Schizophrénie et toxicomanie :
Une vulnérabilité génétique commune
Dr Philip GORWOOD, Colombes
La mise en évidence d’une vulnérabilité partiellement partagée pour la schizophrénie et
les dépendances requiert certaines conditions. Tout d’abord, les deux troubles doivent
être comorbides, la présence de l’un augmentant le risque de l’autre, quelle que soit la
pathologie de départ du sujet atteint (dépendant ou schizophrène). Ensuite, chacun des
deux troubles doit avoir une héritabilité non négligeable. Enfin, des arguments solides
ou tout du moins convergents doivent faire évoquer la possibilité d’une héritabilité
commune (partage d’une partie de cette vulnérabilité génétique) et/ou la découverte de
gènes de vulnérabilité augmentant le risque des deux troubles.
Ces trois niveaux d’approche ne sont pas aussi simples qu’il pourrait y paraître, étant donné le
caractère assez clairement quantitatif (et non qualitatif) de ces vulnérabilités. De simples
différences de fréquence d’atteinte chez les apparentés de proposants, souffrant de l’un des
deux troubles, ne suffisent donc pas à répondre au problème, malgré la forte informativité des
études d’agrégation familiale (11). De même, l’analyse des transmissions croisées de ces deux
pathologies aux jumeaux, plutôt monozygotes que dizygotes, est ici difficilement applicable.
Il est donc indispensable de passer par les étapes initiales, dont la comorbidité des troubles.
LA COMORBIDITE DEPENDANCE ET SCHIZOPHRENIE
L’expérience clinique nous montre clairement combien les schizophrènes sont
particulièrement à risque ‘abus ou de dépendance’ à l’alcool. Néanmoins, seules les études
épidémiologiques de population générale permettent de répondre à la question de la
comorbidité, du fait par exemple du biais de Bergson (plus les patients sont comorbides, plus
facilement ils rencontrent une structure de soins). L’Epidemiological Catchment Area (ECA)
et la National Comobordity Survey (NCS) sont probablement les études les plus informatives,
et montrent bien que la présence de l’une des deux pathologies augmente (entre 2 et 4 fois) le
risque de l’autre trouble (tableau 1), les odds-ratios étant significativement supérieurs à 1. Si
l’on souhaite comparer les fréquences plutôt que les risques (21), l’étude ECA nous donne
une fréquence d’abus ou de dépendance aux toxiques de 47 % chez les sujets souffrant de
schizophrénie, contre 17 % dans la population générale.
Néanmoins, si la comorbidité est requise, elle ne peut être considérée comme témoignant
d’une vulnérabilité commune. Les odds-ratios inférieurs à 3 témoignent d’un poids
relativement faible de la variable, ce qui n’est pas en faveur d’un rôle direct de type « A
donne B », puisque la grande majorité des deux troubles existe de manière indépendante.
Néanmoins, les effets des amphétamines, du LSD ou des morphiniques, par exemple, servent
parfois de modèle pour la schizophrénie dans les études chez l’animal. Certains auteurs,
comme Defer et Diehl, ont de même parlé de « psychose cannabique » (marqué par un état
oniroïde amnésique infiltré par une organisation délirante à thèmes persécutifs ou
mégalomaniaques), bien que les auteurs, déjà, proposaient que « les psychoses cannabiques
avec ou sans éléments discordants n’ont jamais d’évolution vers une schizophrénie
véritable ».
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