mondialisation économique, globalisation financière, inégalités

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MONDIALISATION ÉCONOMIQUE,
GLOBALISATION FINANCIÈRE,
INÉGALITÉS SOCIALES ET TRAVAIL
Patrice Corriveau
Publié dans Aspects sociologiques, vol. 7, no 1, juillet 2000, pp. 14-27
Jour après jour, les médias, les
spécialistes et les experts de tous azimuts
nous entretiennent sur les différentes
facettes de la mondialisation. Mondialisation des marchés, mondialisation de
l'économie, mondialisation financière,
mondialisation
communicationnelle,
mondialisation culturelle sont autant de
thèmes abordés par ces derniers. En effet, la mondialisation, en tant que phénomène planétaire et en pleine expansion, revêt plusieurs enjeux de taille ou,
à tout le moins, soulève plusieurs interrogations. En ce qui nous concerne, notre propos s'intéressera plus particulièrement à la globalisation financière —
terme que nous préciserons ultérieurement —, notamment en ce qui a trait à
ses effets sur les inégalités sociales et le
travail.
conduira à analyser les différents processus de restructuration des entreprises. En
outre, la recherche d'une flexibilité tant
financière, technique, fonctionnelle que
numérique, sera abordée. En lien avec
cette restructuration des entreprises, nous
examinerons les effets de celle-ci sur le
marché du travail, notamment en matière
de précarité de l'emploi. Finalement,
dans un troisième temps, nous soulèverons certaines questions relatives aux
inégalités socio-économiques. Plus particulièrement, notre attention se portera
sur la question de l'exclusion du monde
du travail. Le processus de marginalisation et la genèse d'une sous-culture de
pauvreté seront alors soulevés.
Dans le cadre de cet article, nous
tenterons donc de présenter l'évolution
de la stratification et des inégalités sociales dans les pays de la « triade ». Pour ce
faire, dans un premier temps, nous examinerons le phénomène de la globalisation financière sur les marchés financiers
internationaux. Cette analyse nous permettra de comprendre l'incidence des
changements économiques mondiaux sur
les États et les entreprises. Dans un
deuxième temps, notre étude nous
Avant d'examiner plus en détail
les caractéristiques relatives à la globalisation des marchés financiers, nous
croyons qu'il est pertinent de nuancer
certains termes qui seront utilisés tout au
long de cet article. L'utilisation du mot
globalisation provient du terme anglais
« global » qui signifie, d'une part, « être
à l'échelle du globe » (mondialisation)
et, d'autre part, qui expose la perspective
stratégique d'un agent économique ou
d'un acteur social précis. Cette termino-
La globalisation financière
1
logie n'a de sens au niveau économique
que si elle traduit la stratégie « du grand
groupe oligopoleuse engagé dans la production manufacturière ou dans les principales activités de services d'adopter
une approche et une conduite “globales” » (Chesnais, 1997 : 28). Dès lors, il
est important, à notre avis, de faire une
distinction entre globalisation et mondialisation. En effet, à l'instar de Bousquet
(1998), nous croyons que la réalité économique actuelle nous permet de parler
davantage de globalisation sans pour
autant signifier que le phénomène soit à
l'échelle mondiale, la globalisation des
marchés se faisant surtout à l'intérieur de
la Triade et de pays membres de l'OCDE
(Organisation du Commerce et Développement Économique). En outre, nous
considérons que même si les marchés
sont désormais ouverts à l'échelle planétaire, la grande majorité des échanges
commerciaux s'effectuent à l'intérieur
des pays de la Triade. Par le fait même,
ne serait-il pas plus pertinent de parler de
« triadisation » plutôt que de mondialisation? Pour Chesnais (1997 : 25), « la
concentration de tous les flux (échanges,
Investissements directs à l'étranger
(IDE), technologie) dans la “Triade”
l'emporte sur toutes les autres tendances
de la mondialisation ».
Même si les marchés sont désormais ouverts à l’échelle
planétaire, la grande majorité
des échanges commerciaux
s’effectuent à l’intérieur des
pays de la triade, Par le fait
même, ne serait-il pas plus
pertinent de parler de « triadisation » plutôt que mondialisation?
En effet, il semble évident que
les pays membres de la Triade bénéfi-
cient davantage des échanges commerciaux et financiers internationaux que
leurs homologues du reste du monde. En
outre, Chesnais (1997 : 266-267) présente des statistiques qui démontrent qu'en
1995, 75.7 % du commerce mondial
provenait de la Triade. L'Amérique latine et le Mexique occupaient 4.6 % du
marché tandis que les États africains ne
comptaient que pour 2.1 % de tous les
échanges commerciaux du globe. À cet
égard, l'image d'un centre économique
mondial (la Triade) entouré de plusieurs
périphéries est, à notre avis, plus révélatrice de la réalité des échanges commerciaux mondiaux.
En ce qui concerne la globalisation des marchés financiers proprement
dit, examinons maintenant les facteurs
qui ont conduit à son apogée dans la
« mondialisation » du capital. Selon certains auteurs (Chesnais, 1997; O'Brien,
1992), la sphère financière de la globalisation du capital se trouve là où l'internationalisation est la plus avancée. Comme
le fait remarquer Chesnais (1997 : 49), le
rôle des marchés financiers est de plus
en plus important : il va de la détermination des taux d'intérêt à long terme à
celui du taux de change des monnaies.
Bref, la globalisation financière a favorisé la création de nombreuses interdépendances entre les pays, notamment en ce
qui a trait à la distribution des richesses
et des revenus.
« Le terme mondialisation financière désigne les interconnexions
très étroites entre les systèmes
monétaires et les marchés financiers nationaux, qui ont résulté
des mesures de libéralisation et
de
déréglementation
adopté
d’abord par les États-Unis et le
Royaume-Uni entre 1979 et
1982, puis en quelques années
2
par les autres principaux pays industrialisés » (Chesnais, 1997 :
49).
Les trois éléments qui ont
conduit à l'ouverture des marchés financiers mondiaux sont : la déréglementation et la libéralisation monétaire et financière; le décloisonnement interne et
externe des marchés financiers nationaux
(marchés des changes, des crédits, des
actions et des obligations) et finalement,
la « désintermédiation », c'est-à-dire le
processus qui permet à différents types
d'institutions financières non bancaires
d'agir comme « bailleurs » de fonds.
L'amalgame, voire ici l'interaction entre
ces trois éléments, a favorisé l'émergence du pouvoir financier comme principal
acteur de la mondialisation des capitaux.
En outre, « l'évaluation de la Banque des
règlements internationaux (BRI) estime
que les valeurs monétaires qui changent
de mains pendant une journée moyenne
est de l'ordre 1.5 billions de dollars ».
Pour le Groupe de Lisbonne (1995 : 77),
de même que pour Petrella (1997 : 13),
ces trois facteurs correspondent à une
logique de libéralisation, de privatisation
et de déréglementation des marchés.
Pour certains, ce type de globalisation financière aurait favorisé l'émergence d'une économie hautement « spéculative » où l'argent devient une marchandise au même titre que les voitures
ou les maisons. Selon Petrella (1997 :
18), « 10 % seulement de ces transactions (1.4 mille milliards de dollars américains) sont destinés à financer la création de nouvelles richesses. Le reste est
de nature spéculative ». De plus, l'ouverture des étrangers a fait en sorte de créer
une certaine dépendance financière entre
les pays, dépendance relative à la position du pays dans l'économie mondiale.
Selon Chesnais (1997), à l'intérieur même de l'économie mondiale, il existe une
hiérarchie qui permet à certains pays, à
certaines institutions, d'imposer leurs
points de vue aux autres pays. Après la
Seconde Guerre mondiale, le monde
financier avait vu naître des institutions
internationales telles que le FMI (Fond
Monétaire International) et la Banque
mondiale qui se présentaient alors comme indépendantes de l'influence des
pays. Désormais, certains croient que ces
instruments de contrôle économique
servent davantage à imposer les idées du
libéralisme aux pays plus faibles. Pour
Martin et Schumann (1997 : 69), tout
porte à croire que ces institutions promeuvent l'instauration d'un marché mondial en imposant à certains pays des règles à suivre dans leur gestion financière.
Ils soulignent également qu'«à chaque
fois que les puissants du FMI ont accordé des crédits au cours des dix dernières
années, ils les ont assortis de l'obligation
de rendre convertible la monnaie du pays
concerné, et d'ouvrir celui-ci à la circulation internationale des capitaux ». L'ouverture des marchés a également contribué à augmenter la course à la compétitivité entre les pays. Comme nous le
verrons ultérieurement, les pays se trouvent désormais dans l'obligation de créer
des conditions propices à l'investissement, et ce, tant à l'investissement de
portefeuille qu'à l'investissement direct.
Les conséquences de la globalisation
financière sur les États et les entreprises
Comprenant désormais un peu
mieux l'importance de la globalisation
des marchés financiers dans la mondialisation des capitaux, examinons quelles
sont les conséquences de ces nombreux
3
échanges financiers sur les États et les
entreprises. Selon une certaine vision de
la globalisation financière, la libéralisation des capitaux a permis à certains investisseurs institutionnels (Fonds mutuels, compagnies d'assurances), lesquels
détiennent un grand nombre d'obligations qui financent la dette publique des
États, de créer une certaine dépendance
des pays à leur égard.
« Plus les États sont dépendants
du bon vouloir des investisseurs,
plus les gouvernements doivent
favoriser une minorité de toute
façon privilégiée : celle des détenteurs de fortunes monétaires.
Leurs préoccupations sont toujours les mêmes : inflation basse,
valeur extérieure de leur monnaie
stable et fiscalisation aussi basse
que possible de leurs intérêts »
(Martin et Schumann, 1997 : 85).
Ainsi, pour favoriser l'investissement dans les titres publics, l'État doit
favoriser et offrir aux investisseurs des
taux d'intérêt réels positifs. Les États
peuvent également jouer sur le niveau du
taux de change de leur monnaie. Ils doivent donc se rendre attrayants pour les
investisseurs étrangers en garantissant la
sécurité de leurs placements et en offrant
les meilleures conditions de rendement.
Bref, selon l'idéologie néolibérale, l'État
doit de plus en plus sacrifier sa souveraineté sur ses leviers financiers au profit
de la compétitivité sur la scène mondiale
de ses instruments monétaires et financiers.
Selon l’idéologie néolibérale, l’État doit
de plus en plus sacrifier sa souveraineté
sur les leviers financiers aux profits de
la compétitivité sur la scène mondiale de
ses instruments monétaires et financiers.
En ce qui concerne les effets de
la globalisation financière sur les entreprises, ils furent sensiblement du même
ordre : dépendance des dirigeants envers
les investisseurs et concurrence internationale. Les entreprises se doivent de
faire fructifier au maximum les investissements. « Le but demeure plus que jamais le profit, (...) En effet, dans le cadre
de la mondialisation, le rendement financier des actifs est surveillé par les
détenteurs de portefeuilles d'actions »
(Chesnais, 1997 : 98). Pour ce faire, la
mesure qui semble la plus susceptible
d'être utilisée est la mise à pied du personnel, la réduction des effectifs et la
diminution des coûts. À cet égard, les
entreprises chercheront à s'implanter
dans des pays qui leurs offrent les meilleures conditions d'implantation, c'est-àdire des pays où les coûts sociaux de
l'entreprise seront minimaux et où la
main-d’œuvre est qualifiée et abondante
(Veltz, 1996 : 140-143). Dans ces pays,
l'État a donc un rôle important à jouer
face aux entreprises, particulièrement à
l'égard des firmes multinationales
(FMN). Les politiques étatiques doivent
dès lors être attrayantes aux yeux des
entreprises, car la production de la richesse « ne dépend plus du seul rendement des entreprises, de la technologie,
de la main-d’œuvre et du capital local,
mais également de la présence en territoire national d'entreprises intégrées à
des réseaux mondiaux » (Groupe de Lisbonne, 1995 : 64). Les entreprises s'attendent également à ce que les gouvernements puissent les aider à différents
niveaux : prise en charge des infrastructures, création de conditions favorables à
l'investissement en recherche et développement, et surtout, mettre en œuvre
des politiques et des lois du travail qui
laissent aux entreprises une grande liberté d'action (idem : 129). Petrella (1997 :
4
12), quant à lui, souligne l'importance de
l'offre technologique des gouvernements
à l'égard des entreprises (système d'éducation de qualité en vue de former la
ressource humaine nécessaire à ces entreprises). En retour, les entreprises assurent à l'État une position compétitive sur
les marchés internationaux de même
qu'une indépendance technologique qui
est apte à produire de nouvelles richesses
et ainsi à créer de l'emploi.
Comme nous venons de le constater, bien qu'il existe une certaine interaction entre l'État et les entreprises,
principalement les FMN, ces dernières
ont toujours comme objectif premier de
maximiser leur rendement. Pour ce faire,
les entreprises, en plus de choisir des
pays où les conditions d'implantation
sont favorables, restructureront leur mode de fonctionnement. La multinationalisation de l'économie « consiste pour une
entreprise à créer des capacités de production dans un autre pays à l'aide de
filiales directes, d'acquisitions ou de
formes diverses de coopération (commerciale, financière, technologique et
industrielle) » (Groupe de Lisbonne,
1995 55). Les FMN fonctionnent désormais selon une logique d'expansion du
marché en vue d'améliorer leur productivité (diminution des coûts de production
et augmentation de la part du marché).
Toujours selon le Groupe de Lisbonne
(1995 : 71), les différentes raisons qui
poussent les entreprises à collaborer et à
se fusionner sont les suivantes : réduire
et partager les coûts afférents à la recherche et au développement; accéder à
une technologie complémentaire; obtenir
le savoir et la technologie implicite du
partenaire; raccourcir le cycle de vie des
produits; partager les coûts de conception; accéder aux marchés internatio-
naux; avoir accès à un bassin de personnel qualifié et à des avantages financiers.
L'objectif visé par ces restructurations est sensiblement toujours le même : l'augmentation de la flexibilité de
l'entreprise et la réduction des coûts
(Veltz, 1996 : chap. 7). Pour majorer la
productivité et diminuer les coûts, les
groupes ne connaissent plus qu'une seule
stratégie : la rationalisation. Celle-ci
signifie le « Downsizing » (réduction des
effectifs
de
main-d'œuvre),
l'« outsourcing » (délocalisation) et le
« re-engineering »
(réorganisation)
(Martin et Schumann, 1997 : 155). Ainsi, pour augmenter sa flexibilité, l'entreprise n'hésitera pas à avoir recours à la
sous-traitance (resserrement des coûts), à
fonctionner selon le modèle cellulaire.
Le modèle cellulaire consiste à décomposer les activités de l'entreprise en unités élémentaires. Reich (1993 : chap. 6)
souligne à cet égard que l'image de la
grande firme est de plus en plus une façade derrière laquelle il y a une panoplie
de groupes et de sous-groupes décentralisés qui passent sans cesse des accords
avec des unités de production tout aussi
diffuses, et ce, à travers le monde. Le
modèle pyramidal de la grande entreprise n'existe plus et est remplacé par un
ensemble de réseaux où la bureaucratie
n'a plus sa place, celle-ci étant substituée
par des centres de décision stratégiques
réduits à leur plus simple expression.
Pour majorer la productivité et
diminuer les coûts, les groupes ne
connaissent plus qu’une seule
stratégie : la rationalisation.
En résumé, nous soutenons que
cette quête de flexibilité et de rentabilité
des entreprises correspond à ce que Mer5
cure (1996) désigne comme étant l'impartition flexible.
« Par impartition flexible nous
désignons un modèle d'entreprise
marqué, d'une part, par l'essor de
pratiques d'externalisation du travail, soit l'impartition, spécialement celles qui ont trait aux nouvelles formes de sous-traitance
et, d'autre part, par une dynamique de quête de flexibilité tous
azimuts, particulièrement au chapitre des flexibilités financière,
technique, fonctionnelle et numérique. »
La question de la précarité de l'emploi
et des inégalités sociales
La globalisation semble donc
avoir considérablement bouleversé le
monde du travail. En effet, les entreprises sont de plus en plus caractérisées par
un nouveau modèle de développement,
celui de l'impartition flexible. Dans cette
quête de flexibilité et de rentabilité, de
plus en plus d'entreprises offrent désormais des emplois à temps partiel, des
emplois contractuels, des emplois dans
leurs entreprises de sous-traitances. Pour
certains, cette situation a considérablement modifié la donne du marché du
travail et s'est avérée lourde de conséquences pour les travailleurs : précarité
de l'emploi, faible revenu, chômage.
Dans cette section sur le travail, nous
nous attarderons à faire la démonstration
de cette réalité nouvelle. Toutefois, avant
d'aller plus loin, nous exposerons brièvement quelques-uns des facteurs qui ont
pu occasionner la précarité nouvelle de
l'emploi.
Les raisons qui pourraient être à
la base de l'insécurité des emplois dans
le marché du travail ne semblent pas
faire l'unanimité. Pour certains, dont
Myles et al. (1993), la restructuration et
la diminution de la taille des entreprises
seraient la cause première du chômage et
des bas salaires. Pour d'autres (Reich,
1993), la diminution des salaires serait
principalement attribuable au déplacement de la production vers les pays à
plus faibles salaires. Reich considère en
effet que les pays développés conservent
les emplois les plus qualifiés (ceux de
« manipulateurs de symboles ») alors
que les emplois non-qualifiés, ceux de la
« production courante » ont tendance à
être relocalisés sous le coup de la
concurrence des pays à faibles salaires.
Thurow (1996) abonde dans le même
sens en mentionnant que la facilité du
transport et des communications modernes a fait en sorte de déplacer l'utilisation d'une main-d’œuvre non-qualifiée
vers des pays en voie de développement.
Dans cette quête de flexibilité et de
rentabilité,
de
plus
en
plus
d’entreprises offrent désormais des
emplois à temps partiel, des emplois
contractuels, des emplois dans leurs
entreprises de sous-traitances.
Par le fait même, les employés
routiniers dans la production ont dû se
tourner vers les emplois dans le secteur
des services. Tremblay (1994) démontre
que l'un des facteurs ayant contribué à
l'augmentation de la précarité de l'emploi, particulièrement en Amérique du
Nord, est justement la montée des emplois de service, ce type d'emploi étant,
règle générale, moins rémunérateur et
moins stable que les emplois du secteur
de la production des biens. L'augmentation drastique de l'offre de main-d'œuvre
dans le secteur des services, suite aux
licenciements dans le secteur de la pro6
duction, aurait ainsi occasionné une diminution des salaires en raison de l'intense compétition entre les individus
(Reich, 1993). Les femmes et les jeunes
seraient, entre tous, ceux qui souffrent le
plus de la précarité d'emploi, étant donné
qu'ils sont davantage tributaires de ce
type d'emploi. Myles et al. (1993)
soulignent à cet égard que
« Canadian wage and earnings
distribution were polarizing but
not for the reasons we had expected. Polarization was taking
place between generations, not
between industry or occupational
sectors (...) rather than a new
class structure, post-industrialism
appears to bringing about a new
life-course ».
Krugman (1995 : 62-63) affirme
pour sa part que ce sont les changements
technologiques, et non le commerce international, qui sont à la base des modifications dans le monde du travail, et ce,
parce qu'ils réduisent la demande de la
main-d’œuvre la moins qualifiée dans
toutes les sphères de l'économie. Ceci
semble concorder avec l'argumentation
de Thurow (1996 : 176) lorsqu'il affirme
« when skilled labor is released
because of rising imports, skilled
workers simply bump down the
job distribution, knocking those
with lesser skills out of their best
jobs. The lowest paid in each
skill class moves down to take
what had been the best-paid jobs
in the skill class below them ».
Bourdieu (1998 : 41) soutient
pour sa part que la concurrence des travailleurs européens provient de l'intégration du marché intra-européen. Il rapporte que « 70 % des échanges économiques
des nations européennes s'établissent
avec d'autres pays européens ». Ainsi, la
concurrence interne favorise ce que l'auteur nomme le « social bumping», c'està-dire qu'il y aurait bien une égalisation
des salaires entre les pays mais une égalisation vers le bas. Dans cette optique,
les pays pauvres imposeraient la route à
suivre au pays les mieux nantis par l'entremise de la compétition internationale.
Dès lors, les pays les plus riches doivent
se délester des acquis sociaux pour redevenir compétitifs aux yeux des multinationales.
Pour Harrison (1997 : 197), la
précarité et la flexibilité sont étroitement
reliées. Il croit en effet que les opportunités d'emploi d'aujourd'hui sont le résultat de la règle de la flexibilité régissant
désormais le marché du travail. Tremblay (1994 : 624) distingue quatre types
de flexibilité : la flexibilité des coûts de
la main-d’œuvre (salaires et avantages
sociaux); la flexibilité du temps de travail; la flexibilité des statuts d'emplois
(travail temporaire, occasionnel, pigiste,
etc.); et la flexibilité technicoorganisationnelle (formation professionnelle, recyclage, mobilité des travailleurs, etc.). Mentionnons que la précarité
de l'emploi ne dépendrait pas uniquement de la durée d'un emploi, mais aussi
de la stabilité du statut de cet emploi.
Selon cette logique, la précarité peut être
définie comme « un emploi dont la durée
dans le temps est incertaine ou limitée,
ou encore dont le statut n'est pas défini
ou ne donne aucun droit (à des avantages
sociaux, des régimes de retraite, ou au
simple maintien de l'emploi) » (Tremblay, 1994 : 628).
Maints problèmes sont en effet
associés à la précarité de l'emploi : l'absence de sécurité du revenu, des salaires
moindres, la carence d'avantages sociaux
7
et de régime de retraite, l'absence de
représentation syndicale et, finalement,
un accès réduit à la formation et aux
promotions. L'ensemble de ces conséquences est également susceptible de
créer des problèmes d'ordre personnel et
familial. En outre, « différentes études
menées en Europe, aux États-Unis et au
Canada ont établi des liens entre le chômage et des problèmes sociaux accrus,
notamment diverses maladies et des problèmes de stress, de dépression, de criminalité et de délinquance ».
Maints problèmes sont en effet associés
à la précarité de l’emploi : l’absence de
sécurité du revenu, des salaires
moindres, la carence d’avantages sociaux et de régime de retraite, l’absence
de représentation syndicale et, finalement, un accès réduit à la formation et
aux promotions.
Toutefois, bien que la situation
présentée précédemment puisse paraître
tragique, elle se doit d'être nuancée. Selon Beach et Slotsve (1996), même si le
marché économique actuel est créateur
d'inégalités, la polarisation entre les diverses tranches de revenu n'a pas augmenté. À cet effet, Wolfson et al. (1998)
démontrent que malgré une augmentation de l'inégalité des revenus d'emploi,
la polarisation, c'est-à-dire la diminution
de la proportion des revenus moyens,
soit la classe moyenne, ne s'est pas avérée en termes de revenus disponibles.
Ceci s'explique par la redistribution des
gains après les paiements de transfert de
l'État aux individus et grâce à la progressivité de l'imposition du revenu. Beach
et Slotsve (1996) ajoutent même que les
gens qui ne sont plus comptabilisés dans
la classe moyenne le sont désormais
dans une large mesure dans le quintile
supérieur des revenus. Les statistiques
démontrent également que la population
à faible revenu diminue aussi (26.1 % en
1972 contre 25.2 % en 1992). De plus,
les statistiques tendent à démontrer que
le salaire, en dollars constants, est plus
élevé en 1992 qu'en 1972, quoique celuici ait connu une tendance à la stagnation
depuis le début des années 1980.
Comme nous l'avons vu précédemment, pour Myles et al. (1993), les
écarts de salaire sont davantage le fait
des groupes d'âge. À cet effet, Beach et
Slotsve (1996) démontrent que la tranche
d'âge de 25-34 ans a vu son salaire diminuer de 17.5 % entre 1980 et 1991. En ce
qui concerne les familles canadiennes,
nous remarquons que leur situation en
général s'est améliorée après la redistribution par l'État. « It would appear that
the pooling of multiple individual income to make up family total income has
the effect of dampening the degree of
polarization and its year-to-year fluctuation. The increased equalizing effect of
the progressive income tax is shown»
(Beach et Slotsve, 1996). En ce qui
concerne les différences entre les ÉtatsUnis et le Canada, leurs résultats tendent
à démontrer que les inégalités de revenus
disponibles sont moins considérables au
Canada qu'aux États-Unis (Idem : 18).
Ils constatent que, bien que l'économie
américaine croît à un rythme supérieur à
celle du Canada, le système de redistribution des gains aux Canada a permis
aux Canadiens de jouir d'un pouvoir
d'achat plus grand que leurs voisins du
sud (Wolfson et al., 1998 : 4). Bref, nous
pourrions résumer la situation en disant
que les États-Unis sont une société plus
riche économiquement que le Canada
mais qu'en revanche, les inégalités sociales sont moindres au Canada. Toutefois,
comme le font remarquer Wolfson et al.
8
(1998 : 25), « bien que l'inégalité dans
les gains aux États-Unis se soit accrue
entre 1985 et 1995 (...) la polarisation
des gains aux États-Unis a régressé au
cours de cette même période. Autrement
dit, le pourcentage de salariés de la classe moyenne a augmenté aux États-Unis
au cours des dix dernières années ». Par
contre, la situation économique des gens
les plus pauvres aux États-Unis s'est
considérablement détériorée, alors que
pour les Canadiens, la situation a été
inversée. Il y aurait eu une diminution du
taux de pauvreté au Canada, un moins
grand nombre de Canadiens se retrouvant sous le seuil de la pauvreté (selon
l'indice de Statistique Canada). Toutefois, malgré ces statistiques encourageantes, un fait demeure : certains problèmes sociaux peuvent découler de la
précarité de l'emploi, particulièrement en
ce qui a trait aux inégalités sociales.
Les problèmes de l'exclusion
Dans cette dernière partie, nous
examinerons ce que peut être l'incidence
de la précarité de l'emploi sur les inégalités sociales. En outre, nous porterons
une attention particulière aux phénomènes de la pauvreté et de l'exclusion sociale. En effet, dans une société comme
la nôtre, où le travail détient une place de
choix dans nos valeurs collectives, il
importe de s'attarder aux effets néfastes
qui peuvent découler de l'exclusion du
monde du travail.
L'une des premières conséquences que nous pouvons attribuer à la perte
d'emploi et au chômage demeure la pauvreté. En effet, pour Strobel (1996),
« l'intégration rapide des économies nationales dans la compétition mondiale,
les restructurations industrielles de gran-
de ampleur et la précarisation croissante
de la condition salariale se sont accompagnées de la montée d'un chômage
structurel (...). Par le fait même, de nouvelles formes de pauvreté et de marginalisation sont ainsi apparues ». Paugam
(1996) considère que la pauvreté, la
marginalisation et l'exclusion dépendent
grandement du contexte social. Selon lui,
les normes spécifiques relatives au bienêtre varient énormément d'une collectivité, d'une communauté à une autre. En
guise d'exemple, il mentionne les pays
du sud de l'Europe pour qui la pauvreté
sera davantage perçue comme un état
permanent et reproductible alors que
dans les pays les plus développés, la
pauvreté sera, dans une plus large mesure, associée à une chute ou à une malédiction.
Un chômeur ne subira pas les mêmes
pressions sociales s’il vit aux ÉtatsUnis ou dans le sud de l’Italie par
exemple. Aux États-Unis, le sansemploi risque davantage d’être exclu
de la société.
En suivant cette logique, il est
permis de croire qu'au niveau individuel,
il en ira de même. Un chômeur ne subira
pas les mêmes pressions sociales s'il vit
aux États-Unis ou dans le sud de l'Italie
par exemple. Aux États-Unis, le sansemploi risque davantage d'être exclu de
la société. Ce type de stigmatisation
semble en effet être plus présent dans les
pays fortement capitalistes. « Les sociologues des sociétés méditerranéennes
soulignent souvent que les pauvres de
leurs pays restent plus intégrés au système social que les pauvres des pays du
Nord » (Paugam, 1996). L'appartenance
à un réseau familial joue ici un rôle important. Ainsi, Paugam (1996) distingue
9
trois types de pauvreté. La pauvreté intégrée, où le pauvre conserve ses rapports
sociaux; la pauvreté marginalisée, c'està-dire celle ou l'individu est pris en
charge par l'État-providence et stigmatisé comme une personne « abusant » des
prestations sociales et finalement, la
pauvreté disqualifiante, où l'individu
relégué malgré lui hors du monde du
travail se retrouve dépendant des institutions sociales et en vient à se considérer
lui-même comme étant « inutile à la société ». Selon Paugam (1996), ce type de
pauvreté se distingue de la pauvreté
marginale en ce sens qu'elle génère la
peur généralisée de se retrouver disqualifié, inutile à la société. Comme il le souligne d'ailleurs, « non seulement l'appareil productif les rejette et leur statut ne
peut être, de ce fait, que dégradé, mais
leur présence nombreuse affecte le système social dans sa totalité ».
« l’underclass reflète les préoccupations pérennes des élites à l’égard des
couches déshéritées qui échappent aux
disciplines officielles : tracer une ligne
de démarcation entre pauvres méritants et déméritants»
Dès lors, il est important de distinguer pauvreté et exclusion. Comme l'a
démontré Paugam (1996), la pauvreté
n'entraîne pas nécessairement un individu vers l'exclusion. Castel (1995) relève
bien la nuance entre exclusion et pauvreté. Pour lui, l'exclusion consiste à « plaquer une qualification purement négative
qui nomme le manque, sans dire en quoi
il consiste, ni d'où il provient ». En fait,
Castel (1995) considère l'exclusion
comme « une condition spécifique qui
repose sur des règlements, mobilise des
appareils spécialisés et s'accomplit à
travers des rituels ». Par le fait même,
nous devons percevoir derrière l'exclusion un procédé officiel telle la discrimination à l'endroit d'un groupe d'individus. À cet égard, il considère l'exclusion
comme un statut social stigmatisant imposé à l'individu et recommande la prudence dans l'utilisation du terme.
En ce qui concerne la pauvreté,
elle serait le résultat, non pas d'une discrimination formelle mais plutôt d'une
marginalisation occasionnée tant par la
déliquescence des liens sociaux que la
relégation hors du marché du travail. Par
le fait même, selon Castel (1992a), il est
plus prudent d'utiliser le terme « désaffiliation » pour désigner le processus qui
mène à la pauvreté et à la destruction du
lien social (exclusion). Il souligne à ce
sujet que les gens les plus susceptibles
d'être exclus sont ceux dont le niveau
d'intégration est le plus faible dans le
domaine du travail et dans la vie sociale.
Ce raisonnement va de pair avec celui de
Paugam (1996) lorsque celui-ci relativise
le concept de pauvreté. Pour Castel, la
« nouvelle pauvreté », celle qui risque de
conduire à l'exclusion, correspondrait à
la pauvreté disqualifiant de Paugam,
c'est-à-dire qu'elle limiterait à la fois
l'intégration au travail et l'intégration au
monde social.
Pour illustrer ce phénomène de
l'exclusion sociale, « l'underclass » étatsunienne semble être un exemple de
choix. En effet, l'attribution de cette étiquette à un groupe d'individus illustre
bien le problème de l'exclusion sociale
formelle telle que définie par Paugam
(1996) et Castel (1992). Comme le souligne d'ailleurs Herpin (1993 : 424),
« l'underclass urbaine constitue un groupe social très homogène » qui présente
des traits d'une classe sociale. Ces individus, concentrés dans un territoire où
10
l'isolement social et la pauvreté sont importants, risquent d'être stigmatisés, de
subir la discrimination des employeurs et
ainsi, d'être confinés à demeurer exclus
du monde du travail. Bref, « l'underclass »
« reflète les préoccupations pérennes des élites à l'égard des
couches déshéritées qui échappent aux disciplines officielles :
tracer une ligne de démarcation
entre pauvres méritants et déméritant, détecter et prévenir tout effet pervers des dispositifs de protection sociale, identifier et
contenir les éléments “incurables” de la population assistée,
enfin minorer le fardeau financier
et administratif que celle-ci impose au pays » (Wacquant,
1996).
Conclusion
tenté de défendre l'idée selon laquelle
une mondialisation financière exagérée
peut être source d'inégalités sociales,
voire même d'exclusion. Notre analyse
nous a permis de croire que la mondialisation serait davantage l'apanage des
pays membres de la Triade. À cet effet,
nous croyons que l'utilisation de la terminologie « triadisation » des marchés
est plus exacte que celle de la mondialisation. La libéralisation, la privatisation
et la déréglementation des marchés
comptent parmi les facteurs qui auraient
contribué à l'explosion de cette globalisation financière. Celle-ci aurait à son
tour eu des répercussions sur l'Étatprovidence et les entreprises. En outre,
nous avons constaté que l'État tend de
plus en plus à s'éclipser du domaine économique tout en jouant un rôle prépondérant à l'égard des entreprises en mettant sur pied des conditions favorables à
l'implantation des multinationales. En ce
qui a trait aux entreprises, la globalisation a fait en sorte de créer une certaine
dépendance des entrepreneurs à l'égard
des investisseurs. La recherche du profit
maximal est désormais devenue le leitmotiv de plusieurs entreprises. Pour y
arriver, elles ont cherché à augmenter
leur flexibilité et à réduire les coûts
d'exploitation. Réduction des effectifs,
délocalisation, réorganisation semblent
désormais être les mots d'ordre de beaucoup d'entreprises. C'est dans ce contexte
que la notion d'impartition flexible fut
abordée.
Le présent article, bien qu'il ait
négligé de nombreux aspects ayant trait
à la globalisation, s'est voulu une tentative en vue de tracer un portrait d'ensemble du phénomène de la globalisation
financière et de ses effets, tant au niveau
de l'économie, des États, des entreprises
que des individus. Nous avons en effet
Nous avons aussi considéré les
conséquences de la globalisation financière sur le sort des travailleurs : précarité de l'emploi, manque de couverture
sociale, faible revenu, chômage. En outre, nous nous sommes intéressés aux
inégalités sociales, à la pauvreté et à
l'exclusion sociale. Des nuances ont été
Toutefois, tous ces sociologues
considèrent que « l'underclass » n'est
rien d'autre qu'un stéréotype, fruit de
l'imaginaire collectif.
En ce qui concerne la pauvreté, elle
serait le résultat, non pas d’une discrimination formelle mais plutôt
d’une marginalisation occasionnée
tant par la déliquescence des liens
sociaux que la relégation hors marché du travail.
11
apportées au sens de ces deux derniers
termes. D'une part, nous avons défini la
pauvreté comme un processus pouvant
conduire à l'exclusion et, d'autre part,
l'exclusion a été conçue en tant que le
résultat d'une désaffiliation, tant au niveau du travail qu'au niveau social. La
relativité du concept de pauvreté a donc
été soulevée.
Au cours de notre réflexion, certaines questions entourant la « mondialisation » nous sont apparues, notamment
en ce qui a trait à la « mondialisation »
communicationnelle.
Comme
nous
l'avons vu précédemment pour la globalisation financière, plusieurs considèrent
qu'il est préférable de parler non plus de
mondialisation, mais plutôt d'une « triadisation » des marchés financiers. En
outre, l'image d'un centre névralgique (la
triade) qui étend de plus en plus ses tentacules en périphérie (Afrique, Amérique
du Sud, etc.) nous a été proposée. Toutefois, avec l'arrivée d'Internet et la commercialisation de l'inforoute — avec un
taux de croissance exponentiel évalué à
plus de 1 700 % en 1994 pour le World
Wide Web — peut-on prévoir l'inauguration d'un vrai marché mondial?
Les statistiques se référant à
l’utilisation de l’Internet indiquent clairement la disparité
croissante entre les pays du
Nord et ceux du Sud
À cet effet, Mattelart (1996 : 11)
nous explique que pour certains, la
commercialisation de l'inforoute favorise, et favorisera davantage dans un avenir rapproché, la propagation d'une nouvelle idéologie néolibérale justifiant la
primauté des impératifs du marché mondial. L'une des caractéristiques majeures
de cette nouvelle idéologie serait d'imposer une logique universelle de
consommation aux sociétés ainsi reliées
avec des produits et des réseaux. L'information et le monde des communications deviendraient l'instrument privilégié du marché grâce à la diffusion mondiale d'une culture de masse. Internet, à
titre de nouveau médium de communication et d'échange, offrirait à ses usagers
des opportunités variées en matière
d'échanges commerciaux et économiques. Selon Torrès, les capitaux engouffrés dans le cyberespace se chiffrent par
dizaines de milliards de dollars (1996 :
22). D'ailleurs, selon certaines estimations, en 1996, près du quart des sites
Internet auraient été à « saveur » commerciale (Schiller, 1996 : 27). Bref, plusieurs semblent considérer qu'Internet
permettra la création d'un « vrai » marché mondial.
Toutefois, cette vision idyllique
du
producteur-consommateur
est
confrontée à une image moins idyllique
de la cyberéconomie. Ainsi, Mattelart
(1996 : 14) voit dans « la mondialisation
des économies et des systèmes de communication (...) la création de nouvelles
disparités entre les divers pays ou régions, et entre les divers groupes sociaux, en d'autres termes, source de nouvelles exclusions ». Les statistiques se
référant à l'utilisation de l'Internet indiquent clairement la disparité croissante
entre les pays du Nord et ceux du Sud.
En Afrique, par exemple, seulement
douze des cinquante-quatre nations sont
branchées au Net. Cette disparité existe
aussi en fonction des classes sociales.
L'utilisation régulière d'un ordinateur
serait l'apanage des familles aisées (65 %
des usagers), c'est-à-dire celles dont le
revenu dépasse les 75 000 dollars annuellement. Quant aux familles améri12
caines dont le revenu annuel oscille aux
environs de 34 000 dollars, elles ne sont
que 20 % à 30 % à se servir de l'informatique. De plus, parmi tous les propriétaires d'ordinateurs, seulement 8 % étaient,
en 1996, branchés à Internet (Schiller,
1996 : 26). Cette inégalité des chances
en ce qui à trait à l'utilisation de l'Internet favoriserait donc, selon certains, la
diffusion d'une culture plus homogène,
mais pour une partie seulement de la
population mondiale. Cette culture serait
celle du capitalisme, de la consommation
de masse. Petrella (1996 : 56) considère
à cet effet que la société de l'information
« conforte le véritable objectif du capitalisme contemporain, à savoir la création
de l'espace marchand mondial unique,
entièrement laissé au libre jeu des forces
privées du marché ».
la Triade. Ne devons-nous pas nous
questionner dès aujourd'hui sur les
conséquences possibles inhérentes à
« l'imposition » d'une culture de
consommation de masse sur les pays et
les classes défavorisés? Ne doit-on pas
voir là une source nouvelle d'inégalités
sociales?
Patrice Corriveau,
Troisième cycle,
Sociologie, Université Laval
Dès lors, à l'instar de Torrès
(1996 : 60), on peut se demander si l'inforoute n'est en fait que le reflet de nos
sociétés inégalitaires? La « mondialisation » communicationnelle sera-t-elle
une nouvelle source d'inégalités sociales? À cet égard, doit-on considérer cette
« mondialisation » comme un outil privilégié de la « triadisation » financière? À
cet effet, faut-il désormais parler d'une
« triadisation » des technologies communicationnelles et non d'une mondialisation? Certains s'objecteront sans doute
en disant que la mondialisation de l'Internet commence peu à peu à s'étendre
sur l'ensemble des pays du globe et que,
d'ici peu, tous auront l'opportunité de se
brancher au réseau mondial. À cela nous
serions enclins à émettre une mise en
garde concernant les conséquences qui
résulteront peut-être d'une mondialisation pleine et entière des réseaux de
communication — particulièrement Internet — à l'ensemble des périphéries de
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