanges qui les caractérisent déjà. Jusqu'ici, la rupture avec la dépendance ne s'est manifestée ni pour les pays ayant bénéficié d'un afflux financier lié à la vente des produits pétroliers ou agricoles, ni pour les pays dans lesquels s'est développée, de façon limitée, une structure industrielle essentiellement tournée vers la substitution des produits importés. Pour la seconde catégorie de pays, la plupart des industries peu compétitives mises en place, ellesmêmes utilisatrices de technologie importée, ont cessé toutes activités. Contrairement à ce qui s'est passé en Asie ou en Amérique latine, l'industrie de substitution aux importations stagne à sa phase primaire en Afrique subsaharienne (Snider, 1995 : 223-169). La triste réalité qui apparaît au regard du cheminement (la dévaluation n'est qu'une autre étape) suivi par ces pays depuis leur indépendance tout au début des années 1960, est que leur maîtrise des enjeux du développement économique n'a pas été suffisamment forte dans le domaine de la technologie. Sans la maîtrise technologique, la rupture avec toutes les formes de dépendance est difficile à réaliser. Par conséquent, le risque de voir s'éterniser le cycle: importation de technologie et de biens d'équipement ~ exportation de produits primaires ~ assistance financière internationale (dette) et inversement. Un tel cycle exclut toute transformation interne de DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 239 ces pays leur permettant à la fois de répondre aux besoins de la société et d'acquérir une accumulation soumise à une dynamique autonome. La relation qui est apparue entre la dette et les importations peut être entrevue comme une autre relation de dépendance dont la dette est un instrument central. La décision d'emprunter devient dans cette relation un choix structurel qui engage, selon une durée variable, tout pays emprunteur dans cette dépendance. Toutefois, la dépendance liée à l'endettement est un résultat de la gestion dont chaque pays en a fait. L'histoire du monde est riche d'exemples de pays qui ont su gérer de manière efficace leur dette pour mettre en place une dynamique autonome assise sur un système économique concurrentiel. Cela pose inévitablement le problème de la définition et de la conception des relations entre importations, exportations et assistance financière pour les pays de la zone F CFA dans les années postdévaluation. C'est de ces variables que dépend en gros tout leur développement futur, qui ne peut être défini que par rapport à la capacité de mobilisation interne des ressources et de l'insertion de ces ressources internes dans le processus de croissance durable. Le problème des importations accentuant la dépendance se pose d'abord à l'intérieur des pays de la zone, c'est-à-dire au niveau de leur politique de développement (surtout industrielle), de leur capacité à restructurer leurs économies et à mobiliser pour cela leurs ressources internes. Plusieurs observateurs recommandent souvent le renforcement des regroupements régionaux dans la période post-dévaluation. Mais ce n'est là qu'un aspect de la solution à apporter à un problème qui est de nature multidimensionnelle. Indiscutablement, la dévaluation apporte de nouvelles opportunités que certains pays ont déjà commencé à saisir à travers la relance de leurs exportations. Un aspect fondamental qui demeure cependant est celui du développement industriel. Aujourd'hui en Afrique subsaharienne, ce développement se trouve confronté à une crise non seulement sur le terrain mais également au niveau du débat intellectuel. Ce débat est dans l'impasse du fait qu'aucune alternative viable n'est proposée dans le discours théorique. Cependant, pour autant que ces relations évoluent dans le sens favorable, les options internes doivent tenir compte des contraintes liées à l' environnement national, ce qui pose le problème des transformations (institutionnelles, formes de propriété, droits civiques, participation, genre, etc.) à apporter à ce dernier pour minimiser les risques d' hypothèques évoqués par Coquet (1994); de la nécessaire rupture qu'implique toute dévaluation. Toute la question des avantages à tirer du changement de parité intervenu le Il janvier 1994 repose là-dessus. La principale orientation de politique économique qui émane de cette situation est, tout en poursuivant la stratégie des exportations, les efforts de restructuration économique et de démocratisation, qu'il faudrait que les pays de la zone F CFA repensent leur politique d'industrialisation. Cette dernière devrait donner une grande priorité à l'aspect technologique. Il faudrait que les instruments pour maîtriser la technologie soient imaginés et, 240 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC une fois identifiés, leurs applications devraient être encouragées au sein des États. Cette recommandation qui renvoie directement à la création des capacités productives, au développement des connaissances (théoriques et pratiques) et à l'innovation, exige qu'une autre priorité soit donnée au renforcement du capital humain dans les stratégies futures de développement. Conclusion La section précédente a présenté, dans ses quelques grandes lignes, une orientation de politique économique pour parvenir à une croissance du PIB capable de persister sur le long terme dans la période post-dévaluation. L'environnement national d'une telle croissance permet d'aboutir à un modèle de développement qui s'accompagne d'une transformation des structures économiques et sociales adaptées à ces pays. Il est à présent utile, avant de clore la présente étude, de mentionner ce que l'analyse faite apporte comme contribution au débat théorique sur le développement des pays de l'Afrique, qu'ils soient de la zone F CFA ou d'ailleurs. L'analyse offre des résultats théoriquement importants. Elle a montré en quoi une approche s'appuyant exclusivement sur la reprise des exportations est insuffisante pour expliquer la hausse des importations. Les causes internes et externes de l'évolution des importations sont expliquées à la fois par la théorie conventionnelle de la dévaluation (hausse des exportations et renchérissement des biens importés), des théories structuralistes (faiblesse de la technologie) et celle de la dépendance (faiblesse dans l'accumulation du capital). Les résultats de l'étude suggèrent que toute analyse de l'impact de la dévaluation sur les importations et donc sur la balance commerciale doit s'appuyer sur plusieurs théories afin de fournir un tableau assez complet des avantages et des limites de cet instrument de politique monétaire qu'est la dévaluation. Toutes ces théories sont, à divers degrés, à confirmer dans l'analyse. En outre, les résultats de l'analyse contribuent empiriquement aussi au débat théorique et critique sur les formes d'insertion des pays de la zone F CFA dans le système capitaliste mondial. Elle a montré comment cette insertion s'opère à travers la chaîne formée par les importations de technologie et de biens d'équipement, les exportations de produits primaires et l'assistance financière internationale. C'est cette chaîne qui traduit la forme persistante d'une participation inégale de l'Afrique (y compris les pays de la zone F CFA) à la division internationale du travail comme cela a été souligné par Amin (1972,1992). La dévaluation n'a rien changé à cette réalité. DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 241 Bibliographie Amin S. (1976), Unequal development, Sussex, Harversten Press. Amin S. (1992), Empire of Chaos, New York, Monthly Review Press. Banque mondiale (1996), Trends in Developing Economies, Washington, D.C, The World Bank. Banque mondiale (1989), L'Afrique subsaharienne. De la crise à une croissance durable. Étude de prospective à long terme, Washington, D.C, Banque mondiale. Bekolo-Ebe B. 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Gabon Mali Niger Sénégal Togo 366 193 1729 129 109 12 877 3091 39 1286 256 412 671 403 287 283 1906 151 194 18 1328 3003 38 2490 330 313 894 395 371 238 1937 116 182 21 1179 2945 52 2257 362 269 828 327 341 263 1651 132 152 22 1119 2519 52 2326 349 248 707 215 308 188 1432 151 135 Il 959 2869 65 2365 335 231 294 226 405 243 1662 173 250 11 1173 3870 86 2643 459 281 969 355 424 305 1721 135 259 6 1517 4316 172 3111 473 280 1022 345 Total 9573 11630 11084 10096 9569 12580 14086 a. Les chiffres de 1996 sont considérés comme proVISOires à la date de la publication. Source: extrait du tableau 5.1 (Banque mondiale 1997: 73) Tableau 21 - Évolution de la dette extérieure Pays 1985 1990 1992 1993 1994 1995 Bénin Burkina Cameroun Centraf. Tchad Comores Congo Côte d'I. Guinée-É. Gabon Mali Niger Sénégal Togo 774 574 3269 354 172 135 2735 9847 111 1675 1463 1318 2467 984 1351 1137 6085 860 583 210 4390 17692 197 3937 2632 1879 4451 1504 1326 1147 6216 758 717 187 4167 16545 225 3782 2325 1475 3825 1312 1363 1164 6325 816 738 180 4187 16137 240 3622 2364 1446 3645 1189 1430 1147 6563 834 739 186 4563 14144 260 3751 2291 1591 3499 1230 1732 1587 7761 1052 954 239 5332 14463 258 4415 2894 1754 4366 1418 Total 27341 46908 44007 43416 42228 48225 Source: OCDE (1998). 244 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Tableau 22 - Évolution de l'assistance financière internationale par pays Pays Bénin Burkina Faso Cameroun Centrafrique Tchad Comores Congo Côte d'Ivoire Guinée Equatoriale Gabon Mali Niger Sénégal Togo Total Zone Total Afrique subsaharienne 1992 1993 1994 1995 1995 269 114 715 177 241 49 112 758 62 69 434 370 675 223 289 470 545 173 228 50 123 765 53 102 366 347 504 98 257 436 731 166 215 40 362 1594 30 182 443 377 645 126 282 487 168 239 43 125 1212 34 145 545 270 669 193 293 418 413 167 305 40 430 968 31 127 505 259 582 166 4268 4113 5604 4856 4706 na 17330 18912 18463 16746 444 Source: OCDE (1998). Tableau 23 - Structure (en pourcentage) des importations (1985-1994) 1985 1990 1994 Bénin A C M BM AU Pays Il,7 4,8 21,6 45,6 16,8 20,1 Il,7 13,6 41,3 13,3 20,7 12,5 14,0 39,9 12,9 Burkina Faso A C M BM AU 29,9 12,9 19,5 27,8 9,9 18,5 Il,7 26,2 36,3 7,4 20,7 9,2 26,1 37,7 6,3 Cameroun A C M BM AU 7,9 3,6 34,8 48,8 4,9 16,2 1,5 27,8 48,2 6,3 14,4 2,1 29,5 46,6 7,4 Centrafrique A C M BM AU 13,8 1,8 33,3 41,3 10,1 14,5 3,0 37,0 35,5 10,0 14,6 4,0 36,0 37,2 8,2 DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS 245 Tableau 23 - Structure (en pourcentage) des importations (1985-1994) (suite) Tchad A C M BM AU 11,6 14,2 28,9 40,0 5,3 1l,7 14,1 28,9 40,2 5,1 Il,8 14,0 28,7 40,0 5,5 Comores A C M BM AU 44,4 16,7 11,1 25,0 2,8 41,9 13,3 9,7 22,5 12,5 40,0 10,9 8,4 19,2 21,5 Congo A C M BM AU 16,4 3,1 35,3 41,5 3,8 14,0 2,9 37,0 42,6 3,4 12,8 2,9 37,4 43,0 3,9 Côte d'Ivoire A C M BM AU 15,1 22,0 222 36,1 4,6 17,8 16,9 22,8 37,9 4,5 16,7 13,4 22,9 42,2 4,8 21,4 17,9 17,9 25,0 17,9 22,2 19,4 19,4 27,0 Il,9 21,6 18,4 19,5 28,7 Il,8 Gabon A C M BM AU 13,8 1,7 38,6 39,8 6,1 Il,7 1,7 40,0 40,9 5,7 14,1 1,8 39,0 38,9 6,2 Mali A C M BM AU 15,3 16,7 35,9 29,3 2,7 16,5 16,2 36,1 27,6 3,6 19,3 17,6 23,3 33,1 6,7 Niger A C M BM AU 34,7 Il,O 20,5 26,3 7,5 31,5 Il,3 20,2 27,9 9,0 29,9 9,0 22,2 30,3 8,6 Sénégal A C M BM AU 21,2 26,2 16,3 25,5 10,8 24,9 16,0 21,2 30,4 7,5 23,0 17,9 21,4 31,4 6,3 Guinée-Équatoriale A C M BM AU 246 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Tableau 23 - Structure (en pourcentage) des importations (1985-1994) (suite) Togo A C M HM AU 17,8 6,8 18,5 47,9 8,9 14,8 8,3 22,6 44,5 9,8 16,7 8,1 24,8 41,0 9,4 Source: NU-CEA (1995) 1994 Indicateurs socio-économiques africains Nomenclature des abréviations: A-produits alimentaires; C-combustibles; M-machines et matériel de transport; HM-autres biens manufacturés; AU-autres. 10 Les effets économiques et sociaux de la dévaluation du franc CFA dans les pays de l'UEMOA Malick SANÉ Face à l'ampleur de la crise économique et financière des pays africains membres de la zone franc (PAZF) et à la dégradation de leurs principaux indicateurs depuis le contre-choc pétrolier (1979), deux stratégies étaient envisageables. La première, dans laquelle plusieurs pays s'étaient engagés, consistait à rétablir la compétitivité par une diminution des rémunérations nominales et un effort pour réduire les gaspillages et augmenter la productivité. La seconde s'appuyait sur la dévaluation de façon à obtenir à travers l'illusion monétaire une baisse du niveau réel des rémunérations (salaires, marges, ... ) et ainsi une réduction des coûts (Banque mondiale, 1994). Cette stratégie l'a emporté, car les institutions de Bretton Woods qui ne croyaient pas à la possibilité de poursuivre efficacement la première ont finalement obtenu le ralliement de la France à leur point de vue après un débat intense entre partisans d'un ajustement de parité, amenés par la Banque de France, et partisans d'un statu quo, amenés par le Trésor français. Les pays africains, fortement endettés vis-à-vis du FMI et de la Banque mondiale, avaient impérativement besoin que ces institutions reprennent leur financement, auquel la France conditionnait désormais ses propres concours. Les arguments décisifs avancés par les organismes de Bretton Woods pour justifier la dévaluation du franc CFA se rapportaient aux résultats médiocres des politiques d'ajustement mises en œuvre par les pays africains, en particulier, à l'accumulation de déséquilibres économiques et financiers. Ces pays ont finalement décidé d'adopter la dévaluation du franc CFA (50%) et du franc comorien (33 %), par rapport au franc français (FF) et donc à toutes les autres devises, le 12 janvier 1994. 248 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC Cette dévaluation se présentait comme l'aboutissement du processus d'ajustement engagé par les pays de la zone franc et qui devait leur permettre de renverser la tendance, en restaurant la compétitivité, en facilitant la résorption des déficits publics, et en créant les conditions d'un retour de la croissance. L'ajustement de la parité du franc CFA par rapport aux monnaies extérieures s'est accompagné d'une politique de rigueur macroéconomique et de vastes mesures structurelles conçues pour améliorer les perspectives de croissance des pays et rétablir la confiance dans une démarche plus conforme à leur ouverture internationale. Quatre années après la dévaluation, il paraît nécessaire de jeter un regard rétrospectif sur l'évolution suivie par les économies membres et d'en dresser un bilan objectif. En effet, au-delà des rapports de pouvoir, qui se nouent au niveau international, la dévaluation du franc CFA a eu des incidences dissemblables pour les membres de la zone franc, et, au sein de chaque pays, pour les différentes catégories sociales. Sans la connaissance de l'ampleur des coûts sociaux de la dévaluation, il est difficile de maîtriser la gestion de l'économie nationale. Une baisse du niveau de vie peut déclencher des tensions sociales qui rendent difficile, voire impossible, l'application des politiques économiques devant renforcer l'action de la dévaluation pour qu'elle atteigne les objectifs économiques visés. Ces considérations suffisent pour porter une attention toute particulière aux implications sociales de la dévaluation. Cette étude s'efforce de prendre en compte ces retombées sociales. Cette contribution tente d'évaluer les effets économiques et sociaux de la dévaluation du franc CFA sur l'économie des pays de l'UEMOA, en général, sur celle du Sénégal, en particulier. Pour ce faire, la première partie présente la problématique et les effets immédiats de cette mesure. La seconde partie analyse les conséquences structurelles et qualitatives de ce changement de parité en s'intéressant aux effets sur les économies, dans une perspective de développement. Problématique et effets de la dévaluation à court terme La manipulation du taux de change n'est pas une opération très fréquente dans la zone franc. La relative stabilité du taux de change entre le franc CFA et le franc français en témoigne. Pendant près de 46 ans (entre 1948 et 1994), ce taux est resté inchangé. Il aurait certainement pu être le même encore aujourd'hui si le point de vue des principaux concernés (en l'occurrence les PAZF) avait été pris en considération. Ceux-ci ont, pour la plupart, toujours été sceptiques quant aux effets positifs d'une dévaluation sur leurs économies. LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION 249 La problématique de la dévaluation Détenniner la pertinence d'une dévaluation est un exercice complexe, qui pose le délicat problème de la définition d'un éventuel « taux de change d'équilibre ». Cette question s'est notamment posée au lendemain de la seconde guerre mondiale, lorsqu'il s'agissait de définir les principes de coopération monétaire internationale dans le cadre des accords de Bretton Woods. Elle est réapparue de façon permanente durant les années 1970, avec l'instabilité des changes flexibles et la construction monétaire européenne. Elle se pose à nouveau avec insistance depuis le début des années 1990, avec la crise du système monétaire européen (SME), la marche vers la monnaie unique et l'instabilité monétaire dans les pays en développement (d'Amérique latine et d'Afrique notamment). Il existe deux manières d'appréhender le problème de l'équilibre du taux de change: par la parité des pouvoirs d'achat et par le solde de la balance des paiements. Les approches monétaires de la balance des paiements, comme le modèle de Dornbusch (1976) et ses développements monétaristes, appartiennent à la première école, héritée de la tradition de Cassel (1923). La théorie qui y est développée indique que les dévaluations doivent se produire dès que le taux de change en vigueur ne permet plus l'égalité des pouvoirs d'achat des monnaies à long terme. Les approches de la balance des paiements par les élasticités (Marshall-Lerner-Robinson) ou par le revenu (Mundell-Fleming) appartiennent à la deuxième école, héritière des travaux de Nurske (1945). Selon cet auteur, les réajustements sont nécessaires lorsque la parité interdit le retour à un équilibre fondamental de la balance des paiements, c'est-à-dire à un solde des paiements acceptable sans recourir à un endettement excessif, à la mise en place de restrictions aux échanges ou à l'adoption des mesures déflationnistes. Cette seconde approche, retenue par l'analyse libérale de la crise africaine (FMI, Banque mondiale, ... ) à travers la notion de taux de change « réaliste », appliquée depuis une dizaine d'années pour critiquer le maintien du franc CFA à sa parité de 1948, est également proche des recommandations de Williamson sur la défense d'un« taux de change d'équilibre fondamental» par un système de flottement dirigé à l'intérieur d'une zone cible (Siroen, 1991). Les partisans de la dévaluation, avec à leur tête les institutions de Bretton Woods, concluent notamment à la surévaluation du franc CFA. Celle-ci entraîne ou renforce l'apparition d'effets pervers tant au niveau de la production que de la consommation. Par exemple, l'importation de produits alimentaires à bas prix ne serait pas étrangère à l'effondrement de l'agriculture vivrière et à la modification des habitudes alimentaires. D'un autre côté, les exportations de produits manufacturés ne pourraient se développer faute d'une compétitivité-prix suffisante. Le FMI et la Banque mondiale préconisent donc l'ajustement de la parité du franc CFA dès le milieu des années 1980. En effet, au même titre que le contrôle du crédit, la réduction des déficits publics, la libéralisation des 250 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC prix, des échanges commerciaux et financiers ... , la dévaluation fait partie intégrante des instruments spécifiques de politiques économiques inclus dans les programmes d'ajustement proposés (ou imposés ?) par les institutions de Bretton Woods. Les prémices apparaissent dès la deuxième moitié de l'année 1993 à travers, d'abord, les mesures prises par les Banques centrales (BCEAO et BEAC) le 4 août 1993, de ne plus procéder au rachat des billets changés hors de la zone franc. Ensuite, l'évolution progressive de l'attitude des autorités politiques, notamment de la France, semble se modifier. Cela implique que les PAZF devront mettre réellement en œuvre les programmes d'ajustement supportés par le FMI et la Banque mondiale, qui incluent habituellement un changement de parité de la monnaie. Enfin, on note les anticipations de certains agents économiques (les multinationales), qui n'hésitent pas à payer d'avance leurs fournisseurs étrangers et à se désendetter auprès de leur maison mère afin de réduire au maximum leur trésorerie en franc CFA. Dans les dernières heures précédant la décision officielle de dévaluer, la suspension des transferts bancaires confirmait le caractère inéluctable de cette mesure. Effets de la dévaluation à court terme Le choix de la dévaluation représente un changement important de stratégie économique. Il s'agit d'imposer une modification substantielle de la structure interne des prix relatifs, des objectifs que la politique d'ancrage nominal a vainement cherché à réaliser de manière progressive. Trois effets sont attendus à court terme: une amélioration de la compétitivité-prix, une certaine réallocation des ressources vers les secteurs exportateurs (au détriment des villes et au profit des campagnes) et un assainissement des finances publiques. Examinons ces trois effets successivement. A) L'IMPACT SUR LA COMPÉTITIVITÉ-PRIX Un changement de parité permet théoriquement de compenser la détérioration des termes de l'échange (augmentation du prix des importations exprimé en franc CFA sans changement du prix des exportations et exprimé dans la même monnaie) en restaurant une meilleure compétitivité externe: développement des volumes d'exportation et réduction des volumes d'importation. Toutefois, cet effet favorable sur la balance commerciale ne se produit que si les conditions de validité du « théorème des élasticités critiques» sont remplies. Il faut donc que les élasticités - prix des importations et des exportations - soient suffisamment importantes. Cependant, la mesure de l'évolution de la compétitivité est toujours une tâche ardue. Elle l'est particulièrement dans le cas de l'économie sénégalaise, en raison du manque de statistiques fiables sur l'évolution des prix des différents secteurs. On dit que le taux de change effectif réel (TCER), soit le taux de change effectif nominal (TCEN), est l'indicateur standard le plus couramment utilisé pour mesurer la compétitivité globale d'une économie. LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION 251 Selon Diaw l'approche traditionnelle, basée sur la parité des pouvoirs d'achat (PPA) et utilisant une pondération en fonction de la seule origine des importations, permet de refléter la compétitivité d'un pays comme le Sénégal sur son propre marché. Cet auteur soutient que cette approche du TCER, compatible avec le modèle de Salter-Swan d'une économie « dépendante)) (Edward, 1989 ; Guillaumont, 1992 ; Elbadawi et Soto, 1993), s'applique parfaitement à l'économie sénégalaise. La principale conclusion que tire finalement A. Diaw de son analyse de l'évolution du TCER multilatéral et bilatéral du Sénégal pour la période 1964-1994 est la suivante: - il n'y a pas eu d'augmentation systématique du TCER multilatéral du fait de la relative maîtrise de l'inflation au plan interne ; - l'évolution du TCER bilatéral vis-à-vis des pays asiatiques, du Nigeria et du Maroc révèle, en revanche, une perte significative de la compétitivité extérieure du Sénégal, surtout dans les années 1980. A. Diagne (1995) a procédé à la détermination du taux de change d'équilibre du CFA au Sénégal en ajustant le taux de change officiel par l'utilisation de la méthode des élasticités. L'écart entre le taux de change d'équilibre calculé et le taux de change officiel indique l'ampleur de la surévaluation du franc CFA au Sénégal. Plus la surévaluation est importante, moins l'économie est compétitive. Les principaux enseignements tirés des calculs effectués par cet auteur sur la période (1980-1991) sont les suivants : - le franc CFA au Sénégal a été fortement surévalué entre 1980 et 1985 (le taux moyen est de 41 %). Cette période fut caractérisée par de grands déséquilibres macrofinanciers qui n'ont pas pu être résorbés par les différents plans de stabilisation et d'ajustement structurel. Ces déséquilibres se sont traduits par un important écart entre le taux officiel et le taux d'équilibre; - on observe, à partir de 1986, une légère diminution de la surévaluation, qui se situe néanmoins, selon A. Diagne, à un niveau encore élevé (30 %). A. Diaw (1997) a relevé les inconvénients majeurs de cette méthode quant au caractère significatif des résultats obtenus, d'une part, et à l'applicabilité d'une telle approche pour un pays en développement comme le Sénégal, d'autre part. A cet égard, les gains de la dévaluation en termes de compétitivité semblent sérieusement limités. Tout d'abord, les exportations des PAZF sont quasi exclusivement composées de matières premières, dont la demande est peu élastique aux prix et dont les cours se forment en devises sur les marchés mondiaux (les PAZF sont price-taker). Ces cours sont relativement indépendants des coûts de production de la zone franc, et les effets-prix paraissent donc négligeables. Les pays africains, fortement spécialisés dans les exportations de produits de base dont ils n'ont pas la maîtrise de l'évolution des cours, ne devraient pas profiter de gains de compétitivité importants dans ce domaine. Par ailleurs, l'élasticité de la demande d'importation aux prix est faible : elle dépend à long terme de facteurs structurels, tels que les techniques de production et les modes de consommation. Les seuls effets rapides et signi- 252 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC ficatifs de compétitivité ne portent que sur les consommations alimentaires urbaines: substitution des produits vivriers (maïs, mil, sorgho, tubercules) aux produits importés (blé, riz). L'examen des notions de prix et de compétitivité à court terme, c'est-àdire la structure des taux de change, des prix et des frais de production de l'économie sénégalaise, relativement à celle de ses principaux partenaires commerciaux, révèle toutefois que la compétitivité des prix s'est améliorée, suite à l'adoption, en 1994, du programme de réformes structurelles (Pigato et al., 1997). Selon une étude de la Banque mondiale, les coûts des facteurs au Sénégal, sont désormais compétitifs avec ceux des pays comparables d'Asie et d'Afrique, bien qu'ils soient encore élevés par rapport à la moyenne pour la région de l'UEMOA. Ceci s'applique particulièrement aux coûts unitaires de la main-d'œuvre. Pendant les années 1980, le coût des intrants intermédiaires, en $EU, était beaucoup plus élevé pour les entreprises sénégalaises, bien qu'il se soit rapproché de celui des concurrents depuis la dévaluation. Néanmoins, les coûts de l'énergie, surtout ceux de l'électricité et de l'eau, sont désavantageux par rapport à ceux de la région de l'UEMOA. Les frais de transport externes sont beaucoup plus élevés pour le Sénégal que pour ses concurrents asiatiques, ce qui annule les avantages de la proximité géographique. Les bons résultats dans la lutte contre la hausse des prix ont permis de stabiliser la compétitivité retrouvée. En décembre 1994, la hausse des prix à la consommation locale avait été de l'ordre de 33 % en moyenne, et de 39 % en glissement, avec 35,2% et35% dans l'UEMOA et 35,5% et47,5% dans la CEMAC, c'est-à-dire des résultats légèrement inférieurs aux prévisions du FMI. En 1995, des baisses de prix sont apparues, permettant de présenter sur l'année un taux d'inflation plus conforme aux objectifs: 9,9% dans l'UEMOA et 11,1 % dans le CEMAC, et en glissement 6,5% dans l'UEMOA et 6% dans la CEMAC. En 1996 et 1997, l'inflation a été ramenée à moins de 5 % pour les pays de la zone franc. Le surcroît d'inflation dû à la dévaluation a ainsi été maîtrisé, ce qui a permis de préserver des gains de compétitivité-prix substantiels (le taux de change effectif réel s'est déprécié de 30% pour la Côte d'Ivoire, 25 % pour le Cameroun et le Sénégal depuis décembre 1993). B) LES COMPTES EXTÉRIEURS Le changement de parité permet théoriquement de compenser la détérioration des termes de l'échange en restaurant une meilleure compétitivité externe. Les revenus nominaux des secteurs exportateurs de matières premières devraient augmenter un peu plus vite que leurs coûts de production (comportant des intrants souvent importés) et inciter à une augmentation de la production. La dévaluation de 35 % du taux de change réel en 1994 a provoqué une reprise étendue des entrées en devises et surtout un rebondissement impor- LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION 253 tant des exportations des marchandises clés ainsi que du tourisme et des services privés. Après avoir diminué de 3,7% par an pendant la période 19911993, le volume global des exportations a augmenté de 6,5 % pendant la période 1994-1996. Le taux de croissance des exportations de marchandises a été marginalement plus élevé, soit 7 %. Cette croissance a été appuyée par une forte reprise de la demande mondiale, soit une augmentation de 6,4% par an entre 1994 et 1996. Les exportations globales du Sénégal (biens et services non-facteurs) représentent actuellement environ 31 % du PIE, soit un pourcentage plus élevé que celui de 1980. Les exportations de marchandises ont progressé plus rapidement que les services non-facteurs. Au sein de la catégorie des marchandises, les exportations de produits primaires représentent 90% et les produits manufacturés les 10% restants, soit une augmentation par rapport au 6,2 % de 1993. Mais cette hausse est encore loin en dessous des 17,2 % enregistrés en 1985. Les produits manufacturés ont pourtant progressé de 30% par an pendant la période 1994-1996, contre 8,6% pour les produits primaires. Le poisson, l'huile d'arachide et les engrais restent au premier plan des exportations, bien que les produits arachidiers, les phosphates naturels et les produits pétroliers aient perdu de l'importance parmi les produits exportés. Les gains réalisés par le poisson et ses produits annexes (poisson frais, crustacés et dérivés de poisson) ont été substantiels : ils sont passés de 41 % à la fin des années 1980 à 56 % entre 1994 et 1996. Les exportations de services non-facteurs représentent 11,7% du PIE et 38 % du total des exportations. Un tiers est constitué par les services publics (transactions effectuées par les ambassades, consulats, ...) et le reste par des services commerciaux privés (services aux entreprises, activités du tourisme et des voyages, des transports, de l'assurance). Les services commerciaux ont subi une croissance annuelle de 14,6 % entre 1994 et 1996, poussés par des gains réalisés par les services aux entreprises (27 %) et le tourisme (8,2%). Le tourisme représente 40% des services commerciaux. Depuis le changement de parité, les échanges commerciaux se sont donc multipliés et les excédents attendus ont été confirmés. L'effet prix de la dévaluation, aidé par la hausse des prix mondiaux, s'est prolongé, les exportations et les importations ont très fortement augmenté en valeur en 1994 (+ 89 % et + 70 %) avec des excédents qui ont permis de réduire les déficits courants, à l'exception de la balance des services (+ 54 %). Se confirme donc le rétablissement de la compétitivité de l'économie sénégalaise qui favorise la substitution des importations, en particulier pour les produits agricoles et agroalimentaires, avec un retour vers les productions locales traditionnelles. La dévaluation devait avoir pour effet mécanique de multiplier par deux l'encours et le service de la dette extérieure alors que l'accroissement projeté des recettes publiques était de 20%. Le déficit budgétaire devrait par conséquent s'aggraver. Toutefois, le rééchelonnement et la remise d'une 254 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC partie de la dette consentie par des bailleurs de fonds ont permis une augmentation modérée des intérêts et du principal. En dépit des apports extérieurs et des mesures de réaménagement des dettes extérieures, la charge de remboursement constitue une contrainte majeure pour les membres de la zone franc, à l'image du Sénégal où l'encours de la dette publique atteint encore 1 730 milliards et le service de la dette 170 milliards nets. Le service de la dette continuera donc de peser sur les finances publiques pendant les prochaines années. Aidées également par le retour des capitaux et les versements nombreux liés aux accords bilatéraux et multilatéraux, les balances de paiements se sont redressées. En 1994, le total des aides décaissées représente 12 milliards FF, ce qui est conforme aux engagements, et confirme l'attention portée à cette opération ainsi que son bon déroulement. C) L'ASSAINISSEMENT DES DÉPENSES PUBLIQUES L'impact de la dévaluation sur les recettes publiques résulte de deux effets de sens contraire. D'une part, la dévaluation doit apporter un surplus de recettes, grâce aux prélèvements sur le secteur exportateur dont les revenus exprimés en franc CFA augmentent, et qui constitue la principale matière fiscale imposable. De plus, le retour de l'aide des institutions financières internationales devrait être un «ballon d'oxygène» pour les États africains de la zone franc. D'autre part, la dévaluation occasionne un alourdissement instantané de la charge de la dette libellée en devises (60% de la dette extérieure est exprimée en francs français). Ceci provoque immédiatement une détérioration importante de la balance des transactions courantes (la charge de la dette représente près de 100 % de l'excédent commercial). La dévaluation ne semble donc pas être un moyen de rétablir l'équilibre de la balance des paiements, sauf si elle est accompagnée d'un rééchelonnement de la dette, comme lors du changement de parité en zone franc. De manière générale, le redressement budgétaire a été faible, lent et très inégal. La hausse des recettes attendue des flux commerciaux a tardé, du fait de la mise en place à peine commencée au 2e semestre 1994, des mesures de restructurations économiques. La modernisation de la fiscalité et des services fiscaux a d'abord conduit à un affaiblissement de rendement. Par contre, en 1995 et 1996, l'accélération de la croissance, jointe à l'efficacité accrue des services fiscaux, a amélioré de manière substantielle les rentrées fiscales. Les dépenses n'ont pas été fortement réduites. Le seul résultat positif a été la baisse des dépenses de personnel. De 60 % des dépenses budgétaires primaires en 1993, elles sont passées à 54 % en 1994, et à 35 % en 1995, permettant au solde primaire de retrouver une position excédentaire. Le poids de la dette est resté très élevé avec 50 % des recettes (hors dons) dans l'UEMOA, malgré les annulations nombreuses qui sont intervenues. Les arriérés de paiements extérieurs, ainsi que le déficit courant, ont été résor- LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉV ION E ~ ~.f'8t. C\.;;V~"- bés avec l'aide internationale, ce qui revient à dire que les c ' dtt consentis par la Banque mondiale en 1994 et 1995 ont servi au rembou e~ de ses ; ';'.!'o .......:V propres créances. ~C c. ~=.". Indéniablement, la reprise de la croissance économique nomina ç. tue le fait le plus significatif de la période. Elle souligne le retour de la compétitivité, indispensable à la restauration d'une dynamique de production tirée par les exportations. Pour l'UEMOA, elle a atteint, en termes réels, + 2,6%, + 5,8% et + 6,3% respectivement en 1994, 1995 et 1996. Le secteur primaire a connu une forte activité en raison de la hausse des prix d'achat aux producteurs agricoles, de la forte pluviométrie et de l'augmentation des cours mondiaux. Ainsi, pour le Sénégal par exemple, après une vive poussée au lendemain de la dévaluation, l'inflation a été rapidement maîtrisée ; en effet, elle a été ramenée de 32,1 % en 1994, à 8,1% en 1995 et 2,8 % en 1996. La croissance réelle du PIB est devenue positive en 1994 avec 2,0% et est passée à 4,8 % en 1995,5,6% en 1996 et 5,2% en 1997, signe d'un retournement marqué par rapport à la période 1990-1993, où le PIB réel était stagnant avec 0,0%. Les déficits fiscaux et courants (dons exclus) sont passés de 5,7% et 9,3% du PIB, respectivement, en 1994 à 3,2 % et 7,9 % du PIB en 1995. Le déficit courant a été financé en grande partie par des transferts publics (y compris les créanciers et bailleurs bi et multilatéraux, le rééchelonnement et l' annulation de la dette). L'épargne intérieure brute est passée de 7,4 % du PIB en 1994 à 10,4% en 1995, suite à un effort concerté d'ajustement fiscal et, à partir de 1995, à une reprise de l'épargne privée. En fin de compte, les premières années qui ont suivi le changement de parité montrent que les chaos tant redoutés ne se sont pas produits. A part quelques émeutes localisées et qui se sont révélées sans lendemain, les choses se sont passées à peu près comme prévu. Mais les risques de dérapage demeurent, sous l'effet d'augmentations de salaires qui pourraient nourrir des anticipations inflationnistes, et il est encore trop tôt pour porter un jugement définitif sur la réussite de l'entreprise. Néanmoins, les conditions d'un développement véritable permettant d'assurer une hausse effective du niveau de vie ainsi que les investissements lourds nécessaires aux infrastructures économiques mais aussi sociales, sont apparemment réunies. Il restera encore à montrer qu'elles pourront être maintenues sur les moyens et longs termes, c'est-à-dire qu'au-delà des effets mécaniques de la dévaluation, le plan de restructuration est parvenu à créer les gains de crédibilité nécessaires à l'investissement privé. C'est l'objet du paragraphe suivant d'analyser cette question. 256 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC Les effets de la dévaluation à moyen et long terme La question fondamentale soulevée par la dévaluation du franc CFA est celle des effets restructurants tant dans la répartition du surplus économique que dans l'allocation des facteurs et le rôle respectif des acteurs de l'économie notamment l'État et les agents privés en général, les entreprises en particulier. Ces effets restructurants devaient permettre aux économies d'acquérir une capacité forte à soutenir une croissance durable et d'amorcer un véritable processus de développement. Cet objectif dépasse largement le cadre de l'ajustement macroéconomique de la balance commerciale à court terme. Dès lors, la question est de savoir si la dévaluation peut favoriser des changements dans les conditions de vie et l'absorption interne, d'une part, des réformes structurelles souhaitées d'autre part. De la même façon, une meilleure maîtrise de l'évolution probable de l'environnement économique et politique notamment au sein de la zone franc s'avère indispensable à la reprise de la croissance et du processus de développement économique. Les conséquences sociales de la dévaluation La dévaluation devait opérer une modification de la répartition et donc de la structure des revenus. Il s'agissait d'abord d'induire une substitution entre la production intérieure et la production extérieure, au détriment de cette dernière. Il s'agissait ensuite d'opérer une modification de la structure de répartition des revenus au bénéfice des producteurs, et au détriment des couches de populations les plus favorisées, assimilées ici à la population urbaine. Cette modification de la répartition devait d'ailleurs accélérer l'ajustement de l'absorption intérieure et amplifier l'effet de substitution souhaitée. La dévaluation a entraîné un phénomène important de renversement de la tendance à la baisse du revenu des ruraux par rapport à celui des urbains. Ainsi pour le monde rural, le revenu monétaire réel moyen a augmenté notamment du fait que l'évolution des termes de l'échange sur le marché intérieur a été plutôt favorable aux producteurs agricoles. Malgré l' annulation des mesures de baisse des salaires dans la fonction publique, le prélèvement obligatoire d'une journée de travail pour les salariés du secteur privé et la hausse de 10% des salaires au lendemain de la dévaluation pour atténuer les pressions inflationnistes, le pouvoir d'achat des salariés du secteur formel a chuté. Dans tous les États, la masse salariale a fortement diminué dans la dépense publique totale. Elle passe ainsi de 43 % en 1993 dans l'UEMOA à32% en 1997, etde50%en 1993 enCEMAC à37% en 1997. Cetteréduction de la part des salaires s'accompagne d'une forte réduction de pouvoir d'achat sous l'effet conjugué et des réductions nominales, et de l'inflation et de la dévaluation. La perte de pouvoir d'achat est en moyenne de 35 %. LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION 257 Cette recomposition de la masse salariale publique a par ailleurs pesé lourd dans la politique salariale des autres secteurs, contribuant de ce fait à réduire le coût de la main-d'œuvre en devises. Les revenus des producteurs ont quant à eux suivi une évolution positive. Cet accroissement a été facilité par la hausse soutenue des cours de plusieurs produits agricoles en 1994 (coton 32 % ; arachide [huile] 39 %) sur les marchés internationaux. Cet accroissement n'a pas été suffisant pour compenser la baisse de pouvoir d'achat subie par les populations rurales du fait de l'inflation. Celle-ci a certes souvent compensé la perte de pouvoir d'achat par de l'autoconsommation, mais cette substitution traduit souvent une tendance à l'appauvrissement de la même nature que l'effet Veblen où le pauvre consacre une part plus importante de son revenu aux biens inférieurs. La dévaluation a provoqué ou amplifié la détérioration des conditions de vie de l'ensemble de la population, qu'elle soit urbaine ou rurale malgré les mesures sociales d'urgence qui ont été prises, sous forme d'octroi de subventions et de diminution ou de suppression de taxes sur les produits importés. Ces mesures, contraires aux principes de libéralisation des marchés promus par les organismes de Bretton Woods, avaient pour but de limiter les risques d'explosions sociales. Nombre d'analystes, notamment du côté des bailleurs de fonds, se sont souvent réjouis de la réduction des revenus de la population urbaine, comme si celle-ci impliquait nécessairement un transfert vers les populations rurales. Or, il n'en est rien, la réduction des revenus urbains et la perte de pouvoir d'achat se traduisent en fait par un appauvrissement plus étendu, avec des conditions de vie plus difficiles, qui ne peut être aisément traduit au niveau des comptes nationaux et des agrégats économiques. Cette détérioration des conditions de vie peut se mesurer aux difficultés de plus en plus fortes pour la majeure partie de la population à accéder à l'éducation et aux services de santé. Pour permettre aux plus pauvres capables de sortir du cercle vicieux de pauvreté, la méthode la plus efficace à long terme consiste à leur ouvrir plus largement l'accès au marché du travail, en leur permettant d'acquérir un minimum d'éducation et de rester en bonne santé. Mais, avec les difficultés budgétaires connues par les pays de la zone CFA de 1985 à 1993, la qualité de l'éducation primaire et des services de santé de base s'est dégradée. C'est pourquoi la dévaluation soulève légitimement l'inquiétude de voir s'amenuiser les moyens destinés aux secteurs principaux du «capital humain» que sont la santé et l'éducation. L'informalisation croissante traduit d'ailleurs en partie cette accélération de la détérioration des conditions de vie. La difficulté d'accès à l'éducation et aux soins de santé est d'autant plus grande que les capacités d'accueil sont restées limitées, les budgets des Etats ne permettant ni le financement des investissements, ni la maintenance des infrastructures et équipements existants. La qualité des services s'est 258 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC d'ailleurs considérablement détériorée du fait de la faible incitation des enseignants frappés de plein fouet par la perte de pouvoir d'achat et la dégradation de leur condition de travail symbolisée en particulier par les effectifs pléthoriques et la pénurie des maîtres observée dans la plupart des pays. Dans pratiquement tous les pays, on observe des phénomènes de déscolarisation qui traduisent les difficultés des conditions de vie auxquelles les populations sont confrontées. La reprise observée ne semble pas jusqu'à présent avoir des répercussions significatives sur les conditions de vie. Les bénéfices de la croissance sont dans la plupart des cas absorbés par le service de la dette qui constitue la préoccupation majeure des bailleurs de fonds et des gouvernements. On observe en même temps des substitutions dans la structure de consommation, avec une tendance forte à la consommation de produits intérieurs, en particulier dans l'alimentation, mais la production vivrière qui a augmenté un peu partout se heurte à de difficiles problèmes de transport et d'organisation des circuits de distribution, en même temps qu'elle reste soumise aux aléas climatiques. La réduction du pouvoir d'achat a d'ailleurs été telle dans certains pays que l'insuffisance de la demande intérieure constitue aujourd'hui un des problèmes majeurs auxquels sont confrontées les entreprises et qui freine la reprise de l'investissement. La poursuite des réformes structurelles L'analyse des mutations structurelles amène à s'interroger sur la capacité des économies de la zone franc à amorcer un véritable processus de développement et à relever les défis d'une mondialisation. Si l'analyse des agrégats macroéconomiques conduit effectivement à la conclusion que le changement de parité a eu des effets positifs, il n'en demeure pas moins intéressant d'aller plus loin en analysant les moteurs de la croissance de manière à mieux cerner les changements structurels intervenus et la capacité acquise ou non des pays à assurer la pérennité de cette croissance. Lorsqu'on considère par exemple la croissance, on constate que le principal moteur en est le secteur primaire fait de cultures de rente (cacao, coton, café) ou de produits miniers non transformés (pétrole, or, phosphate). C'est l'évolution favorable des cours, amplifiée par la dévaluation et de bonnes conditions climatiques, qui a tiré la croissance. C'est sur ces filières qu'ont porté les réformes et leur rentabilité a exercé un effet d'entraînement positif sur l'ensemble de l'économie. En d'autres termes, grâce à la dévaluation, les pays membres de la zone renforcent leur ancrage dans des produits dont la part dans le commerce international devient chaque jour marginale, et dont la dépendance a été précisément un facteur déclenchant essentiel de la crise. LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION 259 Une telle évolution est d'autant moins réjouissante à moyen et long terme que la dévaluation n'a pas induit une diversification significative de l' économie, ni en faveur de la transformation de ces produits pour en accroître la valeur ajoutée, ni en faveur de la production manufacturée dont la part ne s'est pas accrue ni dans les exportations, ni dans la consommation intérieure. En d'autres termes, il suffirait que se produise un nouveau retournement de tendance dans l'évolution des cours pour que les pays soient à nouveau confrontés à des problèmes graves et que la contrainte extérieure se renforce. Ce risque de ralentissement est déjà perceptible depuis 1997, où les pays semblent avoir épuisé les effets positifs de la dévaluation. Mais il l' est encore plus depuis que la crise des pays asiatiques fait planer la menace d'une réduction du rythme de la croissance mondiale, avec les conséquences qui pourraient en découler pour la demande des produits de rente agricoles ou miniers. La crise asiatique fait d'autre part peser une menace supplémentaire du fait que la dépréciation continue des monnaies de ces pays risque d'annuler les gains de compétitivité dus à la dévaluation. Par ailleurs, les pays producteurs de pétrole de la zone risquent de pâtir de la conjonction des effets de la baisse des cours que le ralentissement de la croissance accélérera et de la baisse du dollar. Les enquêtes tendent à montrer que certaines branches industrielles ont bénéficié de la dévaluation. Tel est le cas, en particulier, des industries de transformation des produits agricoles exportés (huileries, usines d'égrenages de coton ou de décorticage d'arachide, etc.). Mais ceci n'a pas eu d'incidence significative se traduisant par exemple par une augmentation des investissements de capacité. Dans certains cas, la dévaluation a constitué une protection par rapport à la concurrence extérieure. Ceci a concerné en général des entreprises orientées vers l'approvisionnement du marché intérieur. Mais leur potentiel de développement ne s'en est pas trouvé modifié. Bien au contraire, il a même été souvent contraint par la réduction et la perte de pouvoir d'achat de consomniateurs intérieurs. La faiblesse du secteur industriel doit d'autant être relevée que la contribution au desserrement de la contrainte extérieure est faible d'un double point de vue. D'une part, ce secteur contribue peu à la modification qualitative de la structure des exportations, alors que la compétitivité des économies dans le processus actuel de mondialisation est à ce prix. D'autre part, il contribue a contrario négativement à la rigidité de la structure des importations du fait de l'importance des importations de consommations intermédiaires et des équipements. Le faible développement du secteur manufacturé rend d'ailleurs difficile la résolution du problème de l'emploi qui constitue ici une caractéristique majeure des économies. Mais quels que soient le secteur ou la branche, on ne peut que s'inquiéter de la fragilité caractéristique de ces économies en considérant la faiblesse de l'investissement tant rinvestissement d'infrastructures et d' équipe- 260 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC ments, que l'investissement productif. Nulle part, le taux d'investissement ne dépasse 18%, alors que dans certains pays (Côte d'Ivoire, Cameroun), il avait atteint 30 % en moyenne au cours de la période de croissance contra cyclique. Selon les estimations du Comité monétaire de la zone, le taux d'investissement en UEMOA est passé de 15,4% en 1994 à 17,1 % en 1995 ; 16,8% en 1996 et 18% en 1997. En CEMAC, il est passé de 22,9% en 1994 à 19,7% en 1995 ; 23,3% en 1996 et 20,1 % en 1997. Les chiffres apparemment favorables en CEMAC sont essentiellement liés à des investissements pétroliers exceptionnels au Congo et en Guinée-Équatoriale. Au Sénégal, le ratio investissement national brutIPIB est passé de 13,1 % en 1991-1993 à 16,6 % en 1996. Le ratio investissement privélPIB a suivi une courbe similaire, ce qui semble indiquer une réaction positive à la dévaluation et aux réformes d'accompagnement. Le ratio investissement public/ PIB a augmenté en 1994 aussi bien qu'en 1995, grâce à des entrées importantes de fonds à titre de don. En termes nominaux, l'investissement privé a augmenté de 25 % en 1995 et de 12 % en 1996, et le rapport investissement privélPIB a atteint Il,54% en 1996. Certains de ces investissements pourraient toutefois ne représenter qu'une compensation du sous-investissement antérieur. Le faible niveau de l'investissement productif, comme d'ailleurs de l'investissement d'infrastructure et d'équipement rend compte du fait que non seulement l'État a vu ses moyens se restreindre drastiquement en conséquence des politiques d'assainissement des finances publiques, mais encore et surtout que cette évolution à la baisse n'a pu être compensée ni par une reprise des investissements privés intérieurs, ni surtout par un afflux de capitaux extérieurs dont on attendait pourtant l'arrivée massive, à la suite du changement de parité. Une simulation des conséquences de la dévaluation sur la Côte d'Ivoire, réalisée par Collange et Plane (1994) à l'aide d'un modèle d'équilibre général calculable, peut servir de point de repère pour cerner les conséquences à moyen et long terme, selon que les mesures restrictives d' accompagnement annoncées par le gouvernement ivoirien sont adaptées (scénario 1) ou non (scénario 2). Ces deux scenarii illustrent l'étroitesse de la marge de manœuvre des pouvoirs publics pour réussir la dévaluation. Ils font également apparaître un résultat qualitatif important: la dévaluation, pourvu qu'elle s'accompagne d'une dépréciation réelle du taux de change, doit développer l'activité, puisque l'effet stimulant sur le commerce extérieur (accroissement des exportations et réduction des importations) l'emporte sur l'effet restrictif sur la consommation. Néanmoins, les gains en termes de croissance paraissent faibles: 3,8% (contre 7,6% dans les prévisions du FMI) sur deux ans. L'étude conclut en affirmant que la dévaluation ne peut constituer à elle seule une solution aux problèmes des pays africains de la zone franc : l'issue doit résider dans des mesures structurelles permettant l'extension LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION 261 des capacités, dans le secteur exportateur traditionnel, et la création de nouveaux secteurs exportateurs. L'enjeu majeur pour les PAZF est de consolider les progrès accomplis, en veillant à ne pas perdre le bénéfice des gains de compétitivité. Ils devront aussi redoubler d'effort dans les domaines où des dérapages ont eu lieu. Des mesures seront nécessaires pour améliorer les rentrées fiscales. Un changement profond de la base imposable et de la structure des recettes ne se fera que progressivement. Aussi, l'effort d'amélioration doit-il se porter d'abord sur une plus grande efficacité des administrations fiscales. Cependant, les pouvoirs publics devront sans tarder prendre des mesures pour élargir l'assiette de l'impôt et réduire les exonérations, afin que les recettes soient moins vulnérables aux chocs extérieurs et pour alléger la charge fiscale des secteurs modernes, ainsi que des exportations. Les pouvoirs publics devront assurer une meilleure exécution des programmes sociaux et être plus attentifs à la programmation et à la réalisation des investissements publics. Une saine politique budgétaire exige une maîtrise plus stricte de la dépense publique, y compris des dépenses extrabudgétaires. Il faut aussi que la politique budgétaire adapte le niveau des dépenses en fonction de l'évolution des recettes, afin d'éviter une dégradation éventuelle du solde budgétaire. La réussite de cette stratégie dépendra notamment de la poursuite d'une politique salariale prudente, y compris de la rationalisation de la fonction publique. Il est aussi primordial d'intensifier les réformes structurelles. Le renforcement des capacités administratives du secteur public, notamment des services du fisc et du Trésor, devrait faciliter une meilleure gestion des ressources limitées disponibles et la réalisation des objectifs gouvernementaux en matière de dépenses sociales et d'investissement. Le développement d'un secteur privé dynamique capable de devenir le moteur de la reprise et de la croissance est aussi une des clés de la réussite. Il faudra à cet effet simplifier les formalités administratives, accélérer les privatisations, libéraliser le système des prix, le marché du travail et le commerce intérieur et extérieur, achever la restructuration du secteur financier. Pour étayer ces réformes structurelles, la mise en place d'un cadre législatif stable comme l'OHADA 1 facilite l'activité du secteur privé. Les débats qui ont entouré la ratification du traité de Maastricht dans chacun des pays de l'Union européenne ont concerné les chances que représentait pour eux la mise en place d'une monnaie unique à la fin de la décennie. Cette perspective trouve un large écho en Afrique, particulièrement dans les pays de la zone franc qui ont décidé de constituer entre eux un véritable système monétaire régional. La construction monétaire européenne est en effet susceptible d'avoir des conséquences importantes pour ces pays. 1. Un traité instituant l'organisation pour l'harmonisation en Afrique du Droit des affaires (OHADA). 262 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Les positions des acteurs et des observateurs de la scène économique et financière africaine diffèrent sur cette question. Conclusion L'examen des effets de la dévaluation du franc CFA montre que le changement de parité est globalement favorable pour les pays de l'UEMOA, ne fût-ce que parce qu'elle a positivement amplifié la remontée des cours et hâter le retournement de tendance observée. A l'image des autres pays de la sous-région, l'analyse de l'impact de la dévaluation dans l'économie sénégalaise révèle, qu'en dépit du bilan bénéfique à court terme, la diminution probable des effets immédiats de cette décision historique et la persistance des contraintes structurelles ne permettront pas de maintenir l'augmentation annuelle du PIB de 5 à 6 % des trois dernières années. Aussi ces résultats ne doivent-ils pas masquer la fragilité des économies de la zone franc étroitement tributaires des cultures de rente dont la fluctuation des cours ne les met pas à l'abri d'une nouvelle crise, aussi grave et profonde que celle dont elles sortent. Et de ce point de vue, la dévaluation a plutôt conforté cette dépendance. La mutation structurelle attendue, en faveur notamment de la production industrielle locale, ne s'est pas produite. En d'autres termes, les gains de compétitivité n'ont pas suffisamment atteint le secteur industriel, ni modifié conséquemment la structure du commerce extérieur. Or, une telle modification aurait permis de compenser en quelque sorte la détérioration des conditions de vie de la population. Et cette détérioration a amplifié la perception globale négative que les agents économiques ont de la dévaluation et les appréhensions actuelles quant à l'occurrence d'une dévaluation dans les prochaines années. C'est pourquoi d'immenses progrès restent à faire. La reprise de la croissance globale et le retour à l'équilibre financier nécessitent, si on veut se situer dans le cadre d'un processus durable, la consolidation des mesures structurelles de développement et l'élargissement de la base sociale des performances réalisées. Le défi pour le Sénégal, comme pour ses voisins de l'UEMOA, consistera à accélérer le rythme des réformes, y compris une nouvelle stratégie de promotion des exportations, afin d'élargir sa participation aux marchés internationaux et de soutenir son taux de croissance. Mais, par-delà les effets sur les économies africaines, la dévaluation du franc CFA pose le problème de l'existence même de la zone franc. Faut-il défendre la nouvelle parité et continuer l'ancrage au franc français ou à une autre monnaie forte avec l'avènement de la monnaie unique européenne, ou au contraire, les institutions de la zone franc ont-elles définitivement présenté leurs limites à l'occasion de la dévaluation ? Ce dilemme est au centre LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION 263 des interrogations des acteurs de l'économie africaine. Annexes Tableau 1- Comparaison zone CFA 1Afrique subsaharienne hors zone CFA (1986-1993) Zone Franc Hors Zone Franc 0,1 -2,8 1,1 -7,6 -7,4 22,3 18,7 73,7 2,5 -0,3 22 -5,6 -0,8 24 20,9 57 Taux de croissance réel du PIB (% annuel moyen) Taux de croissance réel du PIBlhabitant (% annuel moyen) Taux d'inflation (% annuel moyen) Solde budgétaire (% PIB moyenne) Compte courant extérieur (% PIB moyenne) Exportations de marchandises (% PIB moyenne) Importations de marchandises (% PIB moyenne) Dette extérieure (% PIB moyenne) Source: FMI, Perspectives économiques mondiales, 1994. Tableau 2 -Évolution (en franc français) des coûts portuaires après la dévaluation de janvier 1994 Douala Redevances portuaires Setevdoring Aconage et transit +60% +7% -22% Source: Bulletin d'information économique, n0163. Abidjan +7% -20% -27% Dakar -35% 0% -30% 264 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Tableau 3 - Salaires horaires en dollars US après la dévaluation du FCFA Pays Salaire Horaire 1,08 0,69 0,35 0,50 0,51 0,45 0,15 0,20 0,45 1,20 Concurrents moyens Concurrents médians Moyenne CFA Moyenne non CFA Sénégal Ghana Madagascar Nigeria Côte d'Ivoire Maurice Source: Rapport de la Banque mondiale sur la compétitivité du secteur privé au Sénégal. Tableau 4 - Dette extérieure des pays de l'UEMüA (encours en millions de dollars) Dette à court et long terme Dette à long terme Dette publique garantie Dette privée non garantie Recours aux crédits FMI Dette à court terme Dont arriérés d'intérêts sur dette à long terme envers créanciers publics envers créanciers privés Pour mémoire Arriérés sur principal de dette à long terme envers créanciers publics envers créanciers privés Crédits à l'exportation 1993 31915 25229 22382 2848 724 5962 1644 710 935 1994 30292 25430 22615 2816 1003 3860 1228 283 944 1995 32531 26694 23857 2837 1243 4595 1245 231 1014 1996 32241 26848 23346 3502 1325 5071 1133 157 975 3473 1067 2406 5152 3460 829 2632 5327 3556 760 2796 5074 3332 723 2609 4614 Indicateurs de dettes (en pourcentage) Dette totale/export biens et services Dette totalelPNB Serv. Dette/export biens et services Intérêts dette/export biens et services Dette multilatérale/dette totale Taux de change officiel FCFA/USD (en fin de période) Source: Banque mondiale, FMI. 457,0 440,3 369,1 351,7 140,2 164,8 136,6 129,2 25,2 20,7 21,3 18,1 7,9 9,5 9,1 6,8 29,8 33,9 33,7 32,8 294,78 534,60 490,00 523,70 LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION 265 Tableau 5 - La hausse des prix en 1994 et 1995 (%) UEMOA Bénin Burkina Côte d'Ivoire Guinée-Bissau Mali Niger Sénégal Togo UEMOA - Prix à la consommation * (en glissement annuel) UEMOA - déflateur du PIB (en moyenne annuelle) 1994 1995 1996 1997 53,9 24,7 32,5 19,3 31,9 40,6 36,1 54,0 36,0 31,9 3,1 7,8 7,1 49,7 8,7 5,5 6,0 6,4 6,6 10,2 6,8 6,9 3,5 65,6 2,8 3,6 2,4 5,5 4,0 4,1 1,8 -0,1 5,2 16,8 0,9 4,1 1,9 7,2 3,5 3,0 , * Somme des indices pondérés par le poids de chaque Etat dans le PIB de la zone. Source: La Zone franc, 1997 : prix en glissement Tableau 6 - Export share in GDP, 1980-1996 Total export (GNFS) Merchandise* Nonfactor services* 1985 1985 1990 1996 28,3 14,0 (49,4) 14,3 (50,6) 29,7 20,0 (67,2) 9,7 (32,8) 26,5 15,7 (59,1) 10,8 (40,9) 30,8 19,1 (62,1) 11,7 (37,9) Note : * Numbers in parentheses are share in total exports Source : World Bank. 266 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Tableau 7 - Dette extérieure des pays de l'UEMOA (encours en millions de dollars) 1993 1994 1995 1996 31915 25229 22382 2848 724 5962 1644 710 935 30292 25430 22615 2816 1003 3860 1228 283 944 32531 26694 23857 2837 1243 4595 1245 231 1014 32241 26848 23346 3502 1325 5071 1133 157 975 3473 1067 2406 5152 3460 829 2632 5327 3556 760 2796 5074 3332 723 2609 4614 Dette totale/export biens et services Dette totalelPNB Serv. Dette/export biens et services Intérêts dette/export biens et services Dette multilatérale/dette totale 457,0 140,2 21,3 9,5 29,8 440,3 164,8 25,2 9,1 33,9 369,1 136,6 18,1 6,8 33,7 351,7 129,2 20,7 7,9 32,8 Taux de change officiel FCFAlUSD (en fin de période) 294,78 534,60 490,00 523,70 Dette à court et long tenne Dette à long tenne Dette publique garantie Dette privée non garantie Recours aux crédits FMI Dette à court tenne Dont arriérés d'intérêts sur dette à long tenne envers créanciers publics envers créanciers privés Pour mémoire Arriérés sur principal de dette à long tenne envers créanciers publics envers créanciers privés Crédits à l'exportation Indicateurs de dettes (en pourcentage) Source: Banque mondiale, FMI. Tableau 8 - Croissance du PIB réel UEMOA CEMAC 1993 1994 1995 1996* -1,2% -0,5% +2,6% -2,3% +5,8% + 3,1 % +6,3% +5,5% * estImatIOns Source: La Zone franc, 1995. Tableau 9 - Macroeconomie indicators (annual averages, 5 %) - Senegal GDPgrowth GDP per capita growth Gross domestic investment / GDP Private investmentlGDP Gross domestic saving/GDP Growth in export,GNFS Inflation rate (CPI) REER CUITent account deficitl GDP a Fiscal deficit / GDP a Tenns of trade (S) a. Exludmg grants Source: DECPG, World Bank. 1986090 199193 1994 1995 1996 1997 (estim.) 3,3 0,3 12,6 8,6 6,5 7,9 0,1 0,4 -10,7 -3,1 - 3,7 0,0 -2,8 13,1 8,9 5,6 - 3,7 -0,8 -2,0 -9,5 -1,9 -4,4 2,0 -0,6 13,7 9,0 7,4 5,3 32,1 -35,1 9,3 - 5,7 4,1 4,8 2,2 15,6 10,8 10,4 9,4 8,1 8,3 -7,9 -3,2 -2,4 5,6 3,0 16,3 115 11,4 4,8 2,8 0,6 -7,2 -2,0 -1,7 4,7 2,1 16,7 11,7 Il,8 0,8 2,5 -2,9 - 6,1 - 1,3 6,4 LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION 267 Figure 1. Évolution du taux de change effectif réel du Mali, du Niger, du Sénégal et du Togo (Base 100 =1985) 200 180 160 140 ---6---Su'.... 120 ....~N..,t::i~~ ~~r::t;h~ 100 ~ --"---Mmi ---r-"Nger ---..-SIr<lgej 80 60 40 ~ 1-+-1+-1-+-1-II-+-I+-1-+1--+1-+-+-1-+1-II-+-I-+-1-+I-+-+--+---+-t-+--+---I-+-+--+-+-+--+-+--I--+--+-+-< 196J 1963 19i6 1961 1972 1~ 1911 1981 11'84 196' 1990 HW Figure 2. Évolution de l'indice des termes de l'échange du Burkina, du Mali, du Niger et du Sénégal (Base 100 = 1987) 200 180 160 140 120 100 80 &l 40 20 o +--+-+--+--+---1-+--+-1-+1-+-+--1+-1-+1-+--+--+-1-+I--II--+-I-+-1-+1--+--1+--+--+1-+-1-+-1-+1-It-+-I-+-1--+1-+-1+--<11 196J 1963 19i6 1961 1972 1~ 1911 1981 l!1l4 196' 1990 l!1l3 Bibliographie Agenor P. R. (1991),« Credibility and Exchange Rate Management in Developing Countries », IMF Working Paper, September. Banque mondiale (1987), «La Banque mondiale et le Sénégal, 1960/87 », Washington, OC, octobre. Banque mondiale (1994), L'ajustement en Afrique. 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Le cours favorable des matières premières, l'appréciation du dollar vis-à-vis du franc français limitant la surévaluation du franc CFA sont les principaux facteurs extérieurs de cette bonne performance économique (Hadjimichael et Galy, 1997). La situation s'est inversée à partir de 1985. Ainsi, la période 1986-1993 s'est traduite par une baisse du taux de croissance réel du PIB de 98 % comparativement à la période 1975-1985 (Hadjimichael et Galy, 1997). Ayant peu d'emprise sur le cours mondial des matières premières, la dévaluation se présentait alors comme le principal instrument dont la manipulation judicieuse pourrait conduire à une relance de la croissance économique de la zone. Pendant que le bilan de la dévaluation à très court terme semble favorable pour la majorité des pays de la zone franc, des interrogations subsistent avec l'avènement de l'euro en 1999. Parmi les cinq scénarios envisageables, (1) maintien de la zone franc avec indexation du franc CFA à l'euro; (2) maintien de la zone franc avec indexation du franc CFA à un panier de monnaies; (3) création d'une monnaie unique CEDEAO; (4) dislocation de la zone franc avec création de monnaies nationales; et (5) institutionnalisation d'un fonds monétaire africain (Allechi et Niamkey, 1997, p. 23), cette étude opte pour le premier scénario. Il est le plus plausible dans le court terme (Allechi et Niamkey, op. cit.; BNP, Lettre de conjoncture, janvier 1998, p. 2; Hadjimichael et Galy, 1997, p. 12) et bénéficie du soutien des décideurs français et de la zone 272 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC franc. Que le maintien de la zone franc avec indexation du franc CFA à l'euro se solde par l'existence de deux banques centrales (BCEAü et BEAC) liées à l'euro ou par la création d'une banque centrale unique pour l'ensemble des pays de la zone franc, ce scénario est considéré comme la solution la plus optimale. En effet, du point de vue théorique, l'entrée en vigueur de l'euro qui est perçu comme une zone monétaire optimale se traduira au niveau mondial, par une plus grande stabilisation des taux de change, un faible niveau d'inflation, de taux d'intérêt et, partant, une croissance de la production. La zone franc est censée davantage bénéficier de ces avantages à cause essentiellement de sa liaison monétaire avec l'euro et de l'importance de ses échanges avec les pays de l'Union européenne. Cette étude a pour objectif de nuancer cette perception en s'interrogeant sur le cas spécifique du Burkina. Elle part du constat selon lequel la zone franc ne constituant pas une zone monétaire optimale, les pays pris individuellement vont subir, suite à la mise en œuvre de l'euro selon le premier scénario examiné plus haut, des chocs spécifiques de nature et d'ampleur à déterminer. Dans un premier temps, les caractéristiques générales de l'économie du Burkina seront exposées. Ensuite, l'impact probable de l'euro sur ses exportations et ses importations sera examiné. L'économie burkinabè : un aperçu La particularité du Burkina est d'avoir cultivé une tradition d'austérité budgétaire (années 1970 et 1980) en partie à cause de la faiblesse des ressources du pays qui limitaient la mise en œuvre des politiques expansionnistes. C'est ainsi que durant la période 1983-1989, le Burkina enregistrait un taux de croissance réel du PIE de 1,1 % alors que dans la plupart des pays de la zone franc, le taux de croissance du PIE était soit négatif, soit inférieur au taux de croissance démographique. Durant la période 1983 à 1990, l'inflation a accusé une baisse de 2 %, les transferts publics et l'excédent du compte capital ont permis aux pays d'avoir un solde positif de la balance des paiements sauf en 1985 où elle a accusé un déficit de 1,5 milliard (Zagré cité par Kazianga et al., 1997). Le système bancaire était surliquide (thésaurisation) avec un taux de couverture des crédits par les dépôts de 124% alors qu'en moyenne les pays membres de l'UMüA présentaient un taux autour de 70% (Kazianga et al., 1997). De manière globale, l'accès aux services de base s'est amélioré sensiblement pendant les années 1970 et 1980 (Banque mondiale, African Development Indicators). Dans un tel contexte, l'objectif du PAS mis en œuvre à la fin des années 1980 était plutôt d'engager des réformes qui permettraient de préserver ces équilibres qui avaient commencé à amorcer une dégradation: la restructuration profonde des dépenses publiques (i), la réalisation d'un taux moyen IMPACTS PROBABLES DE L'EURO SUR L'ÉCONOMIE DU BURKINA 273 de croissance du PIB réel supérieur à 4% (ü), la limitation du taux d'inflation calculé sur la base de l'indice des prix à la consommation (IPC) de l'ordre de 4 % (Hi), la maîtrise du déficit du compte courant extérieur à 14,6% du PIB (iv), la réduction d'au moins 0,7% du PIB du déficit des finances publiques (v) et l'élimination de tous les arriérés extérieurs et intérieurs de l'État. La réalisation de ces objectifs repose en grande partie sur le principal secteur de l'économie qu'est l'agriculture. Elle occupe une place importante dans la formation du PIB. Comme le montre le tableau l, l'agriculture est la principale source de création de valeur ajoutée du secteur primaire. De 1991 à 1994, le secteur primaire a contribué au PIB pour plus de 30%. L'agriculture représente 51 à 61 % du PIB primaire, et 16,45 à 23,43 % du PIB global. Elle emploie environ 90 % de la population active et contribue du même montant aux recettes d'exportation (PASA, 1991). Tableau 1 - Répartition du pm et du PIB primaire en millions de francs courants et en % PlB (millions) 1991 1992 1993 1994 784192 793732 843788 987338 1995 1996 1017665 1128212 - Primaire 32.5 31 30.1 32.2 40.8 41.87 - Secondaire 20.6 22.1 23 23.8 21.99 20.08 - Tertiaire PlB Primaire (millions) - Agriculture 43.5 42.2 42.8 37.6 37.73 38.05 290056 283014 283550 354432 409916 472417 61.2 58 57.8 51.1 50.7 55.97 29.4 32.43 28.2 19.5 17 15.83 - Élevage 23.6 25.1 23.6 Forêt/pêche 15.2 16.9 18.6 Source: PASA, 1996; IAP, 1997. La position stratégique de l'agriculture justifie la mise en œuvre du PASA qui s'est assigné pour objectifs (i) la modernisation et la diversification de la production agricole, (H) le renforcement de la sécurité alimentaire et (Hi) l'amélioration de la gestion des ressources naturelles. Les productions agricoles d'exportations ont connu une croissance, notamment celle du coton et de l'arachide en période de PASA et après dévaluation comme l'attestent les tableaux 2 et 3. Au regard des quantités physiques, le Burkina Faso est le quatrième producteur de coton de la zone franc d'Afrique de l'Ouest. Sa production a enregistré un taux d'accroissement moyen de 5 % entre 1985 et 1997 avec une moyenne annuelle de 152 000 tonnes de coton graine durant la période 1991-1996. Le taux de croissance positif constaté au niveau de la production résulte plus de l'extension des superficies. Celles-ci ont enregistré au Burkina, une croissance annuelle moyenne de 7,2% durant la période alors que la quan- 274 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC tité d'intrants consommés par hectare a connu une baisse (Tiendrébéogo et al., 1998). Tableau 2 - La production de coton graine (en milliers de tonnes) Année Monde Burkina Bénin Cote d'Ivoire Mali Togo Afrique 1991 167 177 261 273 97 3739 60177 1992 163 153 194 320 93 3498 52594 1993 116 146 245 317 84 3710 49059 1994 143 260 253 276 120 3442 53876 1995 151 369 210 347 140 3702 57928 1996 170 370 217 406 140 4585 54132 3940.66 Écart type 20.24 104.03 26.76 49.43 24.50 413.39 Moyenne 151.67 245.83 230.00 323.17 112.33 3779.33 54627.67 0.13 0.42 0.12 0.15 0.22 Coefficient de variation 0.11 0.07 Source: ADI (1996) et calcul des auteurs. Le tableau 2 montre également que le risque lié à la fluctuation de la production cotonnière au Burkina, en Côte d'Ivoire et au Mali est sensiblement identique à celui de l'ensemble des pays africains, même si l'on constate, exception faite du Bénin, que le coefficient de variation baisse quand on passe du Sahel à la Côte. Tableau 3 - Évolution de la production des autres cultures d'exportation (tonnes) Campagne Arachide Karité Sésame 1991-92 98800 90000 5800 1992-93 143400 82800 9400 1993-94 206300 76200 8253 1994-95 202974 70100 1676 1995-96 213200 75700 nd Source: DSAP. La croissance annuelle moyenne la plus importante a été constatée au niveau de la production d'arachide (23%) contre 5% pour le coton durant la période 1992 à 1996. On constate en particulier que pour l'ensemble des producteurs de coton, le rendement s'est accru de 78 % entre les campagnes 1993-1994 et 1996-1997, passant de 852 kg à l' hectare à plus de 1 500 kg à l'hectare en moyenne (Tiendrébéogo et al., 1997, p.13). De façon générale, la période 1992 à 1996 se caractérise par une reprise du niveau de l'activité dans la plupart des secteurs. IMPACTS PROBABLES DE L'EURO SUR L'ÉCONOMIE DU BURKINA 275 Au niveau du sous-secteur élevage (tableau 4), la période après 1990 est marquée par la libéralisation du secteur, sa réorganisation administrative et une série d'actions de soutien ponctuel aux acteurs. Le souci de valorisation des sous-produits conduit les autorités burkinabè à considérer la filière viande comme celle de l'avenir devant remplacer l'exportation du bétail sur pied. Le manque d'encadrement et d'adoption des nouvelles technologies a eu pour conséquence un taux de mortalité élevé lié au système d'élevage traditionnel extensif. Tableau 4 - Effectif du cheptel du Burkina en milliers Bovins Ovins Caprins Porcins Asins Équins 1990 Année 3937,2 5047 6561,1 505,9 411,1 22,2 Camelins Volailles 1991 4015,6 5198,4 6692,6 518 419,1 22,3 12,4 17351,1 1992 4095,9 5354,2 6859,9 529,5 427,7 22,3 12,6 17784,9 12,2 17010,5 1993 4177,5 5514,9 7031,3 514,1 436,3 22,5 12,8 18229,4 1994 4260,9 5680,6 7242,1 552,3 445,3 23,032 13,056 18776,4 1995 4345,9 5850,9 7459,4 563,4 454,2 23,262 13,317 19339,8 1996 4432,9 6026,5 7682,8 575 463,3 23,5 13,6 19920 1997 4521,6 6207,3 7913,3 586,5 472,6 23,735 13,872 20517,6 Source: DSAPIMARA, 1996. En ce qui concerne les céréales locales comme le sorgho, il ressort que la production nationale, compte tenu de la faiblesse de la productivité de la terre et de la main-d'œuvre, n'est pas compétitive par rapport au sorgho importé comme l'indique le tableau 5. En effet, le coefficient de protection nominal pour l'année 1997 a été estimé à 1,193 par Thiombiano et al. (1998). Tableau 5 - Calcul du CPN du sorgho en 1997 Structure Montant ou niveau Prix FCFAIt Dakar TTC 163000 Prix FCFAIt CAF Dakar 140500 Frêt Lomé Rotterdam FCFAltonne 32000 Assurance 2,25% (fret+FOB)=O,0220 CAF 2800 Prix FOB Dakar FCFAlt Mise en FOB 105700 6250 Coûts de transport Ouaga-Lomé FCFAlt 21500 Prix Ouaga FCFAIt 77950 Prix observé à Ouaga FCFAlt 93000 Coefficient de protection nominal à Ouaga 1,193 Source: ThlOmblano et al. (1998). 276 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Le constat de manque de compétitivité du Burkina par rapport au marché international n'est pas propre à la filière sorgho. En effet, le maïs produit au Burkina est 1,6 fois plus cher que le maïs importé sur le marché international. Cependant, dans un cadre sous-régional, on constate que les coûts de production sont plus élevés au Mali comparativement au Burkina. Le Burkina a en fait exporté dans la sous-région 212 millions de FCFA de maïs en 1994 et 526 millions de F CFA en 1995 (Thiombiano et al. CFA 1998). L'euro et l'avenir des importations de blé, de riz et de maïs La nécessité d'examiner la relation entre l'euro et les importations alimentaires est d'une importance capitale pour les décideurs dont l'objectif est la lutte contre la pauvreté en améliorant l'accessibilité des ménages aux aliments de base. Le riz, le blé, les céréales traditionnelles sont les principales importations alimentaires du Burkina. Ces importations sont dominées par celles du riz et du blé. Tableau 6 - Provenances des importations de blé du Burkina en % des quantités Provenances 1994 1995 1996 France 74,87 91,02 81,67 Allemagne 0,00 0,00 17,01 USA 17,48 8,37 0,24 CI 7,65 0,61 0,00 Autres 0,00 0,00 1,08 Sources: INSD. Les quantités de blé importées sont évaluées à 25 000 tonnes en 1995 et 39000 tonnes en 1996. Plus de 75 % de ces importations proviennent de la France. Les États-Unis d'Amérique et l'Allemagne viennent en seconde position après la France avec moins de 18 % des importations. Les importations de riz ont baissé aux lendemains de la dévaluation du FCFA, passant de 87 000 tonnes en 1992 à 40 000 tonnes en 1994 et 63 000 tonnes en 1995, pour remonter à 97 000 tonnes en 1996. Pour le riz, les pays d'Extrême-Orient sont les principales sources d'approvisionnement. La république de Chine, le Pakistan et le Vietnam sont les principaux fournisseurs en 1994 avec 82,82 % des importations. En 1995 et 1996 l'Inde, le Vietnam et le Pakistan fournissent au Burkina 87,72% et 97,73% du riz importé. Les importations commerciales de maïs proviennent essentiellement de la Côte d'Ivoire et du Ghana. Le Burkina a bénéficié de dons de maïs des IMPACTS PROBABLES DE L'EURO SUR L'ÉCONOMIE DU BURKINA 277 Tableau 7 - Provenances des importations de riz du Burkina en % des quantités Provenances 1994 République de Chine 48,37 Pakistan 18,62 Taïwan 6,36 Thailande 8,80 Inde Vietman 17,83 Panama 1995 1996 7,20 15,26 3,15 40,23 51,87 40,29 30,60 9,13 1,87 Japon 0,02 Autres 0,00 0,40 Sources: INSD. États-Unis d'Amérique pour une quantité atteignant 71 % des importations totales en 1995. Tableau 8 - Provenances des importations de maïs du Burkina en % des quantités Provenances 1994 1995 1996 Ghana 0,06 5,31 16,46 CI 89,21 21,92 83,35 USA 2,44 71,14 0,00 Allemagne 0,00 1,57 0,00 France 5,26 0,00 0,00 Pays-Bas 2,47 0,00 0,00 Bénin 0,57 0,00 0,00 Sources: INSD. La structure et la provenance des importations alimentaires ci-dessus décrites montrent que le niveau des échanges commerciaux de céréales entre le Burkina et les pays de la sous-région est très faible et se limite aux céréales traditionnelles. Les pays asiatiques ont l'exclusivité de l'approvisionnement du Burkina en riz, tandis que la France est le premier fournisseur de blé. La mise en œuvre de l'euro, sous l' hypothèse du maintien de la parité actuelle du CFA et de la substitution de l'euro au franc français, pourrait se traduire par un renforcement des importations alimentaires (blé) du Burkina en provenance surtout de la communauté européenne. Il est peu probable qu'à court terme, on assiste à des importations en provenance de la communauté européenne pour le riz. Le volume des importations de riz pourrait cependant augmenter si l'on assiste à une dépréciation des monnaies asiatiques vis-à-vis de l'euro. Une telle hypothèse n'est pas à exclure dans le contexte actuel caractérisé par une récession des écono- 278 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC mies asiatiques dont la relance pourrait se poser en termes de dévaluation de leurs monnaies. L'hypothèse de l'entrée en vigueur de l'euro avec une hausse des importations de riz et de blé pour le Burkina est confortée compte tenu de la faible compétitivité du riz local et l'existence d'une production domestique de blé. Tableau 9 - Niveau du CRD selon le type d'exploitation Riz pluvial Bas-fonds Fil de l'eau Pompage Hors amortissements: 0,94 0,53 0,90 1,27 Amortissements compris: 0,94 0,68 1,18 2,19 Source: CFDlMinicoop - Étude sur la protection tarifaire des céréales, du sucre et des intrants agricoles au Burkina Faso, septembre 1995 Seuls le riz pluvial et le riz de bas-fonds affichent des CRD inférieurs à l'unité. Si l'on comptabilise les amortissements, la culture la plus compétitive est la culture en bas-fonds. La rentabilité de la filière riz après dévaluation est marginale mais réalisable pour autant que certains niveaux de productivité économique et technique puissent être atteints en riziculture de bas-fonds. La concurrence de riz importé à bon marché pourrait compromettre la possibilité de mettre en place une riziculture de bas-fonds compétitive. En ce qui concerne les céréales locales, les importations du Burkina en provenance des autres pays de la zone franc notamment la Côte d'Ivoire, pourraient être affectées négativement suite à la mise en œuvre de l'euro. Le blé et le riz importés à bon marché vont exercer une influence négative sur la consommation de maïs au Burkina. Ce constat résulte du comportement des consommateurs burkinabè. Kazianga (1996, p. 103) montre qu'il y a une substitution entre céréales locales et les autres aliments (riz, blé) au niveau du consommateur. Une baisse du prix de riz et de blé va se solder par une réduction de la consommation urbaine de maïs et, partant, une baisse des importations et de l'offre locale de maïs. La mise en œuvre de l'euro pourrait donc se solder par un renforcement de l'extraversion des habitudes alimentaires au Burkina tout en réduisant les échanges alimentaires entre pays de la zone franc. L'euro et la compétitivité des exportations du Burkina Le Burkina exporte principalement des produits agricoles aussi bien en direction de l'Afrique que du reste du monde. Ces produits agricoles et d'élevage sont: les fruits et légumes, les animaux et le coton. IMPACTS PROBABLES DE L'EURO SUR L'ÉCONOMIE DU BURKINA 279 Cas des fruits et légumes Les exportations sont assurées par des opérateurs privés regroupés au sein de l'Association des exportateurs des fruits et légumes du Burkina (ASEFLIB). Entre 1992 et 1995, les exportations de fruits et légumes ont plus que doublé en passant de 8 110 à 17260 tonnes. Le volume des exportations dans la sous-région s'est accru après la dévaluation. Cependant, l'essentiel des exportations est destiné au marché européen. De 1992 à 1995, elles sont estimées à 44%. Les contraintes majeures à l'exportation relevées par les exportateurs sont: - le coût élevé des emballages; - le coût élevé du fret aérien que Air Afrique estime pourtant être sousévalué. La mise en œuvre de l'euro et du marché commun se traduira, sous l'hypothèse d'un remplacement du franc français par l'euro et du maintien de la parité actuelle du CFA, par une augmentation de la demande d'exportation des fruits et légumes. L'effet probable est la hausse des exportations des fruits et légumes à destination des pays membres de l'euro. Au niveau de ce sous-secteur, il est peu probable que l'on assiste à une réduction des exportations à destination des pays membres de l'UEMOA. En effet, c'est essentiellement le haricot vert qui est exporté en Europe alors que la tomate, les choux, les oignons sont exportés dans la sous-région. Cas des produits animaux Les exportations de bétail ont cru de façon substantielle au lendemain de la dévaluation. Les exportations de bovins de 92 000 têtes à 150000 têtes entre 1992 et 1996. En valeur, les recettes ont plus que doublé. Dans la même période, les exportations de petits ruminants ont été multipliées par 2,13, passant de 116000 têtes à 247 000 têtes. Le Burkina Faso pratique également une politique de protection de la production locale par une forte taxation des importations (53 % pour le bétail et 21 % pour les reproducteurs) jusqu'en mars 1997 où les taxes ont été remplacées par une série de restrictions quantitatives: protocole d'accord pour déplacement des animaux en provenance de pays tiers, établissement de laisser-passer sanitaire de certificat de transhumance, de passeport pour les· animaux venant de pays tiers. La Côte d'Ivoire est le principal marché de destination des produits d'élevage burkinabè. Ce marché absorbe environ 60% des exportations de bovins. On remarque une très forte bipolarisation des exportations. Cela s'est traduit par une nette progression des exportations à destination du Ghana qui passe de 4 % durant la période 1981-1995 à 29 % en 1997. Cette hausse résulte d'une réduction de la part du traditionnel pays importateur (Côte d'Ivoire), mais surtout de la réduction des exportations à destination du Togo et du Bénin. De plus en plus, le marché ghanéen est devenu l'un des plus importants marchés d'exportation. 280 L'A VENIR DE LA ZONE FRANC L'indexation du franc CFA à l'euro ouvrira le marché européen de viande à la Côte d'Ivoire, principal pays exportateur du bétail du Burkina. Dans une situation du maintien des subventions des viandes européennes et avec l'hypothèse d'une monnaie européenne forte, la Côte d'Ivoire aura tendance à importer les viandes extra-africaines. Cela va compromettre la volonté des décideurs du Burkina de remplacer les exportations de bétail par les exportations de viande. Comme l'indique le tableau 10, le Burkina et le Mali n'ont pas un avantage comparatif dans les exportations de viande sur le marché ivoirien où la viande importée revient moins chère. Le Burkina est légèrement plus compétitif que le Mali du point de vue du coefficient de protection nominal. Les deux pays ne gagnent cependant que dans l'exportation du bétail sur pied. Tableau 10 - Rentabilité des exportations bovines du Burkina et du Mali en Côte d'Ivoire Intitulé Burkina! Ouaga Mali! Bamako Poids animal vif 140 kg 142.5 kg 1. Achat de l'animal vif 1 97500 125000 2 Commission intermédiaire 847 1000 3. Taxe de marché 586 200 4. Taxe d'abattage 2195 3995 5. Frais de gardiennage 200 500 6. Prix de revient animal sorti de l'abattoir 101328 130695 7. Perte et saisies (2 %) 2026.56 2615 8 Valorisation du 5e -12000 -12000 9. Prix de revient à la carcasse chaude quartier 91354.56 121310 10. Perte de ressuyage (3 %) 2740.6368 3640 4825 4825 Il. Manutention et emballage et frais de conservation 12. Frais de transport 13. Marge bénéficiaire (12 %) 13750 18350 13520.42362 17775 14. Prix de revient carcasse livrée à Abidjan 126190.6204 165900 15. Prix de revient du kg de carcasse livrée à Abidjan 934.7453364 1164.2105 16. Prix CAF d'un Kg de viande extra africaine à Abidjan 633 633 17. Prix d'un kilo de viande à Ouaga 1040 1230 1,95 2,4200062 18. CPN* , , ... Sources: Edouard de Troyes et al. (1997); Evaluation des possibIlItés de rrnse en place d'une filière de commercialisation de la viande malienne en Côte d'Ivoire; Agence pour la promotion des filières agricoles; Kaboré T. Samuel et al. (1997); Analyse de l'impact de la dévaluation sur la filière bovine au Burkina; CILSSIPRISAS et calculs des auteurs. * Le CPN a été calculé en tenant compte du coût de transport. La mise en œuvre de l'euro aura, entre autres conséquences, la nécessité pour les pays du Sahel et du Burkina en particulier, de maintenir les expor- IMPACTS PROBABLES DE L'EURO SUR L'ÉCONOMIE DU BURKINA 281 tations du bétail vif ce qui valorise moins la valeur ajoutée du secteur et ne permet pas le développement des industries utilisant les sous-produits de l'élevage. Tableau 11 - Répartition des exportations selon les pays 1996 1997 Bovin Ovins Caprins Total 1996 Bovin Ovins Caprins Total 1997 Pays Période 1981-95 de destination Toute espèce confondue Côte d'Ivoire 0.89 0.60 0.78 0.53 0.64 0.58 0.72 0.50 0.60 Ghana 0.04 0.25 0.06 0.19 0.17 0.34 0.18 0.34 0.29 Togo 0.14 0.14 0.25 0.18 0.08 0.08 0.12 0.09 Bénin 0.01 0.02 0.03 0.02 0.01 0.02 0.04 0.02 Source: Thiombiano et al. 1998. La principale alternative consiste à orienter les exportations vers les pays frontaliers hors zone franc. Ces dernières années on remarque une croissance des exportations en direction du Ghana (tableau 11) de 36% entre 1996 et 1997. Cependant, le développement des exportations en direction du Ghana est confronté à des contraintes de commercialisation du moins dans le cout terme. Celles-ci se résument à la cherté des transports liés à l'absence d'une voie ferrée, au délai d'acheminement long entraînant des pertes de poids, à l'inexistence d'un système d'information fiable sur les marchés et à l'inorganisation des acteurs intervenant sur le marché ghanéen. De plus, l'intégration à l'euro dans l'hypothèse envisagée rendra trop cher la viande et le bétail burkinabè par rapport à la monnaie ghanéenne. Cas du coton Le coton fournit entre 25 et 40% des recettes d'exportation du Burkina Faso. 70% de ces exportations sont destinées aux pays d'Asie du Sud-Est, 25 % à l'Europe et 5 % aux pays africains (Maroc, Tunisie, Nigeria). Le coton est, de ce fait, la plus importante culture de rente et constitue la principale source de devises du pays. La filière joue un rôle majeur dans la mobilisation des recettes publiques au Burkina. A travers les impôts directs et indirects, la filière coton a, durant la période 1994 à 1996, fourni 2 % des recettes propres de l'État (Kagoné, 1998) et a contribué en moyenne de 3% au PIB de 1993 à 1997. L'arrimage à l'euro pourrait se traduire par une augmentation des parts de marché de l'Union européenne. Cette hausse des exportations de coton en direction de la communauté européenne se fonde sur la perspective d'une dévaluation des monnaies asiatiques et partant d'une perte de compétitivité du coton burkinabè sur ces marchés. A moins d'une surévaluation du franc CFA, cette réorientation des exportations de coton au détriment des 282 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC marchés asiatiques n'aura pas pour effet une baisse du prix mondial de coton. Cependant, la dévaluation des monnaies asiatiques et le fait que les pays d'Asie constituent de gros producteurs de coton peuvent entraîner un manque de compétitivité internationale du coton burkinabè. Dans le très court terme, il est peu probable que l'on assiste à une baisse des recettes d'exportation de coton, mais les gains de compétitivité issus de la dévaluation disparaîtront avec l'avènement de l'euro et la dévaluation des monnaies asiatiques. Conclusion Cette étude avait pour objectif d'évaluer les impacts probables de l'euro sur les exportations et les importations du Burkina. A court terme, le Burkina qui est un petit pays même dans la zone franc ne semble pas pouvoir tirer un grand avantage de la zone euro. En ce qui concerne les consommations alimentaires, l'arrimage à l'euro pourrait se solder par un renforcement de l'extraversion des habitudes alimentaires du pays tout en réduisant les échanges de produits agricoles entre pays de la zone franc. Le coton et le bétail qui constituent les principaux produits d'exportation du Burkina courent le risque d'une perte de compétitivité internationale si l'avènement de l'euro s'accompagne d'une dépréciation de la monnaie des pays concurrents asiatiques (coton) et sud-américain (viande). La principale recommandation qui se dégage est que l'indexation du franc CFA à l'euro ne peut être profitable pour le Burkina en particulier, que si les pays membres de la zone ont la possibilité de réviser à tout moment la parité du CFA par rapport l'euro de sorte à maintenir leur compétitivité internationale résultant de la dévaluation de 1994. Bibliographie Allechi M'Bet and Niamkey A. Madeleine (1997), European economic integration and the franc zone: The future of the cfa franc after 1999. Part II. African Economie Research Consortium. Allechi M'Bet and Niamkey A. Madeleine (1993), European economic integration and the franc zone: The future of the CFA franc after 1996. African Economie Research Consortium. BNP (1998), « La parité du franc CFA et au-delà, la zone franc vont-elles survivre à l'euro» in Lettre de conjoncture, janvier 1998. IMPACTS PROBABLES DE L'EURO SUR L'ÉCONOMIE DU BURKINA 283 Hadjimichael Michael T. and Galy Michel (1997), The CFA franc zone and the EMU, IMF Working Paper. Kazanlak, H. et al. (1997) : Impacts du PASA sur les échanges sous-régionaux des produits agricoles. Cas des échanges entre le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire et entre le Burkina Faso et le Ghana, CILSSIFERAP, Ouagadougou, Burkina Faso. Mbaye Yade et Bakary Kanté (1998), Impact de la dévaluation du FCFA sur la promotion des échanges du bétail et de la viande. Résultats préliminaires, PRISASIINSAH-MSU-USAID. Mc Intire John 1981, « Crop Production Budgets in Two Villages of Central Upper Volta », ICRISAT Village Studies Report NoA. Thiombiano T. et al. (1998), Étude de compétitivité des filières agricoles et d'élevage au Burkina, MARAIPSO. Rapport d'étape. Tiendrébéogo Y., Savadogo Kimseyinga et Sawadogo Jean-Pierre (1998), Productivité et rentabilité du coton au Burkina Faso au lendemain de la dévaluation: performances et contraintes, CEDRESIPRISAS, Bamako, Mali. TROISIÈME PARTIE ARRIMAGE À L'EURO ET AVENIR DU FRANC CFA 12 Les conséquences du rattachement du franc CFA à l'euro Par Albert Ondo OSSA L'ancrage, en janvier 1999, du franc CFA à l'euro suscite de nombreuses interrogations et inquiétudes dans les quatorze pays africains de la zone franc!. Aussi, les autorités françaises n'ont-elles cessé de réaffirmer leur engagement politique à l'égard de la zone et de rappeler la volonté de la France de maintenir les mécanismes monétaires de la zone franc par-delà l'avènement de l'euro 2 . L'existence de la zone franc n'est donc pas remise en cause par l' établis1. La zone franc comprend aujourd'hui, en dehors de la France métropolitaine, les territoires et départements d'outre-mer, la Collectivité territoriale de Mayotte et la principauté de Monaco, quinze États indépendants dont quatorze États africains plus la république des Comores. Les quatorze États africains appartiennent à deux zones monétaires distinctes et ont une monnaie commune, émise par deux banques centrales régionales. L'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) comprend aujourd'hui huit pays: la Côte d'Ivoire, le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée-Bissau (qui y a adhéré le 2 mai 1997), le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Ces pays sont membres de la Banque des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) qui émet le franc CFA (Franc de la Communauté financière africaine). L'Union monétaire de l'Afrique centrale (UMAC) compte six pays: le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée-Équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad. Ces pays sont membres de la Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC) qui émet le franc CFA (Franc de la Coopération financière en Afrique centrale). 2. Sur le plan juridique, l'existence de la zone franc n'est pas remise en cause par l'établissement de la monnaie unique. L'article 234 du traité dispose que « les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement à l'entrée en vigueur du traité ne sont pas affectés par les dispositions du Traité ». De plus, l'article 1095 du traité, bien que ne se référant pas explicitement à la zone franc, précise que : « Sans préjudice des compétences et des accords communautaires dans le domaine de l'union économique et monétaire, les États membres peuvent négocier dans les instances internationales et conclure des accords internationaux. » 288 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC sement de la monnaie unique européenne. L'option choisie à court terme par les autorités françaises et africaines est que la zone franc se glisserait naturellement, le 1er janvier 1999, dans la zone euro. Elle a été confirmée, le 6 juillet 1998, par la Commission européenne qui a proposé au Conseil européen d'autoriser le Trésor français de continuer à garantir la convertibilité, à parité fixe, des francs CFA et comorien lors du passage à l'euro 3 . Le rattachement du franc CFA à l'euro consacre ainsi l'avènement de la zone euro à la place de la zone franc. Cet arrimage soulève cependant de nombreuses interrogations: 1°) les pays africains de la zone franc ont-ils véritablement intérêt à lier leur monnaie, le franc CFA, à une monnaie forte ? 2°) le passage à l'euro ne servirait-il pas de prétexte à une nouvelle dévaluation du franc CFA ? 30) la liaison fixe entre le franc CFA et l'euro exclue-t-elle la définition d'un taux de change différencié en fonction des performances économiques de chaque pays ou de chaque groupe de pays ? Incidemment se pose le problème d'une reconfiguration de la nature et de l'intensité de la coopération entre les protagonistes de cette nouvelle « donne» monétaire. C'est pourquoi la présente réflexion s'attache à indiquer quelques implications et perspectives de la phagocytose de la zone franc par la zone euro. Implications de la zone euro L'analyse des implications de la zone euro suggère une approche duelle : en termes de pertinence et de limites Pertinence de la zone euro La zone euro présente principalement l'avantage de préserver les acquis de la zone franc. Celle-ci a fait l'objet d'une controverse qui n'a cessé de prendre des aspects nouveaux entre économistes favorables et hostiles à ce système. 3. C'est le samedi 2 mai 1998 à Bruxelles que les quinze chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne ont confinné la liste des onze premiers participants à l'euro: Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas et Portugal. La liste a été entérinée le vendredi 1er mai par les quinze ministres de l'Economie et des Finances, puis approuvée le samedi 2 mai par le Parlement européen. L'engagement du Trésor français n'entraînera aucune obligation pour la Banque de France. Les autorités françaises devront simplement tenir la Commission européenne et le Comité économique et financier infonnés des conditions de mise en œuvre de ces engagements. LES CONSÉQUENCES DU RATIACHEMENT DU FRANC CFA À L'EURO 289 Les économistes favorables au système monétaire de la zone franc reposent leur argumentation sur les éléments suivants: 1°) la garantie monétaire permet l'afflux des capitaux. A cet effet, la permanence de la zone franc et la relative stabilité qui la caractérise contrastent avec l'instabilité économique et politique de l'ensemble du continent africain; 2°) la rigueur de la politique monétaire qui limite les risques d'inflation et maintient l'équilibre de la balance extérieure; 3°) la crédibilité dont jouit le franc CFA grâce à la zone franc donne aux pays membres des possibilités d'endettement plus grandes pour promouvoir leur développement économique; 4°) la zone franc a permis d'éviter, comme dans les pays anglophones, la balkanisation monétaire. Elle apparaît de ce point de vue comme un facteur de promotion du commerce inter-africain. Cependant les économistes hostiles à ce système lui reprochent d'être fondamentalement un vestige de la colonisation. Ils dénoncent notamment: 1°) la domination et l'extraversion des économies membres, du fait que la France exerce un haut degré de contrôle sur ces économies; 2°) le développement de l'esprit de facilité, peu compatible avec celui qu'exige un véritable développement; 3°) la fuite des capitaux que ce système favorise, grâce au principe de la libre transférabilité et la transmission des variations de prix de la France vers les pays membres; 4°) les conséquences néfastes de la liaison directe entre le franc CFA et le franc français, autrement dit les effets de la dévaluation (ou de la réévaluation) de fait du franc CFA suivant la tenue du franc français sur le marché des changes. Aujourd'hui le bilan de la zone franc est contrasté. D'une manière générale, les rapports privilégiés de la France avec les pays africains de la zone franc confèrent à celle-ci un avantage en termes de débouchés. En contrepartie, la France assure le risque associé à la garantie illimitée de couverture des éventuels déficits. On retiendra par ailleurs que : 1°) la discipline monétaire a permis à la BEAC et à la BCEAO de disposer d'un solde excédentaire au compte d'opérations jusqu'à la décennie 80 (8,9% en 1969 et 1% en 1980). Depuis cette date, les comptes sont tendanciellement déficitaires. La zone franc aura donc permis une faible inflation et une croissance relativement forte jusqu'à la période de turbulence et la perte de compétitivité des années 1980 (Devarajan & Walton, 1994); 2°) l'existence d'un système monétaire stable et unifié n'a pas permis l'émergence d'un système bancaire et financier efficace dans les pays africains de la zone franc. Les réseaux bancaires qui s'y sont constitués sont restés embryonnaires et fortement dépendants des banques de l'ancienne métropole à l'origine de leur création. La prééminence de la monnaie fiduciaire (de l'ordre de 30% de la masse monétaire) témoigne du faible rôle des systèmes bancaires de ces pays. 290 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC La zone euro, à l'image de la zone franc, présente donc pour les pays africains membres plusieurs avantages: 1°) une plus grande stabilité de leur monnaie, le franc CFA (désormais lié à l'euro), en raison de la limitation du risque de change; 2°) la possibilité de diversifier davantage leurs partenaires commerciaux et de privilégier, par la même occasion, l'aide multilatérale au détriment de l'aide bilatérale souvent contraignante et exclusiviste; 3°) une plus grande facilité de mobilisation des ressources. L'appartenance commune à une zone euro peut être l'élément moteur d'une politique de relance des investissements étrangers dans le cadre des projets régionaux; 4°) une possibilité d'intégration accrue par la coordination des politiques économiques (Diffo Nigtiopop, 1993). Le rattachement du franc CFA à l'euro, malgré les avantages que nous venons de relever, comporte néanmoins des contraintes et des limites. Contraintes et limites de la zone euro Avec l'avènement de la zone euro, il faut s'attendre à des contraintes plus fortes en matière de gestion monétaire, d'équilibre budgétaire et d'équilibre extérieur. En effet, l'appartenance à une telle zone exige indéniablement des performances économiques en termes de croissance, d'inflation et de déficit public conformes aux normes européennes telles que redéfinies par « le pacte de stabilité4 ». La zone euro imposerait donc aux pays membres une discipline monétaire plus rigoureuse qui interdirait tout financement important des déficits budgétaires ou toute avance aux Trésors nationaux, afin que ces pays ne procèdent pas à une nouvelle dévaluation de leur monnaie. A cet égard, il est à redouter qu'aucun mécanisme d'atténuation de la contrainte extérieure ne soit mis en place, à l'instar de la possibilité de crédit automatique qu'offre le compte d'opérations en vue de préserver les pays membres des crises des balances de paiements qui les contraindraient à renoncer à la convertibilité du franc CFA. De plus, il existe la crainte que le passage à l'euro serve de prétexte à une 4. Les ministres des Finances des pays participant à l'euro ont approuvé, le vendredi 1er mai 1998, une « déclaration de stabilité » budgétaire qui accompagne le passage à l'euro. Cette déclaration réaffirme la nécessité pour ces pays d'observer une politique de rigueur. Ce texte demande « des efforts spéciaux » pour les pays - non désignés - ayant une dette publique trop élevée. Il affirme par ailleurs que l'entrée dans la monnaie unique ne signifiera pas, une fois les négociations achevées, un relâchement de la discipline budgétaire et que la zone euro « ne pourra pas être invoquée » pour demander aux plus vertueux de payer les dettes des autres. La déclaration de Bruxelles établit clairement le principe longtemps contesté en France de considérer l'assainissement des finances publiques, la recherche de l'équilibre budgétaire, comme conditions prioritaires de la croissance et de l'emploi. Les États s'engagent à tenir les objectifs de déficit budgétaire pris pour 1998 et à prendre, en cas de dérapage, les mesures de rattrapage nécessaires. LES CONSÉQUENCES DU RATIACHEMENT DU FRANC CFA À L'EURO 291 nouvelle dévaluation du franc CFA. Même si, pour de nombreux économistes, les données macroéconomiques de la zone ne la justifient pas pour l'instant, il reste que le mode de gestion actuel des économies africaines incline à admettre l'inéluctabilité d'un réajustement de la parité du franc CFA. Ce réajustement entraînerait indéniablement l'aggravation de la crise qui secoue l'Afrique, car l'euro va certainement ouvrir la voie à un ultralibéralisme à tous crins et exacerber du même coup la concurrence internationale. Cette situation ne créera pas d'emplois parce que de nombreux secteurs industriels et de services seront inévitablement touchés. En fait, la préoccupation majeure à ce niveau est de pouvoir contenir les excès de certains membres de la zone, pour qu'ils se maintiennent dans la voie de bonne conduite macroéconomique. De la sorte, les problèmes budgétaires d'un pays n'amplifieront pas les difficultés des autres. Malheureusement, l'histoire récente de la zone franc semble indiquer qu'il y a peu de chance pour que tous les pays membres adoptent des politiques macroéconomiques exemplaires (Devarajan, Walton, 1994) ; surtout que la banque centrale n'a pas le pouvoir d'obliger un pays à appliquer une politique rigoureuse de restriction du crédit intérieur. Dans ces conditions, les défaillances des pays qui constituent les «noyaux durs» de chaque sous-région (Côte d'Ivoire et Sénégal pour l'Afrique de l'Ouest, Gabon et Cameroun pour l'Afrique centrale) seraient particulièrement coûteuses. Les avantages de la zone euro, d'une part, les multiples contraintes qui s'exercent sur les pays membres ainsi que les risques qui planent sur eux, d'autre part, nous amènent à entrevoir l'avenir de cette zone monétaire. Perspectives de la zone euro L'avenir de la zone euro dépend d'un certain nombre de mesures de politique économique qui conditionnent du reste son succès. Ce futur s'analyse essentiellement en terme de scénarios. Conditions de réussite de la zone euro L'arrimage du franc CFA à l'euro pose, dans tous les cas, le problème de l'avenir d'une telle zone de coopération monétaire, construite cette fois à partir des bases réglementaires différentes de celles qui ont présidé à la création de la zone francs. En effet, la transition douce de la zone franc vers la zone euro ne réglera pas seule, il faut bien s'en convaincre, le problème 5. La zone franc est née formellement le 9 septembre 1939 lorsque, dans le cadre des mesures liées à la déclaration de guerre, un décret instaura une législation commune des changes pour l'ensemble des territoires appartenant à l'empire colonial français. Les structures actuelles de la zone franc sont donc le résultat des mutations politiques et économiques intervenues depuis 1939. 292 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC de fond qui est celui du développement de l'Afrique. Elle pose par ailleurs le problème de l'adhésion d'autres pays africains (non membres de la zone franc) qui, pour la plupart, effectuent une grande partie de leur commerce avec les pays de l'Union européenne. C'est dire que la réussite d'une telle zone dépend tout d'abord de la volonté des pays qui y adhèrent, car il ne s'agit pas ici d'un simple changement de référence. La nouvelle zone devra nécessairement conjuguer rigueur et souplesse en garantissant un taux de change fixe du franc CFA en euro, mais sans totalement exclure la possibilité de modifier la parité entre le franc CFA (ou les monnaies africaines) et la monnaie unique européenne. Le problème reste donc entier ou presque, d'autant que les enjeux ne sont pas les mêmes. Deux objectifs devraient donc être ciblés : - la poursuite de l'ajustement; - la promotion du développement. Concernant l'ajustement, il s'agit essentiellement à court terme de renforcer la nouvelle parité du franc CFA (celle définie en janvier 1994 à Dakar) qui devra être confirmée à partir du 4 janvier 19996 . Les mesures suivantes s'imposent à cet effet: 1°) la maîtrise de l'inflation en vue d'améliorer la compétitivité, car un bas niveau d'inflation couplé avec des taux d'intérêt suffisamment rémunérateurs apparaît comme une mesure essentielle pour consolider la parité de la monnaie commune. Ainsi, les taux d'inflation susceptibles de favoriser et de garantir la compétitivité des économies africaines doivent être maintenus à un niveau inférieur à la moyenne des principaux partenaires commerciaux 7• L'objectif étant d'éviter que les pays africains se retrouvent dans la situation qui a précédé le changement de parité de 1994 et que ne se déclenche une dynamique perverse qui conduise irrémédiablement à une nouvelle dévaluation du franc CFA. Pour ce qui est des taux d'intérêt, il est nécessaire d'élever les taux créditeurs à un niveau supérieur à celui des grands partenaires commerciaux (les pays de l'Union européenne) afin de pallier l'effet défavorable de la taille de 6. C'est en réalité le 4 janvier 1999 au matin, premier jour ouvrable de l'année que l'euro verra le jour. Mais, pour connaître la valeur de l'euro, il aura fallu attendre le 31 décembre 1998, car à cette date, l'euro se sera substitué de façon conventionnelle à l'écu sur la base d'un pour un et on connaîtra jusqu'à cinq chiffres après la virgule, de combien « feu le franc» vaudra un nouvel euro. L'écu est un panier de monnaies européennes et l'écu-panier actuel comporte trois monnaies (sterling, drachme, couronne danoise) qui n'entreront pas dans l'euro, il faudra attendre la fixation des derniers cours, le 31 décembre 1998 à Il h 30, pour établir définitivement la valeur de la monnaie unique. 7. Ce différentiel est particulièrement élevé et défavorable aux pays de la CEMAC au cours des années 1980. En effet, il est de + 6,1 en 1988 pour le Cameroun contre + 3,6 en 1987 et + 6,1 en 1986, + 2,7 pour la RCA en 1989 contre + 6,7 en 1988, + 5,5 en 1987 et + 6 en 1986, + 0,6 en 1989 pour le Congo contre + 1,2 en 1988, + 3,8 pour le Gabon en 1990 contre + 3,1 en 1989 et + 19,4 en 1987, + 3,3 pour la Guinée-Équatoriale en 1989 et enfin + 19,2 pour le Tchad en 1988. LES CONSÉQUENCES DU RATIACHEMENT DU FRANC CFA À L'EURO 293 certains pays sur les possibilités d'investissement. De même, les taux débiteurs devront être revus à la baisse pour ne pas pénaliser l'activité 8 2°) la réduction sensible des dépenses publiques qui impliquerait une plus grande rigueur dans les choix budgétaires, ainsi qu'un frein aux dépenses somptuaires et improductives. Il est important, à cet égard, de ramener le déficit public à un niveau acceptable (de l'ordre de 3 % du PIB pour se rapprocher de la norme européenne), grâce à une révision de la structure fiscale de ces pays. De même, le ratio endettementIPIB devrait être ramené à un niveau inférieur à 60%9; 3°) la restauration du rachat des billets CFA entre les deux Banques centrales (la BEAC et la BCEAO) et ceux exportés hors des territoires africains afin de ne pas entraver les principes de la libre transférabilité et de la libre convertibilité qui sous-tendaient la zone franc et qui devront caractériser la zone euro; 4°) la mise en œuvre de mesures de protection en faveur des couches les plus vulnérables de la population. Ce qui revient notamment à: - initier une politique de soutien sélectif aux entreprises les plus performantes ou exerçant dans des secteurs porteurs afin de promouvoir et garantir l'emploi 10, - réduire de manière substantielle (ou supprimer selon les cas) les impôts qui frappent les ménages à faibles revenus, - réduire (ou supprimer selon les cas) les droits de douane qui frappent les produits de première nécessité afin de maintenir, autant que possible, les prix de ces biens à leurs niveaux antérieurs. En matière de développement la zone euro devrait garantir des ressources suffisantes aux pays membres. Cette allocation des ressources leur éviterait un endettement onéreux auprès des tiers qui les contraindraient à rembourser en devises, à des taux d'intérêt élevés. En somme, cet ensemble cohérent de mesures solidaires affectera à la fois 8. Après la dévaluation du franc CFA, le taux d'escompte de la BEAC est passé de 11,50% en décembre 1993 à 14% en janvier 1994. Celui de la BCEAO de 10,5% à 14,5% avant d'être ramené à 9% le 23 janvier 1995. Depuis juillet 1994, date de l'instauration du marché monétaire dans la zone BEAC, le taux d'escompte a été remplacé par le taux directeur de la BEAC (taux des appels d'offre). Ce taux directeur, qui était de 12,5%, est tombé à 8% le 25-10-1995. 9. Le ratio endettementIPIB était de l'ordre de 107% pour le Cameroun en 1994 contre 65,8% en 1993, 101,8% pour la RCA en 1994 contre 73,2% en 1993,454,1 % pour le Congo en 1994 contre 237,6% en 1993, 168% en 1992 et 177,7% en 1991, 122,5% pour le Gabon en 1994 contre 79,9% en 1993 et 64,20% en 1992, 180,1 % pour la GuinéeÉquatoriale en 1994 contre 180,3 % en 1993 et 135,8 % en 1992, 91 % pour le Tchad en 1994 contre 64,2 % en 1993. Voir rapport annuel de la zone franc, 1995. 10. Ce soutien pourrait être, soit un allégement des charges fiscales au bénéfice des entreprises qui vendent à l'extérieur (les entreprises qui produisent des biens échangeables intemationalement), soit une assistance par laquelle l'Etat pourrait temporairement doter certaines PME-PMI d'experts (financiers et commerciaux) qu'il prendrait en charge financièrement. Certaines unités de production pourraient également bénéficier de l'assistance technique étrangère financée par des organismes multilatéraux tels que le FED. 294 L'A VENIR DE LA ZONE FRANC la demande et l'offre, afin de réduire le déficit extérieur, d'accroître la production, de contenir l'inflation, de résorber le chômage et en définitive de restaurer la confiance. A une période où l'État ne parvient plus à prélever suffisamment sur l'économie, ces mesures nécessitent des arbitrages complexes. Elles présentent néanmoins l'avantage de placer les pays africains de la zone euro dans une véritable perspective de partenariat et de développement visant à les faire passer de la logique de rente à celle de production. Les possibilités de mise en œuvre de ces mesures nous font entrevoir plusieurs scénarios d'évolution de la zone euro. Les scénarios possibles Dans la configuration actuelle des économies africaines, tout ou presque peut arriver: de l'implosion de la zone euro au réaménagement des accords en passant par le renforcement des liens existants. Dans tous les cas, quatre scénarios sont envisageables au-delà de 2002 11 : - scénario 1: l'éclatement de la zone euro et la création d'une monnaie nationale dans chaque ancien pays membre; - scénario 2: l'éclatement de la zone euro au profit de regroupements plus étroits, l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et la Communauté économique et monétaire en afrique centrale (CEMAC 12), ou de la création d'une monnaie autonome dans chacun des regroupements; - scénario 3: la disparition de la zone euro au profit d'une zone rand dirigée par l'Afrique du Sud et/ou d'une zone naira dirigée par le Nigeria; - scénario 4: l'élargissement de la zone euro à d'autres pays (ne faisant pas partie de la zone franc). Les scénarios 1 et 2 sont des scénarios pessimistes. Ils découleraient d'une détérioration de la situation économique et financière de la zone euro africaine. Il s'ensuivrait inévitablement une nouvelle dévaluation du franc CFA. Les disparités dans des perforrriances économiques des États membres amèneraient à rejeter, cette fois-ci, l'option d'un taux de dévaluation unique. Dès lors, les velléités jusque-là contenues de certains États (ou groupes d'États) à se désolidariser des autres membres de la zone s'affirmeraient Il. C'est le 1or juillet 2002 que les billets en francs, en marks ou en lires disparaîtront de la scène. Entre le lundi 4 janvier 1999, date à laquelle la monnaie européenne va être cotée pour la première fois sur les marchés et le lor juillet 2002, trois ans et demi se seront écoulés. Et dans chaque pays, on continuera à s'exprimer dans sa propre devise nationale. C'est donc un système intermédiaire qui prévaudra. Or, tout système intermédiaire est vulnérable car soumis à des crises spéculatives récurrentes, comme on a eu à le constater en 1992 et en 1993 dans le système monétaire européen. Pour s'imposer durablement, l'euro devra être accepté. Ce qui suppose qu'on laisse les gouvernants œuvrer pour que la monnaie unique finisse par s'imposer davantage par ses succès avérés plutôt que par ses contraintes supposées. 12. La CEMAC regroupe en fait deux institutions: - l'Union économique de l'Afrique centrale (UEAC); - l'Union monétaire de l'Afrique centrale (UMAC). LES CONSÉQUENCES DU RATIACHEMENT DU FRANC CFA À L'EURO 295 ouvertement et conduiraient à l'éclatement de la zone euro. Ce qui déboucherait sur la création, soit d'une monnaie nationale dans chaque pays, soit d'une monnaie sous-régionale pour chaque regroupement. Dans le scénario l,l'adoption par chaque État d'une monnaie autonome conduirait sans doute à la faillite. Aucune économie subsaharienne n'a des ressources suffisamment stables pour soutenir une monnaie capable de faire face aux nouveaux enjeux qui se dessinent à l'horizon à l'heure de la mondialisation des économies. L'adoption d'une monnaie propre entraînerait dans chacun de ces pays: - une politique monétaire trop restrictive qui risquerait de bloquer la croissance ; - une perte de crédibilité et de convertibilité de cette monnaie qui ne garantirait plus l'arrivée des capitaux étrangers nécessaires au développement; - la réduction des échanges entre pays africains. Dans le scénario 2, des regroupements sous-régionaux du type UEMOA, CEMAC n'auraient sans doute pas une meilleure efficacité. Il est à redouter que les difficultés soient plus grandes au moment où le concours de la France fera certainement défaut. Ces regroupements pourraient alors donner lieu à des effets pervers cumulatifs. Dans le scénario 3, la zone euro disparaîtrait au profit d'une zone rand dirigée par l'Afrique du Sud et/ou d'une zone naira dirigée par le Nigeria. Les économies subsahariennes si faibles ne pourront longtemps y résister. Ce scénario, qui suppose une meilleure prise de responsabilité des africains, permet du reste de passer à une phase plus avancée du processus d'intégration. Il procède d'une action conjuguée des institutions internationales (FMI, Banque mondiale) et des africains eux-mêmes, en vue de faire échec à la logique de rente. Le scénario 4 traduit une évolution favorable de la zone euro. Cette évolution pourrait se faire en trois étapes : - première étape: mise en place d'une« zone de changes» en vue d'un alignement des monnaies africaines sur l'euro qui servirait de monnaie de facturation ; - seconde étape: adoption d'un régime unifié de contrôle de changes vis-à-vis des pays tiers; - troisième étape : mise en commun des réserves et création de trois banques centrales dans les trois sous-régions (Afrique de l'Ouest, Afrique centrale et Afrique australe). L'élargissement de la zone euro sera, pour les pays qui définissent leur monnaie par rapport aux dollars américain et australien, au rand sud-africain, au DTS ou à un panier ad hoc, certainement plus qu'un changement de référence. Car le taux de change ne serait pas, ainsi que nous l'avons indiqué plus haut, forcément le même pour tous les pays. On pourrait, à cette occasion, déterminer un taux de change par région (Afrique de l'Ouest, Afrique centrale et australe) afin de mieux coordonner les politi- 296 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC ques de développement. On pourrait par ailleurs envisager l'usage des parités glissantes (système crémaillère). Ainsi, les taux de change des monnaies africaines seraient périodiquement réajustés, soit en fonction du montant des réserves de chaque pays, soit par rapport au différentiel d'inflation. L'élargissement de la zone euro constituera un changement profond pour les pays dont les monnaies flottent, dans la mesure où il consacrera pour eux le retour aux changes fixes. La réalisation de ce scénario exige des pays africains membres de la zone euro une discipline plus stricte. Et il existe généralement trois mécanismes possibles pour imposer une discipline: - le mécanisme basé sur le marché (alourdissement du coût des emprunts pour les États prodigues); - les mécanismes réglementaires (obligation de maintenir le budget en équilibre ou le plafonnement du déficit budgétaire par rapport au PIB); - les mécanismes discrétionnaires (par lesquels le suivi des performances macroéconomiques est assuré par un organe indépendant ou supranational). Pour les pays africains de la nouvelle zone euro, les mécanismes par le marché sont difficiles à mettre en œuvre à cause de l'étroitesse du marché (et essentiellement le marché des capitaux). De ce fait, Devarajan (1994) propose: 1°) que la règle de la limitation des avances faites au Trésor public à 20 %, des recettes fiscales de l'année précédente, principe essentiel dans la zone franc, soit étendue à toutes les sources de financement; 2°) de limiter les emprunts extérieurs des États prodigues. Ce qui ferait jouer un rôle plus important à la communauté internationale des bailleurs de fonds. Dans tous les cas, il faut éviter que les pays qui sont incapables de se conformer aux règles édictées ne soient tentés de quitter la zone. Pour cela, deux solutions sont envisageables: 1°) la crédibilité de la zone euro, qui seule pourrait dissuader les pays membres d'en sortir, en raison précisément des avantages que confèrent la stabilité des prix et la convertibilité totale de leur monnaie ; 2°) l'octroi des ressources internationales en fonction des performances économiques des pays membres de la zone. De cette façon, on arriverait à une situation telle que les pays qui s'estiment bridés du fait de leur appartenance à la zone euro comprennent qu'ils feront face aux mêmes contraintes s'ils la quittent. Conclusion Quelle que soit l'orientation choisie ou imposée par les faits, la préoccupation essentielle doit être la manière de permettre aux pays africains de LES CONSÉQUENCES DU RATTACHEMENT DU FRANC CFA À L'EURO 297 développer des avantages comparatifs et d'améliorer leurs performances économiques dans un monde en mutation. Le changement de la monnaie de référence n'est en cela qu'un aspect de la réforme générale à entreprendre. Il est attendu une réforme dont l'objectif est d'adapter les règles institutionnelles de fonctionnement de la nouvelle zone ainsi que l'opportunité de son élargissement. A cet égard, l'élément déterminant est moins le niveau du taux de change que la confiance des partenaires et des investisseurs. Une confiance qui repose essentiellement sur le sérieux des politiques mises en œuvre par les États. Dès le départ, il sera dans l'intérêt des pays africains membres de la zone euro de préserver une parité fixe qui apparaît comme le meilleur gage de stabilité. La nouvelle zone euro, pour être viable, devra par la suite contribuer à faire passer ces pays de la logique de rente à celle de production. Bibliographie Becart A. (1994), « La situation de la zone franc et l'éventuel rattachement du franc CFA à l'écu », Communication au Congrès de l'Association internationale des économistes de langue française, Luxembourg, mai. Coquet B., Daniel ]-M. (1992), « Quel avenir pour la zone franc? Observations et diagnostics économiques », OFCE, n041, juillet. Devarajan S., Walton M. (1994), « Préserverla zone CFA: la coordination macroéconomique après la dévaluation », Revue d'économie du développement, 3. Greffe X. (1991), Politique économique, Paris, Economica. Guillaumont P. et S. (1989), « La zone franc en Afrique », Le Courrier, n° 117, septembre-octobre. Guillaumont P. et S. (1994), « Franc CFA: restaurer la confiance », Marchés tropicaux et méditerranéens, n° 2522, Il mars. Lelart M. (1993), « La zone franc face à Maastricht », Revue Tiers-Monde, n° 36, octobre-décembre. Ondo Ossa A. (1992), « Taux de change du franc CFA et construction européenne », Mondes en développement, tome 20, n° 77178. 13 De la zone franc à la zone euro en Afrique ? Les incertitudes et les enjeux de la construction monétaire en Afrique francophone Pacôme N'GUINDZA-OKüUYI Les crises et les mutations intervenues au sein de la zone franc ont chaque fois remis au-devant de l'actualité la problématique du lien monétaire spécifique qui sous-tend cette zone et conditionne l'avenir des pays qui y prennent part. Aujourd'hui c'est l'imminence de l'aboutissement de l'unification économique et monétaire en Europe qui, avec son corollaire, la disparition prochaine du franc français, conduit au questionnement pressant sur l'avenir de la zone franc. La réflexion à ce sujet n'a pas manqué d'inspirer de nombreux observateurs et, la systématisation puis l'approfondissement de cette réflexion sont aujourd'hui vivement souhaités. C'est dans un contexte de crise grave et persistante que se posent à l'heure actuelle les enjeux du devenir des pays africains de la zone franc (PAZF) ; un environnement caractérisé au plan international par de profondes mutations de l'économie mondiale. Dans un tel contexte, l'avenir économique et monétaire des pays de la zone CFA se trouve marqué de fortes incertitudes, accentuées par le pessimisme lié aux prévisions économiques peu prometteuses pour la majorité des pays, et par les remises en cause de plus en plus prononcées des fondements de leurs systèmes économique et monétaire. Des auteurs qui se sont penchés sur le devenir des pays du franc CFA ont diversement esquissé des schémas retraçant les évolutions souhaitables de leur situation économique et monétaire. 300 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Nous considérons, pour notre part, que l'avenir des pays de cette zone reste étroitement lié à la restructuration de ses systèmes monétaires et financiers, ainsi qu'à la restauration des dynamiques économiques nationales; ces processus s'inscrivant désormais dans l'entrelacs des rapports de force qui caractérisent les évolutions mondiales actuelles. C'est ainsi que nous situons l'avenir monétaire des pays du franc CFA par rapport aux cas de figure qui nous paraissent les plus significatifs des dynamiques en cours. Mais surtout, nous l'analysons au regard des impératifs que leur impose aujourd'hui l'enjeu d'une recherche de compatibilité entre l'ordre monétaire et la structuration de leurs économies ; une adéquation entre la gestion monétaire et la construction économique, qui permettrait de répondre le mieux aux aspirations au progrès, et au bien-être de leurs sociétés. Nous partons de l'observation des évolutions passées et récentes de la zone franc, et d'une analyse critique de l'insuccès des politiques économiques menées dans l'environnement institutionnel de cette zone, pour poser comme une nécessité et une exigence pour leur progrès, l'opportunité pour les PAZF d'engager une transformation profonde de leur régime de change actuel. Car les rigidités du système monétaire franco-africain, l'inadéquation de son cadre institutionnel et du régime de change en vigueur ont fait peser de fortes contraintes sur les économies des pays d'Afrique centrale et de l'Ouest. Si bien que l'amorce d'une mutation conséquente de l'ordre monétaire promu - depuis près d'un demi-siècle maintenant - au sein de la zone franc apparaît comme le préalable essentiel au redressement des économie africaines. Dans une analyse de scénarios, nous brossons un tableau synoptique de l'évolution de la question monétaire en Afrique atlantique, et par extension, en Afrique au sud du Sahara, en retraçant les principaux cas de figure susceptibles de caractériser cette évolution. L'avenir de la zone franc est ainsi envisagé autour de trois axes d'évolution possibles, représentés par les scénarios suivants. • L'éclatement ou le démantèlement de la zone franc - pour la création de monnaies nationales qui seraient gérées de façon autonome dans chaque ancien pays membre; - pour sa recomposition autour de regroupements sous-régionaux actuels que sont l'UEMOA et la CEMAC, avec la création d'une monnaie sous-régionale autonome dans chacun de ces regroupements ; • La disparition de la zone franc dans ses contours institutionnels actuels au profit d'autres dynamiques monétaires sous-régionales s'étendant au-delà des cadres institutionnels de ses unions traditionnelles ... • L'option pour la continuité, qui est celle du statu quo et qui consiste au maintien dufranc CFA sous saforme institutionnelle actuelle et son rattachement entre 1999 et 2002 à l'euro, la monnaie unique européenne. DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE 301 L'étude se donne également d'examiner l'opportunité de l'émergence, dans les pays africains de l'actuelle zone franc, d'une ou de constitutions monétaires nouvelles à même de représenter une alternative viable à l'actuel système de change. Lequel système, reposant sur des principes peu évolutifs, car empreints de rigidité, s'est soldé par un échec en matière de contribution au développement des pays africains et offre aujourd'hui, à nos yeux, peu d'opportunités pour un redressement véritable de leurs économies en difficulté. De ce point de vue, notre propos se situe dans l'optique d'une réflexion sur les conditions et les modalités d'une accession bénéfique des pays d'Afrique centrale et d'Afrique de l'Ouest à un ordre monétaire nouveau qui dépasserait les anciens schémas. La réflexion conduite s'inscrit précisément dans la croyance en ce que dans un contexte où l'échec du système monétaire franco-africain est manifeste, et où il est désormais improbable que ce système puisse insuffler une nouvelle dynamique au sein des économies africaines, l' autonomie monétaire est aujourd'hui souhaitable et possible en pays africains de l'actuelle zone CFA, et qu'elle apparaît plus que jamais comme l'option à explorer pour le redressement des économies d'Afrique centrale et de l'Ouest, par une prise en main responsable par les pays eux-mêmes de leur destinée. Le regard prospectif que nous posons au sujet de l'avenir de la zone CFA à travers l'analyse des principales hypothèses qui sont portées à caractériser son évolution peut, schématiquement, se présenter sous les deux options suivantes, renfermant chacune deux cas de figure et pouvant s'articuler comme suit: - une ligne d'évolution où la construction monétaire en Afrique se trouverait liée à celle de l'Europe. Dans cette conception que nous allons analyser, nous examinons: • l'optique de la thèse officielle franco-africaine, et • l' hypothèse d'un possible glissement vers une coopération monétaire eurafricaine ; - une ligne d'évolution où la construction monétaire de l'Afrique pourrait se réaliser par des moyens exclusivement africains. Dans cette option que nous étudierons ensuite, les deux hypothèses suivantes sont envisagées: • l'hypothèse où les PAZF opteraient pour la création de monnaies nationales autonomes, gérées individuellement par chacun des États; • l'idée de la construction ou du cheminement, à terme, des dynamiques nationales vers des monnaies régionales, voire vers une union monétaire africaine, si tel est le souhait des Africains et le nécessaire aboutissement (au plan continental) de leurs élans de solidarité. 302 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC L'hypothèse d'une évolution de la construction monétaire en Afrique sous la houlette de l'Europe: un point de vue critique Depuis plus de deux décennies, une constante du débat sur l'avenir de la zone franc pose comme alternative à la crise des économies africaines, la coopération moné.taire avec l'Europe de l'Union économique et monétaire (UEM). Plusieurs auteurs ont élaboré des scénarios allant dans ce sens, qui tendent invariablement à montrer l'opportunité pour les pays africains d'une approche eurafricaine de la coopération monétaire, laquelle viendrait se substituer à l'ancienne coopération franco-africaine et apporter un nouveau souffle à la construction économique de l'Afrique. Pour conforter cette opinion et en démontrer la justesse, on évoque, sur fond de la grande déprime des économies du continent : le caractère hétéroclite des monnaies africaines, qui limite toute possibilité actuelle ou future pour ces pays de dépasser le cadre de la seule coopération monétaire pour s'acheminer vers celui d'une véritable coopération économique; et l'avantage commercial indéniable que les Africains trouveraient à établir une coopération monétaire avec l'Europe unifiée, qui absorbe près de 50% de leurs exportations ... Ainsi, les considérations les plus avantageuses de l'idée d'une coopération monétaire entre l'Afrique de la zone franc et l'Europe de Maastricht inspirent les réflexions les plus avancées à l'heure actuelle sur l'avenir de cette zone, et ont influencé les décisions en la matière. La thèse officielle franco-africaine au sujet de l'évolution de la zone franc s'inscrit résolument dans cette optique, et son prolongement tendrait à confinner l'hypothèse d'un glissement à tenne vers une coopération monétaire eurafricaine. Pourtant, la nature des enjeux qu'impliquent ces évolutions (et d'autres possibles) commande que soit regardée avec lucidité la juste articulation de tels choix, lesquels sont portés à marquer profondément le devenir des peuples des pays impliqués. Il est alors utile d'examiner quelles perspectives les données réelles en Afrique et l'enjeu de l'achèvement du processus unitaire européen par le passage à la monnaie unique (à partir de 1999), réservent-ils à l'évolution de la construction monétaire en zone franc. L'optique de la thèse officielle franco-africaine La thèse officielle -la ligne d'évolution décidée par les autorités politiques et monétaires de la zone franc - on le sait depuis 1996, est celle du rattachement des francs CFA à l'euro ... à l'horizon 2002. Le cheminement le plus probable à l'heure actuelle est que l'évolution selon les vœux des officiels français et africains se concrétisera dans un premier temps - et certainement à brève échéance -le franc CFA sera aligné sur l'euro quand sera amorcée la disparition du franc français (entre 1999 et 2002), puis peut-être assisterat-on, à tenne, à la concrétisation du projet d'une coopération eurafricaine... DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE 303 Examinons les implications d'une telle évolution qui, du fait qu'elle se déroule sous le couvert de l'euro, nous paraît clairement devoir se tenir sous le parrainage de l'Europe de Maastricht. Ce qui n'est pas le cas. Car la France, au bénéfice du principe de subsidiarité - très avantageusement évoqué par elle - entend, en toute exclusivité, se charger par continuité naturelle de la gestion du lien entre le franc CFA et l'euro. A) LES RELATIONS ENTRE LE FRANC CFA ET L'EURO, VUES PAR LES OFFICIELS FRANÇAIS La vision française des relations futures entre le franc CFA et l'euro est présentée sous l'angle le plus avantageux et le plus rassurant: elle pose que le rattachement des francs CFA et comorien à l'euro ne modifiera pas les liens privilégiés entre la France, les pays de la zone franc et sera un atout pour ces pays. Pour rassurer, on répète que l'alignement du CFA sur l'euro ne se traduira pas par une nouvelle modification de la parité du franc CFA. Et mieux, que le passage à l'euro sera un progrès pour les pays de la zone franc, en ce qu'il garantira la stabilité monétaire et facilitera le commerce et les investissements. Il est légitime d'interroger ce point de vue, pour voir si cette voie ouvre de réelles opportunités aux économies africaines, et si elle leur offre des perspectives favorables d'évolution. B) OPPORTUNITÉS ÉCONOMIQUES ET VIABILITÉ Les avantages économiques que l'on prête à l'option du rattachement des francs CFA à l'euro - posée comme la solution aux problèmes des économies africaines - sont-ils réels, ou bien ces idées ne procèdent-elles que d'un opportunisme qui ne fera qu'entériner l'état actuel, et n'apportera donc pas de véritable changement à la situation des pays d'Afrique centrale et d'Afrique de l'Ouest? a) Opportunités ou opportunisme? L'avenir de la zone franc n'est pas pris en compte par les institutions de Bruxelles dans le traité instituant l'UEM en Europe, la question a été complètement ignorée. Les considérations actuelles sur le devenir du franc CFA procèdent d'une interprétation par la France de quelques dispositions du traité de Maastricht, notamment l'article 109 1• Cette lecture plutôt opportuniste passe sous silence des aspects essentiels touchant aux questions de forme et de fond. 1. Lequel, dans son cinquième alinéa, dispose que « les États membres peuvent négocier dans les instances internationales et conclurent des accords internationaux dans le domaine monétaire ». La lecture «opportuniste» de cette disposition pose que celle-ci « vise explicitement la zone franc qui pourra subsister sans qu'il y ait à demander une quelconque autorisation préalable à Bruxelles ». 304 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC 1) Des vices de forme Au plan de la forme, l'assertion qui pose que les dispositions du traité de Maastricht n'affectent en rien les principes de la zone franc est loin de faire l' unanimité. En effet, l'idée selon laquelle le passage à la monnaie unique et à la Banque centrale européenne (BCE) serait compatible avec les règles institutionnelles de la zone franc, rencontre des objections portant à la fois sur l'usage extérieur de l'euro, les possibilités d'action du Trésor public français (soucieux d'éviter les déficits budgétaires excessifs), la gestion de la politique monétaire dont les objectifs sont loin d'être les mêmes pour les pays de l'Union européenne (UE) et ceux de la zone franc en Afrique. Mais l'objection la plus importante concerne la question du pouvoir de décision dans la prochaine coopération monétaire euro-africaine. Cette question est de nature à compliquer sérieusement le fonctionnement du lien euro/CFA. En d'autres termes, après l'alignement des CFA sur l'euro, qui aura, à l'avenir, le droit de décider de l'adhésion de nouveaux membres à la zone franc ou du changement de parité entre le CFA et l'euro? La France ou l'Union européenne? Les Africains étant désormais complètement exclus du cercle de décision concernant la gestion de cette nouvelle coopération monétaire. Ces considérations soulèvent des points d'ombre qui se posent comme autant de limitations à la concrétisation de l'euro-arrimage des francs CFA, et donne une idée des difficultés que rencontrera la mise en application de cette option, qui en fait ne va pas de soi. Car, si selon le Trésor public français, le franc CFA demeure, après la création de l'euro, un « arrangement purement bilatéral », et un« accord budgétaire» entre la France et les Africains, il reste tout de même irréaliste de penser que l'adoption de la monnaie unique européenne permettra toujours à Paris de gérer des comptes d'opérations « franco-africains» sans que l'Allemagne ou les Pays-Bas ne s'en inquiètent. 2) Des défauts sur le fond Dans le fond, est-il juste de croire que le passage à l'euro sera un progrès pour les pays de la zone franc? Les économies africaines tireront-elles un profit réel de cet alignement sur la monnaie européenne? En réalité, des doutes importants subsistent quant aux changements de fond qu'est censé apporter le rattachement à taux fixe des CFA à l'euro et la gestion de ce nouveau lien par la France. De fortes objections amènent à relativiser le caractère « potentiellement favorable» attribué à l'accrochage des francs CFA à la monnaie européenne, aux fins du redressement et de la construction économiques des pays d'Afrique centrale et de l'Ouest. L'alignement à parité fixe des francs CFA sur l'euro et la gestion de ce lien par le Trésor français reste une variante, juste un peu plus compliquée, de la situation actuelle, du lien fixe franc CFA/franc français. Ce nouvel arrangement monétaire ne présente aucune caractéristique décisive de nature à assurer aux économies africaines l'avènement en leur sein de chan- DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE 305 gements structurels porteurs d'un nouveau dynamisme. Au demeurant, les causes qui ont conduit à l'échec de la coopération monétaire franco-africaine dans le cadre de la zone franc subsistent bel et bien, et sont de nature à miner les velléités transformatrices des nouveaux arrangements monétaires dans le cadre de la zone «euro/CFA ». Les forces d'inertie subsistent, tout comme les contraintes et les rigidités en tous genres, et leurs manifestations négatives peuvent s'accentuer, du fait même des ambiguïtés qui caractériseraient la curieuse situation d'une gestion solitaire (<< quasi clandestine »), par la France, des situations monétaires d'un ensemble de pays étrangers au système, cela à l'aide de l'instrument monétaire commun - dont la gestion est elle-même codifiée et strictement surveillée. Et puis, rien, aujourd'hui, ne permet d'être absolument sûr et certain que l'euro sera une «bonne monnaie », une monnaie viable, stable et promise au rôle international idéal qu'on lui prête déjà. Il n'y a donc aucune certitude que l'euro soit une monnaie qui, de par ses qualités, subviendra, au même titre que pour les économies d'Europe, aux besoins de développement économique et social des pays africains. Par ailleurs, l'existence de forces centrifuges au sein même de l'Europe communautaire amène à craindre qu'elles n'en viennent à œuvrer négativement contre la viabilité de la future monnaie; dans une telle éventualité, les retombées en pays africains sont à redouter. Les nombreux avantages attribués au rattachement des CFA franco-africains à l'euro sont plus théoriques que réels. Monga et Tchatchouang notent à ce propos que le caractère asymétrique et primitif du commerce extérieur des pays de la zone franc, les limitations quotidiennes imposées à la convertibilité du franc CFA et, ces dernières années, au transfert des capitaux, le poids des déficits budgétaires et leurs conséquences, l'inexistence de structures de production industrielle, constituent autant de facteurs qui obligent à relativiser les avantages annoncés 2 • b) Quelle viabilité en définitive? Ne serait-ce qu'à cause de ses nombreuses contraintes et insuffisances, l'option officielle franco-africaine présentée ci-dessus n'est pas le scénario le plus viable. Et puis, les déclarations (qui se veulent rassurantes) sur le maintien de la parité actuelle des francs CFA (au moment du passage à l'euro) sont loin de convaincre. Tout porte au contraire à penser que l'alignement du franc CFA sur l'euro impliquera nécessairement la détermination d'une nouvelle parité plus fiable et plus conforme à l'évolution des économies africaines. Ce genre de contradiction est pour le moins symptomatique du caractère équivoque de ce lien de seconde main qui va consacrer l'arrimage des monnaies africaines à la monnaie européenne. Qui plus est, un tel arrimage suppose des performances économiques en matière de croissance, de stabilité des prix et 2. C. Monga et J.-c. Tchatchouang, Sortir du piège monétaire, Paris, Economica, 1996, p. 116. 306 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC de contrôle des déficits publics, pour répondre aux exigences européennes qui s'imposeront de facto aux économies africaines. L'alignement des CFA sur l'euro conduit ainsi à cette situation paradoxale et intenable que l'on demande aux économies africaines d'être aussi compétitives que les meilleures économies européennes. Si elles n'y parviennent, une nouvelle dévaluation est inévitable et elle condamnera les pays africains. En tout état de cause, les contraintes et les ambiguïtés qui entourent la vision officielle du rattachement des francs CFA à l'euro montrent que la transition douce de la zone franc vers la zone euro, que beaucoup appellent de tous leurs vœux, soulève bien plus d'incertitudes qu'elle n'est portée à régler le problème de fond, qui est celui du développement de l'Afrique. L'hypothèse d'un « glissement» vers une coopération monétaire eurafricaine et les enjeux de l'évolution de la zone franc A) L'OPTION OFFICIELLE FRANCO-AFRICAINE D'UN« EURO-ARRIMAGE» DES FRANCS CFA: D' HYPOTHÉTIQUES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTION POUR LA ZONE FRANC Dans la décision des autorités françaises et africaines de lier de l'avenir du franc CFA à l'euro, il n'apparaît aucun indice de ce que sera la future coopération au sein de la zone« euro-CFA », au-delà du cadre institutionnel régissant l'actuel système de change franco-africain (dont la pérennité est garantie si l'on s'en tient aux mots du discours officiel). Rien ne laisse augurer de l'évolution des rapports entre les pays africains de la zone CFA - qui auront leur monnaie liée, via la France, à l'euro - et leurs voisins hors zone franc. Dans tous les cas, le choix des officiels franco-africains, qui est celui du statu quo, n'offre aux économies africaines que d'hypothétiques perspectives d'évolution. a) Au niveau des rapports intra-zone franc La situation particulièrement préoccupante des économies nationales en Afrique centrale comme en Afrique de l'Ouest, leurs difficultés à restaurer puis à stabiliser les principaux équilibres macroéconomiques internes, ainsi que la vulnérabilité à l'égard de la conjoncture internationale (manifeste aujourd'hui à travers les incidences de la crise asiatique), laissent très présente l'éventualité d'un éclatement de la zone franc, notamment en cas de persistance et d'aggravation des pressions internes, à la suite par exemple de la dégradation de la conjoncture internationale. Par ailleurs la difficile avancée - sinon le blocage - du processus d'intégration régionale dans les unions de la zone franc (qui sont des « unions monétaires inachevées ») accroît l'éventualité d'une dislocation de la zone. Tout comme le jeu des forces centrifuges en œuvre dans cet ensemble, vont jusqu'à laisser prédire son éclatement inéluctable. DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE 307 b) Quant aux rapports interafricains et avec le reste du monde? La gestion du rattachement des monnaies CFA à l'euro, que la France entend s'octroyer - par le truchement des comptes d'opérations du Trésor français - n'ira pas sans poser de problèmes, à la longue, au sein même de la Communauté européenne. Ce qui fait que l'évolution de la construction monétaire en Afrique de la zone franc se trouve, une fois de plus, tributaire de facteurs extérieurs, sur lesquels les Africains eux-mêmes n'auront aucune prise directe. Cette situation dénature les rapports interafricains et des pays africains avec le reste du monde. La conception de l'évolution de la zone franc selon l'approche officielle ne présage d'aucun progrès substantiel dans les rapports des pays de la zone franc avec les autres pays africains. Ces rapports ne seront pas différents des relations qui ont prévalu jusqu'à présent. Et quand on sait combien les relations franco-africaines au sein de la zone franc sont dominées par des considérations bilatérales qui font de la France le point de convergence des intentions particulières de chaque État du regroupement, on conçoit clairement que l'extension éventuelle de cette zone au-delà de ses frontières quasi stratégiques - actuelles ne saurait aller de soi. En l'occurrence, sur plus de trente années (si l'on excepte les quelques défections précédentes et le retour du Mali en 1984), le club très fermé de la zone CFA ne s'est pas véritablement enrichi en nouveaux adhérents; il n'aura accueilli que deux nouveaux membres: la Guinée-Équatoriale qui a intégré la BEAC en 1985 et la Guinée-Bissau qui a intégré l'UEMOA, le 17 avril 1997. Par sa dynamique propre, l'intégration monétaire promue dans la zone franc ne s'est guère consolidée ni élargie dans le cadre africain, et encore moins n'a-t-elle amélioré les relations de quelque sorte entre ses membres africains. La zone franc, en ce sens, aura plus contribué à cloisonner la dynamique économique en Afrique qu'elle n'aura favorisé sa consolidation et son expansion. Quant aux perspectives d'évolution de cette zone, qui découleraient des arrangements actuels, on doute quelque peu qu'elles en viennent à révolutionner la situation. B) DE LA ZONE FRANC À UNE ZONE EURO EN AFRIQUE: UN GLISSEMENT BÉNÉFIQUE? L'optique du glissement eurafricain de la question monétaire africaine considère que, dans une conception plus large, une zone monétaire pourrait se constituer entre l'Union européenne et l'Afrique. La construction de cette zone monétaire eurafricaine pourrait être évolutive et se faire « à la carte ». L'un des schémas envisagés à moyen terme étant alors que rUE prenne en charge les mécanismes de la zone franc, une institution européenne se substituant au Trésor public français. Et à terme sera envisagé l'élargissement à d'autres pays africains. Cette perspective qui dépasse l'approche franco-africaine mettrait donc directement les institutions de Maastricht au cœur de cette vaste dynamique 308 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC économique et monétaire intercontinentale. Un tel glissement vers une zone eurafricaine serait-il la voie salutaire de l'évolution de la question monétaire en Afrique et du redressement économique du continent? a) Les considérations les plus optimistes 1. Pour Daniel Bach 3, si le scénario du rapprochement de la zone franc et de la communauté européenne venait à se matérialiser, il pourrait avoir sur l'intégration économique régionale en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale un effet de big bang comparable à celui qu'eut la signature de la convention de Lomé sur l'établissement de la CEDEAO. Cette perspective allégerait incontestablement les contraintes financières imposées par la zone franc au Trésor français. Elle imposerait également une redéfinition des bases de la présence française sur le continent africain 4 • Dans ce propos, la préoccupation semble avant tout de trouver une alternative qui allégerait la contrainte d'une gestion trop particularisée des « affaires monétaires africaines » par la France. Mieux, de redistribuer les cartes de la position stratégique et privilégiée de la France en Afrique: c'est sans doute, souligne Olivier Vallée (1989), cette redéfinition d'une présence actuelle alliant coopération et intervention, rentabilité et passivité, qui est le prélude à une mutation de l'espace monétaire du franc CF A. 2. Patrick et Sylviane Guillaumont pensent pour leur part qu'à l'avenir « une coopération euro-africaine, se substituant en partie à la coopération franco-africaine, pourrait faciliter le développement de la coopération institutionnelle en Afrique au-delà de la zone franc ou des pays francophones 5. » L'avancée ici est pourtant encore trop peu décisive, l'Europe ne pouvant se substituer que partiellement à la France, laquelle tient à maintenir la garantie de convertibilité des monnaies africaines. « En revanche, il est concevable que la Communauté européenne apporte son appui à la convertibilité des autres monnaies africaines. Elle pourrait mettre en place, à la demande de pays ou groupements de pays de dimension analogue à celle des actuelles unions monétaires, des mécanismes de garantie en échange de l'acceptation de règles de gestion monétaire et budgétaire. Les pays (ou ensembles de pays) auraient à arbitrer entre l'autonomie qu'ils veulent conserver dans leur politique macroéconomique et le degré de garantie qu'ils souhaitent pour leur monnaie [...]. Une fois les monnaies africaines stabilisées par rapport à une même référence, en l'occurrence la monnaie européenne, et rendues plus convertibles, un des principaux obstacles à une intégration monétaire, mais aussi économique, élargie serait levé» (ibid.). 3. Dans une contribution à la table ronde d'Oxford (28-30 avril 1988) sur Les Afriques francophones depuis leurs indépendances. 4. D. Bach, « Régionalismes francophones ou régionalisme franco-africain? », Oxford, 28-30 avril 1988, cité par O. V ALLÉE, Le Prix de l'argent CFA: heurs et malheurs de la zone franc, Paris, Karthala, 1989, pp. 251-252. 5. Cf. P. et S. Guillaumont, « L'intégration économique: un nouvel enjeu pour la zone franc », Revue d'économie du développement, 2c semestre 1993, pp. 108-109. DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE 309 3. Albert Ondo Ossa a écrit en 1992 que « la liaison du franc CFA à l'écu, proposée par la France à la suite du sommet européen de Maastricht, peut contribuer [au redressement des économies africaines] ». L'auteur fonde son argumentation sur ce que cette liaison, en renforçant l'intégration en Afrique, pourrait permettre à celle-ci de négocier le moratoire de sa dette globale avec l'ensemble des pays créanciers. Il pense encore que le lien CFNeuro pourrait également être le prélude à une coopération plus intense, notamment si les autres monnaies africaines envisagent leur rattachement. Cette option viendra enfin palier l'échec flagrant de la coopération monétaire franco-africaine, laquelle a largement œuvré à la constitution de logiques de rentes, loin de la nécessaire adaptation à un environnement international de plus en plus compétitif. La conclusion de l'auteur est alors des plus optimistes lorsqu'il écrit qu' « en prenant l'initiative d'une [zone euro], l'Europe contribue assurément à la reconnexion du continent africain dans les échanges internationaux et pose les jalons d'un développement harmonieux qu'il appartient aux Africains eux-mêmes d' asseoir6. » Dans le concert des considérations les plus optimistes qui versent dans l'espoir en la perspective, jugée favorable, d'un glissement eurafricain de la question monétaire africaine, d'aucuns suggèrent d'élargir la perspective de la coopération monétaire eurafricaine à la dimension des pays ACP: cette coopération pourrait s'inscrire dans un cadre plus vaste, en intégrant d'autres pays du groupe Afrique-Caraibes-Pacifique (ACP). Mais visiblement, l'obstacle numérique est de taille, qui fait qu'outre des charges élevées pour les pays européens, cette solution semble peu probable, eu égard à la diversité des 70 pays ACP. Les appréhensions qui motivent le scepticisme quant à l'opportunité et à la viabilité de l'idée d'une évolution eurafricaine de l'intégration monétaire de pays d'Afrique ne se limitent pas à ces seules considérations numériques, ni au coût pour l'Europe d'une prise en charge globale du problème monétaire africain, les objections se fondent sur des aspects plus fondamentaux encore. b) Quand le scepticisme est vivace et le doute persistant etfondé De nombreux doutes amènent à considérer avec circonspection l'idée d'une régionalisation transcontinentale qui unirait l'Afrique et l'Europe par le truchement d'institutions communes et à travers une forme élargie de coopération économique, monétaire, culturelle, etc. D'aucuns y voient le meilleur moyen d'exporter sur le continent africain - qui en aurait grand besoin -l' « expérience communautaire» et, par ce biais même, d'apporter aux peuples de cette partie du monde «une caution d'indépendance ». Donc des chances de progrès pour l'Afrique, en perspective ! 6. A. Ondo Ossa, «Taux de change de la zone franc et construction européenne », Monde en développement, tome 20, n° 77178, 1992, pp. 59-74. 310 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Pourtant, en regardant de plus près, on doit comprendre que malgré les bonnes intentions, le marché unique européen ne résoudra pas les problèmes de l'Afrique, et qu'il n'ouvrira réellement des perspectives qu'ailleurs. Qui plus est, une intégration monétaire eurafricaine verrait inévitablement la substitution de critères purement économiques (performances économiques, rôle international des monnaies de rattachement...) aux considérations politiques ; ce qui reviendrait pour la France à mesurer le poids de ses partenaires européens puissants monétairement (RFA en l'occurrence). En réalité, les visées de l'Europe se situent loin de l' œuvre salvatrice que l'on veut lui prêter pour le progrès de l'Afrique: bien que le chantier de la construction européenne soit largement ouvert sur le reste du monde, l'orientation, écrit Jean-Luc Laurent, est telle, que l'efficacité se mesure plus à la densité des relations avec les concurrents partenaires qu'au critère d'une quelconque responsabilité à assumer vis-à-vis des pays les moins développés? C'est là la réalité que trop de défenseurs de l'idée d'une coopération monétaire eurafricaine aiment à ne pas considérer de plus près. C) POUR QUE CESSENT LES AMBIGUÏTÉS ET LES FAUX ESPOIRS SUR L'IDÉE D'UNE ZONE EURO EN AFRIQUE Sur ce qui n'est pas très clairement perçu et qui laisse penser que le cap européen serait celui du meilleur espoir pour le progrès de l'Afrique, il faut réitérer la mise en garde, en précisant que malgré son attrait et l'intérêt qu'elle peut susciter a priori pour les pays africains, l'idée d'une zone euro en Afrique est pleine d'incertitudes et elle peut, si elle se concrétise, conduire à l'impasse. Les ambiguïtés qu'elle renferme portent à penser que les économies africaines n'en tireront pas de réels profits: ni au plan politique ni aux plans technique et commercial. • Sur le plan politique, il faut noter que pour la Communauté européenne les enjeux, aujourd'hui, ne concernent pas l'Afrique, mais plutôt l'élargissement de son espace en Europe et l'affermissement de ses relations avec les nouvelles démocraties émergeant de l'ex-Empire soviétique. • Sur le plan technique, lorsque l'on compare les bénéfices escomptés aux coûts réels, le rattachement à l'euro n'est pas nécessairement profitable aux pays africains; car la stabilité monétaire et la convertibilité d'une devise ne suffisent ni à attirer les investissements ni à relancer les économies. « De nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte. La confiance, qui est le principal paramètre dans l'équation d'investissement, fait défaut aujourd'hui dans les pays du CFA; elle fera encore défaut demain, malgré la zone euro, tant qu'un certain nombre d'incertitudes sociopolitiques ne seront pas levées. » 7. Cf. J.-L. Laurent, « La zone franc, la crise, l'Europe. Ambiguïté et avantages », in La Zone franc. Du franc CFA à la monnaie unique européenne, R. Sandretto (éd.), Paris, Les Éditions de l'Épargne, 1994, p. 196. DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE 311 • L'autre attrait de la proposition du rattachement du CFA à l'euro repose sur la perspective d'un accroissement spectaculaire du volume des produits africains vendus en Europe. «Mais l'on oublie de mentionner que l'accroissement en quantité n'implique pas forcément un accroissement des revenus. )) Il se trouve aussi qu'au niveau même de chaque pays de la zone CFA, la rigidité des systèmes et des circuits de production est telle que les entreprises exportatrices n'y auraient pas les moyens de répondre à un accroissement de la demande sur le marché (idem). Ces objections devraient contribuer à mettre fin à certaines ambiguïtés et faux espoirs suscités par l'idée - posée d'emblée comme bénéfique pour l'Afrique - d'une construction monétaire et économique de ce continent par le truchement d'une intégration eurafricaine. En définitive, si le doute est établi à propos de l'opportunité d'une zone euro en Afrique, l'hypothèse d'une possible émergence de dynamiques monétaires intra-africaines à même de sous-tendre une évolution de la construction monétaire partant du continent même nous paraît une optique intéressante à envisager, non seulement par les potentialités qu'elle est susceptible de dégager, mais, au plan théorique, par le caractère inexploré de cette perspective. Sur une possible dynamique monétaire en Afrique par des moyens exclusivement africains Habituellement, les seules évolutions auxquelles est promise la construction monétaire en zone franc sont celles prescrites par la pensée dominante actuelle, foncièrement acquise à l'idée d'un parrainage européen, voire d'une « européanisation )) de la structuration monétaire de l'Afrique. Fautil donc définitivement souscrire à la croyance qu'en dehors de la perspective européenne il n'existe aucune autre possibilité, et que d'autres formes d'évolution de la construction monétaire de l'Afrique ne sont pas concevables? L'avenir monétaire de l'Afrique n'est-il envisageable que par le truchement d'un parrainage extérieur? Et les Africains seraient-ils incapables à jamais de prendre véritablement en main leur destinée monétaire et économique et donc le progrès et l'avenir de leurs sociétés? La vraie souveraineté en Afrique, la responsabilisation des Africains dans la construction de leurs sociétés passent par la création dans ces États des conditions d'une gestion optimale de la monnaie, aux fins d'une véritable relance des économies par le rétablissement de la compétitivité et de la crédibilité extérieure, dans l'autonomie d'initiative et la justesse de décisions et d'actions. L'enjeu serait alors de concevoir en Afrique de l'actuelle zone franc (et, par extension, en Afrique subsaharienne), un réaménagement monétaire 312 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC fondé sur l'instauration et la gestion de monnaies nationales, dans un premier temps, appelé à progresser méthodiquement vers des structurations monétaires et économiques sous-régionales ou régionales autonomes, qui se construiraient selon la méthode de groupe, et qui mobiliseraient au mieux des forces proprement africaines. Nous examinons cette ligne d'évolution possible - où l'organisation monétaire de l'Afrique partirait du continent, sur la base de moyens et d'orientations prioritairement africains - à travers les deux options, potentiellement complémentaires, que sont: - l'hypothèse d'un choix des États africains de l'actuelle zone franc de créer et gérer des monnaies nationales autonomes, à la suite du démantèlement de la zone franc ; - l'hypothèse de la construction ou du cheminement, à terme, des dynamiques monétaires nationales vers une union monétaire africaine. Et si les États africains de l'actuelle zone franc optaient pour la création de monnaies nationales autonomes? Il est reconnu que l'autonomie dans la gestion de la politique monétaire est nécessaire pour une conduite efficace de la politique économique nationale. Les pays africains de la zone franc, lesquels ont renoncé à leur souveraineté monétaire, pensent encore, aujourd'hui et à l'avenir, pouvoir assurer leur développement économique et social par le truchement d' arrangements institutionnels entérinant la dépendance monétaire. En l'état actuel des données économiques et politiques en Afrique et au regard des évolutions en cours, l'alternative pour une solution viable aux problèmes qui les accablent est le recouvrement par les pays de la zone CFA de leur souveraineté monétaire; entendue comme la capacité à se réapproprier et à maîtriser la gestion de l'outil monétaire, en l'orientant de façon constructive aux fins du développement économique et social de leurs États et pour le bien-être des plus larges populations. D'où l'intérêt, voire l'obligation, pour chacun d'eux d'accéder à une identité monétaire qui lui soit propre, et qui implique, à un niveau élevé, sa responsabilité nationale. A) LE DÉMANTÈLEMENT DE LA ZONE FRANC ET DE SON CADRE INSTITUTIONNEL COMME PRÉALABLE À LA VIABILITÉ DE L'OPTION DE MONNAIES NATIONALES AUTONOMES Le démantèlement de la zone franc et donc la disparition de son cadre institutionnel constituent un préalable essentiel pour l'accession des pays africains à l'autonomie monétaire individuelle et/ou collective. C'est la condition nécessaire pour la création de monnaies nationales qui seraient gérées par chacun des pays africains, ou pour l'émergence, à terme, de monnaies régionales dans le cadre de nouveaux regroupements sous-régio- DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE 313 naux (à l'instar des sous-ensembles actuels que sont l'UEMOA et CEMACS). a) Pour un démantèlement concerté et organisé de la zone franc L'opinion la plus répandue actuellement récuse l'idée de création de monnaies nationales dans chaque pays de la zone CFA, arguant que cette voie conduirait à la faillite de ces États, lesquels manquent d'expérience en la matière et de ressources suffisamment stables pour soutenir une monnaie capable de faire face aux enjeux de l'heure. On s'arrête généralement à ce type d'arguments pour rejeter l'option de l'autonomie monétaire 9 . Mais pourquoi donc ne s'est-on jamais situé dans l'hypothèse, que nous suggérons, d'un démantèlement volontaire et organisé de la zone franc, que les protagonistes rendraient le plus constructif possible? Un processus dans lequel la France accepterait de s'impliquer pleinement et pour lequel sera sollicité le concours des institutions financières internationales (le FMI et la Banque mondiale en l'occurrence). Et si l'alternative au refus de cette option est le départ individuel d'un des États de la zone, qui déciderait de se désolidariser des autres membres, et par ce fait même, occasionnerait la dislocation de l'ensemble dans des conditions les plus incontrôlables? C'est pour mieux prendre le contre-pied des considérations défaitistes qui rejettent l'opportunité de l'émergence de monnaies nationales en pays africains de la zone franc, que nous posons l'hypothèse audacieuse de la mise en œuvre, par l'ensemble des membres de cette construction, d'un processus de démantèlement concerté, organisé et constructif du système monétaire franco-africain, dans le but: 1°) de restaurer dans chaque État membre la souveraineté monétaire et de rétablir chaque entité nationale dans son identité monétaire propre ; 2°) de préparer chacun des États concernés à se prendre en main et donc à assumer les pleines responsabilités de son devenir monétaire, et économique. • De façon plus concrète, quelles modalités paraissent donc les plus opportunes pour le démantèlement de la coopération monétaire franco-africaine dans un sens qui soit compatible avec la création de monnaies nationales autonomes dans chaque pays de l'actuelle zone franc et leur gestion 8. Lesquelles entités sous-régionales n'auraient, à l'issue de l'éclatement de la zone franc, sans doute pas une meilleure efficacité. En effet, si l'on considère que ces regroupements n'ont d'essence véritable que du fait du soutien de la France et rien que de ce fait-là, il faut évidemment redouter que les difficultés ne s'accentuent si le concours de la France fait défaut. Quant à l'expérience, doit-on croire qu'il n'y a pas en Afrique des personnes compétentes et suffisamment aptes pour gérer des institutions monétaires ? Cette logique d'une mainmise de la France sur les relations avec l'Afrique non seulement obère l'évolution normale des rapports des États d'Afrique avec le reste du monde, mais que la conception dynamique des perspectives de progrès des sociétés africaines commande que l'on récuse cette vision qui, pour cela, est promise à déchoir. 9. C. Monga et J.-c. Tchatchouang (op. cit.) ont infirmé l'argument qui veut que des disponibilités en ressources suffisantes soient un préalable obligatoire à l'adoption d'une monnaie nationale autonome. 314 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC optimale? L'occasion que les pays africains doivent saisir est, pensonsnous, la perspective du passage à l'euro, entre 1999 et 2002, où théoriquement la zone franc n'aura plus d'existence de droit, quand le franc viendra à disparaître. La voie de la négociation organisée et concertée étant la plus appropriée en l'état actuel et la plus apte à déboucher sur un résultat bénéfique pour les parties prenantes, nous proposons que: ~ l'ensemble des pays africains de l'actuelle zone franc reconnaissent la nécessité d'une évolution autonome et responsable de leur construction monétaire et se concertent pour en approuver le bien-fondé; ~ la France approuve cette réalité comme étant une nécessité catégorique... et s'engage à soutenir l'évolution dans ce sens; ~ les deux parties - africaine et française - entrent en négociation pour étudier les modalités d'un démantèlement organisé du système monétaire actuel, selon un processus à mettre au point avec chaque partenaire et avec l'ensemble des participants dans le cadre des unions économiques et monétaires actuelles; ~ s'engagent des concertations bilatérales entre les États africains et la France ou d'autres partenaires occidentaux, y compris les institutions financières internationales - FMI et Banque mondiale en particulier -, pour le traitement des aspects techniques en vue de la concrétisation du projet. .. De véritables négociations et un esprit constructif sont donc nécessaires pour parvenir à une solution acceptable, qui préserve les intérêts des parties prenantes. L'évolution dans ce sens appelle un engagement décisif et surtout une mobilisation politique au plus haut niveau. Elle mérite également un investissement d'efforts et des volontés des parties impliquées, et nécessite le concours des institutions financières internationales. • L'implication de la France, son rôle et son concours, sont importants dans ce processus dont l'impact s'avérera bien plus historique que celui la dévaluation de janvier 1994. C'est l'occasion pour la France - promoteur de la zone franc - d'achever une décolonisation ratée; c'est le moment pour elle de mettre fin à une coopération infantilisante, ayant généré une forme d'assistance déresponsabilisante. L'acte responsable de la France dans ce sens signera la responsabilisation même des États africains. • La responsabilité des institutions financières internationales devrait être engagée dans l'aide à la reconstruction monétaire de l'Afrique. On peut avancer que si le Fonds monétaire international s'est impliqué dans le traitement de la question du réajustement du franc CFA, et que la Banque mondiale, son alliée, n'a pas ménagé son soutien à l'accompagnement de l'opération, la sollicitation des deux institutions de Bretton Woods pour un démantèlement constructif de la zone franc peut insuffler un nouvel élan et avoir une réelle allure libératrice pour les économies africaines. Toutefois, si la France n'est pas prête à envisager ce mal nécessaire et à œuvrer en toute responsabilité dans ce sens, c'est l'optique du départ indi- DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE 315 viduel qu'il faut envisager; cette éventualité est d'ailleurs prévue dans les conventions de 1972 et 1973. Dans la configuration actuelle de la zone franc, tout départ individuel d'un quelconque membre de cette construction nous paraissant devoir constituer à coup sûr l'onde d'implosion de la structure, celle-ci s'effondrera. b) En cas d'implosion de la zone franc Beaucoup redoutent qu'en cas d'éclatement incontrôlé de la zone franc (qui serait par exemple lié au départ d'un de ses membres) des mesures de rétorsion de la part de la France n'exposent à la déstabilisation le pays qui aurait pris la décision de partir. S'il est vrai que l'idée du démantèlement de la zone franc risque de ne pas être acceptée aussi facilement par les autorités françaises, il faut pourtant considérer les suites de cette éventualité avec réalisme. En effet, bien que dans l'immédiat des réactions en tous genres soient à redouter, on doit convenir avec les auteurs de Sortir du piège monétaire que le réalisme reprendrait vite le dessus, à savoir que les entreprises françaises (ou toutes autres) ne cesseront pas d'exploiter le pétrole, l'uranium ou le bois gabonais parce que le nom et la gestion de la monnaie locale auront changé 10. Ce réalisme appelé à reprendre le dessus veut que les acteurs - aussi bien français qu'africains - de l'épineuse problématique de la zone franc comprennent que «ce qui compte, c'est la poursuite d'intérêts mutuels bien identifiés et bien compris »; et qu'ils conviennent de ce que « l'aménagement du cadre institutionnel et politique dans lequel se conçoit et s'exerce la politique monétaire des pays africains de la zone franc ne peut que faire de ceux-ci des pays véritablement producteurs, c'est-à-dire des partenaires économiques à part entière, et non des bureaucraties entretenues et des États assistés» et qu'enfin, cela ne peut que s'avérer« un bien pour la France et pour l'Afrique Il ». Réalisme ou utopie? Seule l'orientation des événements dans le sens qui motive ces opinions peut nous le dire. Et même si l'histoire s'est habituée à ne toujours suivre que le cours que lui tracent ceux-là qui se donnent de la faire et de l'écrire, au moins, les esprits sensibles à la cause comprendront. B) POUR QUE SOIT VIABLE L'OPTION DE MONNAIES NATIONALES EN AFRIQUE DE L'ACTUELLE ZONE CFA De nombreux préalables sont nécessaires pour que l'expérience de création et de gestion de monnaies nationales soit bénéfique et pour qu'elle soit viable, ils touchent des aspects à la fois conceptuels, techniques, organisationnels et politiques par-dessus tout. Évoquons ici quelques conditions essentielles et d'ordre général. 10. Monga et Tchatchouang en veulent pour preuve le fait que le départ de la zone franc du Maroc, de la Tunisie, voire du Vietnam communiste, n'a pas suscité la marginalisation de ces pays (op. cit.). Il. Idem. 316 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC a) Dans le cas d'un démembrement concerté de la zone franc Dans ce cas - qui est le plus souhaitable des scénarios -, la mobilisation des efforts de tous les États concernés est essentielle pour que cette révolution monétaire puisse avoir quelque chance de réussite. Il est par ailleurs évident que le concours des institutions financières internationales, en soutien au projet d'émergence de monnaies nationales autonomes en Afrique de l'actuelle zone franc, est capital pour la viabilité du projet. Le défaut d'un tel soutien contribuera à entamer la crédibilité de l' opération. Un appel doit donc être adressé à ces institutions (FMI, Banque mondiale, communauté internationale ... ) pour leur contribution décisive à la reconstruction monétaire de l'Afrique. Au plan économique, le préalable essentiel à la viabilité de toute option transformatrice en pays de l'actuelle zone est la remise en cause des modèles actuels d'économie de rente. Les États doivent absolument œuvrer à la mise en échec de ces choix structurels qui sont aujourd'hui largement décriés, pour s'être avérés économiquement et socialement nuisibles l2 ; la persistance de telles orientations ne pourra que conduire à des pressions et à des risques réels, aux effets imprévisibles. b) Dans le cas d'une dislocation incontrôlable de la zone franc Dans ce cas de figure - qui pourrait procéder du refus des autorités de la zone de décider d'un commun accord de mettre fin à cette aventure qui n'a que trop duré -, la bonne foi et la bonne volonté de la France doivent se manifester pour reconnaître à l'État ou aux États qui choisiraient de sortir de cette organisation, leur droit d'opter pour une autre forme de gestion de leur devenir monétaire et économique. Le sens de responsabilité du principal promoteur de la zone franc voudrait que la France trouve à encourager l'initiative de ses partenaires africains et à les aider dans leurs nouveaux choix. Sa caution morale, au plan international, ne sera que des plus utiles pour le ou les pays africains qui préféreront l'autonomie monétaire. Par-dessus tout, ce sera aux pays africains, individuellement, de réfléchir en toute connaissance de cause, sur les options et les modalités par rapport auxquelles ils voudront que s'inscrive la réussite de l'aventure de l'autonomie monétaire. c) Sur les modalités pratiques de gestion d'une monnaie nationale autonome en zone franc Ces modalités portent sur des aspects techniques de gestion optimale de l'instrument monétaire, et concernent à la fois la recherche de la converti12. Serges Michailof qui, tout en dénonçant le caractère protectionniste de la zone franc, souligne que les pays de cette zone se sont depuis vingt ans engagés dans une impasse, du fait, entre autres, des stratégies rentières, recommande que l'économie administrée soit mise au rancart et que soient vigoureusement pourchassées les rentes de situations ... qui ont jusqu'ici miné le progrès des pays africains (cf. Serges Michailof, «Protectionnisme ou libre-échange en zone franc? », in Politique africaine, n° 58, juin 1995, pp. 101-125). DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE 317 bilité extérieure et le choix du régime de change le plus approprié pour assurer la viabilité des monnaies nationales et leur garantir une crédibilité interne et internationale auprès des opérateurs économiques et des autres pays partenaires. • L'obtention de la convertibilité de sa monnaie est considérée comme le point d'achoppement de toute prétention à l'autonomie monétaire pour un pays quelconque de la zone franc. Cependant, bien que la conquête de la convertibilité soit un processus difficile, qui nécessite des réformes économiques judicieuses et une gestion macroéconomique saine et rigoureuse, elle n'est pas pour autant insurmontable. Quatre conditions essentielles doivent être remplies pour obtenir la convertibilité 13: 1°) il faut réaliser l'équilibre financier interne, grâce à une politique budgétaire et monétaire saine ; 2°) l'équilibre financier externe doit être obtenu en fixant le taux de change à un niveau qui équilibre la demande et l'offre de devises sans restriction de change ; 3°) pendant la période d'ajustement de la politique intérieure ou du taux de change, il faut maintenir un niveau suffisant de réserves pour permettre au pays d'absorber les chocs endogènes ou exogènes sans devoir réintroduire de restrictions; 4°) il faut libéraliser le système des incitations afin que l'effet bénéfique de la convertibilité sur l'allocation des ressources s'étende au reste de l'économie. De tous ces critères, l'équilibre financier externe reste, en théorie, une condition nécessaire et suffisante de la convertibilité. Mais remplir ces critères et réunir les conditions pour atteindre l'objectif de l'équilibre financier extérieur peut nécessiter beaucoup de temps. Pour résoudre cette situation, le pays africain confronté au problème de convertibilité de sa monnaie nationale nouvellement créée pourrait, dans un premier temps, négocier avec la France ou tout autre pays, des facilités temporaires de devises qui lui permettraient, pendant la période de réforme ou d'ajustement, de faire face à des chocs éventuels l4 . • L'adoption d'une politique de taux de change appropriée est un critère fondamental dans la recherche d'une gestion optimale de la monnaie nationale. En effet, le choix du régime de change conditionne la nature et l'efficacité des ajustements nécessaires à la stabilisation des grands équilibres macroéconomiques et financiers. Dans la diversité des régimes de change et des formes de garantie monétaire auxquels un pays peut librement souscrire s'il se donne de remplir les conditions qui s'y prêtent, c'est le critère de souplesse qui doit guider le choix en la matière; les deux qualités principales d'un système monétaire convenable étant 1°) la flexibilité de ses mécanismes, laquelle souplesse 13. Cf. S. Nsouli, P. Cornelius et A. Georgiou, « Striving for Currency Convertibility in North Africa », Finance and Development, December 1992. 14. La formule pourrait être celle du compte d'avances ou des facilités « swap ». 318 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC permet à l'économie de s'ajuster assez rapidement aux circonstances changeantes; 2°) la garantie d'une monnaie stable, c'est-à-dire une monnaie essentiellement non inflationniste. Ainsi, la flexibilité du change étant reconnue comme le meilleur moyen à même de permettre des ajustements économiques en cas de chocs intempestifs qu'un pays est amené à subir, l'adoption d'une politique de change active nous paraît un choix recommandable pour les économies africaines. La réhabilitation de l'arme du taux de change comme instrument de politique monétaire, et donc de gestion économique, est essentielle pour ces économies; et c'est la maîtrise de cet aspect de la politique monétaire qui peut permettre, aux pays de l'actuelle zone CFA de faire évoluer la question monétaire vers une stratégie de développement dont ils auront eux-mêmes à tenir les leviers. Pour les pays du franc CFA dont le régime de change est la fixité, la pratique d'une politique de change active implique le choix d'une formule de rattachement plus appropriée : nous proposons un système de rattachement à un panier de monnaies 15 des principaux partenaires commerciaux. Cette forme de rattachement assurerait, d'une part, une connexion permanente à l'environnement réel de ces économies, d'autre part, assurerait des fluctuations en douceur de la monnaie nationale, sans préjuger a priori du sens de cette fluctuation. La préférence doit aller au système de parité discrétionnaire dans lequel le taux de change n'est pas déterminé par le marché, mais il est loin d'être arbitraire : la parité de la monnaie est fixée en fonction de critères bien précis, le critère principal étant le panier de devises des principaux partenaires commerciaux. Des expériences existent, qui montrent que l'option pour un tel système de rattachement, s'il s'accompagne de politiques économiques et monétaires nationales rigoureuses, est à même de conduire à des performances économiques appréciables 16 . Outre le respect d'autres conditions nécessaires relevant du domaine politique et institutionnel, et de critères techniques, la réussite de l'instauration d'une nouvelle monnaie dans un quelconque pays de l'actuel système monétaire de la zone franc dépendra étroitement de la façon dont ce projet s'inscrira dans une stratégie de développement d'ensemble, mûrement élaborée par le ou les pays qui retiendraient cette option. Le projet de développement dont il s'agit doit se fonder sur une politique économique nationale, soutenue par une politique monétaire volontariste favorisant l'accroissement de l'épargne intérieure et l'industrialisation. 15. Celles dans lesquelles sont libellées les exportations des pays de la zone franc. 16. On cite assez souvent les cas du Maroc et de la Tunisie (pour ne considérer que ces deux anciens pays africains de la zone franc) dont le système de change est le rattachement à un panier de monnaies de leurs principaux partenaires commerciaux. Lesquels pays présentent des résultats économiques appréciables. Mais l'on sait par ailleurs que de nombreux autres pays ont adopté le rattachement à un panier de monnaies pour neutraliser les effets des incertitudes résultant des fluctuations dans les taux de change sur leur économie. DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE 319 Une possible évolution vers une structuration et une consolidation régionale, voire continentale, des monnaies en Afrique? L'histoire de l'ambitieux projet d'union monétaire en Afrique de l'Ouest de la CEDEAO a montré l'utopie que constitue l'idée de création d'une zone monétaire exclusivement africaine. Cette tentative n'est en effet connue aujourd'hui que par l'échec qu'on lui prêtait d'avance et par l'insuccès qu'elle a subi. Mais si ce genre d'échecs - et il s'en compte tant d'autres - ont émaillé l'histoire monétaire et économique de l'Afrique, est-ce à dire que toute possibilité d'une évolution à terme vers une union monétaire régionale, voire continentale ne peut être envisagée? Est-ce que, une fois reconnue comme nécessaire, et tout aussi périlleuse, la mise en œuvre d'importantes réformes structurelles au sein des économies africaines, les États de ce continent ne sont-ils alors condamnés qu'à se contenter d'œuvrer pour « diffuser les dépendances 17 »? N'est-il pas envisageable, ainsi que s'interrogeait déjà Mamadou KoulibalylS, de concevoir les conditions possibles de création, à terme, d'un espace monétaire indépendant et stable en Afrique? A) À PROPOS DE COOPÉRATION INTERAFRICAINE ET DE LA CONTRIBUTION AU DÉVELOPPEMENT PAR L'INTÉGRATION RÉGIONALE ... , IL FAUT REPOSER LE PROBLÈME... « Le "développement" socio-économique [... ] postule des seuils minima indispensables en termes d'espace géopolitique, de dimension de population, de ressources naturelles, de débouchés, etc. », écrit T. G. Tété Adja10go 19. « Or, poursuit l'auteur, en Afrique, les États disposant de ces seuils minima se comptent au bout des doigts, la norme étant plutôt une multitude de micro-États d'évidence incapables d'accéder séparément à une envergure économique, culturelle et politique imposante ... » « Voilà pourquoi les jeunes Africains n'ont de cesse de proclamer la nécessité d'un réaménagement géopolitique de leur continent. Réaménagement qui tournerait résolument le dos au pernicieux héritage de la fameuse conférence de Berlin (fin l884-début 1885)20 ». 17. «Par une intégration euro-africaine» principalement... comme l'a constamment suggéré R. Sandretto (voir R. Sandretto, « Zone franc. Système monétaire européen. Système monétaire international », Information et commentaire, juillet-septembre 1987, article repris sous le titre « Rôle et place de la zone franc et du SME dans le système monétaire international », in Problèmes économiques, n° 2 065,9 mars 1989, pp. 9-15. 18. Voir M. Koulibaly, Le Libéralisme. Nouveau départ pour l'Afrique, Paris, L'Harmattan, 1992, p. 31. 19. Dans Lo. Question du plan Marshall et l'Afrique, Paris, L'Harmattan, 1989, pp. 77·78. 20. Ibid. 320 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC a) Une nécessaire redéfinition de l'espace géopolitique des entités à intégrer Le processus d'intégration régionale en Afrique - lequel a été mal posé dès le départ - rencontre, dans ce problème du réaménagement géopolitique des sous-régions et régions du continent, son point d'achoppement véritable. En effet, le cloisonnement actuel, émanant du néfaste partage de l'Afrique à Berlin, empêche les complémentarités naturelles de jouer et prive les PVD d'Afrique des avantages de spécialisation et d'économies d'échelle, la dimension des marchés d'un grand nombre de ces pays étant insuffisante 21 . Dans les conditions d'un tel cloisonnement, aucune forme d'intégration parmi celles jusqu'ici suggérées (surtout pas ces fallacieuses intégrations institutionnelles, et bureaucratiques) ne saurait être porteuse. Car, ce n'est que de la solution à ce problème de l'émiettement arbitraire de l'espace socioculturel, économique et politique du continent que l'on peut véritablement penser que « l'encouragement de la coopération régionale entre PVD serait un moyen efficace de contrecarrer [les évolutions dissonantes connues jusqu'ici] et [à même de contribuer] à une accélération de leur processus de développement 22 ». Sans un redimensionnement conséquent de l'espace géopolitique africain, les résultats de ces intégrations bureaucratiques sans véritables fondements économiques et basées sur « des critères exogènes, inadaptés et, partant, inopérants» sont connus à l'avance: ces constructions ne peuvent conduire qu'à l'échec; ou, pour le moins, aux maigres résultats qu'on leur connaît. Dans tous les cas, c'est en cette circonstance que la manifestation de la solidarité africaine devra se montrer effective et agissante; car, plus encore que dans les arrangements traditionnels (postcoloniaux pour la plupart), c'est ici que la solidarité dans l'action constructive et nouvelle aura son vrai sens. Ainsi, de la coopération renforcée entre les États africains (coopération dans l'autonomie) dépendra la dynamique susceptible d'effet de stimulation et, à terme, par le jeu de l'effet de groupe, pourra-t-on peut-être assister à l'émergence de dynamiques plus efficientes aux niveaux sousrégional, régional, voire continental. b) Juguler les entraves à l'intégration peut nécessiter de revoir les approches actuelles « Bien que de nombreuses tentatives de regroupement aient été faites dans les pays africains, avec plus ou moins de succès, il existe des difficultés considérables pour la réalisation d'une politique économique régionale 21. La Commission des communautés européennes. dans un Mémorandum de juillet 1971, a bien reconnu cette situation préjudiciable au développement de l'Afrique, cité par T. G. Tété Adjalogo, op. cit., p. 77. 22. Comme voulait encore le croire la Commission des communautés européennes dans le Mémorandum de 1971 (idem). DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE 321 et interrégionale. Ces entraves sont aussi bien politiques qu'économiques[concurrence entre les différents systèmes et choix de développement, divergences sur les lieux des implantations industrielles, manque de recherche des complémentarités entre États [... F3, etc. » Telles sont quelques raisons qui fondent la nécessité de reconsidérer le problème de l'intégration régionale en Afrique. Cette question doit être revue de fond en comble, et cela à tous les niveaux: - dans la définition même du concept d'intégration régionale; - dans le sens que l'on veut ou que l'on doit lui donner dans les sousrégions et régions de l'Afrique considérées; - dans la précision des objectifs que l'on tente d'atteindre par le recours à la régionalisation; - et enfin, dans les compatibilités mêmes de l'espace et des entités à intégrer. En outre, nous considérons que c'est au moment où, dans leurs orientations politiques, économiques et diplomatiques, les États africains auront fini de n'accorder la primauté qu'aux relations bilatérales verticales, et qu'ils prendront conscience de la nécessité d'affermir et d'intensifier la coopération horizontale ... dans le continuum des complémentarités socioculturelles qui caractérisent plusieurs des entités nationales de leurs régions, que ces pays et ces ensembles pourront donner un sens véritable au concept d'intégration régionale, et s'en servir pour la conception et la construction d'un développement véritablement communautaire. B) ... ET RECONSIDÉRER L' AMBmON AFRICAINE DE MONNAIES RÉGIONALES Le vieux rêve de l'unité africaine, repris par les tenants du courant panafricaniste et transposé au domaine de la construction monétaire, a fait concevoir par des auteurs l'idée d'une possible monnaie commune africaine 24 • En fait le report au domaine monétaire et économique des convictions qui, au plan politique, n'ont jamais eu d'écho véritable 25 commande que soit complètement reconsidérée l'essence même de ces ambitions. a) Purger les vieilles ambitions de leurs considérations naïves et de leurs aspirations utopiques Si l'on peut concevoir avec le professeur Abdoulaye Wade que « l'Afrique peut se développer avec des monnaies régionales 26 », nous pensons que c'est dans un espace régional redéfini (redimensionné) sur le plan géopolitique que peut s'inscrire une telle possibilité. La régionalisation des 23. Ibidem. 24. C'est par exemple le fondement du projet de création d'un Fonds monétaire africain tel que les chefs d'État africains, réunis au Sommet économique de Lagos, l'ont suggéré en 1980. 25. L'Organisation de l'unité africaine (OUA) n'aura guère, en plus de trente années d'existence, contribué véritablement au rapprochement politique des États africains, l'unité prônée est restée au stade d'une simple ambition que les chefs d'État et de gouvernement africains se contentent de se rappeler annuellement... 322 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC monnaies et des économies en Afrique, pour être désirable, n'a pas, en l'état actuel des structures et des systèmes politiques et économiques, de véritables assises. Cette base reste à construire. Et une option importante de la construction de ce socle est la conception d'une évolution selon la méthode de groupe, où les pays, sur la base d'appartenance géographique sousrégionale ou régionale, concevraient des regroupements sociopolitiques, économiques et monétaires dans le but de constituer, à terme, de grands blocs régionaux viables, lesquels intensifieraient les rapports entre eux, qui s'achemineraient alors vers des constructions plus intégrées pour créer une dynamique à l'échelle africaine. C'est cette perception qui inspire le schéma suivant dans lequel nous pensons que pourrait s'inscrire l'évolution prospective de la construction monétaire en Afrique. b) Schéma d'Une possible évolution de la construction monétaire en Afrique Ayant montré notre scepticisme quant aux opportunités qu'ouvrirait la perspective d'une zone euro en Afrique, qui conçoit qu'au plus tard en 2002, le franc CFA s'alignerait sur l'euro et la zone franc se glisserait naturellement dans la zone euro, et qui constitue le choix des officiels francoafricains, c'est l'optique de l'accession à l'autonomie monétaire et de la nécessité de consolider les dynamiques régionales africaines qui inspire le schéma ci-après ; lequel pose les grandes orientations que pourrait prendre la progression de la construction monétaire en Afrique. L'évolution de la construction monétaire en Afrique peut, selon l'optique des considérations développées dans cette réflexion, s'articuler comme suit: • démantèlement de la zone franc ; • consolidation sous-régionale de ses fragments après leur restructuration économique et monétaire ... sous l'expérience de gestion autonome de monnaies nationales ; • évolution des monnaies nationales (...), à terme, vers des monnaies sous-régionales consolidées (méthode de groupe). Il se construirait dans les différentes régions d'Afrique des unions monétaires à la dimension des entités sous-régionales ou régionales à constituer; par exemple: - en Afrique du Nord (Maghreb), émergerait et se consoliderait une union monétaire du Maghreb; - en Afrique de l'Ouest, serait instituée une union monétaire plus large qui transcenderait l'actuelle UEMOA en réintégrant les autres anciens membres; 26. Thèse défendue, entre autres, par Samir Amin qui, dès 1971, a développé des raisons pour lesquelles il lui semble que le dossier de la création éventuelle d'une "monnaie africaine" peut être valablement plaidé (cf. Samir Amin, in Impérialisme et sous-développement en Afrique, op. cit., p. 485, citant A. Wade, « L'Afrique peut se développer avec des monnaies régionales », Décennie Il, n° 7, oct. 1971). DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE 323 - en Afrique centrale, se construirait une unification monétaire partant d'un regroupement des États de cette sous-région qui dépasserait le cap actuel des pays de l'actuelle CEMAC, sur des bases nouvelles; - en Afrique australe, devrait se concrétiser l'émergence d'une zone rand, qui sous-tendrait la structuration monétaire de cette sous-région ; - monnaies uniques en Afrique du Nord, en Afrique de l'Ouest, en Afrique centrale et en Afrique australe; • évolution vers un rapprochement de ces entités monétaires sous-régionales, et cheminement vers une dynamique continentale, par le truchement d'une coopération politique, économique et monétaire interafricaine. • vers la concrétisation du rêve de l'unité monétaire du continent africain (?)... Conclusion La question des difficiles convergences entre les dynamiques économiques et monétaires au sein des pays africains de la zone franc est au centre de la problématique actuelle de cette construction ; elle interpelle toute réflexion sur l'avenir de ces pays. Les crises auxquelles les économies du franc CFA sont soumises depuis plus de deux décennies s'inscrivent dans cette inadéquation fondamentale entre les exigences d'une gestion optimale de la politique monétaire et la réalité d'évolutions économiques contraintes. Cette situation d'une impossible harmonisation des rythmes de progression des économies nationales et du mode de gestion monétaire communautaire - dont l'explication s'est trouvée dans le jeu d'un ensemble de contraintes multidimensionnelles inextricables qui minent les évolutions souhaitables - a placé les États africains dans une difficile conjoncture qui, aujourd'hui, rend nécessaire une mutation profonde de l'ordre monétaire établi, et indispensable la restructuration des économies nationales. Un double enjeu pour lequel seule l'option pour de nouveaux choix structurels plus judicieux nous semble à même de permettre aux États africains d'escompter un redressement véritable de leurs situations. Nous avons considéré l'avenir de la zone CFA en le situant par rapport aux enjeux qui se dessinent à l'horizon proche et lointain. Les termes de la réflexion ont conduit à inviter les PAZF à tourner résolument le dos aux logiques peu évolutives pour lesquelles ils ont opté jusqu'ici et qui ont irrémédiablement miné leurs évolutions respectives. Si bien que c'est d'une mutation totale de la logique monétaire de cette construction que nous est apparue pouvoir émerger une solution de redressement de l'économie de la zone franc. Ainsi, avons-nous suggéré non un simple réaménagement des mêmes mécanismes du système de change actuel- à l'instar des palliatifs trop souvent apportés jusqu' ici aux problèmes de cette organisation -, mais une mutation profonde et radicale de cette structure. 324 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Le démembrement de la zone franc - dans l'immédiat ou à terme - nous apparaît la solution qui s'impose pour l'évolution des entités qui la composent, afin de faire place à des conceptions novatrices qui seraient empreintes d'un esprit de responsabilité nationale, lequel esprit doit animer chaque pays et imprégner profondément les peuples et les dirigeants, qui seraient désormais placés devant les conséquences de leurs choix et de leurs actes, et surtout rendus pleinement acteurs du devenir de leurs peuples. Concevant que le redressement des pays d'Afrique centrale et d'Afrique de l'Ouest dépend de la restructuration de leurs économies, autant que d'une mutation complète de leur système de change, et que ce redressement, pour être viable doit s'inscrire dans le cadre d'une restauration de la responsabilité de chaque État dans la gestion de sa politique économique et monétaire, nous pouvons penser que le sursaut pour ce continent réside dans l'invention d'une nouvelle « utopie directrice» (selon le mot de Maurice Allais). Dans les États africains de l'actuelle zone CFA, l'option pour la réappropriation du pouvoir monétaire et économique, et leur domiciliation dans chaque entité nationale qui s'en servirait avec justesse pour la restauration de dynamiques nationales viables et, à terme, pour la consolidation des dynamiques sous-régionales et régionales selon un nouvel esprit et un nouvel élan de solidarité empreints de liberté et de responsabilité, peuvent-elles offrir des arguments à cette nouvelle « utopie directrice» à concevoir, et susceptible de représenter une voie de rechange à l'impasse actuelle? Bibliographie Begart A. (1994), « La situation de la zone franc africaine et l'éventuel rattachement du franc CFA à l'écu », Intervention au Congrès de l'Association des économistes de langue française, Luxembourg, mai. Berg E. (1993), « L'intégration économique en Afrique de l'Ouest. Problèmes et stratégies », Revue d'économie du développement, 2e trim. Boidin J.-c. 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Réflexions sur la crise et le devenir du système monétaire international, Paris, Économica (3e édition). Sandretto R (1994) (sous la direction de), Zonefranc: dufranc CFA à la monnaie unique européenne, Paris, Les Éditions de l'Épargne. Tchundjang Pouémi J. (1980), Monnaie, servitude et liberté: la répression monétaire de l'Afrique, Paris, Éd. Jeune Afrique. Vallée O. (1989), Le Prix de l'argent CFA: heurs et malheurs de la zone franc, Paris, Karthala. 14 L'ancrage du franc CFA à l'euro et la compétitivité internationale des pays de la zone franc Par Karamoko KANE Le franc CFA et le double ancrage Depuis le début des années 1980, les politiques des économies dominantes sont fondées sur l'idée de l'inexistence d'un arbitrage entre l'inflation et le chômage parce que les agents économiques souffrent de moins en moins d'illusion monétaire et parce que l'ouverture internationale leur donne la possibilité de se protéger contre la hausse des prix. Sous l'hypothèse d'une courbe verticale de Phillips, sinon croissante l , tout arbitrage à moyen et long terme entre l'inflation et le chômage est impossible et la priorité de toute politique monétaire doit être la lutte contre l'inflation. Ainsi de la politique monétaire allemande qui s'est adossée depuis la période de l'entre-deux-guerres, aux deux principes selon lesquels la banque centrale doit lutter contre l'inflation et qu'elle atteint d'autant plus facilement cet objectif qu'elle est indépendante des gouvernements qui sont soumis à l'alternance démocratique et sont, en conséquence, incapables de s'engager de manière crédible à développer ou à appliquer une politique désinflationniste. Le modèle monétaire allemand est une application pratique du modèle de Rogoff2. Devant la difficulté d'éliminer le biais inflationniste associé à la politique monétaire discrétionnaire par la définition d'une règle, qui sera forcément contingente à tous les états de la nature, la politi1. M. Friedman, « Nobellecture: inflation and uneployment », Journal of Political Economy, vol. 85,1977, pp. 451-472. 2. K. Rogoff, « The optimal degree of commitment to a monetary target », Quarterly Journal ofEconomies, 100, 1985, pp. 1169-1190. 328 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC que monétaire peut être confiée à un agent indépendant (le banquier central). Celui-ci accorde une plus grande pondération à la lutte contre l'inflation que le gouvernement. Les autorités politiques se lient ainsi les mains, en se dessaisissant de la politique monétaire au bénéfice d'un banquier central conservateur3. Sous ce rapport, le système monétaire européen (SME), du point de vue de la France, a fonctionné, comme un substitut au mécanisme du banquier central indépendant anti-inflationniste: la Bundesbank se présente comme le banquier central conservateur au sens de ROGOFF et la France, en ancrant sa monnaie sur le Mark, emprunte la crédibilité de la Bundesbank afin de faciliter sa politique de désinflation. L'engagement dans le SME revient ainsi pour le gouvernement français à se lier les mains du point de vue de la politique monétaire par un accord international qu'elle a conclu dans le cadre de la construction européenne. Avant le passage à l'indépendance de la Banque de France, l'ancrage du franc français au Mark a donc permis à l'économie française de crédibiliser sa politique de désinflation compétitive, réduisant ainsi les anticipations inflationnistes des agents économiques. Le choix de la France de l'aligner sur le Mark par le biais des mécanismes de change du SME traduit les liens entre le franc CFA et le système monétaire international caractérisés par un double ancrage: l'arrimage du franc français au Mark et la parité fixe entre le franc CFA et le franc français. C'est ce double ancrage qui a déterminé les rapports entre le franc CFA et les autres grandes monnaies comme le dollar et le yen. L'ancrage direct sur l'euro à partir du 1er janvier 1999 par le biais d'une parité fixe va correspondre à la disparition d'un échelon dans le positionnement du franc CFA face à la construction monétaire européenne. Les rapports entre le dollar, le yen, etc., et le franc CFA transiteront par l'euro et vont donc refléter le statut futur de la monnaie unique européenne. L'euro, monnaie de substitution au Mark Tous les observateurs se sont posé une question: pourquoi l'Allemagne accepte-t-elle l'unification monétaire avec des pays à monnaie et banque centrale moins crédibles, et ayant une plus faible aversion pour l'inflation? Le Mark domine en effet l'europe, et il est le pilier du SME. La monnaie allemande étant stable, et en conséquence l'Allemagne étonne lorsqu'elle accepte de troquer le Mark contre une monnaie européenne à l'avenir incertain. Le choix de ce pays a d'abord été un choix politique. Compte tenu de ses 3. Dans le modèle du banquier central conservateur de Rogoff, la réduction du biais inflationniste obtenue en confiant la responsabilité de la politique monétaire à un banquier central indépendant s'accompagne d'une plus grande variabilité de l'activité, ce qui conduit à imaginer « un degré optimal de conservatisme monétaire » comme le résultat d'un compromis social entre le besoin de stabiliser l'activité et celui de lutter contre l'inflation. L'ANCRAGE DU FRANC CFA À L'EURO 329 antécédents historiques, ce pays veut être le centre de l'Europe sans encourir une réaction de rejet de la part des peuples européens, il n'a aucun intérêt à brandir des signes extérieurs d'arrogance. En effet, la Bundesbank et les Allemands dans leur majorité ont été, dès le départ, défavorables à la substitution de l'euro au Mark, ce qui explique l'acharnement des dirigeants à obtenir la fixation de conditions suffisamment contraignantes pour convaincre leur opinion publique nationale que l'euro sera aussi bon que le Mark. D'autant que l' hyperinflation allemande des années 1920 a définitivement convaincu les habitants de ce pays que l'inflation est le mal absolu. Du 16 janvier 1923 au 15 septembre de la même année, le cours moyen mensuel du dollar en Mark est passé de 7185 à 98 860000 alors qu'un dollar coûtait 4,2 Marks en 1913 4 . De cette expérience, les Allemands ont tiré la conviction que la création monétaire doit être mise hors de portée de l'État, confiée à une Banque centrale indépendante des pouvoirs publics et dont la fonction unique est de maintenir la stabilité des prix, c'est-à-dire de défendre le pouvoir d'achat de la monnaie. Il existe ainsi deux conceptions de la politique économique, de la place qu'y occupe la politique monétaire ainsi que du rôle de la Banque centrale. Selon la première conception, la politique économique dans tous ses volets, y compris le volet monétaire, doit relever du gouvernement, responsable devant les électeurs et leurs représentants élus, devant aussi assumer la définition et l'application, rechercher la croissance économique, un niveau d'emploi élevé, l'équilibre extérieur et la stabilité des prix, qui n'est qu'un objectif parmi d'autres. Selon la seconde conception, qui s'est finalement imposée pour l' europe de la monnaie unique, la stabilité des prix est un élément essentiel de l'ordre économique de tout pays démocratique, au même titre que le respect de la propriété privée et la libre entreprise. La Banque centrale reçoit la mission, pouvant être inscrite dans la constitution, de défendre la stabilité des prix, le gouvernement exerçant son autorité en fixant les procédures de nomination des dirigeants de la banque, et en exigeant d'eux des rapports périodiques devant les pouvoirs exécutif et législatif. La Banque centrale allemande a toujours fonctionné dans le cadre de cette sacralisation de son rôle et de son indépendance. En France, la politique d'arrimage du franc français au Mark a autant de partisans que de détracteurs. Leurs positions respectives sur cette politique du « franc fort» se sont bruyamment manifestées lors de la crise du SME, en août 1993, lorsque les marchés - entendez les spéculateurs - ont obligé les autorités monétaires européennes à élargir les zones de fluctuation des monnaies entre elles autour de leurs cours-pivots de ± 2,25% ou ± 6% (pour l'escudo et la peseta) à ± 15 %. Le franc français pouvait désormais monter à 2,888 1 francs pour un Mark (contre 3,279 2 francs) ou descendre à 3,894 8 francs pour un Mark (au lieu de 3,430 5 francs) sans que les Ban4. A. Or1ean, « Une nouvelle interprétation de l'hyperinflation allemande nomique, vol. 30, nO 3, mai 1979, pp. 518-539. », Revue éco- 330 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC ques centrales soient obligées d'intervenir sur le marché des changes, ou de faire varier leurs taux d'intérêt. La spéculation, dénoncée par les hommes politiques n'était, bien entendu, en rien coupable. Les spéculateurs ne font que s'engouffrer, lorsqu'ils les identifient, dans les désalignements existant entre les politiques économiques nationales. Lorsque, pendant l'été 1993, ils ont anticipé un décrochage du franc, ils ont acheté des Marks pour pouvoir les revendre plus cher. La Banque de France et la Bundesbank, de guerre lasse, ont jeté l'éponge et les ministres des Finances de la Communauté européenne ont, le 2 août 1993, entériné l'orientation décelée par les marchés en élargissant les marges de fluctuations. Un franc « trop» solide avait poussé les opérateurs économiques à anticiper sa dépréciation d'autant plus que l'Allemagne, encore une fois, avait choisi d'éponger les conséquences inflationnistes d'un choc économique, la réunification allemande, par une politique monétaire restrictive. En août 1993, la France avait le choix entre les deux politiques économiques au centre du débat. Les uns lui signalaient qu'elle n'avait aucune obligation de suivre la politique des taux d'intérêt élevés de la Bundesbank et l'exhortaient, tout simplement, à une baisse importante de ses taux d'intérêt pour relancer l'activité économique en faisant enfin, de l'emploi, la priorité de sa politique économique. Les partisans de ce décrochage n'ignoraient pas qu'un tel choix exercerait un mouvement dépressif immédiat sur le change du franc par rapport au Mark, mais c'était le prix à payer pour une politique de relance ; ce processus impliquait la sortie du mécanisme de change du SME. L'inflation étant désormais vaincue, la France, estiment les partisans de cette thèse, peut faire l'économie de la récession en n'alignant pas sa monnaie et sa politique monétaire sur celles de l'Allemagne. Les adversaires de la thèse du désalignement, quant à eux, rappellent que l'expérience de la France, au cours des années 1970 et au début des années 1980, a suffisamment prouvé l'inexistence d'un arbitrage entre l'inflation et le chômage. La rupture du lien entre le franc français et le Mark signifierait, aux yeux des agents économiques, l'abandon de la préférence pour la stabilité des prix, or une faible inflation est dans une économie mondialisée le préalable à une croissance saine, durable et favorable à la création d'emplois productifs. Les partisans de l'arrimage du franc au Mark attribuent le chômage, élevé en France et dans les pays de l'Union européenne, principalement aux rigidités structurelles du marché du travail que les gouvernements doivent combattre, en réduisant les cotisations sociales des employeurs pour les emplois peu qualifiés, et en freinant l'accroissement du salaire minimum dans les pays comme la France où ce dispositif existe. Dans ce débat, bien entendu, aucun économiste n'acceptera l'idée de se prononcer pour l'inflation; plus personne ne défendant l'idée qu'une politique monétaire active soit efficace pour lutter contre le chômage. Le débat sur la politique économique en France se réduit alors à la possibilité ou non d'une inflation contrôlée. En dernière analyse, le choix pour un arrimage du franc français au Mark pour un voyage commun vers la monnaie unique est L'ANCRAGE DU FRANC CFA À L'EURO 331 un choix politique que tous les grands partis politiques en France ont finalement entériné, même si l'Allemagne, en apparence, est la « perdante» de l'unification monétaire européenne. Aujourd'hui, elle possède une monnaie crédible qu'elle va échanger contre une monnaie dont la crédibilité reste à asseoir aux yeux des marchés. Mais l'Allemagne a pris des garanties puisque l'euro sera le nouveau Mark européen. Seulement, ces garanties selon le modèle monétaire allemand feront en même temps de l'euro une monnaie abonnée à la surévaluation. Le pouvoir d'émission de l'euro sera confié à la Banque centrale européenne (BCE), organisme doté de la personnalité juridique et dont le capital sera réparti entre les Banques centrales nationales en fonction des critères du PIB et de la population 5 . La BCE jouira d'une totale indépendance puisque l'article 107 du traité indique clairement et précisément que « dans l'exercice de leurs pouvoirs et dans l'accomplissement des missions et des devoirs qui leur auront été conférés [...] ni la BCE, ni une Banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme [... ] ». Nommés par les chefs d'État ou de gouvernement des pays membres de l'Union économique et monétaire (UEM), les membres du conseil des gouverneurs exerceront un mandat de huit ans non renouvelable et ils définiront la politique monétaire de l'Union. Le Système européen des Banques centrales (SEBC) sera l'organe de coordination entre la BCE et les Banques centrales nationales. Une question, essentielle pour l'avenir des relations monétaires internationales, les relations États-Unis-europe et pour la compétition entre les pays en développement, selon la monnaie de rattachement de leur monnaie nationale, est de savoir si l'euro sera une monnaie forte ou une monnaie faible. La réponse à cette question réside déjà dans les mécanismes de gestion de la future monnaie unique et l'unanimité réalisée autour du choix d'une politique monétaire restrictive. Certes, il n'y a aucune liaison automatique entre l'existence d'une Banque centrale européenne et la pratique d'une gestion monétaire restrictive, mais le traité de Maastricht définit la lutte contre l'inflation comme la mission fondamentale, sinon exclusive, de la future Banque centrale européenne (BCE). Selon l'article 2 du traité, elle « a pour mission [...] de promouvoir un développement harmonieux et équilibré des activités économiques dans l'ensemble de la communauté, une croissance durable et non inflationniste, respectant l'environnement, un haut degré de convergence des performances économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les Etats membres». L'article 105 précise alors la mission de la BCE: «L'objectif principal du SEBC (Système européen de Banques centrales) 5. L'Allemagne détiendra environ 24% du capital et la France 18%. 332 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de l'objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la communauté en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de la communauté tels que définis à l'article 2. » Dès lors, toutes les conditions sont réunies pour que l'euro soit demain une monnaie forte; ce qui est d'ailleurs la condition minimale de réussite de la monnaie unique. D'ailleurs, l'importance relative d'une monnaie dépend de plusieurs facteurs pour certains desquels l'Union européenne semble posséder un avantage net sur les États-Unis d'Amérique: la taille de l'économie, la force de sa position extérieure, le poids de son marché financier. Pour ce dernier élément, l'avantage est, certes, en faveur de l'économie américaine dont le marché financier représente le double des marchés financiers européens intégrés, ce résultat devant être atténué par la valeur supérieure des obligations publiques émises dans l'Union européenne. Tous les experts conviennent, cependant, que les portefeuilles libellés en dollars vont se diversifier inéluctablement en faveur de l'euro, le seul désaccord portant sur la rapidité de ce mouvement. Or, les achats d'euro en vue de la diversification des portefeuilles auront un impact sur le taux de change entre l'euro et le dollar, qui en sera affaibli même si l'on peut penser que la diversification des réserves des pays tiers en faveur de l'euro ne se fera que graduellement. Dans tous les cas, la « phobie obsessionnelle de l'inflation 6 » des Allemands transposée à l'échelle européenne, conduira de l'avis quasi unanime des experts, ou bien à l'éclatement du système ou à une surévaluation permanente de l'euro face au dollar, au yen et aux autres monnaies. Mais n'est-ce pas l'un des objectifs fondamentaux de l'unification monétaire européenne que de contester le quasi-monopole du dollar comme monnaie de réserve mondiale? En effet, la substitution partielle de l'euro au dollar par les investisseurs internationaux, la politique monétaire restrictive de la BCE, les déficits commerciaux américains, le pacte de stabilité adopté par l'Union européenne pour empêcher tout dérapage budgétaire une fois que l'euro sera mis en circulation, sont des facteurs incitant à prendre le pari, sans grand risque de le perdre, que l'euro sera demain l'une des monnaies fortes du système monétaire international. Déjà, l'économie allemande est structurellement adaptée au choix d'une monnaie forte dont elle a su tirer tous les avantages tout en limitant les coûts par sa pratique de l'économie sociale de marché, synonyme d'un compromis dynamique entre les syndicats et le patronat. Une monnaie forte permet, au pays qui la pratique, d'obliger ses industriels à se spécialiser dans «le haut de gamme ». Elle permet aussi d'obtenir les produits intermédiaires étrangers à un moindre coût et de ne pas subir d'inflation importée. Elle implique, néanmoins, la pratique continue d'une désinflation compétitive. 6. G. Lafay, L'Euro contre ['europe?, Paris, Éd. ARLEA, 1997. L'ANCRAGE DU FRANC CFA À L'EURO 333 Le taux de change du FCFA et la compétitivité internationale des PAZ C'est en s'inscrivant dans le sens de la nouvelle économie mondialisée, et en n'oubliant pas le rôle stratégique du taux de change pour un pays en développement, qu'il convient d'envisager les implications d'un franc CFA surévalué. Selon le scénario le plus probable, le franc CFA sera rattaché à l'euro par un taux de change fixe, ce qui signifie qu'il suivra l'euro dans ses appréciations par rapport au dollar américain ou au yen et aussi, dans le même mouvement, par rapport aux monnaies des pays en développement, notamment d'Asie et d'Amérique latine rattachées au dollar, au yen et même aux DTS. Selon la thèse de R. Reich 7 , le monde du vingt et unième siècle sera de plus en plus un vaste champ de compétition pour les emplois parce que l'entreprise-réseau l'unifiera de plus en plus. L'analyse développée par Reich sur les emplois de l'avenir montre comment les pays en développement concurrenceront de plus en plus les pays industrialisés, pour la localisation des emplois standardisés liés à la production de masse. La population de chaque pays constitue pour l'entreprise-réseau une partie du marché international du travail et trois catégories d'emplois émergent sur ce marché: les services de production courante, les services personnels et les services des manipulateurs de symboles. Les premiers se caractérisent, non pas par leur secteur d'exercice, mais par leur nature répétitive. Étapes d'une séquence dont l'objet est d'élaborer des produits finis vendus dans le monde entier, ils incluent également les tâches de contremaître consistant en un contrôle répétitif du travail des subordonnés et la mise au point de codages standards pour les logiciels. Somme toute, ce sont de travaux routiniers rémunérés en fonction du temps de travail ou de la quantité de produit. Surtout, les services de production de masse, qui exigent des travailleurs essentiellement la fiabilité, la loyauté et la capacité à suivre des instructions, sont produits par l'entreprise-réseau là où le travail est le moins cher et le plus accessible. Aussi, Robert Reich 8 met-il en garde ses concitoyens américains, et incidemment les autres pays industrialisés: «Les travailleurs routiniers aux États-Unis sont, de ce fait, en concurrence directe avec des milliers d'autres travailleurs dans le monde. Chaque heure, la population mondiale s'accroît de plusieurs dizaines de milliers d'habitants, dont la plupart seront plus tard heureux de travailler pour une fraction des salaires que les travailleurs routiniers reçoivent aux États-Unis. » Les travailleurs routiniers des pays industrialisés sont ainsi placés en concurrence directe avec les travailleurs des pays en développement « pour saisir les manuscrits de grands éditeurs de Dallas ou Chicago, traiter aux 7. R. Reich, op. cit., chapitre 12. 8. R. Reich, op. cit., p.I92. 334 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Barbades et en République dominicaine, les billets utilisés par les clients d'Américan Airlines, «reçoivent de l'information, la mettent sous une forme lisible par un ordinateur et la renvoient à son point de départ, à la vitesse des impulsions électroniques 9 ». Ainsi, la compétition pour le travail routinier ne se limite pas à la production industrielle. Elle inclut aujourd'hui, et pour l'avenir, la programmation de routine lO • Les services personnels, deuxième catégorie d'emplois de l'avenir, concernent les employés de commerce, d'hôtels, d'agences immobilières, les serveurs et serveuses de restaurants, les caissiers, les infirmières, les babysitters, les femmes de ménage, les chauffeurs de taxi, les secrétaires, les coiffeurs, les mécaniciens, les hôtesses de l'air et stewards, les kinésithérapeutes et les agents de sécurité. Ces travailleurs effectuent également des tâches répétitives mais leurs services fournis de personne à personne, ne peuvent en conséquence être vendus dans le monde entier, si bien que ces travailleurs sont à l'abri de la concurrence directe de leurs homologues du reste du monde. Ils sont néanmoins des victimes indirectes de la compétition mondiale pour le travail routinier, parce que ces travailleurs, lorsqu'ils perdent leur emploi, vont concurrencer ceux-là dans leurs activités. Enfin, les services de manipulation de symboles correspondent aux chercheurs, ingénieurs, informaticiens, avocats, consultants, conseillers fiscaux et financiers, journalistes, publicitaires, éditeurs et professeurs d'université. Par la manipulation de symboles, des algorithmes mathématiques, des principes scientifiques, des techniques de persuasion, etc., ils montrent comment économiser du temps ou de l'énergie ou comment mieux transférer des actifs financiers. Ils inventent des technologies, des arguments juridiques, de nouveaux stratagèmes pour payer moins d'impôts, etc. Ils sont en concurrence dans une économie mondialisée, ou en tout cas ils le seront de plus en plus, avec des étrangers même dans leur propre pays. Pour R. Reich, seules des compétences dans ces services de manipulations de symboles contèrent un avantage compétitif parce que toute position reposant sur un travail de routine, facile à copier par définition, est vulnérable à la compétition mondiale. Le monde assistera à un transfert progressif des emplois de production courante des pays industrialisés vers les pays en développement, parce que l'avantage compétitif repose pour ce type d'emplois sur le coût salarial. Cela implique que les pays en développement seront en compétition pour accueillir ces emplois, et toutes choses égales par ailleurs, l'entreprise-réseau dirigera ses investissements vers les pays en développement où les coûts salariaux sont les plus faibles. En conséquence, une zone du monde en développement à monnaie surévaluée s'exclut elle-même de cette compétition mondiale. C'est le risque, quasi certain, que courent les pays dont la monnaie est le franc CFA, si leur monnaie devrait être rattachée par une parité fixe à l'euro, monnaie unique, au siècle prochain, des pays de l'Union européenne. 9. R. Reich, op. cit., p. 194. 10. L'anglais est donc la langue de la mondialisation. L'ANCRAGE DU FRANC CFA À L'EURO 335 Cette perspective amène à se poser la question de l'opportunité d'un rattachement du franc CFA à l'euro. L'inquiétude n'est pas qu'un tel mécanisme soit techniquement impossible. En termes techniques et de coût, le rattachement ne poserait aucun problème de coût ou de principe à la France et il faut croire les dirigeants français lorsqu'ils réaffirment leur disponibilité de continuer à garantir la convertibilité du franc CFA. La vraie question est de savoir si, dans un contexte de mondialisation, les pays africains n'ont pas plutôt intérêt à assumer un décrochage qui permettra à leur monnaie de refléter les « fondamentaux» de leurs économies. L'hypothèse d'une flexibilité gérée du change du franc CFA La création de la zone franc date de la seconde guerre mondiale, en 1939, lorsque la France instaura un système généralisé de contrôle des changes qu'elle dut, par la force des choses, étendre à ses possessions coloniales, le franc des colonies françaises d'Afrique (F CFA) circulant en Afrique-Occidentale française (AOF) et en Afrique-Équatoriale française (AEF). En 1960, tous ces pays accédèrent, isolément, à l'indépendance. Malgré cette dislocation des entités fédérales, les deux groupes de pays, chacun de son côté, maintinrent leur coopération monétaire sous la forme de deux monnaies communes dont ils conservèrent même les sigles: franc de la Communauté financière africaine - F CFA - en Afrique de l'Ouest et franc de la Coopération financière en Afrique - Franc CFA également - en Afrique centrale. L'Union monétaire ouest-africaine (UMOA), qui nous sert ici à illustrer les problèmes généraux du franc CFA, fut créée en 1962. La monnaie des pays membres est émise par la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) dont le siège est à Dakar. Le franc CFA d'Afrique de l'Ouest est rattaché au franc français" par une parité fixe mais révisable. Cette révision est intervenue en janvier 1994 après plus de 50 ans de stabilité, même lorsque la France, à la fin des années 1950, a échangé l'ancien franc contre le nouveau franc. Les accords par lesquels la France à l'heure actuelle assure la convertibilité du franc CFA datent de 1973, bâtis autour du mécanisme du compte d'opérations. Un compte -le compte d'opérations -, français sur lequel sont placées, à concurrence de 65 %, les réserves de change de cette banque centrale est ouvert au profit de la BCEAO dans les livres du Trésor. Le compte est libellé en francs français et il peut devenir débiteur pour des montants illimités et sans délai de remboursement. Ces découverts, en principe illimités, garantissent que les besoins en devises des pays de l'UMOA seront toujours 11. En même temps que les deux francs CFA, deux monnaies sont rattachées au franc français par une parité fixe dans le cadre de la zone franc: le franc comorien et le franc de la Communauté française du Pacifique (FCFP). 336 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC satisfaits, les francs français tirés sur le compte permettant d'obtenir n'importe quelle devise étrangère. Le franc CFA bénéficie ainsi, indirectement par le biais du franc français, d'une convertibilité illimitée 12. La garantie de convertibilité accordée par la France relève de l'ordre normal des choses, équilibrée par des dispositions prudentielles portant sur le niveau des avoirs extérieurs et le niveau des avances de la BCEAO aux différents Trésors nationaux. Le conseil d'administration de l'institut d'émission doit se réunir et prendre des mesures correctrices dès que le rapport des engagements à vue sur les avoirs extérieurs nets s'établit à un niveau égal ou inférieur à 20%, pendant au moins trois mois. La BCEAO doit aussi, en cas d'épuisement de ses disponibilités extérieures, ratisser à l'intérieur de l'union en demandant à tout organisme ressortissant détenant des devises de les lui céder contre sa propre monnaie. Dans le domaine des concours aux États, les avances que la BCEAO peut consentir aux différents Trésors publics sont plafonnées, en théorie, à 20% des recettes fiscales intérieures du dernier exercice écoulé. Étant entendu que toutes ces mesures prudentielles relèvent, finalement, des simples règles de la bonne gestion monétaire et c'est faire preuve, analytiquement, d'une mauvaise foi incommensurable que de les considérer comme des manifestations de la volonté de domination de la France. En supposant même la résiliation de l'accord de compte d'opérations, il s'agit de mesures qui demeureraient et qu'il faudrait éventuellement renforcer pour maintenir une monnaie digne de ce nom. Toutes les économies africaines sont entrées dans une crise profonde à partir du début des années 1980 sous l'effet de chocs exogènes, comme l'accroissement du prix du pétrole et les cycles de sécheresse conjugués à une mauvaise gestion macroéconomique. Dans les autres pays africains, hors zone CFA, la crise s'est répercutée rapidement sur la valeur interne et externe de la monnaie nationale. Mais dans l'UEMOA et en raison de la rigidité du rapport entre le franc français et le franc CFA, des économies malades et sous perfusion ont continué à présenter une monnaie dont la bonne santé constituait un défi à toute logique économique. Le franc CFA devint la monnaie de référence de tous les pays d'Afrique de l'Ouest qui s'en procuraient en dévaluant leur monnaie pour relancer leur compétitivité, obligeant la Banque de France à racheter du CFA par milliards en dehors de la zone franc. Entre 1985 et 1992, le franc CFA, arrimé au franc français, s'était apprécié par rapport au dollar américain, étranglant économiquement les pays de l'UEMOA, les marchandises des pays voisins, et même d'Asie, envahissant leurs territoires et réduisant à néant les efforts douloureux qu'ils avaient souvent accomplis dans le cadre des programmes d'ajustement structurel. 12. Lorsque le solde est débiteur, la BCEAO est endettée vis-à-vis du Trésor français et doit verser des intérêts. En sens inverse, un solde créditeur est rémunéré et en cas de dépréciation de la monnaie de compte - le franc français -, le solde créditeur est multiplié par un coefficient de correction de manière à maintenir sa valeur constante en DTS. L'ANCRAGE DU FRANC CFA À L'EURO 337 Cette surévaluation du franc CFA fut traitée, comme à l'accoutumée et à l'instar de tous les problèmes économiques franco-africains, comme un problème sentimental. La dévaluation du franc CFA par rapport au franc français, exigée par les institutions de Bretton Woods comme condition d'éligibilité de ces pays à leurs concours, fut présentée comme la catastrophe qu'elle ne fut point lorsqu'elle intervint le 12 janvier 1994. Quatre ans après la modification de la parité entre le franc français et le franc CFA, par une dévaluation de 50% du franc CFA, toutes les statistiques disponibles indiquent une nette amélioration des performances de croissance globale dans l'UEMOA 13 même s'il est bien vu, dans certains milieux, de s'indigner parce que chaque ménage n'a pas encore ressenti cette amélioration dans sa vie quotidienne. L'inflation, inévitable après une dévaluation, a été maîtrisée et les finances publiques dans tous les pays se sont nettement redressées pendant que les réserves de change ont été reconstituées. Ce bilan est cependant négligeable par rapport aux réorientations sectorielles qui sont attendues, à moyen et à long terme, et qui sont encore loin de se manifester. Les pays de l'UEMOA demeurent toujours à l'écart des flux internationaux privés de capitaux. Certes près de 40%14 de ces flux sont constitués d'investissements de portefeuille qui, à la moindre incertitude, quittent le pays d'accueil pour aller s'investir ailleurs 1S . Mais les capitaux privés représentent, à l'heure actuelle, plus des trois quarts des ressources extérieures totales des pays en développement, et sur ce total l'Afrique subsaharienne reçoit dix fois moins que l'Asie et autant que le seul Mexique. Or, le moteur de l'intégration à la partie dynamique de l'économie mondiale est l'investissement direct étranger et c'est par rapport à cette nécessité qu'il faut envisager le futur lien organique entre l'euro et le franc CFA. Les pays de l'UEMOA connaissent, désormais, les coûts extrêmement élevés de la surévaluation de la monnaie nationale et, en toute logique, ils ne sauraient s'engager dans une coopération monétaire dont la tendance prévisible les conduirait à une telle situation. Le mécanisme finalement retenu est celui d'un simple basculement du franc français sur l'euro. A priori, rien n'empêche techniquement ou politiquement, que la convertibilité indirecte que le franc français assure à l'heure actuelle au franc CFA lui soit désormais conférée par l'euro, l'accord de compte d'opérations étant reconduit, le seul changement portant sur le fait que le compte sera libellé désormais en euro. Le franc CFA flotterait alors par rapport au dollar et même par rapport aux monnaies des autres pays en développement exacte13. Le traité de l'UEMOA, signé en janvier 1994, n'a en rien aboli celui de l'UMOA, ajoutant simplement d'autres volets à la coopération monétaire. C'est la raison pour laquelle on peut encore légitimement parler de pays de l'UMOA, comme nous le faisons dans ce chapitre où notre intérêt porte sur le volet monétaire de la coopération. 14. Global Development Finance, Banque mondiale, Washington, 1997. 15. Les pays émergents d'Asie l'apprennent actuellement à leurs dépens (Thai1ande, Corée du Sud... ). 338 L'A VENIR DE LA ZONE FRANC ment comme le ferait l'euro puisqu'il serait rattaché par un taux de change fixe à la monnaie unique de l'Union européenne. En d'autres termes, le franc CFA pourrait devenir une monnaie abonnée à une appréciation et une surévaluation permanente sans aucun rapport avec les variables économiques fondamentales des pays dont il est la monnaie nationale. La conséquence serait une perte continue de compétitivité de leurs économies et la fuite des investisseurs directs étrangers vers d'autres régions du monde en développement. Il y a, techniquement, deux solutions à cette surévaluation structurelle possible du franc CFA. La première consisterait à conduire une politique de désinflation compétitive pour compenser la politique monétaire restrictive que ne manquera pas de pratiquer la Banque centrale européenne. Cette solution relève, à l'évidence, d'une vue de l'esprit et elle ne serait même pas suffisante pour empêcher un mésalignement du franc CFA. La deuxième solution consisterait à entrer dans un cycle de dévaluations du franc CFA par rapport à l'euro. Mais les dévaluations interviennent toujours avec retard sur les appréciations du taux de change réel. Cependant, les périodes de surévaluation entraînent des pertes de capacité de production à l'exportation et de parts de marché intérieur. Lorsque la dévaluation intervient, il faut du temps pour utiliser l'avantage qu'elle procure en terme de compétitivité pour reconquérir les positions perdues, parce que les capacités de production seront insuffisantes ou parce que les réseaux commerciaux auront été affaiblis. Dans le cas précis évoqué ici, l'euro aura eu le temps de se renforcer encore par rapport aux autres monnaies, aggravant la surévaluation du franc CFA. Une procédure envisageable consisterait à introduire une marge de flexibilité entre le franc CFA et l'euro permettant au franc CFA de s'apprécier ou de se déprécier par rapport à l'euro, chaque fois que les variations des « fondamentaux» des économies nationales l'exigeraient. Cette modalité ne devrait même être adoptée que pour une période transitoire. L'idéal serait que la BCEAO opte purement et simplement pour un taux de change flottant. Rien ne garantit, en effet, que le taux de change d'équilibre du franc CFA ne va pas rapidement se situer en dehors de la marge de fluctuation autorisée. Aussi, le seul comportement rationnel qui, aujourd'hui, s'offre à la BCEAO est d'accepter d'assurer la gestion du taux de change du franc CFA. C'est une nécessité qui découle de l'adoption par les pays de l'UEMOA d'une stratégie d'insertion dans le marché mondial. La surévaluation de leur monnaie, inévitable si elle était rattachée à l'euro par une parité fixe, entraînerait rapidement une demande de protection de la part des entreprises et conduirait au repli sur soi et au développement des importations frauduleuses. La gestion interne de la monnaie s'étant fortement libéralisée, il faut en généraliser la gestion externe par une intervention adéquate pour maintenir un taux de change équilibré ou même légèrement sous-évalué. Le rôle de la Banque centrale sera de stabiliser la valeur externe de la monnaie aux alentours de cette valeur d'équilibre de long L'ANCRAGE DU FRANC CFA À L'EURO 339 tenne. Elle devra distinguer dans ses interventions l'influence des facteurs transitoires qui, à court tenne, affectent le taux de change - facteur qu'il faut neutraliser - et les influences des facteurs pennanents qui détenninent le taux de change d'équilibre de long tenne. Les accords de coopération monétaire pourront être révisés avec la France. Si cette dernière souhaite apporter son concours à la BCEAO, lorsqu'elle estime son appui favorable à ses intérêts dans le cadre général d'une coopération rénovée, sous fonne de prêts ou d'avances en devises. Une fois l'habitude acquise par l'institut d'émission, commun aux pays de l'UEMOA, de gérer sa monnaie, aux plans interne et externe, ces accords deviendront progressivement caducs. La thèse de la nécessité d'aligner le taux de change sur les variables fondamentales de l'économie n'a d'ailleurs nullement besoin, il faut le préciser, que se vérifie l'hypothèse d'un euro fort à l'image du Mark, monnaie à laquelle va se substituer, dans les faits, la monnaie unique européenne. Imaginons une économie à monnaie CFA, lourdement endettée, et dont la dette serait principalement libellée en dollars. Cette économie, dans ce contexte, aurait tout à redouter d'une dépréciation du franc CFA par rapport à la monnaie américaine. Or, si la stratégie monétaire choisie par l'Union européenne, pour une raison quelconque, est de laisser l'euro se déprécier par rapport au dollar et si le franc CFA est rattaché à l'euro par un taux de change fixe, il y aurait une dépréciation mécanique du franc CFA par rapport au dollar, entraînant un alourdissement tout aussi mécanique de la dette. C'est pourquoi l'adoption d'un régime de flottement corrigé correspondrait à une véritable réorientation géographique de la stratégie monétaire des pays de l'UEMOA. Sur l'espace mondial, ces pays sont en compétition avec les autres économies africaines et simultanément avec les autres régions du monde en développement. C'est par rapport à ces économies concurrentes qu'ils doivent gérer la valeur externe de leur monnaie. Il vaut mieux que cette valeur externe reflète leurs propres données structurelles au lieu de refléter, artificiellement, les évolutions futures de l'euro, monnaie unique d'une Union européenne qui s'apprête à devenir la première puissance économique mondiale. L'enjeu est d'une importance fondamentale au moment où à travers l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), ces pays s'essayent à donner, enfin, un marché intégré à une monnaie dont l'existence résulte beaucoup plus d'une histoire économique commune -la période coloniale - que d'une coopération rationnellement définie et mise en pratique. Bibliographie Aglietta M. et de Boissieu Ch. (1998), « La responsabilité de la future Banque centrale européenne », Problèmes économiques, na 2573, 19-24. 340 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Alesina et Gatti R. (1995), « Independent Central Bank: low inflation at no cost », American Economie Review: 196-200. Artus P. (1998), « Quel est vraiment le sens de l'indépendance des banques centrales? », Problèmes économiques, nO 2553. Artus P. (1992), « Passage à l'union économique et monétaire en europe: effets sur la croissance et les politiques budgétaires », Économie et prévision, 106: 123-137. Capoen P., Sterdyniak H. et Villa P. (1994), «Indépendance des banques centrales, politiques monétaires et budgétaires : une approche stratégique », Observations et diagnostics économiques, 50, juillet. Fischer S. (1995), « Central Bank independence revisited », American Economie Review, 77 : 927-940. Kenen P.B. (1992), «EMU after Maastricht» Group of Thirthy, Washington. Wyplosz C. , « La France et sa politique économique en UEM », Économie internationale, 52 : 37-68. 15 1 FCFA = 0,001 54 euro? Macroéconomie du masochisme Par Célestin MONGA 1 Discipline is either self-discipline or it is nothing at all. (Chinua Achebe, The Trouble with Nigeria) Certains États abusent de la malchance au point de banaliser la notion de crise économique. C'est pourquoi le fait de discuter de l'optimalité du régime de change et du système monétaire adopté par les pays africains de la zone CFA depuis 1939 et toujours en vigueur en ce début du xx~ siècle semble relever d'une querelle banale, une de plus, sans grand intérêt. L'on hausse d'autant plus facilement les épaules à propos de cette affaire que, d'une manière générale, l'Afrique noire en général est mal partie: qu'ils soient ou non membres de la zone CFA, les pays africains affichent de bien piètres performances économiques pour les trente dernières années à quelques rares exceptions près. Le consensus silencieux est donc que l'on s'accommode discrètement de ce constat. Et que l'on postule la permanence de l'échec comme une espèce de contrainte quasi métaphysique nécessaire à la crédibilité de tout modèle de projection macroéconomique. Cette contribution exprime trois idées simples: • à cause d'arrangements monétaires opérés pendant la période coloniale et validés après les indépendances par divers textes, (dont notamment les conventions de 1972 et 1973), les pays de la zone CFA ont vécu dans l'illusion de disposer d'une monnaie convertible supposée permettre l'afflux de capitaux privés dont ils avaient besoin pour financer leur développement; • Cette construction idéologique défiant la logique macroéconomique et pourtant érigée en science explique largement certaines des principales dif1. L'auteur s'exprime ici à titre personnel. Les idées exposées dans cet article ne sauraient engager la Banque mondiale. 342 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC ficultés macroéconomiques observées aujourd'hui dans toutes les capitales francophones, de Dakar à Brazzaville; • soucieux d'améliorer le fonctionnement de la zone CFA avec l'adoption de l'euro comme monnaie unique des Quinze, les pays africains, la France et l'Europe organisent actuellement une convergence artificielle des économies africaines, ceci au travers d'une opération de « tropicalisation» hâtive du traité de Maastricht. Or, ils gagneraient tous à organiser un démantèlement de l'actuelle zone CFA, la création de monnaies nationales, et l'établissement de nouveaux mécanismes de solidarité budgétaires et monétaires correspondant davantage aux logiques d'intégration économique, sociale et politique des pays considérés. La première partie du texte explore quelques-uns des mythes qui ont alimenté le discours dominant sur cette question au cours des dernières décades. La deuxième esquisse quatre scenarii d'avenir, se focalisant sur celui qui semble rallier le plus de suffrages dans la communauté des décideurs, l'hypothèse d'un rattachement du franc CFA à l'euro après l'an 2002. Quelques idées fausses au sujet de la zone CFA A quoi reconnaît-on un bon système de change 2 ? Rudi Dombusch affirme que c'est celui qui apparaît comme étant le plus ennuyeux possible à ceux qui voudraient faire de l'arbitrage, celui dont on est tellement accoutumé à tous les méandres du fonctionnement que nul n'en parle plus. Car à partir du moment où des chercheurs et des hommes d'affaires discutent de l'efficacité du système de change d'un pays lors des repas, à partir du moment où l'on spécule à longueur de journée dans les bistrots sur ce que devrait être la prochaine décision de politique monétaire, c'est qu'il y a un problème ... Cette boutade d'un des spécialistes les plus connus des problèmes de change exprime simplement la problématique de fond à propos de l'avenir de la zone CFA. C'est en effet le premier paradoxe de la zone CFA que près de soixante ans après sa création, l'on discute encore de sa validité, du fonctionnement de ses mécanismes, et de l'opportunité de son système de parité fixe. Pourtant, cette union monétaire continue de jouir dans de nombreux cercles académiques et politiques d'une extraordinaire présomption d'efficacité. Rarement une incongruité économique aura si longtemps bénéficié de l'assentiment des chercheurs et des concepteurs de politiques économiques. L'objet de cette étude n'est pas d'effectuer un bilan de la zone CFA. Je m'intéresse surtout aux différents scenarii d'avenir, utilisant pour cela 2. Il existe des querelles d'écoles sur la sémantique des expressions « système de change» et « régime de change ». Par souci de clarté, l'une ou l'autre expression est utilisée indifféremment dans ce texte. 1 FCFA =0,00154 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME 343 l'information disponible aujourd'hui. Avant d'en esquisser les plus probables, je voudrais consacrer la première partie de ce texte à quelques-uns des mythes colportés au sujet de la zone CFA, mythes qui lui ont permis d'échapper longtemps à une analyse économique rigoureuse. Mythe n° 1 : «Le franc CFA est une monnaie africaine.» Tchundjang Pouémi avait ouvert un débat inachevé sur cette question en écrivant que « le franc CFA, c'est une chimère: ce qui circule à Abidjan, à Dakar comme à Lomé, c'est bien le franc français à cent pour cent. .. La France est en effet le seul pays au monde à avoir réussi l'extraordinaire exploit de faire circuler sa monnaie dans des pays politiquement libres» (1980 : 2527). Certains y ont vu un « faux débat », proclamant que la nationalité d'une monnaie n'a qu'une importance marginale et que seules comptent sa fonction et son importance économiques pour la société. Or, s'agissant du franc CFA, c'est précisément là que le bât blesse. Si l'on définit la monnaie comme étant avant toute chose une créance à vue sur le système bancaire, comme le suggère Tchundjang lui-même, force est de reconnaître que les coupures qui circulent actuellement de Dakar à Brazzaville remplissent assez bien cette fonction. Mais il faut aller au-delà de cette définition pour percevoir l'importance de la question. En effet, si Feldstein observe que tous les États du monde ayant une certaine dimension disposent de leur monnaie - « There is no sizable country anywhere in the world that does not have its own currency» (1997: 61) -, c'est parce que l'histoire du développement économique dans le monde et l'équation du progrès social à travers les âges semblent lui accorder une place capitale. En tout cas, sur le plan historique et politique, il est pour le moins hasardeux d'affirmer que le franc CFA est une monnaie africaine. Il suffirait d'ailleurs de se rappeler la définition originelle de ce sigle (( franc des colonies françaises d'Afrique») pour se rappeler les conditions de sa création. Le fait que la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) émette désormais le « franc de la Communauté financière de l'Afrique », alors que la Banque des États de l'Afrique centrale émet le « franc de la coopération financière africaine» ne change rien aux circonstances qui ont déterminé la mise en place de la zone CFA3. L'importance de la dimension politique, sociale et psychologique de la monnaie n'est donc pas négligeable. Mais sa nationalité a également une grande importance économique puisqu'elle détermine son destin. Par définition, la notion de frontière nationale disparaît dans le cadre d'une union monétaire. Il est cependant utile de noter que la zone CFA a ceci de particulier qu'elle ambitionne de regrouper comme « partenaires égaux» d'anciennes colonies et l'ancienne métropole. Les conventions de coopération monétaire et les statuts de la banque centrale prévoient une place de choix pour la France, y compris au conseil d'administration des deux ban3. Sur l'histoire de la naissance de la zone franc, voir Yansané (1984). Sur l'interprétation juridique et politique des circonstances de cette naissance, voir Monga (1997b). 344 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC ques centrales de la zone. Dirait-on du dollar qu'il s'agit d'une monnaie américaine si le conseil des gouverneurs de la Fédéral Réserve Bank était dominé par des cadres nommés par le gouvernement britannique, si sa parité se déterminait par rapport à la livre, si la productivité et le revenu par habitant à Londres étaient quarante fois supérieurs aux niveaux enregistrés à Washington, et si les grandes décisions de politique monétaire et de change étaient exclusivement déterminées par les considérations de stratégie de croissance en Grande-Bretagne? Mythe n° 2: «Le franc CFA est une monnaie totalement convertible garantie par le Trésor français. » Que signifie la convertibilité externe d'une monnaie? En théorie, c'est sa capacité à servir librement d'instrument de transactions commerciales internationales entre les agents économiques de tout pays. En pratique, une telle définition pose des problèmes de mise en œuvre. On s'aperçoit en effet que les autorités monétaires de tous les pays disposent de divers moyens directs ou indirects de limiter la convertibilité d'une monnaie. Il suffit par exemple d'augmenter la pression fiscale sur les opérations de transfert de fonds de façon à décourager les éventuels acheteurs de devises. C'est pourquoi certains auteurs comme Sachs et Wamer (1995) tiennent désormais compte du niveau de taxation des transferts dans la définition de la convertibilité. S'agissant de la zone CFA, il convient d'abord de se rappeler que la convertibilité totale et les possibilités de transferts libres de fonds qui découlent des accords de coopération monétaires de 1972 et 1973 ne sont plus véritablement respectées: depuis août 1993, le rachat des billets de banque exportés en dehors du circuit bancaire officiel est «provisoirement suspendu» (selon les termes de communiqués officiels publiés par les deux banques centrales à cette occasion). Quelles que soient les justifications financières et économiques fournies par les autorités à cette occasion (Ossie 1995), le fait est que la convertibilité du franc CFA est soumise depuis cette date à des restrictions officielles. Le corollaire de la convertibilité tant célébrée du franc CFA est la notion de «garantie illimitée» accordée par la France. Ce mythe défie toute logique: l'idée d'avoir une devise partagée par plusieurs pays souverains mais nécessitant tout de même le soutien d'un autre pays pour être prise au sérieux devrait paraître suspecte. Pour en mesurer l'incongruité, il faut observer le schéma d'une transaction commerciale impliquant l'achat de devises. Un homme d'affaires burkinabè, désireux de s'offrir une machine-outil américaine auprès d'un fournisseur installé à San Antonio au Texas, ouvre un crédit documentaire auprès de sa banque à Ouagadougou. Celle-ci s'adresse alors à la BCEAO nationale qui, à son tour, sollicite les services centraux à Dakar. L'institut d'émission demande alors à la Banque de France, intermédiaire obligée, d'acheter des dollars pour couvrir cette opération, et de débiter en contrepartie le compte BCEAO tenu dans ses livres 1 FCFA =0,001 54 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME 345 et géré par le Trésor français. Où intervient la garantie de la France dans ce circuit? On peut se poser la question, puisque la Banque de France n'exécute l'ordre d'achat de dollars qu'en contrepartie d'un débit, soit sur un compte largement créditeur car centralisant 65 % des avoirs en devises de l'ensemble des pays de l'UEMOA, soit sur un compte débiteur dans des limites préalablement autorisées (Yansané, 1984), et selon des conditions de taux qui ne sauraient pénaliser sa propre trésorerie. De quoi parle-t-on lorsque l'on proclame une « garantie illimitée» ? Mythe n° 3: « Le franc CFA favorise la stabilité macroéconomique. » La stabilité macroéconomique au sein de la zone CFA est actuellement assurée par le biais de dispositions limitant les avances annuelles que les banques centrales peuvent accorder aux États: ces concours ne devraient pas excéder 20 % des recettes fiscales nationales de l'exercice précédent. Cette règle s'impose dans une union monétaire; en effet, si chaque État avait le loisir de financer son déficit public par la création monétaire, la pression inflationniste épuiserait rapidement les réserves de change de la zone. Si l'on admet l'équation: (1) <1> = 0+E+y où <1> représente le déficit budgétaire, 0 la création monétaire, E les emprunts intérieurs (crédits accordés par le secteur privé), et y les emprunts obtenus à l'extérieur, la question qu'il faut alors se poser dans le cas des pays de la zone CFA est celle de savoir quelle est l'efficacité pratique des dispositions adoptées. Or, diverses études empiriques sur la question montrent que la discipline budgétaire et la stabilité macroéconomique n'ont jamais été véritablement respectées au sein de la zone 4 . En effet, l'équation (1) indique bien qu'il ne suffit pas de contrôler 0 pour maîtriser l'évolution de <1>: en se focalisant sur la création monétaire directe (emprunts des États auprès des banques centrales), les concepteurs de la zone ont délaissé E et y, n'appliquant aucun plafond ni aux emprunts à l'étranger, ni aux refinancements des emprunts d'États auprès des banques centrales, ni aux emprunts garantis par l'État. Par ailleurs, à différentes époques, des pays comme le Bénin et le Niger ont été expressément dis4. Voir Devarajan et Walton, 1994. 346 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC pensés de la règle des 20%, ceci en raison des circonstances particulièrement difficiles auxquelles ils étaient confrontés. En théorie, le plafond sur les emprunts extérieurs est fonction de la réputation, la crédibilité et la solvabilité de chaque État. En pratique, l'on s'est aperçu que des banquiers imprudents n'avaient pas hésité à prêter bien audelà de la capacité d'endettement de nombreux pays en développement. Dans le cas de la zone CFA, certains pays comme la Côte d'Ivoire, le Sénégal ou le Cameroun ont sollicité des crédits fort coûteux auprès des marchés financiers où ils ont, bien souvent, trouvé des prêteurs imprudents. Le fameux compte d'opérations qui devait servir, entre autres, à limiter l' endettement extérieur n'a pas fonctionné comme prévu. Les « grands » États de la zone ont ainsi vécu et continuent de vivre sur le dos des « petits », puisque leurs déficits budgétaires pèsent sur l'ensemble de l'union. Ceci est encore plus évident lorsque l'on considère les montants et l' évolution des emprunts intérieurs autres que les avances dérivées de la règle des 20%. Certes, ceux-ci n'influencent pas mécaniquement le niveau des prix mais ils altèrent le niveau d'endettement réel de chaque pays, ainsi que les comptes globaux de la banque centrale. Ainsi, depuis une dizaine d'années, un des aspects les plus importants des programmes de restructuration des systèmes financiers des pays de la zone a été de transférer les créances bancaires non recouvrées auprès des États sur la banque centrale. Les « grands» pays (Côte d'Ivoire, Sénégal, Cameroun) sont ainsi parvenus à imposer à la BCEAO et à la BEAC leurs dettes impayées auprès des banques commerciales. Or la banque centrale ici appartient à tous les pays de l'union, et ceux-ci se retrouvent en fait en train de régler des factures qui ne les concernent pas. Comme l'observent Devarajan et Walton, « en finançant une partie de leur déficit budgétaire par accumulation d'arriérés à l'égard du secteur privé, [ces États] ont exporté leur déficit dans l' ensemble de l'union ». (1994: Il). Le succès des pays CFA en matière d'inflation, par opposition aux pays africains non membres de la zone, est la raison principale pour laquelle certains auteurs recommandent non seulement le maintien de l'union, mais son extension. Collier (1991) estime ainsi que la présence d'un partenaire comme la France permet d'exercer une vraie discipline sur la gestion de la politique monétaire et suggère la généralisation de ces instruments de contrainte (agencies afrestreint). A cette thèse, l'on peut opposer le fait que la seule maîtrise du niveau d'inflation ne saurait constituer un objectif de politique économique. Pour emprunter le langage du président gabonais Omar Bongo (1998), « On ne mange pas la paix! », On ne « mange» pas la maîtrise de l'inflation! Ce d'autant que l'idée largement répandue selon laquelle le franc CFA favorise les investissements en Afrique francophone ne résiste pas à l'analyse empirique (Monga, 1997a). Mythe n° 4:« La parité actuelle du franc CFA est la bonne•.. » Cette déclaration ponctue chacun des communiqués publiés ces dernières années à l'issue des réunions de la zone franc. Le sous-entendu ici est évident: « II 1 FCFA =0,00154 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME 347 n'y aura pas de dévaluation du franc CFA. » Dans une étude récente, deux économistes du FMI la reprennent à leur compte: « The prospective shift in the link of the CFA franc from the French franc to the Euro will constitute a significant political and psychological change for the economic operators in the CFA franc zone. However, the shift willleave the CFA franc arrangements and operatingfeatures of the zone essentially unchanged, white the CUITent parity of the CFA franc could be considered as broadly in line withfundamentals [... ] At any rate, the authorities ofthe CFA countries have already announced their intention to maintain the parity of the CFA franc vis-à-vis the French franc in shifting the peg to the Euro, thus precluding any new dévaluation of their CUITency » (Hadjimichael and Galy, 1997, 5, 22). Il s'agit là d'une approche plus politique et émotionnelle que technique de la monnaie. C'est la même perception qui a conduit le président gabonais Omar Bongo à confesser récemment: «Je ne le cache pas: j'étais un fervent antidévaluation. Quand je suis arrivé à Dakar, je l'ai dit au ministre français de la Coopération, Michel Roussin, et à mon ami directeur général du FMI Michel Camdessus, ainsi qu'au représentant de la Banque mondiale. Devant tous mes collègues, je leur en ai fait baver. Ah oui! Ils ont obtenu ce qu'ils voulaient, mais ils en ont bavé!... Le Gabon n'a pas beaucoup profité de la dévaluation parce qu'il n'est pas un pays à vocation agricole. Ce sont surtout ceux-là qui ont profité de la dévaluation. Pas les pays tournés vers l'industrie ou les matières premières. Effectivement, on s'est fait avoir. .. » (1998: 88.) Les responsables politiques et les dirigeants d'institutions financières qui profèrent ce type de déclarations ne font que leur travail - il ne manquerait plus qu'ils annoncent à l'avance l'imminence d'un changement de parité de la monnaie dont ils sont supposés défendre la valeur. .. Mais l'illusion du propos tient ici au fait qu'en toutes circonstances et pour toute monnaie, il est présomptueux de proclamer que la parité du moment est la bonne. Car en fonction des méthodes et des indicateurs que l'on choisit d'observer, de la période de base définie, et des postulats adoptés pour un certain nombre de variables reflétant les « fondamentaux de l'économie », le taux de change réel d'équilibre peut avoir des valeurs très différentes 5 . Lorsque l'on affirme avec conviction que la parité de la monnaie est « la bonne », sans expliquer les raisons techniques qui ont conduit à une telle conclusion, le diagnostic ressemble à une incantation liturgique ou idéologique. 5. Par ailleurs, il est important de préciser l'horizon temporel dont il est question lorsque l'on évalue le taux de change réel (TCR) et ses déterminants. Car les facteurs qui influencent le TCR à court terme (différentiels de taux d'intérêt par exemple) ne sont pas les mêmes que ceux qui l'influencent sur la longue durée (propension à épargner ou à investir par exemple). De plus, selon que l'on choisit une année de base en examinant les périodes d'équilibre dans le passé, ou que l'on essaie de prédire quel sera le TCR d'équilibre dans le futur, ceci par projection des « fondamentaux » de l'économie, les méthodes de travail et les résultats peuvent être très différents. Cf Clark et al. (1994). Voir également la synthèse de Bénassy (1993). 348 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Problèmes méthodologiques. Il y a plus de cinquante ans, Nurkse a défini les caractéristiques d'un taux de change d'équilibre: celui-ci doit permettre l'équilibre de la balance des paiements tout en respectant trois conditions: (i) ne pas poser des restrictions aux flux commerciaux; (ii) ne pas offrir d'incitations spéciales aux entrées ou aux sorties de capitaux; (iii) ne pas provoquer de chômage excessif (1945). Autrement dit, le taux de change d'équilibre doit faciliter l'équilibre interne - défini comme étant, grosso modo, une situation de plein emploi sans distorsions importantes au niveau des politiques économiques - et l'équilibre externe -, c'est-à-dire un solde soutenable de la balance des paiements. Un changement de parité n'intervient donc que pour ramener le taux de change réel (TCR) à son niveau d'équilibre. Les déclarations tonitruantes, démentant catégoriquement plusieurs années à l'avance l'opportunité d'une dévaluation du franc CFA, ne reposent sur aucun argument scientifique sérieux. Car aucun des États de la zone CFA ne dispose actuellement de l'appareillage et des outils statistiques nécessaires à une évaluation précise du TCR. Les estimations disponibles dans ce domaine sont généralement les indices publiés par les banques centrales et les institutions financières internationales. Elles sont effectuées soit selon la méthode de la parité des pouvoirs d'achat (PPA), soit selon la méthode FMI. Or, l'une et l'autre méthode ont d'importantes limitations qui altèrent la force des conclusions que l'on peut en tirer. Les limites de la parité des pouvoirs d'achat. S'agissant de la méthode PPA6, il existe trois variantes: (i) la loi du prix unique qui considère que les prix individuels des marchandises homogènes dans différents pays devraient s'égaler; (ii) la variante de PPA absolus, qui étend la loi du prix unique par produit à l'ensemble des produits commercialisés et implique que le prix d'un panier de biens et services identiques, exprimé dans la même devise, devrait s'égaler dans tous les pays; (iii) la variante de PPA relatifs, qui considère seulement que l'évolution du taux de change nominal exprime la différence entre les taux d'inflation domestique et étranger, sur les mêmes paniers de biens et services. Les travaux empiriques consacrés à l'examen de ces différentes variantes de la méthode PPA tendent à conclure que la loi du prix unique est valide pour les matières premières et les produits homogènes vendus sur des marchés bien organisés, moyennant les ajustements imposés par les conditions particulières de chaque contrat. Mais elle résiste mal à l'analyse lorsqu'on l'applique aux produits manufacturés soumis à la compétition internationale. La validité des deux autres variantes est également pénalisée par les différences de coûts de transport et d'information entre les pays, et les barrières institutionnelles au commerce international (tarifs et quotas), qui limitent la capacité des entreprises et des ménages à profiter des différences de prix entre pays. 6. Voir la collection d'articles publiés autour de ce thème par Dombusch (1988). 1 FCFA =0,00154 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME 349 Résumons: bien qu'étant intuitivement séduisante, la méthode PPA n'offre pas de résultats suffisamment solides, il est donc imprudent de se satisfaire d'un TCR calculé sur la base de la méthode PPA pour conclure que la parité actuelle du franc CFA est la bonne. Il y a plusieurs explications à cela: d'abord, les effets d'hystérésis 7 dus aux coûts d'ajustement en matière commerciale, peuvent provoquer des déviations du TCR. Exemple: les exportateurs sénégalais de thon peuvent ne pas profiter d'un accroissement des prix sur le marché parce que les structures de production ne permettent pas de satisfaire le surcroît de demande. Les flux commerciaux ne réagiront alors pas aux changements survenant au niveau du TCR. Deuxième cause possible de déviation: l'existence de produits différenciés implique que les différentiels de taux de croissance et d'élasticité de revenu entre pays peuvent constituer d'importants déterminants des tendances à long terme du TCR.1l n'est donc pas aisé de distinguer les évolutions de TCR reflétant des changements structurels et ceux correspondant à de véritables gains de compétitivité. Ainsi, si la demande mondiale pour le coton malien baisse, les prix baisseront et le TCR d'équilibre aura tendance à se déprécier, les autorités maliennes auraient tort dans ce cas-là d'interpréter cette dépréciation réelle comme étant un gain de compétitivité. Une troisième cause de déviation du TCR est la rigidité des prix des biens et services lorsque ceux-ci sont exprimés en monnaie dans laquelle ils sont commercialisés. En cas de changements imprévus du niveau de la masse monétaire, les prix tendent à évoluer de façon erratique. Ainsi, face à un accroissement permanent du volume de monnaie en circulation, le taux de change nominal se déprécie d'abord, passant même en dessous de son niveau d'équilibre, puis, il remonte progressivement pour se stabiliser à son niveau d'équilibre 8 • Ce phénomène provoque donc un décalage dans les processus d'adaptation des marchés financiers (qui réagissent immédiatement aux chocs exogènes) et des marchés de biens et services (qui s'ajustent à moyen terme). Enfin, un quatrième facteur affectant le taux de change d'équilibre et perturbant la théorie des PPA est le différentiel de productivité dans les secteurs des biens échangeables et non échangeables. Pour le comprendre, il faut se rappeler que dans ce monde de plus en plus globalisé, l'offre et la demande de biens échangeables s'équilibrent audelà des frontières des nations, ce qui n'est pas le cas pour les biens non échangeables. En effet, la compétition internationale finit par égaliser grosso modo les prix des biens échangeables, alors que les prix des biens non échangeables peuvent varier considérablement d'un pays à l'autre. Si l'on utilise comme base de calcul du TCR entre deux pays des indicateurs incluant les deux catégories de biens-indice des prix à la consommation ou 7. Le tenne « hystérésis » provient de la physique. Il est utilisé par les économistes pour désigner un phénomène dont les effets demeurent quand bien même la cause a disparu. Blanchard en énonce bien le principe d'une phrase lapidaire: «The dependence of a variable on its whole history » (1997: 418). Voir également Blanchard and Summers (1986). 8. C'est la fameuse notion du « overshooting » élaborée par Dombusch (1988). 350 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC le déflateur de PIB, le résultat est évident: les pays enregistrant des gains de productivité plus rapides dans le secteur des biens échangeables (industries tournées vers l'exportation) que dans celui des biens non échangeables (services) afficheront une nette tendance à l'appréciation de leur TCR. Si demain la Côte d'Ivoire, comme le Japon hier - et d'ailleurs la plupart des pays industrialisés -, réalisait des gains de productivité plus rapide que ses partenaires commerciaux de l'UEMOA dans le secteur des biens échangeables, la monnaie ivoirienne s'appréciera d'autant. Au-delà de l'indicateur FMI. A une époque où les changements structurels de l'économie mondiale influencent largement le taux de change d'équilibre des économies ouvertes, il est donc clair que la compétitivité d'une économie ne saurait se mesurer simplement au travers des indicateurs du style PPA comme le font les services des banques centrales de la zone CFA. Il importe d'évaluer l'ensemble des facteurs qui affectent cette notion pour établir un diagnostic complet. Allant au-delà des méthodes de PPA, le FMI utilise pour les pays en développement une méthode de calcul plus ambitieuse du taux de change effectif réel (TCER) basée sur l'indice des prix à la consommation et une estimation de la répartition des exportations par principal partenaire commercial. Cette méthode a également de nombreuses limites: d'abord, le calcul des indices de prix et celui des exportations posent de nombreux problèmes dans les pays de la zone CFA9. Ensuite, cet indicateur se focalise sur la notion de compétitivité internationale et postule le caractère immuable du taux de change d'équilibre sur une durée relativement longue - ce qui n'est évidemment pas le cas pour des économies soumises à d'importants changements structurels. En fait, il serait utile d'étendre l'analyse du TCER au cadre macroéconomique global et d'étudier tous les facteurs qui influencent le taux d'équilibre. En zone CFA comme ailleurs, pour identifier véritablement les déterminants du TCER et calculer le niveau d'équilibre, deux étapes sont nécessaires: identifier les variables macroéconomiques qui permettent à chaque pays d'atteindre l'équilibre interne et externe et calculer les taux du change qui est cohérent avec ces variables. Un diagramme suggéré par Krugman et Obstfeld (1996) permet de poser schématiquement le problème. Si l'on met le TCR sur l'axe des ordonnées et la demande résultant d'une politique budgétaire expansionniste en abscisse, l'on peut représenter graphiquement les équilibres macroéconomiques. Pour le comprendre, il faut reprendre l'équation initiale des comptes nationaux. Celle-ci prescrit 9. Un seul exemple: il y a toujours une différence de 25 à 50 milliards de FCFA entre les chiffres d'exportations dans les balances de paiements du Burkina Faso publiées par le FMI et la BCEAO. Ce montant non négligeable - de 17 à 35 % du total des exportations en 1997 - représente ce que les experts burkinabè considèrent comme étant d'« autres exportations» échappant à la sagacité des services douaniers, mais reconstituées sur la base de billets de banque rachetés aux pays voisins par l'agence nationale de la BCEAO. S'ils ont raison, alors le TCER calculé par le FMI ne reflète pas la réalité économique du terrain. 1 FCFA =0,001 54 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME 351 Figure 1. Évolution du TCER-FMI dans trois pays de l'UEMOA 120.0 100.0 b....n. ...A.~ 80.0 ~ 60.0 40.0 -Sénégal - -+ - Côte d'Ivoire --O--Burkin4 20.0 0.0 .... a:> ~ g;; ~ ;: &! '" Cl< ;. .... Cl< ~ .... Cl< Source: FMI, International financial statistics, and World bank, African development indicators, 1997 que la demande globale pour la production d'un pays est la somme de la consommation C, de l'investissement J, des dépenses publiques G, et de la balance courante BOP. La consommation est une fonction croissante du revenu disponible (Y - T), Y étant la production et T le niveau net des impôts et taxes. Le surplus courant de la balance des paiements est une fonction croissante du taux de change réel EP* /P et une fonction décroissante du revenu disponible (E est le taux de change nominal, P* le prix d'un panier de biens à l'étranger, et P le prix local du même panier). Si l'on suppose l'investissement constant, la condition d'équilibre macroéconomique interne peut s'écrire: yi - C(Y - T) + 1 + G + BOP(EP*/P, Yf - T) Cette équation montre bien les instruments de politique économique qui influencent la demande et donc la production, tout au moins à court terme. Une politique budgétaire active (augmentation des dépenses publiques ou baisse des impôts et taxes) stimule la demande globale et accroît la production. De même, une dépréciation du TCR rend les produits locaux moins chers et augmente également la production. Les autorités peuvent donc théoriquement maintenir la production à un niveau de plein emploi stable en jouant sur la politique budgétaire ou la politique du taux de change. L'équilibre interne est représenté par la courbe I* , qui exprime les combinaisons de niveaux de TCR et de politique budgétaire assurant le plein emploi. Sa pente est descendante car une dépréciation du TCR (exprimé en unités de francs CFA pour un dollar) ou une politique d'expansion budgétaire tendent à augmenter la production. Pour maintenir celle-ci constante et assurer l'équilibre interne, toute appréciation de la monnaie ayant pour effet de réduire la demande devrait être compensée par une politique budgétaire active. A droite de la courbe I* , la politique budgétaire est plus expansionniste que nécessaire pour maintenir le plein emploi, ce qui signifie (2) 352 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC TCER Politique budgétairr .ctI"e que les facteurs de production sont sur-utilisés. A gauche, c'est le contraire: la politique budgétaire est trop rigide et il y a un chômage excessif. Par ailleurs, le recours à ces outils affecte évidemment l'équilibre extérieur. Pour en analyser schématiquement les effets, l'on peut imaginer un objectif précis défini dans ce domaine par les autorités. Appelons-le BOP* . Pour atteindre ce niveau de balance courante, les autorités doivent adopter des politiques budgétaires et de taux de change satisfaisant l' équation suivante: Compte courant (EP*/P, Y - T)BOP Pour des niveaux de prix donnés (p* et P), une augmentation du taux de change nominal E (dépréciation) améliore la balance courante. Mais une politique budgétaire expansionniste a l'effet inverse car l'augmentation du revenu disponible est souvent détournée vers les importations, si le gouvernement dévalue la monnaie (il augmente E) et voudrait tout de même maintenir sa balance courante à un niveau donné de BOP, il doit donc en même temps augmenter les dépenses publiques ou diminuer les impôts et taxes. L'équilibre externe est illustré ici par la courbe BOP*, dont la pente est ascendante pour indiquer cette relation. Ces deux courbes divisent le graphique en quatre zones représentant chacune les effets combinés possibles des instruments utilisés. Le recours simultané à la politique budgétaire et au taux de change peut aider à mouvoir l'économie nationale vers le point d'équilibre que représente l'intersection des courbes (A). Il suffit de regarder les statistiques macroéconomiques des pays de la zone CFA pour conclure que la plupart d'entre eux sont bien loin du point A. La situation était certes plus grave encore au début de la décennie quatre-vingt-dix: après avoir mis en œuvre pendant plusieurs années et sans succès des politiques budgétaires nationales destinées à modifier la demande totale des biens et services (politique de changement des dépenses), ces pays ont dû en janvier 1994 recourir au changement de parité du franc CFA. Cet ajustement ambitionnait de modifier la direction de la demande (politique de substitution) en décourageant les importations pour rendre la production nationale plus attrayante. (3) 1 FCFA =0,001 54 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME 353 y sont-ils parvenus? L'objet de cette étude n'étant pas d'évaluer l'impact de la dévaluation de] 994,je me garderai d' un jugement péremptoire et globalisant. Mais il est clair cependant que les principaux objectifs énoncés par le communiqué publié le jour de l'annonce de cette opération sont encore loin d'être vraiment atteints (amélioration de la compétitivité, afflux des capitaux privés et reprise des investissements, règlement du problème de la dette extérieure, accroissement de la production et amélioration « substantielle» du revenu par habitant. .. ). Il suffit d'ailleurs d'essayer de placer les pays de la zone CFA sur le graphique ci-dessus pour réaliser l'ampleur du travail qui reste à faire: la plupart d'entre eux se trouveraient en zone 3, là même où le chômage cohabite avec un déficit excessif de la balance courante. En conclusion, peut-on affirmer que la parité du franc CFA actuellement est la bonne? La réponse juste, mais triste et décevante, est que les concepteurs de politiques publiques n'en savent rien du tout. Mythe n° 5: « La zone CFA facilite l'intégration économique et politique en Afrique. » La plupart des partisans de la zone CFA affirment que celle-ci contribue au rapprochement des économies et des peuples africains. Un tableau fourni par Hadjimichael et Galy (1997) et présentant la part du commerce intrazone pendant près d'un quart de siècle (1970-1993) donne une assez bonne idée de la faiblesse des relations commerciales entre les membres de la zone. Tableau 1 - En pourcentage du total du commerce extérieur Au sein de la zone CFA Part du commerce Bénin 5,1 Burkina 22 Cameroun 6,1 Centrafrique Tchad Comores Congo 3,5 14,5 0,0 1,5 Côte d'Ivoire Guinée-Équatoriale Gabon Mali Niger Sénégal 16,6 2,6 23,3 6,3 9,0 Togo Moyenne des pays CFA 6,5 8,9 Au sein de l'UEMOA Bénin Burkina Côte d'Ivoire 4,9 21,9 Mali 7,6 6,5 23,2 354 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Niger Sénégal Togo Moyenne des pays de l'UEMOA 6,2 6,0 5,8 10,6 Au sein de la CEMAC Cameroun 4,3 Centrafrique 3,2 Tchad Congo 13,3 0,7 Guinée-Équatoriale 16,2 Gabon 0,8 En moyenne, le commerce intra-zone CFA représente environ 9 % du commerce extérieur des États membres de l'union (10,6% en Afrique de l'Ouest et 6,4% en Afrique centrale). Par comparaison, plus de 60% du commerce extérieur des pays de l'Union monétaire européenne s'effectue actuellement entre eux - ceci avant l'adoption de la monnaie unique. Même si l'on admet qu'une fraction non négligeable des échanges commerciaux en Afrique se fait de manière informelle et n'est pas enregistrée dans les statistiques douanières, la part du commerce intra-zone CFA demeure très faible. L'intégration économique dont on parle tant tarde à se matérialiser. Une des principales explications à ce paradoxe tient à l'adoption de politiques protectionnistes, comme l'explique Michailof (1995). Mais de nombreuses autres raisons peuvent être invoquées, tenant aussi bien à l'histoire qu'à la culture. S'agissant du rapprochement politique, il faut noter que les deux traités créant l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale (CEMAC) ont été signés au lendemain de la dévaluation du franc CFA pour accélérer l'intégration. Il suffit cependant d'observer les entraves à la libre circulation des personnes en Afrique centrale pour mesurer le chemin à parcourir en matière de flexibilité du marché du travail. De même, il faudrait écouter certains dirigeants politiques ivoiriens célébrer le culte de 1'« ivoirité » pour s'interroger sur la réalité de leur agrément en faveur de l'intégration. Quatre scénarios d'avenir La discussion ci-dessus montre bien pourquoi l'avenir de la zone CFA est incertain. Dans cette deuxième partie, je présente et commente quatre scénarios parmi les plus probables, tout en étant bien conscient de ne pouvoir être exhaustif ni sur les options possibles, ni même sur les détails de la mise en œuvre des scénarios retenus ici. 1 FCFA =0,001 54 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME 355 Scénario A: s'arrimer à un taux fixe à ['euro? Macroéconomie de ['illusion Le scénario officiel de la transition. Confinné par les communiqués publiés à l'issue de chacune des réunions des ministres de la zone franc, ce scénario est le suivant: le franc français devient le 1er janvier 1999 une dénomination nationale de l'euro, à une parité qui est irrévocablement fixée à cette date. Le franc CFA subira automatiquement la même transformation, devenant subrepticement une subdivision africaine de l'euro. Toujours selon la thèse officielle, ces évolutions ne modifieront pas la garantie de convertibilité à taux fixe du franc CFA et du franc comorien par rapport à la monnaie européenne. Un communiqué de la zone l'affinne (Zone franc, 1998): « Les accords de coopération qui lient la France et les unions monétaires de la zone franc et les Comores seront maintenus dans leur contenu actuel» - même si le contenu en question n'est pas forcément clair pour tout le monde. Le franc CFA conservera son cours légal et la France « continuera d'en garantir la convertibilité ». Sa parité étant définie par rapport au franc français (au taux actuel de 1 FCFA = 0,01 FF) et le franc français étant une subdivision de l'euro jusqu'en 2002, la valeur de l'euro en francs français connue le 1er janvier 1999 détermine mécaniquement le même jour la valeur de l'euro en francs CFA. La valeur de l'euro en francs français est exprimée avec six chiffres significatifs (1 euro = 6,559 57 FF); au cours actuel, 1 euro vaudrait 6,56 FF, soit 656 FCFA, et 1 FCFA vaudrait 0,001 54 euro. Confinnant ces arrangements, le chef de l'État ivoirien Henri Konan Bédié résume bien le propos de ses pairs de la zone CFA lorsqu'il affinne: « Le franc CFA, depuis sa dévaluation de 1994, est parfaitement compétitif et assure pleinement sa fonction de relance de l'économie ouest-africaine. Au nom de quelles règles voudrait-on changer la parité? L'euro ne fera que conforter les tendances positives qui contribuent à sa stabilité. L'Union européenne vient de donner son accord à la garantie de notre monnaie par le Trésor français. Notre monnaie se convertira librement en euro le jour où le franc français disparaîtra. Avec la garantie du franc français» (1998: 31). L'euro sera très probablement une monnaie forte. C'est un choix politique inspiré notamment par l'Allemagne, et justifié sur le plan technique par le fait que cette nouvelle devise ambitionne de se poser directement en concurrent du dollar américain comme unité de compte des transactions internationales et valeur-refuge lO • La politique monétaire envisagée par la future Banque centrale européenne (BCE) reflète d'ailleurs cette volonté d'établir la crédibilité de la monnaie en privilégiant l'objectif de stabilité 10. Dornbusch.(1998) doute de fa capacité de la Banque centrale européenne d'imposer l'euro comme concurrent du dollar. tout au moins pendant les premières années de son lancement. Quant à Krugman (1998), il s'interroge sur les bénéfices réels de disposer d'une monnaie qui sert de devise internationale. 356 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC des prix clairement exprimé dans le traité de Maastricht, et confirmé par différentes dispositions du Pacte de stabilité et de croissance. Le simple suivi d'objectifs préalablement fixés pour les agrégats monétaires ne saurait suffire pour atteindre cet objectif, dans un contexte d'incertitude à propos de la demande de monnaie et du fonctionnement des mécanismes de transmission. Agissant comme « agent )) d'un groupe de pays aux situations économiques différentes, la BCE devra établir des règles de mise en œuvre d'une stratégie monétaire draconienne impliquant notamment la poursuite d'objectifs d'inflation et la manifestation d'une réputation d'indépendance (Begg, 1997). Dès lors, la question qui se pose pour les pays de la zone CFA est de savoir si, du point de vue économique, ils ont véritablement intérêt à établir une parité fixe avec une monnaie aussi forte. Quand bien même ils auraient intérêt à le faire, l'autre question qui vient à l'esprit est de savoir s'ils auraient les moyens d'une telle politique. Les attraits de l'euro-CFA. D'un point de vue purement conceptuel, l'idée d'un franc CFA rattaché à l'euro peut susciter un certain enthousiasme a priori. Les défenseurs de cette thèse soulignent: - (i) la possibilité offerte aux économies africaines d'accéder librement au large marché européen. Cette possibilité apparaît d'autant plus probable aux yeux des optimistes qu'actuellement, les pays de l'Union européenne constituent le premier marché et les principaux fournisseurs de la zone CFA: entre 1990 et 1996, l'Union européenne a fourni en moyenne 46,3% des importations de l'UEMOA, et 66,3 % de celles des pays de la CEMAC. Elle a également acheté 49,3% des exportations de l'UEMOA, et 50,2% de celles de la CEMAC II ; - (ii) le gain de stabilité dans la gestion des transactions commerciales internationales et l'attrait procuré par la puissance de l'euro. La nouvelle monnaie européenne aura besoin d'établir rapidement sa crédibilité. La BCE adoptera donc une politique monétaire visant à inciter les détenteurs de capitaux à détenir des actifs libellés en euros. Ceci provoquera dans un premier temps une réallocation des portefeuilles d'actifs en dollars, et une nette appréciation de cette devise (overshooting 12 ) ; - (iii) le faible niveau d'inflation procuré par la baisse des taux d'intérêt en Europe. Quelques dangers pour l'Afrique de l'euro-CFA. Il ne faudrait pas céder à l'illusion: ce scénario est trop optimiste pour être vrai. (i) Il n'est absolument pas sûr que le rattachement du CFA à l'euro ouvre davantage les marchés européens aux industries africaines. Ceci pour plusieurs raisons: l'élasticité-prix des exportations est assez faible en zone CFA comme on a pu le voir après la dévaluation de 1994 (inefficacité des systèmes financiers, problèmes juridiques administratifs structurels de Il. Source: Direction of Trade Statistics. 12. Voir Artus (1996) et Bergsten (1997). 1 FCFA =0,00154 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME 357 l'environnement des affaires, médiocre qualité des systèmes de transports et de communication, etc.). Par ailleurs, la dépréciation des monnaies asiatiques au cours des douze derniers mois, estimée de l'ordre de 30 à 40%, affecte indirectement la compétitivité des pays africains qui offrent les mêmes produits. (ii) Le rattachement du franc CFA à un euro fort provoquera une appréciation continue et progressivement insoutenable du TCER. Pour des économies ouvertes, aucun danger n'est plus menaçant que celui-là. Car si des mesures ne sont pas prises pour ramener le TCER à son niveau d'équilibre, l'on enregistrera une nette baisse des investissements, l'aggravation du chômage et la fuite des capitaux. (iii) L'instabilité des revenus d'exportations et du poids de la dette pourrait s'aggraver. Les économies des pays CFA dépendent largement des cours des matières premières libellés en dollars. Or il est hautement probable que la Volatilité de l'euro (et donc de l'euro-CFA) à l'égard des autres grandes devises sera plus importante que par le passé. BénassyQuéré et al. estiment qu'à cause de l'importance accrue du commerce intra-européen, la BCE se préoccupera moins de l'instabilité de la parité euro-dollar ou euro-yen. Pour les pays africains, cela signifiera aussi une plus grande incertitude sur les coûts financiers des importations et de la dette extérieure. (iv) La vulnérabilité des économies CFA se percevra davantage dans l'évolution des termes de l'échange. Si, pour l'instant, les statistiques disponibles indiquent un certain maintien depuis la dévaluation de 1994, l'on est encore bien en deça du niveau de 1987. Par ailleurs, les projections de l'évolution des prix des principales matières premières sont peu optimistes. Lorsque l'élasticité-prix de la demande d'importations est faible et les possibilités de substitution des biens échangeables par les biens non échangeables réduites, toute dégradation des termes de l'échange requiert une dépréciation importante de la monnaie pour maintenir l'équilibre macroéconomique. Scénario B: décrocher de l'euro et maintenir la zone CFA? Les dilemmes de lafratemité Pourquoi ne pas maintenir l'existence d'une zone CFA dont la France se serait retirée? Cette thèse est le plus souvent exprimée par les économistes africains plus soucieux de la prédominance du rôle joué par la France au sein de la zone, que des principes théoriques de sa validité. Car si les avantages d'une telle option paraissent indéniables, l'on s'aperçoit à l'analyse qu'ils demeureraient cependant essentiellement de nature politique. L'argumentation développée ici a donc généralement un caractère plus politique qu'économique. Or la principale critique que je formule ici à l'endroit de l'union monétaire africaine est précisément la primauté des considérations idéologiques sur les arguments techniques. L' AVENIR DE LA ZONE FRANC 358 Figure 2. Evolution des termes de l'échange de quelques pays CFA 160.0 - r - - - - - - - - - - - - - - , 140.0 _. -6-' Bwtina 120.0 100.0 )ll!l'iQoo-oo::-\.J*-n ~.O ~---Benin 'x~'.:.:X':':'X:':' ~ 60.0 --o--MaIi ••••••••. Sébégal •. 40.0 -Je-Côte d'Ivoire 20.0 0.0 +--+--+-~+--f-__+-+__+__+--j ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ S Source: World bank, African development indicators, 1997. (i) Les charmes de l'utopie et les leçons de la théorie. Conserver une zone CFA débarrassée du poids prépondérant de la France équivaudrait à sortir la France du groupe actuel. L'argument essentiel avancé par les partisans de cette thèse est que la « tyrannie» du compte d'opérations par laquelle la France gère les avoirs extérieurs des pays africains serait abolie, les États africains décidant librement soit de rattacher leur monnaie commune à une autre devise (le dollar américain par exemple) ou à un panier de devises, soit de la laisser flotter librement - ce qui, dit-on, permettrait aux économies de s'ajuster plus facilement aux chocs extérieurs. Se poseraient alors simplement les problèmes de la gestion des recettes en devises de la zone et de « garantie de convertibilité» actuellement assurée par la France, et l'élaboration des règles d'une politique monétaire commune conduite sans l'intervention de Paris. . . Ce scénario constitue une belle ùtopie qui a certes son charme l 3, mais demeure pour l'instant peu souhaitable sur le plan macroéconomique. Disons-le tout net: le fait de déconnecter le franc CFA du franc français ou de l'euro ne changerait pas fondamentalement le problème de la viabilité technique de l'union monétaire entre les pays africains. Autrement dit, l'actuelle zone franc ne deviendrait pas du jour au lendemain une zone monétaire optimale simplement parce que la France n'en ferait plus partie. Rappelons-nous que les principaux arguments à prendre en compte pour juger de la désirabilité d'un système de change fixe entre plusieurs pays incluent le degré d'intégration économique entre ceux-ci. Un cadre conceptuel simple et désormais standard 14 aide à exprimer la 13. Une des raisons de l'attrait de cette idée tient probablement au fait qu'elle semble correspondre au rêve panafricaniste. Elle a donc une résonance politique positive pour beaucoup d'auteurs africains et africanistes. 14. Voir Krugman (1992) et De Grauwe (1992). 1 FCFA:: 0,00154 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME 359 problématique qui se pose lorsque deux pays ayant chacun leur monnaie nationale et commerçant ensemble envisagent de fixer irrévocablement leur taux de change. En pour<entage du PIB natiQnaI Bénéfices de l'union COOls de l'union selon les Keynésiens Coûts de l'union ~"-7----- selon les monétaristes Commerce Intra-zone en pourcentage du PIB de la zone monétaire En abscisse, l'on mesure le commerce entre les deux pays considérés en proportion de leur produit intérieur brut global. Sur l'axe des ordonnées, les coûts et bénéfices d'une éventuelle intégration monétaire sont mesurés en pourcentage du produit intérieur brut. La courbe illustrant les bénéfices a une pente montante parce que plus la part du commerce intra-zone est importante, plus les avantages d'un taux de change fixe au sein de la zone sont considérables, car l'incertitude au sujet du taux de change est réduite et la fonction d'unité de compte jouée par chacune des monnaies nationales est accrue. La courbe des coûts a une pente descendante pour deux raisons principales: d'abord, plus le niveau de commerce initial au sein de l'union est élevé, moins sont importants les ajustements de prix nécessaires pour amortir les chocs extérieurs. Si l'on veut appliquer le modèle à l'actuelle zone CFA, l'indice que j'ai suggéré (Monga, 1997a) peut permettre de quantifier les bénéfices et coûts de l'union monétaire, et donc d'affecter une valeur au fameux point P*. Cet indice prend en compte plusieurs éléments: (i) les leçons de la théorie monétaire des zones monétaires optimales; (ii) les conclusions des travaux plus récents dans le domaine des finances publiques; (iii) et d'autres considérations d'économie politique non explorées par la théorie de Mundel, mais qu'il conviendrait de prendre en compte lorsque l'on envisage une analyse coût-bénéfice d'une union monétaire. (ii) Désaccords au sujet de la politique monétaire. Le défi le plus important qui se poserait aux dirigeants africains dans ce scénario serait de pouvoir s'entendre sur: les objectifs de la politique monétaire et de change qu'ils mèneraient sans la France; les institutions chargées d'en définir les modalités et de la mettre en œuvre; le degré d'indépendance de la nouvelle banque centrale; les instruments de politique à utiliser pour atteindre ces objectifs. Ces problèmes ne sont pas perçus dans la situation actuelle où, du fait de son poids politique, historique et financier, la France joue le rôle de catalyseur et de« gendarme» de l'union. Mais si les représentants français 360 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC quittent les conseils d'administration de la BCEAü et de la BEAC, il y a fort à parier que la bataille de leadership entre les « grands» et les « petits» pays s'engagera immédiatement - et d'ailleurs fort légitimement. • En effet, des logiques contradictoires se feront alors jour lors des discussions de choix des objectifs de la politique monétaire et de la politique de change, certains exigeront que l'objectif primordial de l'institut d'émission soit de maintenir la stabilité des prix, sur le modèle de la BCE. D'autres opteront pour la lutte contre le chômage et la baisse du loyer de l'argent comme moyen de stimuler leurs économies asphyxiées. De tels débats ne seront pas faciles à trancher, surtout dans un contexte où la plupart des gouvernements sont politiquement illégitimes et ne se préoccupent que des problèmes à très court terme. Si l'objectif de lutte contre le chômage est finalement retenu, la tentation inflationniste deviendra vite un risque majeur. • La bataille se déclenchera également sur la réorganisation du cadre institutionnel de l'union monétaire, la définition des rôles entre les « technocrates» et les « politiques », et l'attribution des postes clés par État. Certains souhaiteront que les gouvernements définissent la politique monétaire et de change, et assurent une réelle supervision sur les organismes qui seront chargés de sa mise en œuvre. S'inspirant du traité de Maastricht, d'autres voudront que la banque centrale soit contrainte de tenir informé de ses choix stratégiques le futur Parlement africain issu d'une refonte des traités de coopération monétaire. Beaucoup de dirigeants souhaiteront sans doute que la répartition des responsabilités entre la banque centrale et le Conseil des ministres de l'union s'effectue sur la base de la primauté du pouvoir politique, réputé pourvu d'une responsabilité sociale plus importante du fait de la légitimité proclamée ... Tout cela pourrait se décider « démocratiquement» sur la base d'un vote par pays, quel que soit le poids économique du pays, ce qui conduirait forcément à l'adoption d'un processus chaotique de prise des décisions. • Le degré d'indépendance et les fonctions précises de la banque centrale, devenue de facto plus influente du fait du départ de la France de l'union, serait également un important désaccord. Diverses études empiriques récentes montrent qu'il s'agit là d'une importante condition à la stabilité macroéconomique, notamment dans les pays en développement 15. Dans le cas de la nouvelle zone CFA, il est probable que « les grands» pays voudraient s'assurer le contrôle de la banque centrale. 15. Voir notamment Cukierman (1992) et Alesina and Summers (1993). Tout en soutenant l'idée d'une banque centrale indépendante, Stiglitz (1997) souligne cependant l'importance des mécanismes institutionnels à mettre en place pour s'assurer que les responsables des instituts d'émission rendent compte au pouvoir exécutif de leurs actions et soient sensibles au verdict des urnes: « There is a rationale for a degree of dependence of the central bank, even in a democratic society; But the central bank must be accountable, and sensitive, to democratic processes, there must be more democracy in the mariner in which the decision makers are chosen and more representativeness in the governance structure. The movement in the opposite direction in sorne places is particularly disturbing. » 1 FCFA =0,00154 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME 361 • Quels instruments utiliser pour mettre en œuvre la politique monétaire et de change finalement choisie? Ici encore, l'on peut s'attendre à de sérieux désaccords entre les parties. Car selon les objectifs assignés à la politique monétaire, selon le système de change choisi (parité fixe avec l'euro ou le dollar, changes flottants), selon les attributions de l'institut d'émission et selon les rapports de force entre les États qui dominent cette nouvelle union monétaire, différents outils peuvent être utilisés 16. Il ne s'agira pas d'une affaire simple. Même au niveau de l'Union européenne où les débats sur ces questions sont déjà anciens, de nombreuses incertitudes subsistent sur les choix à opérer (Begg, 1997). (iii) L'improbable convergence budgétaire. L'intégration économique et monétaire suppose évidemment une étroite coordination des politiques macroéconomiques entre les membres de l'union. Bien que la rhétorique de la coordination ait dominé le discours des dirigeants africains depuis plusieurs décennies, les progrès réalisés dans ce domaine sont encore très limités. Un bref aperçu des performances des pays CFA le montre: si l'on excepte l'uniformisation des taux d'inflation - et pour cause -, les performances des pays CFA ne semblent pas vraiment converger vers les objectifs de stabilité annoncés dans les communiqués officiels. L'évolution du déficit budgétaire sur une assez longue période en témoigne. Tableau 2 - Évolution du déficit budgétaire en pourcentage du PIB (dons exclus) 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 Bénin -4.4 -3.4 -10.2 -9.5 -7.1 -6.7 -4.9 -7.3 - 4.8 Burkina - 11.2 - 9.6 -15.2 -7.3 -8.2 -9.1 -10.0 - 10.6 -9.3 -7.9 Cote d'Ivoire 19.0 -16.6 -12.0 -13.2 - 12.1 -12.3 - 6.9 Mali -10.6 -10.5 -9.9 Niger - 8.8 -9.7 -10.5 -12.4 -8.4 -8.6 -9.4 -12.5 -8.2 -5.1 Sénégal -2.5 -2.5 - 3.2 -3.4 - 3.0 -4.0 -5.7 -1.9 Togo -9.0 -5.3 - 6.1 -6.2 -8.0 - 5.9 -15.9 -13.6 -7.9 -6.5 Moyenne UEMOA - 3.9 -3.4 -10.2 -8.5 -8.0 - 8.1 -9.5 -10.0 -7.2 -5.3 Nigeria -7.5 -13.0 -7.2 -3.4 -7.1 -8.9 -18.1 - 9.1 -2.4 -9.1 Ghana -5.1 -5.3 - 5.7 -4.9 -12.7 -14.8 - 13.0 -10.4 -13.6 17.4 -5.3 -8.5 - 12.1 - 11.0 -9.6 1.2 -7.3 - 3.7 - 3.1 -13.7 -10.5 -7.9 - 3.2 Reprenant à leur compte les principales dispositions du traité de Maastricht, les pays CFA ont amorcé timidement en 1994 un processus de coordination des politiques budgétaires qui inclut l'adoption d'un tarif extérieur commun, l'harmonisation du droit des affaires et des règles de comptabilité publique, l'adoption des critères de convergence, etc. Mais outre le fait que les critères choisis pour parvenir à cette convergence ne sont pas toujours clairementjustifiés l7 , le problème de fond qui se pose est 16. Pour un cadre théorique sur cette question, voir Masson et al. (1997). 362 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC 0.0 1--+--+--+-+--+--+--+---1---; -Moyenne UEMOA -10.0 -lt-Nigéria -15.0 -A-Ghana -20.0 ......... ---1 celui de l'efficacité de ces décisions. Car la faiblesse des mécanismes de mise en œuvre et de sanction (<< enforcement mechanisms ») prévus par les différents textes régissant l'UEMOA prive la zone d'une certaine dose de crédibilité. (iv) Asymétrie des chocs, fédéralisme budgétaire etfédéralisme politique. Une union monétaire implique l'institutionnalisation de la solidarité pardelà les frontières. Car en adoptant une monnaie unique, des États souverains abandonnent le privilège de l'utilisation de la politique monétaire pour se protéger des chocs externes. Le seul puissant outil de politique économique qui demeure alors à la disposition des dirigeants est l'arme budgétaire qui, elle-même, doit être maniée avec doigté pour ne pas provoquer l'inflation, la hausse des taux d'intérêt, et des mouvements erratiques du taux de change. Dans le cas des pays CFA, il n'existe pas actuellement de système de solidarité permettant une politique budgétaire centralisée. Dès lors, un pays de l'union qui serait victime d'un choc extérieur asymétrique (ne perturbant pas les autres économies), comme la chute brutale du cours de ses principales matières premières, n'aurait pas de moyens d'y résister, car le fédéralisme budgétaire qui permettrait d'organiser une telle solidarité implique une forme de fédéralisme politique que les États ne sont pas prêts à accepter. La zone ne disposant donc pas des stabilisateurs fiscaux transfrontaliers qui permettraient de protéger les économies en difficulté, il serait indispensable d'organiser la flexibilité du marché du travail - de façon à permettre à la main-d'œuvre de se déplacer aisément d'un pays à l'autre sans subir aucun blocage politique ou juridique. Or, l'examen des principes du droit du travail en vigueur au sein des pays CFA 18, et des pratiques quotidiennes à l'égard de la main-d' œuvre africaine migrante montre bien que le marché de l'emploi demeurera longtemps inflexible dans les pays francophones - surtout s'agissant de la main 17. Les critères de convergence de l'UEMOA prévoient: un ratio masse salariale/recettes fiscales de moins de 40%; la variation annuelle d'arriérés intérieurs et extérieurs doit être négative; le ratio solde primaire de base/recettes fiscales doit être au moins égal à 15%; et le ratio investissements sur ressources intérieures/recettes fiscales doit être d'au moins 20%. Outre les problèmes de coordination des méthodes de calcul et de fiabilité des statistiques, la surveillance du respect de ces critères n'est pas encore très stricte. 18. Voir Ediino Nana (1994). } FCFA = D,DO} 54 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME 363 d'œuvre qualifiée. En fait, le rejet et l'arbitraire semblent déterminer non seulement les politiques dictées par les gouvernements à l'égard des travailleurs étrangers, mais également l'attitude des entreprises du secteur privé, qui n'estiment d'ailleurs pas opérer dans un environnement véritablement compétitif. Par ailleurs, à cause de la mosaïque culturelle et historique que constitue l'Afrique actuelle, et de la dégradation persistante des conditions de vie, les brassages des nationalités dans tous les segments du marché du travail sont difficilement acceptés. C'est peut-être ainsi qu'il faut interpréter les propos récents du président gabonais Omar Bongo, justifiant, sans le savoir, la rigidité du marché du travail au sein de l'union économique et monétaire d'Afrique centrale. Interrogé sur l'état d'avancement du processus d'intégration régionale et précisément sur le fait que la libre circulation des personnes n'est toujours pas une réalité en Afrique centrale, il répond que l'immigration au Gabon« a dépassé le seuil de tolérance. Il y a trop d'immigrés ... Si demain en plus il y a la libre circulation, s'il n'y a plus de visas, tous les bandits du monde viendront ici sous prétexte de chercher du travail» (1998: 89). L'on comprend qu'avec ce type d'attitude mentale, la réalisation du scénario B soit encore plus aventureuse pour les États africains que le scénario précédent, celui de la création d'une zone euro-CFA. Scénario C: battre des monnaies nationales? Le divorce par consentement mutuel Interrogé récemment sur l'opportunité d'une monnaie nationale ivoirienne, le président Henri Konan Bédié déclarait: «N'épousons pas les concepts brillants de technocrates avertis qui sacrifient volontiers les réalités économiques au plaisir d'imaginer de remarquables formules sans rapport avec les aspirations des hommes. La Côte d'Ivoire a d'autres urgences» (1998: 32). La fin de non-recevoir est clairement exprimée. L'idée de créer des monnaies nationales en Afrique suscite souvent ce type de réaction épidermique, rarement fondée sur des arguments techniques. Les dirigeants africains sont généralement prompts à la balayer d'un revers de la main et à agiter le syndrome guinéen ou zaïrois. Les analyses précédentes indiquent cependant que je considère ce scénario comme étant pour l'instant le scénario optimal. Explorons d'abord les risques réels d'une liberté monétaire recouvrée (i), avant d'esquisser les conditions du succès d'une monnaie nationale (ii). (i) Les risques de l'autonomie monétaire. Il est nécessaire de souligner ici que l'aventure monétaire individuelle ne serait pas le grand saut dans l'inconnu que certains commentateurs décrivent avec un certain sensationnalisme. En fait, la très grande majorité des États africains ont chacun leur monnaie nationale et l'utilisent avec plus ou moins de bonheur comme ils le font de n'importe quel autre instrument de politique économique. Dans le cas d'une séparation à l'amiable des pays membres de la zone CFA (ce que j'appelle un divorce par consentement mutuel), le principal 364 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC défi auquel seraient confrontés les États qui créeraient chacun leur monnaie nationale serait celui de la crédibilité. Comment parvenir à établir aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières une réputation de sérieux qui assure les agents économiques nationaux et les investisseurs et potentiels financiers étrangers que la nouvelle monnaie aura de la valeur? Comment se faire accepter comme acteur valable dans les clubs privés internationaux où se joue la «grande finance»? Et comment continuer d'entretenir avec les anciens partenaires africains de la zone CFA et avec la France des relations économiques et politiques qui assurent une certaine stabilité à la nouvelle monnaie? Telles sont les grandes questions qui se poseraient aux nouveaux responsables des politiques monétaires et de change au niveau des États. Un pays qui serait incapable d'apporter de bonnes réponses à ces questions pourrait sombrer dans une spirale inflationrécession-crises sociales - à la manière de l'ex-Zaïre de Mobutu Sese Seko. (ii) Les conditions du succès. Bien que d'importants risques soient associés à cette aventure, il est clair cependant que n'importe quel pays de l'actuelle zone CFA, qui voudrait créer sa monnaie, pourrait réussir le pari d'en faire un puissant outil de développement économique si ses dirigeants s'imposaient le respect de quelques règles de bonne conduite dans ce domaine. C'est d'ailleurs ce qu'ont fait en leur temps le Maroc et la Tunisie, anciens membres de la zone franc disposant aujourd'hui de monnaies nationales convertibles et affichant des performances macroéconomiques qu'envieraient les pays francophones d'Afrique subsaharienne. Pour conquérir ce type d'indépendance et de crédibilité, les pays CFA devraient chacun: • organiser méticuleusement et planifier la sortie de l'actuelle union monétaire. Un aspect crucial de cette stratégie consisterait à engager des négociations au niveau de l'union pour la liquidation des banques centrales existantes. Ensuite, il faudrait former une équipe de cadres supérieurs qui seront chargés de la mise en œuvre de la nouvelle politique monétaire. Puis, l'on étudiera le processus de production des espèces (pièces métalliques, nouveaux billets de banque) qui nécessite en général plusieurs années de préparation lorsque l'on veut minimiser les risques de contrefaçon. Enfin, il faudra concevoir et mettre en œuvre une grande campagne de communication nationale et internationale destinée à faire accepter la nouvelle monnaie ; • définir clairement les objectifs de la politique monétaire. Une autre clé du succès de ce scénario est dans la définition des fonctions de l'autorité monétaire. La tentation est forte, en effet, lorsque l'on se réapproprie la souveraineté monétaire de vouloir en faire un instrument utilisable pour atteindre tous les objectifs macroéconomiques (amortissement des chocs externes, stimulant de l'activité, etc.). Dans un premier temps, il serait prudent de s'en tenir à la stabilité des prix. Un amendement constitutionnel assignant cette responsabilité à la nouvelle banque centrale serait le bienvenu. Ceci aiderait l'institut d'émission à conquérir l'indispensable crédibilité. 1 FCFA =0,00154 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME 365 • élaborer un cadre institutionnel répartissant les rôles et créant une banque centrale largement indépendante. La décision de répartir les différents niveaux de responsabilité dans le domaine de la politique monétaire et de change (entre les autorités politiques et la banque centrale) devra s'énoncer en fonction des circonstances propres à chaque pays. Certains pays CFA suivront le modèle suisse ou suédois, dans lequel la banque centrale se charge de tous les aspects de la politique monétaire et de change (choix du régime de change fixe ou flottant; choix de la parité dans le cadre du régime retenu; codification des directives dans le cas d'un flottement dirigé; décisions quotidiennes d'intervention sur les marchés et exécution de la politique adoptée). D'autres, probablement plus nombreux, opteront pour le modèle japonais, la banque centrale se limite à exécuter la politique de change, le gouvernement assumant tous les autres aspects de la question ; • choisir prudemment les hommes et fixer des règles. Une fois cette répartition des rôles opérée, codifiée et constitutionnalisée, il importera d'immuniser la banque centrale des pressions gouvernementales qui sont souvent dictées par des considérations sociopolitiques de court terme. Reprenant les conclusions de divers auteurs ayant étudié les problèmes de crédibilité et de timing des politiques économiques 19, Honohan et O'Connell soulignent les enjeux de la politique monétaire en Afrique et énoncent la marge de manœuvre disponible pour ceux qui rechercheront la crédibilité: « African experience suggests that restraining the public sectors demand for monetary finance is the essential requirement for long-run price stability. Shock absorption is a more complicated issue. A successful shock absorber will attempt to ensure not only that exogenous shocks have little effect on aggregate price levels, but also that they do not have avoidable effects on real aggregates. The volatility of market expectations considerably complicates achievement of the latter function, as policy responses to shocks may be misinterpreted by the markets as representing a shift in the government's, commitment to price stability. Two standard remedies are to design policy rules that enhance stability without requiring discretionary intervention; and to develop the central banks' , expertise and reputation, so that private sector expectations are robust to discretionary intervention» (1997: 7) ; • assurer la stabilité macroéconomique. Outre l'adoption d'une politique monétaire prudente, ceci implique aussi l'adoption d'une politique budgétaire plutôt restrictive, ne serait-ce que dans un premier temps. Une telle politique sera forcément impopulaire et les gouvernants qui voudront la mettre en œuvre devront s'armer de légitimité et de courage. Mais il est important de combattre le biais inflationniste limitant le seigneuriage au moins à son niveau d'avant la création de la monnaie nationale (Monga, 1997a) ; • enfin, libéraliser et assainir le cadre de la vie des affaires. Tous les efforts mis en œuvre pour le succès d'une nouvelle monnaie nationale 19. Voir Kydland and Prescott (1977) et Barro (1986). Sur le cas particulier de l'euro, voir Begg (1997). 366 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC n'aboutiraient à rien si celle-ci ne suscite pas d'intérêt du côté des agents économiques nationaux et des investisseurs étrangers. Or comme je l'ai déjà dit plus haut, ces derniers s'intéressent plus aux opportunités d'affaires existant dans un pays qu'au système de change en vigueur. C'est pourquoi les nouvelles autorités monétaires de chaque pays devront améliorer considérablement l'environnement économique national. Synthétisant l'essentiel de la littérature économique consacrée à l'Afrique, Collier et Gunning (1999) énoncent quatre raisons principales aux médiocres performances du continent depuis les indépendances: la fermeture au commerce international; l'instabilité sociopolitique qui en fait des marchés à hauts risques; la faiblesse du capital social qui facilitait la circulation de l'information et assouplissait les contraintes dans les sociétés traditionnelles et la mauvaise qualité des infrastructures. A long terme, la crédibilité monétaire au niveau de chaque pays se mesurera à la capacité des États à faciliter l'émergence d'un environnement où des institutions publiques et privées permettent de résoudre ces problèmes-là. Scénario D: quitter unilatéralement la zone CFA? Les vertiges de la liberté Il existe un quatrième scénario: celui qui verrait les relations entre les membres de la zone se dégrader brutalement, au point de déboucher sur des désaccords de fond entre les membres de l'union monétaire et une dislocation désordonnée de celle-ci. Si l'on s'en tient aux discours officiels tenus par les responsables politiques français et africains, une telle hypothèse paraît pour l'instant improbable. Je ne lui accorderai donc que bien peu de place dans cette réflexion. Mais il est intéressant de réfléchir aux problèmes qui se poseraient au chef d'État africain qui, en l'an 2002, déciderait de sortir unilatéralement son pays de la zone CFA, reprenant de la sorte le chemin emprunté par Sékou Touré lorsque ce dernier lâcha son fameux «non» à la France de de Gaulle en 1958. Du point de vue de l'analyse technique d'un tel choix, il n'y aurait pas de différence fondamentale avec le scénario C: les défis de la création d'une monnaie nationale seraient exactement les mêmes, avec simplement une importance particulière à la conquête de la crédibilité monétaire et économique. Si l'on s'en tient aux expériences de la Guinée ou du Mali de Modibo Keita, l'on peut supposer que ce pays-là serait soumis à d'intenses pressions de la part des États les plus influents de la zone, cela pour des raisons politiques évidentes 2o . Pour faire face à l'exacerbation des problèmes d'économie politique et gérer l'adversité, celui qui empruntera ce chemin devra s'assurer tout de même que son pays dispose d'un minimum de 20. Foccart offre plusieurs exemples de ce type de pressions dans ses mémoires posthumes (1997, 1998). Encore que la classe politique dirigeante française ne soit ni monolithique, ni forcément convaincue de la justesse et de l'efficacité des méthodes de rétorsion utilisées à une époque par le gouvernement français ... 1 FCFA =0,001 S4 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME 367 réserves de change - ne serait-ce que le temps d'adopter les politiques économiques à mettre en œuvre. Il devra également démanteler le système des quotas, licences et subventions aux exportateurs politiquement établis et persuader les groupes d'intérêt du monde des affaires, trop accoutumés à la facilité que contèrent quelques marchés captifs dérivés de la convention de Lomé, de changer de mentalité et de se montrer simplement compétitifs sur la scène internationale. Cela suppose une légitimité politique beaucoup plus forte que celle dont disposent la plupart des dirigeants africains d'aujourd'hui. Conclusion L'ambition de cette étude était de montrer comment des considérations politiques et idéologiques peuvent provoquer une certaine forme de masochisme en macroéconomie. En quelque soixante ans d'existence, la zone CFA a vécu dans l'obscurité de la pensée économique. Maintenant que le débat sur sa viabilité commence à émerger, il est important que l'on réévalue ses performances en donnant la priorité aux arguments techniques. Les quatre scenarii d'avenir esquissés ici ne sont absolument pas mutuellement exclusifs, et je ne prétends pas avoir été exhaustif sur les différentes options possibles après la disparition du franc français et la création de l'euro. La principale conclusion est que, dans un monde désormais globalisé pour le meilleur et pour le pire, les pays d'Afrique francophone devraient abandonner à la fois leur régime de change fixe et leur obstination à construire une intégration artificielle, pour élaborer chacun, au niveau national, une véritable politique de développement maximisant les avantages d'une politique monétaire indépendante. Il convient également de souligner la nécessité pour tous les États africains de concevoir et mettre en œuvre des stratégies de développement qui aillent bien au-delà d'une discussion sur les questions monétaires. Car il ne faut pas oublier le mot de Malinvaud selon lequel l'économie est « une discipline qui vise à l'objectivité et qui, pour ce faire, a défini de façon assez limitative son domaine d'étude ». (1988: 594). La véritable intégration économique et politique de l'Afrique (francophone et non francophone) se fera entre des pays qui économiquement se portent bien, et non entre des États mendiants relégués à solliciter continuellement la charité internationale. Bibliographie AlesinaAlberto and Lawrence H. Summers (1993),« Central Bank independence and macroeconomic performance: sorne comparative evidence », Journalofmoney, Credit, and Banking, vol. 25, May, pp. 151-162. 368 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Artus, Patrick (1996), « A strong euro or a weak euro? », Économie internationale, document de travail n° 1996-02-E1, Paris, Service des études économiques et financières, Caisse des dépôts et consignations. Barro, Robert J. (1986), «Reputation in a mode1 of monetary policy with incomplete information », Journal of Monetary Economies: 589-610. Begg, David (1997), The Design ofthe EAFU, Working Paper, Washington D.C.,IMF. 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Ces trois interrogations sont motivées par trois considérations principales. - En premier lieu, de nombreux observateurs s'interrogent sur l'aptitude de la France à imposer à ses partenaires européens l'ancrage à l'euro d'une monnaie africaine. A ce titre, les craintes sont motivées par une interprétation stricte du traité de Maastricht, lequel donne désormais une souveraineté totale à la Banque centrale européenne, en matière de politique monétaire dans le but de préserver l'objectif final de stabilité des prix. Par ailleurs, l'article 109 section 1 de ce traité, autorise le Conseil des chefs d'État et de gouvernement, à signer des accords formels et informels, définissant les parités externes de l'euro vis-à-vis des monnaies tierces. Toutefois, la section V du même article du traité stipule que les pays membres sont habilités à signer des accords internationaux, dans le cadre d'institutions internationales, sans que ceci n'induise de préjudice aux compétences des institutions et aux accords communautaires européens. C'est sur cette disposition que s'appuient les Autorités françaises, telle ministre des Finances Dominique Strauss-Khan en avril dernier à Libreville, pour rassurer les Autorités africaines des pays membres de la zone CFA, sur le maintien de la zone franc dans ses modalités actuelles. Dans 372 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC ces conditions, l'instauration de l'euro dès janvier 1999 va tout simplement conduire à un changement du référentiel du FCFA, c'est-à-dire de la monnaie de rattachement : l'euro se substitue au FF, sans qu'en Afrique un tel changement n'entraîne des coûts de transition. En revanche, la banque centrale imprime de nouveaux billets et pièces afin de solder les échanges intra-zone franc!. De même, l'instauration de l'euro en elle-même ne justifie pas une dévaluation du FCFA. - En second lieu, les contradicteurs du régime de change de la zone franc affinnent que cette position française représente tout simplement « une fuite en avant », dont le risque est d'exposer les pays de la zone franc à un changement inévitable de régime aussitôt qu'en 2002, la circulation d'une monnaie unique en Europe deviendra effective. Ils soutiennent qu'à l'évidence la France ne pourra pas peser seule contre ses dix partenaires actuels, et peut-être ses quatorze partenaires futurs, lorsque viendra l'heure de décider des parités de l'euro vis-à-vis des monnaies tierces. Compte tenu des dispositions du traité d'Union monétaire en Europe (traité de Maastricht), une dévaluation ne peut donc être évitée car l'appartenance à l'euro étant conditionnée par des critères financiers stricts, ces pays n'accepteront l'ancrage d'une monnaie tierce à la leur que si les pays émetteurs de cette monnaie étrangère ne sont pas sujets à une discipline identique. - En troisième lieu et consécutivement au point précédent, l'instauration de l'euro donne l'opportunité aux pays africains de se démarquer de la France et de créer une véritable devise africaine, élargie aux pays anglophones; cette monnaie servira de levier à l'intégration régionale par le commerce international en Afrique. Une telle réfonne impose le démantèlement du compte d'opérations, auquel se substituera un nouveau dispositif de gestion des réserves de change, ce nouveau régime de change se caractérisera par des marges de fluctuation autorisant des parités fixes mais ajustables, voire des parités flexibles. Au-delà de ces arguments favorables à la réfonne du régime de change, la question fondamentale est celle de savoir si une réfonne de fond se justifie aujourd'hui en Afrique francophone. La réadaptation du régime de change en faveur de la flexibilité intégrale, ou de la flexibilité limitée, est-elle de nature à modifier la structure du commerce extérieur intra-africain et interafricain? Va-t-il en résulter de nouvelles opportunités de développement? La réponse à ces différentes questions est relativement difficile à énoncer. Toutefois, notre point de vue est qu'il n'existe pas de régime de change 1. Bien entendu, les transactions internationales se feront en euros, pour les contrats libellés dans les devises européennes, et la conversion se fera de façon automatique dans la période transitoire allant de 1998 à 2002. Après cette date, il est évident que les nouveaux contrats seront libellés en euros, aux cours des monnaies nationales européennes vis-à-vis de l'euro, qui seront désormais irrévocables. Dans ces deux hypothèses, le passage à l'euro n'impose pas des coûts de réforme, puisqu'il n'est pas nécessaire de changer la comptabilisation de la facturation, contrairement au cas des pays européens (Rapport annuel zone franc, 1997). LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO 373 optimal. Le fait de déconnecter le FCFA du FF, et de définir un régime de parités ajustables vis-à-vis d'un étalon-panier centré autour de l'euro, ne suffira pas de lui-même à induire de nouvelles opportunités de développement. Celles-ci dépendent d'autres facteurs que de l'unique nature du taux de change ou du régime de change. C'est pourquoi nous envisagerons de traiter: - d'abord, les arguments favorables à la déconnexion du franc CFA; - ensuite, les arguments favorables à la reconnexion du franc CFA. Les arguments favorables à la déconnexion du franc CFA Deux arguments principaux sont retenus comme étant favorables à la déconnexion du FCFA vis-à-vis du FF. D'une part, l'objectif de développement doit conduire à arbitrer en faveur du régime de changes flexibles au détriment du régime de changes fixes. D'autre part, le mécanisme du compte d'opérations est un signal inefficace des situations de déséquilibres persistants. Objectifde développement et arbitrage favorable à la flexibilité des changes Cet argument peut être illustré par deux critiques principales de la fixité des changes et des zones monétaires : la première est relative à l'efficacité inférieure de la fixité par rapport à la flexibilité, tandis que la seconde établit que la zone franc n'est pas une zone monétaire optimale. A) L'EFFICACITÉ INFÉRIEURE DE LA FIXITÉ PAR RAPPORT À LA FLEXIBILITÉ DES CHANGES La première critique porte en effet sur le choix d'un régime de changes flexibles en substitution à un régime de changes fixes, dans le cadre de pays retrouvant l'autonomie de leurs politiques monétaires respectives. Célestin Monga et Jean-Claude Tatchouang (1996) ou Claude d'Almeida (1998 : 15-30) ont avancé ce raisonnement en ce qui concerne la zone franc, à la suite de Devarajan, de Melo et al. Cette approche s'inspire de la critique du régime de changes fixes. - Ce régime n'autorise pas le « pilotage à vue» (fine-tuning) de l'économie, lorsque la conjoncture internationale est défavorable. En effet, c'est la rigidité totale de la parité nominale du FCFA qui a interdit aux pays membres de la zone franc, de pratiquer des dévaluations compétitives dans les années 1980, alors que d'autres pays africains, tels que le Nigeria ou le Ghana, ont utilisé cet instrument pour restaurer leur compétitivité 2 • En 2. Entre 1985 et 1993, le Naïra s'est déprécié vis-à-vis du FCFA de 89%. 374 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC théorie, le modèle canonique de la macroéconomie ouverte, dit aussi le modèle Mundell-Fleming, enseigne qu'un petit pays perd l'autonomie de la politique monétaire, et voit se réduire l'efficacité de sa politique budgétaire, en régime de changes fixes et de mobilité parfaite des capitaux. Cette notion est bien illustrée par le triangle de Mundell qu'a repris PadoaSchioppa, dans son interprétation de l'efficacité de la politique économique en Europe. Dès lors, le régime de changes fixes devient déflationniste lorsqu'il impose aux pays suiveurs (la France, l'Espagne, etc.) les coûts associés à une désinflation compétitive découlant de la rigidité du taux de change nominal vis-à-vis de la monnaie du pays leader (Allemagne). Le passage au régime de changes flexibles ou flottants se justifie alors, car il permet la restauration de l'autonomie de la politique monétaire, et surtout il assure que l'efficacité de l'action instrumentale en matière de stabilisation des prix, de poursuite de la croissance ou de retour à l'équilibre de la balance des paiements, est réalisée grâce à une stratégie de combinaison optimale des instruments. Appliqué à la zone franc, cet argument recommande par conséquent l'éclatement de la zone, chaque pays retrouvant sa souveraineté monétaire en émettant sa propre monnaie sur son territoire. Ces monnaies nationales pouvant être ensuite ancrées à l'euro ou à des monnaies tierces, dans le cadre de l'établissement des paniers de monnaies optimaux. Ceux-ci seront à construire en fonction de pondérations dépendant soit des flux commerciaux avec les principaux partenaires commerciaux, soit des parts sur les marchés internationaux des pays concurrents asiatiques, en matière de produits tropicaux, ou en matière de produits pétroliers. Dans le premier cas, le taux de change effectif réel serait centré autour de l'euro, alors que dans le second le taux de change effectif ferait intervenir les prix pratiqués par les producteurs asiatiques, latino-américains et moyen-orientaux, qui concurrencent les producteurs africains. Cette analyse, pour intéressante qu'elle soit, ne suffit pas à motiver une réforme intégrale de la zone franc. Le régime de changes flexibles a induit une volatilité des taux de change nominaux et réels plus grande qu'en période de fixité. Contrairement aux arguments des monétaristes Milton Friedman et Harry Johnson, ou ceux plus contemporains dans ce débat comme Frenkel et Goldstein, Devarajan et de Melo, la flexibilité n'a pas toujours permis la réduction automatique du déficit de la balance des paiements, et l'annulation du risque de change et/ou des primes de risques sur les monnaies à faible rendement. Au contraire, l'expérience du Système monétaire européen (SME) dans les années 1980 a montré que la fixité des changes s'accompagne d'une stabilité nominale et réelle des parités plus grandes. En Afrique, l'expérience des régimes de change a montré que la zone franc a été une zone de stabilité réelle plus forte que dans les pays à régime de changes flottants. Les graphiques ci-dessous comparent l'évolution du taux de change effectif réel du FCFA au Cameroun, en Côte d'Ivoire et au LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO 375 Nigeria, à partir des données issues de World Development Indicators 1998, dont la base est 100 pour l'année 1979. Le taux de change effectif du FCFA reste relativement stationnaire autour de sa valeur initiale, même si le Cameroun enregistre une surévaluation de 10 à 20 % entre 1983 et 1987, et une autre de la même ampleur survient en Côte d'Ivoire à partir de 1985. Le taux de change effectif réel reste stable jusqu'en 1993, et la dévaluation nominale permet alors de diminuer de moitié le prix réel des monnaies étrangères. Par contre au Nigeria, le taux de change effectif réel reflète une appréciation continue du naïra en termes de devises étrangères, sa valeur augmentant du plus du double entre 1979 et 1986. La dévaluation nominale de 1986 ainsi que le programme des dévaluations répétées, corrigeront la surévaluation antérieure, ramenant le prix effectif réel au niveau de celui du franc CFA en 1989. De 1990 à 1993, la compétitivité du Nigeria est même meilleure que celle des pays de la zone franc. La dévaluation nominale du FCFA en 1994 restaurera l'avantage de compétitivité de ces pays par rapport au Nigeria. Le deuxième graphique établit clairement que c'est entre 1990 et 1993 seulement que le taux de change du naïra est stable, sa variabilité étant toujours largement plus importante que celle du franc CFA. Une variabilité plus grande du taux de change effectif réel ne milite donc pas en faveur des changes flottants, surtout lorsqu'elle s'accompagne d'une tendance à l'appréciation des monnaies. Tau)I de change effectif réel en Zone Franc (CamelOun et COte d'Ivoire) et Hors Zone Franc (Nigéria) de 1979 ~ 1996; Source WDI98 l '"[ 600 '00 '00 JOO 1 1 200 100 :::::ar. , 0 ~ ~ ! ! ! ! ~ ~ ! ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ An~e) Par ailleurs, il peut paraître paradoxal, qu'au moment où des espaces régionaux se constituent avec le choix d'une monnaie unique pour régler les échanges, en Europe certains préconisent l'abandon d'une monnaie unique telle que le FCFA ayant bénéficié de quarante ans de coopération entre États. Pourtant ils soutiennent que la pertinence de leurs observations 376 L'A VENIR DE LA ZONE FRANC :1 Variabilité du Taux de Change Effectif Réel en Zone Franc (Cameroun. Côte d'Ivoire) et hors Zone Franc (nigéria) eoue 1980 et 1996; Source WDI 98 100 50 ~ u -sa ~ -100 .ll -150 -200 -350 ~ -300 -----1 repose sur l'argument selon lequel la zone franc n'est pas une union monétaire optimale. B) LA ZONE FRANC, UNE UNION MONÉTAIRE NON OPTIMALE La deuxième critique est un corollaire de la première. Elle repose sur l' hypothèse selon laquelle la zone franc n'est pas une zone monétaire optimale. La théorie des ZMO énumère un certain nombre de conditions nécessaires à la constitution d'une union monétaire, dont les avantages l'emporteraient sur les coûts liés à la perte de l'usage du taux de change en tant qu'instrument de politique monétaire et de stabilisation. Lorsque les pays sont caractérisés par une forte mobilité du travail (critère de Mundell), et donc une flexibilité des taux de salaires et des prix, un degré d'ouverture commerciale élevé (critère de Kenen), ou une intégration financière importante (critère de McKinnon), l'identité des préférences de structures (Scitovsky, Kindleberger et F. Perroux), alors la fixité des taux de change apparaît comme un substitut parfait à la flexibilité des taux de change, en vue de réaliser l'équilibre interne (stabilité des prix et chômage faible) et l'équilibre externe (solde équilibré de la balance des paiements). L'amélioration de cette analyse amène à considérer qu'une ZMO est un espace homogène qui absorbe de façon symétrique les chocs exogènes en utilisant un fédéralisme budgétaire. Ce type d'analyse conduit à modéliser à l'aide de la technique des vecteurs autorégressifs (modèles VAR), les différentes écononties en présence; il induit qu'il y existe une convergence entre ces dernières, lorsque ces écononties absorbent de façon symétrique des chocs de demande ou d'offre, en particulier ceux relatifs à des différentiels de productivité ou de compétitivité. Cependant, l'analyse des faits montre que la zone franc ne satisfait pas ces différents critères. En matière d'intégration par les flux réels, 10% seu- LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO 377 lement des échanges intra-zone sont effectués en Afrique de l'Ouest et à peine 5 % en Afrique centrale, en raison d'un réseau d'infrastructures peu développé, et des structures de production non complémentaires. Par ailleurs, ces pays n'absorberaient pas de façon symétrique les chocs exogènes de demande ou d'offre (Mpacko Priso, La Tchuente, 1998). Suite à cette analyse les critiques de la zone franc rejettent ce dispositif. En réalité l'argumentation de la convergence préalable des économies avant l'adhésion à une zone ou à une union monétaire est discutable à la lumière de la théorie contemporaine. Un petit pays ouvert sur l'extérieur a d'autant intérêt à ancrer sa monnaie vis-à-vis d'un grand pays, qu'importe la discipline financière, la crédibilité monétaire qui sont pour l'un nécessaires à la stabilisation de son économie, et pour l'autre utiles à des entrées des capitaux et à la stabilisation de sa monnaie sur les marchés des changes consécutivement à l'efficacité de sa politique économique. Paul Collier (1998) prétend que l'incitation (kt) d'un petit pays à former une union monétaire avec un grand pays peut être représentée sous la forme d'une parabole inversée. kt Temps La première partie de la parabole significative d'une décroissance de cette incitation, révèle les effets déflationnistes sur la production et l'emploi attachés à l'adhésion du petit pays, compte tenu des différentiels de productivité et de compétitivité avec le grand pays, qui induisent immanquablement une pression à la surévaluation de la monnaie du petit pays. La deuxième partie de la courbe correspondant à la zone croissante traduit les gains d'efficience attachés à l'adhésion à une union avec un grand pays. La contrainte extérieure renforcée induit une discipline financière plus grande, conduit à une plus grande stabilité du taux de change réel, elle autorise le petit pays à bénéficier plus intensivement des avantages comparatifs dans des échanges inter-branches liés à l'exportation des produits primaires ou semi-finis, puis de rendements croissants à l'échelle découlant du commerce international intra-branche de produits finis de plus grande valeur ajoutée avec le grand pays (cas du nouveau SME-Espagne, Portugal, Grèce à partir de 1987). 378 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC Malgré cette réserve importante, ces deux critiques conduisent pourtant leurs auteurs à récuser le dispositif de la zone franc et en particulier du mécanisme d'ancrage du FCFA au FF à partir du mécanisme du compte d'opérations. Celui-ci ne jouerait pas son rôle de signal des déséquilibres des paiements courants nécessitant l'adoption immédiate des réformes. L'inefficacité du compte d'opérations à signaler des déséquilibres persistants L'objet de la troisième critique de la zone franc et du dispositif de garantie d'émission et de convertibilité du FCFA porte sur l'utilité du mécanisme du compte d'opérations, qui est considéré comme inefficace en matière de discipline financière. Or, la prise en compte des extemalités de ce mécanisme affaiblit fortement cette critique. A) LE COMPTE D'OPÉRATIONS, UN DISPOSITIF INEFFICACE DE LA DISCIPLINE FINANCIÈRE Certains critiques affirment qu'en mettant à la disposition des Autorités de la zone franc une disponibilité totale en devises, la France n'a pas aidé les pays africains francophones à se discipliner. Le mécanisme du compte d'opérations offre un droit de tirage illimité à chaque Banque centrale de la zone franc en cas de déséquilibre de la balance des paiements. En réalité, les opérations sont plus complexes qu'elles paraissent. En contrepartie du droit de tirage, les Banques centrales doivent déposer dans ce compte au moins 65 % de leurs avoirs extérieurs. Lorsqu'il est créditeur, le compte d'opérations est rémunéré par le Trésor français au taux du marché monétaire (le TMM). Lorsque ce compte est débiteur, la Banque Centrale paie des intérêts au Trésor français. En cas de déficit prolongé, la politique monétaire doit être resserrée et des mesures d'accompagnement sont adoptées de façon à préserver la limite basse des avoirs extérieurs à hauteur minimum de 20% des recettes fiscales de l'année antérieure. Les critiques avancent que ce mécanisme n'a pas joué le rôle de signal attendu en matière de dérive du taux de change par rapport à sa valeur d'équilibre, et de repère d'un déficit prolongé de la balance des paiements. Par ailleurs, ce dispositif en ne disciplinant pas les pays, les a plutôt encouragés à multiplier les importations de biens finals à la place de biens d'équipement, compte tenu de la garantie illimitée de la convertibilité (D'Almeida, 1998). Par contre, ils suggèrent que soit donc substitué à ce mécanisme celui d'un fonds de stabilisation de change ou d'un currency board, en élargissant la zone franc actuelle aux pays africains anglophones. Le scénario de cette substitution propose de partir des actuelles UEMOA et UMAC, comme base du processus d'intégration régionale en Afrique subsaharienne, et d'utiliser les facilités à l'ajustement de la balance des paiements de l'Union européenne pour constituer le fonds de stabilisation de changes, et d'inviter les pays africains à y participer. Le fonds aurait LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO 379 deux avantages: il accélérera l'instauration d'un marché des changes élargi d'un côté à toute l'Afrique francophone, voire anglophone, et de l'autre côté, il autorisera une meilleure surveillance multilatérale en cas de déficit prolongé d'un pays. La définition des mécanismes d'alerte, en cas de dérive de la parité officielle, et l'adoption d'un régime de parités glissantes permettraient alors d'avoir un «.fine-tuning »des économies concernées. Cette proposition utile pose cependant trois difficultés. a) Le problème de la constitution du fonds. En l'absence de la France ou d'un pays leader, le principe de la coopération monétaire entre pays africains aurait pu être à plusieurs reprises remis en cause. Ces différents fonds de compensation douanière posent problèmes non seulement en CEDEAO et en UDEAC, mais également en Afrique australe. Leur fonctionnement a été souvent handicapé par certains pays (Nigeria, Zaïre) qui n'ont pas toujours honoré leurs engagements vis-à-vis de leurs créanciers. b) La disponibilité des devises: l'importance des avoirs externes nets nécessaires pour assurer la crédibilité externe de la monnaie émise constitue une importante contrainte, imposant la création d'un fonds de stabilisation de changes. Or l'originalité du système de la zone franc est d'avoir permis aux pays d'avoir un mécanisme comparable à celui d'un tel fonds, tout en évitant les inconvénients qui y sont attachés, à savoir l'importance de l'épargne en devises susceptible d'autoriser une convertibilité illimitée. De plus, ces pays n'ont donc pas eu besoin de constituer des réserves en devises ou en bons du Trésor américain ou français, comme base de la garantie d'émission de leur monnaie commune. c) L'hypothèse d'un « currency board» génère les mêmes problèmes que ceux posés par un fonds de stabilisation de changes. Une telle option implique le passage d'une couverture de 20% à une couverture de 100% par les avoirs extérieurs nets ; elle alourdit la contrainte extérieure. Par contre, le « currency board» présente l'avantage de forcer à la réduction de la base monétaire en cas de déficit prolongé du compte courant, c'est-àdire à clarifier les mécanismes de sauvegarde. Toutefois, ceci n'est le cas aujourd'hui, par exemple, en zone BCEAO. Mais, chacune de ces deux options laisse de côté les externalités positives de la zone franc. B) LES EXTERNALITÉS POSITIVES DE LA ZONE FRANC Parmi ces externalités, on peut retenir que la coopération monétaire constitue un élément de sécurité face aux chocs exogènes d'un côté, et de l'autre, il est un facteur de lissage important du déficit du compte courant et par conséquent de l'endettement extérieur, en utilisant le dispositif du compte d'opérations. La coopération monétaire: un coussin de sécuritéface aux chocs exogènes Les trois graphiques suivants montrent bien l'utilité de la coopération monétaire en zone franc. Contrairement à l'hypothèse couramment admise suivant laquelle les grands pays ont plus à perdre de leur intégration avec les petits pays, ce ne sont pas toujours les petits pays qui sont déficitaires. 380 L'A VENIR DE LA ZONE FRANC Ainsi, dans la zone BCEAü, la Côte d'Ivoire et le Sénégal sont les deux pays principalement déficitaires depuis 1994. Et pourtant c'est pour la quatrième année consécutive que les avoirs extérieurs nets sont en augmentation, à hauteur de 195 milliards de FCFA en 1996 et 190 miIl iards en 1997 en intégrant la Guinée-Bissau. Les facteurs explicatifs de cette progression sont à rechercher dans l'accroissement des recettes d'exportation, la poursuite du rapatriement des capitaux, la mobilisation des ressources au titre des facilités d'ajustement structurel avec le FMI, et l'allégement du service de la dette résultant du rééchelonnement ou de l' annulation. Avoirs Nets EX1érieurs de la Zone BCEAO 0994-1997): Source Rapport annuel de la Zone franc .997 1l<XXl00 - . - _, ~ '000000 ""'001 _\ _ • NI .8URIONA D COTE D'Ivoire ''''')00 _ a MALI • NIGéR ""001 -t---- ------ _~I-l • SENEGAl "TOGO • NonVentMs • TOTAL 100001 -100001 .L- _ Il convient également de retenir que les petits pays contribuent à cette progression notable, en raison de leurs positions excédentaires qui compensent les positions débitrices des grands pays comme le Sénégal. Ainsi le Bénin, le Burkina Faso ou le Mali bénéficient de positions excédentaires en termes de réserves extérieures auprès de la BCEAü, qui se vérifient également du point de vue des réserves de change brutes. Celles-ci représenteraient 6,1 mois d'importations de biens et services au Mali, 5,8 mois au Burkina, contre 1,5 mois au Niger et 2,2 mois en Côte d'Ivoire. En zone BEAC, on observe également une augmentation de 80,6 milliards de FCFA des avoirs extérieurs nets en 1997 par rapport à 1996, et 153,3 milliards en 1996 par rapport à l' année précédente. Cette situation persiste malgré le déficit important du Cameroun et celui de la GuinéeÉquatoriale, même si l'on observe leur rétrécissement depuis 1994. L'accroissement de l'excédent commercial du Cameroun, la mobilisation des ressources auprès du FMI au titre de la facilité d'ajustement spécial expliquent la réduction du déficit pour ce pays. LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO 381 Av,,", Nets ExtéOOurs de la Zoœ BEAC (1 994- 1997) : Source RappoI1 annuel de la Zoœ franc 1997 <ml0 r--------------.;.:-'-----~~~------__, -----_..,.------~- J<m)0 lOOOOO • .--- • CAMEROUN 100000 .RCA DCONGO • GABON • GUlNEE-EOU -100000 .-1-- ·200000 - - - -__- - --~----_.- • TCHAD • SeMees Cent ----------1 • TOTAL ------------ ·lOOOoo ~f----.---------·--·-----· -"00000 L -_ _ _ - ' - - - " = - ~ E'1olution des Avoirs N en Extérieurs en MilrkHds de Fe FA en UE MOA et C E MAC (1984' '991) Source; BCEAO, BEAC el Rapport Annuel Zone Franc 1997 1200 1000 800 600 ·200 L - ~ ~ - - En longue période (1984-1997), les avoirs nets de la zone sont généralement positifs, à l'exclusion des années 1987-1988 et 1993 en CEMAC, et 1988-1989 en UEMOA. La fin de la période montre d'ailleurs depuis 1994, l'impact positif de la dévaluation sur les avoirs extérieurs, dont les effets d'accroissement des réserves de change liés à l'excédent commercial dans de nombreux pays sont venus renforcer les entrées de capitaux au titre des programmes de stabilisation avec le FMI. Outre la coopération monétaire, le solde du compte d'opérations a joué un rôle de couverture face au risque d'explosion de l'endettement extérieur associé à l'approfondissement du déficit du compte courant. 382 L'A VENIR DE LA ZONE FRANC Le solde du compte d'opérations, un facteur de couverture face au risque d'explosion de la dette extérieure CAMEROUN: Service de la Dene Extérieure (% PNB) el Solde du Comple d'~r8lions (% PNB) 10.- _ - - + - - - + 1 - ---r1988 1_ 19§1O ---1---' 1991 ,~] lm '-'.'-'-r-~19'M 1 -, -10 -lS -20 --J 25 -'----- CAME AOUN Relation entre le Se,vice de la Dette Extérieure et le Solde du Compte d'Opérations (1984 -19951 25 . - 1 ,;- 1 • 20_ • lS • 10 • 0-1----- • •• --+--------<...--_-- ·_-+-_....::·'-----'- • -----4 o Solde du Compt~ d'O~r"bon\ ('lib PNBI Ces deux graphiques montrent que dans le cas du Cameroun, le service de la dette extérieure en termes de PNB a faibli, passant de 8 % à moins de 5 %, au fur et à mesure que le solde du compte d'opérations devenait déficitaire, notamment à partir de 1986. Lorsque le service de la dette est revenu en 1992 à son niveau initial de 1985, le déficit du compte d'opérations en termes de revenu national a alors triplé pour se situer aux environs de 23 % du PNB (à prix constants). Lorsqu'on prend la valeur absolue de LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO 383 ce solde, on établit une corrélation négative avec le service de la dette extérieure: une augmentation du solde du compte d'opérations en valeur absolue, significative ici d'un droit de tirage de plus en plus important auprès du Trésor français, pennet alors de réduire le service de la dette extérieure. Pour certains, un tel droit de tirage ne constitue pas un signe d'alerte des déséquilibres macroéconomiques suffisant pour forcer à des ajustements nécessaires. A l'évidence, un tel point de vue est discutable, car si le trésor français a pu accorder un droit de tirage important, comme c'est le cas pour le Cameroun entre 1986 et 1993, c'est vraisemblablement après avoir constaté l'épuisement des dispositifs d'ajustement interne via la réduction de l'absorption. En l'absence d'un tel droit de tirage, le poids de la dette extérieure dans le PNB et l'économie domestique eût été largement plus important. Ces différents éléments évoqués au titre de la déconnexion conduisent à instruire les arguments favorables à une reconnexion du FCFA. Les arguments favorables à une reconnexion du FCFA Deux arguments principaux militent en faveur de la reconnexion du FCFA, outre ceux évoqués par ailleurs. - D'un côté la zone franc n'est pas incompatible avec l'efficacité en matière conjoncturelle et l'indépendance de la politique monétaire. - D'autre part, une marge de manœuvre existe dans le cadre d'un ancrage du FCFA à l'euro. Zone franc et indépendance de la politique monétaire L'idée qu'en changes fixes, la politique monétaire perd toute efficacité et toute autonomie peut être remise en cause dans le cadre de la zone franc. On peut en effet montrer que non seulement la masse monétaire affecte l'activité dans certains pays, mais également que la politique monétaire redevient efficace en pennettant l'insularisation partielle de l'économie vis-à-vis de la contrainte extérieure. A) L'EFFICACITÉ DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE SUR L'ACTIVITÉ Revenons sur les arguments théoriques et empiriques fondant la neutralité ou la non-neutralité de la politique monétaire sur l'activité, avant d'évaluer l'intensité de la causalité monnaie-activité en zone franc. a) Les arguments de la neutralité ou la non-neutralité monétaire En ce qui concerne l'économie fennée, l'idée de la neutralité monétaire est très ancienne, remontant au débat entre néokeynésiens et monétaristes dans les années 1960. Pour les premiers, l'instabilité de la demande de monnaie découlant des anticipations de taux d'intérêt invalide l'utilité de la 384 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC politique monétaire et favorise la politique budgétaire. Néanmoins, la politique de relance par la monnaie a une efficacité réelle sur l'activité, dès lors que la préférence pour la liquidité est normale. Tandis que pour les seconds, la politique monétaire doit toujours être préférée à la politique budgétaire, en raison de l'instabilité de la consommation en courte période, alors qu'à l'inverse la demande de monnaie est stable. Néanmoins, une telle politique doit, selon Milton Friedman (1968), consister en une règle d'accroissement à taux constant de la masse monétaire (règle monétaire à k %), en relation avec le produit potentiel en longue période. La neutralité de la politique monétaire comme de la politique budgétaire d'ailleurs, découle de ce que les anticipations des agents deviennent parfaites à long terme, ce qui invalide toute relance inflationniste par la monnaie ou le budget. C'est le message de la Courbe de Phillips augmentée des anticipations (Barro Jr., 1978: 549-580; Sargent & Zallace ; 1976). Cette hypothèse de la neutralité monétaire a été renforcée en présence d'anticipations rationnelles de la part des agents privés. Le résultat de superneutralité monétaire invalide alors l'efficacité de la politique monétaire à induire l'activité même à court terme, contrairement à ce que Friedman admettait. C'est la leçon que l'on peut tirer de la proposition de neutralité monétaire de Lucas-Sargent-Wallace, reprise d'ailleurs par Barro (1978) à l'occasion du renouvellement de la fonction d'offre de Lucas en présence d'innovations monétaires. L'approfondissement de ces analyses dans les théories du cycle réel conduit alors à renforcer l' hypothèse d'une neutralité de la monnaie sur l'activité en volume. Ces développements purement théoriques ont donné lieu à une importante littérature dont les conclusions sont assez controversées. Selon en effet que l'on admet une rationalité imparfaite des agents privés, un avantage informationnel des décideurs publics sur ces derniers, l'hypothèse de non-neutralité de la politique monétaire est restaurée. Les évaluations empiriques sont donc nécessaires pour trancher entre ces différentes hypothèses. En effet, les tests de causalité Granger-Sims menés dans les années 1970-1985 n'ont pas toujours permis d'éclairer le débat, la causalité monnaie-activité et monnaie-prix étant alternativement forte ou faible, selon la taille de l'échantillon ou l'ordre des retards dans les formes autorégressives considérées (Eboue, 1986). Tandis que les équations de régression classiques produisent la même incertitude. Pour les partisans des anticipations rationnelles et des cycles réels par exemple, les innovations ou surprises monétaires, à savoir les variations discrétionnaires de l'offre de monnaie à des fins de relance de l'activité, n'ont aucun effet significatif sur cette dernière (Blanchard et Watson, 1986 ; King et P10sser, 1984). - A l'inverse, Stock et Watson (1989 3) obtiennent des résultats différents à partir des modèles à vecteurs autorégressifs. L'originalité de cette méthode 3. J.H. Stock et N.W. Watson (1989) «Interpreting the evidence on money-output causality », Journal of Econometries, vol. 40, pp. 161-181. LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO 385 est de mieux examiner les tendances déterministes ou stochastiques des séries, et d'éviter de conclure à des corrélations factices contrairement à la méthode précédente, notamment lorsque les séries considérées possèdent une tendance commune. Appliquant alors la méthode de cointégration de Engle et Granger (1987 4 ), ces auteurs aboutissent au résultat que la liquidité parfaite (Ml) affecte bien l'activité aux États-Unis, les coefficients des innovations de la quantité de monnaie (en conséquence expurgée du trend) étant améliorés par rapport à ceux d'un test de causalité multivariée à la Granger. Pourtant, utilisant la même méthode, Krol et Ohanian (1990 5 ) n'arrivent pas à une conclusion identique pour les cas du Royaume-Uni, du Canada ou de l'Allemagne. Il semble que les résultats soient biaisés par la méthode de cointégration de Engle et Granger, qui ne permet d'étudier qu'une seule relation de cointégration dans un système multivarié ne comportant pas plus de deux variables. Enfin, les études relatives aux pays en développement sont davantage limitées notamment en ce qui concerne les pays africains. Certes, on admet l'hypothèse théorique que l'imperfection des marchés financiers justifie la place de la politique monétaire, et son rôle dans le transfert de l'épargne privée vers l'investissement. Mais les études au mieux portent généralement sur la fonction de demande de monnaie, dont la stabilité est examinée dans le cadre statique. Récemment, des spécifications dynamiques de la demande de monnaie ont été étudiées, notamment dans le cas du Kenya. Elles ont conclu à son instabilité à la faveur du processus de libéralisation financière (Adam, 1994). En économie ouverte, la politique monétaire peut affecter l'activité suivant le régime de changes ou le degré de mobilité des capitaux. Les cadres canoniques de base sont le modèle Mundell-Fleming et l'approche monétaire de la balance des paiements. Dans les deux cas, en régime de changes fixes et en présence de la mobilité forte des capitaux, la politique monétaire n'a aucun effet réel sur l'activité. Dans le .premier modèle, la baisse des taux d'intérêt consécutive à une politique monétaire expansive fait fuir les capitaux, raréfie les réserves de change, et donc ramène l'offre de monnaie à son niveau initial. En déprimant l'investissement en volume, cette hausse des taux d'intérêt génère un deuxième effet déflationniste qui, en réduisant les importations, crée l'excédent courant compensateur du déficit de la balance des capitaux consécutif au choc initial. La politique monétaire est donc neutre sur l'activité. Dans le deuxième modèle, l'inefficacité de la politique monétaire s'analyse différemment. D'abord, la flexibilité des prix relatifs et du niveau général des prix est admise, ce qui conduit à définir le taux de change 4. Robert Engle et Clive Granger (1987) « Cointegration and error correction: representation, estimation and testing », Econometrica, vol. 55. 5. R. Kral et L.E. Ohanian (1990) « The impact of stochastic and deterministic trends on money-output causality: a multi-country investigation », Journal of Econometries, vol. 45, pp. 291-308. 386 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC d'équilibre en relation avec la parité des pouvoirs d'achat. Ensuite et surtout, les variations de la balance des paiements reflètent les déséquilibres du marché de la monnaie. Un excédent de la demande sur l'offre est compatible avec une offre de devises abondante et en conséquence un excédent des paiements courants. Alors qu'un excédent de l'offre de monnaie sur la demande traduit simplement une raréfaction des réserves de change et par conséquent un déficit des paiements courants. Une politique monétaire expansive en créant un excès de liquidité dans l'économie entraîne comme première conséquence la hausse du taux d'inflation (théorie quantitative), et ensuite la surévaluation de la monnaie domestique en termes de devises. De cette dernière découle le renchérissement des exportations par rapport aux importations, un déficit du compte courant. Toutefois, l'accroissement du niveau des prix conduit les agents à reconstituer leurs encaisses désirées via un processus de réallocation de richesses ou de portefeuilles. La baisse des réserves liée au déficit du compte courant crée la diminution de l'offre de monnaie, qui vient égaliser la nouvelle demande de monnaie, de sorte que marché de la monnaie et balance de paiements sont à nouveau équilibrés. L'activité réelle revient à son niveau initial de sorte que la politique monétaire est neutre. De ces deux analyses canoniques, il ressort que les déséquilibres du marché des changes ainsi que les variations du taux de change déterminent également l'activité économique comme les variations de la masse monétaire, les variations du taux d'intérêt ayant été limitées jusqu'en 1994 en zone franc, notamment en régime de répression financière. b) L'intensité de la causalité monnaie-activité en zone franc La causalité monnaie-activité des pays de l'UEMOA a fait l'objet d'une étude récente par Kalulumia etYourougou (1997 : 197-2306). Les données sont trimestrielles et portent sur la période 1964.1-1993.4. Cinq des sept pays de l'Union sont considérés: la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Niger, le Togo et le Burkina Faso. Le Mali et le Bénin sont exclus de l'échantillon, en raison de l'absence de données sur les prix et le PNB. Deux indicateurs de masse monétaire sont considérés: la monnaie au sens strict (M 1) et la monnaie au sens large (M2). L'activité est mesurée par le PNB en volume et le taux de change réel bilatéral en termes de $ est l'indicateur du taux de change. La méthode de Johanssen (1988) se caractérise par trois étapes. Elle part d'un système vectoriel autorégressif, qui peut alors être écrit sous la forme d'un modèle à correction d'erreur, permettant de distinguer l'effet de long terme des coefficients d'impact. Ce modèle à correction d'erreur est ensuite reformulé, de telle façon que le vecteur des variables de long terme soit stationnaire même si les variables d'origine ne le sont pas. 6. Pene Kalulurnia et Pierre Yourougou (1997) « Money and incorne causality in developing countries: a case study of selected countries in Subsaharan Africa », Journal ofAfrican Economies, vol. 6, nO 2, pp. 197-230. LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO 387 Le rang de cette matrice fournit alors le nombre de relations de cointégration. Un rang plein signifie une stationnarité en niveau des variables, alors qu'un rang nul signifie l'absence de stationnarité des variables, et ramène à un système autorégressif traditionnel en différences premières. L'originalité de la méthode réside alors ici dans la détermination du nombre de relations de cointégration. La troisième étape consiste alors à déterminer les coefficients du modèle à correction d'erreur par le maximum de vraisemblance. Les résultats indiquent que: - toutes les séries utilisées possèdent une racine unité, elles sont donc intégrées au même ordre en différences premières. L'analyse des relations de cointégration révèle que la masse monétaire au sens de M2 est reliée dans une liaison de long terme à toutes les autres variables, pour tous les pays. Par contre, MIn'est reliée dans une liaison de long terme avec toutes les autres variables que dans trois cas sur cinq (Côte d'Ivoire, Sénégal et Togo). Le modèle à correction d'erreur permet enfin d'étudier l'hypothèse de non-neutralité de la monnaie, puisqu'il fournit le moyen de distinguer le coefficient de long terme des coefficients d'impact des innovations sur la masse monétaire par rapport à l'activité. Il apparaît alors que les innovations sur M2 sont non neutres sur l'activité en Côte d'Ivoire, et neutres sur l'activité au Niger. Par contre les innovations sur Ml causent l'activité au Sénégal. Donc la masse monétaire au sens large (M2) est un prédicteur adéquat de l'activité en Côte d'Ivoire alors que la liquidité parfaite (Ml) est un bon prédicteur de l'activité au Sénégal; - enfin, les innovations sur le taux de change réel affectent également l'activité en Côte d'Ivoire, justifiant largement la dévaluation nominale dans ce pays en 1994. Ces résultats montrent donc bien que la politique monétaire conserve son efficacité en changes fixes, car dans le cas de la zone franc, des pays comme le Sénégal et surtout la Côte d'Ivoire peuvent utiliser les variations de l'offre de monnaie au sens strict ou large pour déterminer le cours de l'activité économique. Elle permet également d'insulariser, du moins partiellement, l'économie domestique vis-à-vis de la contrainte extérieure. B) L'EFFICACITÉ DANS L'INSULARISATION DE L'ÉCONOMIE VIS-À-VIS DE LA CONTRAINTE EXTÉRIEURE Le modèle Mundell-Fleming établit l'inefficacité de la politique monétaire en l'absence de stérilisation des entrées de capitaux. Supposons : un supplément d'entrées de capitaux découle par exemple d'une politique budgétaire expansionniste. La conséquence est alors une hausse des taux d'intérêt, laquelle induit la croissance mécanique de l'offre de monnaie, avec un risque de déficit ultérieur du compte courant en raison du jeu de l'effet de liquidité sur l'activité. En changes fixes, elle se traduit aussi par une tendance à l'appréciation de la monnaie domestique. Afin de l'éviter, les Autorités peuvent alors stériliser cette entrée de capitaux et donc de 388 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC devises, en diminuant le volume de crédit intérieur à l'économie, en vendant de la monnaie domestique contre des devises sur le marché des changes. Cette opération fait baisser la valeur, et permet en retour de maintenir ainsi la parité externe officielle de la monnaie domestique. Dans le même ordre d'idées, supposons un cas d'une politique monétaire expansionniste dont la conséquence réside dans une baisse des taux d'intérêt. En régime de mobilité imparfaite forte, il en résulte aussi une sortie des capitaux qui crée un déficit de la balance des capitaux et donc de l'ensemble de la balance des paiements. En changes fixes, elle se traduit aussi par une tendance à la dépréciation de la monnaie domestique. Les Autorités ayant une parité officielle à défendre peuvent chercher à s'abriter d'un tel effet néfaste, en tentant de raréfier l'offre de la monnaie domestique sur le marché des changes pour en faire remonter le prix. La stérilisation consistera alors à agir d'un côté pour préserver la stabilité du taux de change par une diminution de la composante réserves, et à agir, de l'autre côté, par l'augmentation de la composante crédit de façon à éviter des effets déflationnistes sur l'activité. Par contre, l'approche monétaire de la balance des paiements ne reconnaît pas l'utilité de la stérilisation, dans un contexte de marchés monétaires et de change fonctionnant avec le minimum d'interventions publiques, l'ajustement se faisant par la flexibilité des prix relatifs en changes fixes, et par le taux de change en changes flottants. Or, les Autorités monétaires même en changes fixes tentent de stériliser les entrées de capitaux ou les variations des réserves de change. On peut alors tenter de rendre compte de cette stratégie en mettant en exergue une fonction de réaction des Autorités monétaires de la forme suivante, à l'instar de Savvides (1998 : 809-827 7 ): ~CCI/PIB)t = aO + Lb; ~CAEN/PIB)ti+ Lc;CCG/PIB)ti + Ld;CTCR)ti + Lf;CDetteIPIB)ti Cette fonction de réaction fait apparaître la variation du volume de crédit intérieur rapporté au PIB comme variable endogène. Parmi ses déterminants, se range la variation des avoirs nets extérieurs en termes de PIB. Un degré de stérilisation élevé signifie un coefficient égal à l'unité, alors qu'un degré de stérilisation faible signifie un coefficient nul de cette variable. Le second déterminant est la variation du crédit au gouvernement par le système bancaire, dont le niveau est également rapporté au PIB. Un coefficient nul de cette variable signifie également une neutralisation complète des variations des créances sur le gouvernement par une diminution des créances sur le secteur privé. Un coefficient inférieur à l'unité signifie que la compensation est simplement partielle. Le taux de change réel est aussi une des 7. Savvides Andreas (1998)« Inflation and monetary policy in selected west and central african countries ». World Development, vol. 26, n° 5, pp. 809-827. LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO 389 variables de cette fonction de réaction. Une augmentation de TCR est inflationniste, carelle traduit une dépréciation et réelle source d'inflation importée qui requiert une politique de crédit restrictive: en pareille situation, le coefficient de TCR serait négatif. Toutefois, une telle augmentation alourdit le service de la dette extérieure en monnaie nationale, et peut induire une demande de crédit domestique plus forte. Dans ce cas, le coefficient de TCR est alors positif. Enfin, en présence d'un endettement extérieur important, la Banque centrale peut tenter de diminuer la croissance du crédit au secteur privé. Cette équation est estimée principalement pour la Côte d'Ivoire sur la période 1979-1995, les données étant issues des World Development Indicators (1996). Coefficients estimés Écart-types estimés T de Student probabilités Constante (AEN /PIB) d(CG / PIB) DETEXT/PIB -2.607 - 0.386 -0.007 - 0.041 4.65 0.118 0.008 0.014 -0.56 - 3.261 -0.968 - 2.929 0.58 0.0068 0.351 0.0126 Statistiques R2 13-2 ajusté EcartTyp Régre SCR Log Vraiss D'w. 0.926 0.902 2.289 65.928 - 35.246 2.18 Moyenne CIIPIB Écart-TypCIIPIB Critère d'Akaike Crit SCHWARZ F ProbF 31.60 7.33 1.89 2.14 37.98 0.0000 Variables exogènes Elle donne les résultats suivants. Toutes les variables sont stationnaires en différences premières d'ordre 2, sauf le crédit au gouvernement est stationnaire en différences premières d'ordre 1. Par conséquent l'équation précédente se présente comme une régression classique, la variation du crédit au gouvernement est intégrée d'ordre alors que toutes les autres variables sont intégrées d'ordre 1. Enfin, le coefficient de compensation entre la variation des avoirs extérieurs nets et du crédit intérieur au secteur privé est de (- 0,38), alors que celui du taux de change réel est de même ampleur (+ 0,38), celui de la variation de la dette extérieure rapportée au PIB étant plus négligeable (- 0,04). Il Y a donc une stérilisation significative des avoirs extérieure en Côte d' Ivoire de près de 40 % pour toute entrée de devises de 100%, traduisant une relative autonomie de la politique monétaire. Cependant, on constate que sur la période, la variation du taux de change réel requiert une demande de crédit de plus en plus forte par le secteur privé. Cette situation n'étonne pas puisqu'on est en période de diminution des termes de l'échange. En gros ces facteurs montrent que les pays de la zone franc possèdent des marges de manœuvre, dans le contexte d'un rattachement éventuel du FCFA à l'euro. ° 390 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC L'euro: une marge de manœuvre pour la zone franc Aujourd'hui, il est important de comprendre les critères de choix d'un régime de change pour saisir l'intérêt du choix d'un régime de parités ajustables pour la zone franc. Par ailleurs, l'ancrage du FCFA à la zone euro peut être source d'entrées de capitaux qui peuvent financer la croissance dont on attend des effets plus importants que ceux potentiellement pervers. A) LA NÉCESSAIRE ADOPTION D'UN RÉGIME DE PARITÉS AJUSTABLES Depuis 1982, le Fonds monétaire international distingue cinq régimes de change: le taux de change fixe par rapport à une seule monnaie, le taux de change fixe par rapport à un panier de monnaies, le taux de change avec flexibilité limitée (changes quasi fixes), le flottement contrôlé et le flottement indépendant. Cependant, il est difficile de classer les régimes de change pour deux raisons principales. D'une part, la Banque centrale peut annoncer un mode de gestion flexible du taux de change et, en même temps en déterminer la valeur sur la base d'un ensemble d'indicateurs tels que le différentiel d'inflation avec l'étranger, le niveau du solde du compte courant ou des prévisions de demande ou d'offre du marché des changes. Le taux est donc flottant en apparence mais il demeure non flottant en réalité. D'autre part, des interventions stabilisantes se réalisent en permanence même en régimes de changes dits flottants, ce qui signifie qu'il s'opère un lissage du cours des monnaies non compatible avec l'idée d'une flottaison intégrale. Quoi qu'il en soit, depuis le début des années 1980, l'ère où on assiste à la montée en puissance du régime de flottement des monnaies est plutôt favorable à un flottement contrôlé qu'à un flottement libre. L'analyse macroéconomique contemporaine fait désormais apparaître les cinq critères comme déterminants du choix des régimes de change. La taille du pays et son degré d'ouverture constituent le premier critère. Un pays dont la part des échanges extérieurs dans le PIB est élevée subira de plein fouet le coût d'une volatilité excessive de son taux de change, alors qu'un petit pays faiblement ouvert pourra opter pour un régime de fixité. Un pays dont le différentiel d'inflation vis-à-vis de ses partenaires commerciaux lui est défavorable devra opter pour un taux de change flexible de façon à corriger les écarts de compétitivité afin de maintenir des prix relatifs favorables à ses exportations. Le degré de flexibilité du marché du travail intervient aussi, car lorsque les salaires sont rigides, la flexibilité du taux de change est nécessaire pour absorber les chocs externes. Tandis que le degré de développement du marché financier est un déterminant du choix du régime de changes. Car un système financier peu développé où les transactions en devises sont en nombre faible rend peu viable le choix d'un régime de flottement. Aussi, le degré de crédibilité des décideurs publics affecte ce choix comme d'ailleurs le degré de mobilité des capitaux ainsi que vu précédemment. Dans le premier cas, une réputation fragile de la Banque centrale est de nature à accroître la confiance dans un taux de change fixe, lorsque l'objectif poursuivi est la lutte contre l'inflation. Toutefois, le fait de fixer le taux de LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO 391 change ne constitue pas en soi une condition suffisante de crédibilité de la politique suivie. Une forte mobilité des capitaux affaiblit la viabilité d'un régime de changes fixes car les spéculateurs peuvent alors mettre en œuvre des « attaques spéculatives» lorsque le taux de change leur paraît incohérent avec la politique macroéconomique suivie. De plus en plus d'études examinent la performance des régimes de change (FMI, 1997 Edwards: NBER, 1998). Quatre conclusions en découlent. Généralement les pays ayant maintenu un taux de change fixe, n'ont pas atteint un taux de croissance du PIB réel plus élevé que ceux ayant choisi un régime de flottement. Par contre les premiers ont montré une maîtrise plus grande de l'inflation, même s'il est vrai que l'écart tend à se réduire dans les années 1990. Le taux de change réel a été moins variable dans les pays à taux de change fixe. En réalité, c'est davantage la cohérence globale de la politique économique globale qui semble avoir joué un rôle déterminant dans les performances macroéconomiques que le choix du régime de changes lui-même. Ce constat justifie l'examen de l'intérêt d'un régime de changes ajustables. Ainsi, un régime de bandes, c'est-à-dire l'ancrage d'une monnaie à un panier de devises avec une marge de variation (de plus ou moins 10%), combine les avantages d'un régime de changes fixes avec ceux d'un régime de changes flexibles. Car du fait de l'ancrage au panier de monnaies étrangères, un tel régime permet d'imposer une discipline sur la politique monétaire. En revanche, en raison de la marge de variation, il offre un degré de flexibilité pour s'ajuster aux chocs externes tels que les sorties de capitaux, les hausses des prix du pétrole ou des intrants importés ou des taux d'intérêt mondiaux. La marge de fluctuation limite également la volatilité du taux de change, tout en permettant de prévenir contre une surévaluation de la monnaie nationale et ses conséquences négatives sur le solde du compte courant. Dans la mesure où elle introduit enfin une relative incertitude sur le prix de la devise étrangère, elle permet de limiter l'incitation à l'endettement extérieur. Tous ces éléments ne sont favorables à l'évidence à un tel régime de changes, que lorsque les pressions sur la monnaie domestique sont limitées, sinon le régime expérimente « le collapsus du taux de change» comme dans le cas du peso mexicain. Ces éléments justifient donc l'intérêt du choix d'un régime de parités ajustables en vue d'un ancrage du FCFA à l'euro. En raison de l'importance du commerce extérieur des pays membres de la zone franc vis-à-vis de l'Union européenne (50%), un régime de fixité est donc nécessaire. Par contre la faiblesse des marchés financiers, la rigidité relative des taux de salaires sur des marchés réels où de nombreuses conventions salariales subsistent et une réputation affaiblie à tenir la parité officielle depuis la dévaluation du FCFA forment des hors facteurs militant en faveur d'une dose de flexibilité. Néanmoins, il reste le problème de la parité d'entrée au moment de l'ancrage à l'euro, qui pose plus généralement le problème des avantages attendus, notamment l'attraction des capitaux étrangers. 392 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC B) L'APPARTENANCE À LA ZONE EURO UNE ATIRACnON POUR DES CAPITAUX ÉTRANGERS L'appartenance du FCFA à l'euro est de nature à susciter un changement institutionnel dont l'effet est somme toute limité, contrairement aux impacts économiques attendus. a) Le changement institutionneL A priori, le maintien de la zone franc n'est pas incompatible avec le traité de Maastricht, du moins tant qu'il relève de la politique budgétaire française (Cour, 1998 : 3). De même, le passage du peg sur le franc au peg sur l'euro n'entraînera pas de changement majeur, car la conversion se fera au taux de change de l'euro contre le franc français. Par contre, en matière de garantie de convertibilité un changement important est à prévoir: cette garantie ne faisait intervenir qu'une relation entre la France et les pays de la zone CFA. Avec l'introduction de l'euro et la disparition du franc, le Trésor français a un engagement potentiellement illimité dans une monnaie qui n'est pas française. En fait, la situation existait déjà avec le nouveau statut de la Banque de France conférant à celle-ci une indépendance par rapport à l'autorité budgétaire. Mais elle est aggravée par le fait que si les statuts de la Banque de France excluent le financement monétaire des dépenses publiques, celle-ci pouvait accommoder la situation par une politique monétaire adéquate dans le cadre d'un « policy mix» approprié. Il n'en est plus de même avec une politique monétaire européenne unique. Le Trésor français assume désormais pleinement cet engagement. L'accord liant la France aux pays de la zone franc devra désormais impliquer une reconnaissance de facto par les partenaires européens, qui devront être régulièrement informés (Rapport annuel de la zone franc, 1997). A ce titre on peut s'interroger sur le fait que le peg sur l'euro soit un accord formel de change? Deux conceptions possibles sont identifiables. Il s'agit d'un accord de change: alors la BCE est concernée et les décisions doivent être prises non par la France mais par le Conseil des chefs d'États et de gouvernements. Dans le cas d'un arrangement budgétaire, le Franc CFA repose sur un accord entre le Trésor français et les gouvernements de la zone CFA. L'UE n'a pas à intervenir. Mais, en pratique, les montants engagés au titre du compte d'opération pèsent peu à la fois dans le budget français et sur les marchés européens. En bonne gestion le gouvernement français devrait compenser les concours aux autorités de la zone CFA par des recettes fiscales ou des réductions d'autres postes de dépenses. S'il a recours à l'emprunt, il existe un risque potentiel d'augmentation des taux d'intérêt en Europe. Mais le risque est infime compte tenu des montants prévisibles qui sont relativement fixés à la taille des marchés des capitaux européens. Cependant, il est probable que, dans le futur, toute crise d'une certaine ampleur impliquera l'UE, notamment sur le plan de la gestion des effets économiques. LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO 393 b) Les effets économiques attendus Les effets réels sur l'activité sont distincts des effets sur le taux de change. Dans la mesure où elle accélérera la croissance européenne produisant des effets directs sur l'activité, l'introduction de l'euro devrait accroître les exportations des pays de la zone franc et stimuler leur croissance en volume. Cet élargissement de rUE devrait encore renforcer cet effet car c'est la périphérie de l'UE qui va le plus profiter de cet effet positif de l'euro sur la croissance, via une entrée de capitaux dont le rendement marginal attendu serait plus élevé comme cela a été le cas lors de l'adhésion de l'Espagne et du Portugal à la Communauté européenne. A propos de l'effet sur les taux de change, l'élimination de la variabilité des taux de change à l'intérieur de l'europe devrait favoriser le commerce entre l'Union européenne et la zone CFA. Mais cet effet est déjà acquis dans la mesure où les taux de change sont stables depuis un certain temps à l'intérieur de rUE. Si les exportations vers les pays autres que ceux de rUE sont essentiellement en $ (matières premières, pétrole), les importations proviennent d'origines diversifiées et faiblement des États-Unis. Les pays de la Zone CFA sont sensibles aux fluctuations du taux de change du dollar pour leurs ressources extérieures, et par ce biais, ce processus influence la demande de crédit domestique (problème de stérilisation évoqué ci-dessus). Dès lors, la volatilité du taux de change euro/dollar est donc de ce point de vue un inconvénient dont il faudra que les pays de la zone CFA apprennent à se prémunir, cependant que la volatilité en elle-même n'est pas un obstacle majeur. Son effet sur le commerce international et même sur le bien-être n'est pas démontré. Par ailleurs, il existe des moyens de se prémunir contre les risques de change. Par contre, les désajustements durables sont bien plus dommageables. Beaucoup prévoient une appréciation de l'euro. Ce désajustement poserait des problèmes de compétitivité aux économies de la zone. En sens contraire, la dette extérieure des pays de la zone CFA est pour une très large part en dollars. Une dépréciation du dollar, si elle affaiblit les revenus extérieurs, réduit également le poids du service de la dette. Ce dernier l'emporte sur l'effet défavorable sur la compétitivité. Enfin l'expansion de la zone euro peut conduire certains partenaires à changer leurs habitudes de facturation. Il est possible que certaines matières premières puissent être cotées en euros plutôt qu'en dollars. Conclusion Dans ces conditions, il faut prévoir à moyen terme une réforme de la zone franc, avec la définition d'une parité en Euro se traduisant par la dévaluation du CFA, la définition d'un régime de parités fixes ajustables à partir de l'entrée effective en 2002 de l'euro. Il serait alors dans ce cas plus 394 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC adapté que les pays africains négocient une convertibilité de leur monnaie en euros pour avoir plus facilement accès au marché international. On peut également s'attendre à ce que cette devise, en accroissant sa part dans la facturation des échanges internationaux, soit un levier pour des investissements directs et des entrées de capitaux plus grands en Afrique. En attendant que l'évolution de la conjoncture interne à l'espace CFA ainsi que l'apparition de pays africains plus influents en Afrique (Nigeria, Afrique du Sud) induisent une évolution du régime de changes en Afrique, la tendance est au renforcement de l'intégration régionale intra-africaine comme au sein de l'Union européenne. Bibliographie Barro Jr. Robert (1978) «Unanticipated money, output and the price level », JournaL ofPoLiticaL Economy, vol. 86, pp. 549-580. Blanchard Olivier et M.W. Watson (1986), «Are business cycles all alike », in Robert Gordon (ed), The American Business Cycle, Chicago, University of Chicago Press. Christopher Adam (1994), «On the dynamic specification of money demand in Kenya », JournaL ofAfrican Economies. 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Le problème de l'avenir de la zone franc se trouve dès lors posé avec acuité. Les questions suivantes sont, ces derniers temps, récurrentes: - le Franc CFA sera-t-il rattaché à l'euro? Si oui, selon quelles modalités? - s'achernine-t-on vers une disparition de la zone franc? Assistera-t-on dans ce cas à la naissance d'une zone monétaire autonome entre les pays de la zone franc, ou chaque union monétaire africaine créera-t-elle sa propre monnaie? 1. L'inflation ne doit pas être supérieure de plus de 1,5 % à celle de la moyenne des trois États membres les plus performants. - Le déficit public ne doit pas être supérieur à 3 % du PIB. - La dette publique ne doit pas être supérieure à 60 % du PIB sauf si elle diminue régulièrement vers cette valeur. - Le taux d'intérêt à long terme ne doit pas être supérieur de plus de deux points au taux moyen à long terme des trois États membres les plus performants en la matière. - L'adhésion au système monétaire européen doit dater de deux ans au moins et aucun ajustement monétaire ne doit être effectué durant cette période. 398 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC Ces questions légitimes que se posent à l'heure actuelle les élites africaines - et qui trouvent un écho naturel en France - ne sont pas seulement d'ordre monétaire et financier. En effet, les choix monétaires que les pays africains de la zone franc seront amenés à effectuer conditionneront de façon cruciale leurs stratégies de développement. Ainsi, au-delà des perspectives du FCFA, l'avènement de l'euro implique que c'est ce devenir politique, économique et social des pays de la zone franc qui est en jeu. n semble à l'heure actuelle établi qu'un choix politique clair a été fait en faveur d'un rattachement du FCFA à l'eur0 2• Mieux les ministres des Finances de l'Union européenne ont décidé le 6 juillet 1998 de maintenir la parité actuelle entre le FCFA et le franc français à l'avènement de l'euro. L'Allemagne qui avait émis des doutes et des réserves, s'est finalement rangée aux vues de ses alliés après avoir demandé que la Banque centrale européenne puisse se prononcer sur cet accord. Les deux questions fondamentales qu'on peut se poser sont dès lors les suivantes: - le maintien des accords régissant la zone franc est-il compatible avec les dispositions de l' Union économique et monétaire (UEM)? - quelle sera l'incidence du rattachement du FCFA à l'euro sur le taux de change effectif réel du FCFA et la compétitivité extérieure des pays de la zone franc? Cette contribution tente d'apporter des réponses à ces deux importantes questions. Le rattachement du FCFA à l'euro est-il techniquement possible? Au plan monétaire, l'appartenance à la zone franc se traduit, pour les pays membres, par l'adhésion à trois grands principes relatifs au régime des changes. - L'existence d'une monnaie propre à chaque union qui est dans un rapport de change absolument fixe à l'égard du franc français (l FCFA = 0,01 FF depuis la dévaluation de 50% du franc CFA en janvier 1994). - Une gestion commune des réserves de change: chaque Banque centrale -la BCEAü et la BEAC - verse au moins 65 % de ses disponibilités constituées en dehors de la zone dans un compte d'opérations ouvert auprès du Trésor français 3 • 2. Cf. à ce sujet: les engagements par écrit du président français J. Chirac au sommet France-Afrique de 1996; les conclusions de la réunion de Libreville des ministres des Finances de la zone franc - avril 1998 - l'article du gouverneur de la BCEAO dans le Soleil du 17 avril 1998. 3. Les États ont la faculté de tirer sans limite fixée a priori les ressources dont ils ont besoin pour leurs paiements externes, sous réserve que les disponibilités extérieures détenues par ailleurs aient été entièrement utilisées au préalable. Des clauses sont prévues pour la rémunération dudit compte lorsqu'il est créditeur. En cas de débit, des intérêts sont payés à la partie française. L'AVÈNEMENT DE L'EURO 399 - Une liberté de transfert au sein de la zone ne pouvant être enfreinte même dans l'hypothèse où un pays éprouve de sérieuses difficultés de balance des paiements. Ces principes confèrent au régime des changes des pays africains de la zone franc une spécificité certaine par rapport au régime de change des autres pays en développement. A compter du 1er janvier 1999, la définition et la mise en œuvre de la politique monétaire dans l'Union monétaire européenne incomberont à la Banque centrale européenne (art. 105.2 du traité de Maastricht). Les banques centrales nationales exécuteront les missions qui leur seront confiées, mais elles n'auront plus le pouvoir monétaire ni celui de financer - ce qui est déjà le cas depuis le 1er janvier 1994 -les déficits budgétaires excessifs4 . De manière formelle, jusqu'à une date récente, le problème du rattachement du FCFA à l'euro n'avait été considéré par aucune institution européenne et il n'y avait pas de position officielle par rapport à la question de savoir si ce lien devai t requérir un engagement des pays de l' Union monétaire autres que la France. Les dispositions du traité de Maastricht laissaient en effet la porte ouverte à diverses interprétations (Hadjimichael et Galy, 1997). Selon l'article 109 (1), le Conseil des ministres est habilité à conclure des accords de taux de change entre l'euro et d'autres monnaies et d'adopter, d'ajuster ou d'abandonner les taux centraux de l'euro dans chaque accord de change. En l'absence d'un système de taux de change en relation avec une ou plusieurs monnaies, le Conseil des ministres peut formuler des orientations générales pour la politique de taux de change en relation avec ces monnaies compatibles avec l'objectif premier de la Banque centrale européenne qui est de maintenir la stabilité des prix (article 109 [2]). L'article 109 (3) stipule que lorsque des accords concernant des questions monétaires ou de régime de change doivent être négociés par la Communauté avec un ou plusieurs États ou organisations internationales, le Conseil des ministres, agissant à la majorité qualifiée sur recommandation de la Commission et après avoir pris l'avis de la Banque centrale européenne, décidera des termes de la négociation et de la conclusion de tels accords. Le souci, à ce niveau, est de faire en sorte que la Communauté exprime une seule position. Cependant, le pouvoir conféré au Conseil des ministres en la matière n'exclut pas des actions indépendantes de la part des pays membres. En effet, l'article 109 (5) permet expressément aux pays de l'Union monétaire européenne de négocier et de conclure des accords internationaux dès l'instant que ces accords ne portent pas préjudice aux compétences de la Communauté et aux accords relatifs à l'Union économique et monétaire. Un protocole annexé au traité de Maastricht prévoit que la France conservera le privilège d'émission dans les départements et territoires d'outre4. Art. 109 E.4: les États devront « éviter les déficits excessifs ». Art. 104.C.2.: la Commission surveille l'évolution de la situation budgétaire et du montant de la dette publique de chaque État membre. 400 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC mer et qu'elle sera habilitée à déterminer la parité du franc CFA. On ne trouve pas la moindre mention de la zone franc. A la lumière des articles 109 (1), 109 (2) et 109 (3), la libre convertibilité du FCFA en euro garantie par la France pourrait donc être interprétée comme un accord de taux de change qui concerne tous les pays de l'UEM et donc sujet à l'approbation du Conseil des ministres, laquelle est devenue effective en juillet 1997. L'impact quantitatif de cet accord est cependant quasi nul sur la politique monétaire de l'Union. La libre convertibilité du FCFA garantie par la France est un accord budgétaire entre le Trésor français et les deux Banques centrales de la zone franc qui ne nécessite pas une approbation du Conseil des ministres. La garantie de convertibilité n'est pas un accord de nature monétaire. Elle ne fait entrer en jeu ni la Banque de France ni la Banque centrale européenne et semble conforme aux dispositions de l'article 109 (5) du traité de Maastricht. Les comptes d'opérations des deux Banques centrales africaines ne sont pas ouverts auprès de la Banque de France mais du Trésor français qui convertit les francs CFA en francs français. Le Trésor français pourra continuer de le faire en cédant aux Banques centrales africaines des euros lorsque ceux-ci deviendront la seule monnaie ayant cours légal en France. Ce sera donc toujours le budget de l'État français qui financera les besoins éventuels de la zone franc. Le passage à la monnaie unique est donc tout à fait compatible avec les règles institutionnelles de la zone franc. Que l'avènement de l'euro n'affecte en rien les règles de la zone franc ne fait pas cependant l'unanimité. L'argument suivant est couramment évoqué: les dispositions du traité de Maastricht vont considérablement restreindre les marges de manœuvre des Trésors publics nationaux, en particulier celle du Trésor français pour financer les déficits futurs des comptes d'opérations de la zone francs. A proprement parler, il n'y aurait problème que si les volumes en cause n'étaient pas si faibles et les déséquilibres globaux des comptes d'opérations si marginaux. Il s'agit en effet de déficits globaux, ce qui signifie que l'excédent d'un compte d'opérations pourra compenser partiellement le déficit de l'autre. A la veille de la dévaluation du franc CFA, le déficit des comptes d'opérations de la zone franc représentait moins de 0,5 % du déficit budgétaire français 6 . 5. Une réduction des avoirs extérieurs de la zone franc et un possible usage de la facilité de tirage auprès du Trésor français pourraient théoriquement, s'ils ne sont pas compensés par des mesures budgétaires correctrices, accroître le besoin de financement du Trésor français et entamer la hausse des taux d'intérêt provoquant une éviction du secteur privé du marché du crédit. 6. L'année 1990 a été celle où le déficit combiné des deux comptes d'opérations a été le plus élevé mais n'a représenté que 0, 1% de la masse monétaire française (3 milliards de FF). Cependant à la suite de la dévaluation, ce déficit a atteint 0,3% de la masse monétaire de la France en 1994 c'est-à-dire 10,5 milliards de FE L'AVÈNEMENT DE L'EURO 401 Ainsi, si l'avènement de l'euro peut ne pas remettre en cause l'existence du FCFA ni la garantie de change de la France, il ne se pose pas moins la question de savoir si les modalités prévues pour le rattachement du FCFA à l'euro sont réalistes. Un taux de change fixe entre l'euro et le FCFA est-il économiquement souhaitable? Du 1er janvier 1999 au 1er janvier 2002, l'euro coexistera avec les monnaies nationales. Celles-ci ne disparaîtront définitivement qu'à partir de cette dernière date. Le FCFA s'en trouverait automatiquement rattaché à l'euro. La substitution des billets se fera dans un délai qui sera fixé d'ici là, mais cela n'a guère une grande importance pour le FCFA. Le choix des cours de conversion en aura beaucoup plus. C'est le Conseil européen qui les arrêtera, de façon à ce que l'euro ait la même valeur que l'actuel écupanier (art. 109L.4). Bien que cela ne soit pas précisé, les cours seront déterminés à partir de la valeur officielle de l'écu, c'est-à-dire de la valeur du panier en chacune de ses monnaies composantes, telle qu'elle est publiée chaque jour par les services de la Commission. C'est sur une telle disposition que le gouverneur de la BCEAO s'est basé pour écrire dans Le Soleil du 17 avril 1998 qu'au vu du cours actuel de l'écu, le taux de change entre l'euro et le FCFA s'établira selon toute vraisemblance aux alentours de 670 FCFA pour un euro au 1er janvier 1999. Cette valeur pourrait cependant changer d'ici là car elle se trouve modifiée chaque fois qu'une monnaie est réévaluée ou dévaluée. La parité du FCFA avec l'euro ne sera donc connue que le 1er janvier 1999 car si les pays qui entrent dans l'Union monétaire ne doivent pas avoir modifié leur taux de change nominal dans les deux années qui précèdent, les pays qui n'entreront pas dans l'Union ce jour-là7 pourront avoir dévalué leur monnaie quelques jours plus tôt. Faut-il ajouter que cette valeur ne pourra être arrondie, ce qui reviendrait à modifier la valeur de l'écu en FP. L'entrée en vigueur du traité de Maastricht peut compliquer le fonctionnement de la zone franc dans la mesure où la politique monétaire de l'Union sera orientée vers la stabilité des prix et sera donc très rigoureuse. On connaît l'attachement des Allemands à une monnaie forte. Cette solution est-elle réaliste pour les pays de la zone franc? Est-il souhaitable et économiquement soutenable que la monnaie du Niger, du Tchad ou de la Guinée Bissau soit aussi forte que celle de l'Allemagne ou de la France? Un taux de change effectif nominal (TCEN) élevé risque d'impliquer, tou7. On en connaît à l'heure actuelle quatre: la Grande-Bretagne, la Suède, le Danemark et la Grèce. 402 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC tes choses étant égales par ailleurs, un taux de change effectif réel (TCER) élevé8 . Le TCER est l'indicateur standard le plus couramment utilisé pour mesurer la compétitivité globale d'une économie. Il indique la rentabilité des biens et services faisant l'objet de transactions internationales par rapport à ceux qui sont produits et consommés à l'intérieur du pays exclusivement. L'approche traditionnelle du TCER est basée sur la parité des pouvoirs d'achat. L'hypothèse de base est que la valeur d'une monnaie se trouve fondamentalement déterminée par la quantité de biens qu'elle permet d'acquérir. En d'autres termes, le taux de change est le prix qui réalise une parité entre les monnaies de deux pays Pet i telle qu'il permet d'acheter indifféremment un panier donné de biens dans P ou dans i. Le taux de change joue un rôle essentiel dans la définition de la stratégie économique et financière d'un pays. Ainsi, un niveau trop élevé du taux de change (monnaie nationale surévaluée) risque d'entraîner la disparition d'un certain nombre d'entreprises par manque de compétitivité, une hausse des importations et une baisse des exportations. Le prix à payer à moyen terme de cette politique de facilité à court terme peut être un affaiblissement de la capacité industrielle du pays et une réduction du niveau de vie de ses habitants. Plus les structures de production d'un pays sont vétustes, plus les parts de marché qu'il occupe sont traditionnelles, moins il a intérêt à pratiquer une politique de monnaie forte. Il aura en effet à restructurer complètement son appareil industriel, tâche rendue difficile par les rigidités économiques et sociales. S'il n' y parvient pas, il perdra simultanément sur tous les tableaux: il perdra ses marchés traditionnels 9 , la parité élevée de sa monnaie empêchant ses entreprises de consentir les sacrifices de prix nécessaires; il ne conquerra pas de parts de marchés sur les créneaux nouveaux, ses entreprises n'étant ni assez mobiles, ni assez rentables pour saisir les opportunités. L'évolution de la balance commerciale d'un pays est donc reliée à la compétitivité de ses entreprises sur les marchés étrangers et celle-ci va dépendre de la politique de change suivie par les autorités monétaires. Le choix d'un taux de change nominal approprié doit être lié aux facteurs ayant conduit à la surévaluation de la monnaie nationale. Un ajustement du 8. TCER = 7-TCEN xwilp-d où: TCEN est l'indice du taux de change effectif nominal ou la moyenne des indices des taux de change bilatéraux vis-à-vis des principaux partenaires commerciaux (calculés à partir des cours de change de la monnaie nationale cotée au certain) d'un pays donné (P) par rapport à la monnaie d'un pays (i). Pd = indice des prix à la consommation dans le pays P. Wi = coefficient de pondération: il mesure le poids de chaque pays partenaire i dans les importations totales du pays P. Mi= importations du pays P en provenance du pays i. W = Mi avec Mt: importations totales du pays P. 9. Les pays africains de la zone franc présentent de telles caractéristiques. L'AVÈNEMENT DE L'EURO 403 taux de change est nécessaire et même inéluctable en présence de chocs extérieurs défavorables (détérioration des termes de l'échange, récession au niveau mondial, politiques publiques inadéquates). Dans le contexte économique international actuel, il ne semble pas stratégique, pour des pays en développement, de se priver totalement de l'arme du taux de change dans l'optique de la recherche d'une plus grande compétitivité externe de leurs économies. Il peut apparaître souhaitable pour les pays de la zone franc d'introduire une dose de flexibilité dans leur régime de changes. La totale flexibilité engendre des déviations importantes et durables par rapport aux taux de change d'équilibre de long terme 10. Les changes fixes aboutissent à des rigidités fortes. C'est pourquoi la mise en place de fluctuations du FCFA autour d'un cours pivot par rapport à l'euro peut sembler préférable (zone cible). Un tel système permettrait des ajustements fréquents du taux de change en fonction de l'évolution des fondamentaux. Etant donné le mauvais effet produit sur les plans politique et psychologique par une dévaluation dans le contexte d'un système de rattachement, il apparaît plus réaliste de se ménager des marges de fluctuation. Un tel système pourrait permettre aux autorités de la zone franc de tirer profit des fluctuations des principales monnaies pour camoufler une dépréciation effective de leur monnaie et d'éviter ainsi les répercussions politiques d'une dévaluation souvent vécue comme un psychodrame par les populations (Aghevli, Khan et Montiel, 1991). Le raisonnement qui précède aboutit à une conclusion d'ordre pratique. En s'engageant à gérer avec souplesse le taux de change, les autorités de la zone offriraient des garanties utiles aux producteurs de biens échangeables favorisant en cela l'ajustement extérieur. Une politique d'arrimage à une monnaie telle qu'on l'envisage pour le FCFA vis-à-vis de l'euro peut créer des distorsions dans le système financier. En effet, dans la mesure où elle est considérée comme une garantie implicite de stabilité de la monnaie, elle incite à emprunter en devises étrangères et encourage les institutions financières et les entreprises à prendre des risques de change excessifs. En outre, lorsque le taux est fixe, les investisseurs savent que la garantie implicite de convertibilité est limitée par les réserves internationales disponibles et par la capacité du pays à emprunter à l'étranger. Par conséquent, lorsque la viabilité de ce régime devient incertaine, le pays attire essentiellement des capitaux spéculatifs à court terme. Les crises mexicaine de 1994-1995 et asiatique de 1997 ont mis à nu les dangers d'une politique de fixité du taux de change. Dans les deux cas, l'appréciation du taux de change réel, l'augmentation de la dette extérieure à court 10. Celui-ci selon la définition de Welliamson est susceptible de maintenir à long terme l'activité économique au niveau le plus élevé. Il doit réaliser l'équilibre de la balance de base et répondre au sentier de croissance acceptable. 404 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC tenne et la taille du déficit des transactions courantes amplifiées par la faiblesse du système financier ont déclenché la crise, (Ortiz, 1998). Une leçon à tirer de la crise asiatique est que l'arrimage du taux de change est un régime très difficile à défendre contre les attaques spéculatives, surtout lorsque le système financier du pays est faible. En effet, les hausses des taux d'intérêt nécessaires pour consolider le régime de change minent sérieusement le système financier et peuvent même y provoquer une crise. A la lumière de ces considérations, il est plus que temps que les autorités politiques et monétaires des pays africains membres de la zone franc se départent de leur religion d'un taux de change fixe qui serait sans grand rapport avec les réalités économiques et sociales de ces derniers. L'évolution du monde rend indispensable, à l'heure actuelle, une réfonne des modalités de fonctionnement de la zone franc. S'il peut sembler opportun de lier le FCFA à l'euro, il serait plus réaliste que ce lien soit lâche, adaptable en fonction des circonstances et non rigide. L'usage à bon escient du taux de change peut pennettre de faire repartir une économie sur des bases plus saines et d'inverser ainsi des tendances économiques défavorables. Bibliographie Aghevli Bijan. B, Khan Mohsin S. et Montiel Peter (1997), «La politique de taux de change dans les pays en développement: questions analytiques », Fonds monétaire international. Hadjimichael Michael T. and Galy Michel (1997), « The CFA, franc zone and the EMU », IMF Working Paper, 971156. Ortiz Martinez Guillenno (1998), « Les enseignements de la crise mexicaine et le redressement de l'Asie », Finances et développement, juin. 18 Le franc CFA: autonomie ou rattachement à l'euro? Une analyse coûts avantages à partir des effets potentiels sur l'économie gabonaise Par Fidèle MAGOUANGOU La fin du vingtième siècle est caractérisée par un environnement économique qui présente trois caractéristiques majeures: 1. la mondialisation de l'économie; 2. le regain de l'intérêt pour le régionalisme; 3. la marginalisation de l'Afrique dans les échanges internationaux. L'économie mondiale, désormais plus intégrée, est regroupée essentiellement autour de trois blocs (ALENA, CEE, ASEAN) mais laissant de moins en moins de place à l' Afrique. Pour augmenter le poids du continent noir sur les marchés internationaux, les économies africaines doivent élargir leur base productive afin de les rendre moins vulnérables aux chocs exogènes et de renforcer leur compétitivité. Le taux de change est l'un des instruments qui, bien utilisé, permettra d'atteindre ces deux objectifs à la fois. Le rôle que peut jouer le taux de change dans l'ajustement externe et interne d'une économie dépend du régime de change choisi. Avec ou sans l' avènement de l'euro, la marginalisation continue de l'Afrique dans les échanges internationaux devrait inévitablement amener les responsables politiques, les chercheurs et les hommes d'affaires africains à réfléchir et à choisir le régime de change qui soit approprié à la réalité de l'économie mondiale d'aujourd'hui. Pour les pays de la zone franc cette réflexion ne peut plus attendre car l'introduction de l'euro le 1er janvier 1999 marquera le début de la disparition du franc français qui sera effective en 2002. Cette disparition annoncée suscite déjà des inquiétudes sur l'avenir du franc CFA. 406 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC Faut-il profiter de cette occasion pour remettre en cause la tutelle française ou européenne et aller vers une autonomie totale dans la gestion du taux de change? Ou faut-il au contraire militer pour le rattachement du franc CFA à l'euro et continuer ainsi à renoncer à la souveraineté monétaire? L'objectif de cette contribution est d'essayer de répondre à ces deux questions en indiquant les coûts et les avantages de chaque option du point de vue de l'économie gabonaise. L'article comprend trois parties. Dans la première, nous examinons les déterminants fondamentaux des taux de change et les différents régimes de change. La deuxième partie décrit l'économie gabonaise et les mécanismes institutionnels de fonctionnement de la zone franc. Enfin, la troisième partie analyse, à la lumière des fondamentaux de l'économie gabonaise, les effets potentiels de l'autonomie du franc CFA et de son rattachement à l'euro. Dans cette partie, nous indiquons notre préférence pour le rattachement à l'euro mais avec des parités ajustables activement. Déterminants fondamentaux des taux de change et choix du régime de change! La discussion sur les déterminants fondamentaux du taux de change n'est possible qu'à la condition de préciser au préalable la notion du taux de change. Dans notre cas, nous parlerons soit du taux de change nominal (TCN), c'est-à-dire le prix relatif de deux monnaies, soit du taux de change réel (TCR) qui exprime le prix relatif des biens échangeables par rapport aux biens non échangeables. Le principal intérêt du TCR est qu'il donne une bonne indication de la compétitivité d'un pays. Dans le cas du Gabon, l'hypothèse est que les objectifs des responsables politiques sont d'assurer une croissance économique saine et équilibrée, de restaurer la compétitivité sur les marchés internationaux et de promouvoir l'intégration régionale. Dans ces conditions, le TCR sera un indicateur macroéconomique fondamental. TeR = e· (PT* IPN) e: taux de change nominal, c'est-à-dire le nombre d'unités de monnaie nationale par unité de monnaie étrangère (une augmentation correspond à une dépréciation). PT* : prix mondial des biens échangeables; PN: prix intérieurs des biens non échangeables. Si on fait l'hypothèse que les prix relatifs ne varient pas dans le reste du 1. Cette partie du texte s'appuie pour l'essentiel sur les écrits de Sebastien Edwards (1986) et de W. Max Corden. LE FRANC CFA: AUTONOMIE OU RATTACHEMENT À L'EURO? 407 monde, la baisse du TCR s'interprète comme une détérioration de la compétitivité internationale du pays. En d'autres termes, le pays produit désormais des biens échangeables avec moins d'efficience qu'auparavant, par rapport au reste du monde 2. A l'inverse, une hausse du TeR représente une amélioration de la compétitivité internationale. L'idéal serait que ce TCR soit un taux de change réel d'équilibre, c'est-àdire le taux de change qui assure à la fois l'équilibre interne et l'équilibre externe. L'équilibre interne signifie que le marché des biens non échangeables est équilibré dans le présent et dans le futur. L'équilibre externe signifie que la somme actualisée des soldes extérieurs successifs doit être égale à zéro. En d'autres termes, lorsque l'équilibre extérieur est réalisé, les soldes extérieurs courants (actuels et futurs) sont compatibles avec des mouvements de capitaux soutenables à long terme 3 . Pour agir sur le TCR, il faut connaître au préalable ses déterminants les plus significatifs. Les déterminants fondamentaux du TCR peuvent être rangés en deux groupes: les facteurs externes et les facteurs internes. 1. Les termes de l'échange internationaux; 2. les transferts internationaux (y compris les flux d'aide) ; 3. les taux d'intérêt réels mondiaux. Les facteurs internes sont les suivants: 4. les droits de douane, les contingents et les taxes à l'exportation; 5. le contrôle de change et les mouvements des capitaux; 6. les autres taxes et subvention; 7. la structure des dépenses publiques; 8. le progrès technique. Le progrès technique est le principal déterminant fondamental interne qui ne dépende pas de la politique économique. Une détérioration des termes de l'échange a les mêmes effets sur le TCR que l'application d'un droit de douane. Dans les deux cas, le prix domestique des biens importés augmente et la demande de ces biens baisse. La demande de biens non échangeables augmente ce qui entraîne une hausse des prix de ces derniers (l'hypothèse étant que l'effet de substitution est plus fort que l'effet revenu). La hausse du prix des biens échangeables provoque également une hausse du TCR d'équilibre et correspond à une dépréciation de la valeur réelle d'équilibre de la monnaie. Les transferts internationaux influencent également l'évolution du TCR. Lorsqu'un pays effectue un transfert vers le reste du monde, les revenus et les dépenses actuels et futurs vont baisser en valeur. La conséquence est qu'il y aura également une baisse du prix relatif des biens non échangeables. Cette baisse va, à son tour, provoquer une dépréciation de la valeur d'équilibre de la monnaie. De la même manière, la valeur réelle d'équilibre 2. Sebastien Edwards (1986), « Exehange rate misalignment in developing eountries: analytieal issues and empirieal evidenee», CDP Working Paper, Banque mondiale, Country PoHey Departement, Washington, OC. 3. Sébastien Edward, op. cit. 408 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC de la monnaie s'apprécie lorsque le pays reçoit une aide extérieure. Cette appréciation, en rendant les exportations plus chères, réduit la compétitivité internationale du pays bénéficiaire. Le contrôle des mouvements des capitaux influence le TCR à travers la consommation intertemporelle et donc à travers l'évolution des prix relatifs. Une entrée de capitaux, due à un contrôle souple des mouvements des capitaux, provoque une augmentation des dépenses courantes pour tous les biens, y compris les biens non échangeables. La conséquence est une hausse des prix de ces derniers ou une appréciation de la monnaie. Le progrès technique influence le TCR à travers l'amélioration de la productivité. Plusieurs auteurs ont attiré l'attention sur l'importance de la productivité relative réelle dans l'explication des variations du cours de change4 . Selon le théorème de Ba/assa-Samuelson, le taux de change du pays, dont la productivité croît plus vite, aura tendance à s'apprécier en terme réel. L'explication est la suivante: une forte croissance de la productivité dans le secteur manufacturier; secteur produisant les biens échangeables; cela provoque une hausse des salaires aussi bien dans le secteur des biens échangeables que dans celui des biens non échangeables, dont la productivité augmente moins vite. Cela provoque non seulement une hausse des prix du secteur où les gains de productivité étaient plus élevés, mais aussi une hausse du niveau général des prix. Le taux de change réel courant ou taux de change réel effectif n'est toujours pas égal au TCRE. Bien que ce dernier dépende uniquement des variables réelles, le taux de change réel effectif, lui, dépend des variables réelles et des pressions macroéconomiques globales (masse monétaire, déficit budgétaire). La gestion optimale du taux de change dépend des fondamentaux analysés ci-dessus, des objectifs économiques fixés par les autorités et du régime de change choisi. Les objectifs du gouvernement gabonais sont d'assurer une croissance économique saine et durable en limitant les variations du produit réel autour du niveau de plein emploi, de préserver la compétitivité et de favoriser l'intégration régionale. Ces objectifs sont poursuivis dans un contexte de mondialisation caractérisé par des marchés incertains et instables, donc de chocs inattendus. En ce qui concerne le choix du régime de change, il est reconnu qu' « aucun des choix extrêmes (taux de change permanent fixe ou taux de change flexible) n'est optimal dans la recherche de la stabilité économique. Par contre, un degré intermédiaire de flexibilité aurait plus de chance de succès dans la stabilisation de l'économie en réponse aux chocs inattendus S ». Dans la réalité, le choix d'un régime de taux de change fixe ou flexible dépend de la nature des chocs auxquels est exposé le pays considéré. Lors4. Harrod (1939), Balassa (1964), Samuelson (1964), 1. Kravis et R. Lypsey (1983), L. Officer (1976) et D. Hsieh (1982). 5. Celestin Monga et Jean-Claude Tchatchouang (1996), Sortir du piège monétaire, Economica, p. 51. LE FRANC CFA: AUTONOMIE OU RATIACHEMENT À L'EURO? 409 que l'économie est confrontée à des chocs extérieurs, il est préférable d'adopter un taux de change flexible. Dans l'hypothèse d'une baisse des cours du pétrole par exemple, les prix domestiques gabonais peuvent être stabilisés par un ajustement approprié du taux de change 6 . Si les chocs sont internes, faut-il adopter des taux de changes fixes ou ajustables? Le choix dépend de la nature des chocs. S'ils sont d'origine monétaire, il est reconnu que le maintien du taux de change fixe est plus efficace dans la stabilisation du produit national. Par contre, lorsque les chocs sont réels, il est préférable d'ajuster le taux de change pour stabiliser le produit national. En ce qui concerne l'objectif de la compétitivité, l'option des changes fixes devrait être exclue si les principaux concurrents sur les marchés internationaux ont des monnaies qui flottent. La promotion de l'intégration régionale possède un avantage certain: le régime de change peut être fixe ou flexible, l'essentiel est que les pays candidats au processus puissent avoir ou conserver une monnaie commune. Les fondamentaux de l'économie gabonaise et les règles de fonctionnement de la zone franc Les fondamentaux de l'économie gabonaise A) LA STRUCTURE DE L'ÉCONOMIE GABONAISE L'économie gabonaise dépend essentiellement de l'exploitation des richesses de son sol et de son sous-sol: pétrole, mines (manganèse et uranium ) et bois. Dans ce groupe de produits destinés essentiellement à l'exportation, le pétrole est l'activité économique dominante 7• A titre d'illustration, les recettes pétrolières représentent, depuis 1980, plus de 50% de l'ensemble des recettes du budget de l'État et la production pétrolière représentent près de 40% du PIB alors que les mines et le bois représentent à peine 5% du PIB. Tableau 1 - Évolution du pm en francs courants (rnds de FCFA) Année PIB Taux de croissance réel1e (%) 1993 1994 1995 1996 1530,5 2326,7 2549,8 2897,0 3.9 3.7 5 3.8 Source: Rapport annuel de la zone franc 1996, Banque de France et auteur. La décomposition par secteur du PIB confirme la prédominance du secteur pétrolier et la faiblesse du secteur primaire et plus particulièrement de 6. Celestin Monga et Jean-Claude Tchatchouang , op. cit. 7. H. A. Barro Chambrier, L'Économie du Gabon, analyse politique d'ajustement et d'adaptation, Economica. 410 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC l'agriculture. Tableau 2 - Répartition du PIB en 1996 (en pourcentage) SECTEURS Secondaire Primaire 1 8,9 Tertiaire 1 1 12 1 38,3 1 Pétrolier 40,8 1 Source: Rapport annuel de la zone franc 1996, Banque de France. Le poids des exportations de pétrole dans les exportations totales s'est accentué dans le temps. Il est passé de 27 % en 1960 à 77 % en 1991 avec un pic de 83 % en 1984. B) LA STRUCTURE DES EXPORTATIONS Tableau 3 - Évolution du taux de concentration des exportations En milliards 1960 1971 1980 1984 1989 1991 735.7(83) 361(71) 512(77) (et %) Produits pétrole 2.5(27) 21.7(44) 406.8(77.6 ) Bois 8.6(73) 14.9(31) 47.6(9.2) 51.7(6) 48.1(9.4) 57(11) 0 9.4 28.0(5.3) 26.9(3) 59.3(11. 6) 30(6) Manganèse 0 1.5 23.5(4.5) 57.1(7) 21.1(4.1) 28(5) Divers 1.2 1.9 18.0(3.4) 10.3(1) 20.1(3.9) 44(1) Total exportations 11.8 49.4 Uranium 523.9(100) 881.7(100) 509(100) 667(100) Source: H. A. Barro Chambrier (1990) et auteur. La spécialisation quasi exclusive de l'économie dans des industries extractives et extraverties provient plus de la présence d'importants gisements en ressources naturelles du Gabon que d'un choix délibéré de politique économique. C) LA BALANCE DES PAIEMENTS Tableau 4 - Balance des paiements du Gabon en milliards de FCFA Transactions courantes 1993 1994 1995 3,3 206,9 63,6 Balance commerciale 411,2 903,0 904,3 Exportations 650,8 1324,0 1352,4 Importations 239,6 421,0 448,1 Services - 372,8 - 625,1 -734,9 Transferts unilatéraux - 35,1 -71,0 - 105,8 LE FRANC CFA: AUTONOMIE OU RATIACHEMENT À L'EURO? 411 Tableau 5 - Balance des paiements du Gabon en milliards de FCFA Flux financiers -163,8 -274,9 -279,6 Longtenne - 107,8 - 146,5 - 212,8 Court tenne -56,0 - 128,4 -66,8 Erreurs et omissions -9,3 -21,3 +2,5 -169,8 -89,3 - 213,5 169,8 89,3 213,5 Balance globale Financement Source: Rapport annuel de la zone franc 1996, Banque de France. L'examen de la balance des paiements montre que l'économie gabonaise bénéficie de manière structurelle des entrées des capitaux pour financer une partie de ses opérations sur biens et services. Ces entrées de capitaux gonflent le stock cumulé de la dette et pourraient influencer le taux de change. D) L'INFLATION ET LES TERMES DE L'ÉCHANGE Tableau 6 - L'indice de prix 1994 136 1995 109.6 1996 105 Tableau 7 - Les termes de l'échange 1993 90 1994 83.6 1995 79.9 Source: DGE. Sur la période 1994-1996, le taux d'inflation a été maîtrisé, malgré la dévaluation de 1994. Par contre, sur la période précédente, l'économie gabonaise a connu une détérioration de ces termes de l'échange 8 . 8. Les tennes de l'échange ont été obtenus en divisant le déflateur des exportations par celui des importations. 412 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC E) LE TABLEAU DES OPÉRATIONS FINANCIÈRES DE L'ÉTAT Tableau 8 - Le tableau des opérations financières de l'État 9 1993 1994 1995 350,9(23) 554,4(24) 730,6(29) Recettes 346,9 546,0 730,6 Recettes fiscales non pétrolières 189,6 221,1 288,2 Recettes fiscales pétrolières 157,3 324,9 442,4 4,0 8,4 0,0 440,1 592,3 651,0 ReceUes totales Dons extérieurs Dépenses totales et prêts nets 362,4(24) 461,1(20) 515,0(20) Salaires 149,1 165,1 178,1 Intérêts 108,9 156,2 201,0 Intérêts sur la dette intérieure 23,7 38,8 37,4 Intérêts sur la dette extérieure 85,2 117,4 163,6 Autres dépenses courantes 104,4 139,8 135,9 Dépenses en capital 77,7 131,2 136,0 Dépenses de restructuration 0,0 0,0 0,0 Dépenses courantes Solde primaire (hors dons) Solde base engagement (dons compris) Arriérés 15,7 109,9 280,6 - 89,2(-6) - 37,9(-2) + 79,6(3) 146,6 - 791,8 -53,6 Arriérés intérieurs 5,8 -89,1 -53,6 Arriérés extérieurs 140,8 -702,7 0,0 Solde (base caisse) +57,4(4) - 829( -36) +26,0(1) -57,4 + 829,7 -26,0 1 Financement Financement intérieur 15,3 30,6 -78,8 Financement extérieur -72,7 799,1 52,8 Source: Rapport annuel de la zone franc 1996, Banque de France. Sur la période considérée, le tableau des opérations financières de l'État montre, le budget de l'État dégageant un excédent primaire qui est en augmentation constante. Entre 1993 et 1995, il est passé de 15,7 milliards à 9. 0 en % du PIB Solde primaire = recettes-dépenses totales (hors intérêts). Solde (base engagement) recettes totales (y compris dons) - dépenses totales. Solde (base caisse) =solde (base engagements) + arriérés. = LE FRANC CFA: AUTONOMIE OU RAITACHEMENT À L'EURO? 413 280,6 milliards, soit une augmentation de 265 milliards. Cette situation satisfaisante des finances publiques s'explique par la progression des recettes pétrolières qui sont passées de 157,3 à 442,4 milliards entre 1993 et 1995. Une baisse inattendue des cours du baril de pétrole suffirait pour dégrader les comptes de l'État. F) LA DEITE EXTÉRIEURE Le Gabon, au regard du tableau ci-dessous, est un pays relativement très endetté. En 1995, la dette extérieure avoisinait les 4 milliards de dollars américains, soit un ratio dette sur PIB de plus de 120%. Mais le service de la dette demeure supportable grâce aux mesures d'allégement consenties par les créanciers du Club de Paris. Tableau 9 - La dette extérieure du Gabon (encours en millions de $ US) 1993 1994 1995 Dette à court et long terme 3861 3986 4493 Dette à long terme 2933 3509 4099 Dette publique garantie -- -- 2933 3509 4099 Dette privée non garantie 0,0 0,0 0,0 Recours aux crédits FMI 45 90 97 Dette à court tenne 883 387 297 INDICATEURS en % Dette totale / Export biens et services 144,6 154,5 160,3 Dette totale / PNB 80,7 123,0 121,6 Service dette / Export biens et services 5,9 10,4 15,8 Intérêts dette / Export biens et services 3,2 5,8 8,1 Dette multilatérale 1 dette totale 10,6 Il,5 14,8 Source: Rapport annuel de la zone franc 1996, Banque de France. Pourtant, l'économie gabonaise présente une situation contrastée. D'une part, la croissance économique est bonne (supérieure à 3 %) depuis la dévaluation, l'inflation maîtrisée a retrouvé le niveau d'avant la dévaluation. D'autre part, les déséquilibres extérieurs persistent, l'équilibre des finances publiques fragile dépend essentiellement des cours du baril de pétrole; le niveau d'endettement reste élevé avec un service de la dette qui représente près de 40% des recettes publiques. La principale faiblesse de l'économie gabonaise est qu'elle est une économie de rente, extravertie et très peu diversifiée, ayant entraîné la forte 414 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC dépendance vis-à-vis de la conjoncture internationale et des cours mondiaux des matières premières. Cette situation rend la gestion à moyen et à long terme problématique car les marges de manœuvre en matière de politique économique sont réduites et incertaines. Depuis l'indépendance, le Gabon a connu une augmentation considérable de son niveau de vie. Le PNB par tête et même l'indice du développement humain le placent parmi les pays les plus riches d'Afrique noire (en dehors de l'Afrique du Sud). Les résultats économiques obtenus depuis une vingtaine d'années auxquels s'ajoute la stabilité politique, montrent que le Gabon est sur la bonne voie, même si des efforts restent à faire dans le domaine de la répartition des richesses, de la diversification de l' économie et de la poursuite de l'intégration régionale. Les fondements de la zone franc La zone franc est un système de coopération monétaire entre la France et 13 pays africains. Elle fonctionne à partir de quatre principes 10 . A) LA FIXITÉ DES PARiTÉS Le franc CFA s'échange à un taux fixe contre le franc français. Le changement de parité ne peut se faire que d'un commun accord entre la France et les pays africains. Le franc CFA et le franc français ont gardé une parité fixe pendant 48 ans. En janvier 1994, elle est passée de 1 FF = 50 FCFA à 1 FF = 100 FCFA attendant une dévaluation de 50% du franc CFA. B) LA LIBERTÉ DES TRANSFERTS Elle a pour objectif de favoriser la libre circulation des capitaux, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. « La libre transférabilité représente une condition permissive du rapatriement des bénéfices et de la fuite des capitaux ll )) (A. Samuelson, 1990: 45). C) LA RÉGLEMENTATION COMMUNE DE CHANGE Tous les pays membres appliquent une même réglementation de change, qui est définie, pour l'essentiel, par la France. D) LA CONVERTIBILITÉ DES FRANCS CFA Chaque pays de la zone franc est tenu de déposer 65 % de ses réserves de change dans le compte d'opération qui est géré par le Trésor français. Les devises ainsi mises en commun permettent d'assurer la convertibilité du franc CFA et de soutenir la parité du franc français sur les marchés des changes. 10. Hubert Gérardin (1994), «La zone franc face à son histoire et aux autres zones monétaires-: rapports de domination et dynamique d'intégration », in René Sandretto (sous la direction de), Zone franc: du franc CFA à la monnaie unique européenne, Les Éditions de l'Épargne, Paris VIle. 11. Cité par Hubert Gérardin, op. cit. LE FRANC CFA: AUTONOMIE OU RATTACHEMENT À L'EURO? 415 Cependant, la zone franc a eu des effets contrastés sur les économies des pays membres. D'une part, elle a contenu les tensions inflationnistes par une maîtrise de l'évolution des agrégats monétaires, crédibilisant ainsi la politique monétaire des pays membres aux yeux des opérateurs économiques. Toutefois, la victoire sur l'inflation dans les pays membres est due, en grande partie, à la zone franc. D'autre part, les règles de fonctionnement de la zone franc n'ont favorisé ni l'investissement, ni l'industrialisation. Par la garantie de la convertibilité, elles ont favorisé l'endettement; par la fixité du taux de change, elles n'ont pas permis d'améliorer la compétitivité. Le franc CFA: autonomie ou rattachement à l'euro? lA question de l'avenir du franc CFA ne doit pas se poser en termes de souveraineté ou de dépendance mais en termes d'efficacité. Par rapport aux caractéristiques des économies des PAZF (déficit extérieur, économie de rente extravertie, endettement considérable), quel est, entre l'autonomie et le rattachement monétaire, le système de change qui permet d'atteindre les objectifs que se sont fixés les gouvernements aux moindres coûts? Le démantèlement de la zone franc: avantages et inconvénients du point de vue de l'économie gabonaise L'intérêt d'analyser les conséquences économiques potentielles du rattachement ou non du franc CFA à partir de l'économie gabonaise est que toutes les économies africaines de la zone franc présentent presque les mêmes caractéristiques. La différence essentielle réside sur quelques produits de base exportés. Le pétrole au Gabon et au Congo, la banane au Cameroun, le café et le cacao en Côte d'Ivoire, le coton au Burkina, l'arachide au Sénégal, etc. Il analyse des fondamentaux d'une de ces économies et fournit une connaissance relativement précise de la réalité économique de l'ensemble de ces pays. Bien que l'hypothèse du démantèlement ait été écartée pour le moment, l'analyse de ses implications garde néanmoins un intérêt certain pour le chercheur. Après tout, il n'est pas exclu que dans quelques années les Européens, ou même la France, décident, pour des raisons que nous ignorons aujourd'hui de rompre la coopération monétaire. La déconnexion du franc CFA peut engendrer deux cas possibles: 1. déconnexion sans éclatement de la zone CFA; 2. déconnexion avec éclatement de la zone CFA et adoption des monnaies nationales. Dans le premier cas, la solution a donc l'avantage de préserver la monnaie commune pour les treize États membres et fournit le point de départ de la formation d'un système monétaire africain, voire d'une monnaie unique africaine. Cette monnaie unique pourrait servir de point d'ancrage à 416 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC l'intégration économique et politique tant souhaitée. Cette solution a cependant l'inconvénient de nécessiter « ... des préalables politiques (renoncement à la souveraineté, instauration d'une certaine forme de fédéralisme) que l'on imagine difficilement accepté par les chefs d'État africains d'aujourd'hui» (cf. Monga et Tchatchouang, 1996). A ces contraintes politiques, s'ajoutent des préalables économiques telles la garantie de la mobilité des facteurs, une large ouverture des frontières au commerce régional, la diversification de l'économie, la flexibilité des prix et des salaires, etc. Par ailleurs, les problèmes organisationnels risquent d'être quasi insurmontables en raison de l'existence des rigidités structurelles (surtout sur les marchés du travail) à l'intérieur de la zone CFA. Celles-ci feront que la monnaie unique pénalisera gravement certains pays en en favorisant d'autres. L'asymétrie des chocs, lorsqu'elle s'ajoute aux rigidités du marché du travail, par exemple, exige la mise en place d'un mécanisme de compensation ou d'assurance complexe et difficile à mettre en œuvre. Dans ces conditions, les forces centrifuges risquent de l'emporter sur les forces centripètes et la pérennité de l'union ne sera pas assurée. La deuxième solution revient à démanteler la zone franc et à instaurer des monnaies nationales. Ce choix a l'énorme avantage de restituer la souveraineté monétaire aux différents PAZE Ces derniers pourront ainsi utiliser le taux de change comme instrument de la politique économique, surtout dans la neutralisation des chocs économiques exogènes ou même internes et dans la promotion du développement industriel. Le principal inconvénient est le risque de recourir à la planche à billet, relançant l'inflation en cas de récession. Ce risque est souvent sous-estimé par les défenseurs de cette solution autant qu'il est souvent exagéré par les défenseurs de la zone franc. Pour éviter les situations extrêmes et la caricature, nous pensons que ce risque n'est pas négligeable. Le choix des monnaies nationales dépendra essentiellement de la capacité des pays concernés à gérer de manière efficace leur monnaie. Ce choix dépend à la fois des facteurs politiques, institutionnels et économiques. La stabilité politique est un préalable incontournable à la réussite d'une monnaie nationale. Le Gabon et beaucoup d'autres pays de la zone remplissent cette condition. Une gestion sereine de la monnaie nécessite des institutions solides. Sur ce dernier point, de sérieuses réserves peuvent être émises même si des progrès énormes ont été réalisés dans ce domaine. Enfin, sur le plan économique, la construction d'un environnement macroéconomique sain passe notamment par la mise en place d'une politique monétaire et fiscale restrictive. Pour le rattachement à l'euro mais avec des parités ajustables régulièrement La création de la monnaie unique à l'échelle de onze pays européens représente un événement politique et économique d'une ampleur sans pré- LE FRANC CFA: AUTONOMIE OU RAITACHEMENT À L'EURO? 417 cédent. La Banque centrale européenne qui émettra l'euro est située en Allemagne; la participation de l'Allemagne à l'euro contribuera à stabiliser cette devise et à maîtriser l'inflation. l'euro sera une monnaie crédible et forte au vu de la qualité des économies des membres de l'union. Les pays membres de la zone CFA peuvent-ils être« les passagers clandestins» de la monnaie unique européenne? La réponse est affirmative mais sous certaines conditions. Pour que cette solution ait des effets positifs sur les économies des pays membres, certaines règles de fonctionnement de la zone franc doivent changer notamment le principe de la parité fixe. Des parités régulièrement ajustables 12 permettront aux économies africaines de ne pas subir automatiquement l'appréciation de l'euro. Elles ajusteraient le taux de change euro-FCFA de sorte à maintenir la compétitivité, à neutraliser les chocs exogènes tout en attirant les investissements étrangers. L'avantage de cette solution est qu'elle oblige les États membres à mettre en place des politiques économiques orthodoxes et les réformes économiques mêmes deviennent quasi irréversibles quelles que soient les évolutions politiques. Le rattachement du franc CFA à l'euro permettra également de relancer le processus d'intégration en Afrique. Il faut pour cela veiller à ce que la zone ne se ferme pas aux autres pays africains. Les Africains pourraient d'ailleurs tirer des leçons de l'expérience européenne en matière d' intégration régionale. Le niveau des échanges actuels entre les deux groupes de pays justifie pleinement le choix de cette option. L'investissement, qui est la base de la croissance économique, dépend fondamentalement de la confiance que les agents économiques ont à l'égard d'une économie. Les économies africaines de la zone CFA présentent à l'heure actuelle des déséquilibres internes et externes qui ne sont toujours pas de nature à rendre crédible le franc CFA. Des réformes économiques ont été entreprises depuis la dévaluation du FCFA mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Le rattachement à l'euro peut donner une crédibilité supplémentaire aux pays de la zone franc et orienter les anticipations des agents dans un sens qui leur soit profitable. Il est vrai qu'à long terme la valeur du franc CFA dépendra de la crédibilité des politiques monétaires et budgétaires qui seront mises en œuvre et du degré de flexibilité nécessaire aux ajustements qu'imposent les changements de l'environnement. Conclusion Le choix de rattacher le franc CFA à l'euro qui a été fait par les Africains et les Européens paraît acceptable. En effet, à l'image de l'économie gabo12. On peut penser que des révisions mensuelles du taux de change pourraient être appropriées à l'image de la proposition de Williamson (1984). 418 L' AVENIR DE LA ZONE FRANC naise, les pays africains de la zone franc présentent des caractéristiques économiques qui réduiraient la crédibilité du franc CFA et donc entraîneraient la confiance des opérateurs économiques. Bien que la véritable crédibilité s'acquière par la mise en place des politiques macroéconomiques appropriées, le rattachement à l'euro peut faire bénéficier ces pays d'un supplément de crédibilité qu'ils n'auraient pas, même s'ils appliquaient les « bonnes politiques économiques ». Cette externalité positive ne peut être profitable que si des réformes de fonctionnement de la zone franc sont envisagées pour neutraliser les effets négatifs d'un euro fort sur la compétitivité des pays concernés et limiter la transmission des chocs du centre vers la périphérie. La principale réforme concerne l'adoption des parités régulièrement ajustables à la place des parités fixes. Il n'en demeure pas moins vrai qu'à long terme, lorsque« les institutions seront plus fortes que les personnes », il faudra envisager un « destin monétaire» africain indépendant de celui des Européens. Bibliographie Artus Patrick (1996), «A strong euro or a weak euro », Économie Internationale, document de travail n° 1996-02, Caisse des dépôts et de consignations. Bayoumi Tamin and Ostry J. (1995), «Macroeconomic shocks and trade ftows within Sub-Saharan Africa: implications for optimum currency areas », IMFWorking Paper: 95-142. Carre Hervé (1997), «Exchange arrangement with Eastern Europe, Mediterranean, and African Countries », in EMU and the International Monetary System, ed. by MASSON P.R., KRUEGER T. and TURTELBOOM B.G.,IMF. Eichengreen Barry (1990), « One money for Europe? Lessons from the US currency Union », in Economie Policy, n° 10, pp.117-187. 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Et même si le processus d'unification politique (obtenue par la force, il est vrai), qui a précédé l'émergence de monnaies nationales uniques, au cours de ce même XIX e siècle, en l'occurrence le Mark dans l'espace prusso-allemand (1871), paraissait comme une confirmation du concept de monnaie-souveraineté, il traduisait aussi, aux yeux des internationalistes milliens, les vertus de la monnaie commune dans des espaces reconstitués en comparaison d'espaces politiquement et monétairement atomisés. Comme le rappelait Goodhart (1997) en évoquant la controverse entre les « centralistes » - pour qui la valeur d'une monnaie est fonction de la puissance politique et économique de l'autorité qui l'émet - et les « Métallistes »- pour qui la valeur d'une monnaie est «intrinsèque », c'est-à-dire dépendante seulement du poids de l'actif qui la couvre -la fin du siècle dernier a été également animée par le débat ouvert entre « mengériens » et « étatistes» en ce qui concerne la nature et les origines de la monnaie. Un débat au centre de la nature/vocation privative vs la naturel vocation publique de la monnaie et dont les retombées marqueront - non 424 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC sans quelque confusion - la théorie de Mundell sur « les zones monétaires optimales» - ZMO - (1961,1997) sur laquelle nous reviendrons plus longuement dans cette contribution. La controverse soulevée par la théorie de Menger (1892) relative à «l'origine de la monnaie» n'est pas seulement historique. Elle marque aujourd'hui fortement le renouveau des unions monétaires (UEM), des systèmes de change fixe, des zones cibles et autres « Conseils monétaires» (currency boards) en Asie du Sud-Est, en Amérique latine, en Russie et ailleurs. Et c'est justement à la lumière de ce renouveau, précipité, il est vrai, par l'adoption de l'euro à partir du 1er janvier 1999, et aussi par la saga des crises financières dans le monde émergeant d'une transition depuis l'été 1997 que les pays tiers méditerranéens -les PTMI -, partenaires de l'Union européenne puis de l'Union économique et monétaire -l'UEM2se trouvent confrontés au dilemme de l'ancrage/non-ancrage de leurs devises nationales à la monnaie unique européenne. Dans la logique mengérienne qui constituera, soixante-dix ans plus tard, un des fondements de la théorie mundellienne des ZMO et donc de l'option ancrage des monnaies PTM à l'euro, le concept, l'origine et la nature de la monnaie comme unité de compte et comme moyen d'échange procèdent uniquement de la recherche pennanente d'une minimisation des coûts de transactions - une fonction dévolue au seul secteur privé en économie de marché, à l'exclusion de toute intervention de l'État. Certes, l'argument « coûts de transactions» ne constitue qu'un des 17 arguments invoqués par Mundell dans son article de 1961 en faveur des ZMO, comme nous le verrons plus loin, mais il reste une des motivations les plus fréquemment évoquées par les prosélytes contemporains de l'ancrage des monnaies PTM à l'euro. En conférant un caractère exclusivement privatif à la monnaie au nom de ce seul critère, l'approche mengérienne justifie - en théorie - la déconnection entre la monnaie d'un côté et l'État-nation, l'État-souveraineté, l'État-espace territorial spécifique, de l'autre. La zone monétaire n'aura pour domaine ou espace physique que celui dicté par l'optimisation (minimisation) de ces coûts, c'est-à-dire le marché. Privatisation de l'économie productive et privatisation de l'économie monétaire procèdent donc de la même « rationalité»: celle du marché efficient. Rien ne s'oppose à ce 1. Dans le langage de Bruxelles et de la déclaration de Barcelone sur le partenariat euro-méditerranéen (novembre 1995), les PTM correspondent aux pays situés à l'ouest, à l'est et au sud du Bassin méditerranéen, non-membres actuels ou putatifs de l'Union européenne et liés à celle-ci par des accords de partenariat déjà conclus (Tunisie, Maroc, Israël et Jordanie) ou à conclure dans son avenir prévisible (Algérie, Égypte, Liban et Syrie). Sont donc exclues de l'appellation « PTM »: la Lybie, l'Albanie et l'ex-Yougoslavie (raisons politiques ou sécuritaires) et la Turquie (liée à l'Union européenne par une union douanière et éternelle candidate à l'entrée dans l'Union). Quant à Chypre - éligible à l'entrée - et Malte - qui pourrait l'être -, ils ne figurent pas non plus sur la liste PTM. 2. Il s'agit de la France, de l'Allemagne, de la Belgique, des Pays-Bas, du Luxembourg, de l'Irlande, de l'Italie, de l'Espagne, de l'Autriche, de la Finlande et du Portugal. LE DINAR TUNISIEN ET L'EURO 425 qu'un même État-nation se dote d'un nombre de monnaies variant de zéro à n, ni qu'une ZMO comprenne un nombre d'États-nations variant de 1 à n. Perçue exclusivement comme un espace-marché optimisant des coûts de transactions, la ZMO peut, dans l'optique de la globalisation, évoluer vers une zone mondiale dotée d'une Banque centrale mondiale. A cet internationalisme monétaire extrême, Mundell apporte, toutefois, un bémol de taille, en montrant que le domaine de la monnaie optimale n'est pas le monde mais la région, entendue non pas comme un ensemble d'Étatsnations mais comme un espace spécifique caractérisé par une mobilité interne/une immobilité externe des facteurs (le travail, notamment). De ce fait, la région transcende les frontières de la nation et aboutit à des découpages transversaux (accross the countries) des ZMO. A l'argument «minimisation des coûts de transactions» de Menger, Mundell ajoute celui de la stabilité et de l'homogénéité économiques et sociales des espaces régionaux promus au rang de ZMO. Mais la rationalité est la même: désétatiser la monnaie et en faire un bien échangeable soumis à la loi de l'efficience des marchés. Comme le fait remarquer Goodhart (1997), l'évidence empirique a rarement été du côté des «mengériens ». L'histoire monétaire ancienne et récente a donné davantage raison à leurs adversaires, « les étatistes », dont le modèle basé sur l'activisme de l'État en matière de création et de gestion de la monnaie s'est révélé supérieur sur les plans explicatif et normatif. La prolifération des monnaies nationales au sein de l'ex-bloc socialiste en Europe de l'Est, après l'effondrement de l'URSS au début des années 1990, ou au sein de l'ex-Empire austro-hongrois, au lendemain de la première guerre mondiale, en est bien l'illustration. L'unification de petits États en un grand État fédéral - les États-Unis d'Amérique, l'Allemagne ou l'Australie - suivie d'une unification monétaire, en est une autre. Si l'URSS était effectivement une ZMO avant son éclatement, elle le serait restée après. Parallèlement, si la Prusse et la Bavière avaient été deux ZMO avant l'unification, elles le seraient demeurées après aussi. Il en est de même des États-Unis d'Amérique ou de l'Allemagne ou de l'Australie avant/après l'unification. Le débat sur la valeur explicative/normative du modèle mengérien-mundellien vs le modèle étatiste n'est pas épuisé pour autant (Bayoumi et Eichengreen, 1997). Mais ce n'est pas à cette controverse-là que nous nous intéressons particulièrement ici pour introduire et analyser la problématique de l'ancrage des monnaies PTM - et plus particulièrement du dinar tunisien - à l'euro. Cette problématique soulève des difficultés spécifiques majeures dont la formalisation en terme de modèle mengérien-mundellien ou autre n'est guère possible (Cartapanis, 1994). A la différence du passage de l'Union européenne à la monnaie unique - passage préparé par quarante années d'intégration, vingt années de coopération monétaire étroite (SME) et cinq années de marché unique des biens et des services, l'ancrage - formel en 426 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC tout cas - des monnaies PTM à l'euro est envisagé à partir du vide. Un vide à la double échelle régionale et bilatérale euro-méditer-ranéenne: absence d'intégration, absence de coopération monétaire, absence de marché unique de biens et de services. Ainsi, quand l'avènement de l'euro constitue pour l'Europe une continuité, le projet d'ancrage représente pour les PTM une rupture et un saut dans l'inconnu. Envisagé en termes de coûtslbénéfices, l'ancrage vs le non-ancrage devra résoudre le problème suivant: comment comparer des coûts et des bénéfices effectifs engendrés par les systèmes de change flexibles ou semi-flexibles actuellement en vigueur dans les PTM, c'est-à-dire avant ancrage 3 avec les coûts certains et des bénéfices potentiels de systèmes de change fixes ou semi-fixes, voire d'une union monétaire parfaite entre l'Europe et les PTM, c'est-à-dire après ancrage? L'approche mundellienne répond à cette interrogation en affirmant péremptoirement que le choix entre système de change flexible et système de change fixe est un débat « faux et biaisé ». En déniant à la flexibilité des taux de change tout pouvoir particulier en matière d'ajustement de la production et de l'emploi en cas de chocs exogènes - argument majeur invoqué par les tenants du change flottant - Mundell rappelle «qu'en équilibre général, il n'y a qu'un seul degré de liberté ... Un pays a le choix de stabiliser (seulement) l'un ou l'autre de ces objectifs: le niveau des prix ou l'offre de monnaie ou le taux de change ou le prix de l'or ou le taux de salaire ». Une fois l'objectif à stabiliser choisi, les grandeurs restantes demeurent des variables qui échappent à tout ajustement possible - via les taux de change ou tout autre instrument. Poussons ce raisonnement plus loin, en l'actualisant un peu. En vidant les politiques monétaires et salariales nationales de tout pouvoir d'ajustement effectif, l'intégration et la globalisation des marchés réduisent - même en régime de change flottant - les degrés de liberté des autorités nationales à un seul: la stabilisation du niveau des prix, que seul un régime de change fixe peut assurer au mieux. La zone monétaire basée sur une monnaie unique (euro) ou sur des taux de change fixes/rigides (l'ancrage est une des modalités possibles) devient, seule, garante de la stabilité vis-à-vis des chocs asymétriques - endogènes/exogènes - auxquels les partenaires sont susceptibles d'être exposés. Toute la littérature sur le choix du régime de change optimum devient ainsi redondante. Trente années avant l'avènement de la globalisation et de l'universalisation de l'économie de marché, 3. Les PTM pratiquent trois grandes variétés de régime de change: * régimes de change fixe: - vis-à-vis d'une seule monnaie de référence, le dollar US: Syrie; - vis-à-vis d'un panier de monnaies de référence: Jordanie et Maroc. A noter que la composition du panier est soit publiquement connue, soit gardée secrète (Maroc) ; * régimes de change semi-fixes ou semi-f1exibles ou de flottement contrôlé: Tunisie, Égypte, Israël, Algérie, Turquie; * régime de change flottant pur ou indépendant: Liban. LE DINAR TUNISIEN ET L'EURO 427 la théorie mundellienne des ZMO exprimait en termes forts ce que les antilibres échangistes contemporains dénoncent aujourd'hui sous le nom de pensée unique. Si la théorie mundellienne des ZMO qui constituera plus tard, sous l'appellation du «modèle Mundell-Fleming », la base du «Washington consensus 4 », fonde aujourd'hui le renouveau de l'unification monétaire sous ses différentes variantes: monnaie unique, taux de change fixes, zones cibles, conseils monétaires et projets d'ancrage des monnaies PTM à l'euro, le retour aux arguments proposés par Mundell dans son article séminal de novembre 1961 (American Economie Review) et dans son « Updating the agenda for Monetary Union» de décembre 1996 (conférence de Tel Aviv sur les ZMO) nous paraît approprié. C'est à une analyse critique de l'argumentaire mundellien que nous consacrerons la première partie de cette contribution. L'examen de la politique de change tunisienne actuelle, de type flexible/contrôlé, donc hors rationalité mundellienne, nous révélera jusqu'où la stratégie monétaire adoptée par la Banque centrale tunisienne (BCT) dans la gestion des parités internationales du dinar notamment vis-à-vis des grandes monnaies européennes nationales - a permis d'assurer les ajustements et la stabilité nécessaires - notamment du taux de change effectif réel (TCER) de long terme, indicateur de la compétitivité réelle du dinar et aussi de la qualité de la gestion macroéconomique nationale. Ce constat éclairera nécessairement la décision tunisienne de maintenir sa politique de change présente ou de lui substituer une autre, basée sur un ancrage à l'euro. C'est à cette problématique-là que nous consacrerons la deuxième partie de cette contribution. L'argumentaire de Mundell en faveur des ZMO : une appréciation critique du point de vue des PTM La théorie matrice des ZMO due à Mundell est structurée autour d'un argumentaire en clair-obscur où sont alignées d'une manière« équilibrée» pas moins de dix-sept raisons« pour» contre pas moins de dix-sept raisons « contre». Quoiqu'en partie redondants, les arguments « pour» et les arguments « contre », rapportés dans le tableau l, peuvent être recentrés autour de trois grands thèmes qui nous semblent être au cœur du débat ancrage/ non-ancrage des monnaies PTM à l'euro. Il s'agit: - de la nature et de la qualité de la gouvernance macroéconomique dans les pays candidats vs les pays non candidats à l'union monétaire; - de la stabilité économique en régime de change fixe ou d'union moné4. Le «Washington consensus» équivaut à l'orthodoxie monétariste rigide ou assouplie. appliquée par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale en matière de stabilisation des balances des paiements, d'ajustement structurel et de financement du développement. 428 L'AVENIR DE LA ZONE FRANC taire vs l'instabilité en régime de change flexible; - des gains nés du jeu des économies d'échelle/économies externes inhérents à l'union monétaire vs l'absence de ces gains hors union. Mundell et la « bonne» gouvernance macroéconomique L'argumentaire développé par Mundell à propos de la gouvernance macroéconomique optimale - celle qui habilite un pays donné à être partenaire d'une zone monétaire réduite ou large - se résume comme suit: - substituer au pouvoir discrétionnaire des autorités nationales des mécanismes automatiques forçant la discipline en matière monétaire et fiscale; - rechercher l'efficience monétaire mengérienne en réduisant/éliminant les coûts de transactions liés à l'émission et à la gestion d'une monnaie nationale propre. Si le deuxième volet de la gouvernance macroéconomique optimale mundellienne, invoqué avec insistance pour les tenants de l'ancrage des monnaies tierces méditerranéennes à l'euro, soulève quelques commentaires, sur lesquels nous reviendrons plus loin, la référence «au pouvoir discrétionnaire» des autorités monétaires et fiscales nationales demande à être approfondie Tableau 1 - Argumentaire pour/contre les ZMO ARGUMENTS POUR ARGUMENTS CONTRE 1) alignement du taux d'inflation domestique sur celui delaZMO. 10) participation pleine et plus équitable aux marchés financiers et de capitaux de la ZMO. 1) maintien du taux d'inflation domestique indépendant du taux de la ZMO. 10) dénomination du revenu / tête dans la monnaie nationale. 2) réduction des coûts de transactions en matière d'échanges. 2) utilisation du taux 11) maintien de 11) création d'un catalyseur favorable de change comme l'indépendance à l'alliance politique instrument d'ajuste- monétaire en vue ment de l'emploi et d'utiliser l'expanou à l'intégration. des salaires. sion monétaire ou la taxe inflationniste en cas de guerre. 3) élimination des coûts d'émission et de gestion d'une monnaie nationale séparée. 12) création d'un bloc apte à s'opposer à la domination des puissances voisines. 3) utilisation du taux de change comme moyen de créer de l'emploi domestique au détriment d'autres pays. 12) préservation du caractère confidentiel des statistiques nationales. LE DINAR TUNISIEN ET L'EURO 429 4) participation à une zone ppA renforcée par un système de change fixe et plus encore par une union monétaire. 13) association à la décision politique en matière de ciblage du taux d'inflation des ZMO. 4) refus (dans le cas d'un grand pays) d'étendre à un pays hostile les avantages des économies d'échelle d'une zone monétaire large ou crainte que l'intégration d'une nouvelle monnaie ne complique la politique macro-économique nationale. 13) absence de leadership politique et économique capable de maintenir en équilibre un système de change fixe. 5) ancrage de la politique économique à un point fixe autour duquel les anticipations peuvent être formulées et les actions économiques ajustées. 14) création d'une monnaie internationale concurrente du dollar et produisant des revenus de seigneuriage. 5) utilisation de l'expansion monétaire et de la taxation inflationniste pour financer les dépenses publiques. 14) incapacité des autorités politiques de garantir l' équilibre budgétaire ou la viabilité d'un système de change fixe. 6) privation des autorités monétaires et fiscales nationales de tout pouvoir discrétion