Rationnel et irrationnel

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Rationnel et irrationnel
Le rationnel concerne la connaissance. Mais l'imagination du poète, la foi du croyant, l'expérience
mystique, la passion, etc. sont des expériences originales, irréductibles à la raison. La science
peut les réduire à des illusions mais une expérience vécue ne peut jamais être récusée.
Irrationnel signifie « dépourvu de raison » ou « étranger à la raison ». C'est la limite de la raison,
limite permanente, indépassable. La raison est alors ontologiquement impuissante.
Il existe dans l'homme des facultés plus puissantes que la raison.
Voici quelques exemples de ces facultés
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La foi : devant elle la raison est impuissante. Elle fait dire non pas « scio, je sais mais
credo, je crois » écrit Pascal.
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La folie : elle échappe à notre logique ; si la logique des fous est souvent implacable, leur
raisonnement de départ est erroné (Cf. l'univers d'Alice aux pays des merveilles, lorsqu'elle est
passée de l'autre côté du miroir).
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La passion : moteur ou frein de l'action, elle rend le passionné hermétique au langage
rationnel. Cf. la logique des passions, le raisonnement passionnel où la conclusion est posée
avant les prémisses.
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La vie : la raison est à l'opposé de la vie affirme Nietzsche. La vie est foisonnante,
complexe, et la seule raison ne nous permet pas de l'appréhender dans sa diversité.
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L'inconscient : Freud a montré que le moi n'est pas maître dans sa propre maison. Tous
nos actes, toutes nos pensées révèlent l'existence d'une instance qui échappe à la raison et que
Freud nomme l'inconscient.
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L'absurde : la philosophie existentialiste développe l'idée de l'absurdité de la condition
humaine. L'absurde, c'est l'impossibilité de justifier rationnellement notre existence. C'est le «
Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Pourquoi, tel Sisyphe, nous évertuons-nous à
pousser le rocher de notre existence toujours plus haut, plus loin, alors que nous sommes tous
condamnés à voir nos efforts anéantis par la mort ?
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L'intuition : Bergson souligne la différence entre la rationalité, liée à la science, et l'intuition,
durée intérieure, subjective, de la conscience.
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La pensée magique : le privilège que volis accordons à la raison dans notre civilisation n'a
aucun droit à une validité concrètement universelle. La pensée magique est tout aussi valable que
la pensée scientifique. C'est la conception du monde qui diffère.
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La primauté (théorique) que nous accordons aux valeurs d'objectivité, de rationalité, etc. est un
phénomène récent, limité dans l'espace et tout à fait étranger à la mentalité traditionnelle.
Contrairement à une opinion persistante mais erronée, le rôle de la pensée religieuse n'est pas
d'« expliquer » quoi que ce soit.
En réalité, la démarche initiale et essentielle de toute pensée n'est pas intellectuelle mais
existentielle, c'est-à-dire qu'elle ne vise pas à édifier des constructions spéculatives abstraites,
mais à fonder la possibilité de vivre, de vivre d'une façon humaine, en assumant l'échec, la
souffrance, la vieillesse, la mort et, d'une façon générale, toutes les contradictions qui déchirent
notre existence. Il ne s'agit donc pas d'expliquer le monde et la vie, mais de les justifier, de leur
donner un sens, de les rendre tolérables.
Les idéologies réductrices à la manière de celle de Voltaire (religion = supercherie consciente
destinée à abuser les simples) ou de celle de Marx (religion = « opium du peuple ») n'épuisent pas
le sens du phénomène religieux. Critiquant (à partir de postulats scientistes) les aspects les plus
superficiels et les plus sclérosés de la religion, elles ont possédé une valeur polémique certaine,
mais ne constituent pas la seule voie d'accès à la compréhension de ce phénomène, ni même la
meilleure.
Démystification, désacralisation : ces mots sont à la mode. Et il est vrai que toute pensée
rationnelle, en premier lieu la science, ne progresse que contre des mythes qu'elle dissout à
mesure. Ainsi, la physique n'a été rendue possible que parce que Descartes, Galilée, etc. avaient
au préalable désacralisé le cosmos en le réduisant à un mécanisme, une machine.
Cependant on doit voir les limites d'une pareille entreprise et ne pas confondre une simple
hypothèse de travail, même féconde, avec une conception totale de l'univers. C'est-à-dire que,
domaine scientifique mis à part, où les concepts sont constamment confrontés avec l'expérience,
toute désacralisation consciente risque bien de s'accompagner d'une re-sacralisation inconsciente
d'autres objets. « Dieu est mort » a proclamé Nietzsche mais entre temps, l'homme avait trouvé
moyen de sacraliser, selon les cas, l'Histoire, la Nation, la Race, le Prolétariat, la Jeunesse, etc. Il
n'est pas prouvé qu'on y ait gagné... Le vrai problème n'est pas d'expulser les mythes, tâche
impossible, mais de savoir détruire ceux qui sont dangereux et de savoir en créer qui puissent
nous aider à vivre. Ce que toutes les civilisations ont plus ou moins réussi à faire.
Qu'en est-il de la nôtre?
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