M2.CHAPITRE 1.cours

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MODULE II – Thème 1 – CHAPITRE 1
⌦ Document 11 – Tableau : la R&D, un élément central dans les stratégies d’insertion
" La R&D comprend la recherche publique et privée. Le tableau nous donne des
informations qui vont dans le sens de l’observation générale :
• Les dépenses en recherche et développement en % du PIB (chiffres 2008): Plus de
2% dans les grands pays industrialisés (2,79 aux Etats-Unis, 2,12 en France, 2,68
en Allemagne, mais 3,36 en Corée et 3,45 au Japon). Les dépenses sont les plus
élevées dans les pays scandinaves et sont autour de 1,5% en Chine ou 1,08% au
Brésil. Par contre, si l’on s’intéresse spécifiquement aux dépenses des entreprises,
on observe une croissance beaucoup plus forte en Inde ou en Chine (+27% entre
2010 et 2011) que dans les pays « installés » (+9,7% aux Etats-Unis) et +5,4% et
+2,4% en Europe et au Japon sous la moyenne mondiale (+9,5%). Rôle des Etats
structurés dans les pays anciens.
• Le nombre de chercheurs en R&D est lui aussi symptomatique : les pays de la
Triade élargie (Corée comprise) présente une avance liée aux efforts des Etats en
matière d’éducation. On constate qu’un petit pays comme la Finlande peut construire
sa stratégie d’intégration sur ce domaine spécifique. Cela s’explique aussi par la
présence d’une firme mondiale telle que Nokia : n°1 mondial du téléphone portable
jusqu’en 2011 dépassé par Samsung en 2012. Chez les BRICS, la Russie se
distingue par son histoire, la Chine par son dynamisme.
• La demande de brevet explose en Chine ce qui montre la forte dynamique de ce
pays. On peut ici à nouveau remarquer la performance de la Finlande : Nokia dépose
de nombreux brevets pour relancer sa marque notamment sur un produit novateur de
tablette tactile souple.
• Les exportations de haute technologie sont plus fortes dans les pays anciennement
industrialisés et en Chine. Il faut ici intégrer l’importance des FMN qui vendent les
technologies à leur filiale. Le géant de l’informatique chinois LENOVO (n°1 mondial
du PC) entre dans cette catégorie. L’Inde apparaît bien positionnée grâce à ses
performances en matière de logiciels.
L’importance de la R&D permet ainsi aux grands Etats de préserver leur indépendance
technologique d’autant plus que les fonctions de recherche et d’innovation des FMN
gardent un ancrage national déterminant : plus de 85% de la R&D des trois pôles de la Triade
sont ainsi réalisés par des firmes d’origine. A l’opposé, les petits Etats appartenant aux
périphéries intégrées présentent souvent des balances extérieures technologiques
déficitaires (Irlande : - 8% rapporté au PIB) et de très forts taux de pénétration étrangère.
Les rapports de force technologiques et scientifiques fonctionnent donc au profit des
économies dominantes et le rattrapage engagé par les émergents est encore loin d’avoir
comblé l’écart, même en Chine où les efforts sont pourtant considérables.
Ces profonds déséquilibres dans la puissance scientifique et technologique des différents
Etats représentent des enjeux géopolitiques majeurs. Le quasi-monopole entretenu par les
pays de la Triade, rejoint ensuite par les NPI et la Chine, fait naître l’image d’un véritable
oligopole mondial de la recherche et de l’innovation. Les pays qui le composent disposent
d’une avance considérable dans des domaines stratégiques : informatique,
télécommunications, électronique, pharmacie, logiciels, aéronautique, armement, spatial…
Cette avance conforte leur position dominante dans tous les secteurs :
• Militaire car les applications sont souvent testées d’abord dans ce domaine où la
recherche est moins soumise aux impératifs de rentabilité.
• Scientifique car en se positionnant à l’avant-garde de la recherche fondamentale, ces
pays imposent les règles en matière de brevets mais aussi d’éthique. Exemple du
clonage.
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• Economique car ce sont dans ces secteurs que la Valeur Ajoutée est la plus forte.
Les retours sur investissements sur des programmes de recherche longs et coûteux
expliquent par exemple la législation restrictive sur la commercialisation des
médicaments génériques dans les pays du Sud. La vente des brevets et licences
est aussi un apport non négligeable pour des économies par ailleurs déficitaires sur les
échanges de produits manufacturés.
• Culturelle car l’avance de ces pays leur permet de conserver la maîtrise des
vecteurs de diffusion culturelle (lanceurs, satellites, réseaux) et assure leur
attractivité qui alimente le brain drain.
Les innovations et la recherche sont de plus en plus utilisés comme leviers dans
l’affirmation d’une hégémonie géopolitique, géoéconomique, et géoculturelle face au
reste du monde. Les pays émergents l’ont compris ce qui explique les efforts importants
qu’ils fournissent dans ce domaine. Cependant, la mondialisation fonctionne d’abord comme
une intégration prioritaire mais concurrentielle entre grand pays développés. Cette
logique explique le terrible paradoxe observé dans de nombreux domaines qui déterminent
l’avenir de l’humanité : les progrès technologiques sont de plus en plus accaparés par quelques
Etats au détriment des besoins de développement des pays du Sud comme en témoignent les
questions sanitaires et médicales. L’échéance des brevets des nombreuses molécules qui ont
assuré les profits des grands groupes pharmaceutiques du Nord depuis les années 1970
permet cependant d’entrevoir une démocratisation de l’accès aux médicaments par le
développement d’une puissante industrie du générique dans les pays du Sud. Mais ces pertes
risquent aussi d’obliger les grands groupes historiques du secteur à recentrer leurs recherches
sur les molécules les plus rémunératrices, et abandonner ainsi les besoins numériquement plus
important du Sud. Appuyés sur de puissantes multinationales, les Etats des économies
dominantes imposent des législations qui ne peuvent que renforcer la puissance de celles-ci.
1.2.2.2. Etats et FMN : la question de la souveraineté économique La souveraineté économique est un concept ambigu. Y faire référence implique de s’inscrire
dans une approche keynésienne qui envisage l’encadrement de l’économie par le politique et
le social. Or, la mondialisation, par l’intermédiaire de ses représentants les plus puissants,
c’est à dire les FMN, semble s’opposer à cette idée en mobilisant plutôt le registre libéral à
une échelle qui n’est plus celle du national.
L’évolution récente a vu les Etats se délester progressivement de leur rôle d’acteur direct
dans l’économie des pays du Nord (privatisation de nombreux pans de l’économie) et les
Etats du Sud semblent souvent trop peu structurés et puissants pour négocier d’égal à égal
avec les FMN, souvent d’origine étrangère. C’est l’évolution de ce rapport de force, qui
apparaît parfois déséquilibré au profit des entreprises, qui pose la question de la
souveraineté économique.
A l’action de l’Etat, se substitue alors souvent un désir d’Etat, qui s’exprime d’autant plus que
tout contrôle semble lui échapper. On comprend alors le gouffre qui sépare la promotion d’un
patriotisme économique essentiellement médiatique des stratégies de promotion de
champions nationaux dans les années 1950-1960. Dans le second cas, l’Etat mène une
politique industrielle fondée sur une stratégie à moyen terme, dans le premier le consommateur
est appelé à compenser l’impuissance de l’Etat par des pratiques d’achat présentées comme
vertueuses. L’Etat-nation, dépassé par les acteurs transfrontaliers (les 10 premières
multinationales sont plus riches que les 2/3 des Etats du monde), fabrique ainsi de l’inégalité
en protégeant les uns au détriment des autres. On l’observe dans le domaine de
l’automobile lorsque l’on compare des automobiles Renault et Toyota de même gamme
(citadine) : appeler à l’achat de véhicules Renault conduit à encourager l’achat de véhicules
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produits majoritairement à l’étranger alors que les véhicules Toyota sont assemblés en
France…
Face aux puissants acteurs économiques supranationaux que représentent les FMN, les
Etats choisissent des stratégies qui peuvent apparaître contradictoires :
• Face à la fuite des profits organisée par les FMN par toute une série de canaux qui
permettent la remontée vers les maison-mères et le contournement de la fiscalité, les
Etats tentent de mettre en place des politiques publiques offensives permettant de
capter et valoriser les transferts technologiques. C’est la stratégie des remontées de
filières pratiquées en Asie, notamment grâce aux législations restrictives sur la
pénétration des marchés nationaux par les entreprises étrangères, qui sont dénoncées
par les autres pays comme déloyales !
• La lutte contre les risques de perte de souveraineté passe aussi souvent par la
résurgence de mesures protectionnistes, qui semblent contradictoires avec le
mouvement dit « naturel » de la mondialisation. Ces mesures sont dénoncées car elle
maintiennent ou renforcent l’avantage des pays dominants, capables d’imposer
ces mesures à des pays confrontés à un rapport de force défavorable. Les FMN
profitent donc aussi du rapport de force géopolitique imposé par les Etats dont
elles sont originaires. La dénonciation du protectionnisme mené par l’Europe et les
Etats-Unis par le groupe de Cairns dès 1986 montre que ce mouvement n’est pas
nouveau.
• Pour lutter plus efficacement contre ce sentiment de dépossession, les Etats opèrent
aussi un transfert de leurs attributions vers la société civile. Le pouvoir donné aux
associations et aux lobbys, aux organismes de contrôle dits indépendants, aux instituts
de certification censés offrir une sécurité s’opposant à la dérèglementation mondiale,
vont dans ce sens.
• La décentralisation, menée dans les pays développés, est censée donner davantage
d’emprise sur l’économie à des institutions qui bénéficient d’un pouvoir fondé
sur la proximité : les collectivités territoriales, en prise directe avec la société civile,
bénéficient ainsi d’un transfert « vers le bas » des pouvoirs notamment sur
l’adaptation des territoires aux nouvelles dynamiques de la mondialisation, et
ainsi éviter de la subir…
• Enfin, ce transfert peut se faire « par le haut », c’est à dire vers des organisations
régionales reconnues comme offrant la « taille critique » nécessaire pour résister à
la mondialisation. Cette stratégie s’inscrit dans une logique nationale : c’est la crainte
d’une inadéquation entre territoire national et défis imposés par la mise en concurrence
à l’échelle mondiale qui explique cette démarche. Les constructions régionales sont
en effet d’ordre interétatique et préservent la souveraineté économique des Etats
membres, même lorsqu’elles se dotent d’institutions de gouvernance politique globale.
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