Commerce intra-firme de bien final et de bien intermédiaire

Commerce intra-firme de bien final et de bien intermédiaire
Pierre Blancharda, Carl Gaignéb et Claude Mathieuc
04 Novembre 2004
Résumé. L’objet de ce papier est d’analyser la structure des échanges intra-firme en présence
de barrières tarifaires et non tarifaires ainsi que d’un différentiel de fiscalité entre pays. Nous
établissons tout d’abord les conditions pour lesquelles des échanges en biens finals et
intermédiaires peuvent se mettre en place au sein d’une firme multinationale. Dans ce
contexte, la présence de commerce intra-firme vertical et horizontal est possible lorsque
l’impôt sur les profits est plus faible à l’étranger. Toutefois, les coûts de production doivent
être plus bas dans le pays domestique pour permettre la présence d’échanges horizontaux.
Nous mettons ensuite en évidence que la protection tarifaire et non tarifaire favorise le
volume d’échanges de bien intermédiaire tandis qu’elle limite le commerce de produit final.
Enfin, le différentiel de pression fiscale entre pays a ici un effet beaucoup plus ambigu sur le
volume de commerce intra-firme dans la mesure il affecte dans des sens opposés, les recettes
d’exportation de la maison mère et les coûts de production de la filiale.
Mots clés : Firme multinationale, Commerce intra-firme, Echanges horizontaux et verticaux.
Classification JEL : F23, F11
a ERUDITE et Université Paris XII. Adresse : ERUDITE, Université Paris XII Val de Marne , Faculté de
Sciences Economiques et de Gestion, 61 av. du Gal de Gaulle, 94010 Créteil cédex. E-mail : blanchard@univ-
paris12.fr.
France
b CESAER-INRA. Adresse : ENESAD, CESAER, 26 Bd Dr Petitjean, BP 87999, 21079 Dijon Cedex. E-mail :
c ERUDITE et Université de Paris XII. Adresse : ERUDITE, Université Paris XII Val de Marne , Faculté de
Sciences Economiques et de Gestion, 61 av. du Gal de Gaulle, 94010 Créteil cédex. E-mail : mathieu@univ-
paris12.fr.
1. Introduction
Les firmes multinationales (FMNs) occupent depuis plusieurs années une part de plus en plus
prépondérante dans le processus d’intégration/globalisation de l’économie mondiale (cf.
UNCTAD [2002]). En effet, ces entreprises qui réalisent une partie de leurs activités à
l’étranger ont vu leur production internationale croître substantiellement au fil du temps.
Ainsi, leur contribution à la production mondiale a atteint 11 % en 2001 alors qu’elle
s’élevait à 7 % en 1990. Les FMNs interviennent également de façon significative dans les
échanges internationaux. Plus d’un tiers du commerce mondial est de type intra-firme, i.e.
qu’il s’opère entre maison mère et filiales des FMNs plutôt qu’entre entités indépendantes
comme l’envisage la théorie traditionnelle du commerce international.
Les échanges intra-firme peuvent porter sur des biens intermédiaires ou sur des biens finals.
Dans le premier cas, la maison mère est spécialisée dans la production d’innovations et de
biens intermédiaires tandis que leurs filiales sont davantage tournées vers la réalisation de
biens finals. On considère alors que les FMNs sont intégrées verticalement et que les
échanges intra-firme réalisés sont verticaux. Dans le second cas, les différentes entités des
FMNs produisent et échangent les mêmes biens ou des produits similaires. Dans ce cadre,
l’intégration des activités et le commerce intra-firme sont de nature horizontale. La présence
d’échanges intra-firme horizontaux est très souvent ignorée par les travaux théoriques, les
FMNs se situant dans une logique de contournement de barrières au commerce et
d’exploitation d’économie d’échelles au niveau de l’ensemble de la firme (cf. par exemple
Markusen et Venables [2000]). A l’inverse, le commerce vertical est possible ne serait-ce que
pour transférer des services produits par la maison mère vers ses filiales (technologies,
marketing et management). Ces conclusions théoriques semblent quelque peu contredites par
le constat empirique suivant : la structure des échanges intra-firme apparaît plutôt équilibrée
entre les dimensions horizontale et verticale. Ainsi dans le cas français, la parité existe une
fois éliminée les échanges destinés aux filiales de commercialisation (cf. SESSI [2002]1). De
plus, près de 88% des FMNs réalisent simultanément ces deux types d’échanges entre la
France et le reste du monde. Un tel constat pour la France est assez conforme aux résultats
obtenus pour d’autres pays comme la Suède (cf. Andersson et Fredriksson [2000]). Par
1 Les calculs mentionnés ici s’appuient sur l’enquête réalisée en 2000 par le SESSI du Secrétariat à l’Industrie.
Cette enquête, réalisée auprès d’entreprises vise à évaluer les flux d’échanges intra-firme de produits industriels
réalisés en 1999 entre la France et ses différents partenaire commerciaux.
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ailleurs, il apparaît toujours dans le cas français que les échanges entre maison mère et filiales
ne sont pas de nature intra-branche.
Les échanges intra-firme ont la particularité de s’opérer en dehors des marchés. La fixation de
leur prix ne répond donc plus nécessairement à une logique concurrentielle de confrontation
entre offre et demande mais s’établit plutôt sur la base d’un processus de consolidation au
niveau de chaque FMN. On parle alors de prix de transfert dont les modalités de fixation
peuvent relever de deux logiques au moins. Premièrement, ils constituent un bon instrument
pour exploiter au mieux les différences de régimes fiscaux entre pays en transférant les
activités et les profits des pays où la pression fiscale est forte vers les nations où celle-ci est
« plus accueillante » (cf. par exemple Grubert et Mutti [1991]). Ce facteur peut entrer en ligne
de compte même à l’intérieur d’espaces supranationaux économiquement intégrés comme
l’Union européenne où le poids de la fiscalité, varie substantiellement d’un pays à l’autre (cf.
Commission européenne [2001]). En second lieu, les prix de transfert peuvent être un moyen
de limiter l’impact des barrières tarifaires sur les échanges internationaux (cf. Swenson
[2001]). En particulier, un prix de transfert très faible limite d’autant la portée d’un droit de
douane ad valorem (cf. Bécuwe et alii [1998]).
Les échanges intra-firme peuvent être également soumis à des barrières non tarifaires
imposées au passage des frontières. Au rang de ces barrières, on peut mentionner les
contraintes en contenu local. Les pays étrangers imposent à ce niveau qu’une partie de la
valeur ajoutée du bien assemblé ou vendu sur leurs propres territoires soit de production
locale. Cela conduit donc les FMNs à réallouer leurs activités entre maison mère et filiales,
ces dernières devant accroître leur production de biens intermédiaires dans les pays où elles
sont implantées. Au vu de l’importance prise par ce type de barrières, leur suppression a été
programmée, lors de la conclusion de l’Uruguay Round en 1994, dans le cadre de l’accord sur
les mesures concernant les investissements directs liés au commerce (MIC). Toutefois, ce
type de barrières aux échanges continue d’exister, en conformité d’ailleurs avec les règles de
l’organisation mondiale du commerce. L’UE a, par exemple, incorporé des contraintes en
contenu local dans sa législation antidumping. Par ce biais, elle impose aux firmes étrangères
une production significative en Europe lorsqu’elles choisissent d’y investir pour contourner
les actions anti-dumping (cf. Beldebos et alii [2002]).
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L’objet de notre papier est d’analyser la structure des échanges intra-firme en présence de
barrières tarifaires et non tarifaires et compte tenu de l’existence d’un différentiel de fiscalité
entre pays. Notre analyse s’appuie sur une extension du modèle initialement proposé par
Madan [2000], modèle dans lequel des échanges verticaux et horizontaux peuvent
simultanément exister. Toutefois, la structure que nous proposons ici présente des différences
substantielles par rapport à l’approche de Madan puisque nous modifions plusieurs
hypothèses de base et élargissons le champs d’analyse. Tout d’abord, nous souhaitons
appréhender au mieux l’ensemble des pressions concurrentielles qui s’exerce sur les FMNs.
Pour ce faire, nous considérons que le produit final est vendu non seulement à l’étranger mais
aussi sur le marché domestique de la maison mère. De ce point de vue, nous nous situons dans
la lignée des travaux de Horst [1971] et de Bécuwe et alii [1998]. Ensuite, nous supposons
que les fonctions de production du bien final sont de type Cobb-Douglas à plusieurs inputs
dans les deux pays, en l’occurrence deux biens intermédiaires et un seul facteur de
production. Madan utilise pour sa part des fonctions de production à facteurs
complémentaires. En comparant les résultats obtenus dans les deux analyses, nous pouvons
apprécier le degré de robustesse de l’équilibre d’échanges intra-firme verticaux et horizontaux
au regard du degré de substitution des facteurs de production. De plus, selon la même
démarche, nous considérons que les technologies utilisées sont différentes entre les deux
unités de production, les transferts de savoir et de savoir-faire entre maison mère et filiale
étant supposés ici imparfaits. Par ailleurs, notre analyse des effets de la fiscalité sur la nature
verticale et/ou horizontale des échanges intra-firme est plus générale. En effet, nous
envisageons les deux cas de figure possibles pour le différentiel d’imposition sur les bénéfices
entre pays. Nous considérons tout d’abord la situation où le taux d’imposition est le plus
faible dans le pays d’origine de la FMN, le seul cas retenu par Madan. Nous portons ensuite
notre attention sur la portée de l’attractivité fiscale du pays d’accueil. Enfin, de cette analyse,
nous déduisons le caractère substituable ou complémentaire des échanges intra-firme et de la
production à l’étranger.
La première section de cet article s’attache à préciser les hypothèses du modèle. Dans une
seconde section, nous établissons les conditions d’existence d’un équilibre de commerce
intra-firme vertical et horizontal compte tenu de la présence d’une protection tarifaire et non
tarifaire, de différences de pressions fiscales qui s’exercent entre les deux pays où la FMN est
implantée, de fonctions de productions à facteurs partiellement substituables et de
technologies de production différentes entre maison mère et filiale. La troisième section est
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consacrée à l’analyse de l’impact des paramètres du modèle sur les échanges intra-firme. Plus
précisément, nous évaluons si les mesures de protection ainsi que la pression fiscale, supposée
plus faible dans le pays d’origine de la FMN, peuvent rendre les échanges intra-firme et la
production complémentaires plutôt que substituables. La dernière section vise à évaluer les
conséquences sur la structure verticale et/ou horizontale des échanges intra-firme d’une plus
forte attractivité fiscale du côté de l’étranger.
2. Hypothèses du modèle
On suppose une entreprise multinationale (FMN) constituée d’une maison mère et d’une
filiale de production implantée dans un pays étranger, identifié par *. Ces deux unités de
production sont horizontalement et verticalement intégrées. En effet, elles produisent le même
bien final et également des biens intermédiaires imparfaitement substituables qui entrent dans
le processus de production de l’output. On considère que les échanges de bien final et de bien
intermédiaire sont a priori possibles entre les deux entités de la FMN et qu’ils sont soumis à
des barrières tarifaires et non tarifaires. Pour simplifier notre présentation, nous supposons
que ces échanges intra-firme qualifiés d’horizontaux et de verticaux respectivement, se
réalisent de la maison mère vers sa filiale. On pourrait envisager qu’ils prennent une direction
opposée à l’intérieur de la FMN sans que les mécanismes à l’œuvre s’en trouvent
sensiblement modifiés. De plus, l’hypothèse de flux d’échanges unilatéraux est plutôt
conforme à la réalité des faits observés. Ainsi dans le cas de la France, l’indice de Grubel et
Llyod excède rarement 10% quelles que soient le pays partenaire considéré, l’origine des
groupes et la nature horizontale ou verticale des produits manufacturés échangés (cf.
Blanchard et alii [2004]). De plus, on peut noter que les groupes d’origine étrangère
contribuent davantage aux importations intra-firme françaises qu’aux exportations. A
l’inverse, la contribution des groupes français est plus forte pour les exportations intra-firme.
Ce dernier constat vient à l’appuie de l’hypothèse retenue sur la direction des échange intra-
firme.
La maison mère et sa filiale produisent respectivement des quantités
I
et *
N
I
de bien
intermédiaire, à un coût constant ( ), supposé identique entre les deux pays. Supposer ici
des coûts unitaires différents rend les calculs plus complexes sans véritablement modifier la
nature des résultats obtenus. Nous supposons également que
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