de soutien. Dans le contexte de la modernité, qui occulte la réalité de
la mort et se laisse griser par ses prouesses, se ferme aussi la perspec-
tive de l’éternel, avec la complicité de la philosophie, oublieuse de sa
fonction contemplative.
Est particulièrement intéressant l’article sur la réaction de Nietz-
sche vis-à-vis de l’égalité des droits, dont le principe fait corps avec
notre culture au point que sa vigoureuse contestation par Nietzsche
prendrait un caractère de provocation, s’il ne fallait y voir une marque
d’estime à la hauteur du combat qu’elle motive. Dans ses différentes
applications, éthique, sociale, juridique, cette idée serait empoisonnée
par ses origines judéo-chrétiennes, étant la conséquence du mono-
théisme. Or, c’est avec la vie, essentiellement sélective, volonté de
puissance, expression de l’être qu’il faut confronter le principe d’éga-
lité pour retrouver la singularité de chacun en lui épargnant l’agréga-
tion au troupeau. Ainsi Nietzsche se fait le critique de la modernité. Il
en découle une question : sur quelle base fonder le principe d’égalité
dans une démocratie sécularisée ? Le principe d’égalité requiert aussi
un indispensable complément qui fasse droit au désir d’excellence. La
question finale serait de savoir lequel doit servir de correctif à l’autre.
Cette idée de modernité, marquée par la sécularisation, dont
Nietzsche fut un des promoteurs, alimente plusieurs études. Ainsi la
contribution intitulée « Humanisme chrétien et société sécularisée »
(Rev. Inst. Cath. 17, 1986) montre l’homme engagé dans un devenir
sans but, porteur d’une revendication d’autonomie qui le détache
d’une transcendance fondatrice et fait de l’anthropologie « le critère
d’évaluation des religions ». La victoire de la raison finit par se
retourner contre elle pour faire place au vouloir vivre, à la volonté de
puissance, au pulsionnel, à une constante recherche de soi. Un nouvel
humanisme est en train de naître, qui identifie transcendance et dépas-
sement dont l’humain fixe la clôture, sans finalité transhistorique. Un
humanisme chrétien ne pourra se repenser qu’à partir de cette donnée
élémentaire mais en fonction d’une transcendance qui finalise les
énergies humaines en tension. La redécouverte de Dieu est une
démarche libre ; le prix à verser est un combat spirituel.
Dans une fidélité sans fêlure à Nietzsche paraissent Lectures chré-
tiennes de Nietzsche. Cette nouvelle étude a pour particularité de
passer par la médiation des lectures tentées par six auteurs. L’on est
en présence d’un examen d’interprétations diverses d’une même
œuvre. Si Maurras y cherche un appui pour fustiger les méfaits de la
culture allemande, Papini retourne contre lui le chantre de la puis-
sance de vie, jugé trop faible pour être chrétien. Les autres,
M. Scheler, H. de Lubac, G. Marcel ou E. Mounier l’abordent de front
pour dégager la ligne de rupture entre Nietzsche et le christianisme,
291L’APPORT D’YVES LEDURE
MEP_RSR 2010,3:2010,3 14/06/10 15:08 Page 291 (Noir/Black film)